(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 39) (Présidence de M. Vervoort, premier vice-président.)
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à trois heures et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre :
« Le sieur Michel Wagner, cultivateur à Hondelange, né à Steinfort (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Des habitants de Tamise demandent qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Adam-Jean Karl, préposé des douanes à Viernes, né à Bois-le-Duc (Pays-Bas), demandé la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur J. Pieters fait hommage à la Chambre d'un exemplaire du « Zeemans Almanak, » qu'il a publié en 1859 et 1860. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. Nélis, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé.
- Ce congé est accordé.
M. H. Dumortier dépose sur le bureau le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant institution de caisses générales d'épargnes et de retraite.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. Vander Donckt. (Nous donnerons son discours.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé/)
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, la discussion a déjà fait disparaître un grand nombre des reproches et des accusations qui se trouvent formulés dans le rapport de la section centrale. J'espère prouver aujourd'hui à la Chambre qu'en ce qui concerne les différents points sur lesquels porte encore le débat, j'ai exposé les faits de la manière la plus exacte, la plus vraie, et qu'il n'existe d'irrégularités que celles que j'ai signalées moi-même.
Mais avant tout je crois nécessaire de dire un mot de la singulière position que l'honorable M. Hymans veut me faire dans ce débat.
L'honorable M. Hymans ne se préoccupe, dit-il, que du gouvernement actuel, du ministre de la justice actuel.
Je suis étranger à tout ce qui s'est passé de 1855 à 1858 ; je n'ai pris aucune part aux faits qui font l'objet des critiques de la section centrale ; peu importe ; de par l’honorable M. Hymans, j'en suis responsable. Peu lui importe quel est le ministère qui a encouru des reproches ; peu lui importe même que ce soit la commission ou le gouvernement qui ait mal géré, c'est le ministre actuel qui doit subir les critiques.
Je n'accepte pas cette doctrine, en opposition manifeste avec les règles que chacun répond de ses actes ; en intervenant dans cette affaire, j'en ai fait connaître toutes les phases, tous les détails, et je maintiens que tout ce que j'ai dit, et dans l'exposé des motifs et dans cette discussion, est à l'abri de toute contestation sérieuse.
Les irrégularités, les fautes administratives, je ne les ai pas cachées et j'ai montré que là était la source du mécompte que nous éprouvions quant aux dépenses de la construction de l'église de Laeken.
Le gouvernement, en adoptant des modifications de plans, sans avoir les devis qui établissaient les dépenses que ces modifications entraîneraient, commettait une faute ; et s'il y a des reproches à faire de ce chef, c'est aux ministres de l'intérieur et de la justice de l'époque et un peu aussi à la Chambre qu'il faut les adresser. La Chambre a vu les plans ; elle a connu les modifications que l'on se proposait d'introduire au projet primitif ; elle eût pu exiger avant le vote du crédit un devis détaillé, ou demander que le gouvernement ne mît pas la main à l'œuvre avant que ces devis aient été dressés.
J'ai dit avant-hier, et j'ai soutenu, contrairement aux allégations de l'honorable rapporteur de la section centrale, qu'en 1853 le gouvernement avait approuvé les modifications proposées par le jury ; que c'est pour l'exécution de ces plans que le jury recommandait que le crédit de 450,000 fr. a été voté par la Chambre ; j'ai dit que la somme de 1,100,000 fr. dont il est question dans le rapport de 1853 de l'honorable M. de Haerne devaient être exclusivement appliqués à la construction de l'église et ne comprenaient pas le mobilier, et j'ai ajouté que j'apporterais, à l'appui de ce que j'avançais, des pièces qui couperaient court à toute contestation. C'est l'engagement que j'ai à remplir. La principale pièce que je puisse invoquer, c'est le plan modifié qui a été soumis à la Chambre en 1853. C'est le plan du monument tel qu'on l'exécute en ce moment et qui porte le visa de M. Faider, pour être annexé à l'arrêté royal du 2 juin 1853
M. Hymans, rapporteur. - Qu'est-ce qu'il devait coûter ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vais vous lire cela et vous l'entendrez de la bouche de M. le ministre de l'intérieur de l'époque. Je vais vous lire une lettre qui, encore une fois, ne laissera pas prise à la réplique.
Je désire autant que possible ménager votre temps ; cependant je suis forcé de donner lecture de différentes pièces, parce que la Chambre se convaincra ainsi de la vérité de mes paroles et du peu de fondement des reproches adressés à la commission.
Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, d'après le programme l'église ne devait coûter que 800,000 fr.
Le premier plan de M. Poelaert portait la dépense à 600 et des mille fr. Quelques défauts avaient été signalés, et on avait demandé que ce plan fût revu. Il avait été communiqué à Sa Majesté qui, en l'approuvant, avait manifesté le désir de le voir accompagné de devis détaillés et parfaitement exacts.
Des instructions en ce sens furent données à M. Poelaert ; M. Poelaert revit, corrigea ses plans, fit un nouveau devis qui fut soumis au jury. Le jury l'examina et exprima l'opinion que la somme de 871,000 fr. était suffisante pour exécuter le projet.
Mais le jury, tout en approuvant le plan et le devis, indiqua de nouveaux changements qui augmenteraient la beauté du monument, et dans une lettre du 25 avril 1853 (je prie la Chambre de bien fixer son attention sur cette date), M. le ministre de l'intérieur rend compte de ces faits à M. le ministre de la justice, dans les termes suivants :
« Le jury a définitivement approuvé le plan modifié présenté par M. Poelaert et le devis montant à la somme de 871,087 fr. 38 c. Cependant ce plan n'est pas celui que le jury estime le meilleur. D'après son invitation, M. Poelaert avait dressé trois nouveaux croquis de façades, et le jury avait particulièrement remarqué l'un de ceux-ci qu'il n'eût pas hésité, dit-il, de proposer pour l'exécution, s'il n'avait été retenu par la crainte que les frais de construction ne dépassassent notablement la somme assignée par le gouvernement. »
M. Hymans, rapporteur. - Il a bien réussi.
MjTù. - Je désire que les accusations tombent sur ceux qui les méritent, et si j'ai défendu la commission avec une certaine vivacité, c'est, comme vous le voyez, qu'aucun reproche ne peut lui être adressé dans cette affaire.
« Vous vous rappellerez, M. le ministre, que cette somme avait été fixée dans le programme du concours à 800,000 francs. Le devis approuvé dépasse ce chiffre de 71,000 francs, mais cette différence ne paraît pas assez importante pour exiger que l'architecte remanie de nouveau son travail, et sous ce rapport, l'adhésion du gouvernement semble ne pas devoir être refusée.
« Mais en présence des recommandations si pressantes du jury en faveur d'un autre projet, j'estime qu'il convient que le gouvernement examine avec maturité s'il n'est pas de son devoir d'assurer au monument la plus grande perfection possible, même au prix d'un nouveau sacrifice.
« Je vais, à cet effet, M. le ministre, établir la situation première telle qu'elle est en ce moment.
(page 40) « Les ressources disponibles sont :
« l° Les sommes provenant des souscriptions versées entre les mains du gouvernement et qui s'élèvent à ce jour, avec les intérêts acquis au 31 décembre 1852, à fr. 390,918 56
« Mais il faut en déduire les prix du concours montant à 11,250 francs, 10,000 francs formant les deux tiers du subside promis pour le monument à ériger à S. M. la Reine, à Ostende, différentes petites dépenses montant à 1,203 fr. 44 c., ce qui donne un total de fr. 22,453 44.
« Il reste donc en caisse, fr. 368,465 12.
« N.B. On ne porte pas en compte le troisième tiers du subside pour le monument d'Ostende, cette dépense devant être compensée, et bien au-delà, par les intérêts que produiront les capitaux placés au trésor.
« 2° Le montant des souscriptions versées entre les mains de M. le curé de Laeken, s'élevant au 31 juillet 1852, y compris les intérêts reçus des capitaux placés, à fr. 43,566 98.
« 3° Les souscriptions recueillies par M. le bourgmestre de Laeken, s'élevant, au 14 août 1852, également y compris les intérêts reçus, à fr. 9,948 08.
« 4° Le subside de 150,000 francs voté par le conseil de fabrique de l'église de Laeken. Mais sur cette somme il a été payé celle de 84,680 fr. 10 c. pour le prix de la propriété de M. Meeus, pour les frais de cette acquisition, pour les études faites relativement à l'emplacement de l'église, etc. Il reste donc fr. 65,319 90.
« 5° Le subside auquel S M. le Roi a fixé sa part d'intervention dans la dépense, fr. 150,000. »
« Total, fr. 637,500 08.
« Il y a donc déjà, pour atteindre au chiffre du devis de M. Poelaert, une insuffisance de fr. 233,787 30. Cette insuffisance serait portée à 400,000 ou 450,000 fr., en cas d'adoption du plan recommandé par le jury ; car, quoique aucun chiffre n'ait été fixé dans le rapport du jury, je crois savoir que la dépense à laquelle l'exécution de ce plan donnerait lieu a été évaluée grosso modo de onze cent à douze cent mille francs.
« Comment sera-t-il possible de parer à cette insuffisance ? Il est à remarquer, M. le ministre, que jusqu'ici il n'a pas été question de l'intervention pécuniaire ni de l'Etat, ni de l'administration provinciale. Or, quand cette intervention s'accorde pour toute construction ou restauration d'église, il ne pourra certes pas y avoir lieu de la refuser lorsqu'il s'agit du monument national à élever à la mémoire d'une Reine dont la perte prématurée a été si vivement et si généralement déplorée dans tout le royaume.
« Il ne faut pas perdre de vue aussi que l'état actuel de l'église de Laeken exige sa reconstruction très prochaine, et qu'à ce titre le conseil de fabrique serait en droit d'invoquer l'aide du gouvernement et de la province.
« Au reste, l'intervention de cette dernière administration dans la dépense est déjà prévue, ainsi que le prouve la lettre ci-jointe de M. le gouverneur du Brabant, en date du 19 mai 1852. Nous sommes donc en présence d'une dépense nouvelle de 400,000 à 450,000 francs qui devrait être faite pour assurer l'exécution du projet le plus parfait, et nous avons à examiner s'il y a quelque probabilité d'obtenir cette somme par l'intervention simultanée de l'Etat et de la province.
« La décision à prendre à cet égard appartient à vous, M. le ministre, puisque le budget de notre département comprend l'allocation destinée à subvenir aux frais de construction d'édifices consacrés au culte. Si vous admettez le principe de cette intervention en ce qui vous concerne, vous auriez à décider quelle part l'Etat prendra à sa charge et si cette part pourra être prélevée sur cette allocation ordinaire en la répartissant sur plusieurs exercices, ou s'il sera nécessaire de demander un crédit spécial à la législature. »
Comme vous venez de l'entendre, messieurs, le jury n'avait pas indiqué le chiffre de la dépense supplémentaire à résulter des modifications qu'il proposait. Mais le ministre déclarait qu'il croyait savoir que cette dépense s'élèverait à 1,100,000 ou 1,200,000 francs. Ce que je viens de lire constate donc deux choses : et que le gouvernement acceptait les modifications proposées par le jury, et qu'il n'y avait pas de devis.
L'honorable M. Hymans a dit, messieurs, dans la discussion, que le crédit de 1,100,000 à 1,200,000 fr. devait tout comprendre : le mobilier, l’ornementation. Eh bien, voici encore un passage de la même lettre qui condamne complètement cette allégation :
« De son côté, mon département aura à supporter une dépense assez forte, 1° pour l'ameublement et les objets d'art destinés à l'ornementation de la nouvelle église, travaux qui ont été formellement réservés à l'article 8 du programme du concours et qui exigeront au moins 300,000 francs ; 2° pour l'établissement de l'avenue qui doit conduire du pont de Laeken vers la façade de la nouvelle église, construction dont les frais sont évalués à 140,000 francs. »
Ce passage ne peut plus laisser de doute sur les dépenses que le crédit que devait demander le département de la justice était destiné à payer. C'était le département de l'intérieur qui devait être chargé de l'ameublement. Ainsi que je l'ai dit, les onze à douze cent mille francs ne comprenaient donc pas l'ameublement.
Ensuite de cette lettre, l'honorable ministre de la justice paraît s'être d'une part concerté avec ses collègues, et de l'autre avec quelques membres de la Chambre, car je retrouve au dossier une note de sa main où je lis entre autres :
« Répondre à la lettre du ministre de l'intérieur, et, en envoyant l'arrêté au gouverneur, expliquer que le gouvernement, sous la réserve de ratification de la législature, interviendra dans la dépense pour combler la différence indiquée. - J'en ai conféré en conseil, j'en ai également parlé à la Chambre : il n'y a nul doute que l'on n'obtienne, pendant 3 ou 4 ans, une augmentation extraordinaire de crédit pour cet objet. »
Tout cela se passait à la date du 14 mai 1853 ; le 2 juin 1853, un arrêté fut soumis au Roi avec le plan que voici ; c'est ce plan qui a été approuvé et qui est exécuté en ce moment.
M. Hymans, rapporteur. - Sans devis.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Sans devis. Je n'ai cessé de dire dès le principe que c'était là une grave irrégularité. Je viens de vous citer encore une lettre de l'honorable M. Piercot qui écrivait, un mois avant le vote du crédit, que le jury n'avait pas indiqué le chiffre de la dépense qu'entraîneraient les modifications proposées, mais qu'il croyait savoir que la construction s'élèverait grosso modo à onze ou douze cent mille francs.
Voilà ce que l'on disait un mois avant le vote du crédit. Or, il ne faut pas être très versé dans les affaires de construction pour savoir que ce n'était pas dans l'intervalle d'un mois qu'on pouvait dresser le devis d'un monument tel que l'église de Laeken. La Chambre prenait l'initiative du crédit au mois de juin 1853 ; les plans avaient été à peine renvoyés par le jury ; et de devis, il n'y en avait pas. Je sais que dans le rapport de l'honorable M. de Haerne, il est fait mention d'un devis, mais c'est là un fait que je ne m'explique pas.
L'on a dû donner le nom de devis à une estimation générale, à une appréciation faite en gros ; car, comme le disait M. Piercot, le jury n'avait pas indiqué de chiffre de dépense. (Interruption.)
C'est tout au long dans la lettre de M. Piercot ; le jury n'avait pas évalué la dépense ; j'ignore, je le répète, quelle est la pièce dont a fait mention l'honorable M. de Haerne...
M. de Haerne. - La section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Les recherches les plus minutieuses, faites au département de la justice et au département de l'intérieur, ne constatent pas même qu'un devis ait été demandé àr cette époque à qui que ce soit.
Je tenais surtout à éclairer la Chambre sur cette partie de la discussion, -pour établir que les reproches qui sont adressés à la commission du chef de changement aux plans ne sont pas fondés ; que c'est le gouvernement, ainsi que je n'ai cessé de le soutenir, qui, avant la nomination de la commission, avait approuvé les plans tels qu'ils ont été suivis depuis ; que la commission n'a pu faire autre chose que d'exécuter les travaux tels qu'ils étaient indiqués par les plans qui lui étaient transmis.
Voilà à quoi s'est borné le rôle de la commission. Bien loin de pousser à une augmentation de dépenses, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de le dire dans un premier discours, la commission, quand elle a vu à quelle somme allaient entraîner les modifications admises par le gouvernement, surtout en ce qui concernait le revêtement en pierres, qui devait primitivement être fait en briques ; la commission, dis-je, a employé les briques réfractaires, parce qu'elle espérait obtenir ainsi une très grande économie. Voici ce que la commission écrivait, à la date du 31 octobre 1854 ;
(page 41) « Quant à ce qui concerne la pierre blanche, la commission, après avoir de nouveau longuement discuté la question, a été d'avis unanime que, en présence de la nécessité très probable où l'on se trouverait de devoir recourir à l'étranger, il convenait d'abandonner l'idée de faire emploi de cette matière et d'y substituer, du moins pour les parements des murs et des voûtes, et même, si c'est possible, pour les mesures et moulures, la brique blanche réfractaire qu'on peut obtenir dans de nombreuses fabriques du pays, sous de fortes dimensions et moulée sous les formes les plus diverses. Elle a décidé, en conséquence, de vous proposer de faire procéder à une adjudication spéciale, soit publique soit par soumissions cachetées, de cette fourniture de briques réfractaires blanches, d'après un nouveau cahier des charges à rédiger par les soins de M. l’architecte Poelaert aussitôt que cette proposition aura reçu votre approbation.
« La commission est en outre persuadée qu'il résultera une très notable économie de la mise à exécution de cette idée. »
Voilà, messieurs, encore une preuve manifeste que la commission, loin de vouloir entraîner dans des dépenses extraordinaires, a voulu au contraire les diminuer autant que possible.
Messieurs, l'honorable M. Hymans a de nouveau et très vivement critiqué l'indemnité accordée à l'architecte.
Je persiste à croire que cette indemnité n'est pas exagérée et qu'elle a été fixée Conformément aux usages. L'honorable M. Hymans fait une objection. Il vous dit que quand on accorde 5 p. c. à l'architecte, il est chargé de trois choses : de la confection et rédaction des plans et devis, de la surveillance et du règlement des comptes et mémoires.
Or, dit l'honorable M. Hymans. M. Poelaert ne fait rien de cela.
Il fait les plans ; il n'a pas fait de devis ; il ne surveille pas, il ne règle pas les comptes.
Messieurs, tout cela n'est pas exact.
M. Poelaert fait tous les plans, il fait tous les devis. Ces plans sont très nombreux, ils sont tellement nombreux, que M. Poelaert a employé presque toujours quatre dessinateurs qui travaillaient exclusivement aux plans à fournir pour l'église de Laeken, car on pourrait presque dire qu'il n'est pas de pierre qui, dans cet édifice, ne donne lieu à un plan.
Il ne s'est élevé, messieurs, qu'une seule difficulté quant aux obligations à remplir par M. Poelaert et la voici :
Il ne s'agit pas de savoir si M. Poelaert doit ou ne doit pas exercer la surveillance. Il est tenu de l’exercer, mais il ne peut l'exercer à lui seul, il ne peut pas entrer dans tous les détails, être à côté de tous les ouvriers ; il ne peut donc avoir que la haute surveillance.
Toute la question a été de savoir si les agents en sous-ordre, ceux qui doivent être en quelque sorte partout à côté du maçon, devaient être payés par M. Poelaert, ou devaient l'être par celui qui fait construire.
La commission des monuments, qui est certainement au courant des usages, consultée, a déclaré que les surveillants n'étaient pas à la charge de M. Poelaert et devaient être payés par le gouvernement. Il n'a donc jamais été question d'exonérer M. Poelaert de la surveillance qu'il doit exercer. Il doit son temps aux travaux qu'il dirige, mais il doit avoir des auxiliaires, et le gouvernement a admis que le traitement de ces agents n'était pas à la charge de l'architecte.
On trouve le chiffre de 5 p. c. exagéré parce qu'on ne tient pas compte des dépenses auxquelles M. Poelaert est assujetti.
On nous dit : Mais M. Poelaert reçoit 9,000 ou 10,000 francs par an et vous trouvez que ce chiffre n'est rien ? On se demande si l'art est tombé tellement bas qu'il n’y a plus que l'argent qui puisse faire produire quelque chose de grand et de beau.
Si M. Poelaert reçoit 9,000 ou 10,000 fr., il faut en déduire ce qu'il a à payer, comme j'ai eu l'honneur de le dire une première fois à la Chambre ; si M. Poelaert reçoit 5 p. c. sur 2 millions par exemple, cela fait une centaine de mille francs à répartir sur dix ans, soit 10 mille francs par an. Que l'on défalque de cette somme ce qu'il a eu à payer, on verra qu'il ne lui reste que 4,000 à 5,000 fr. par an, ce qui n'est certes pas une somme exagérée.
II résulte de l'état qui m'a été fourni par la commission que M. Poelaert a eu à ses gages quatre dessinateurs et un autre agent. Supposez qu'il ne les payât qu'à raison de 1,200 francs par an, ou même de 1,000 francs, cela fait 5,000 francs, de sorte qu'il ne lui reste que 5,000 francs pour lui.
Messieurs, l'honorable M. Hymans nous disait hier qu'une des choses les plus extraordinaires en Belgique serait probablement l'administration de la construction de l'église de Laeken.
Je dis, moi, qu'une des choses les plus extraordinaires, pour l'étranger, quand il considérera plus tard ce monument, sera la discussion à laquelle nous nous livrons en ce moment et dans laquelle on dispute aussi aigrement à l'architecte ses honoraires.
M. Hymans, rapporteur. - L'architecte qui a été placé sous les ordres de M. Poelaert a été payé par l'Etat. J'en ai la preuve.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). -Les dessinateurs qui étaient là et qui ont continuellement travaillé pour l'église et un autre agent encore ont été payés par M. Poelaert.
Les surveillants sont payés par l'Etat. Cela a été admis de commun accord entre MM. Faider et Piercot., Libre à vous de le critiquer ; mais je ne pense pas que la Chambre appréciera les faits comme vous. Elle sera convaincue, comme moi, je pense, que ces messieurs se sont conformés aux usages, et ce qui me confirme dans cette opinion, c'est que, en définitive, la commission des monuments, ultérieurement consultée (j'ai déjà donné lecture de cette lettre à la Chambre), a déclaré que l'architecte n'était pas tenu de payer les surveillants. En l’absence d'un contrat, à quoi faut-il recourir en pareille matière ? Evidemment à l'usage. Et qui pourrait-on consulter le plus utilement, si ce n'est la commission des monuments, composée d'hommes qui, tous les jours, s'occupent de constructions ?
L'honorable M. Hymans a beaucoup insisté sur le chiffre des 27,000 et des francs indiqués dans le rapport, à titre d'honoraires de l'architecte et de frais de surveillance. Mais, messieurs, cette somme n'a pas été exclusivement appliquée à ces deux objets, et si l'honorable M. Hymans avait voulu y regarder de près, il aurait vu que le libellé de cette dépense était : « honoraires de l'architecte, frais de surveillance et frais divers ; » et les honoraires de l'architecte n'étaient compris dans cette somme que pour 14,000 et des francs, et non pas pour la totalité des 27,000 francs.
Ceci est une rectification que je fais en passant.
Un reproche adressé à la commission et dont je n'ai pas parlé lorsque pour la première fois j'ai pris la parole, a rapport aux dépenses faites à l'occasion de la pose de la première pierre. La commission est restée complètement étrangère à toute cette cérémonie et aux frais qu'elle a occasionnés.
Le programme (je l'ai sous les yeux) a été arrêté de commun accord entre les départements de la justice et de l'intérieur, et toutes les dépenses ont été faites par ce dernier département.
L'honorable M. Hymans vous a dit à cet égard qu'il y avait eu là une irrégularité grave ; que la dépense aurait dû être faite par le département de la justice ; qu'ayant été faite par le département de l'intérieur, il aurait dû y avoir un transfert de crédit qui aurait dû être voté par la Chambre ; et qu'on avait tenu la Chambre dans l'ignorance complète de ce qui s'est passé.
Rien de tout cela n'est exact : le département de l'intérieur a géré les fonds de la souscription ; il a payé les dépenses avec ces fonds ; il n'y avait pas lieu de recourir, de ce chef, à la législature, et, sous ce rapport, aucune règle n'a été violée. On peut critiquer le chiffre de la dépense qui a été faite ; c'est là une critique qui est plus ou moins applicable à toutes les cérémonies en Belgique. Mais encore une fois, s'il y a un blâme à infliger de ce chef, ce n'est pas sur la commission, mais sur les départements de l'intérieur et de la justice qu'il doit retomber.
Messieurs, il y a eu, dans les paroles que l'honorable M. Hymans a prononcées hier, un fait très grave articulé par lui et que je ne puis pas laisser passer sans réponse.
L'honorable membre a dit : « Oui, messieurs, on alla acheter des pierres à un charpentier ; on avait eu des soumissions faites par des hommes respectables, dans d'excellentes conditions, et on ne les accepta point. »
Eh bien, ce fait est complètement inexact, et l'honorable M. Hymans ne citera pas une seule soumission présentée dans des conditions plus avantageuses que celles qui ont été acceptées.,
M. Hymans, rapporteur. - Veuillez achever la citation. J'ai parlé de la question du cautionnement. J'ai dit que l'on n'avait pas demandé de garanties à un entrepreneur étranger, tandis que l'on avait déclaré déchu d'une entreprise de maçonnerie un entrepreneur belge, le sieur Jacobs, parce qu'il n'avait pas été en mesure de fournir un cautionnement.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il faut avouer que vos idées se lient d'une très singulière manière. Vous parlez d'un charpentier auquel on aurait acheté des pierres et vous liez ce fait à la soumission des pierres du sieur Jacobs qui portait sur tout autre chose et qui est de (page 42) trois années antérieures à celle du sieur Cordier. Il me devient difficile ainsi de saisir votre pensée.
L'affaire du sieur Jacobs, à laquelle vous faites allusion, est extrêmement simple : le sieur Jacobs avait fait une soumission, et, conformément au cahier des charges, il avait fourni des cautions ; ces cautions n'ont pas donné à la commission toute espèce de sécurité, et l'on a exigé que l'entrepreneur fournît 20,000 fr. de cautionnement en argent.
L'entrepreneur n'a pas su fournir ce cautionnement, et qu'a fait la commission ? Très soigneuse des intérêts de l'Etat, elle a donné la même entreprise à un Belge, offrant toutes les garanties nécessaires et au prix auquel avait soumissionné le sieur Jacobs.
Je demande à la Chambre si ce n'est pas là un acte de bonne administration. On demande des garanties au premier entrepreneur ; il ne sait pas les donner.
M. Hymans, rapporteur. - Et l'autre ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'entreprise du sieur Cordier n'a aucun rapport avec la soumission du sieur Jacobs.
Maintenant, quelle était la position du sieur Cordier ? On avait mis en adjudication la fourniture des pierres pour l'église de Laeken. De tous côtés on demandait des prix très élevés, la soumission du sieur Cordier était la plus basse. Le sieur Cordier avait fourni les pierres pour la construction du théâtre royal de Bruxelles et il était nanti de plusieurs certificats de France attestant la bonne qualité de ses pierres ; ces certificats donnaient au sieur Cordier la qualification de carrier ; j'en ai encore un sous les yeux qui lui a été délivré par la Compagnie du chemin de fer de Lyon. C'est sous ces auspices, en présence des certificats qu'il produisait que le sieur Cordier a été accepté.
Voilà, messieurs, ce qui s'est passé quant à ce fournisseur.
Plus tard, le sieur Cordier n'ayant pas pu continuer ses fournitures, la régie a été organisée,
Il y avait eu, comme je l'ai dit une première fois, une adjudication pour la maçonnerie et une adjudication pour les moulures ; les pierres que devait fournir le sieur Cordier devaient être mises en œuvre, travaillées par les entrepreneurs qui les attendaient. La commission a proposé d'organiser la régie, le gouvernement a donné son assentiment à cette proposition et non seulement on a évité les réclamations de la part des entrepreneurs delà maçonnerie et des grosses moulures, mais le gouvernement a réalisé un bénéfice très grand ; les pierres, qui avaient été soumissionnées au prix de 115 francs le mètre cube, ont été fournies en régie, avec un degré de travail de plus, au prix de 84 fr. 40 c.
M. Hymans, rapporteur. - Les pierres ne sont pas les mêmes.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Elles sont identiquement les mêmes, au moins quant à la qualité.
Je n'ai pas à discuter théoriquement si le système de la régie vaut mieux que celui de l'entreprise. Je suis d'accord avec l'honorable rapporteur, qu'en thèse générale, la régie est un système que le gouvernement ne doit pas adopter. Comme ministre, je ne voudrais pas l'admettre comme règle. Mais il est des cas d'impérieuse nécessité où c'est un devoir pour le gouvernement de l'adopter. Et quand alors cette régie produit de bons résultats, il ne faut pas la critiquer. Sur cette manière de faire exécuter des bâtiments, l'opinion de M. Hymans est donc la mienne, et ma manière de voir est fondée sur ce que le gouvernement ne trouve pas toujours des hommes à la fois assez loyaux, assez intelligents et assez dévoués pour faire exécuter les travaux qu'il aurait à leur confier.
Je dois donc recourir aux entrepreneurs ; mais ici le gouvernement n'avait pas le choix ; il ne pouvait pas s'exposer à des dommages-intérêts ; faire subir des retards à la construction du monument.
En fait la régie a produit d'excellents résultats et les prix qui ont été soumis à la section centrale comme évaluation approximative des dépenses qui restent à faire sont les prix de la régie ; si celle-ci était abandonnée, ce ne serait pas aux prix indiqués qu'on parviendrait à achever l'église de Laeken.
Messieurs, je termine en demandant à la Chambre qu'elle veuille voter le crédit ; l'adoption de la proposition de la section centrale serait un blâme infligé à des hommes qui ne méritent que des éloges, et de plus elle serait bien dommageable à l'Etat.
Si on abandonnait la régie pour en revenir aux entrepreneurs, ce seraient de plus grands sacrifices à faire, et en forçant la commission à se retirer on désorganiserait ce qui existe à la veille de terminer le monument.
La discussion qui vient d'avoir lieu a envoyé à l'adresse de qui elles doivent aller les critiques méritées auxquelles cette affaire peut donner lieu.
Je crois que nous avons atteint ainsi le seul but que la Chambre puisse se proposer.
M. de Haerne. -- Messieurs, mon intention n'était pas de prendre part à ce débat, mais mon nom ayant été cité à plusieurs reprises comme ancien rapporteur de la section centrale de 1853, j'ai cru ne pas pouvoir me dispenser de donner quelques explications à la Chambre, au sujet des citations dans lesquelles j'étais intéressé. Ce n'est pas que je regrette ces discussions, elles prouvent à mes yeux deux choses : d'un côté le soin qu'on a dans les gouvernements constitutionnels réguliers, bien constitués comme le nôtre, d'examiner à fond l'administration, la gestion des deniers publics.
Je m'associe de tout cœur aux intentions de l'honorable rapporteur et des membres de la section centrale ; je suis aussi soigneux que qui que ce soit des ressources de l'Etat ; j'aime à les économiser autant que possible.
Cette discussion prouve, d'un autre côté, qu'une pensée éminemment patriotique a dominé dans toute cette affaire, même avant 1853 ; pour s'en rendre compte, il faut remonter à l'époque de 1848, à l'explosion révolutionnaire qui produisit en Belgique par réaction des manifestations de sentiments patriotiques dans le sens de la conservation de nos institutions ; peu de temps après, en 1850, un grand malheur frappa la Belgique et la couvrit d'un deuil général ; notre Reine chérie, vénérée, nous fut enlevée ; et aussitôt on conçut l'idée de perpétuer sa mémoire par un monument public.
Il y avait pour cette idée un enthousiasme général dans le pays. On voulait qu'un monument national fût consacré à la mémoire de la Reine ; de plus c'était dans toutes les villes à qui élèverait le plus beau monument, une école, une église ou un hospice.
Voilà l'idée qui dominait toute la nation. Le gouvernement partageait cette idée, les Chambres aussi ; une souscription fut ouverte, le gouvernement reçut une somme assez notable, plus de 300 mille francs ; d'autres souscriptions eurent lieu dans la pensée d'ériger un mausolée digne d'une si grande Reine ; l'on songea en même temps à élever un monument digne du pays pour la sépulture de nos rois, un Saint-Denis belge en un mot.
Cette pensée se propagea dans toute la Belgique, c'était là la signification de ces souscriptions pour des sommes assez notables qui arrivaient au gouvernement et à d'autres autorités.
Il ne s'agissait donc pas de bâtir tout simplement un oratoire on chapelle commémorative, mais bien un monument patriotique.
La souscription allait assez bien ; cependant comme les mœurs belges ne sont pas faites aux entreprises par souscription, quand une souscription s'ouvre pour une œuvre nationale, tous les regards se portent sur le gouvernement ; on s'attend à ce qu'il intervienne largement, c'est ce que j'ai fait remarquer dans mon rapport en 1853.
Ce n'est pas que le patriotisme fût refroidi, mais parce que tout le monde se disait : Le gouvernement fera le monument. Voilà comment les souscriptions ont été un peu entravées. Nous ne pouvons pas nous comparer, sous ce rapport, aux Anglais, qui ont des mœurs constitutionnelles beaucoup plus enracinées et beaucoup plus anciennes que nous. Le système des souscriptions et d'association est beaucoup plus d'usage chez eux que chez nous. J'espère, dans l'intérêt des arts surtout, que nous ferons des progrès dans cette voie ; mais nous n'en sommes pas encore arrivés là.
Voilà, messieurs, comment les souscriptions ont été insuffisantes, mais l'idée d'ériger un monument était partagée par toute la nation, j'ose le dire.
Nous étions, messieurs, dans cette position, lorsque, en 1853, surgit l'idée d'ériger tout à la fois un monument à la mémoire du Congrès et un monument à la mémoire de la Reine tant regrettée. Dans la pensée patriotique, dans la pensée nationale, ces deux monuments furent associés, et comme j'ai eu l’honneur de le constater dans mon rapport, la section centrale ne voulut pas même séparer l'une idée de l'autre ; on voulut les faire marcher d'accord. Il y avait là beaucoup de patriotisme, beaucoup d'élan ; peu de calcul, je l'avoue.
Nous voulions faire un double monument ; nous étions économes des deniers publics, mais nous nous disions que quand il s'agit d'un monument, il faut le faire d'une manière digne de la nation.
Messieurs, j'admets, comme vient de le dire M. le ministre de la justice, comme M. Nothomb l'a dit également hier, qu'il y a eu des irrégularités. Mais ces irrégularités ont été commises dans beaucoup (page 43) d'autres circonstances ; et puisque je viens de dire que les deux monuments étaient associés dans la pensée de la Chambre et du pays, je dois dire qu'en section centrale on trouva aussi qu'il y avait eu des irrégularités pour la colonne du Congrès.
J'ai eu l'honneur d'être nommé rapporteur de la section centrale pour les deux monuments. J'ai fait mon rapport d'après les inspirations que j'ai puisées à la section centrale et un peu dans l'enthousiasme du pays. On m'a même reproché d'avoir été un peu trop enthousiaste, d'avoir fait une espèce de cantate en l'honneur du congrès et de la Reine Louise-Marie. Messieurs, je l'avoue, il y avait dans tout cela beaucoup d'enthousiasme ; mais nous voulions faire une œuvre nationale, c'était l'idée qui dominait.
Nous ne voulions pas toutefois que les fonds à consacrer à l'expression de cette pensée patriotique fussent détournés de leur but.
Nous demandions donc, au nom de la section centrale, que les devis et les comptes nous fussent remis pour ce qui regarde la Colonne et l'église de Laeken, et sur ce dernier point les idées n'avaient pas été bien fixées de prime abord ; car, comme l'a expliqué M. le ministre de la justice, il s'agissait d'abord d'une église paroissiale ; plus tard il s'agit d'un monument et enfin on a proposé des modifications dans le plan de ce monument.
Nous avons demandé des explications au ministère, ces explications ont été fournies. On nous a donné un devis ; mais ce devis n'entrait pas dans les détails ; il y a devis général ; il y a devis détaillé. Il n'est pas constaté dans mon rapport qu'il y eût un devis (erratum, pahe 45) détaillé.
On m'a attribué l'honneur de la proposition ; cela n'est pas exact, seulement je l'ai acceptée de grand cœur avec tous les autres membres de la section centrale, qui m'a nommé son rapporteur après qu'elle avait pris sa décision, je n'ai fait que constater les faits admis par elle.
On avait donc, d'après le devis fait d'une manière générale, grosso modo ainsi qu'on l'a dit, porté la dépense à 1,100,000 fr. comme cela est constaté dans le rapport de 1853.
On aurait dû, je l'avoue, demander des explications plus précises, plus détaillées. Mais cette somme était-elle exagérée ? Voilà ce que je me permettrai d'examiner.
Messieurs, j'ai désiré me mettre au courant des choses, depuis que cette discussion a surgi, et aujourd'hui même je me suis rendu à Laeken pour vérifier sur les lieux l'emploi qu'on a fait des fonds votés, et pour savoir jusqu'à quel point il pouvait y avoir eu des abus, des irrégularités. J'ai voulu voir les choses par moi-même. Car, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, je suis tout aussi économe des deniers publics que l'honorable rapporteur.
Messieurs, j'ai tout examiné ; je suis entré dans l'enceinte du monument, qui n'est pas encore couvert, je le reconnais.
Il y pleut, comme l'a dit l'honorable rapporteur. Mais une chose qu'il n'a pas dite, c'est que les travaux sont très avancés. Car j'ai pu constater que l'on a placé sur une assez grande étendue les vernes, et les fermes en fer, ainsi que les voliges, et j'ajouterai que dans trois jours on commencera à mettre les ardoises. Aux termes du cahier des charges de cette entreprise, la toiture, qui est sans doute une partie très importante puisqu'elle doit préserver la maçonnerie des intempéries de l'air, la toiture, dis-je, doit être terminée en trois mois, et l'on m'a assuré qu'elle le sera.
J'ai voulu savoir quelle était en définitive la dépense qu'on avait faite jusqu'au point où l'on en est arrivé aujourd'hui ; je demande à la Chambre la permission de lui lire les notes, de lui citer les chiffres qui m'ont été fournis.
Au 1er décembre 1858, la dépense totale s'élevait à fr. 1,010,855 83 ; depuis lors il a été payé :
1° Par l'agent comptable, du ministère de l'intérieur au moyen des fonds de la souscription : fr. 130,804 20
2° Par le chef de comptabilité du ministère de la justice au moyen de mandats spéciaux misa sa disposition : fr. 12,878 91
3° Par mandats visés ou soumis au visa de la cour des comptes : fr. 102,543 50
4° Par la fabrique de l'église de Laeken, à valoir sur ce qu'elle doit encore verser, pour compléter sa souscription de 150,000 francs : fr. 60,000.
Total : fr. 1,257,142 50
Mais de cette somme il faut déduire les sommes suivantes, pour avoir la dépense réellement faite pour les travaux de l'église :
1° D'abord les frais de concours qui sont de fr. 12,803 86
2° Le monument d'Ostende, fr. 15,000.
3° La pose de la première pierre, (erratum, page 45) fr. 23,603 86
4° La valeur à récupérer par la vente de l'échafaudage, des appareils, hangars, bureaux et matériel, fr. 65,000.
Total : fr. 116,412 24
Il y a donc à déduire de la somme de 1,257,142 50 fr. celle de 116,412 fr. 24. Reste 1,140,730 fr. 26.
Revient donc pour dépenses réellement effectuées jusqu'à ce jour pour la construction de l'église, une somme de 1,140,730 fr. 26 cent. ; et le devis général de 1853 portant la dépense à environ 1,100,000 fr., j'ai voulu savoir en détail non seulement quelles sont les constructions faites et à faire pour cette somme, mais aussi quels sont les matériaux disponibles compris dans cette somme ; et voici encore quelques renseignements que j'ai recueillis à cet égard.
Indépendamment des travaux exécutes, dont je viens de donner le relevé, la somme de 1,140,750 fr. 26 c. comprend la valeur de toutes les pierres non encore mises en œuvre et actuellement sur le chantier ou dans les magasins, pierres sur lesquelles il ne reste plus à payer que 11,679 fr. 89 c. à l'administration du chemin de fer pour transport, et 3,672 fr. à MM. Letellier et Cie, de Paris, pour solde de leur fourniture.
Dans cette même somme sont compris en outre 31,000 fr. payés en deux à-comptés à M. Melot sur son entreprise de 229,000 fr., sur laquelle il reste à payer 198,000 fr. pour :
1° La construction des façades latérales, jusque et y compris les balustrades de couronnement.
2° L'achèvement des piliers de nefs et la construction des voûtes du vaisseau de l'église.
3° La construction des tours jusqu'à 33 mètres 50 centimètres au-dessus du pavement de l'église.
4° La construction des maçonneries de la chapelle royale jusqu'à la hauteur de 14 mètres au-dessus du point actuel.
Indépendamment de la dépense de ces constructions, qui est ainsi exactement évaluée, on m'a fait connaître aussi, à part, celle qui concerne l'exécution des toitures des nefs et du transept, laquelle, en vertu d'un contrat à forfait passé en adjudication publique avec les entrepreneurs Braine et Sénave, est de 129,500 francs.
Voilà donc, messieurs, jusqu'à quel point le monument est arrivé aujourd'hui. Il n'est pas encore achevé, mais il est près de l'être et ce moyennant une somme quelque peu supérieure à celle de onze cent mille francs, qui avait été fixée en 1853.
Je reconnais encore une fois avec l'honorable ministre qu'il y a eu des irrégularités et qu'on aurait beaucoup mieux fait ; au point de vue de la comptabilité, au point de vue de la parcimonie, de demander des comptes plus exacts ; mais il faut avouer que c'était une chose fort difficile et, pour être dans le vrai, disons que les choses se passent ordinairement ainsi même chez les particuliers. Il est rare qu'un devis ne soit pas dépassé d'un quart ou d'un tiers. Cela est connu de tous ceux qui ont fait des constructions de quelque importance.
Du reste, messieurs, il y a eu renchérissement de la matière première et augmentation des salaires ; c'est aussi un fait dont il faut tenir compte, aussi bien que de la substitution de la pierre à la brique.
Messieurs, il y a certains détails dans lesquels je voudrais entrer, mais je craindrais d'abuser des moments de la Chambre ; cependant je dirai encore un mot.
On a parlé entre autres choses d'une irrégularité qui aurait été commise en ce qui concerne l'achat des terrains.
J'ai voulu savoir ce qui en était de cette irrégularité, et voici ce que j'ai appris. D'abord les acquisitions de terrain étaient estimées à 77,000 francs et elles ont été portées à 99,000 fr. Cela provient de ce qu'on a acheté un terrain qui doit servir de parvis à l'église et dont la spéculation voulait s'emparer ; on voulait y bâtir dans l'espoir d'être exproprié plus tard.
Voilà comment la somme consacrée à l'achat des terrains a été augmentée.
Messieurs, je ne crois pas que la somme totale nécessaire pour l'achèvement de l'édifice puisse s'élever autant que l'a pensé l'honorable rapporteur.
Je n'oserais pas en fixer la limite, mais je crois que le monument proprement dit pourra être achevé avec une somme de deux millions.
On nous a fait peur, messieurs, par l'idée de l'ornementation de l'église ; mais on pourrait souvent nous effrayer par des dépenses (page 44) pareilles, auxquelles on est bien des fois entraîné pour l'encouragement des arts.
Tous les ans il y a sous ce rapport des discussions plus ou moins vives et quand on sait ce qui se fait dans d'autres pays on peut se demander si pour l'encouragement des arts la Belgique est bien tout à fait à la hauteur des circonstances.
Mais, messieurs, l'ornementation de l'église de Laeken ne sera certainement pas à la charge du gouvernement seul ; car l'église a des ressources, et ce qui le prouve c'est qu'elle a pu verser une somme de 150,000 fr. pour l'érection du monument. Il y a d'ailleurs le cimetière qui procure des revenus à l'église.
Ensuite le plan du monument, tel qu'il a été conçu, comprend des caveaux qui seront demandés par les premières familles, à des conditions un peu onéreuses, et l'une de ces conditions sera, sans aucun doute, l'obligation de concourir à la construction de monuments particuliers ou d'ornements à placer à l'intérieur de l'église. Le gouvernement pourra se renfermer dans les proportions des subsides qu'il accorde aux autres églises.
Nous avons dans le pays une foule de monuments civils et religieux qui reçoivent tous les ans des subsides sur le budget de l'Etat ; ces monuments se trouvent non seulement dans les grandes villes, mais encore dans certaines localités de faible importance.
Ainsi, par exemple, le monument de Saint-Hubert pourrait-il se soutenir sans le secours du gouvernement ? Il en est de même de beaucoup d'autres monuments qui ne valent pas Saint-Hubert.
Pourquoi donc ne pourrait-on pas faire quelque chose pour une œuvre d'art nouvelle de premier ordre, qui fera plus d'effet, je pense, que Sainte-Clotilde à Paris, qui est plus grande que cette église et qui n'aura coûté qu'un peu plus que la moitié de ce qu'elle a coûté, quoiqu'on eût la pierre sous la main ? A-t-il été dit qu'on ne ferait plus jamais de monuments ?
Je sais que pour ce qui regarde l'effet que doit produire cette construction, on s'est déjà livré à des critiques. Mais tous les monuments, quels qu'ils soient, sont critiqués.
Il est impossible qu'on fasse une œuvre d'art, sans s'exposer à des critiques. Mais je dois dire que déjà l'église monumentale de Laeken produit un bel effet. C'est un édifice grandiose. J'ai vu des hommes très compétents qui n'hésitaient pas à le comparer aux plus grands monuments en style religieux qui ont été élevés dans les divers pays depuis peut-être cent ans.
L'église monumentale de Reims, qu'on a citée, a nécessité des dépenses bien plus considérables. La cathédrale de Milan, commencée il y a 300 ans, n'est pas encore achevée ; celle de Cologne est dans le même cas. Certes, nous ne pouvons pas nous imposer de pareils sacrifices. Mais enfin, il est évident que la nation doit s'enorgueillir d'un monument tel que l'église de Laeken, et ne peut pas l'abandonner. Il faudrait sans doute, avant tout, l'initiative privée, les souscriptions, les ressources locales ; mais l'initiative privée étant insuffisante, il faut la stimuler ; il ne faut pas que le gouvernement abandonne l'art religieux, il doit l'encourager comme il encourage l’art en général. Il doit le faire surtout, lorsque l'art se rapporte au patriotisme ou à l'histoire nationale.
Nous avons dans les Flandres des monuments remarquables au point de vue historique. Dernièrement on a inauguré à Ypres, en présence de Sa Majesté et de la famille royale, les statues des comtes de Flandres, placées dans les magnifiques halles de cette ville avec le secours du gouvernement.
A Courtrai il y a aussi des constructions historiques qui ont obtenu en partie et qui méritent la sollicitude et les subsides de la nation. Il y a entre autres la tour monumentale de Saint-Martin et l'ancienne chapelle des comtes de Flandres, qui a attiré, il y a quelques semaines, l'attention de la famille royale, et qui aura besoin de l'appui de l'Etat pour être restaurée dans son caractère primitif.
Est-ce à dire qu'il faille faire des dépenses, en matière d'art, sans discernement ? Non, sans doute ; il s'agit de bien répartir les subsides que la législature belge vote tous les ans pour cet objet.
Or, il en est du monument de Laeken, comme de tous les autres monuments, il faut qu'il soit l'objet de la sollicitude du gouvernement et des Chambres.
La localité de Laeken est en quelque sorte une dépendance de la capitale ; l'église monumentale de Laeken est un honneur et un avantage pour Bruxelles, comme j'ai eu l'honneur de le constater dans mon rapport de 1853. Cette idée a même fait impression sur la section centrale. On disait généralement que Laeken était Bruxelles, et que ce monument était en réalité pour Bruxelles.
Je répète, messieurs, en terminant, que des irrégularités ont été commises ; mais qu'elles ne sont pas assez graves pour que la Chambre doive se refuser à voter le crédit qui est demandé par le gouvernement.
- Personne ne demandant la parole, la discussion est close.
M. le président. - Voici la proposition du gouvernement :
« Article unique. Un crédit complémentaire de 50,000 francs est mis à la disposition du département de la justice pour continuer la construction de l'église monumentale de Laeken. »
Si le chiffre proposé par le gouvernement n'est pas adopté, je mettrai alors aux voix le chiffre proposé par la section centrale et qui est Je moins élevé.
M. Guillery. - Ce qu'il faut mettre d'abord aux voix, c'est l'amendement. Il y a un projet de loi. A ce projet de loi il y a un amendement ; or, tout amendement, aux termes du règlement, doit être mis aux voix avant le projet de loi...
- Un membre. - Quand il s'agit de chiffres, on met toujours aux voix d'abord le chiffre le plus élevé.
M. Guillery. - S'il y a plusieurs amendements, on met d'abord aux voix l'amendement qui porte le chiffre le plus élevé.
- Un membre. - Cela n'a jamais été entendu de cette manière.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, je mettrai aux voix le chiffre le plus élevé qui est celui du gouvernement, sauf à revenir ensuite au chiffre proposé par la section centrale.
M. Goblet. - M. le président, je vous prie de donner lecture à la Chambre de l'amendement de la section centrale ; nous ne le connaissons pas ; cet amendement peut exercer de l'influence sur notre vote.
M. le président. - Voici ce que dit la section centrale dans son rapport :
« La section centrale modifiée, après avoir pris connaissance des faits que nous avons signalés plus haut, ne peut vous proposer l'adoption pure et simple du crédit. Elle croit satisfaire tout à la fois aux nécessités de l'achèvement de l'édifice, et au devoir que lui impose le contrôle des dépenses publiques, en vous proposant, messieurs, une réduction de 25,000 francs sur le crédit sollicité. »
- Personne ne demandant plus la parole sur la position de la question, il est procédé au vote par appel nominal sur le chiffre de 50,000 francs proposé par le gouvernement.
77 membres sont présents.
58 répondent oui.
18 répondent non.
1 (M. Coomans) s'abstient.
En conséquence, la Chambre adopte.
Ont répondu oui : MM. Nothomb, Orban, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Royer de Behr, Saeyman, Tack, Tesch, E. Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIH, Beeckman, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bast, de Breyne, de Brouckere, de Florisone, de Fré, de Haerne, Deliége, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ridder, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, d'Ursel, Frère-Orban, Guillery, Jamar, Julliot, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Manilius, Mercier, Moreau, Mouton, Neyt, Notelteirs et Vervoort.
Ont répondu non : MM. Orts, Thienpont, Vander Donckt, Van Dormael, Van Humbeeck, Ansiau, Dechentinnes, de Gottal, de Portemont, de Renesse, H. Dumortier, Goblet, Grosfils, Hymans, J. Jouret, M. Jouret, Landeloos et Muller.
M. le président. - L'honorable M. Coomans est prié de faire connaître les motifs de son abstention.
M. Coomans. - Messieurs, quoique approuvant l'œuvre, je me suis abstenu parce que la Chambre n'a pas été mise à même de voter librement les dépenses faites ou à faire.
J'espère que ce grave abus, qui s'est présenté beaucoup trop souvent, ne se renouvellera plus.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de lot ayant pour objet de transférer une somme de 600,000 fr. de l'article « Remonte » à l'article « Artillerie du budget de la guerre. »
- Impression, distribution et renvoi aux sections.
La Chambre décide qu'elle se réunira demain à deux heures pour (page 45) s'occuper, 1° de la nomination de son président ; 2° de prompts rapports de pétitions ; 3° du budget de l'intérieur, et 4° du budget de la dette publique.
- La séance est levée à 5 heures.