(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page ) (Présidence de M. Vervoort, premier vice-président.)
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à deux heures.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Les membres du conseil communal de Winghe-Saint-Georges, Lubbeek et Meensel-Kieseghem, demandent la construction d'un chemin de fer direct de Louvain à Diest. »
. Van Dormael. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Daenen propose des modifications à la loi électorale. »
- Même renvoi.
« Le sieur Marique, maréchal des logis de la gendarmerie, pensionné, demande une augmentation de pension. »
- Même décision.
« Le sieur Hemelaers, gendarme pensionné, demande une augmentation de pension. »
- Même décision.
« Le sieur J. Terfve, militaire pensionné, atteint de cécité à la suite d'une ophtalmie contractée au service, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une augmentation de pension. »
- Même décision.
« Le sieur J.-E. Ritzen, menuisier à Bruxelles, né à Honsbroek (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« M. de Liedekerke demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. H. Dumortier. - La Chambre a l'habitude de s'occuper, à cette époque de l'année, de l'examen des budgets. Parmi les pièces essentielles à consulter pour que cet examen puisse être aussi complet que possible, se trouve le cahier annuel d'observations de la cour des comptes. En ma qualité de rapporteur de la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics pour l'exercice 1861, j'ai demandé communication du prochain cahier d'observations, mais je n'ai pas pu l'obtenir.
Ce document nous est ordinairement transmis à la lin de l'année et même en janvier. Il serait beaucoup plus utile pour nous d'avoir ce document au commencement de nos sessions ordinaires. J'exprime donc le désir que le bureau veuille bien s'enquérir auprès de la cour des comptes s'il n'y aurait pas moyen de satisfaire désormais à la demande que je formule. J'aime à croire qu'il suffira de communiquer ce désir à la cour des comptes pour qu'elle s'empresse d'y satisfaire.
- Cette proposition est adoptée.
M. Van Volxem et M. de Paul déposent des rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
M. Hymans, rapporteur. - Je me suis arrêté, à la fin de la séance d'hier, au début de l'examen des actes de la commission de l'église de Laeken. Je vais continuer aujourd'hui cet examen et j'entre en matière sans préambule.
La bienveillance avec laquelle la Chambre m'a écouté me fait un devoir d'être bref.
J'ai dit, messieurs, quels avaient été les premiers actes de la commission ; je vais maintenant vous faire connaître quelques-uns des actes qui ont suivi ; je vous entretiendrai d'abord d'une dépense dont M. le ministre n'a rien dit, et qui cependant a son importance, je veux parler des 25,000 fr. dépensés pour la pose de la première pierre de l’église.
La cérémonie de la pose de la première pierre de l'église a eu lieu le 27 mai 1854.
Il y eut ici une dépense de 24,000 francs environ, effectuée sous les auspices de la commission, et sur laquelle aucune explication n'a été donnée dans aucun budget de 1853 à 1859 ; ce n'est qu'en 1859, quand la section centrale demanda au gouvernement des détails sur cette dépense, qu'on parvint à obtenir quelques explications ; ce n'est que lorsque l'argent manqua et qu'il fallut en demander pour continuer les travaux qu'on donna des renseignements.
Et de quelle façon ces renseignements furent-ils obtenus ? Le 15 mars 1859 la section centrale adressa une demande au ministre de la justice qui s'adressa à la commission directrice, laquelle fut obligée à son tour de s'adresser au département de l'intérieur.
Les détails qui nous furent transmis ne pouvant pas satisfaire la section centrale ni même M. le ministre de la justice, celui-ci s'adressa à la commission à l'effet d'obtenir des renseignements plus circonstanciés. La commission répondit :
« Quant aux dépenses et objets relatifs à la cérémonie de la pose de la première pierre, sur laquelle vous avez exprimé le désir de recevoir des renseignements en 1859, nous nous sommes adressés au département de l'intérieur qui s'est spécialement occupé de cette affaire, et dès que nous aurons reçu une réponse nous nous empresserons de vous la faire parvenir. »
Ceci se passe le 26 mars. Le 1er avril, quinze jours après la demande faite par la section centrale, nouvelle dépêche de la commission par laquelle elle déclare qu'elle n'a pas encore reçu du département de l'intérieur les explications qu'elle a réclamées au sujet de diverses dépenses et des questions relatives à la cérémonie de la première pierre.
Cependant c'était la commission elle-même qui avait ordonné la dépense. C'était sous sa direction que la cérémonie de la pose de la première pierre avait été organisée.
Du reste peu importe. Pour moi il ne s'agit pas de savoir si les abus émanent du département de la justice ou du département de l'intérieur. Je l'ai déclaré et je le répète aujourd'hui, je n'ai en face de moi que le gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oh !
M. Hymans, rapporteur. - C'est à lui de répondre, et puisque M. le ministre de la justice a entrepris la défense complète de cette entreprise, il est tout naturel que je m'adresse à lui.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Du tout, du tout, je n'accepte pas cette théorie.
M. Hymans, rapporteur. - Quoi qu'il en soit, messieurs, il n'en est pas moins vrai que c'est en 1859 seulement, sur des demandes réitérées, émanées de la section centrale, que la Chambre obtient des renseignements sur les dépenses faites en 1855 pour la pose de la première pierre de l'église de Laeken.
Si cette dépense a été faite par le département de la justice, nous aurions dû obtenir ces renseignements immédiatement : Si elle n'a pas été faite par ce département, mais par celui de l'intérieur, il y a eu là un transfert de fonds.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Comment ?
M. Hymans, rapporteur. - Il y a eu là une dépense faite par le département de l'intérieur sur des crédits affectés au département de la justice. Evidemment les Chambres auraient dû être consultées.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Du tout !
M. Hymans, rapporteur. - Elles ne l'ont pas été.
Je profiterai de cette occasion, messieurs, pour demander en outre à M. le ministre de la justice comment il explique le prélèvement d'une somme de 15,000 francs, qui a été fait sur les fonds destinés à la construction de l'église de Laeken, à l'effet de payer un monument érigé à la mémoire de la Reine dans l'église d'Ostende.
Cette question était posée dans mon rapport. M. le ministre de la justice n'y a pas répondu.
J'aborde ici la question la plus importante, le point sur lequel portent d'une manière spéciale les conclusions de la section centrale. Je veux parler des honoraires de l'architecte.
Tout d'abord, je me trouve en désaccord complet, comme du reste sur la plupart des autres points, avec l'honorable M. le ministre de la (page 22) justice et je dois le dire, il n'y a que lui qui soit en désaccord sur cette matière avec tous les principes, avec tous les usages et avec l'esprit de nos lois.
Messieurs, les honoraires de l'architecte ont été fixés par un arrêté ministériel du 30 juillet 1852, ainsi qu'il résulte d'une lettre de l'honorable ministre de la justice actuel à la section centrale. J'ai l'honneur, messieurs, de vous communiquer le programme du 14 novembre 1851, et l'arrêté ministériel du 30 juillet 1852.
« L'architecte reçoit 5 p. c. du prix des travaux, sauf déduction de la prime de 5,000 fr. qu'il a reçue comme auteur du plan adopté au concours. »
Cela est-il exact ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela n'est pas exact du tout.
M. Hymans, rapporteur. - « Lettre du 14 février 1859, adressée à la section centrale par M. Tesch. »
Je vais la déposer sur le bureau, si la Chambre le désire.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne dis pas dans cette lettre que les honoraires de l'architecte ont été fixés par un arrêté du 30 juillet 1852.
M. Hymans, rapporteur. - Cette lettre a été écrite en réponse à la question : D'après quelle base les honoraires sont-ils payes ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oui, mais c'est par un arrêté du 23 juin 1853, pris par MM. Faider et Piercot, que les honoraires ont été fixés.
M. Hymans, rapporteur. - L'architecte reçoit 5 p. c. sur les travaux exécutés, déduction faite des 5,000 francs représentant le prix du concours ; c'est-à-dire que l'architecte reçoit 5 p. c. sur le devis primitif, sur le devis de 800,000, de 871,000 francs, si vous le voue z, car dans une affaire où il s'agit de trois millions, nous ne chicanerons pas pour 71,000 francs.
En 1853, on adopte un nouveau plan.
L'arrêté du 23 juin 1853, qui nomme la commission, fixe à 5 p. c. les honoraires de l'architecte sur les plans modifiés.
Ainsi, messieurs, c'est d'abord 5 p. c. sur 800,000 fr. que reçoit l'architecte, c'est-à-dire 40,000 fr. ; c'est ensuite 5 p. c. sur 1,200,000 francs, c'est-à-dire 60,000 fr. ; et maintenant c'est 5 p. c. sur 2 millions, c'est-à-dire 100,000 fr. -
Dans la séance d'hier, M. le ministre de la justice a dit que cette somme de 5 p. c. ne lui paraissait pas exagérée, que la jurisprudence, l'usage étaient en faveur des 5 p. c. alloués à M. Poelaert ; et à tous les arguments que j'ai produits dans mon rapport à l'effet de démontrer que cette remise de 5 p. c. sur une telle dépense était évidemment exagérée, à tous ces arguments M. le ministre de la justice n'a daigné rien répondre.
Force m'est donc bien de les reproduire.
Peut-être, quand je les aurai répétées verbalement, après les avoir fait imprimer, aurai-je le plaisir d'entendre l'honorable ministre de la justice me donner des raisons, en réponse à celles que j'ai fait valoir.
J'ai dit dans mon rapport que le chiffre de 5 p. c. alloué à l'architecte a paru exorbitant, parce que ce chiffre de 5 p. c. devait comprendre non seulement la confection des plans et des devis, non seulement la vérification des comptes, mais encore la direction et la surveillance des travaux.
J'ai dit dans mon rapport, et je le maintiens, qu'un avis du conseil des bâtiments du 12 pluviôse an VIII, avis qui a été sanctionné en France par la jurisprudence, fixe le taux des honoraires de la manière suivante :
Rédaction de plans et devis 1 2/3 p. c.
Direction, conduite et surveillance des travaux, 1 2/3 p. c.
Réception, vérification et règlement des travaux, 1 2/3 p. c.
3 fois 1 2/3 font bien 5 p. c.
Cette répartition des honoraires de l'architecte est conforme de tout point à la définition des attributions de l'architecte, que j'ai encore inscrite dans mon rapport.
Que dit le Journal du palais au mot Travaux publics ?
« Les projets de devis en détails estimatifs sont rédigés par les architectes ; la direction, l'exécution et la surveillance de toutes les opérations du service leur sont également confiées ; le règlement des comptes et des mémoires et les états mensuels de situation sont encore vérifiés par eux. »
Ainsi, quand on accorde à l'architecte 5 p. c. pour l'exécution d'un grand travail, c'est qu'il a rempli ces trois conditions de son mandat : il a fait les plans et les devis ; il a dirigé les travaux ; il a vérifié les comptes.
J'ai ajouté et je répète que cet avis du conseil des bâtiments civils en France a été approuvé et confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, du 7 février 1849. L'honorable ministre de la justice objecte que cet arrêt ne prouve rien, qu'il constate simplement qu'il est d'usage d'allouer 5 p. c. à l'architecte.
Evidemment, il est d'usage d'allouer 5 p. c. à l'architecte, mais on les lui alloue quand il remplit les trois conditions de son mandat, quand il rédige les plans, quand il dirige les travaux, quand il vérifie les comptes et les mémoires. Or, je crois qu'il n'en a pas été ainsi dans la circonstance actuelle.
L'architecte a rédigé les plans et les devis ; mais il y a eu un personnel payé pour diriger les travaux el pour vérifier les mémoires et les comptes.
Ainsi, je suis dans le vrai en soutenant que les 5 p. c. alloués à l'architecte dans la circonstance actuelle, vont au-delà de ce qui se pratique partout, de ce qui se fait en France, de ce qui a été sanctionné en Belgique par la jurisprudence et de ce qui se fait même, j'en suis convaincu, en matière de travaux particuliers.
Du reste la commission des monuments, dont on a invoqué l'autorité contre moi, et c'est à propos de cela que j'ai dit à M. le ministre de la justice : « La commission des monuments vous a donné tort, » la commission des monuments, dans une circonstance toute récente, a prouvé combien elle était de mon avis ; composée cependant en grande partie d'architectes, elle a blâmé indirectement le système suivi pour l'église de Laeken, et je vais en donner la preuve, preuve prise dans un document officiel de la Chambre. « Séance du 26 juin 1860. n°178. » Voici les faits :
En 1856, une commission fut instituée à l'effet d'examiner les questions relatives à la construction d'un palais des beaux-arts. Cette commission pria M. Dumont de faire un avant-projet. M. Dumont exécuta deux plans, l'un comportant une dépense de 1,800,000 francs, l'autre une dépense de 2 millions, ce qui faisait une somme totale de 3,800,000 francs. M. Dumont mourut ; ce fut une grande perte pour l'art belge, mais sa famille conserva ses droits au payement de son travail.
Madame veuve Dumont présenta un compte de 38,000 fr. C'était donc à raison de 1 p. c. sur la dépense, qu'elle estimait les honoraires dus à son mari. On a renvoyé cette demande à la commission des monuments. Celle-ci la trouva exagérée.
Alors que moi, dans mes conclusions, j'accorde à l'architecte, d'après la jurisprudence française, d'après la jurisprudence belge, d'après l'avis du conseil des bâtiments civils, 1 2/3 p. c. pour rédaction des plans et devis, la commission des monuments de Belgique, consultée par le gouvernement, trouve que cette rémunération est exorbitante, trouve même que 1 p. c, c'est trop et propose au gouvernement de réduire les honoraires de l'architecte Dumont de 38,000 francs à 25,000 francs, c'est-à-dire à 3/4 p. c.
Eh bien, est-ce là de la justice distributive ? Mais si M. Poelaert a droit à 1 2/53p. c. pour la rédaction de ses plans et devis, pourquoi M. Dumont n'a-t-il pas droit aussi à ces 1 2/3 p. c ? Comment se fait-il que la Chambre, saisie de cette proposition considérablement réduite, n'ait pas même consenti à la voter ? A la fin de la dernière session, sur la proposition de l'honorable M. Dumortier, que j'ai appuyée, la Chambre a remis l'examen de cet objet à la session suivante, parce qu'elle trouvait exagérée la réclamation de Mme veuve Dumont, quoique réduite par la commission.
Si, dans cette circonstance, j'ai appuyé l’honorable M. Dumortier, c'est parce que je voulais qu'il s'engageât sur cette question un débat approfondi, et que j'entendais me réserver les moyens de défendre les prétentions parfaitement légitimes de madame veuve Dumont contre la sévérité de la commission des monuments.
Maintenant n'y a-t-il pas encore autre chose dans la décision de la commission des monuments relative à la demande de madame veuve Dumont ? La commission dit : « L'architecte n'a droit à aucun supplément d'indemnité pour changements et améliorations qu'il peut être a appelé à introduire dans son projet. » Tandis que, dans l'affaire de l'église de Laeken, l'architecte a reçu son tantième de 5 p. c. sur toutes les modifications quelconques apportées à ses plans, que ces plans eussent été approuvés ou qu'ils ne l'eussent pas été, qu'ils émanassent uniquement de lui ou qu'ils eussent été ratifiés par la commission de l'église ou par le gouvernement
Eh ! messieurs, la commission des monuments n'a fait, en définitive, que prendre l'avis qu'elle a communiqué au gouvernement dans la loi française du 27 juin 1853, dont l'honorable ministre de la justice contestait hier l'existence et dont j'ai le texte sous les yeux ; la loi du (page 23) 27 juin 1833, intitulée : « Loi sur les travaux publics à continuer ou à entreprendre, » portait à l'article 20 :
« Il ne sera accordé aux architectes aucuns honoraires ni indemnités pour les dépenses qui excéderont les devis. » Elle disait, en outre :
« Chaque année, il sera rendu aux Chambres un compte spécial de la situation des travaux exécutés en vertu de la loi, du montant des sommes dépensées. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce n'est pas ce que vous avez cité dans votre rapport.
M. Hymans, rapporteur. - Permettez donc !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous avez cité un arrêté du 22 juillet 1833.
M. Hymans, rapporteur. - Je l'ai également ici, dans un autre volume. (Interruption.)
Je commence par citer la loi ; je vous citerai ensuite l'arrêté organique qui a été porté en vertu de cette loi.
Voici d'abord la loi du 27 juin 1833 qui se trouve dans le Code du droit français.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Eh bien, l'arrêté que vous avez cité est antérieur d'une année à cette loi, ce n'est donc pas un arrêté organique.
M. Hymans, rapporteur. - C'est une erreur.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pas du tout.
M. Hymans, rapporteur. - L'arrêté, le voici dans le Dictionnaire des travaux publics, par M. Tarbé de Vauxclairs, conseiller d'Etat, inspecteur général des ponts et chaussées et plus tard, pair de France, page 35 :
« Pour mieux faire connaître le mécanisme exact de l'exécution des travaux, nous transcrirons littéralement le règlement fait le 22 juillet 1833 », c'est-à-dire un mois après la loi dont il s'agit et en vertu de cette loi.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une erreur ; regardez à la fin de la page 42, et vous verrez que l'arrêté est du 22 juillet 1832
M. le président ; - Je vous en prie, pas d'interruption.
M. Hymans, rapporteur. - Je n'ai pas besoin de regarder à la fin de la page 42, quand j'ai au commencement l'indication que je cherche. Cependant, je veux bien reconnaître qu'il y a deux dates.
- Des voix. - Ah ! ah !
M. Hymans, rapporteur. - Je ne fais point de difficulté de re connaître la vérité ; mais qu'est-ce que cela prouve ? que l'arrêté ait précédé la loi ou qu'il l'ait suivie, qu'importe ?
Il n'en est pas moins vrai que c'est en vertu d'un arrêté pris en France, en 1832 ou 1833, sous le règne de Louis-Philippe, qu'il a été stipulé : 1° que les architectes ne recevraient rien pour les dépenses excédant leurs devis ; et en second lieu, qu'on leur allouerait une rétribution décroissante, proportionnellement à l'accroissement de la dépense" autorisée. Et voici quels étaient les termes de cette proportion
1° Jusqu'à 100,000 fr. on leur accordait 3 p. c. ;
2° De 100,000 à 200,000 fr., 2 1/2 p. c ;
3° Jusqu'à 300,000 fr., 1 1/2 p. c ;
4° Jusqu'à 500,000 fr., 1 p. c ;
5° Et au-delà de 500,000 fr., seulement 1/2 p. c.
J'ai constaté, quoi qu'en ait dit hier M. le ministre de la justice, que cet arrêté de 1832 ou de 1833, peu m'importe, n'avait pas été rapporté et que la ville de Paris fait encore ses travaux d'après les mêmes bases.
Et qu'on ne vienne pas nous dire qu'il ne s'agissait pas de grands travaux en 1833 ; qu'il ne s'agissait pas des monuments de l'importance de l'église de Laeken. Il s'agissait, messieurs, de l'achèvement de l'Arc de Triomphe de l'Etoile ; il s'agissait de l'achèvement de l'église de la Madeleine ; il s'agissait de la reconstruction et de l'achèvement du Panthéon ; il s'agissait enfin de l'érection de la colonne de la Bastille ; en un mot, il s'agissait de travaux empreints d'un véritable caractère artistique, puisque M. le ministre de la justice a insisté hier sur ce mot ; il s'agissait de travaux artistiques pour une somme excédant 20 millions.
Ce n'est du reste pas d'aujourd'hui seulement et depuis 1833 qu'on s'est préoccupé de l'exagération de cette remise de 5 p. c. réclamée par les architectes chargés de la direction de travaux publics., La question des honoraires des architectes a été agitée en France déjà sous l'empire, et Napoléon avait eu un instant l'idée de former un corps d'architectes organisé comme le corps des ponts et chaussées, mais, disait-il, et il avait raison, nos grands architectes ne voudront pas changer contre des traitements fixes les 5 p. c. qu'ils prélèvent aujourd'hui sur la dépense des travaux exécutés, et c'est là ce qui a été le véritable obstacle à l'organisation d'un corps d'architectes. Cet obstacle fut levé en partie par la loi et l'arrêté dont je viens de donner lecture. Il n'en est pas moins vrai qu'on décida, en France, que les architectes n'auraient plus à s'occuper eux-mêmes de la surveillance de leurs travaux ; que les architectes seraient obligés, quand il s'agirait de travaux publics, de laisser le gouvernement organiser lui-même la surveillance et la direction.
C'est ce qui a été fait pour l'église de Laeken ; seulement, on a oublié que lorsque, en France, on décidait que la surveillance et la direction seraient payées par l'Etat en dehors des honoraires de l'architecte, on diminuerait ces honoraires d'autant, tandis qu'ici on a conservé les 5 p. c. à l'architecte et on a payé la surveillance et la direction à part, et il résulte même de la lettre dont j'ai lu un extrait tout à l'heure et qui est signée par M. le ministre de la justice actuel, qu'à la demande de la commission directrice, un chef surveillant, au traitement annuel de 1,800 fr. a été nommé en 1854, que la mission de ce fonctionnaire étant venue à expirer en 1857, il fut remplacé par un architecte placé sous les ordres de l'architecte Poelart et agissant sous sa responsabilité.
On s'est occupé de cette question des honoraires des architectes ailleurs que chez nous, et chez nous plus qu'ailleurs elle mérite d'être examinée.
Un illustre professeur d'architecture, dans un grand établissement d'enseignement supérieur, enseigne à ses élèves qu'ils ne doivent jamais se préoccuper de la question d'argent, qu'ils doivent toujours aller en avant : « Faites de belles choses, dit-il, on finira toujours par payer. »
Voilà ce qu'on enseigne sous le patronage et aux frais de l'Etat, qui finit toujours par payer la carte.
En effet, tous les travaux qui se font chez nous aux frais de l'Etat aboutissent au même résultat.
On m'a montré, il y a quelque mois, à Fribourg en Brisgau, le contrat intervenu entre les magistrats de cette ville et maître Hans Nuremberger, de Gratz, pour la construction de la magnifique église de Fribourg que vous connaissez tous. Maître Hans de Nuremberg recevait pour son travail à chaque quatre-temps ( 4 fois par an ) la somme de 5 florins, plus 2 schellings et 2 liards pour chaque jour qu'il passait sur les travaux.
L'architecte devait y aller au moins 4 fois par an et, en son absence, se faire remplacer par un bailli intelligent. Les magistrats avaient la faculté de le renvoyer en le prévenant six mois d'avance.
Voilà sous quelle direction s'est élevé l'un des plus splendides monuments de l'art chrétien.
En vous citant un pareil fait, je ne veux pas vous le donner comme exemple à suivre. Ce serait difficile ; vous ne trouveriez personne pour accepter des conditions pareilles.
Mais je demande si nous sommes tombés si bas que l'amour du lucre puisse seul aujourd'hui nous faire produire de grandes choses ?
Qu'on donne 5 p. c. à un architecte, je ne m'y oppose, pas ; je trouve cette rémunération juste, légitime, je ne la conteste en aucune façon, mais à la condition qu'il remplisse son mandat, qu'il fasse tous les plans, dirige et surveille les travaux, vérifie les mémoires après avoir mené le tout à fin.
Mais qu'on ne me dise pas qu'un architecte touchant 9,000 ou 10,000 fr. par an n'est pas suffisamment rétribué ; je vous rappellerai que nous sommes dans un pays démocratique, que la moyenne des gros traitement en Belgique est de 6,000 ou 7,000 fr. ; que vous donnez 9,000 fr. de traitement aux conseillers de la cour de cassation, à l'élite de la magistrature, et vous viendrez dire ensuite que ce n'est pas assez de 10,000 francs d'honoraires pour un architecte qui peut diriger en même temps plusieurs grands travaux.
C'est précisément ce qui avait lieu dans l'espèce, car l'architecte de l'église de Laeken était en même temps l'architecte de la colonne du Congrès et de la ville de Bruxelles.
Pour laisser les raisonnements et ne m'occuper que des chiffres, je dirai que l'architecte de l'église de Laeken avait reçu, en 1858, 42,941 fr. 50 c, ce qui au denier 20, représente 858,430 fr., alors qu'on n'avat dépensé, aux termes de l'exposé des motifs, que 771,000 fr. En dehors de cela, la surveillance avait coûté 26,000 fr.
En résumé, au 31 décembre 1856, sur une dépense de 275,820 fr., on avait payé 27,488 fr. en honoraires et frais de surveillance, soit (page 24) environ 10 p. c. C'est, du reste, ce que coûtera la direction totale de l'entreprise.
On avait dépensé, au 1er décembre 1858, 1,010,835 fr. ; il restait à dépenser 1,937,197 fr. ; dépense totale, 2,948,032 fr. Là-dessus on avait payé, au 1er décembre 1858, 69,767 fr. de frais de direction et de surveillance. Il faut y ajouter 192,432 fr. pour l'avenir ; en tout on arrive à 262,210 fr., sur une dépense totale de 2,683,842 fr. ; soit 10 p. c. environ.
Je n'hésite pas à dire que cela ne s'est jamais vu dans aucun pays civilisé. Pardon, en Russie le chemin de fer de Saint-Pétersbourg à Moscou avait coûté 100 millions de roubles ; aussi le grand-duc Constantin demandait à un noble étranger qui visitait Saint-Pétersbourg, s'il avait vu ce qu'il y avait de plus remarquable dans cette capitale. - Oui, répondit-il. - Je ne crois pas, répliqua le prince. Qu'est-ce donc ? - C'est le contrat fait avec l'entrepreneur du chemin de fer de Moscou.
Nous pourrons dire, nous aussi, que ce qu'il y a de plus remarquable à voir dans ce pays de liberté, de responsabilité, de contrôle des dépenses, c'est peut-être l'administration de l'affaire de l'église de Laeken.
Abordons la question relative à la construction elle-même, c'est la dernière partie de mon travail, et ici encore il ne me sera pas difficile de défendre les conclusions de mon rapport.
J'ai dit à la page 11 de ce rapport qu'il y avait eu toute une Odyssée à l'occasion de l'achat des pierres et je ne me suis pas servi dans cette circonstance d'un mot impropre. La question de l'achat des pierres, qui aurait dû être décidée bien évidemment avant que l'on songeât à mettre la main à l'œuvre, cette question occupa la commission de l'église de Laeken depuis le 27 octobre 1854 jusqu'au mois de septembre 1856, c'est-à-dire pendant deux ans. L'architecte avait commencé par proposer des pierres de Vergelé. La commission aima mieux des pierres d'une autre espèce. On hésita entre les pierres de Caen, les pierres de Trèves, les pierres de Gobertange, les pierres de toute espèce, et alors que l'article 9 du programme du concours avait dit que l'architecte devait indiquer dans son travail la nature des matériaux à employer, alors qu'il était bien évident que devant un devis modifié pour la suite de l'entreprise, on devait aussi se préoccuper des matériaux qu'on emploierait, on délibéra sur la question de savoir si la pierre de Tonnerre valait mieux que la pierre de Gobertange, si la pierre de Gobertange valait mieux que la pierre de Vergelé et l'on finit, après deux ans, par adopter la pierre que l'architecte avait proposée.
Cela se trouve écrit tout au long dans le rapport de la commission de l'église de Laeken, et puisqu'il faut absolument que je justifie ici les affirmations de mon rapport, puisque j'ai été mis directement en cause par M. le ministre de la justice, il faudra bien que je dise tout. Après une année d'examen et d'études, une année pendant laquelle tous les architectes, les ingénieurs des ponts et chaussées réunis dans la commission, furent dans l'impossibilité complète de dire quelle était la qualité de telle ou telle pierre plutôt que de telle autre, on alla acheter des pierres... à un charpentier. (Interruption.)
Oui, messieurs, on alla acheter des pierres à un charpentier, on avait eu des soumissions faites par des hommes respectables, dans d'excellentes conditions ; on ne les accepta point.
Un entrepreneur belge domicilié à Laeken s'était présenté à une adjudication pour des travaux de maçonnerie ; on lui avait demandé un cautionnement de 20,000 fr., et ce pauvre citoyen belge, hors d'état de fournir ces 20,000 fr. de cautionnement, avait été déclaré déchu de son entreprise.
Mais il se présenta un étranger qu'on ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam, un étranger qui n'offrait aucune espèce de cautionnement, dont on ne connaissait en aucune façon les aboutissants, on lui accorda la concession, une concession de 200,000 fr., quoique ce prétendu maître de carrière fût un charpentier.
Deux ans après que l'examen des pierres avait été commencé, après que la commission, saisie de la maladie de la pierre (interruption), avait fait tous ses calculs, on envoya un agent en France pour y prendre des renseignements propres à éclairer la commission sur la marche à suivre dans cette affaire, c'est-à-dire des renseignements propres à instruire des architectes dans l'art d'apprécier des matériaux. Or je crois que la connaissance des matériaux est la première condition que doit présenter un bon architecte. On arriva donc à Tonnerre.
C'était à Tonnerre que résidait le fournisseur de l'église de Laeken. On y apprit que « le sieur X, étranger à cette localité, était venu s'y établir il y a quelques années, qu'il y avait commencé par y faire quelques petites entreprises de menuiserie et de charpenterie, qu'il y a trois ans, il avait pris à bail un moulin, et enfin établi un commerce de chaux hydraulique sur une fort petits échelle.
Voilà l'homme avec lequel on avait traité, et je le répète, on avait déclaré déchu d'une concession un entrepreneur belge honorable sur le compte duquel il n'y avait rien à dire, mais qui n'avait pu fournir un cautionnement de 20,000 fr.
Ce petit détail terminé, occupons-nous de la régie et là encore, M. le ministre de la justice s'est trompé du tout au tout. Il s'est même trompé sur les termes. Il nous a dit qu'on avait mis en régie la fourniture des pierres. Cela est complètement inexact. On a mis en régie la taille des pierres.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et le transport.
M. Hymans, rapporteur. - Soit, mais pas la fourniture ; on a mis en régie la taille des pierres, c'est-à-dire une chose tout élémentaire.
Je ne sais pas s'il y a dans cette enceinte un tailleur de pierre (interruption) ; mais tout le inonde sait, quoique n'étant pas tailleur de pierre, que la taille et l'épannelage des pierres est l'a, b, c du métier ; il n'est pas nécessaire de mettre de pareils travaux en régie.
M. le ministre nous a dit, hier que la régie avait produit une très grande économie, que le sciage de la pierre de Banc-Royal de Miry avait coûté beaucoup moins que le sciage de la pierre de Tonnerre, et cela à cause de la régie ! Mais c'est une profonde erreur, L'économie provient uniquement de ce que la pierre de Tonnerre est une pierre dure et que la pierre de Banc-Royal de Miry est une pierre tendre. L'une se scie à l'eau, l'autre se scie à sec. Il n'est pas étonnant que le sciage d'une pierre tendre ait coûté moitis que le sciage d'une pierre dure.
Au reste, les principes en matière de travaux publics sont tout à l'avantage de l'adjudication et contre la régie. Je vous défie de me citer un auteur qui ne dise que la régie est le plus déplorable de tous les systèmes. On a recours à la régie dans certaines circonstances toutes spéciales, lorsqu'il s'agit, par exemple, d'un travail tout à fait aléatoire, comme l'épuisement d’un puits, lorsqu'il s'agit d'un travail d'art tout spécial. Mais recourir à la régie pour épanneler des pierres, pour les tailler, pour procéder aux opérations les plus élémentaires, à des opérations qui constituent, je le répète, l'A, B, C, du métier, c'est vouloir à toute force être dupé, car enfin la régie, cela va de soi, au point de vue économique est déplorable. Je n'oserais vous répéter ce que les auteurs disent de la régie parce que je ne veux pas avoir l'air un instant de suspecter la probité de personne, mais il n'en est pas moins vrai que d'après un auteur dont je tiens le livre en mains, d'après M. De Pauw, ancien échevin des travaux de la ville de Gand, dans la régie nécessairement, fatalement, l'intérêt public doit succomber devant l'intérêt privé. Si je n'ose pas vous dire ce qu'a dit sur ce point M. De Pauw, je me permettrai de vous lire ce qui se trouve au mot Régie dans le Dictionnaire d'économie politique de M. Coquelin.
« Lorsqu'un entrepreneur de travaux vient à manquer à ses engagements, les travaux sont exécutés en régie, au compte de l'entrepreneur. En général l'exécution des travaux en régie est plus dispendieuse que par entreprise. »
Et le même M. Tarbé de Vauxclairs, dont j'invoquais l'autorité tout à l'heure-, M. de Vauxclairs, ingénieur des ponts et chaussées en France disait :
« La mise en régie n'est jamais à conseiller, excepté lorsque l'entrepreneur est reconnu incapable, négligent ou insolvable. Alors il peut être nécessaire de continuer les travaux jusqu'à ce qu'on ait trouvé un autre entrepreneur. Dans ce cas la mise en régie est une peine prononcée contre l'entrepreneur ; elle a lieu, à ses frais et risque. »
« Généralement, la régie suscite beaucoup d'embarras à l'administration et on ne doit y recourir que quand il est impossible de procéder autrement. »
Eh bien, je le demande, était-il impossible de procéder autrement dans la circonstance actuelle, était-il impossible de trouver en Belgique un entrepreneur pour tailler des pierres ?
Ah ! je le sais bien, M. le ministre de la justice prétend qu'il y avait coalition entre les entrepreneurs.
Messieurs, il n'y a pas eu de coalition ; les cahiers des charges étaient mal faits, les conditions étaient inacceptables et sur 10 adjudications 9 n'aboutissaient pas ; mais s'il y avait eu coalition, il y a des lois contre les coalitions et vous, qui êtes appelés à faire exécuter les lois, vous n'avez pas le droit de venir arguer, en faveur d'une mesure illégale, de la violation des lois.
Messieurs, j'ai détaillé successivement, comme je m'y étais engagé, les faits énoncés dans le rapport de la section centrale, et je serais certainement bien malheureux si je n'étais point parvenu à prouver à la Chambre qu'il y a ici un exemple à faire.
Je pourrais en dire beaucoup plus long. Je pourrais insister (page 25) sur le fait signalé à la page 11 de mon rapport et dont la commission même de l’église de Laeken a reconnu l'exactitude dans une lettre que je tiens en mains, c'est-à-dire, sur la pose de tuyaux en fonte dans les grands murs de l'église, pour l'écoulement des eaux, travail qui, de l'aveu de tous les hommes compétents, doit nécessairement porter un très grand préjudice à la solidité de l’édifice.
Je pourrais demander aussi pourquoi la toiture de l'église, qui devait être faite en 1859, n'est pas même commencée en 1860. Je pourrais épiloguer sur cette affaire de l'échafaudage dont il a été question hier, affaire, du reste, très insignifiante, puisqu'elle se résume en un bénéfice pour l'Etat. C'est le seul. Mais j'ai déjà trop abusé de l'attention de la Chambre et je ne dirai plus que deux mots, relatifs à deux points qui ont fait hier l'objet de contestations très vives.
D'abord il s'agit de la nomination de M. le colonel Demanet.
M. le ministre de la justice a mis hier une certaine affectation à vouloir que M. le colonel Demanet eût été nommé en 1856 et l'honorable M. Nothomb a interrompu en disant : « C'est moi qui l'ai nommé. » (Interruption). Il ne s'agit que de s'entendre.
M. le colonel Demanet a été nommé membre de la commission en 1853, je n'ai jamais soutenu autre chose ; mais M. le colonel Demanet n'a touché un traitement de 3,400 francs sur le crédit de l'église de Laeken, qu'à partir de 1856.
C'est-à-dire qu'il a touché ce traitement de 3,400 fr. à partir de l'époque où, d'après une note qui m'a été transmise par le département de la guerre, il est passé de la position de congé sans solde à la condition de non-activité. A partir de ce moment, il a cumulé deux traitements à la charge du trésor.
Je ne reviens sur ce fait que parce qu'il a fait l'objet des critiques de la section centrale et que dès lors il ne m’était pas permis de le passer sons silence.
Reste enfin, messieurs, la grande question, la question capitale, la question de savoir qui a fait le devis de l'église de Laeken, qui a fait, en un mot, le devis aux termes duquel l'église de Laeken coûtera 3 millions. M. le ministre de la justice nous a promis à ce sujet, pour la séance d'aujourd'hui, des documents ; je les attends avec beaucoup d'impatience ; je serai très heureux de le connaître car j'ai ici une lettre du 13 avril 1859, adressée par M. le ministre de la justice, Victor Tesch, à la section centrale chargée de l'examen du crédit qui nous occupe, lettre dans laquelle il est dit :
« J'ai demandé le 6 février 1858 tous les plans et devis et j'ai insisté le 25 janvier de cette année pour les avoir tous au plus tard avant le 1er juillet. M. le ministre de l'intérieur m'a fait connaître le 24 de ce mois que les dossiers de son département ne constatent aucune communication de pièces.
« Il en est de même en ce qui concerne mon département et l'on peut en conclure que les communications n'ont été qu'officieuses et verbales. »
Messieurs, cela étant, est-il moins vrai pour cela qu'il a été communiqué un devis, des plans et des comptes à la section centrale de 1853 dont l'honorable M de Haerne était le rapporteur ?
J'ai ici le volume des documents parlementaires de cette époque, volume qui ne contient qne des pièces officielles ; et j'y trouve, au n°322, ce qui suit :
« Annexe B.
« Etat de la dépense et des souscriptions pour le monument à ériger en mémoire de la Reine.
« Le devis proposé par la commission des monuments et approuvé par le gouvernement, porte la dépense à 1,100,000 francs »
Vous aurez beau faire, vous ne nierez pas l'existence de cette pièce qui est signée de M. de Haerne, en sa qualité de rapporteur, et de M. Veydt qui était alors un des vice-présidents de la Chambre.
Et j'éprouve ici le besoin, pour la satisfaction de ma conscience et pour couvrir ma responsabilité, de relire ce que disait l'honorable rapporteur de la section centrale, qui était présidée par M. Veydt.
Voici donc ce que porte le rapport de la section centrale :
« La section centrale, après avoir examiné les plans, devis et comptes relatifs au monument érigé en mémoire du Congrès, s'est livrée à une étude semblable eu ce qui concerne le monument commémoratif de la Reine. La section centrale, après avoir examiné les pièces fournies par le ministère, trouve qu'il y a lieu de proposer une somme de 450,000 francs. »
Je viens de découvrir un fait entièrement nouveau, c'est qu'en proposant cette somme de 450,000 francs pour achever l'édifice, la section centrale avait déjà fait déduction des sommes qu'on présente aujourd’hui comme devant pot.er sur le crédit nouveau, c’est-à-dire les 10,000 francs pour le monument à ériger à la Reine dans l'église d'Ostende, et les 11,250 francs pour frais du concours de l'église de Laeken.
Encore une fait, je me suis dit que puisqu'une section centrale, dans son rapport, avait indiqué l'existence d’une pièce émanée du ministère, peut-être que cette pièce se retrouverait aux archives de la Chambre.
J'ai donc demandé au greffe communication des pièces qui avaient été remises à la section centrale de 1853, pour le cas où ces pièces existeraient ecnore ; je tiens ici ce dossier, et j’y trouve une déclaration ainsi conçue :
« Je soussigné déclare avoir retiré les trois plans relatifs au monument de la Reine Louise-Marie et au monument du Congrès national.
« Bruxelles, le 13 juin 1853
« (Signé) D.-J. Patris. »
Puisqu'il y a un reçu, il y a eu des plans, que sont devenus ces plans ? Je l’ignore. Mais alors même qu’on se serait borné à évaluer le montant de la dépense à 1,100,000 fr., on pourrait bien admettre qu’on ait excédé cette somme de 100,000 fr., même de 200,000 fr. ; mais cela ne justifierait pas encore une accroissement de dépenses jusqu’à concurrence d’une somme de 3 millions. Ce point domine donc tout le débat, et je le répète, je désire que M. le ministre de la justice s’en explique de la manière la plus catégorique.
Qui a fait le nouveau devis à 3 millions ? Est-ce le jury du concoure ? Cela ne le regardait pas. Est-ce la commission de l'église de Laeken ? Elle, n'avait pas à s'en occuper davantage. Est-ce le gouvernement ? Dans ce cas, il devait s'adresser aux Chambres, leur fournir un devis, demander les crédits nécessaires, tandis qu'aujourd'hui les Chambres ne savent pas même encore jusqu'à quel point elles sont engagées.
Messieurs, j'insiste donc sur l'adoption des conclusions du rapport de la section centrale ; j'insiste dans l'intérêt même des arts ; j'insiste dans l'intérêt du gouvernement, car il ne faut pas s'y tromper : encore une affaire comme celle-ci, il n'y a plus de travaux publics possibles dans notre pays.
Et en terminant, je prie très humblement la Chambre, je prie surtout très humblement mes honorables adversaires dans ce débat, de vouloir bien ne pas dénaturer ma pensée. Il est très loin de mon esprit d'e prétendre qu'une somme de 3 millions, une somme de 5, de 10 millions même, si vous voulez, soit trop élevée pour ériger un monument au souvenir de la meilleure des reines.
La Belgique est assez riche pour honorer la mémoire de ses bienfaiteurs. Mais aucun pays, et surtout aucun pays libre n'est assez fort, n'est assez bien constitué pour supporter impunément cet abaissement du sens moral, qui résulte de la tolérance accordée aux abus de ce genre, sans cesse renouvelés.
Dites-moi : à quoi servent les Chambres ? A quoi sert le gouvernement représentatif ? A quoi sert la cour des comptes ? A quoi sert tout ce magnifique édifice de nos institutions ? A quoi tout cela sert-il, si le caprice d'un architecte, l'arbitraire d'une commission, l'arbitraire même d'un ministre peut venir en un instant tout détruire ?
Dites-moi : faut-il livrer les contribuables à cet arbitraire, à ce caprice ? Faut-il en un mot que la loi de comptabilité dont la Chambre malheureusement n'a que trop de fois réclamé l'observation, que cette loi soit considérée en principe comme une lettre morte ?
Messieurs, je me rassieds, avec la conscience d'avoir rempli mon devoir. La Chambre est maîtresse d'accorder, s'il lui plaît, un bill d'indemnité au gouvernement et à tous les gouvernements passés ; la section centrale et son rapporteur, que vous avez vainement essayé de séparer d'elle, ne se sont pas cru en droit de vous le proposer.
M. Nothomb. - Messieurs, mon intention était hier de vous présenter la réfutation du rapport si sévère de l'honorable M. Hymans, à propos de la construction de l'église de Laeken. C'était pour moi un devoir ; car j'avais à défendre et la commission de surveillance et en même temps mes propres actes, pendant que je dirigeais le département de la justice. Après le discours prononcé dans la séance d'hier par M. le ministre de la justice, ce soin m'avait paru superflu. L'honorable ministre avait en effet rétabli la vérité des faits, l'enchaînement des circonstances ; en un mot, il avait fait un exposé si complet de la situation de cette affaire, que réellement hier j'étais disposé à renoncer à la parole. M. le ministre avait justifié les actes posés par tous ses prédécesseurs, il avait justifié les actes de la commission, et pour ma part, en ce qui me concerne, je l'en remercie sincèrement.
Mais après le discours prononcé par l'honorable M. Hymans dans la (page 26) séance d'hier et celui que vous venez d'entendre, je ne puis plus m'abstenir.
Non, le silence ne m'est plus permis et au risque, messieurs, de retomber dans des arguments déjà produits par l'honorable ministre, je demanderai à la Chambre de vouloir bien m'accorder quelques minutes d'attention.
C'est qu'en effet le langage de l'honorable rapporteur est dans cette enceinte plus incisif qu'il ne l'était dans son rapport déjà si accentué, c'est qu'il nous a dit hier et qu'il a répété aujourd'hui, que l'affaire de Laeken n'était d'un bout à l'autre qu'un tissu d'irrégularités, une série d'abus de toutes sortes, d’actes de négligence coupables. Oui, le mot « coupables » a été prononcé. Peu s’en fait qu’il ne nous ait dit que l’affaire n’était qu’un tissu d’honneurs devant lequel le parlement doit reculer.
M. Hymans, rapporteur. - Je n'ai pas dit cela.
M. Nothomb. - Horreurs ou non, j'en ai ma part de responsabilité et je l'accepte.
Je l'accepte avec la même assurance que l'honorable rapporteur mettait hier à déclarer qu'il assumait la responsabilité de son rapport.
Je tiens à ne pas fatiguer la Chambre en prolongeant outre mesure une aussi aride discussion et je me renfermerai dans les faits qui me sont en quelque sorte personnels, c'est-à-dire ceux qui se placent entre mon entrée au ministère au mois de mars 1855 jusqu'à ma sortie au mois de novembre 1857.
Ce n'est pas, messieurs, que je désapprouve en quoi que ce soit, je veux le déclarer, les actes posés par mes prédécesseurs depuis 1850 jusqu'en 1853 et 1854. Non, je ne puis désapprouver ni les modifications portées au plan quand on a voulu faire une œuvre grandiose, ni les honoraires payés à l'architecte Poelaert, ni les autres points si amèrement critiques par l'honorable M. Hymans.
Si je n'insiste pas à cet égard, c'est que je n'ai rien à ajouter à ce qu'a dit de si concluant M. le ministre de la justice.
L'honorable rapporteur déclarait que les honoraires accordés à l'architecte Poelaert sont contraires aux coutumes, aux usages, aux antécédents, aux arrêtés et à toutes les lois.
Je dois croire qu'il n'a pas écouté les observations que le gouvernement a faites hier, observations où les lois sont citées, les usages indiqués, les antécédents relatés.
N'en déplaise à l'honorable membre, je persiste à croire que les honoraires qui ont été attribués à M. Poelaert sont conformes aux usages, aux antécédents, aux arrêtés et à toutes les lois, et en tenant ce langage, je suis dans une position tout à fait désintéressée, car les honoraires de M. Poelaert ont été réglés, en 1853, par mon honorable prédécesseur, M, Faider, conjointement avec l'honorable M. Piercot.
Je puis donc en parler en toute tranquillité, et si je les approuve, c'est qu'en réalité je les trouve conformes à tout ce qui s'est fait en matière de constructions en Belgique comme en France.
Je suis cependant amené, messieurs, à propos de l'augmentation de la dépense, à faire, sous forme générale, une observation que me suggèrent certaines paroles de l'honorable rapporteur dans la séance d'hier.
Noire honorable collègue nous dit qu'en 1850 et dans les années qui ont suivi, l'on n'a pas eu en vue d'élever un monument grandiose ; selon lui c'est une église de village, une église rurale, un humble édifice (ce sont ses expressions), qu'on a voulu construire, et comme se repentant en quelque sorte d'avoir fait cette concession, il a été jusqu'à dire que c'est une simple chapelle qu'on voulait ériger à la mémoire de la Reine.
Eh bien, je crois que l'honorable membre se trompe ici. Je crois qu'il méconnaît, qu'il dénature complétement, sans le vouloir peut-être, la grandeur du sentiment qui animait le pays en 1850.
Non, ce n'est pas une simple chapelle qu'on a voulu élever à la mémoire chérie de la première reine des Belges. Ce n'est pas une chapelle qu'on a voulu élever comme sanctuaire de la sépulture de nos rois, c'est un monument digne de ce nom, digne du pays, digne de son but et digne de la dynastie.
Aussi, qu'a-t-on fait ? Un appel aux sentiments du pays. Une souscription nationale a été ouverte. Elle a produit près de 600,000 francs, si je ne me trompe.
Eût-on fait cela pour une simple chapelle ? Il ne fallait évidemment pas 600,000 francs pour une pareille destination.
On savait qu'il fallait 800,000 francs tout au moins, et bientôt 1,220,600 francs. Pourquoi ? Parce qu'on voulait créer un véritable monument et non pas une humble chapelle.
Laissons donc à cette œuvre son cachet primitif d'enthousiasme et de reconnaissance populaire. Ne l'en découronnons pas en venant après dix ans jeter la froide et sceptique réflexion sur ce qui a été un magnifique élan national.
Maintenant, messieurs, j'arrive aux actes qui me sont plus spécialement propres dans cette affaire.
Plusieurs griefs sont imputés à la commission de surveillance ou plutôt sont imputés au ministre de la justice parce qu'en définitive il est responsable des actes de la commission. Je vais résumer ces griefs en les discuter rapidement.
D'abord, on reproche au département de la justice d'avoir apporté beaucoup de lenteur dans cette affaire, des lenteurs inqualifiables et on les passe complaisamment en revue.
Je laisse de côté ce qui s'est fait depuis 1850 jusqu'en 1855, époque de mon entrée dans le cabinet, et voici ce que j'ai fait dès mon arrivé au département.
L'affaire de l'église de Laeken avait été primitivement et exclusivement traitée par le département de l'intérieur jusqu'en 1853.
A cette époque, les honorables MM. Piercot et Faider ont traité l'affaire ensemble, et cette situation s'est continuée jusqu'à l'avènement du cabinet dont j'avais l'honneur de faire partie.
Il m'a paru, messieurs, que la première chose à faire, c'était de sortir en quelque sorte d'indivision.
Il est, en effet, facile de comprendre qu'une affaire de ce genre, déjà si compliquée par elle-même, devant être traitée entre deux départements, amène nécessairement des tiraillements, quelquefois même de l'antagonisme, dans tous les cas des retards rien que par l'échange de la correspondance.
J'ai donc cru, dès l'abord, devoir proposer à mon collègue de l'intérieur, soit de conserver à son département la direction exclusive de cette construction, soit de l'abandonner au département de la justice, et la décision a été prise dans ce dernier sens, c'est-à-dire que le département de la justice s'est chargé de traiter seul désormais l'affaire de la construction de l'église de Laeken. C'a été mon premier acte.
Ensuite et après m'être mis au courant du dossier, j'ai cru devoir renforcer la commission ; ç'a été, je pense, mon second acte dans cette affaire. La commission était composée d'hommes assurément très honorables, distingués, mais encore ai-je pensé qu'à raison précisément des immenses travaux que l'église de Laeken allait nécessiter, on pourrait utilement compléter la commission, et j'y ai adjoint, en 1856, MM. Noël, directeur général des ponts et chaussées, Paquet, conseiller à la cour de cassation, de Kerckhove, direcieur général du trésor public, Stevens, secrétaire général du département de l'intérieur.
Je ne pense pas qu'il fût possible de faire de meilleurs choix et je doute que l'honorable Hymans eût eu la main plus heureuse s'il avait eu à se charger de ce soin.
J'indique ceci uniquement pour répondre au reproche que le département de la justice aurait apporté dans toute cette affaire une excessive lenteur.
Enfin, j'ai demandé un rapport général sur la situation de l'église de Laeken à cette commission ainsi complétée, et ce rapport, fait à la date du 31 décembre 1856, est bien l'exposé le plus complet qui existe encore sur toute cette affaire.
Un second reproche articulé dans le rapport de l'honorable M, Hymans et qu'il vient de reproduire avec une grande vivacité, concerne le choix des pierres.
A entendre l'honorable membre, rien n'était plus facile que le choix des pierres destinées au monument. Il suffisait, dit-il, de consulter un tailleur de pierre intelligent.
Messieurs, je ne sais pas jusqu'à quel point cette boutade flattera les membres de la commission et particulièrement ceux que j'ai cités tout à l'heure, car je ne veux pas croire que l'intention de l'honorable M. Hymans ait été de les blesser. Quoi qu'il en soit, c'-est une plaisanterie d'un goût équivoque de dire qu'un simple tailleur de pierre eût mieux fait le choix des matériaux nécessaires, alors qu'une commission, composée d'hommes aussi distingués que ceux que j'ai indiqués ont hésité pendant dix-huit mois à faire ce choix. Et pourquoi ont-ils hésité si longtemps ? C'est que le choix des pierres était précisément une des questions les plus importantes que la construction pût soulever, la plus importante peut-être, non seulement au point de vue de l'art, mais encore et surtout au point de vue de la dépense.
Effectivement, on a longtemps cherché, on a beaucoup hésité, et j'ai approuvé la commission. Si la commission avait agi hâtivement, si elle s'était décidé immédiatement, oh ! alors vous auriez eu le droit peut-être de lui faire le reproche contraire, le reproche d’avoir agi avec légèreté ; et vous auriez probablement, certainement même à (page 27) payer des sommes bien plus élevées que celles qui vous sont demandées.
Le choix de ces pierres a occupé la commission pendant de nombreuses séances.
M. Hymans, rapporteur. - Pendant 2 ans.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est inexact.
M. Nothomb. - Cela fût-il, qu'il ne faudrait pas l'en blâmer. Pourquoi la commission s'en est-elle occupée si longtemps ? Je vais vous le redire. Hier déjà, M. le ministre de la justice vous l’a exposé ; il vous a appris quelles difficultés s'attachaient au choix des pierres, quelles entraves de toute espèce ont surgi.
Ce que M. le ministre a fait hier, je dois le faire maintenant, parce que, encore une fois, je dois croire que l'honorable M. Hymans ne veut pas tenir compte des faits les plus simples, les plus catégoriques qui sont posés devant ses yeux. Vous parlez d'une Odyssée pour la recherche des pierres ; eh bien l'Odyssée, c'est un poème ; voici de l'histoire et de la plus prosaïque.
Dans son rapport de fin de 1856, la commission s'exprime ainsi sur cet objet.
« Ces divers travaux furent mis en train au commencement dela campagne de 1855 et terminés dans les derniers jours de la même année.
« Pendant qu'ils s'exécutaient, la commission eut à s'occuper d'une question très difficile qui s'était posée dès ses premières opérations : celle de savoir quelle espèce de pierre on emploierait pour les parements extérieurs du monument. Après de nombreuses recherches et de longues discussions qui l'occupèrent dans ses séances des 27 octobre 1854, 18 avril, 8 mai, 7 juin, 19 juin, 6 juillet, 3 août, 6 septembre et 15 septembre 1855 ; elle crut pouvoir vous proposer de faire un appel aux maîtres de carrières de France, de Belgique et d'Allemagne pour la fourniture de :
« 1° 1000 à 1500 mètres cubes de pierres blanches de la nature de celles dites de Vergelé ou de celles employées à la Colonne du Congres.
« Cette proposition fut agréée et, en conséquence, après une publicité très grande donnée à l'annonce de l'entreprise, l'adjudication en eut lieu le 25 janvier 1856.
« Cette adjudication ne produisit pas de résultat ; il ne se présenta aucun soumissionnaire pour la pierre de Gobertange, et, quant à ceux qui faisaient des offres pour la pierre de Vergelé ou autres analogues, leurs prix étaient tout à fait inacceptables (le prix le plus bas atteignait près du double de celui auquel cette pierre nous revient aujourd'hui). Après quelques pourparlers avec le sieur Beernaert, entrepreneur à Bruxelles, qui avait soumissionné au plus bas prix, pourparlers à la suite desquels ce dernier éleva considérablement ses prétentions sous prétexte qu'il n'avait pas bien compris les conditions du cahier des charges, la commission décida qu'il ne pouvait être donné aucune suite aux propositions des soumissionnaires, la plus basse soumission se trouvant alors être celle d'un sieur Cordier de Tonnerre (France) qui demandait 175 fr. le mètre cube.
« Dans la séance où elle était amenée à prendre cette résolution, la commission reçut communication d'une soumission, faite postérieurement à l'adjudication, par M. Lamal, entrepreneur à Bruxelles, qui proposait de livrer à un prix acceptable (125 francs le mètre cube tout épannelée) une pierre des environs de Trêves, qui paraissait être de bonne qualité, et, en outre, une lettre de M. le gouverneur du Hainaut qui signalait, comme susceptibles d'être employées, les pierres provenant des carrières de Granglise (près Mons).
« Après examen fait sur ics lieux par une sous-commission spécialement désignée à cet effet des pierres de Grandglise et de Trêves, la commission décida, à l'unanimité, dans sa séance du 6 mars l856 :
« 1° Que l'emploi de la pierre de Grandglise n'était nullement à conseiller.
« 2° Qu'il y avait lieu de proposer à M. le ministre l'emploi de la pierre de Trêves et, en même temps, d'accepter la soumission du sieur Lamal pour la fourniture de cette pierre. Toutefois, une nouvelle soumission, faite par M. Leclercq, marbrier à Schaerbeek, pour la fourniture de pierres de Caen, ayant été communiquée à la commission à la fin de cette même séance du 6 mars et cette soumission paraissant offrir quelques avantages, la commission décida de tenir sa résolution en suspens jusqu'après inspection des carrières de cette dernière localité, sur lesquelles elle chargea sa sous-commission de lui faire rapport.
« Ce rapport, présenté dans la séance du 10 avril 1850, ne fut pas favorable à l'emploi, aux prix proposés, de la pierre de Caen, et la commission décida, en conséquence, que la soumission du sieur Lamal, pour la pierre de Trêves, serait soumise à votre approbation.
« Quelques jouis plus tard, le 17 avril, la commission fut réunie de nouveau pour recevoir de votre part une communication à ce sujet.
« Cette communication, faite comme les précédentes par M. l'administrateur des cultes, consistait en :
« 1° Une proposition du sieur Cordier, l'un des soumissionnaires de l'adjudication du 25 janvier, qui offrait de livrer à 120 fr. le mètre cube, la pierre pour laquelle il avait primitivement demandé 175 ;
« 2° D'une lettre de M. Lamal, qui demandait, pour la fourniture qu'il soumissionnait, un délai plus long que celui fixé par le cahier des charges.
« Après avoir entendu le sieur Lamal qui déclara maintenir son prix et la demande d'un délai pour la fourniture, et le sieur Cordier qui, tout en admettant le délai du cahier des charges, consentait à abaisser son prix à 115 fr., la commission, revenant sur sa résolution prise le 10 avril, décida qu'elle vous proposerait d'accepter définitivement la soumission réduite du sieur Cordier. »
Vous entendez, messieurs, pourquoi le sieur Lamal a dû être écarté, et c'est alors que le sieur Cordier, qui offrait le mètre cube à 120 fr. fut proposé pour adjudicataire.
M. Coomans. - Et il n'a pas fourni.
M. Nothomb. - Je vous dirai tout à l'heure pourquoi. Vous voyez que la commission se trouvait en face d'un rabais de 175 fr. à 120 fr. Lamal adjudicataire éventuel de pierres de Trêves, demandait une augmentation et un délai plus long ; en présence de cette situation et considérant l'urgence qu'il y avait à commencer les travaux, la commission décida que Cordier aurait la préférence ; la commission choisissait la soumission qui paraissait lui assurer la plus prompte expédition des matériaux.
Il fut donc résolu que Cordier fournirait les pierres au prix de 120 francs le mètre cube, mais bientôt des difficultés surgirent. Cordier demanda que ses prix fussent augmentés ; on faillit lui intenter un procès, mais cela n'eût pas avancé les travaux, et la commission, pour arriver à ce résultat, proposa de résilier le marché Cordier et d'envoyer le colonel Demanet ur les lieux en France ; c'est ce que j'autorisai, et c'est ainsi que le marché fut conclu avec Ruez-Leteillier. Qu'ils soit charpentier comme le dit l'honorable rapporteur ou non, cela ne fait rien à l'affaire, le marché est bon.
M. Hymans et M. Coomans. - C'est Cordier qui a été chargé de la fourniture el non pas Letellier.
M. Nothomb. - C'est Letellier.
Ainsi, la commission, après avoir épuisé toutes les tentatives pour avoir des pierres de Gobertange, des pierres du pays, ne trouvait pas de soumissionnaires ; convaincue qu'on n'aurait pas dans le pays des quantités suffisantes pour élever le monument, les exploitants n'ayant pas voulu s'engager à fournir les quantités qu'on leur demandait, la commission, dis-je, est arrivée forcément à proposer le choix de la pierre de Tonnerre.
Vous le voyez, messieurs, le reproche formulé dans le rapport d'avoir donné la préférence à la pierre étrangère n'est donc pas plus fondé que les autres.
Le gouvernement a épuisé tous les moyens pour avoir des pierres du pays ; il a fait faire des fouilles, il a fait même rouvrir d'anciennes carrières ; et c'est après tous ces efforts qu'il a été astreint, à regret, à donner la préférence à la pierre qu'on tire de France. Tout ceci est établi au dossier.
Un des actes que l'honorable rapporteur a critiqués le plus vivement, c'est la délégation donnée au colonel Demanet pour surveiller les travaux de l'église. C'est moi-même qui ai pris l'initiative de proposer à la commission de lui confier ce mandat ; j'en ai donné les motifs dans ma lettre du 5 avril 1856, dont M. le ministre a bien voulu donner lecture hier. Je crois qu'en agissant ainsi j'ai fait acte de bonne administration, et il n'est pas dans l'ensemble des faits qui me sont personnels un acte dont je me félicite plus que celui d'avoir attribué à un homme aussi éclairé que le colonel Demanet la direction des travaux dont il s'agit. Cette délégation a d'ailleurs été faite dans les conditions les plus régulières ; ce n'est pas un traitement qui lui a été accordé, mais une indemnité ; et cette indemnité était juste et légitime, car on lui demandait l'emploi de tout son temps ; et si je ne me trompe, le colonel Demanet a dû se fixer à Laeken.
Il a donc fallu l'indemniser, cette indemnité n'était d'abord que de 3,000 francs, elle a été portée plus tard à 3,400 fr. Cette indemnité lui a été accordée de commun accord avec le département de la guerre.
(page 28) L'honorable M. Hymans trouvera la lettre du ministre de la guerre qui consent à ce que le colonel Demanet soit chargé de ce travail et touche l'Indemnité qu'on y attachait ; la cour des comptes n'a jamais fait d'observations, j'ai donc le droit de dire qu'au point de vue de l'ordre militaire et administratif comme de la comptabilité, la délégation et l'indemnité sont parfaitement régulières, et j'ajoute qu'au point de vue de la construction de l'édifice on ne pouvait faire un acte plus avantageux.
Enfin, l'honorable M. Hymans n'a pas assez de critiques, pas assez de paroles sévères contre l'emploi de la régie pour la construction de l'église de Laeken.
Les motifs qui ont forcément conduit à l'emploi de la régie, la Chambre les connaît ; ils ressortent des lectures que la Chambre a entendues et de l'exposé des faits qui lui a été fait hier par M. le ministre de la justice. C'est ou parce qu'il n'y avait pas d'adjudicataire, car, remarquez-le, maintes fois il ne s'est pas présenté d'adjudicataire pour les travaux à effectuer, ou bien parce que le chiffre pour lequel on soumissionnait était exorbitant, ou enfin, parce que les adjudicataires reculaient devant leur tâche, témoin ce qui est arrivé avec l'entrepreneur Cordier. C'est donc par nécessité qu'on en est arrivé à la régie, sous peine de passer sous les fonrches caudines des adjudicataires ou de voir les travaux inachevés se détériorer complètement, de les laisser arriver à l’état de ruine.
Je ne veux pas élever une discussion théorique sur les avantages ou les inconvénients de la régie, j'avoue que, de ma part, cela aurait mauvaise grâce. Car je n'y entends pas grand-chose, je l'avoue, ce n'est pas mon affaire. Il est possible que ce soit celle de mon honorable collègue de Bruxelles ; mais, quant à moi, je ne suis pas très compétent ; je reconnais franchement qu'à cet égard je m'en suis rapporté à l'avis des hommes compétents et intelligents qui sont dans la commission, et je n'ai pas à le regretter.
L'honorable rapporteur vous a cité des autorités, des économistes, des livres. Il est probable que si j'avais eu le temps de chercher et si la chose m'avait paru nécessaire, j'aurais trouvé d'autres autorités exaltant la régie.
M. Hymans, rapporteur. - Pas une.
M. Nothomb. - Je suis sûr qu'il y en a ; mais je ne me préoccupe pas de la question théorique ; je me préoccupe des faits et des chiffres. Eh bien, la réponse sur les avantages de la régie dans le cas actuel est consignée au rapport du 31 décembre 1856 ; c'est une question de chiffre. Cela vaut mieux que des discussions d'économistes. Les chiffres sont là, je vais les lire à la Chambre. Ils sont une réponse péremptoire aux critiques sur l'emploi de la régie à l'objet dont il s'agit.
Je crois que déjà hier M, le ministre a lu cette partie du rapport ; mais cela me paraît tellement intéressant et en même temps tellement concluant que j'y reviens.
Voici comment s'exprime la commission dans son rapport de 1856 :
« Il a donc été réalisé, d'après les mesures que nous avons proposées au gouvernement, une économie de près de 137,000 fr. sur les travaux soldés à la date du 31 décembre 1856.
« Cette économie, toute considérable qu'elle est, n'est cependant pas la seule qui sera la conséquence des mesures que nous avons proposées et que le gouvernement a adoptées,
« Il nous reste à recevoir de MM. Duez, Letellier et Cie, marchands carriers, à Paris, pour compléter un marché fait avec eux, environ 1,120 mètres cubes de pierre, dont 334 mètres cubes de Banc-Royal qui nous revient, rendue à Laeken et tout épannelée avec ses lits et joints faits, et prête, en un mot, à recevoir la moulure et à être mise en place, à moins de 100 fr. Soit pour les 334 mètres cubes : 33,400 fr.
« 848 mètres cubes de Vergelé qui, dans les mêmes conditions, nous revient à moins de 81 fr. le mètre cube, soit : 68,688 fr.
« Ensemble : fr. 102,088 fr.
« Au prix de 175 fr. qui avait été soumissionné le 25 janvier 1855 comme il est dit plus haut, la dépense eût été de 196,000 fr.
« La différence est de 93,912 fr.
« Nous pouvons donc avancer en toute confiance, M. le ministre, que le résultat des mesures prises jusqu'à ce jour est une économie d'environ 230,000 fr., soit de 54 p. c. sur les plus bas prix soumissionnés dans les adjudications pour les fournitures et travaux faits ou actuellement en cours d'exécution. »
Voilà la meilleure réponse que je puisse faire aux critiques dont les travaux exécutés à Laeken sont l'objet de la part de l'honorable rapporteur.
Je n'ai donc, messieurs, qu'à me féliciter d'avoir suivi les avis de la commission, d'avoir approuvé l'emploi de la régie et je sais gré à l'honorable ministre de la justice d'avoir constaté hier que ceux qui ont proposé l'emploi de la régie et ceux qui l'ont approuvé ont rendu un véritable service au trésor public.
Je terminerai mes observations en m'associant de tous points à l'hommage mérité que l'honorable ministre de la justice a rendu au zèle intelligent, au dévouement des membres de la commission et spécialement du colonel Demanet. J'ajoute à cet éloge le nom de M. l'administrateur des cultes Dugniolle qui s'est consacré entièrement à cette œuvre et qui a rendu les services les plus signalés.
J'aurais encore voulu dire un mot à la Chambre relativement à une excursion qu'a faite hier l'honorable M. Hymans dans une autre question théorique, celle des commissions.
Mais l'heure avance et d'ailleurs je ne crois pas que ce soit le moment de traiter cette question importante. Je veux cependant dire que je ne puis accepter toute la théorie de l'honorable M. Hymans quant aux commissions qu'il frappe de proscription, d'ostracisme. Je ne dis pas que le système des commissions ne présente pas certains inconvénients, mais il est facile de saisir à quoi tient dans notre pays la nécessité d'avoir des commissions. C'est là une question très grave qui ne peut pas être traitée incidemment.
En terminant, je formulerai cependant un vœu : c'est que les observations rigoureuses de notre honorable collègue de Bruxelles ne dégoûtent pas les membres de la commission de l'église de Laeken et les membres d'autres commissions, hommes distingués et plusieurs hommes éminents qui accordent gratuitement au pays leur temps, leur travail, leurs talents, qui rendent les plus grands services, qui ont droit à sa reconnaissance.
M. le président. - Demain se réunissent deux sections centrales. Je propose de fixer la séance publique à 3 heures et de mettre à la suite de l'ordre du jour le budget de la dette publique.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 4 heures et demie.