(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 1531) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)
M. de Florisone procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse des pétitions adressées à h Chambre :
« Le sieur Lambinon prie la Chambre de statuer sur la pétition de la chambre des notaires de l'arrondissement de Liège ayant pour objet d'autoriser les notaires à faire usage d'actes authentiques non enregistrés ainsi que d'actes sous seing privé non timbrés ni enregistrés moyennant de soumettre ces derniers actes à la formalité du visa pour timbre et d'enregistrement en même temps que la minute dans laquelle il est fait mention de ces sortes d'actes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Masquelin propose comme moyen d'augmenter le fonds communal à former par le projet de loi relatif aux octrois : 1° de réserver exclusivement à l'Etat la faculté de publier et de faire afficher les annonces, avis et renseignements divers qui paraissent dans différentes publications ; 2° de rétablir le timbre des journaux. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des cultivateurs à Jauche prient la Chambre d'augmenter le droit sur la fabrication du sucre, qui est proposé dans le projet de loi relatif aux octrois, et de diminuer d'autant le droit d'accise sur la bière. »
« Même demande de cultivateurs à Jandrain-Jandrenouille, Jodoigue, Folx-les-Caves et Autre-Eglise. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Les sieurs Antonissen et Peutemans, président et secrétaire de la direction de la société des Propriétaires-Réunis d'Anvers, prient la Chambre de décider que les vidanges ne seront plus imposables ni susceptibles d'octroi après la mise en vigueur de la loi supprimant les octrois. »
- Même décision.
« Des chasseurs, dans le canton de Renaix, demandent une loi qui interdise la chasse avant le lever et après le coucher du soleil. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. Van Volxem, forcé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé. »
- Accordé.
M. le président. - M. Carlier, dans le discours qu'il a prononcé dans la séance d'hier, a annoncé des amendements qu'il vient de déposer. Ils sont ainsi conçus :
« A l'article 9, substituer la droit de 3 fr. à celui de 4 fr.
« Et à l’article ajouter : 20 centimes additionnels à la contribution personnelle, 5 centimes additionnels à la contribution foncière sur les propriétés bâties ; 13 fr. au prix du port d'armes de chasse. »
La discussion continue sur l'article 9.
M. Tack. - Messieurs, je partage l’avis exprimé par plusieurs honorables membres dans la séance d’hier et d’après lequel l’aggravation d’impôt qu’on voudrait faire supporter aux bières serait par trop onéreuse pour le consommateur. Le taux de l'hectolitre est actuellement de 2 fr. 6 c. à l'hectolitre de cuve-matière ; d'après le projet de loi, il serait porté à 4 fr., c'est-à-dire que l'augmentation atteindrait le chiffre de 1 fr. 94 c. Il s'ensuit que le droit a la valeur serait de 22 p. c.
En effet, là où le rendement est comme un est à un et demi et où l'accise cumulée avec l'octroi s'élève à 4 francs, l’hectolitre de bière se vend à raison de 15 francs et par conséquent l'hectolitre et demi à raison de 22 fr. 50 c. Si vous déduisez de cette dernière somme 4 francs de droit, il reste 18 fr. ; c'est donc sur ce prix de revient de 18 francs qu'on paye un droit de 4 fr., ou, si l'on veut, 22 p.c. de la valeur.
C'est un impôt beaucoup plus lourd que celui qui pèse sur le vin. On a fait grand bruit de l'écart qu’il y aurait entre l'hectolitre cuve-matière et le rendement. Les quantités produites sont, dit-on, de 3 et même de 4 hectolitres par hectolitre de cuvé-matière. J'affirme que dans nos Flandres, dans les grandes villes comme Gand et aussi à Bruxelles, parlant où la fabrication de la bière se fait loyalement, où l’on fabrique de bonnes bières, te rendement n'est guère supérieur à un hectolitre et demi pour un hectolitre cuve-matière.
Je veux bien qu'il y ait des localités dans le Hainaut où l'écart est double, où l'hectolitre cuve-matière produit 2 hectolitres de bière est même plus.
M. de Naeyer. - C'est de la mauvaise bière.
M. Tack. - En effet, c'est de la bière fort commune. Aussi le prix est-il à l'avenant. La vérité est que le rendement flotte entre un hectolitre et demi et deux hectolitres ; dans le premier cas le prix de vente sera de 15 fr. par hectolitre, dans le second cas il sera de 11 fr. l'hectolitre. S'il est des contrées où le rendement est comme un est à 3, voire même comme un à 4, ce n'est pas de la bière qu'on y fabrique, c'est un liquide à part, une boisson sophistiquée, à laquelle on mêle toute espèce d'ingrédients tels que le bruticolore, le rouge végétal, le sucre caramélisé, la racine de jusquiame.
Ce n'est point là la fabrication usuelle, on peut l’affirmer en l'honneur des brasseurs ; c'est, en un mot, l'exception dont il n'est pas permis d'argumenter et qui, par la force des choses, ne pourrait prendre racine dans le pays.
L'honorable ministre des finances nous disait, à propos du rendement : il y a tel brasseur à Bruxelles qui, selon qu'il fait travailler à bras ou à la mécanique, c'est-à-dire au moyen de l'agitateur, produit dans le premier cas 165 litres, et dans le second cas 350 litres par conséquent le double.
Cette assertion m'a étonné au plus haut point. Je connais tel brasseur dont l'usine parfaitement montée est mue par la vapeur, qui a introduit dans sa fabrication tous les perfectionnements imaginables et qui jusqu'à présent n'a point établi, dans sa cuve-matière, un agitateur. Si la différence de rendement était si grande, comme le soutient M. le ministre, comment concevriez-vous que tous les brasseurs ne s'empressent pas de remplacer le travail à bras par le travail à la mécanique ? La dépense à faire pour appliquer cette méthode est insignifiante, ce n'est pas le coût qui puisse faire reculer le brasseur. Je connais tel autre brasseur qui a établi un agitateur dans sa cuve-matière et qui n'obtient pas de rendement supérieur à celui qu'il obtenait lorsqu'il travaillait à bras. Ce n'est donc pas sérieusement qu'on puisse avancer que la méthode nouvelle donne des résultats prodigieux.
Voyez, messieurs, à quelle étrange conséquence on aboutit en exagérant dans des proportions phénoménales le rendement présumé. Un hectolitre de cuve-matière produirait quatre hectolitres de bière. Examinons ce que coûte la mise en œuvre d'un hectolitre de farine, ou de malt.
Le prix d'un hectolitre de farine est de 13 francs. Ajoutez à ce prix de 13 fr., pour houblon un fr. ; pour la main-d'œuvre 3 fr. ; pour le droit d'accise et d'octroi 4 fr. Vous arrivez à quel résultat ? A une somme de 21 fr., et moyennant ce prix de revient de 21 fr. le brasseur produirait 4 hectolitres de bière.
Je ne crois pas que, sur aucun point du pays, le litre de bière se vende dans le cabaret moins de 20 centimes au consommateur. Eh bien, 400 litres de bière à 20 centimes donnent 80 francs. D'où la conséquence que ce qui ne coûte que 21 fr. au brasseur serait livré au consommateur moyennant 80 fr. c'est-à-dire qu'il y aurait un bénéfice sur l'hectolitre de farine de 60 fr.
Divisons ce bénéfice entre le brasseur et le cabaretier, soit 30 francs pour chacun d'eux ; ensuite supposons un brasseur qui paye l'accise sur 10,000 hectolitres de cuve-matière par an, vous arrivez au bénéfice fabuleux de 300,000 fr. par an ; à ce compte-là tous les brasseurs, comme on le dit à mes côtés, seraient bientôt des millionnaires.
On a beaucoup parlé des progrès immenses réalisés par la brasserie depuis quelque temps. Mais je serais curieux de connaître en quoi consistent ces progrès. On vante haut les perfectionnements réalisés par les brasseurs, mais on ne les indique pas. Quelles sont les innovations qu'on pourrait signaler ? On a remplacé les ustensiles en bois par les ustensiles en fer, tels entre autres : les cuves-matières, les réversoirs, les bacs refroidissoirs, les cuves guilloires ; on a substitué au travail à bras le travail à la mécanique ; on fait mouvoir à la vapeur les pompes à jeter et autres ainsi que l'agitateur dans la cuve ; tout cela simplifie et active les manipulations, mais n'a guère d'influence sur le rendement.
Ce n'est pas même une économie au point de vue des salaires. Car pour maintenir en activité une brasserie, quand même elle serait montée d'après l'ancienne méthode, ou n'a pas besoin d'un grand nombre d'ouvriers. On ne peut comparer une brasserie à une filature. Une brasserie très importante, où l'on produirait 20,000 hectolitres, marcherait avec quinze ouvriers en permanence.
C'est évidemment un préjugé qui règne dans l'administration que cette supposition d'un rendement excessif, j'en ai la preuve formelle, dans un fait dont je garantis l'exactitude. Les employés des accises avaient, dans une petite ville de province, interrogé un brasseur sur la question de savoir quel rendement il obtenait par hectolitre de cuve -matière. Sa déclaration que le produit dans son usine correspondait à un hectolitre et demi de bière par hectolitre de cuve-matière, fut accueillie comme une plaisanterie et on ne put croire à sa sincérité. Pendant six mois, on surveilla à son insu son usine et on fit le relevé (page 1532) exact de toutes les quantités produites. Au bout de ce temps les mêmes employés vinrent lui dire : Nous n'avions pas ajouté foi à vos assertions ; nous sommes forcés d'avouer que votre déclaration est la pure vérité Et, remarquez-le bien, il ne s'agissait pas ici de bière fine, comme M. le ministre la qualifiait ; il s'agissait de bière telle qu'elle est livrée à la consommation.
Le rendement, dit-on, est, tel, que des brasseurs sont parvenus à se faire restituer à l'exportation plus qu’ils n'avaient payé à la fabrication. Faut-il s'étonner de cela ? Quel argument peut-on tirer de cette circonstance ? Il y a telle ville qui protège son industrie, qui accorde une prime à la sortie ; il y a telle autre ville où le droit à la sortie est égal au droit à la fabrication.
Supposez dans ce cas, un brasseur produisant deux hectolitres de bière pour un hectolitre de cuve-matière, comme cela existe, ainsi qu'on l'affirme, dans le Hainaut. Supposez que ce brasseur, établi en ville, travaille pour l'exportation. S'il exporte le tout, on lui restituera le double de ce qu'il a payé à la fabrication. S'il exporte trois quarts, on lui restituera six quarts sur ce qu'il a payé à la fabrication.
Qu'est-ce à dire ? Que dans certaines villes on a calculé sans intelligence le rapport entre le droit payé à la fabrication et le rendement.
Messieurs, on perd un peu trop de vue, dans cette discussion, les années calamiteuses que l'industrie de la brasserie a eu à traverser ; on devrait se souvenir que le prix des grains et celui des houblons ont doublé il y a quelques années, et qu'alors les brasseurs se sont vus obligés de faire de grands sacrifices. On s'est demandé pourquoi à cette époque le prix de la bière n'a pas augmenté. La raison en est simple : c'est que le prix de la bière est fixé d'après la moyenne du prix des grains de plusieurs années consécutives et que les brasseurs compensent une mauvaise année par une bonne.
Voilà tout le mystère. Mais l'augmentation de l'impôt ne sera pas sans influence sur le prix, car il ne s'agit plus de circonstances passagères. Il s'agit d'une charge permanente.
J'ai ouï faire l'observation que l'accise sur la bière n'est pas notablement augmentée depuis une vingtaine d'années, que cependant la population s'est accrue, et que partant la production a dû suivre une marche ascendante ; que puisque cela n'est pas il faut en inférer qu'une partie de l'impôt a été soustraite au trésor public.,
C'est, messieurs, évidemment une erreur. La consommation n'a pas augmenté par tête ; voilà la raison pour laquelle l'accise sur la bière n'a pas suivi une progression incessante en rapport avec l'accroissement de la population.
L'accise a fléchi notablement dans les Flandres au moment des crises industrielles et commerciales qu'elles ont subies ; en même temps comme il y avait dans d'autres parties du pays, dans les districts charbonniers, une prospérité plus grande, de ce côté-là, la consommation se développait ; de sorte que, balance faite, le statu que s'est maintenu. On comprend dès lors comment il s'est fait que, pendant un temps assez long, le produit de l'accise est resté stationnaire. Mars, veuillez le remarquer, depuis que les Flandres renaissent à la vie, le produit a considérablement augmenté pour l'ensemble du pays.
Ainsi, durant la période de 1850 à 1858, l'accise sur la bière est augmentée de 1,202,298 francs C’est encore ici une preuve manifeste que la consommation de la bière est faite en très grande partie par les clauses ouvrières et par les classes bourgeoises, car si cette consommation se faisait par la classe aisée, il est évident qu'une crise industrielle ou autre ne pourrait pas faire tomber l'accise comme elle est tombée lors de la crise des Flandres.
M. le ministre des finances nous dit : Aux portes de Bruxelles, hors ville, la bière se vend tout aussi cher qu'à l'intérieur. J'ai peine à admettre l'exactitude de cette assertion. Je ne conçois si, par exemple, on compare un petit cabaret de l'intérieur de la ville à un établissement bien monté des environs de la porte de Cologne, l'un des grands établissements située à proximité de la station du chemin de fer ; mais la même chose existe à l'intérieur de la ville : dans telle petite taverne, la bière se vend 12 centimes, tandis que dans certains estaminets elle se vend 15 et 16 centimes, mais cette différence ne fait plus partie du prix de la bière, c'est le confort, le luxe de l'établissement qu'on paye au moyen de cet excédant.
A Courtrai, les choses se passent différemment : aussitôt qu'on sort des portes de la ville, la bière se paye un et deux centimes de moins qu'à l'intérieur. Pourquoi ? Parce que les brasseurs restituent aux cabaretiers du dehors le montant du droit qui leur est remboursé à la sortie de la ville.
Lorsque les positions seront égalisés, lorsque la décharge n'existera plus, les brasseurs ne pourront naturellement plus rien rembourser aux cabaretiers de l’extérieur. Si ceux-ci élevaient la prétention de continuer à obtenir la réduction de prix dont ils jouissent aujourd'hui, il est évident que les brasseurs de l'intérieur de la ville exigeraient immédiatement le même avantage.
Soyez convaincus, messieurs, que du jour au lendemain le prix de la bière augmentera dans les campagnes et que les brasseurs des villes augmenteront le prix de la bière qu'ils livrent au-dehors.
Il est, messieurs, une catégorie de brasseurs que la loi frappera rudement, ce sont les brasseurs dont les usines se trouvent le long de la frontière de France. Je citerai entre autres les brasseries de Menin, de Mouscron, de Dottignies, d'Herseaux.
Dans quelles conditions se trouvent-elles maintenant ? Les propriétaires de ces usines ont immobilisé en constructions des capitaux considérables, ils ont acquis et bâti des cabarets et des estaminets en grand nombre.
Le prix de la bière est le même des deux côtés de la frontière. Les cabarets belges sont fréquentés par une foule d'ouvriers français ; comment voulez-vous que les cabaretiers belges augmentent le prix de la bière, alors que leurs voisins les cabaretiers français ne l'augmentent pas ?
Il est évident que les intérêts des brasseurs et cabaretiers de cette localité seront froissé ; cette position mériterait cependant de sérieux égards.
Quant aux brasseurs de l'intérieur, je n'ai nul souci de leurs intérêts, je suis convaincu qu'ils parviendront à se faire rembourser par les consommateurs. Tel augmentera le prix de ses bières, tel autre, ainsi qu'on l'a vu lors du renchérissement des céréales, modifiera la qualité de ses produits. En définitive le consommateur sera victime.
C'est pourquoi je pense que ce serait faire chose utile au public que de fixer le taux de l'accise à 3 fr. au lieu de 4 fr.
Il n'en résulterait pas une grande diminution dans la recette. Avec le chiffre de 4 fr., on arrive à une diminution de consommation à la campagne.
Il y a autre chose à redouter : c'est la fraude. A l'intérieur des villes, dans les agglomérés, là où la surveillance s'exerce à chaque instant, ce danger n'est pas à redouter ; mais pour les usines situées à la campagne, l'appât sera assez considérable, et on tentera parfois, je le crains bien, de renouveler la farine de la cuve ; et de cette manière une partie assez notable du droit échappera au fisc.
Ainsi, avec l'accise de 3 fr. augmentation de consommation dans les villes, dépression peu notable dans les campagnes.
Quant à la question de concurrence, je considère comme un bienfait le système du projet de loi qui consiste à mettre toutes les usines sur la même ligne ; j’ai entendu sur ce chapitre raisonner beaucoup d'hommes fort compétents, tant des brasseurs de la campagne, que des brasseurs de la ville, et tous sont d'accord pour dire que l'égalité de droit est un service qu'on leur rend.
Si le brasseur de la ville paye des salaires plus élevés, si ses frais de premier établissement sont plus onéreux, par contre il a un débit plus considérable, le client est à sa porte, il vend ses produits, sa levure et sa drèche plus cher, il a des moyens de transport plus commodes pour faire arriver dans son usine ses grains, ses charbons et autres objets pondéreux, et puis il ne payera plus de droits sur la houille, sur les matériaux de construction, sur les ustensiles qu'il introduit en ville ; la liberté créera pour tous des avantages et des compensations dont le public tirera profit.
Messieurs, l'honorable M. Carlier a établi à toute évidence que le produit de l'augmentation du droit d'accise sera plus considérable que cela ne paraît résilier de l'exposé des motifs.
En effet, pour l'année 1858, le produit de l'accise sur la bière s'est élevé au chiffre de 7,639,626 fr. ; ce qui suppose une fabrication de 3,708,557 hectolitres de cuve-matière ; à raison d'une augmentation d’un franc 91 centimes, l'accise produira donc 7,191,600 francs au lieu de 6,100,000 fr., chiffre qui est indiqué dans l'exposé des motifs.
Par toutes ces considération-, je voterai pour la proposition qui tend à fixer le droit d'accise au taux de 3 francs.
M. le président. - La parole est à M. Vander Donckt pour un rapport de la commission des pétitions.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, vous avez renvoyé à la commission des pétitions la pétition que des négociants en sucre exotique d’Anvers ont adressé à la Chambre.
Cette pétition comprend deux espèces de déclarations ; elle commence par déclarer qu'un de nos honorables collègues, dans un discours prononcé par lui le 31 mai dernier, a été induit en erreur, et elle contient une seconde observation assez agressive cette fois, une attaque à l'adresse d'une industrie rivale.
Quant au premier point, la commission a cru que cette pétition ne doit pas être lue, que ce serait admettre à la tribune parlementaire des personnes étrangères et sans qualité. Elle pense qu'il suffit que la contradiction, au dire d'un honorable collègue, soit connue de la Chambre, et qu'à cet égard on se borne à la constater.
Quant au second point, il paraît incontestable que des industries rivales ne peuvent être admises à exposer leurs griefs plaider pour ainsi dire elles-mêmes et par lettres leurs intérêts devant la Chambre.
Vous comprenez, messieurs, que dans cette position la majorité de la commission a été d'avis de ne pas admettre la lecture de cette pétition qui, comme je viens de le dire, contient des assertions assez acerbes et agressives à l’égard de l’industrie rivale du sucre indigène.
Elle se borne à proposer à la Chambre d'ordonner le dépôt sur le bureau pendant la discussion.
(page 1533) M. Loos. - Messieurs, je ne chercherai pas à combattre les scrupules de la commission des pétitions.
Je me suis autorisé hier d'un précédent qui venait d'être posé dans une question analogue. Il s'agissait d'une pétition adressée à la Chambre par une industrie.
L'honorable M. de Brouckere a demandé qu'il nous en fût donné lecture ; la commission des pétitions en a délibéré, et lecture en a été donnée à la Chambre.
Si aujourd'hui la commission des pétitions voit un inconvénient à ce mode de publicité donné à certaine pétition, je n'insisterai pas pour ma part et je demanderai le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion, et j'engagerai les intéressés à employer une autre voie pour communiquer à tous les membres de la Chambre ce qu'ils exposent dans leur pétition.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Je dois à la Chambre quelques mots d'explication pour justifier les conclusions de la commission.
La première pétition à laquelle on a fait allusion était en quelque sorte une protestation de sentiments patriotiques des pétitionnaires à la suite d'une autre pétition qu'ils avaient adressée à S. M.
Il n'y avait dans cette pièce aucune allusion aux sucres ni à l'industrie sucrière.
Ici, au contraire, il y a agression, il y a attaque, je dirai presque malveillance. (Interruption,)
Si je devais vous donner lecture du passage dont je parle, vous seriez convaincus de l'exactitude de ce que j'avance.
C'est parce qu’elle a trouvé dans la pétition des termes qui auraient provoqué immédiatement une réplique, une protestation de la part de l'industrie du sucre indigène contre les termes agressifs de la pétition du commerce d'Anvers.
Voilà pourquoi ayant voulu éviter que cette lutte ne vînt se vider devant la Chambre et ne prenne des proportions considérables par la réplique et la triplique même, qui évidemment en seront le résultat ; voilà pourquoi la commission dans sa sagesse a cru qu'il était prudent ne pas proposer à la Chambre la lecture de cette pièce.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, vous avez entendu hier que je suis personnellement désigné dans la pétition. Je déclare cependant qu'elle ne me froisse en aucune manière et que je ne me serais, pour ma part, pas opposé à ce qu'il en fût donné lecture.
Quoi qu'il en soit, je crois qu'il vaut mieux, au moment où nous allons peut-être commencer une discussion très difficile, très délicate, il vaut mieux, dis-je, ne pas entrer dans des questions personnelles.
Quant à moi, je regarde cette pétition comme une des pièces formant le dossier du procès sur lequel nous aurons à prononcer l'un de ces jours. Je ne prononcerai aucun mot personnel quelconque, ni contre les signataires de la pétition ni contre qui que ce soit, et je crois que nous ferons bien de suivre tous cette marche dans la discussion.
- Les conclusions de la commission, tendantes au dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion, sont mises aux voix et adoptées.
M. Allard. - C'est bien à regret, messieurs, que je dois déclarer que si l'augmentation de l'accise sur la bière est adoptée, il me sera impossible de voter la loi. Je ne veux pas que l'on inscrive au budget des voies et moyens un chiffre de 14 millions pour les bières et vinaigres, tandis que l'impôt foncier n'y figure que pour 15 millions.
Avant de répondre à quelques honorables collègues qui ont pris la parole il y a quelques jours, qu'il me soit permis de faire connaître à la Chambre quels singuliers résultats l'augmentation de l'accise sur les bières aura pour certaines commune du royaume.
L'honorable M. Royer de Be.hr disait, il y a quelques jours, que l'augmentation de l’accise sur les bières dépasserait pour l'arrondissement de Charleroi la somme que cet arrondissement recevrait.
Mais il y a plus fort que cela : l'augmentation de l’accise sur les bières fabriquées dans certains chefs-lieux de canton dépassera de beaucoup tout ce que le canton recevra.
Voici, en effet, messieurs, qui va arriver pour le canton de Leuze : On a employé à Leuze, en 1859, 15,890 hectolitres de cuve-matière, au droit de 2 fr. 6 c. par hectolitre, ce qui a produit 32,733 fr. ; le droit d'octroi est de 3,538 fr. Soi 36,271 fr.
Eh bien, lorsque l'accise sera portée à 4 francs, les 15,800 hectolitres de cuve-matière payeront 63,560 fr., soit une augmentation de 27,289 fr.
Voyons maintenant ce que la ville de Leuze et les autres communes de ce canton vont recevoir. L'octroi a rapporté à Leuze, en 1859, 12,784 fr., et les quatorze communes de ce canton recevront 10,518 fr. ; ensemble, 23,302 fr. ; différence en plus, payée seulement par les neuf brasseries de Leuze, 3,987 fr.
On me dira peut-être qu'il n'y a que des brasseries à Leuze, et qu'elles fournissent à tout le canton.
Erreur ! Il y a 9 brasseries dans les 14 communes rurales du canton.
J'avais demandé des renseignements sur la fabrication de toutes les brasseries du canton de Tournai, malheureusement j'en ai eu très peu ; les contrôleurs n'ont pas voulu, sans autorisation du ministre, délivrer des déclarations, ils ont sans doute eu raison. Voici toutefois un relevé de la fabrication de la bière en 1859 dans certains cantons de l’arrondissement administratif de Tournai ; je n'ai pas voulu aller rechercher ce qu'on fait dans les provinces de Liège ou de Luxembourg, mais j'ai voulu savoir ce qui se fait dans mon arrondissement administratif. Je connais la quantité d'hectolitres de cuve-matière, employés par quatre brasseurs dans le canton de Celles, six dans le canton de Templeuve, neuf dans le canton d'Antoing, et quatre dans les communes rurales du canton de Tournai, total 23 brasseurs ; ils ont employé en 1859, 35,483 hectolitres de cuves-matières et ont payé 73,094 fr. ; ils payeront à l'avenir 141,932 fr., augmentation 73,094 fr.
Si je divise cette somme entre les 23 brasseurs, je trouve en moyenne pour chaque brasseur 3,178 francs. Je n'ai compté pour les 9 brasseurs du canton de Leuze. qu'une moyenne de 2,500 fr. On ne m'accusera pas d'exagérer les chiffres. C'est donc une somme de 22,500 fr, à ajouter aux 3,987 francs déjà payés en plus, par les brasseurs de Leuze, que celle que cette ville et les quatorze communes son canton recevront. Ensemble, 26,487 francs.
On me dira peut-être : Mais la bière brassée dans ces dix-huit brasseries n'est pas consommée entièrement dans le canton. On peut affirmer qu'on consomme dans les cantons la bière qu'on y fabrique. Il y a exception dans les villes d'où l'on exporte de la bière qui est consommée dans tout le pays, comme à Louvain, Bruxelles, Gand et Diest, mais dans nos cantons, on consomme la bière qu'on fabrique, c'est un fait certain.
S'il en vient des cantons voisins, ces importations sont compensées par les exportations.
Voyons la position que va avoir la ville de Leuze quant à ce qu'elle recevra et ce qu'elle devra payer. Je cite Leuze, parce que c'est une ville que je connais plus particulièrement ; les mêmes faits doivent se produire dans les autres localités.
Dans l'annexe C, M. le ministre nous indique la consommation par : habitant ; on y voit que la consommation eu de 3.62 par habitant à Leuze ; à Tournai elle est de 2.24 ; on ne peut opérer pour connaître la consommation par habitant pour la bière, que sur les villes qui rendent les droits à l'exportation ; là à peu de chose près on peut savoir ce que chaque habitant consomme ; en moyenne à Leuze c'est impossible ; les droits sont tellement minimes qu'on ne restitue rien à la sortie, les droits sont de 12 centimes à l'hectolitre de bière fabriquée.
Si je veux chercher quelle est la consommation par habitant à Leuze, je dois prendre une population ayant les mêmes mœurs, les mêmes goûts, les mêmes habitudes. Je ne puis pas comparer la consommation de la bière à Leuze et à Liège, par exemple. On me dira que les habitants de Liège possèdent plus d'aisance que ceux de Leuze, qu'ils doivent, par conséquent consommer bien plus de bière ; on me dira : mais cette ville qui compte 96,000 habitants, vous allez la comparer, quant à la consommation de la bière, à la ville de Leuze qui a 5,873 habitants, eh bien, malgré cette grande différence de population, je ne puis pas faire cette comparaison, parce que quand j'opère sur les chiffres donnés par M. le ministre, qui assure qu'en moyenne un hectolitre de cette matière produit 1 hect. 88 de bière, je trouve qu'à Liège on consomme 94 litres de bière par habitant.
En faisant la même opération pour Tournai, je trouve qu'on y consomme par habitant 2 h. 45.
Il est probable que si la consommation de la bière par habitant est si minime, lorsqu'on opère sur un rendement moyen de1 hectolitre 88 litres de bière par hectolitre de cuve-matière, c'est qu'on tire d'un hectolitre de cuve-matière une quantité très considérable de bière, la bière doit être très légère et se vendre à très bon marche à Liège.
M. Vilain XIIII. - A Liége on fait 5 hectolitres de bière avec 2 hectolitres de cuve-matière.
M. Allard. - A Tournai un hectolitre de cuve-matière donne un 1 hectolitre et demi de bière, j'entends parler de la bière qui se vend dans les cabarets ; l'octroi est de fr. 2,50 à Leuze comme à Tournai.
En 1858, la recette à Tournai a été de 81,336 fr. ; à Liège, elle a été de 95,311 fr. Tournai a une population de 30,868 habitants. Je ne puis pas comparer la consommation d'un habitant de Liège avec celle d'un habitant de Leuze, mais je puis comparer la consommation d'un habitant de Leuze avec celle d'un habitant de Tournai ; mes honorables collègues de Tournai te savent fort bien, ils savent qu'un habitant de Leuze consomme autant de bière, si pas plus, qu'un habitant de Tournai.
A Tournai on consomme 2 h. 40 par habitant, je ne compterai que 2 h. 30 par habitant de Leuze ; je le répète, je ne veux pas qu'on m'accuse d'exagération, Leuze a 5,873 habitants à 2 h. 30 de bière par (page 1534) habitant cela fait 13.507 hectolitres, si l'accise est portée à 4 francs par hectolitre de cuve-matière qui donne 1 h. 88 de bière, les droits d'un hectolitre, de bière seront de fr. 2-12 ; les 13,507 hect. de bière payeront 28,634 ; l'hectolitre de bière lorsque l'accise est à 2-06 fr. ne paye pour droit que 1.09 fr. soit pour 13,507 hect. 14,722 fr.
Le droit d'octroi, à Leuze, est de 15 p. c. du principal de l'accise, qui était fixé par la loi du 2 août 1822 à 70 cents des Pays-Bas. Cela revient à 12 c. par hectolitre. Par conséquent, pour 13,507 hectolitres, il a été payé 1,620 fr. à l'octroi.
Les droits d'accise et les droits d'octroi étant réunis, il a été payé l'année dernière sur la bière 16,342 fr. L'accise étant portée à 4 fr., on devra payer 28,634 fr. ; par conséquent, majoration sur la bière, de 12,643 fr. Ainsi, au lieu d'un octroi de 1.620 fr., Leuze aura une augmentation de 12,643 fr. à payer sur la bière.
Et qu'est-ce que Leuze va recevoir ? 12,784 fr. Cette ville se trouve réellement dans une singulière position ; elle a établi une cotisation de 8,000 fr. par an pour ne pas tout demander à l'octroi. Cette cotisation, on ne la lui remboursera pas. Elle va payer en plus, si j'en crois une lettre que j'ai reçue de l'honorable bourgmestre de cette ville, d'abord 16,342 fr. pour la bière ; et, si j'en crois l'honorable bourgmestre, elle payera en plus 1,057 fr. pour le vin, 3,523 fr. pour les eaux-de-vie indigènes. Je ne compte rien pour le sucre, rien pour les eaux-de-vie étrangères.
Voilà donc une ville qui recevra 12,000 fr. et qui devra en payer 21,922.
Mais voyons, par contre, ce qui va arriver dans d'autres communes.
A Gand, les droits réunis d'accise et d'octroi sont de 5 fr. 6 c. En 1858, on a employé 101,149 hectolitres 82 litres de cuve-matière, pour lesquels il a été payé à l'Etat et à la ville 511,816 fr. On a importé 4,340 hectolitres de bière, à raison de 3 fr. 60 c. de droit, soit 15,626 fr. Total 527,442 fr.
Le droit d'accise porté à 4 fr. produira, pour 101,149 hectolitres, 404,596 fr. Le droit sera de 2 fr. 12 c. à l'hectolitre de bière. M. le ministre nous a dit que la moyenne du rendement d'un hectolitre de cuve-malière est de 1 hect. 88 ; par conséquent le droit est de 2 fr. 12 c. Le, droit sur les 4,340 hectolitres de bière importés ne sera plus que de 9,200 fr. Total, 413,796 fr. Diminution pour Gand, 113,636 fr. ; 113,656 fr. sur une somme de 527,442 fr. ou 20 p. c. de diminution pour la fabrication de la bière.
A Anvers les droits réunis sont de 4 fr. 26 c. En 1858 on a employé 37,872 hectolitres de cuve-matière. La somme payée a donc été de 161,334 fr. On a importé 103,971 hectolitres à 2 fr. 84 c., soit 295,277. Total : 456,611 fr.
Et savez-vous ce qu'Anvers va payer ?
37,872 hectoltres cuve-matière à 4 fr., soit 151,488 fr. ; 103,971 hectolitres de bière importés à 2 fr. 12 c., soit 220,418. Total : fr. 371,906 fr.
Bénéfice pour Anvers, 84,705 fr. sur une somme de 456,612 fr. ou 19 p. c. de diminution.
Si je passe à Tournhout, on obtient des résultats plus fabuleux encore.
Le droit d'octroi y est de 3 fr. 50 c. à l'hectolitre de bière fabriquée en ville : il est de 1 fr. 50 c. pour la bière importée. Ces deux droits réunis ont produit en 1858 une somme de 18,372 fr. On a fabriqué en ville 4,863 hectolitres de bière et l'on en a importé 516, soit en tout 5,379 hectolitres à 2 fr. 12 c. pour droits, 11,403 fr,, au lieu de 18,372 fr. Diminution environ 33 p. c.
J'aurais pu faire les mêmes calculs pour Bruxelles qu payera moins, pour Tournai qui payera moins. Il y a sept ou huit villes qui profiteront de la mesure. Je n'ai pas voulu pousser plus loin mes calculs.
J'ai aussi quelques mots à dire sur le rendement qui est fabuleux dans telle localité, qui est encore très restreint dans d'autres.
Je l'ai dit : à Tournai et dans les environs, on obtient d'un hectolitre de cuve-matière un hectolitre 50 centilitres de bière. Mais cela ne fait rien à la question. Car si l'on obtient 2, 3, 4, 5, 6 hectolitres, on vend la bière en proportion. Quand je vais au café des Mile-Colonnes, je paye la tasse de café 32 centimes, et il y a une foule de maisons à Bruxelles où la tasse de café n'est payée que 4 centimes. Eh bien, vous pouvez avoir de la bière à 4 francs l'hectolitre comme vous en avez à 20 francs.
L'honorable M. Hymans a dit que si la bière devait augmenter de trois quarts de centime au litre, il ne voterait pas la loi, mais que le prix de la bière n'augmenterait pas. On avait d'abord dit que l'augmentation de droit amènerait une augmentation de trois quarts de centime au litre, et ensuite on a dit :I1 n'y aura pas d'augmentation. Comment ! messieurs, on va demander 7,500,000 fr. aux bières. Le brasseur n'augmentera pas le prix ; le débitant de boisson ne l'augmentera pas, et le consommateur ne payera pas la bière plus cher. Expliquez-moi cela.
Il y a une chose qui, pour moi, est certaine, c'est que, par suite de l'augmentation des droits, il sortira de la caisse des brasseurs 5 à 6 millions. Il y avait, lors du recensement général qui a été fait eu 1846, 2,640 brasseurs en Belgique. Et voyez-vous ces 2,640 industriels qui vous payent 5 à 6 millions, et ne les feront pas rembourser ? Messieurs, de deux choses l'une : ou la bière augmentera de prix ou elle diminuera de qualité.
L’honorable M. De Fré a vu des brasseurs et ils lui ont dit : La bière n'augmentera pas au cabaret. Le brasseur fera payer l'augmentation par le cabaretier, mais la bière n'augmentera pas. Et l'honorable M. De Fré nous a beaucoup parlé de ces cabaretiers qui ne pourraient pas supporter l'augmentation et qui culbuteront. Mais j'expliquerai à l'honorable M. De Fré comment ces cabaretiers trouveront bien moyen de faire payer l'impôt aux consommateurs. C'est l'histoire du pain à Ypres, dont le prix n'augmente ni ne diminue jamais. Seulement le pain est plus petit ou plus gros.
Eh bien, je dis, messieurs, que le prix de la bière a déjà augmenté deux fois depuis 1856. Lorsque nous avons voté la loi sur les poids et mesures, nous n'avons plus exigé que les verres fussent poinçonnés. Eh bien, lorsque le prix du grain a augmenté, les verres que l'on avait précédemment, ont été remplacés par des verres plus petits, et maintenant il y a de nouvelles tentatives.
Je suis allé dernièrement dans un café de Bruxelles, et j'ai ai trouvé des verres encore plus petits qu'il y a trois à quatre mois. Dès que l'impôt sera augmenté, le verre diminuera encore. A Tournai le verre de genièvre ne varie jamais de prix, le verre est plus ou moins épais, selon la hausse et la baisse.
L'honorable M. Hymans a parlé des progrès que ferait l'industrie. Messieurs, ces progrès, je les crains. Permettez-moi de vous rappeler qu'en 1851 nous avons été saisis d'un projet de loi pour supprimer les 5 p. c. qu'on accordait aux brasseurs pour leur tenir compte des faux fonds. Il s'agissait alors d'un impôt de 300,000 fr. Je disais : Le brasseur n'augmentera pas sa bière, il la fera un peu plus faible.
Tous mes honorables collègues n'étaient pas de mon avis. L'honorable M. David disait : « La loi en discussion a pour moi un défaut capital ; elle frappe la consommation d'une boisson saine, d'une boisson à l'usage des classes les moins favorisées de la fortune. » Aujourd'hui il s'agit de 7 à 8 millions. Cet impôt n'aura aucun effet pour le consommateur !
Il y avait encore dans cette enceinte un homme que nous regrettons tous ; c'était l'honorable M. Delfosse. Il disait : «.C'est une régularisation de l'impôt, je la voterai. Mais si la loi avait pour but de modifier le droit et de faire payer la bière plus chère, je voterais contre. » Et il disait encore à M. le ministre des finances : « Les brasseurs ou plutôt les consommateurs vont être doublement frappés. La plupart de nos villes ont un impôt sur la bière basé sur la contenance des cuves-matières. Il faut, par une disposition, empêcher qu'elles ne jouissent de l'augmentation.
Messieurs, je me suis un peu éloigné de ces perfectionnements de la brasserie que je redoute.
Hier un de mes honorables collègues me disait : Il y a de ces choses qu'on ne comprend pas ; c'est incroyable ! On vend dans telle localité l'hectolitre et demi de bonne bière pour 10 fr.
Messieurs, l'industrie de la brasserie commençait en 1851 à faire des progrès et nous sommes déjà arrivés fort loin. Voici ce que disait l'honorable M. David en 1851 :
« Une contestation récente pour une somme de près de 700 francs entre un brasseur et un droguiste a révélé l'emploi de certaines drogues pour la fabrication de la bière ; la coriandre, la belladone, l'anis étoile, le sirop de fécule et d'autres matières nuisibles à la santé entrent souvent dans la fabrication des bières. »
Je pourrais ajouter qu'on y met encore du cassia, de la dulcamara, de l'absinthe, de la racine de gingembre, de. la gentiane, du poivre de Guinée, de la semence de paradis, de l'ivraie, de la chaux, de la coque du Levant, cocculus indicus, c'est une matière qu'on jette dans les rivières pour empoisonner les poissons. Si l'on continue à perfectionner ainsi la fabrication de la bière, savez-vous ce qui arrivera ? On fera en Belgique de la bière comme un chimiste anglais en faisait sans malt et sans houblon. Un chimiste anglais, nomme Jackson, était parvenu à fabriquer cette bière. Mais le parlement anglais y a mis bon ordre, et aujourd'hui les peines les plus sévères sout portées contre les brasseurs qui font de la bière avec autre chose que du malt et du houblon.
Je le répète, je ne veux pas de vos perfectionnements dans la brasserie. Je ne veux pas qu'on empoisonne nos populations. Si le gouvernement n'y prend garde, la santé publique en souffrira et notre chansonnier Clesse ne pourra plus dire : « Buvons la bonne bière du pays. »
M. de Smedt. - Messieurs, je me joins à toutes les réclamations qui se sont élevées dans le pays et dans cette Chambre contre l'augmentation si fâcheuse du droit d'accise sur les bières. Cette augmentation atteindra surtout l'ouvrier et le petit bourgeois, soit en élevant le prix, soit peut-être aussi en diminuant la qualité de cette boisson si nutritive et si bienfaisante.
Pour le moment je veux surtout examiner en peu de mots quelles seront les conséquences, pour l'arrondissement de Furnes, de l'adoption de la loi, alors surtout que M. le ministre des finances persisterait à vouloir maintenir intégralement les dispositions de l'article 9 du projet de loi sur l'abolition des octrois.
(page 1535) Permettez-moi, messieurs, de soumettre à votre appréciation les faits certains qui sont à ma connaissance. Je répondrai par des faits aux conjectures qui ont été produites ici sur la question de savoir qui payera l'augmentation du droit d'accise sur les bières : la presque totalité du droit sera payée d'une manière ou d'autre par le consommateur, parce que d'abord, un principe d'économie politique vrai, c'est qu'en dernier résultat l'impôt pèse toujours sur celui qui ne peut plus l'endosser à un autre, par conséquent ici sur le consommateur de bière ; et pour ceux qui contesteraient la vérité de ce principe, ils seront forcés de l'accepter en fait, vu que nos brasseurs, et ils ont raison, annoncent dès maintenant qu'ils augmenteront le prix de leur bière de la totalité du nouveau droit.
Si cela est, et pour mon arrondissement, cela est incontestable, il me sera bien facile de démontrer mathématiquement (erratum, page 1562) l'injustice distributive des bases choisies par l'honorable ministre des finances, pour former et répartir le fonds communal destiné à l'abolition des octrois des villes.
Comme l'arrondissement que j'ai l’honneur de représenter ici n'est pas bien étendu et que l'on n'y exporte ni importe pour ainsi dire aucune bière, il m'a été facile de recueillir les renseignements nécessaires pour bien apprécier les effets des dispositions de l'article 9, actuellement en discussion.
La population rurale dans cet arrondissement s'élève à 22,891 âmes.
Le montant des droits d'accise perçus dans ces mêmes communes sans octroi surl(a fabrication de la bière est de 40,000 fr.
Dans les villes de Furnes et de Nieuport, le droit d'accise perçu au profit de l'Etat sur la fabrication des bières, est d'environ ensemble de 25,000 fr.
Leur population réunie est de 8,247 âmes.
Comme les fortes fièvres qui ont régné depuis trois ans dans nos parages ont considérablement diminué la consommation de la bière et que le droit d'accise est à peu près doublé, je crois pouvoir, sans exagération aucune, porter les droits qui y seront perçus à 50,000 fr. soit le double de ce qu'il produit aujourd'hui.
Or, comme la moitié des bières fabriquées dans ces deux villes est consommée par les habitants des communes rurales qui les entourent, je dois porter au moins à 20,000 fr. la quote-part de ces populations rurales dans le payement du nouveau droit.
Ces 20,000 fr. ajoutés aux 40,000 fr. qu'ils payent déjà par suite de l'augmentation du droit d'accise sur les bières fabriquées chez eux, élèvent par conséquent leur part contributive dans la formation du fonds communal, pour les bières seules, à la somme énorme de 60,000 fr.
Ainsi, ces 23,000 mille âmes qui composent toute la population des communes rurales de l'arrondissement que je représente payeront 60,000 fr., soit 2 fr. 80 c. par tête, sans compter leur part contributive dans les impôts sur les autres objets de consommation qui doivent parfaire le fonds communal, tels que le café, le genièvre, les sucres, les vins, etc.
Maintenant voyons ce qu'elles recevront.
Je suis presque honteux de le dire, elles recevront environ 1 fr. par tête, soit 24,604 fr. en tout.
Alors qu'elles payent en capitations seules 3 fr. 64 c. par tête, soit 85,450 fr.
Je ne parle pas des centimes additionnels qui sont chez nous aussi nombreuses, si pas plus, qu'ailleurs. De ces chiffres je puis conclure qu'après avoir reçu tout ce qu'elles peuvent recevoir, leur position avec les dispositions actuelles de la loi, sera empirée d'environ 2 fr. par tête.
Voici le calcul bien simple :
Par suite de l'augmentation du droit d'accise sur la bière, fr. 2 80
Part contributive dans les autres impôts pour parfaire le fonds communal, 20 c.
Total, 3 fr.
Part dans la répartition 1 fr.
Aggravation par tête 2 fr., reste 2 fr.
Il y a, messieurs, quelque chose du bien adroit, pour ne pas me servir d'une expression blessante dans le projet de loi qui nous occupe en ce moment : c'est que les communes verront très distinctement les sommes qui leur seront allouées peut-être tous les ans et souvent ne se douteront pas qu'elles ont versé le double et parfois le triple dans cette bonne caisse communale qui promettait d'être si généreuse pour elles.
Voilà je crois, messieurs, le projet de loi réduit à sa plus simple expression quant aux effets que son adoption aura sur les communes rurales de mon arrondissement.
Les belles phrases et les chiffres si adroitement groupés pour le justifier ne semblent souvent avoir été employés que pour dérouter celui qui consciencieusement recherche si les voies et moyens que l'on propose pour l'abolition des octrois sont aussi louables et aussi justes que le but que tous nous désirons sincèrement atteindre.
Il y a plus, messieurs, ces communes qui n'ont qu'une population globale de 22,000 âmes et qui payeront à l’Etat en droit d'accise sur les bières plus de 100,000 fr., ne sont pas bien certaines de recevoir cette modique somme de 24,000 fr. On ne leur garantit pas, comme aux villes, un minimum de quote-part dans la répartition.
Que le fonds communal diminue ou qu'il augmenté, les villes, tôt ou tard, ont toujours leur part ; les communes sans octroi auront le reste, s'il’y en a. On ne peut leur garantir qu'une chose, c'est que dans tous les cas elles verseront dans ce fonds commun, où elles n'auront pas le droit de puiser, pas même pour entretenir leurs pauvres et leurs vieillard», alors que les villes pourront le dépenser en somptuosités de tout genre !!
Et ainsi il pourra se faire que les 22,000 habitants des communes rurales de mon arrondissement contribueront (pour rester évidemment en dessous de la vérité) pour plus de 80,000 fr. pour parfaire le fonds communal et qu'elles ne recevront rien ou presque rien pour permettre d'abolir ces odieuses capitations, qui s'élèvent chez nous à près de 4 fr. par tête.
Non, messieurs, je le dis sans détour, le projet de loi, dans les conditions actuelles, n'est pas acceptable par ceux-là mêmes qui auraient le plus vivement désiré pouvoir poser devant le pays, dans les circonstances politiques actuelles surtout, un acte de modération et de conciliation.
Je le sais, messieurs, toutes les parties de mon arrondissement ne sont pas aussi gravement lésées par le projet de loi. Furnes et Nieuport profitent d'une part proportionnelle à l'injustice qui frappe les habitants des communes rurales qui les entourent.
Mais une pareille faveur, qui n'est acquise qu'en foulant aux pieds les règles de la justice, n'honore ni ceux qui, à ce prix-là même, voudraient la donner, ni ceux qui voudraient l'accepter.
Quant à moi, je repousserai le projet s'il n'est sérieusement amendé.
De tout temps, messieurs, le peuple flamand a été fier, et l'injustice constatée n'a jamais trouvé d'écho chez lui !
J'ose même dire qu'à Nieuport même, la ville depuis trente ans la plus déplorablement abandonnée par le gouvernement et aujourd'hui exceptionnellement favorisée par le coup de dé de l'honorable M. Frère, a le caractère trop fier et trop honorable pour accepter volontairement un privilège qui n'est que le produit du hasard et de l'injustice.
Quant à ceux qui me reprocheraient de parler ainsi, je leur répondrais que je ne les représente pas dans cette Chambre.
M. Moncheur. - La question des bières est très grave.
Elle l'est surtout pour la province de Namur on la bière est d'un usage très général et nécessaire.
Je vais vous prouver, messieurs, par des chiffres officiels que dans la province de Namur, les communes sans octroi payeront, par l'augmentation sur les bières seules, une somme beaucoup plus forte que celle qui sera restituée à ces communes dans la répartition du fonds communal.
Pendant l'année 1858, le produit du droit d'accise sur la bière a été pour la province entière de Namur de fr. 377.720.
Si l'impôt est augmenté, selon le projet, de 1 fr. 94 par hectolitre de cuve-matière, le produit sera de fr. 735,456.
Les consommateurs de bière de la province payeront donc eu plus fr. 355,716.
Et cette somme pèsera tout entière sur les consommateurs de la localité, car il ne s'exporte pas de bière hors de la province, ou du moins l'exportation est au moins compensée par l'importation. La bière fabriquée dans la province se consomme donc dans la province même. Il n'en est pas de même quant aux villes à octroi. Il se fait hors des villes, dans les campagnes, une exportation très considérable qu'on peut évaluer à la moitié au moins des produits.
Si l'on divise la somme de 733,456 fr. produite en 1858 ou l'accise sur la bière dans la province par 290,980, chiffre de la population, on trouve que chaque habitant paye de ce chef un impôt de 2 fr. 52.
Quel sera à présent l'effet de la loi sur les habitants des campagnes eu égard aux habitants des villes à octroi ?
La population entière de la province est de 290,980
Celle des villes à octroi n'est que de 37,082
Donc, la population des communes sans octroi est de 253,898
Nous avons vu que le produit total de l'accise pour la province sera (à raison de 4 fr.) de fr. 733,436 »
Or, en supposant même que la consommation de la bière soit de 50 p. c. plus forte dans les villes à octroi que dans les communes sans octroi, supposition que je crois exagérée, les villes à octroi payeraient dans cette somme (à raison de 37,082 habitants X fr. 3,26), 120,887 fr. 32 c.
Il restera donc à charge des campagnes, fr. 612,548 68
Le produit actuel de l'accise n'est que d'un peu plus de la moitié de ce qu'il sera après l'augmentation, soit (somme ronde), fr. 312,000.
Les campagnes payeront donc sur la bière une augmentation d'impôt de fr.300,548 68
Or, savez-vous, messieurs, ce que toutes les communes sans octroi de la province recevront, d'après le projet, dans la répartition de trois millions ? Elles recevront fr. 186,116.
Donc, elles payeront sur la bière seulement la somme de fr. 114,432 68 (page 1536) de plus que leurs caisses communales ne recevront dans la répartition, et cela au bénéfice des villes à octroi.
Ajoutez-y les augmentations d'impôt sur les eaux-de-vie indigènes (à raison de 63 1/2 p. c.), l'augmentation sur les vinaigres, sur le vin, sur les eaux-de vie étrangères ; ajoutez-y encore la part qui appartient aux habitants des communes sans octroi de la province dans les 3,500,000 francs qui vont être puisés dans le trésor public, et vous arrivez à un sacrifice énorme pour ceux-ci, au profit des villes à octroi.
Cela suffit, je pense, messieurs, pour justifier ce que j'avais l'honneur de vous dire hier, c'est-à-dire qu'il me serait impossible d'admettre un pareil système.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai fait remarquer qu'il serait véritablement fort difficile d'arriver à l'examen complet des amendements qui ont été proposés et qui doivent être considérés comme formant un système. C'est ainsi que, jusqu'à présent, il n'a point été question du système indiqué par l'honorable M. de Naeyer, et cependant tout repose, dans l'amendement de l'honorable membre, sur la question de la bière.
S'il était établi, par exemple, que l'honorable membre ne peut pas, à l'aide des impôts qu'il propose, réaliser son plan, s'il venait ainsi à crouler par la base, il se pourrait que d'honorables membres de l'assemblée, voulant l'abolition des octrois, pouvant peut-être la vouloir par le mode qu'a indiqué M. de Naeyer, volant dans cette pensée la réduction, arrivassent pourtant à faire échouer toute espèce de proposition d'abolition des octrois.
Il me faut donc, aussi brièvement que possible, examiner d'une manière complète la proposition de l'honorable M. de Naeyer, et prouver qu'avec la réduction qu'il propose du droit d'accise sur la bière il ne peut pas obtenir le fonds communal qu'il promet, que, partant, la proposition est inadmissible et qu'il n'y a plus qu'à opter entre la proposition du gouvernement et le maintien des octrois.
Messieurs, la proposition de l'honorable M. de Naeyer se résume ainsi :
Création d'un fonds de 9 millions à partager : un tiers, en prenant la population pour base, deux tiers d'après les trois contributions indiquées dans le projet de loi.
L'honorable membre ajoute, en outre, l'inscription au budget de l'Etat d'une somme fixe de 4 millions de francs, à répartir entre les communes à octroi, au prorata du déficit qui existerait dans leurs finances, sauf à elles à pourvoir par d'autres moyens, par des ressources qu'elles créeraient, à ce qui pourrait leur manquer.
Je reconnais, et j'en sais un gré infini à l'honorable membre, je reconnais qu'en formulant cette proposition, il a fait preuve du désir sincère d'arriver à la solution de la question.
L'honorable membre a fait un grand pas, il a reconnu la nécessité de créer un fonds communal, il a reconnu la nécessité de faire intervenir la généralité dans la création de ce fonds, et par conséquent la nécessité d'opérer le partage entre toutes les communes du royaume du fonds ainsi constitué.
Ce sont, en réalité, les principes du projet de loi. L'honorable membre les admet ; c'est beaucoup, et, je le déclare, j'ai examiné sa proposition, ses idées, avec le désir le plus sincère d'arriver à une solution qui pût réunir une majorité formée par le concours des deux opinions qui divisent la Chambre. Mais, à mon grand regret, j'ai constaté, après cet examen, l'impossibilité absolue de pratiquer le système défendu par l'honorable membre.
Trois raisons ne permettent pas de l'admettre.
La première, c'est que l'honorable membre promet ce qu'il ne peut pas tenir : c'est-à-dire un fonds de 9 millions ; la deuxième, c'est qu'il impose aux villes des charges auxquelles il leur serait impossible de faire face, et la troisième, c'est qu'en définitive le système de l'honorable membre qui, en apparence, est plus favorable aux campagnes que celui du gouvernement, leur est, en réalité beaucoup plus défavorable.
L'honorable membre a dû, dans son système, faire intervenir l'élément de la population parmi les bases de la répartition, parce que, constituant le fonds communal exclusivement au moyen des vins, de la bière et des eaux-de-vie, il supposait à raison du nombre une consommation plus forte de ces articles dans les campagnes que dans les villes, et il a dû ainsi chercher à retourner la proposition du gouvernement.
La proposition du gouvernement avec les divers éléments dont se compose le fonds communal donne comme base de la répartition, 55 pour les villes et 45 pour les campagnes, de même que la constitution du fonds communal, tel que l'honorable membre l'établit, donne 55 pour les campagnes et 45 pour les villes. En conséquence, il fait intervenir l’élément de la population pour rétablir l'égalité.
Je fais remarquer à l'assemblée ce point qui a une certaine importance ; car j’y trouve une nouvelle justification des bases proposées par le gouvernement : dans le cas exceptionnel où se place l’honorable membre à cause des éléments dont il forme le fonds communal, il a raison de dire que la proportion est de 55 pour les campagnes et de 45 pour les villes ; mais il est également vrai, et ainsi du propre aveu de l'honorable membre, que tous les éléments fournis par le gouvernement pour constituer le fonds communal, répondent à une contribution de 55 p. c. de la part des villes et à une contribution de 45 p. c. de la part des campagnes.
Mais je dis que l'honorable membre ne peut pas constituer, avec les bases qu'il indique, le fonds de 9 millions. Comment promet-il 9 millions ?
L’honorable membre obtiendrait 9 millions comme il suit :
Il prend pour base les recettes moyennes des années 1858 et 1859 .
Vins et eaux-de-vie étrangères. Revenu moyen : 3,737,847
Augmentation : 860,00
Eau-de-vie indigène. - Revenu moyen : 7,134,939
Augmentation proportionnelle à l'accroissement du taux du droit, soit 63 p. c. : 4,508,780.
M. de Naeyer. - 63 1/3.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela importe peu.
Bières. Revenu moyen : fr. 7,761,184.
L'augmentation au taux de 3 francs proposée par l'honorable membre sera de 45 p. c. ; et en conséquence nous aurons également une augmentation de 45 1/2 p. c, soit 3,543,722.
En tout 8,912,502 fr. ou 33 p. c. environ du revenu total supposé de 27,546,472.
Je crois que nous sommes d'accord.
Mais supposant peut-être que, dans cette proportion, le taux ne serait pas atteint, l'honorable membre ajoute :
« Toutefois, j'ai élevé à 35 p. c. la part dévolue aux communes, afin que mes évaluations soient tout à fait incontestables. »
En opérant de la sorte, l'honorable membre fait un prélèvement de 728,000 francs sur le trésor public. (Interruption.) Il n'obtient pas d'abord les 9 millions, et pour être certain de les avoir, l'honorable membre, avec la base de ses calculs, prélève 728,000 sur le trésor public.
Mais, à part cette première erreur, je dis que l'honorable. membre ne peut pas s'attendre à recevoir une somme aussi considérable ; il aura indubitablement un déficit de deux millions.
Selon nous, l'augmentation sur le produit du genièvre ne sera pas supérieure au chiffre de 2,840,000 fr., indiqué dans l'exposé des motifs, parce que nous avons estimé, conformément à l'expérience, qu'une augmentation d'impôt ne donne pas une augmentation proportionnelle de recettes. Ainsi, au lieu de 4,500,000 fr., on n'aura que 2,840,000 fr. ; il manquera de ce chef seulement une somme de 1,660,000 fr. au fonds communal créé par l’honorable membre.
Maintenant, pour les bières, l'augmentation serait de 45 2/3 p. c. Eh bien, je veux estimer jusqu'à 42 p. c. le produit de l'augmentation dans cette hypothèse ; mais, dans cette hypothèse aussi, au lieu d'obtenir 3,540,000 fr., l'honorable membre n'obtiendrait que 3,100,000 fr., en prenant pour point de départ les évaluations du budget de 1860 et non le produit de deux années exceptionnelles ; par conséquent, une différence de 440,000 fr., qui constitue un déficit de 2,100,000 fr. dans le fonds communal.
Messieurs, voici le dilemme devant lequel la Chambre est placée. Si les calculs de l'honorable membre sont exacts, le minimum qu'il attribue aux campagnes sera de 5 millions de francs, et les campagnes n'auront plus dans l'accroissement ultérieur qu'une fraction ; elles partageront l'accroissement ultérieur avec les villes ; or, si les calculs de l'honorable membre sont exacts, les prévisions du gouvernement seront dépassées de plus de 2,000,000 de fr., et dès lors les campagnes, dans le système du gouvernement, auront immédiatement 5 millions de francs et tout l’accroissement ultérieur. De ces deux systèmes quel est le préférable au point de vue des campagnes ? (Interruption.)
Cela est manifeste. Ou les calculs de l'honorable membre sont faux, ou ils sont exacts. S'ils sont faux, les campagnes perdent deux millions, s'ils sont exacts, j'obtiendrai nécessairement les mêmes résultats que l'honorable membre, et, obtenant les mêmes résultats, calculés non pas sur l'augmentation totale, mais sur l'augmentation proportionnelle, j'aurais deux millions de plus ; et par conséquent le projet de loi assurant 3 millions de francs aux campagnes au moment même de la mise à exécution de la loi, les campagnes auraient, non pas 3 millions, mais 5 millions de francs, plus tous les accroissements ultérieurs.
A côté de cette considération qui est assez puissante, il y en a une seconde : c'est celle qui est relative à la position qu'on veut faire aux villes.
Dans le système de l'honorable membre, les villes auraient à pourvoir incontinent à 3,500,000 fr. de contributions...
M. de Naeyer. - 3,200,000 fr.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le veux bien.
La ville de Bruxelles, privée de son octroi, de l'accroissement annuel résultant du développement des consommations, accroissement qu'on peut estimer à 100,000 francs, serait obligée d'imposer immédiatement sur les habitants une contribution d'un million de francs.
Messieurs, l'honorable membre se fait une idée tout à fait inexacte de la condition des villes dans notre pays.
(page 1537) Il a supposé que les villes n'étaient pas grevées, qu'elles s'imposaient peu en définitive ; que, relativement aux campagnes, on allait payer plus dans les campagnes par tête d'habitant que dans les villes, l'octroi à part. C'est bien ce qu'a dit l'honorable membre.
Eh bien, messieurs, il y a erreur complète sur ce point. Savez-vous que Bruxelles, qui paye un impôt de fr. 2,227,000 fr. paye dix fois plus que toutes les communes sans octroi de la province de Limbourg ; 8 1/2 fois plus que toutes les communes du Luxembourg, quatre fois et au-delà plus que les communes de la province de Namur, trois fois plus que les communes de la province d'Anvers, trois fois plus que les communes de la province de Liège, presque le double de toutes celles de la Flandre occidentale, et à 60,000 fr. près, elle paye autant que toutes les communes sans octroi des cinq provinces d'Anvers, de Liège, de Limbourg, de Luxembourg et de Namur. La seule ville de Bruxelles !
C'est que la moyenne dont vous parlez, et que je rétablirai tout à l'heure, vous ne faites pas attention qu'on l'abaisse singulièrement au profit des grandes villes en y faisant entrer un grand nombre de villes à octroi, mais qui ne sont, en définitive, que des communes ayant moins d'importance que beaucoup de simples communes rurales.
Anvers, avec 1,450,000 fr. de contributions directes, paye trois fois plus que les communes réunies des provinces de Luxembourg, de Liége et de Namur ; six fois plus que celles de Limbourg, le triple de celles de la province de Namur, le double de celles de la province de Liège, et une somme égale à celle que payent toutes les communes du Hainaut ; la seule ville d'Anvers !
Gand paye 39,000 fr. de plus que toutes les communes sans octroi du Limbourg, du Luxembourg et de Namur, 15,000 fr. de plus que celles de la province de Liège et du Luxembourg.
Liège avec 754,000 fr. de contributions paye 32,000 fr. de plus que les communes réunies de la province, 19,000 fr. de plus que celles du Limbourg et de la province de Namur réunies.
Les quatre grandes villes du royaume, Bruxelles, Anvers, Gand, Liège, payent en impôts directs une somme qui est de 71 p. c. de ce que payent les 2,459 communes sans octroi du royaume.
Seize villes en Belgique, Bruxelles, Anvers, Gand, Liège, Bruges, Louvain, Mons, Tournai, Verviers, Namur, Malines, Courtrai, Ostende, Ypres, Saint-Nicolas, Alost, payent, à peu de chose près, autant que les 2,459 communes sans octroi du royaume !
L'honorable membre a pris uniquement les centimes additionnels qui sont payés dans certaines villes, mais il y a d'autres charges dans ces villes. Ces centimes additionnels sont, par exemple : à la contribution foncière, pour Anvers, 13 p. c, pour Bruxelles, 25 p. c, pour Gand, 15 p. c, pour Liége, 37 p. c. ; à la contribution personnelle, pour Anvers, 7, pour Bruxelles, 17, pour Gand, 10, pour Liège, 21. Aux patentes, Liége seule a des additionnels ; 10 pour cent.
Mais ce ne sont pas les seules taxes. Il y a d'autres charges directes qui pèsent sur les habitants. A Bruxelles il y a une taxe de 1 p. c. sur le revenu cadastral, une taxe sur les voitures. Dans d'autres villes, il existe probablement des taxes particulières de ce genre qui sont perçues par le receveur local et non par le receveur de l'Etat, ce qui fait que ces articles ne se trouvent pas renseignés dans les comptes des agents de l'Etat.
C'est ainsi qu'à Liège, indépendamment de tous ces centimes additionnels, il y a une taxe directe perçue par le receveur de la ville et qui s'élève à une centaine de mille francs.
Maintenant, si l'on prend dans leur ensemble les budgets des villes et des diverses communes du royaume, on y trouve des revenus patrimoniaux, des recettes provenant des centimes additionnels, les recettes ordinaires et extraordinaires et les octrois.
En éliminant les octrois, en éliminant également les revenus patrimoniaux (tout en faisant remarquer cependant que ces revenus sont dans les villes de 93 centimes par habitant et que ces mêmes revenus sont de franc 1-14 dans les campagnes, ce qui est bon à noter), en comptant seulement les centimes additionnels, cotisations, abonnements et autres taxes diverses, que reste-t-il à charge des habitants ?
Eh bien, je trouve qu'en prenant la moyenne des années 1852 et 1856, l'imposition par tête a été pour 86 villes de fr. 3-66 et pour 2,452 communes fr. 2-14 et que pour les années 1857 et 1858 les charges que supportaient les habitants des villes sont de fr. 4-15 et celles qui grevaient les habitants de 2,452 communes de fr. 2-42. Voilà déjà la situation modifiée.
Ainsi, indépendamment des charges générales dont j'ai parlé tout à l'heure, et qui sont si considérables, viennent les charges spéciales et locales, et vous voyez encore dans quelle proportion les habitants des villes les supportent.
C'est dans cette situation que l'honorable membre demande aux villes de s'imposer à concurrence de 3 millions cinq cent mille francs.
Nous croyons utile de rappeler ce que disait, à ce sujet, la commission de 1848, instituée pour l'examen de la question des octroi.
Elle n'était pas composée d’hommes timides et irrésolus. Voici comment s'exprimait sou président : « Nous aussi, nous partageons l'opinion qu'on peut étendre l'impôt direct, mais à la condition de préparer le terrain, de ramener l'opinion publique à des idées plus saines, à des notions plus justes que celles qui ont cours aujourd'hui, à la condition que le gouvernement y soit poussé par une force irrésistible, comme l'a demandé M. de la Coste, alors gouverneur de Liège. Jusque-là, nous redoutons les réformes radicales, les perturbations financières et nous nous bornons à réclamer la disparition d'impôts qui répugnent à tout le monde et une simple inversion dans les affectations des diverses branches du système général. »
Voilà ce que recommandait la commission de 1848, car elle ne créait pas d'impôt direct, elle ne marchait pas à l'abolition de l'octroi par l'impôt direct à établir par les villes, comme on l'a cru erronément. L'Etat abandonnait certaines branches de contribution indiquées, et il les remplaçait par les mêmes impôts qui sont proposés aujourd'hui, eaux-de-vie, bières, vins, sucre.
Il serait donc, messieurs, de toute impossibilité d'arriver à demander incontinent aux villes le sacrifice qui est indiqué par l'honorable membre. D'autre part, l'honorable membre, je l'ai démontré tout à l'heure, ne peut pas arriver, en réduisant d'un franc l'accise sur la bière, à constituer son fonds communal ; et, en définitive, sa proposition admise serait très préjudiciable aux communes.
Mas, y a-t-il lieu, messieurs, de réduire l'accise sur la bière ?
Messieurs, je n'ai certainement pas de passion pour cet impôt, pas plus que pour aucun impôt en général, et pour celui-là peut-être moins que pour tout autre.
J'avoue que, si l'on avait offert quelque autre moyen qui parût plus agréable à l'assemblée, qui fût de nature à réunir une majorité, je n'aurais pas fait une grosse question du maintien de l'impôt sur la bière. Je ne demande pas mieux, non seulement que de ne pas l'augmenter, mais que de l'abolir complètement même s'il était possible. Mais, messieurs, quelles sont les propositions qui ont été faites ? II n'y en a pas. Cependant, on a voté l'abolition des octrois.
M. Moncheur. - Avec des réserves !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh ! sans doute, l'honorable M. Moncheur a fait des réserves ; il l'a déclaré bien haut ; c'est, de sa part, un acte d'adhésion platonique ; j'en étais bien convaincu d'avance. L'honorable M, Moncheur veut l'abolition des octrois, mais non les moyens de les remplacer ; et, je le dis d'avance, pour l'honorable membre je proposerais tels moyens que je voudrais, il les trouverait exécrables.
M. Moncheur. - Pas du tout.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voulez-vous proposer d'autres moyens ?
M. Moncheur. - Je veux que les campagnes ne payent pas pour les villes.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous nous en expliquerons.
Je m'adresse, moi, aux honorables membres de l'assemblée et il en est beaucoup, je le crois, je veux le croire, il en est beaucoup qui, tout en proclamant que les octrois sont une institution mauvaise en en provoquant l'abolition, veulent sincèrement aussi des moyens d'arriver à les faire disparaître.
S'il y a quelque autre moyen que l'augmentation de l'accise sur la bière, soit ; je le veux bien ; mais s'il n'y eu a pas d'autres, je dis que tout homme raisonnable qui veut l'abolition des octrois, doit vouloir aussi le seul moyen à l'aide duquel il soit possible d'arriver à cette abolition.
Messieurs, je ne veux pas chercher quels seront les effets de l'augmentation de l'accise sur la bière ; qui payera, en définitive, cette augmentation ; si le producteur restreindra son bénéfice, s'il trouvera quelque moyen d'améliorer sa production, si les intermédiaires payeront une partie de l'augmentation, si cette fraction de centime au litre de bière se trouvera ainsi perdue quelque part. Je ne m'en occupe pas.
Je concède que cela peut avoir un résultat plus ou moins fâcheux à certain degré. Mais j'espère beaucoup de l'essor que l'abolition même des octrois va donner à la production, à la consommation, et j'espère beaucoup des résultats de la concurrence loyale qui n'existe pas aujourd'hui et que nous allons décréter.
M. de Naeyer. - De par la loi ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Evidemment, ce sera le résultat de l'égalité de l'impôt, quel qu'en soit le taux, Vous n'aurez évidemment de concurrence loyale qu'à cette condition et non pas quand vous aurez des fabriques à l'intérieur qui sont protégées par une ligne d'octroi et auxquelles on restitue des sommes plus considérables que l'impôt actuel, restitution qui constitué une prime avec laquelle les industriels de l’intérieur font une concurrence injuste aux brasseurs de l'extérieur.
Et c'est pour cela qu'on se trompe sur l'effet que va produire l'augmentation du droit sur la bière.
Cette augmentation, pour certaines localités, pour celles, peut-être, qu'a indiquées l’honorable M. Tack, pour les localités situées tout à fait en dehors du rayon des douanes intérieures, sera plus sensible que pour les autres ; mais pour toutes les brasseries, en si grand nombre, qui avoisinent les grands centres de consommation, qui ont dans le rayon des villes à octroi, il y a une large compensation dans la liberté du commerce décrétée en leur faveur.
M. Rodenbach. - On ne conteste pas cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ainsi, voilà les brasseurs des villes qui restent dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui ; ils ne se plaignent pas ; les consommateurs des villes, c'est-à-dire 45 p. c. au moins de la consommation resteront dans la même position qu'auparavant. Pour les brasseurs des localités suburbaines on ne le conteste pas, ils trouveront encore une large compensation dans la liberté du commerce qui est décrétée ; n'est-ce donc pas quelque chose et n'est-il pas juste d'en tenir compte ?
Il ne faut pas non plus qu'on s'exagère cette affaire de l'augmentation du droit sur une consommation qui est tellement étendue qu'avec une fraction insignifiante on obtient un grand produit.
Nous pouvons diviser la consommation en trois catégories : la consommation des ménages, la consommation des familles....
M. de Mérode-Westerloo. - C'est la bonne.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Certainement. Viennent ensuite la consommation des cabarets et la consommation dans les campagnes. Je distingue ; je dirai tout à l'heure pourquoi.
La consommation dans les ménages, la consommation des familles, c'est la bonne, comme on le disait tout à l'heure. Cela est vrai, mais il est également vrai que tous ceux qui peuvent avoir de la bière chez eux en ménage, sont certainement, et j'admets ici l'hypothèse que le prix de cette boisson sera plus élevé, sont certainement en position de payer cette minime fraction d'augmentation sur la bière.
La consommation du cabaret m'intéresse beaucoup moins. Sans doute, c'est la consommation d'une population considérable, mais elle est voluptuaire pour une partie de cette catégorie de consommateurs, et de ceux-là encore nous n'avons pas trop à nous inquiéter. Reste donc seulement la catégorie que constituera, si vous le voulez, la population ouvrière, principalement dans les contrées industrielles. Eh bien, ce sont heureusement les ouvriers qui ont le salaire le plus élevé aussi qui habitent ces contrées et il est d'ailleurs plus que douteux que le prix de la bière au cabaret soit modifié.
Quant à la consommation des campagnes, en thèse générale la bière est fournie par les fermiers ; c'est le fermier qui donne la bière à ses ouvriers, à ses salariés et par conséquent aussi c'est lui qui supportera l'impôt, si l'accroissement a lieu. Mais n'est-ce pas, d'un autre côté, lui aussi qui retrouvera une indemnité très large dans l'abolition des octrois ? N'est-ce pas lui qui trouvera également de ce côté une compensation ? N'est-ce pas lui aussi qui trouvera une autre compensation en ce que c'est lui aussi qui paye la cotisation dans la commune ?
Ce n'est pas l'ouvrier qui paye la cotisation, c'est lui ; s'il paye l'impôt sur la bière, d'autre part, il verra réduire sa cotisation. En nous plaçant sur ce terrain il n'y a pas lieu de s'exagérer l'importance de la mesure que nous proposons. Et puis je dois le dire, l'impôt ne fait en ce cas, dans la situation particulière où nous nous trouvons, l'impôt ne fait que reprendre son bien. Si l'impôt avait rendu tout ce qu'il devait rendre depuis son établissement par la progression naturelle et régulière qui aurait dû exister, nous n'aurions pas d'augmentation à demander ; tout l'impôt que nous demandons aurait dû être donné par la progression du produit de l'impôt.
Elle a été arrêtée ; pourquoi ? Tandis que le pays croissait en population et en richesse, cet impôt restait stationnaire ; c'est que les industriels ont trouvé le moyen de dévorer une partie de l'impôt ; ils ont changé les procédés de fabrication, ils les ont notablement améliorés, ils ont usé des vices de la loi sur les bières, à laquelle on touche difficilement, ils ont usé et abusé des vices de la loi ; l'indication de quelques faits va le démontrer.
La loi de 1822 sur les bières était liée à la loi-mouture, qui donnait le moyen de contrôler les quantités de farine à employer dans les cuves-matières ; depuis l'abolition de la loi-mouture, le contrôle des farines est devenu impossible ; un arrêté du gouvernement provisoire de 1830 a aboli ce contrôle.
Ainsi plus de contrôle dans l'emploi des farines, on a pu surcharger les cuves et obtenir une quantité plus considérable dans le même temps, en payant le même impôt ; c'était contraire à la loi ; on a donné plus d'extension aux chaudières, ou a eu des cuves de réserve en plus grand nombre et d'une plus grande capacité, on a substitué aux anciennes cuves-matières, qui étaient hautes et profondes, des cuves-matières ayant une grande surface et très peu de profondeur, parce que la loi accordait une déduction de 5 p. c. pour le faux fond qu'on évaluait à 5 centimètres de la hauteur de la cuve. On comprend que la cuve, étendue et très basse, donnait un résultat très favorable aux brasseurs.
On a usé de son droit en présence de la loi, dont les défectuosités ont livré aux brasseurs quelque chose que le législateur n'avait pas voulu leur donner.
Lorsque la loi a été faite en 1822, on employait un faux fond qui répondait à une hauteur de 5 centimètres et la loi accordait de ce chef une déduction ; le brasseur a substitué des faux fonds de quelques millimètres en tôle ; il a joui d'un grand avantage ; il a en réalité réduit l'impôt.
La loi du 20 décembre 1851 a fait cesser cet abus en n'admettant de déduction que pour le faux fond seul, Mais ce ne sont pas les seuls moyens à l'aide desquels on a pu obtenir une réduction de l'impôt ; les modifications introduites dans la fabrication ont donné une plus grande quantité de produits ; on est parvenu à introduire dans la fabrication des mélasses, des sirops, du sucre, sans qu'il en résultât pour les brasseurs une augmentation d'impôt ; on a donné une plus grande extension à la fabrication des bières légères. Il est résulté de ces causes diverses une dépréciation très notable à partir de 1840.
En 1840 le produit de l'accise sur la bière était de plus de 7 millions.
La population était de 4 millions 73,000 habitants. Eu 1843 bien que le froment fût à fr. 19.41 et l'orge à 11,41, le produit tombe à 6,787,000 francs.
Eu 1845 la population est de 4,298,000 habitants ; le produit tombe encore à 6,525,000 fr. Les années de crise 1846 et 1847, je ne les compte pus ; en 1850, avec une population de 4,426,000 habitants, le produit baisse encore ; il n'est que de 6,436,000 fr., un million de moins qu'en 1845 ; en 1852, la population étant de 4,470,000, le produit descend à 6,386,000 fr. Viennent les crises de 1853 à 1856 ; je n'en parle pas, je les élimine ; quoique le grain fût à fr. 25-13 cent, et l’orge à 13-43, le produit avant la crise n'était que de 6,516,000 fr. la population étant de 4,516,000 habitants.
En 1857 seulement, c'est là ce qu'a jugé à propos de prendre M. Tack, on est revenu au chiffre de 1840.
M. Tack. - Cela s'explique très bien.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela ne s'explique pas du tout. Nous n'avons en 1857 que le chiffre de 1840.
L'administration interrogée sur ce point le disait en 1854 :
*« Plusieurs brasseurs, il est vrai, n'ont pas encore profité des lacunes de la loi pour changer la capacité de leurs vaisseaux et modifier leur mode de travail ; mais le plus grand nombre a atteint, sous ce rapport, la limite du possible, et si des circonstances calamiteuses ne viennent pas comprimer la consommation, le moment n'est pas éloigné où le produit de l'impôt sur la bière va grandir avec la population et le développement du commerce et de l'industrie, où cet impôt va, eu un mot, reprendre toute son élasticité. »
Ce que l'administration disait en 1854, eu présence de la crise, s'est pleinement réalisé dès que la crise a cessé son effet ; elle n'a pas exercé une influence énorme, le produit est déjà supérieur en 1855 ; en 1853 on était arrivé au terme de tous les moyens à l'aide desquels les fabricants avaient perçu l'impôt à leur profit et en avaient réduit très notablement le produit.
La dépression ne s'explique que par cette cause.
En voulez-vous une preuve ? Prenez les distilleries. On n'a pas augmenté l'impôt depuis 1852. es eaux-de-vie ont produit en 1852, 4,357,000 francs ; en 1858, 7,351,000 francs ; ainsi 2,974,000 francs de plus, c'est à-dire 68 pour cent. C'est un fait.
M. de Naeyer. - C'est la baisse du prix des grains qui en a été la cause.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voilà ce qu'on trouve pour le produit de l'impôt en 1858, en tenant compte de tous les éléments, du prix des grains, etc. Voilà quelle a été l'augmentation.
Je dis qu'on devait avoir sur les bières la même augmentation. Il n'y a aucune raison admissible pour qu'il en soit autrement.
La population qui consomme les eaux-de-vie est en grande partie celle qui consomme la bière ; mais il y a de plus une partie de la population qui consomme la bière qui n'est pas affectée de la même manière par les crises, et qui peut disposer de sommes assez fortes pour continuer sa consommation.
Si la bière avait produit dans la même proportion que les eaux-de-vie, l'accise sur la bière qui a rapporté, en 1852, 6,386,000 fr., avec l'augmentation de 68 p. c, aurait rapporté, en 1858, 10,728,000 fr.
Qu'a-t-elle rapporté ? 7,640,000 francs. Déficit 3,090.000 francs, précisément ce qui est demandé pour l'impôt. Eu d'autres termes, avec l'impôt nouveau, les fabricants de bière ne seront pas dans une position plus mauvaise qu'ils ne l'étaient il y a vingt ans avec l'impôt actuel. Le même impôt aurait produit une somme équivalente.
Je ne pense pas devoir entrer dans d'autres détails sur l'article actuellement en discussion. Je ne veux pas revenir sur les observations de plusieurs honorables membres, MM. Tack, de Smedt et Allard, qui se sont livrés à des calculs sur la consommation dans les diverses communes. Ces calculs sont fabuleux, ils ne reposent sur aucune base certaine, pas plus que ceux de l'honorable M. Moncheur, qui fait en ce moment un signe de dénégation. Ils n'ont aucune espèce de fondement.
M. Moncheur. - C'est bientôt dit.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, le simple bon sens commun les réfute. Vous calculez la consommation qui se fait dans certaines localités des campagnes, et vous ne tenez pas compte des immenses agglomérations qui se répandent dans les campagnes et qui en accroissent la consommation. Quand Bruxelles se répand le dimanche sur les communes voisines, il y fait une grande consommation ; il en est de même de toutes les villes. Cette consommation, je la compte tout entière aux campagnes pour arriver au chiffre de 3,400,000 francs, donné comme leur quote-part dans l'impôt nouveau.. Il est impossible (page 1539) d'admettre un chiffre plus élevé ; il est exagéré et ne donne pourtant qu'un franc par habitant.
Tous vos calculs, qui mettent 2 et 3 hectolitres de consommation par tête dans certaines localités et supposent qu'on y payera deux ou trois francs par tête du chef des bières, n'ont rien de sérieux. C'est ce qu'a fait M. Allard pour la ville de Leuze, lorsqu'il a supposé une consommation de 4 hectolitres par tête.
M. Allard. - Vérifiez mes calculs, je vérifierai les vôtres.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ces calculs, je les connaissais d'avance, puisque M. le bourgmestre de Leuze m'avait fait l'honneur de m'écrire, pour me signaler les mêmes points, et que, sous la date du 20 avril, j'ai eu l’honneur de lui répondre, pour lui montrer les erreurs dans lesquelles il était tombé.
Dans cette matière, les exagérations sont très fréquentes, parce qu'on ne tient pas compte de la consommation qui se fait en dehors du lieu de production. Ainsi, l'honorable M. Moncheur calcule la consommation de la bière dans l'arrondissement de Namur, d'après la quantité de bière fabriquée dans cet arrondissement. Cela n'existe pas. En dehors de l'arrondissement se trouvent les communes d'un arrondissement contigu où se consomme aussi la bière. Il n'y a pas d'ailleurs de brasseurs dans toutes les communes.
J'abuserais des moments de la Chambre, si je voulais approfondir tontes ces questions. La seule qui soit en discussion est celle de savoir si vous voulez la suppression des octrois, non pas d'une manière abstraite, mais avec le désir de les remplacer par des moyens formellement pratiques et efficaces.
Si vous voulez cette suppression, il n'y a pas d'autre moyen que de porter l'accise sur la bière à 4 francs.
Avec ce système, les campagnes recevront immédiatement la même somme qui leur reviendrait avec le système de M. de Naeyer, et de plus, elles auront tout l'accroissement ultérieur de l'impôt.
Aucune proposition n'a été faite pour remplacer l'augmentation de l'accise sur la bière, aucune, si ce n'est celle de l'honorable M. Carlier, qui consiste à établir 20 centimes additionnels sur la contribution personnelle, 5 centimes sur la contribution foncière, et à augmenter les permis de port d'armes. Cette proposition, mise en discussion, n'a été défendue par personne et ne m'a pas paru rencontrer beaucoup de sympathies dans l'assemblée.
Il n'y a donc pas autre chose à faire que d'accéder aux propositions du gouvernement, et je convie la Chambre à les adopter.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. David. - Messieurs, j'aurais vivement désiré ne pas prolonger le débat, mais en présence de la citation que vient de faire l'honorable M Allard, d'un extrait de l'un de mes discours contre les modifications à la loi de l'accise sur la bière présentées en 1851, il m'est impossible de ne pas vous donner quelques explications, pour vous démontrer qu'à cette époque je pouvais fort bien combattre une aggravation de l'accise sur la bière, contre laquelle je n'élève plus aujourd'hui d’objection aussi sérieuse,
La modification en question, proposée en 1851, constituait une véritable augmentation des droits d'accise sur la bière ; mais remarquez-le bien, messieurs, au profit exclusif du trésor public ; on cherchait alors à équilibrer les dépenses et les recettes de l'Etat au moyen d'impôts nouveaux. J'appartenais à la fraction de cette Chambre qui voulait rétablir cet équilibre au moyen d'économies à opérer sur toutes les dépenses publiques et entre autres sur le budget de la guerre, et qui combattait les augmentations d'impôts ; je parlai donc et votai contre la mesure soumise à nos délibérations.
Aujourd'hui, messieurs, je puis, sans être aucunement illogique, approuver ce que je combattais alors. A cette époque, l'augmentation de l'accise profitait exclusivement au trésor public, tandis que le projet actuellement en discussion a un but tout différent.
En effet, pourquoi vous réclame-t-on en ce moment une augmentation de l'accise sur la bière ?
1° Afin d'arriver à la suppression des octrois, ces 78 douanes intérieures, si nuisibles à tout le pays.
2° Afin de dégrever un grand nombre d'objets d'une plus impérieuse nécessité que la bière, des droits qui les frappent à l'entrée des villes à octroi ; tels sont les beurre, viande, houille, huile, café, jusqu'au pain dans certaines localités.
3° Afin de former, au profit des communes, un fonds dans lequel chacune d'elles puisera dès la première année une bonne part du montant de ses taxes locales, pour y trouver, au bout de 10 à 12 ans peut-être, les ressources nécessaires à l'extinction complète de ces taxes ou cotisations, ce qui permettra dès le premier jour aux administrations communales rurales d'exempter de l'impôt communal tous ces honnêtes mais pauvres ménages payant aujourd’hui des cotisations de 1, 2, 3 et 4 francs annuellement.
4° Afin de faciliter les transactions commerciales et industrielles à l'intérieur du pays.
5° Afin d'augmenter par-là et par la suppression des droits d'octroi la consommation de toutes les denrées produites par les campagnes.
Pour la grande moitié des habitants de la Belgique, l'augmentation de l'accise n'est qu'une transformation des droits d'octroi en droits d'accise. Vous le voyez, messieurs, la question aujourd'hui en discussion diffère essentiellement de celle qui nous a été soumise en 1851, et vous admettrez avec moi, qu'en vue de cette immense et bienfaisante réforme je ne m'oppose plus d'une manière radicale à l'augmentation de l'accise sur la bière.
Certes, moi aussi, j'aurais préféré voir surgir de la discussion un autre moyen financier qui nous aurait permis de ne pas toucher à l'accise sur la bière, et ce n'est pas d'enthousiasme que je voterai l'augmentation ; mais rien de pratique n'est proposé, et comme je désire la suppression des octrois, force m'est bien d'adopter les mesures si bien coordonnées, présentées par M. le ministre des finances et amendées par la section centrale.
- Plusieurs membres. - La clôture !
- La clôture est demandée par plus de cinq membres.
M. B. Dumortier. - Je demande la parole contrer la clôture. Il s'agit d'un article d'une excessive importance, d'un article pour lequel nous ont été adressées la majeure partie des pétitions qui sont déposées sur le bureau, et vous voudriez clore la discussion sur un pareil article après le discours du ministre, sans avoir entendu la réplique ? Cela serait sans précédent dans l'assemblée.
Je demande que la discussion soit continuée à demain. Il faut pouvoir lire le discours de M. Jl ministre. Il est hérissé de chiffres ; on ne peut pas y répondre sans avoir pris connaissance de ces chiffres.
M. de Naeyer (contre la clôture). - J'aimerais à être entendu pour répondre quelques mots à l'honorable ministre. Mon système n'a pas été discuté jusqu'ici. Je crois qu'on devrait me permettre de l'exposer clairement et de rencontrer les observations de M. le ministre.
- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. de Naeyer. - Comme l'heure est très avancée, je désiré n'être entendu que demain.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.