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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 8 juin 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 1496) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor présente l’analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Des habitants de Brusseghem présentent des observations contre le projet de loi relatif aux octrois. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des habitants de Rousbrugge-Haringhe présentent des observations sur le projet de loi relatif aux octrois. »

« Mêmes observations d'habitants de Seraing-sur-Meuse, Jemeppe, Chefneux-Wandre. » s

- Même décision.


« Le sieur Louvois, ancien directeur d'hôpital militaire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la révision de sa pension, en y comprenant toutes ses années de services civils et militaires, ou du moins la liquidation de sa pension comme fonctionnaire civil. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Herman, ouvrier de fabrique à Oostcamp, prie la Chambre de faire annuler un acte qui a été passé, en 1853, par-devant le notaire Baudreux à Habay- la-Neuve. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal et des habitants de Kermpt demandent la construction d'un chemin de fer d'Ans, par Tongres et Cortessem, à Hasselt. »

- Même renvoi.


« Le sieur de Noël fait hommage à la Chambre de deux nouvelles poésies qu'il a publiées. »

- Dépôt à la bibliothèque.

«

Projets de loi des crédits extraordinaire et supplémentaires aux ministères des travaux publics et de la justice

Rapport des sections centrale

M. Deliége. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit extraordinaire de 152,000 francs au département des travaux publics et le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant allocation d'un crédit supplémentaire d'un million de francs au département de la justice.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi supprimant les octrois communaux

Discussion générale

M. Moreau - Messieurs, après le discours si remarquable, si concluant que M. le ministre des finances a prononcé dans la dernière séance, il y a peut-être témérité de ma part de prendre la parole, pour défendre le projet de loi. Permettez-moi cependant de vous présenter encore quelques considérations en faveur de la mesure proposée et de vous faire part de quelques réflexions que la discussion à laquelle nous assistons m'a suggérées.

A entendre les orateurs qui ont parlé contre ou sur le projet de loi, les octrois sont choses si détestables, si abominables qu'on est vraiment surpris de voir qu'on veuille encore les laisser exister dans tant de villes du pays et qu'on hésite à les en faire disparaître à jamais.

Tous reconnaissent qu'il y a impérieuse nécessité de les abolir, tous désirent qu'ils soient supprimés.

A Dieu ne plaise, messieurs, que je doute un seul instant de la sincérité des vœux qu'ils émettent ! A Dieu ne plaise que je croie que le langage qu'ils tiennent ne soit plein de franchise et de loyauté !

Au contraire, je suis persuadé que comme nous, la plupart d'entre eux, après avoir constaté combien cette institution d'un autre âge est vicieuse, après avoir reconnu que le projet de loi ne renferme pas les défauts qu'on lui reproche, uniront leurs votes aux nôtres pour effacer cette tache dans notre législation fiscale.

Je regretterais vivement que certain scrupule les arrêtât dans l'accomplissement de la noble et belle mission à laquelle on les convie.

Je regretterais qu'à un mal si grand, si invétéré, ils ne se décidassent pas courageusement à apporter un remède héroïque et immédiat.

Eh quoi, ils savent que le mal existe, qu'il étend ses ravages, que peut-être dans peu il deviendra incurable, et cependant ils hésitent, ils tergiversent, ils s'arrêtent devant des considérations secondaires avant d'employer avec fermeté le seul moyen propre à l'extirper.

Ce moyen, messieurs, cet unique remède qui soit efficace et praticable, c'est, selon moi, l'adoption du projet de loi.

Qui veut le fin, dit-on, veut les moyens ; et si jamais proverbe fut applicable, c'est bien dans le cas actuel, car il est pour moi de la dernière évidence que les amendements, que les systèmes nouveaux mis en avant n'atteindront pas le but qu'on se propose.

Et d'abord tous compromettent, tous bouleversent la situation financière des communes à octroi, et on aura beau dire que la nécessité stimulera l'énergie des administrations communales et les contraindra à trouver les moyens d'obtenir des ressources suffisantes à leurs besoins, les faits sont là qui attestent le contraire, et leur impuissance- n'est-elle pas palpable, lorsque l'on voit que le gouvernement lui-même est réduit à céder 3,500,000 fr. hors du produit des impôts pour leur venir en aide.

Vous devez, messieurs, le reconnaître, il faut que M. le ministre des finances, après les études les plus sérieuses, les plus complètes, ait été bien convaincu que les communes ne pouvaient rien par elles-mêmes, qu'il ait été poussé par une impérieuse nécessité, pour acheter en quelque sorte l'abolition des octrois au prix d'un sacrifice aussi considérable fait aux dépens du trésor. L'expérience ne nous prouve-t-elle pas chaque jour combien il est difficile d'obtenir de tout ministre des finances qu'il ouvre la caisse de l'Etat, même pour des choses les plus utiles ?

Ainsi dans mon opinion, aussi longtemps qu'on ne remboursera pas aux communes le produit net de leur octroi, on n'en obtiendra pas l'abolition, il ne faut pas se faire illusion sur ce point.

Cependant, messieurs, l'amendement de l’honorable M. Pirmez a cela de particulier qu'il enlève successivement et principalement aux grandes villes des ressources, alors, que d'après les droits actuellement établis, leurs revenus auraient été sensiblement augmentés. Je m'explique et je prends, comme exemple, la capitale, Liège et Verviers.

A Bruxelles, chaque année, le produit de l'octroi augmente de 140 à 150 mille francs, à Liége.de 50,000 fr., à Verviers, de 15,000 ; après cinq ans, ces villes pouvaient compter respectivement sur un accroissement de revenu de 750,000 fr., de 250,000 fr. et de 75,000 fr. ; eh bien, c'est précisément alors que ces villes avaient la perspective, sous le régime actuel, de jouir d'une augmentation de ressources, que l'amendement de l'honorable M. Pirmez réduit leur part dans le fonds communal à 70 p. c.

De cette manière, les villes à octroi seraient doublement lésées, et elles verraient leur situation financière s'empirer de telle sorte qu'elles se trouveraient quasi dans l'impossibilité de faire face aux nouveaux besoins qu'entraîne, chaque année, leur développement.

Quant au système proposé par l’honorable M. Coomans, il ne garantit pas non plus entièrement leurs revenus aux communes à octroi.

M. Coomans donne à toutes les communes le produit net de sa contribution personnelle et du droit de patente, et il comble le déficit au moyen de 10, 12 et même 15 p. c (si cela est nécessaire) à percevoir sur tous les impôts.

Mais, messieurs, je me permettrai de demander à l'honorable M. Coomans (s'il était présent à la séance), s'il connaît quels seront les contribuables qui payeront les nouveaux impôts et dans quelles proportions ils le feront ! Je lui demanderai s'il peut nous assurer que les habitants des campagnes ne débourseront pas plus qu'ils ne toucheront.

Quant à moi, j'ai des doutes très sérieux sur ce point. L'accise sur le sel qui, d'après cet honorable membre, est principalement payée par les campagnes, les droits d'entrée sur les céréales et sur les autres denrées alimentaires, seront augmentés, comme toute autre contribution, de 10 à 15 p. c.

(page 1497) Eh bien, 3,400,000 habitants des communes sans octroi, recevant environ 5,220,000 fr., montant des deux contributions réunies, ne payeront-ils pas beaucoup plus que 1,300,000 habitants des villes qui toucheront environ 8 millions de francs ?

En réalité le système préconisé par l’honorable M. Coomans ne différerait de celui du gouvernement, qu'en ce qu'il sauverait mieux peut-être les apparences, tout en étant très préjudiciable aux communes rurales, auxquelles il ne laisse pas la perspective assurée de voir s'accroître, chaque année, la part qui leur est dévolue dans le fonds communal.

Si, comme on le prétend et on le répète à satiété, la répartition du fonds communal, d'après le projet de loi, n'est pas eu rapport avec les sommes payées par les communes rurales, je ne comprends pas comment le système de l'honorable M. Coomans ferait justice de ce grief et diminuerait des charges si lourdes qui, dit-on, vont peser injustement sur les campagnes.

Là est cependant la seule objection sérieuse que l'on fasse au projet de loi.

Le motif principal qu'on invoque pour le repousser, et qui paraît être assez puissant à beaucoup de membres, pour les déterminer à se refuser à coopérer à l'œuvre civilisatrice à laquelle on les convie, consiste à prétendre que l'on sacrifie les intérêts des populations rurales au profit de ceux des habitants des villes. Les premières, dit-on, sont spoliées ; voyez, on donne environ 12 millions de francs à 1,225,000 habitants des villes à octroi et seulement 3 millions, à 3,400,000 campagnards ; est-ce là, s'écrie-t-on de la justice distributive ?

Messieurs, je dois l'avouer, ces chiffres de prime abord ont quelque chose qui nous frappe ; en les examinant, abstraction faite de toute autre considération, l'on est assez tenté de croire qu'il n'est guère juste de donner tant aux uns et si peu aux autres.

Mais en est-il encore ainsi, lorsqu'on examine attentivement la mesure proposée, qu'on se rend bien compte de son mécanisme, si je puis le dire, de ses résultats après quelques années ?

En est-il encore ainsi, lorsque, au lieu de la considérer superficiellement, l'on envisage tous les avantages que l'abolition des octrois procurera aux campagnes ?

L'honorable ministre des finances a établi que, selon toute probabilité, les communes rurales recevraient une part à peu près égale à celle qu'elles payeront dans l'augmentation des impôts et que les avantages qu'elles retireraient de l'abolition des octrois compenseraient et plus ce que peut-être elles toucheront de moins que les villes pendant la période transitoire.

Je crois aussi, messieurs, que la consommation des choses, des denrées alimentaires surtout, est si complexe qu'elle échappe à toute investigation administrative pouvant donner des résultats tant soit peu certains.

Ainsi peut-on connaître, pour ne citer qu'un exemple, quelle est la population flottante qui, chaque jour, vient s'alimenter et s'approvisionner dans les villes à octroi ? Je ne veux pas faire, messieurs, de comparaison, mais j'ai lu dernièrement dans un journal que plus de 700,000 personnes entraient chaque jour à Londres.

Je ne crois donc pas que l'évaluation de l’honorable M. Coomans soit exagérée lorsqu'il estime à 1/5 environ sont à 2 à 3 millions de francs, la part que les campagnards payent à l'octroi des villes, lorsqu'ils se rendent dans celles-ci ou y achètent des marchandises.

Je laisse également de côté une question qui est contestée, celle de savoir si les producteurs et les importateurs supportent ou non une partie des taxes.

Je crois cependant que lorsque l'impôt est minime, et surtout, dans le commerce de détail, il est payé en partie par le vendeur, en partie par le consommateur, et ce dans des proportions très variables qu'il est impossible d'indiquer.

Si ma mémoire est fidèle, déjà cette thèse a été soutenue dans la dernière discussion sur les droits d'entrée établis sur les céréales et autres denrées alimentaires. Plusieurs orateurs ont prétendu alors que le faible droit établi sur le grain n'en ferait pas augmenter le prix d'une somme équivalente au montant de la taxe, et c'est ce qui s'est réalisé.

J'ajourne donc ceux qui combattent cette manière de voir à l’époque où les octrois seront abolis pour constater qui était dans la vérité.

Mais ce que, messieurs, on ne peut contester et ce que l'on ne contestera pas, l'honorable M. Royer de Behr le reconnaît lui-même, c'est que les octrois restreignent singulièrement la consommation des objets qui y sont assujettis ; or quelle est la valeur des objets fournis aux villes à octroi par l'agriculture et soumis actuellement aux taxes ?

La valeur de ces objets, messieurs, abstraction faite de la bière et du genièvre, n'a pas été estimée à moins de 125 millions de francs.

En supposant que l'abolition des octrois fasse seulement augmenter de dix p. c. la consommation, les campagnes fourniront aux villes des denrées pour douze et demi millions de plus, sur lesquels, à raison de dix p. c. au moins, elles feront un bénéfice de 1,250,000 francs.

Cette appréciation, messieurs, est évidemment trop modérée ; la suppression des octrois, de ces lignes de douanes si gênantes, si multipliée à l'intérieur, agira bien plus activement sur la consommation qu'une simple réduction des droits d'entrée à la frontière qui n'affectent que des produits étrangers et qui par conséquent ne sont pas d'un usage si fréquent que des denrées pour la plupart de première nécessité.

Si en Angleterre et dans tous les pays, on a vu qu'une réduction de droits de douane équivalente à un quart faisait doubler et plus les quantités consommées, y aurait-il rien d'étonnant de voir la consommation des 78 villes à octroi, au lieu d'être de 125 millions, s'élever à 160 ou à 200 millions de francs ? Et je vous le demande dans cette hypothèse très probable, quels ne seraient pas les avantages que les producteurs ou les importateurs campagnards retireraient de la suppression des octrois ? Les 3, 4 ou 5 millions de bénéfice qu'ils réaliseront de plus sur la vente de leurs produits n'équivaudront-ils pas aux charges nouvelles qu'ils auront à supporter ?

Tous les habitants des campagnes, a-t-on dit, ne sont pas des producteurs ou des importateurs de denrées dans les villes à octroi ; les habitants des villes trouveront aussi de grands avantages dans l'abolition des octrois. Cela est vrai, mais a-t-on oublié que le bien-être des uns fait également celui des autres ? qu'en cette matière tout s'enchaîne, tout, si je puis le dire, s'harmonise ? A-t-on oublié que, lorsqu'on a fécondé des sources de la prospérité publique, elles se répandent bientôt, en flots abondants, sur toutes les parties du pays ?

Les campagnes, comme on le prétend, seront-elles donc victimes du projet de loi et traitées comme des parias ? les communes rurales-seront-elles si maltraitées ? Quant à moi, messieurs, je ne le pense pas.

En effet, faisons leur compte. Si, comme je l'espère, l'amendement de la section centrale qui fixe le chiffre du fonds communal à 15 millions est adopté et que ces 15 millions soient répartis d'après le montant des contributions réunies, payées par toutes les communes en 1859 (à peu près 17 millions), il reviendrait à chaque commune environ 88 p. c. de ces impôts.

Les villes à octroi payent 9,365,000 fr. de contributions réunies, leur part dans le fonds communal à raison de 88 p. c. est de 8,250,000 fr., celle des communes rurales de 6,700,000.

Il est vrai qu'à ces communes, on ne leur donne pendant l'époque transitoire que 3 millions, mais si on leur tient compte de 2 à 3 millions que, d'après l'honorable M. Coomans, elle supportent dans l'octroi des villes, si on leur tient compte des bénéfices considérables que la suppression des octrois leur fera réaliser, en augmentant la production peut-on encore raisonnablement prétendre que les communes rurales sont spoliées et qu'on commet à leur égard la plus criante injustice ?

Quelques-unes peut-être seront exceptionnellement lésées, car il est impossible que dans une reforme si compliquée, tous les intérêts soient strictement et immédiatement garantis.

J'en connais une, messieurs, qui se trouve dans ce cas, c'est celle de Dison.

Cale commune d'environ 8,000 âmes est industrielle, elle renferme de nombreux ouvriers et il est à présumer que pendant les premières années après la mise en vigueur de la loi, elle ne recevra pas l'équivalent des nouvelles charges qu'elle aura à payer.

Il est encore à remarquer que, depuis plusieurs années, elle a demandé l'autorisation et établir un octroi qui certes lui aurait procuré uni revenu très considérable,

Si on ne l'y a pas autorisé, c'est parce qu'il s'agissait déjà alors de supprimer les octrois.

Vous comprenez donc que, sans cette circonstance, la commune de Dison aurait obtenu dès maintenant dans le fonds communal une part beaucoup plus forte que celle qui lui sera allouée.

Je sais, messieurs, que le législateur ne peut pas s'occuper de ces cas exceptionnels ; toutefois je ne doute nullement que le gouvernement n'ait de justes égards à la position de ces communes, en quelque sorte momentanément déshéritées, lorsqu'il aura à distribuer des subsides ou à leur donner d'autres avantages.

Mais, comme je l'ai déjà dit, ce sont là des cas exceptionnels, l'application de la loi aura un résultat tout autre à l’égard de grand nombre de communes sans octroi d'abord.

895 communes qui n'ont pas de cotisations personnelles, auront une espèce de dotation, et 350 toucheront plus ou à peu près l'équivalent de leurs capitations.

La moitié donc des communes du pays n'auront plus d'imposition locale et chaque année d'autres communes s'ajouteront successivement à celles qui seront dans cette bonne position financière.

En cinq années, messieurs, de 1854 inclus à 1858, le produit des accises sur les objets mentionnés dans le projet de loi a augmenté de 6,300,000 fr. ; si ces recettes continuaient à s'accroître dans la même proportion, savez-vous quelle serait la part qui reviendrait aux communes sans octroi en 1863 ? J'en ai fait, messieurs, le calcul., elle ne serait pas moindre que 85 p. c. des contributions réunies.

L'amendement de l'honorable M. Coomans qui consiste à donner entre autres, aux communes rurales, le montant de leur contribution personnelle et des patentes sera ainsi alors réalisé, mais d'une toute autre manière et avec l’avantage, pour elles, d'avoir la perspective de voir encore la quotité qui leur sera allouée s'augmenter d'année en année.

Quant aux villes à octroi, messieurs, alors qu'on leur enlève les ressources dont elles jouissaient, alors qu'on les exproprie en quelque sorte pour cause d’utilité publique, n'est-il pas juste de les indemniser complètement ?

Je crains bien, comme je l'ai déjà dit, qu'étant privées des revenus (page 1498) considérables que leur procurait l'accroissement du produit des octrois, elles ne soient bientôt dans de grands embarras financiers. Si maintenant leur part dans le fonds communal est plus élevée que celle des communes rurales, il faut se rappeler que cette part ne s'accroîtra que dans un temps plus ou moins éloigné, à mesure que le fonds communal et les contributions réunies augmenteront.

A cet égard, je dois faire observer que la comparaison que l'on fait entre les villes à octroi et les autres communes quant à la quotité pour cent qui leur reviendrait d'après le montant des contributions réunies n'est pas tout à fait exacte.

En 1846, messieurs, lors du recensement de la population, le gouvernement a déclaré qu'il ne servirait pas à augmenter l'une des bases de la contribution personnelle ; or dans les communes de 25,000 à 50,000 habitants, par exemple, on ne paye par porte ou fenêtre que 80 cents, tandis que dans celles de 50,000 habitants et au-delà cet impôt s'élève à 1 florin 10 cents.

En ce qui concerne le droit de patente, la classification des communes est restée la même depuis 1819.

La loi du 29 décembre 1831 donne aux contribuables soumis à l'impôt personnel la faculté d'établir leur cotisation, en ce qui concerne les quatre premières bases de l'impôt, conformément à celle qui a été admise ou fixée en 1831, à moins qu'il n'ait été fait à leurs bâtiments d'habitation des changements notables qui en auraient augmenté la valeur.

Enfin aux termes de la loi du 28 mars 1828, sont exempts de la contribution foncière, pendant 8 ans, les bâtiments construits sur des terrains où il n'y en avait pas ; pendant 5 ans les bâtiments reconstruis sur le même terrain, et pendant 3 ans, les bâtiments reconstruits partiellement.

Vous comprenez, messieurs, que si depuis 1830, les lois sur l'impôt personnel et la contribution foncière avaient été appliquées, sans les restrictions que je viens de signaler, dans les villes où les loyers ont tant haussé, et dans lesquelles on a fait un si grand nombre de nouvelles constructions, les contributions réunies se seraient élevées à une somme bien plus forte que celle qui est indiquée par le gouvernement, et par conséquent, le tantième pour cent de ces contributions attribué aux villes à octroi, serait moindre et se rapprocherait davantage de celui qui est alloué aux communes rurales.

En résumé, messieurs, je crois qu'après avoir examiné sous toutes ses faces la mesure qui vous est proposée, vous ferez chose bonne, utile et avantageuse à tout le pays en la votant.

Plus d'entraves intérieures à l'industrie, à l'agriculture et au commerce.

Plus de protection illégale dont jouissent certaines industries de villes à octroi. Plus de rivalité entre les villes et les communes rurales.

Economie entière des frais considérables de perception des octrois.

Telles seront, messieurs, les conséquences si importantes du vote que vous allez émettre.

C'est une œuvre vraiment patriotique que je vous convie instamment de réaliser et j'ai trop de confiance dans les sentiment qui vous animent pour douter que vous reculiez devant l'accomplissement de cette tâche.

M. Julliot. - Messieurs, j'avais demandé à parler sur le projet de loi ; mais n'ayant pas d'amendement à présenter et n'acceptant pas le projet sans modification, je me suis fait inscrire contre le projet.

C'est vous dire que je cherche une issue aussi favorable que la matière le comporte, en conservant la considération du pouvoir, nécessité sociale qui ne varie pas.

Car, en cherchant à déconsidérer le pouvoir, on brise ses ressorts, on l'empêche de faire le bien et de combattre le mal, on détruit le respect de l'autorité dans les masses, on sème de mauvais grains qu'on récoltera plus tard, et si notre statistique est vraie, le sens moral du peuple est assez entamé pour que nous ne hâtions pas sa destruction.

Qu'une opinion politique en renverse une autre quand elle a le pouvoir de la remplacer, c'est son droit et son devoir ; en dehors de cela, je suis d'avis qu'il faut faire les affaires du pays et s'entendre sur ses vrais intérêts.

Voilà, me semble-t-il, le rôle d'un conservateur dans le bon sens du mot, et c'est le mien. En dehors de cette enceinte, les plus exaltés politiques me diront peut-être que je suis un niais politique, et je m'y attends, je ne m'en fâcherais pas ; car leur état fébrile les rend malades et cette situation commande l'indulgence.

Cet exorde me dispense de déclarer que je ne suis animé que de l'esprit de justice et de conciliation entre tous les intérêts engagés.

L'abolition des octrois est une de ces questions qui, alors qu'elles sont posées, doivent recevoir leur solution et j'y aiderai de bon cœur. J'en veux donc l’abolition. Mais je ne suis pas de ceux qui, après avoir tour à tour vanté et décrié l'octroi, n'osent plus en prononcer le nom, parce qu'il est en défaveur, non. Je dis qu'on a trop calomnié l'octroi ; l'octroi en soi, perçu avec modération, en exemptant les objets de toute première nécessité, tel qu'il se perçoit à Tongres, par exemple, n'est pas une abomination ni une exécration C'est l'orgueil des édiles, les imprévoyants, les partisans des gros budgets qui ont fait le mal ; ce n'est pas l'usage, c'est l'abus de l'octroi qui a provoqué la haine dont on l'accable.

La ville de Tongres a fait son adresse avant d'avoir, comme beaucoup d'autres villes, pu étudier la loi ; c'était un hommage rendu à la courageuse initiative du gouvernement, cela n'avait pas d'autre signification, Aujourd’hui elle y voit de plus près ; la prévoyance dans son administration sera mal récompensée, les prix seront distribués aux prodigues et aux casse-cous, même à ceux qui perçoivent l'octroi sur le commerce du beurre, du grain et du bois, ce qui ne devrait pas être toléré. J'en connais plus d'un dans le pays qui s'est laissé envelopper par ce tourbillon populaire de l'abolition de l'octroi qui ne savait que la moitié de ce qu'il voulait et qui est presque honteux de son lyrisme.

Voyons comment ce projet est né.

L'exposé des motifs du projet de loi en discussion commence par ces mots :

« Depuis un grand nombre d'années, les manifestations persistantes prouvent que le pays supporte impatiemment les octrois communaux. »

Et un peu plus loin il formule en conclusion :

« Les raisons d'intérêt public exigent impérieusement l'abolition immédiate des octrois. »

Voici l'analyse de ce thème.

Rien n'est parfait dans ce monde et les institutions les plus libérales ont les défauts de leurs qualités.

Dans un pays de grande liberté où le peuple prend une large part directe ou indirecte aux affaires publiques, parce que la presse à bon marché s'adresse aux masses. Il est parfois utile de gouverner avec l'opinion publique quand même elle ne s'appuie pas sur les vrais principes, parce qu'il vaut mieux que le pouvoir dirige le courant que de se roidir et d'attendre le moment où ce courant ne se laisse plus diriger.

Dans le cas qui nous occupe l'opinion publique n'a dirigé son courant que contre la moitié de la question, c'est-à dire qu'elle veut la suppression de l'octroi en abandonnant le reste au gouvernement et aux Chambres, et c'est là que la difficulté commence. Il y a quelque chose de faux dans cette position, c'est-à-dire que ceux qui démolissent moralement les octrois ne sont pas ceux qui ont la responsabilité de remplacer les ruines par quelque chose de mieux.

J'estime trop la qualité d'une volonté ferme et décidée chez un homme d'Etat, pour que je ne tienne pas largement compte à M. le ministre des financés des efforts qu'il a faits pour aboutir.

Je me souviens que, dans le temps, je me suis enfermé longtemps avec cette question et que j'en suis sorti sans solution satisfaisante, parce que, les villes étant trop obérées, je ne pouvais leur appliquer le principe naturel de la liberté et de la responsabilité de la commune en ce qui concerne ses finances.

Ce fait est de nature à modérer mes exigences.

Ce principe n'étant pas applicable, nous nous trouvons forcément devant une question de fait où les principes sont rares.

On nous montre bien la base des trois impôts, mais on ne l’applique à personne ; la base est là pour mémoire, sauf à être appliquée plus tard s’il y a lieu. Selon moi il faut améliorer cette partie de la loi et avec de la bonne volonté, l’amendement présenté par M. Tack peut aider à nous y conduire. Messieurs, je ne désapprouve pas qu’on gouverne avec l’opinion publique, c’est peut-être le meilleur moyen de na pas chavirer, et M. le ministre a fait acte de grand courage en abordant ces difficultés ; mais l’honorable ministre ne peut ignorer qu’à l’exception de quelques grandes villes qui à tort ou à raison croient avoir le gros lot, l’opinion s’est refroidie en présence des situations disproportionnées faites à un si grand nombre de communes. La réaction a été trop forte, je le sais, mais si on a consulté l’opinion publique alors qu’elle ne sait que la moitié de ce qu’elle voulait, il est logique de la consulter encore, quand par les chiffres elle sait ce qu’elle veut, et peut démêler le juste de l’injuste.

Tous nous devons être du même parti, de celui de la justice, que chacun de nous fasse abnégation de son amour-propre et de ses petites passions, et on parviendra à s'entendre.

J'admets que la campagne peut aider les villes dans une certaine mesure pour les tirer d'affaire, pourvu que cela n'aille pas trop loin. La part du gouvernement sera assez belle pour lui permettre de faire les concessions que l'opinion publique réclame, et, de mon côté, en bon citoyen, en ami de mon pays, je crois que nous devons tendre la main au pouvoir pour prévenir une division fâcheuse et inopportune dans le pays, qui tournerait contre tous, soyez-en sûrs.

Il faut à cette loi, pour lui donner la consécration morale, une grande majorité dans le vote.

Cet appel n'est ni libéral ni clérical, mais il est national et résume ma politique de prédilection.

Cherchons donc ensemble les éléments qui rapprochent le plus la loi de la justice distributive entre tous les intérêts.

(page 1499) Je me demande si, alors qu'on doit doubler l'impôt sur la bière, on peut renoncer bénévolement à un million d'impôt sur le charbon qu'on perçoit et dont personne ne se plaint.

Je me demande si, alors qu'un tiers du pays supportait cet impôt sans murmurer, le pays entier ne supporterait pas plus facilement le double de cet impôt.

Le charbon, c'est l'histoire de : Ne touchez pas à la reine. Il ne paye presque rien en redevance de mines, il est protégé à la frontière.

Il a coûté au pays les concessions que nous avons faites à la France en échange de son entrée privilégiée, car rien ne s'obtient pour rien.

Maintenant nous l'exonérons de l'octroi.

Tout cela réuni me semble trop fort, il y a abus. La superficie du sol paye 10 p. c. sur le revenu brut, le sous-sol qui aussi est immeuble, ne payera rien, même sur les bénéfices nets ; puis une quantité d'autres valeurs industrielles qui ne donnent rien pour leur protection.

Le sucre, quoi qu'on en dise, est denrée de luxe et peut mieux supporter une aggravation d'impôt que la bière ; qu'on lui demande 1,500,000 francs avec une légère distance entre les deux sucres, et il n'aura pas droit de se plaindre ; qu'on fasse une économie sur les subsides de toute nature, car ou ne peut prétendre à recevoir deux fois. Mais qu'on ne dise pas : Les villes fournissent au fonds communal 55 p. c, et recevront 75 p. c, les campagnes donnent 45 p. c. et recevront 25 p. c. en attendant le Messie. Non. il faut rapprocher ces chiffres en élevant celui des campagnes dès à présent.

Cette comptabilité qu'on a établie hier, où on porte à l'actif de la campagne les trois millions qu'elle ne payera plus alors qu'on ne touche pas cette corde en ce qui concerne les villes, je ne l'accepte pas d'une manière absolue.

Que M. le ministre des finances interroge tous les éléments produits dans cette discussion, qu'il essaye de réduire quelque peu l'impôt bière ; qu'il tache de s'entendre avec l'industrie du sucre en lui demandant un concours plus efficace ; qu'il hâte le moment où toutes les communes seront ostensiblement égales devant la loi, dût-il demander quelques pour cent de plus à l’un ou l'autre revenu et qu'il demande aussi une part au charbon, moins respectable que la bière, car plusieurs de nos contrées s'en passent.

Que M. le ministre évite avec bon vouloir (erratum, page 1509) d'enserrer les députés, sans distinction de banc, entre la question politique et économique, il couronnera son œuvre par un acte de haute loyauté patriotique et nationale ; je n'attends pas moins de l'honorable M. Frère ; je m'adresse à son initiative dans l'espoir qu'il ne me fera pas regretter la position que j'ai prise dans cette question Car le terrain que je désigne est honorable pour tout le monde.

Messieurs, je crois avoir rempli mon devoir. Si le résultat à obtenir laisse des regrets plus tard, j’aurai la conscience tranquille, car l'esprit de conciliation n'aura pas fait défaut de mon côté.

Je suivrai donc la marche de la discussion et la position que prendra le gouvernement pour l'émission de mes votes.

J'engage ceux, qui comme moi, ne voient dans le projet qu'un problème économique à résoudre, à adopter le point de vue que j’ai choisi et je pense qu'ils ne m'en feront pas de reproche plus tard.

M. Vermeire. - J'avais demandé hier la parole lorsque l'honorable ministre des finances déclarait qu'il ne pouvait admettre les chiffres que j'avais posés dans mon premier discours. Je crois devoir revenir sur cette question, et renouveler les motifs pour lesquels j'en avais agi ainsi.

Je n'ai pas pris, dans la comparaison que j'ai faite entre deux communes de mon arrondissement, en ce qui concerne tout particulièrement la bière, la quantité de bière déclarée par les brasseurs de ces deux communes ; j'ai étendu le cercle de mes opérations et je me suis dit : Opérons sur tout l'arrondissement, divisons la consommation par le nombre d'habitants que comprennent ces vingt-cinq communes. De cette manière nous approcherons de la vérité ; les importations devant en ce cas être compensées par les exportations.

Je n'ai pas non plus indiqué la quantité de bière qui est consommée dans l'arrondissement, j'ai pris pour base la quantité d'hectolitres de cuve-matière qui a été déclarée, et je suis parvenu à trouver une moyenne de consommation pour l'arrondissement de Termonde, moyenne qui ne peut s'écarter beaucoup de la réalité.

Le projet renferme un tableau dans lequel le gouvernement indique la consommation moyenne des objets que le projet de loi atteint. J'ai reconnu qu'en ce qui concerne les vins, les eaux-de-vie importés de l'étranger, le genièvre consommé dans le pays, l'arrondissement de Termonde ne consommait pas la quantité indiquée par ce tableau.

J'ai réduit la moyenne pour les 25 communes de l'arrondissement à la moitié de la consommation moyenne du pays.

J'ai calculé dans ces proportions modérées pour les deux communes que j'ai comparées entre elles, et je maintiens mes assertions comme étant aussi justes que possibles au moins jusqu'à ce que par des faits positifs, on ne le sait point infirmés.

Quelle est la conclusion que j'en ai tirée ? La voici : Que la commune la plus populeuse, celle qui compte 2,000 habitants de plus que l'autre, qui apporte une part plus considérable dans le fonds, recevra moins que celle qui se trouve dans des conditions opposées, et j'en ai conclu que le projet de loi reposait sur cette formule de l'arithmétique que : Plus donne moins et moins donne plus.

Je n'ai pas entendu tirer des faits que j'avais avancés d'autres conclusions que celle que je viens d'énoncer. J'ajoute que celle-ci n'a été rencontrée ni démentie par l'honorable ministre des finances.

Aussi longtemps donc qu'on n'aura point démontré que je suis dans l'erreur, je maintiens mon raisonnement et les chiffres sur lesquels il est basé.

M. De Fré. - Messieurs, je viens demander à la Chambre la permission de présenter quelques considérations sur le projet en discussion.

Le projet de loi a un double but.

Le premier but de la loi, c'est la libre circulation des produits. Jusqu'à présent la pensée seule circulait librement. Désormais le produit du travail pourra librement circuler à son tour. C'est le complément, le couronnement de la liberté. Car la liberté n'a pas seulement une manifestation morale, elle a aussi une manifestation matérielle. Le second but de la loi, c'est de venir en aide au peuple. Sous l'empire de la loi, le peuple, c'est-à-dire ceux qui vivent du travail de leurs mains et n'ont pas toujours leur lendemain assuré, le peuple sera plus heureux qu'il ne l'est sous l'existence de l'octroi. C'est là ce qui me guide et m'inspire.

Nous ne sommes pas ici les avocats de quelques classes de la société, les défenseurs des intérêts privés ; nous sommes les représentants de la nation, nous sommes, comme l'a très bien dit l'honorable M. de Naeyer, les représentants de la démocratie.

Il y a, messieurs, des réclamations contre cette loi ; et je serais bien étonné qu'il n'y en eût pas. Jamais, dans le monde, réforme ne s'est produite sans provoquer des réclamations. Ce sont les broussailles du chemin. Quand on s'y arrête, on n'avance pas.

Lorsqu'on a inventé l'imprimerie, des copistes ont réclamé ; ils ont protesté, comme aujourd'hui les fabricants de sucre protestent.

Lorsque en 1834 on a doté la Belgique de la création des chemins de fer, tous les marchands de chevaux ont réclamé. Il y avait à cette époque, vous devez vous le rappeler, ces gravures aux vitrines où les chevaux étaient représentés allant de porte en porte mendier de quoi vivre.

Quand la lumière vivifiante du gaz est arrivée, la lumière à l'huile a protesté. C'est l'éternelle lutte de la lune contre le soleil. Nous sommes pour le soleil, nous sommes pour la lumière.

Quand je vois de grands pays, de grands empires reculer devant une réforme que la Belgique accomplit au milieu des préoccupations de la politique étrangère, j'applaudis de tout cœur, parce que la Belgique affirme ainsi sa vie propre. Elle pose un acte de virilité nationale. Lorsqu’un peuple sr l’indépendance duquel on glose, sur l’indépendance duquel on fait mille projets continue au milieu de la paix publique, sans bravade et sans ostentation, sa marche vers le progrès, ce peuple déclare qu’il ne veut pas mourir. Oui, ce pays vivra parce qu’il aime le progrès et qu’il est digne de la liberté.

Je regrette, messieurs, que sur cette question, dont la solution doit faire rayonner la Belgique à l'étranger et accroître l'estime dont elle jouit en Europe, il n'y ait pas plus d'unité. Je regrette qu'en présence des sombres éventualités de l'avenir, on cherche à diviser le pays, en ameutant les campagnes contre les villes. On divise la Chambra en défenseurs des villes et en défenseurs des campagnes.

En 1848, lorsque l'avenir aussi était sombre, vous étiez inspirés par de meilleurs sentiments ; alors vous compreniez que l'unité est la base la plus solide de la nationalité d'un peuple. Vous l'avez oublié.

Je demande s'il est prudent, s'il est patriotique, dans les circonstances où l'Europe se trouve, de dénoncer ceux qui dirigent les affaires, comme n'étant pas dignes de la confiance des campagnes ; je demande s'il est patriotique de venir les dénoncer comme trahissant l'intérêt des campagnes. Mais la solidarité entre les villes et les campagnes est écrite et dans les lois et dans l'histoire. Jamais un gouvernement n'a méconnu cette grande pensée de la solidarité. Et, vraiment, je suis étonné de trouver dans la droite tant de défenseurs des campagnes.

Je me rappelle qu'en 1841, lorsque le premier crédit pour les chemins vicinaux vous a été proposé, ceux qui ont combattu ce crédit étaient des membres de la droite ; et c’est dans la gauche que le crédit a trouvé des défenseurs. Ceux qui ont voté ce crédit sont précisément ceux qui sont aujourd'hui dénoncés comme étant les ennemis des campagnes.

Le projet de loi sur le crédit foncier avait pour but devenir aux secours du petit campagnard, pliant sous la charge des dettes hypothécaires en lui permettant de dégrever son champ, au moyen de remboursements partiels. Eh bien, qui donc est venu combattre ce projet et qui l'a défendu ? qui a combattu et qui a défendu tous les crédits proposés et votés pour l'agriculture, pour les expositions agricoles, pour les écoles d'agriculture ?

C'est dans la gauche que toutes ces mesures ont trouvé des défenseurs ; c'est dans la droite qu'elles ont rencontré des adversaires. Venez donc encore nous dire que nous sommes les ennemis des campagnes !

(page 1500) Les villes hostiles aux campagnes ! Mais les villes ont affranchi les campagnes. Lorsque celles-ci pliaient sous l'oppression des seigneurs féodaux, les villes les secouraient. Lorsque fuyant cette oppression les campagnards venaient frapper à la porte des villes pour jouir des franchises que les villes avaient conquises, les villes les recevaient dans leur sein.

C'est dans les villes que toujours la liberté a pu se concentrer, organiser ses forces contre le despotisme, pour préparer aux générations futures le règne de la justice et de la paix.

Vous venez, vous, représentants des campagnes affranchies par les efforts des villes, lancer l'anathème aux villes ; c'est méconnaître l'histoire, c'est à l'égard des villes un acte de profonde injustice, un acte d'ingratitude et dans les circonstances actuelles c'est un acte qui n'est pas patriotique ; car il divise le pays. C'est par la division que les partis et les nationalités se perdent.

Messieurs, je me suis placé à ce point de vue élevé, patriotique pour vous faire comprendre que l'adoption de la loi dans les circonstances où nous nous trouvons, est une victoire morale gagnée contre tous ceux qui menacent la Belgique, et dont les productions littéraires cherchent à la déconsidérer.

Mais l'unité ne suffit pas, il faut encore du dévouement, il ne faut pas compliquer les questions d'intérêt général de questions de privilège, d'intérêt particulier ; il faut plus de dévouement, plus d'abnégation qu'on n’en a montré à l'occasion de cette loi ; il faut qu'au-dessus de sa fortune personnelle on mette la défense de la fortune commune de tous, la patrie, son rayonnement et son indépendance. C'est ce qu'on a trop oublié ; je n'attaque personne ici ; mais en dehors de cette enceinte, on a employé, au profit de certains intérêts, des arguments que mon patriotisme flétrit, parce qu'ils sont la ruine de ce qui fait notre force, c'est-à-dire de la vie morale ; c'est de la discussion au détriment de notre honneur national, le regard jeté vers l'étranger parce qu'on craint de voir diminuer de gros bénéfices.

Il faut être sévère, il faut être impitoyable envers ceux qui ont de pareilles défaillances. C'est une contagion qu'il faut arrêter ; si cet exemple était suivi, si tous ceux qui, craignant par une réforme salutaire de perdre quelque argent, allaient produire de pareilles menaces !., mais le pays a protesté. Le pays est honnête.

Mais revenons au projet de loi. Je demanderai d'abord si la suppression des octrois n'est pas une chose d'utilité publique, une chose d'utilité générale. Dès lors, comment se fait-il que les campagnes viennent dire qu'elles ne doivent intervenir pour leur part dans la caisse que pour 45 p. c, par exemple, tandis que les villes doivent intervenir pour 55 p. c ? Chaque citoyen intervient, par le payement des impôts, aux dépenses d'utilité publique. Il n'est pas nécessaire qu'il profite directement de l'argent dépensé.

Messieurs, nous avons voté l'année dernière un projet de loi de travaux publics. La plupart des articles de ce projet concernent des constructions qui ne se trouvent pas à la campagne, par exemple le palais de justice de Bruxelles. Mais les campagnes viendront dire : Je n'interviens pas pour le palais de justice ; c'est un monument qui doit embellir la ville de Bruxelles, je n'en profite pas.

Il s'agit d'un canal pour les Flandres, est-ce que le Luxembourg va nous dire : Je n'intervins pas dans la construction de ce canal.

Je demande où vous allez avec un pareil système ? Les campagnes, messieurs, on l'a déjà dit, profitent énormément de l'abolition des octrois, et ce qui est incontestable, c'est que vous allez voir s'établir à la campagne un grand nombre de fabriques ; de sorte qu'à la campagne même il va se faire une plus grande consommation, parce que vous y aurez une population plus nombreuse qu'aujourd'hui.

Aujourd'hui, les fabricants doivent rester en ville, parce que quand ils rentrent en ville avec des produits fabriqués à la campagne, il faut payer l'octroi à la porte. Désormais les fabricants iront s'établir à la campagne et s'établir dans des conditions meilleures, parce que les loyers n'y seront pas aussi chers et que l’on pourra avoir les ouvriers campagnards à des prix plus bas.

Mais voici ce qui va arriver immédiatement, la loi votée.

Je prends une commune aux environs de Bruxelles, la commune d'Uccle par exemple, commune sans octroi ; je vois sur le tableau qui a été distribué par l’honorable ministre des finances, que la commune d'Uccle doit recevoir dans la répartition du fonds communal 7,000 fr. Or, la cotisation personnelle s'y élève à 12,000 fr. Chaque habitant va donc avoir remise des sept douzièmes de sa cotisation personnelle ; il va trouver dans l'argent qu'il reçoit du fonds communal, une indemnité pour l'élévation des impôts nouveaux.

Il y a dans cette localité, par exemple, des fabricants de chaises, de meubles, de tonneaux. Lorsqu'ils arrivent aux portes de la ville avec leurs produits, ils sont obligés de payer un octroi et de le payer fort cher, ils ne le payeront plus. Il en est de même de leurs denrées agricoles.

D'un autre côté, lorsqu'il s'agit de venir acheter de la chaux en ville, de venir y acheter des ardoises, de venir y acheter du bois, l'homme de la campagne rembourse au marchand de la ville, l'octroi que celui-ci a payé à la ville. Il ne le payera plus.

Voilà dans quelle position se trouve le campagnard vis-à-vis de la loi nouvelle.

La loi dégrève la viande, dégrève les farines, dégrève le bois, dégrève les œufs, dégrève la houille. Le café, boisson de l'ouvrier, n'est pas augmenté, et, malgré les droits nouveaux, le consommateur payera la bière le même prix.

Il est généralement reconnu que la bière ne coûtera pas un centime de plus. (Interruption.) Il est généralement reconnu par les brasseurs eux-mêmes que dans les cabarets, le peuple ne payera pas la bière un centime de plus. J'ai leurs déclarations.

En 1846, lorsque le grain était à des prix exagérés et que le brasseur perdait beaucoup plus qu'il ne perdra sous l'empire de la loi nouvelle, on n'a jamais songé à augmenter la bière. On se rappelle très bien que la tentative en a été faite à Bruxelles, mais l'augmentation n'a pas eu lieu ; on ne l'a pas fait et en ne l'a fait nulle part dans le pays.

Maintenant, il est certain que ceux qui brassent la bière payeront à l'Etat un droit plus élevé. Mais ils se le feront rembourser par les cabaretiers, J'ai, à cet égard, des renseignements positifs. C'est le cabaretier qui payera la surtaxe, le droit nouveau.

Je prie la Chambre de faire attention à ceci. Voici ce qui arrivera, il y aura quelques petits cabaretiers qui ne font pas de bonnes affaires, qui seront obligés de cesser leur industrie. Je m'explique à cet égard. Il y a, dans les campagnes un grand nombre d'individus qui. souvent par paresse, ne sachant pas quelle industrie prendre, louent une petite maison et se font cabaretier.

Il y a dans telle campagne que je connais plus de 100 cabarets sur une population de 7,000 habitants. Eh bien, messieurs, savez-vous ce qui arrive t Quand l'ouvrier sort les portes de Bruxelles, le samedi avec sa solde, ce grand nombre de cabarets qu'il rencontre est une provocation à l'ivrognerie. La santé et la moralité de l'ouvrier gagneront à la suppression de quelques cabarets. Lorsqu'on a augmenté la patente pour les débitants de genièvre, le nombre en a diminué. Ceux qui ont continué le commerce vendant d'avantage, n'ont rien perdu à l'élévation du droit.

Les cabarets restants vendront plus de bière qu'auparavant et rembourseront sans perte aux brasseurs l'impôt nouveau.

- Un membre. - Et les autres ?

M. De Fré. - Les autres se tourneront vers une industrie utile.

Est-ce que pour le bien-être de l'ouvrier, il n'est pas préférable qu'il rentre chez lui le samedi avec la presque totalité de sa solde ? Qui oserait nier que le grand nombre de cabarets est très souvent l'unique cause des querelles et des rixes dont la prison est la suite ? Ce n'est encore qu'un demi-mal quand l'ouvrier n'est pas le soutien d'une nombreuse famille.

Il y a de ces petits cabarets, où pendant la semaine, quand l'ouvrier n'a plus d'argent, trouve facilement accès et à la fin de la semaine et paye capital et intérêts.

Il y a telle commune où il y a 100 cabarets lorsque 50 suffiraient largement.

Eh bien, messieurs, les objets en consommation seront dégrevés ; les droits sur le café, boisson du peuple, ne sont pas augmentés ; le sucre sera vendu à meilleur compte, cela est reconnu dans la protestation des fabricants ; ils l'ont affirmé et nous avions dans notre section un raffineur qui a déclaré qu'il en serait ainsi.

Le consommateur gagnera donc à la loi, l'ouvrier ne payera pas la bière plus cher qu'auparavant.

Maintenant, messieurs, voyez la position de l'ouvrier. La circulation des produits favorise la production et l'ouvrier trouvant partout un travail plus abondant, pourra suffire beaucoup mieux à ses besoins et à ceux de sa famille. Il est donc évident que si par le projet de loi quelques intérêts privés peuvent souffrir, il sera pour la masse, pour la grande misse des citoyens un énorme bienfait C'est à ce point de vue que le législateur doit se placer. On ne fait pas de grandes réformes sans léser quelques intérêts ; mais, à la longue la lésion ne se fait plus sentir.

Ainsi donc, pour les campagnes il y aura un premier résultat : la cotisation de chaque campagnard sera diminuée il y aura dans les campagnes beaucoup plus de travaux ; il pourra s'y établir des industries qui n'y existent pas aujourd'hui ; telles qui s'y trouvent déjà établies se développeront.

Tous ceux qui construisent à la campagne et qui sont obligés de venir en ville prendre leurs matériaux ne payeront plus aux villes le droit d'octroi.

Vous voyez donc qu'en examinant la loi à ce point de vue, le peuple comme travailleur et le peuple comme consommateur, y trouvera un double avantage.

Je regrette qu'on n'aille pas le dire aux campagnes, je regrette qu'au lieu de dire aux campagnes qu'elles vont être ruinées, qu'elles vont être spoliées au profit des villes, on ne leur dise pas que la loi qui va être faite sera entièrement à leur profit parce que ce sont les produits des campagnes qui sont vendus dans les villes.

C'est pour les villes que les campagnes travaillent et plus on pourra entrer librement dans les centres de population, plus les produits auront de débouchés et plus il y aura de l'excitation au travail.

Messieurs, je crois que si ce projet de loi était voté par tout le monde, il n'en vaudrait que mieux pour le pays.

(page 1501) Il serait prouvé, que, tous en Belgique, nous voulons maintenir le pays par le progrès. Il y a ceci à considérer, c'est que la Belgique doit marcher dans le progrès, elle s'est choisi cet idéal de gloire et il faut qu'elle y marche résolument, courageusement à travers tous les obstacles.

Lorsqu'un peuple sert le progrès et garde chez lui le foyer de la liberté, lorsque au profit du progrès, il met du dévouement, de l'abnégation, de l'héroïsme, ce peuple est éternel, et s'il vient à disparaître un jour l'éclat de ses œuvres sert encore de flambeau aux générations futures.

Ainsi fut la Grèce. Elle a pratiqué toujours le culte de l’honneur et de la gloire. Un jour, elle fut ravagée et détruite. Que sont devenues les armées de Philippe et l'empire d'Alexandre ? De la poussière et de la fumée, tandis le libre génie d'Athènes est comme une mamelle féconde qui nourrit encore le genre humain.

Voilà votre perspective de gloire. Il faut marcher vers ce but, mais en restant unis et en mettant au service de la patrie, non pas le culte des intérêts privés, mais celui des grands intérêts moraux, le culte de la vie morale.

C'est parce que le projet de loi constitue un progrès, que je le vote et que j'engage tous mes honorables collègues à s'associer à cet acte de patriotisme.

M. de Theux. - Messieurs, répondant, aux griefs articulés contre la loi, dans l'intérêt des campagnes dont la lésion a été démontrée dans plusieurs discours éloquents, M. le ministre des finances a cherché à établir, dans la séance d'hier, que les villes étaient lésées dans leur part contributive aux impôts généraux de l'Etat ; et qu'elles le seraient encore par l'adoption du projet de loi sur l'abolition des octrois.

Voilà deux thèses diamétralement opposées.

Messieurs, je n'hésite pas à dire que les conclusions de M. le ministre des finances me paraissent tellement exagérées, qu'il en résulte pour moi la preuve de leur peu de fondement.

D'après M. le ministre des finances, les campagnes profiteraient encore presque exclusivement des subsides alloués dans le budget de l'intérieur à l'exclusion des villes.

Messieurs, pour justifier le premier point, à savoir le contingent excessif des villes dans les impôts généraux de l'Etat, M. le ministre des finances a rappelé la loi-principe de 1821, qui avait établi deux grands impôts dé consommation, l'impôt sur la mouture et l'impôt sur l'abattage. L'honorable ministre croit que ces deux impôts grevaient particulièrement les campagnes, et que ce sont les campagnes qui ont surtout profité de l'abolition de ces deux impôts.

Messieurs, c'est là une erreur fondamentale. J'ai relu aujourd'hui même la loi sur la mouture qui a été l'une des causes principales de la chute du gouvernement des Pays-Bas.

Eh bien, dans quelle proportion la consommation des céréales était-elle frappée ? Le froment était frappé d'un florin 40 cents, et le seigle de 40 cents. Or, qui ignore que c'est surtout dans les villes que le pain de froment est consommé ? La loi allait si loin, qu'elle frappait de la même taxe, même le pain de froment mélangé d'épeautre et de seigle.

On sait, en outre, que les villes n'avaient aucun moyen de fraude pour se soustraire à l'impôt de mouture ou à celui d'abattage.

Personne n'ignore que les villes consomment beaucoup plus de pain et beaucoup plus de viande que les campagnes, parce qu'à la campagne la pomme de terre est la base principale de la nourriture de l'habitant. D'un autre côté, les campagnards consomment une quantité de légumes et de laitage beaucoup plus grande que les habitants des villes.

On voit donc clairement que c'étaient les villes surtout qui étaient frappées par ces deux impôts.

L'impôt-mouture avait, il est vrai, occasionné plus de trouble et d'agitation dans les campagnes, parce qu'à la campagne on cherchait à se soustraire à l'impôt par la fraude, et que les luttes entre l'habitant des campagnes et les agents du fisc avaient amené une situation extrêmement désastreuse au point de vue de l'ordre public.

Dans les villes, les impôts étaient acceptés paisiblement, parce que la force commandait l'obéissance et qu'il n'y avait nul moyen de s'y soustraire.

Messieurs, pour moi, je considère les choses à un point de vue différent. Je ne dis pas que les lois soient en général faites dans l'intérêt des villes et au détriment des campagnes ; mais je dis qu'il est constant pour tout observateur que les villes et surtout les grandes villes prospèrent dans une proportion plus grande que les campagnes.

Les grandes villes sont le siège de toutes les fortunes. Elles attirent le capital, par conséquent aussi le travail et la population. C'est là qu'est établi le siège du gouvernement, de tous les pouvoirs, de toutes les administrations, de toutes les influences littéraires. Par la force des choses, dans l'état social actuel, tous les genres d'influence se concentrent dans les villes, soit grâce à l'organisation même du pays, soit par cette seule circonstance, que les villes sont nécessairement le siège des affaires, de l'instruction et des arts, comme elles sont encore le siège de tous les agréments de la vie.

Ainsi, quoi qu'on fasse, toutes les influences convergeront vers les villes. Les fortunes acquises à la campagne vont également se concentrer dans les villes.

Au point de vue de la représentation nationale, la prépondérance des villes sur les campagnes est évidente. A peine pourrait-on citer dans la représentation nationale un seul membre qui y soit le représentant exclusif des campagnes, tandis que les villes en comptent un grand nombre.

Les campagnes sont heureuses de trouver un certain nombre de députés que je pourrais appeler mixtes, à raison de leurs doubles intérêts et de leur double habitation.

Voilà la situation vraie, et aucun raisonnement ne peut venir détruire ces faits.

Messieurs, comment les villes ont-elles accueilli le projet de loi sur l'abolition des octrois ? Avec grande faveur. Cela est évident. Les campagnes l'ont accueilli avec plus de défiance.

Les conseils communaux de certaines villes ont été même jusqu'à abdiquer, en quelque sorte, indirectement une grande partie de leurs pouvoirs, en renonçant au droit qu'elles ont aujourd'hui de délibérer exclusivement sur leur budget de recettes, prérogative excessivement ancienne et intimement liée au régime municipal.

Les campagnes, à la vérité, ont souvent exprimé le désir de voir abolir les octrois ; mais jamais elles n'ont imaginé qu'elles devraient payer cette abolition de leurs deniers comptants.

Voilà, messieurs, une distinction essentielle à faire entre les vœux exprimés par les conseils d'agriculture et par différents membres s'occupant plus particulièrement des intérêts agricoles, et les sentiments qui ont été exprimés dans la discussion du projet de loi.

M. le ministre des finances a parlé des subsides accordés par le gouvernement aux campagnes, en quelque sorte à l'exclusion des villes, et il vous a cité l'instruction primaire.

Messieurs, je répondrai à cet argument par une observation très simple : mettez dans la balance la part des villes dans l'instruction primaire, ajoutez-y les subsides accordés à l'instruction moyenne, les frais d'université, et vous trouverez que la part des villes dépasse de beaucoup celle des campagnes. (Interruption )

Ajoutez encore cette autre considération que les élèves des universités, et même une grande partie des élèves de l'enseignement moyen apportent dans les villes un contingent de dépenses très Considérable, tandis que les élèves des écoles primaires n'apportent rien aux communes. Vous voyez donc que cette question de subsides doit être envisagée d'une manière complètement différente de celle de M. le ministre des finances.

Ce n'est pas tout encore : les dépenses de l'armée se font généralement dans les villes, car c'est là que les troupes tiennent garnison, et les campagnes n'en profitent que très peu.

Je passe, messieurs à l'examen du projet de loi en lui-même ; et, malgré ce que l'honorable préopinant vient de dire du patriotisme, qui aurait consisté, paraît-il, à garder le silence sur la loi et à la voter d'enthousiasme, j'envisage la question à un point de vue différent et je crois faire infiniment mieux preuve de patriotisme en recherchant si le projet de loi est conforme au droit et à la justice. ; car les illusions ne sont jamais de longue durée et un silence coupable ne produit ni la confiance ni la sécurité.

Je dis, messieurs, que le projet de loi est injuste quant à la formation du fonds communal ; je dis qu'il est injuste quant aux bases de répartition ; mais cette double injustice pourrait être facilement corrigée si l'on faisait entrer comme quatrième base la population, du moins dans une certaine proportion. Vous voyez, messieurs, que je présente le remède après avoir indiqué le mal.

Le projet, messieurs, est encore injuste en ce qu'il contient une disposition transitoire d'après laquelle les intérêts des communes à octroi sont satisfaits à priori, tandis que les communes sans octroi n'obtiendront cette satisfaction que dans un avenir incertain. J'ai toujours compris la qualification de transitoire, en ce sens que la mesure à laquelle elle s'appliquait ne devait avoir qu'une courte durée et que la suppression en était certaine, inévitable et même ordinairement pour une époque déterminée. Mais ici il n'en est nullement ainsi : ce transitoire peut durer éternellement.

Quant à moi, comme simple particulier, jamais je n'accepterais un arrangement dans de semblables conditions, et je doute qu'il se trouvât dans cette Chambre un seul membre disposé à y souscrire ; un particulier qui traiterait dans de semblables conditions serait considéré comme n'ayant guère l'intelligence de ses intérêts.

Pour moi, je pense que cette situation transitoire peut cesser en très peu de temps et voici le moyen que j'indique pour arriver à la faire cesser bientôt : accroître actuellement le fonds communal, c'est l'opinion qu'a déjà exprimée un honorable membre et qui a rencontré un certain accueil dans la section centrale. En second lieu, accroître annuellement le fonds communal d'une manière positive, en ce sens qu'on fixerait le chiffre de l'accroissement dans la loi. Si alors les recettes indiquées par M. le ministre des finances atteignent réellement le chiffre qu'il espère, l'accroissement se produira naturellement ; si au contraire, (page 1502) cet accroissement n’est pas le résultat naturel de l'impôt, du moins il sera assuré par la loi, et il sera prélevé sur les produits généraux de l'Etat.

On nous assure que la situation financière est assez prospère ; bien qu'on ait engagé un certain nombre de millions dans les fortifications d'Anvers et dans divers travaux publics, on nous assure que toutes ces dépenses pourront se faire sans déranger cette situation. Eh bien, pourquoi donc hésiter à garantir un accroissement de par la loi ? En agissant ainsi, du moins, on ne pourrait plus être accusé de ne donner que des illusions aux campagnes ; on leur prouverait, au contraire, une ferme volonté d'établir l'équilibre entre elles et les villes.

Il y a encore un autre moyen indiqué par l'amendement de l'honorable M. Pirmez, qui, n'accordant que 90 p. c. aux villes et réduisant ce chiffre d'année en année, a eu en vue de leur laisser le temps de créer des ressources pour combler le déficit ; il arrivait ainsi à établir en quelques années un équilibre parfait entre les villes et les campagnes, tandis que maintenant l'équilibre n'existe ni entre les villes et les campagnes, ni même entre les villes. Un autre moyen a été indiqué par l'honorable M. Tack. La discussion des articles et des amendements jettera des lumières sur l'un et l'autre système ; la Chambre aura à examiner auquel elle donnera la préférence.

Mais par la combinaison de ces trois moyens, vous ferez cesser le grief éloquemment articulé de l'injustice du projet, surtout si l'on fait entrer la population dans une certaine proportion dans les bases de la répartition.

J'ai dépouillé un des tableaux fournis par M. le ministre des finances et j'ai remarqué qu'un habitant des communes rurales de la province du Limbourg ne recevra que la moitié de ce que recevra un habitant des communes rurales du Brabant. Il y a là quelque chose qui choque l'intelligence.

Messieurs, nous vivons dans un pays avant tout de justice et d'égalité ; la Constitution a aboli tous les privilèges, toutes les distinctions d'ordre ; nous ne pouvons donc pas accorder des privilèges à la population représentée autrefois par l'ordre des villes non plus qu'à la population qui constituait l'ordre des campagnes. Une loi doit être bienveillante pour tous, protectrice de tous les intérêts. Je n'hésite pas à dire que les villes ont autant d'intérêt à voir prospérer les campagnes, que les campagnes à voir prospérer les villes ; mais il faut que de part et d'autre on ait la conviction que la justice n'est pas lésée, qu'il n'y a pas de grand intérêt froissé.

Hier l'honorable M. Coomans a appelé l'attention de la Chambre sur certains droits perçus dans la plupart des villes, droits d'abattage, de stationnement sur les marchés ; je ne parle pas des vidanges, c'est une marchandise qui appartient aux villes dent elles peuvent tirer parti si cela leur convient ; mais ce que je ne pourrais tolérer, ce serait qu'on rétablît indirectement les impositions sur les denrées venant de l'extérieur de la ville, par exemple sur le bétail forcément abattu dans l'établissement de la ville en faisant payer un droit supérieur aux dépenses auxquelles donne lieu l'abattage, en percevant pour les places dans les marchés, sur les céréales et les autres objets de consommation un droit plus élevé que les dépenses qu'entraîne la police des marchés.

Pour cela, je pense que si vous voulez éviter le retour indirect d'une certaine partie des taxes qui auront disparu sous la dénomination d'octroi, il faut que la loi contienne une disposition formelle qui défende d'augmenter les droits d'abattoir et de l'abonnement ou autres droits similaires. Si vous ne le faites pas, soyez certains que quand les villes seront grevées, elles viendront avec des sollicitations si pressantes, si puissantes que l'administration supérieure se laissera aller au bout de quelques années, et on aura créé une situation qui ne sera pas identique à celle qui existe, aujourd'hui, mais une violation partielle de la loi d’abolition des octrois.

Messieurs, l'on a demandé de décréter simultanément l'abolition des taxes personnelles. Quant à moi, je ne donnerai pas mon vote à cette proportion. En voici la raison :

Ce serait aggraver à l'égard des communes qui n'ont ni taxes ni octrois la position que le projet de loi leur fait. A ce point de vue je ne pourrais me rallier à cet amendement. Mais si la Chambre entrait dans l’ordre d'idées que j'ai exposé, en agrandissant le fonds communal, l'amenant à un chiffre qui permît d'établir l'égalité entre les communes, les taxes personnelles pourraient être supprimées par les communes qui trouveraient dans la part qui leur reviendrait des ressources suffisantes, pour les remplacer.

Je signalerai aussi les centimes additionnels aux contributions, dont on a fait usage plus largement dans certaines communes que dans d'autres ; il est vrai qu'on les a établis souvent en vue des routes ; mais bien que ce suit il l'origine de ces centimes, ils ont encore une autre destination.

Messieurs, je viens de prononcer le mot de chemins vicinaux ; ceci m'amène à répondre à une critique adressée à cette partie de la Chambre d'avoir refusé le premier crédit demandé pour les chemins vicinaux. Le fait est vrai, mais une simple explication suffit pour changer le caractère du vote, on a demandé l'ajournement sur ce qu'un projet de loi était présenté qui établissait les bases de la dépense des chemins vicinaux, et qu'il fallait attendre qu'il fût voté pour allouer des subsides.

Dans les mêmes conditions je ferai encore ce que j'ai fait alors. Quoique j'aie été l'auteur du projet de loi sur les chemins vicinaux, malgré cette preuve d'intérêt que j'aie donnée aux communes rurales, j'ai voté contre le subside qu'on voulait allouer prématurément, parce qu'on n'avait pas arrêté les bases de la répartition de ce subside.

On nous a reproché aussi d'avoir repoussé la loi du crédit foncier ; j'étais du nombre de ceux qui ont voté contre, je m'en félicite, parce que je suis convaincu que nette loi était défectueuse telle qu'elle était formulée ; on nous a reproché d'avoir critiqué les écoles d'agriculture, mais la meilleure critique, c'est le projet de loi que le ministère a présenté ; loin d'être hostile à l'enseignement agricole, j'avais formulé un projet de loi à peu près sur les mêmes bases que celui dont la Chambre est saisie.

A toutes ces critiques, au moyen desquelles on voudrait prouver que les intérêts agricoles trouvent constamment des adversaires dans nos rangs, ce qui serait par trop fort, je trouverai une autre conclusion : Ce qui résulte pour moi des observations de l'honorable préopinant, c'est que la critique de tout projet ministériel est interdit, sous peine de lésion des plus grands intérêts, de forfaiture d'un mandat plus spécial de défendre les intérêts agricoles. Je pense que de semblables observations n'ont pas besoin de réfutation.

J'en reviens à la loi, et je conclus en disant que je voterai le principe de l'abolition de l'octroi, mais que je voterai contre l'ensemble de la loi, si elle n'est pas considérablement amendée dans l'ordre d'idées que j'ai indiqué et que je crois complètement fondé sur la justice et sur I intérêt général du pays.

M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole dans la discussion générale ?

M. B. Dumortier. - M. le président, je désire dire quelques mots demain, si j'en suis capable ; je prie la Chambre de ne prononcer la clôture que demain.

- La discussion est continuée à demain à une heure.

La séance est levée à quatre heures et demie.