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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 29 mai 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 1403) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 24 mai.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur David Samuel, négociant à Arlon, né à Lixheim (Fiance), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Florkin, combattant de la révolution, demande la croix de Fer, avec jouissance de la pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les secrétaires communaux dans l'arrondissement de Gand demandent une loi qui fixe le minimum de leurs traitements et qui établisse une caisse de retraite en leur faveur. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale de Bcnde présentent des observations contre la demande qui a pour objet le transfert de la justice de paix du canton de Barvaux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Delabie, ancien garde du génie de première classe, demande la révision de sa pension. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Ernonheid prient la Chambre d'allouer au budget des travaux publics des fonds nécessaires à l'achèvement de la route de Huy à Stavelot. »

« Même demande d'habitants de Werbomont. »

- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.


« Des habitants d'une commune non dénommée prient la Chambre dè rejeter le projet de loi relatif aux octrois/

« Même demande d'habitants de Rumbeke. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le conseil communal de Tamise demande que dans la répartition du fonds à établir par le projet de loi relatif aux octrois, cette commune soit comprise à la fois parmi les communes à octroi et parmi celles sans octroi. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Les membres du conseil communal d'Esschen demandent que le projet de loi relatif aux octrois supprime l'impôt de capitation ou d'abonnement dans les communes rurales. »

« Même demande des membres du conseil communal de Hoogstaede, Niel St-Trond, Erembodegem, d'habitants de Niel St-Trond, Erembodegem. »

- Même décision.


« Des habitants de Pietrebais Chapelle Saint-Laurent présentent des observations sur le projet de loi relatif aux octrois. »

« Mêmes observations d'habitants de Genval, Court-St-Etienne, Glabais, Couture-St-Germain, Marensart, Ohain, Lasnes-Chapelle-Saint-Lambert, Biez. Perwez, Incourt, Roux-Miroir, Opprebais, Thorembais-les-Béguines, Thorembais-St-Trond, Orbais, Malèves, Wastines, Glimes, Mont-Saint-André, Liernu, Dhuy, Upigny, Orp-le-Grand, Tourinnes-St-Lambert, Jauche, Ceroux-Mousty, Mont-St-Guibert, Walhain-St-Paul-Sart-lez-Walhain, Aische en Refail, Wanfercée-Baulet, de brasseurs daus les cantons de Nivelles, Jodoigne, du conseil communal de Leuze, Grand-Metz. »

- Même décision.


« Des habitants d'Ottenbourg présentent des observations contre le projet de loi relatif aux octrois. »

« Mêmes observations d'habitants de Hoeleden, Capellen, Roosbeek. »

- Même décision.


« Le sieur Clermont adresse à la Chambre un travail développé sur le projet de loi relatif aux octrois. »

- Même décision.


« Les membres du conseil communal de Veldwezelt demandent la construction d'un chemin de fer de Tongres vers Bilsen. »

M. de Renesse. - La commune de Veldwezelt et quelques autres, dont les pétitions vont être analysées à la séance de ce jour, présentent des observations sur la construction d'un chemin de fer de Bilsen à Tongres.

J'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner le renvoi de ces pétitions à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Cartier adresse à la Chambre copie d'une pétition d'industriels et commerçants du quartier du nord de Liège au ministre des travaux publics, concernant le chemin de fer liégeois-limbourgeois. »

- Même renvoi.


« Des brasseurs et marchands de bières dans l'arrondissement de Bruxelles prient la Chambre de rejeter la disposition du projet de loi supprimant les octrois, qui est relative à l'augmentation du droit sur les bières. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Vanpeleghem, brasseur à Eerneghem, présente des observations sur la partie du projet de loi supprimant les octrois, qui est relative aux brasseries, et propose d'établir une distinction entre les brasseries ordinaires et les brasseries de campagne ou agricoles.

- Même décision.


« Le conseil communal de Contich demande que l'impôt de consommation dans les communes rurales soit supprimé par le projet de loi relatif aux octrois, ou du moins que les revenus de ces communes soient augmentés proportionnellement à ceux des villes. »

- Même décision.

« Il est fait hommage à la Chambre :

« 1° Par M. Vermeire, d'un exemplaire d'une brochure intitulée : La guerre des langues ou la Germanisation de la Belgique ;

« 2° Par la commission administrative de la caisse de prévoyance du Couchant de Mons, de quatre exemplaires du compte rendu de ses opérations pendant l'exercice 1859.

« 3° Par le sieur de Noël, de trois odes sur des hommes d'Etat de la Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Julliot, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi modifiant la pensions des gendarmes

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, pour satisfaire au vœu de la Chambre, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi qui modifie la pension des sous-officiers, brigadiers et soldats du corps de la gendarmerie.

- Ce projet sera imprimé et distribué.

M. Allard. - Je demande que ce projet de loi soit renvoyé à la section centrale qui a été chargée d'examiner le budget de la guerre. La Chambre se rappellera que c'est à la demande faite par cette section centrale que le projet de loi vient d’être soumis à nos délibérations. Je crois que de cette manière nous serons saisis plus promptement d'un rapport.

- La proposition de M. Allard est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi supprimant les octrois communaux

Discussion générale

M. le président. - Je demanderai si le gouvernement se rallie au projet de la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande que la discussion s'ouvre sur le projet du gouvernement.

M. le président. - La discussion s'ouvre donc sur le projet du gouvernement.

La parole est à M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il ne sera pas inutile, je pense que j'ouvre cette discussion. Peut-être les débats pourront-ils être ainsi abrégés ; peut-être pourrai-je répondre d'avance à certaines objections, faire disparaître des doutes, lever des scrupules, ou du moins réussirai-je à fortifier des convictions et à rendre ainsi plus solide l'appui que nous espérons trouver dans le sein de cette assemblée.

J'écarte tout d'abord du débat ce qui pourrait à bon droit être considéré comme surabondant, tout à fait oiseux ; je veux parler de la question de savoir s'il faut maintenir ou supprimer les octrois. J'imagine que sur cette question il n'y aura pas de division. L'institution des octrois, si elle a des amis au-dehors, n'en aura probablement pas dans cette enceinte ; je crois que personne ne se lèvera pour la défendre.

Tout le monde connaît les vices des octrois ; tout le monde les sent, tout le monde désire en être affranchi.

Les octrois sont chargés de malédictions séculaires ; et si, après avoir été supprimés un instant, ils ont reparu, s'ils ont été relevés par la puissance irrésistible de 1a nécessité, ils n'en ont pas moins a subir (page 1404) les mêmes imprécations. Il faut que les vices de cette institution soient bien profonds pour que les générations actuelles continuent encore à les apercevoir, à les sentir aussi vivement.

Car nous avons trouvé les octrois en naissant, nous avons vécu avec eux, nous avons subi quant à eux l'empire d'une habitude invétérée ; et cependant ils restent toujours réellement insupportables. Si je m'abstiens d'énumérer tous ces vices, je crois pourtant qu'il est utile de signaler à l'attention de la Chambre un de ceux dont les conséquences sont des plus graves. Les octrois portent atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie à l'intérieur.

Or, s'il est bon de chercher des débouchés pour notre commerce et notre industrie au-dehors, si l'on fait bien de ne rien négliger sous ce rapport, combien n'est-il pas plus important de chercher à établir la liberté du commerce à l'intérieur !

En effet, qu'est-ce que le commerce extérieur par rapport au commerce intérieur ? Le principal marché pour tous nos produits, c'est encore notre pays ; c'est celui qui a la plus grande importance pour presque toutes nos industries, si pas pour toutes ; il est assurément le plus important pour la première et le plus considérable pour l'industrie agricole, car les neuf dixièmes de ses produits sont consommés sur le marché intérieur.

Tout ce qui nuit au développement du commerce intérieur, tout ce qui vient surcharger, augmenter les frais de production, tout cela nuit à la production, à la consommation, dans des proportions qui sont réellement incalculables ; les pertes de temps, les vexations, les retards, les agents employés par les diverses industries qui ont des rapports avec l'octroi, les frais de toute nature qui se répètent journellement à l'égard de la masse des citoyens, donnent lieu à des dépenses tellement considérables et tellement inutiles, qu'on s'effraye à bon droit de l'influence d'une pareille institution sur le développement de la richesse de la nation.

Aussi un observateur attentif, Adam Smith, comparant de son temps la situation de l'Angleterre et celle avec la France et de divers autres pays, n'hésitait-il pas à attribuer la prospérité de l'Angleterre à l'absence de toute entrave à la circulation intérieure.

Il faisait remarquer que, grâce à un régime d'imposition uniforme en Angleterre, on pouvait y circuler, d'un bout à l'autre du pays, avec toute espèce de marchandises, sans visites, sans laissez-passer, sans vexations, sans perte de temps, et il voyait dans cet heureux état de choses l’une des causes principales de la prospérité de la Grande-Bretagne.

Des faits de cette nature, des influences de ce genre, s’appliquant à la généralité des citoyens, suffiraient seuls pour expliquer et pour justifier des propositions qui auraient pour but de faire disparaître l'obstacle, en demandant un sacrifice à la généralité des habitants.

Mais je ne veux pas que l'on puisse croire que, pour défendre le projet de loi, j'entends surtout me couvrir par des considérations générales de cette nature. Je suis intimement convaincu, que le projet de loi peut être justifié de plus près dans chacune de ses dispositions, à un point de vue plus strict de justice et d'équité, et c'est ce que je vais essayer de démontrer à l'assemblée.

Messieurs, sans autre préambule, je vais directement au cœur de la difficulté. Une chose a frappé tous les regards ; elle est écrite à chaque page de l'exposé des motifs ; elle ressort de tous les chiffres que nous avons publiés et les critiques n'ont eu vraiment aucune peine à la découvrir.

D'après le projet de loi, un fonds de 14 millions étant créé, 11 millions sont prélevés par les communes à octroi, 3 millions sont dévolus aux communes sans octroi.

Il est vrai que cette disposition est transitoire ; son effet ira s'affaiblissant de jour en jour, jusqu'à ce que les bases normales du projet de loi puissent opérer dans toute leur étendue. Mais le prélèvement indiqué par le projet de loi au profit des communes à octroi a été mis en relief ; es bases normales ont été laissées dans l'obscurité et l'on s'est écrié : 11 millions pour les communes à octroi, 3 millions pour les communes sans octroi ! 78 communes, 11 millions ! 2,500 communes, 3 millions ! 1,200,000 habitants, 11 millions ! 3,400,000 habitants, 3 millions !

Voilà, à peu près, ce qu'on a rencontré de plus fort, je pense, contre le projet de loi, et je ne crois pas avoir affaibli l'objection en la reproduisant.

Messieurs, on ne m'a certainement rien appris, en formulant cette objection. C'est parfaitement parce que je me l'étais faite, c'est précisément parce que j'ai la conviction de l'avoir résolue, que j'ai proposé et que je crois être en mesure de défendre le projet de loi.

Je n'ai pas inventé l'idée de supprimer les octrois ; je n'ai pas davantage inventé, Dieu merci, l'impôt sur la bière, ni même sur le genièvre. Je n'ai pas non plus la prétention d'avoir inventé l'idée d'une répartition, un fonds commun étant admis. Tout cela est du domaine public, tout cela était connu depuis longtemps. Je me borne, s'il y a quelque mérite, à cela, je le dis en toute sincérité, à faire remarquer que j'ai tiré quelques conséquences que je considère comme justes, de faits précédemment observés, de faits qu'on avait observés longtemps avant moi, sur la participation de la généralité aux produits des octrois.

Je me suis donné la peine de scruter les divers éléments qui constituent l'octroi, et, reconnaissant que l'octroi est tout à la fois une charge pour les villes et pour les campagnes, je suis arrivé à une conviction tellement puissante de la parfaite équité de la combinaison qui vous est soumise, que j'ai le ferme espoir de faire partager cette conviction par l'assemblée.

Messieurs, examinons les faits. 78 communes tirent aujourd'hui de l'octroi un revenu qui s'élève à plus de 12,500,000 fr. La charge pour les contribuables est bien supérieure à cette somme. Il faudrait l'élever de plusieurs millions pour connaître le fardeau réel de cet impôt.

L'octroi, par qui est-il supposé ? Pour qui est le fardeau de l'octroi ? Est-ce pour les habitants des villes seulement ? Est-ce pour les habitants des 78 communes à octroi ? Assurément non. C'est un fardeau pour les habitants des communes à octroi en partie, cela est incontestable, dans une certaine mesure, et je la concéderai plus forte qu'elle ne l'est en réalité. C'est un fardeau pour les habitants des villes ; mais c'est un fardeau pour les habitants des campagnes, cela est indubitable.

Or, si l'on proposait un système, et je suppose que la combinaison du projet de loi ne fût pas autre que celle-là, si l'on proposait un système consistant à abolir l'octroi, en laissant les charges réparties sur les habitants des villes et les habitants des campagnes, sans aggraver la condition des uns et des autres, telle qu'elle est aujourd'hui, ce serait sans doute un résultat bien satisfaisant. La charge pour les campagnes ne serait pas plus lourde et l'octroi n'existerait plus. Ainsi, même charge, et octrois de moins.

Mais, vous l'avez remarqué, la proposition du gouvernement va plus loin. Elle pose la base d'une répartition, d'une répartition équitable, d'une répartition dans une proportion juste pour l'avenir.

L'octroi, si on veut le définir, est une institution à l'aide de laquelle les villes perçoivent, à leur profit exclusif, des impôts sur la généralité des habitants. Elles les perçoivent dans des mesures diverses, plus ou moins considérables ; mais elles les perçoivent en réalité sur la généralité des habitants. Eh bien, messieurs, si cette définition est exacte, s'il est vrai que la généralité des habitants contribue dans une certaine mesure aux charges de l'octroi, est-ce que je ne puis pas retourner l'objection qui est faite contre le projet de loi ? Ne puis-je pas dire : L'octroi qui produit 12,500,000 francs directement, qui coûte beaucoup au-delà indirectement, l'octroi est supporté par la généralité des habitants ; à qui profite-t-il ? Aux villes ! Qu'en retirent les campagnes qui en supportent la charge ? Rien ! Le système actuel pourrait donc être bien plus que celui que nous proposons, l'objet de la critique que je viens de rencontrer.

Sans méconnaître en aucune façon combien est lourde la charge pour une catégorie d'habitants des villes, surtout pour la classe moyenne et pour la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, sans méconnaître combien ce fardeau est lourd pour les villes, je dis que l'octroi est également une charge extrêmement onéreuse pour les campagnes.

Les campagnes supportent le fardeau des octrois, le paysan supporte le fardeau des octrois comme producteur, comme importateur, comme consommateur.

Je dis, messieurs, qu'il le supporte comme producteur. Que l'on ne se hâte pas de faire des signes de dénégation, nous donnerons des preuves. Nous disons qu'il le supporte comme producteur et dans une forte mesure.

Je pourrais à ce sujet rassembler les raisons et les faits qui se présentent en foule à ma pensée pour justifier une pareille proposition ; mais à quoi bon ? Toutes les raisons que je pourrais faire valoir seraient suspectes à mes adversaires comme si elles étaient péniblement cherchées pour justifier un système préconçu. (Interruption.)

Je suis très heureux d'entendre ces dénégations.

Il me sera d'autant plus facile d'arriver à porter la conviction dans les esprits. (Interruption.) Mon observation n'a rien de blessant. Je ne comprends pas qu'en m'exprimant ainsi je puisse autoriser une réclamation dans cette assemblée.

Je dis que du moment où l'on a une certaine prévention contre une idée, on est assez enclin à voir dans les considérations présentées par celui qui la défend des théories, des thèses arrangées tout exprès pour justifier un système proposé.

C'est pour cela que j'estime qu'il vaut mieux que je fasse parler d'autres que moi, c'est-à-dire, que l'opinion d'un tiers désintéressé aura beaucoup plus d’influence sur la Chambre que tous mes raisonnements. Eh bien, j'ai donné tantôt une définition de l'octroi, qui implique tous ce que je viens de dire. « Un impôt prélevé sur la généralité des habitants, une charge pour les habitants des campagnes. » Or, cette définition qui semble fait toute exprès pour justifier le projet de loi, cette définition n'est pas de moi ; elle a été empruntée aux écrits de Turgot. (Interruption.) C'est un vieux, me dit un interrupteur, oui ; mais nous aurons des modernes. Je trouve l'opinion de Turgot ainsi résumée :

« L'octroi est un droit abusif dont usent les villes pour se procurer des ressources financières aux dépens des campagnes, en soumettant toutes les denrées à des taxes énormes qui en diminuent la consommation et qui sont, en outre, supportées par les citadins les plus pauvres. »

(page 1405) Dans sa lettre au contrôleur général, après avoir fait remarquer que presque partout on a chargé de préférence les denrées que le pauvre consomme, il ajoute :

« Ainsi ceux qui profitent le plus des dépenses communes des villes sont précisément ceux qui n'y contribuent en rien ou presque en rien ; et ces dépenses se trouvent payées dans le fait par ceux qui n'ont point de biens-fonds et que leur pauvreté met hors d'état de s'approvisionner en gros, ou par les habitants des campagnes, dont les denrées chargées de droits se vendent toujours avantageusement. »

Il dit encore :

« ... La dépense commune des villes devrait être payée par les propriétaires du sol de ces villes et de leur banlieue, puisque ce sont eux qui en profitent véritablement ; que, si l'on peut supposer que certaines dépenses utiles aux villes le sont aux campagnes des environs, ce qui est effectivement vrai quelquefois, il vaudrait mieux assigner une portion de l'impôt levé sur ces campagnes, pour subvenir aux dépenses dont ces campagnes profitent suivant cette supposition, que de les leur faire payer par la voie indirecte d'un impôt sur les consommations. Mais les idées ne sont pas encore assez généralement fixées sur les principes à suivre dans l'établissement des impositions, pour que l’on puisse proposer dans ce moment un changement aussi considérable. »

On peut puiser là des éléments de justification du système que nous proposons.

Je pourrais, messieurs, faire appel à un grand nombre d'autres écrivains tout aussi impartiaux, tout aussi désintéressés ; mais le temps que vous pourriez m'accorder ne me suffirait pas pour les citer tous. Je me borne à quelques autorités plus modernes, comme on le demandait tout à l'heure, et qui n'auront pas moins de poids.

La commission d'Etat, instituée en 1847, faisait remarquer que ce sont les campagnes surtout qui réclament l'abolition des octrois.

« ... Permettez-nous, M. le ministre, disait-elle, de vous faire observer que si les octrois sont onéreux et injustes pour les travailleurs et les pauvres des villes, c'est surtout dans les campagnes qu'on se récrie contre les barrières intérieures. »

A côté de ces écrivains, de ces économistes, de ces administrateurs, est-ce que les représentants spéciaux de l'agriculture n'ont pas eux-mêmes réclamé l'abolition des octrois ? En 1855, au moment où la crise alimentaire sévissait, le conseil supérieur d'agriculture fut saisi par un de ses membres d'une proposition ayant pour objet d'émettre le vœu que toutes les taxes sur les denrées alimentaires de première nécessité fussent au moins suspendues. Cette motion donna lieu à une discussion intéressanle. Son auteur faisait valoir, entreautres, les considérations suivantes :

« Là recette perçue sur les denrées alimentaires dans 71 villes, renfermant une population d'un million d'habitants, s'élève à 7 millions de francs ; c'est-à-dire que 71 communes imposent à 1 million d'habitants une contribution odieuse, tandis que le gouvernement ne prélevait, lui, qu'un tiers de cette somme sur 4,500,000 habitants.

« ... Nous ne devons pas hésiter à émettre le vœu que je propose au conseil ... alors qu'il tend à protéger les intérêts de l'agriculture, en supprimant un impôt qui n'est pas moins pénible pour les habitants des villes, que déplorable aux habitants des campagnes.

« ... N'est-il pas évident que ces impôts gênent l'agriculture ? »

L'opinion de l'honorable membre fut cependant combattue. Il s'agissait là d'une question d'impôt sur laquelle le conseil n'avait pas à se prononcer, et on demanda la question préalable.

« J'essayerai de prouver en très peu de mots, disait l'auteur de la proposition, que le préopinant se trompe. L'agriculture, dit-il, n'a aucun intérêt dans cette proposition, qui ne concerne que les consommateurs des villes à octroi. Je m’étonne qu'une pareille assertion puisse sortir de la bouche d'un homme aussi éclairé... Quoi ! l'agriculture n'est pas intéressée à la libre circulation de ses produits, à s'affranchir de tous les impôts écrasants, à échapper à ces visites vexatoires et odieuses qui se font à la porte des villes ?

« On reconnaîtra, j'espère, que les six millions de francs que les villes prélèvent en Belgique, sur la viande et les autres denrées de première nécessité sont en grande partie enlevés dans la poche de l'agriculteur. »

La question préalable fut écartée et la proposition mise en discussion. (Interruption)

Je comprends que l'opinion du conseil supérieur d'agriculture soit quelque chose de fâcheux pour l'opposition ; elle met à néant bien des abjections qui ont été présentées contre le projet de loi.

La question préalable ayant donc été écartée, l'opposant reprit la parole en ces termes :

« Je considère, dit-il, la proposition comme inefficace, inopportune, dangereuse même pour le moment, et comme devant porter une grande perturbation dans les finances des communes où des droits d'octroi sont perçus, soit directement, soit indirectement, sur des matières qui servent à l'alimentation.

« Si j'avais cru qu'il était possible de supprimer les octrois des villes, j’aurais été le premier à en faire la proposition ; mais à côté de ma demande j'aurais eu soin d'indiquer les moyens de combler le déficit que cette suppression laisserait dans les caisses des communes, car c'est là que gît la pierre d’achoppement.

« Je combats la proposition, parce que l'expérience a prouvé que sa pensée, toute philanthropique qu'elle paraisse, n'en qu'une utopie. En supprimant les droits qu'il a en vue, le peuple n'obtiendrait pas un centime de diminution sur les matières qu'ils atteignent ; l'expérience a prouvé l'exactitude de mon allégation.

« Je vais en donner quelques exemples : à Malines, on perçoit un droit d'entrée sur le bétail destiné à la boucherie, et cependant la viande ne s'y vend pas plus cher que dans les communes voisines où ce droit n'existe pas ; à Paris, on a aboli, pendant quelque temps, l'impôt sur cette denrée, et le prix de la viande n'en a éprouvé aucune diminution ; la ville de Gand a établi un droit sur les farines ; à Bruges, un semblable impôt n'existait pas, et, chose incroyable, le prix du pain était non seulement aussi élevé dans cette dernière ville qu'à Gand, mais même le dépassait quelquefois.

« En attaquant successivement tel ou tel article des octrois des villes, on semble vouloir tendre à leur suppression complète. Eh bien, en Espagne on a supprimé les octrois des villes ; Burgos, une des villes les plus considérables de ce royaume, en a éprouvé une telle gêne dans ses finances, que sa position n'était plus soutenable et qu'elle a dû accabler ses habitants d'impôts arbitraires et odieux.

« Je combats la proposition comme inopportune et dangereuse, parce que ce n'est pas au moment où les villes doivent se créer des ressources extraordinaires pour aller au-devant des besoins de la classe nécessiteuse, qu'il faut diminuer leurs ressources et les forcer de recourir à des impôts odieux qui restreindraient même la charité publique ; en outre, parce que le peuple, si facile à abuser, croirait que, les droits sur les matières alimentaires étant abolis, il pourrait se les procurer à bon marché, et que, se voyant trompé dans cet espoir, il accuserait les magistrats de mauvaise volonté et de le tromper.

« C'est la première fois, reprend l'auteur de la proposition, que j'entends soutenir qu'un impôt n'influe pas sur le prix de vente. On ne disait pas cela, il y a quelques années, lorsqu'on forçait le gouvernement à se dépouiller d'un revenu de 2 à 3 millions de francs. Si le gouvernement s'était obstiné à maintenir les droits de douane, bien plus faibles que les droits d'octroi, on n'aurait pas manqué de lui en faire un crime.

« Et vous dites que ces dix millions sont sans influence sur l'agriculture, qu'il n'importe pas à l'agriculteur de se mettre en rapport direct avec le consommateur, de s'affranchir de toutes ces entraves fiscales, d'entrer dans une ville belge comme chez soi, de ne pas être forcé d'y pénétrer comme dans une ville étrangère, d'être visité souvent d'une manière indécente, de devoir attendre quelquefois pendant une heure son tour pour être visité, de devoir faire des déboursés considérables ; tout cela n'intéresse pas l'agriculture ! Et c'est un cultivateur éminent qui vient nous le dire !

« Mais j'ai vu de malheureux cultivateurs forcés de retourner chez eux avec leurs veaux, parce qu'ils n'avaient apporté qu'une somme insuffisante pour payer les droits d’octroi. Et tout cela n'intéresse pas l'agriculture !

« Si l'on établissait d'autres entraves, vous ne vous plaindriez pas, vous diriez que cela ne vous regarde pas. On quadruplerait les droits de barrière, et vous ne vous plaindriez pas ! Mais vous réclameriez énergiquement et vous auriez raison ; car l’agriculteur est ami de la liberté autant que qui que ce soit et il en est plus digne que personne. »

Et après avoir réfuté les exemples tirés de la France et de l'Espagne il continue ainsi :

« Il est bon que le conseil supérieur d'agriculture, qui, à mon avis, est la représentation la plus exacte de l'agriculture belge, prenne ici en mains la défense des intérêts les plus chers de l'agriculture ; car voyez ce que l'octroi va lui imposer de sacrifices.

« On ne se borne pas à maintenir les taxes existantes ; on les élève, nous en avons la preuve à Bruxelles. On les applique à d'autres articles qui, jusqu'ici, en étaient restés exempts.

« L'octroi s'étend de plus en plus à des matières dont les cultivateurs ont un impérieux besoin et qu'ils viennent acheter dans les villes ; le fer, par exemple.

« Croyez-vous que ce droit n'intéresse pas l'agriculture ? Lorsque la ville de Bruxelles veut établir un droit de 10 p. c. sur le fer, qui payera en grande partie ce droit ? L'agriculteur qui vient acheter ses outils en ville.

« Si je me plaçais au point de vue des populations urbaines, j'aurais bien d'autres raisons à faire valoir à l'appui de ma proposition. Mais je me borne aux intérêts purement agricoles.

« Je dis que la question des octrois intéresse l'agriculture, qu'elle se rattache à ses intérêts matériels, on ne peut le contester, et à ses intérêts moraux. Il faut que les agriculteurs, que les représentants spéciaux de l'agriculture s'efforcent de supprimer des entraves aussi fâcheuses pour leur bien-être que pour leur dignité.

« Je maintiens donc ma proposition. »

Un autre membre des plus autorisés et des plus dignes se lève à son tour.

(page 1406) « Il voterait, dit-il, en faveur de la proposition s'il s'agissait d’émettre le vœu que tous les octrois des villes fussent supprimés, car il est libre échangiste. Mais il ne peut admettre qu'on fasse en ce moment ces doléances au nom de l'agriculture, quand les villes font les plus grands sacrifices pour atténuer la misère des classes pauvres. Il faut faire chaque chose en son temps. Ce qui importe d'ailleurs avant tout à l'agriculture, c'est que les villes soient prospères ; lorsqu'elles sont dans la prospérité, l'agriculture en profite, car les villes et les campagnes sont solidaires.

« Ainsi, la question de principe, dégagée des influences du moment, semblait plutôt indiquée aux délibérations du conseil, qu'une résolution qui aurait paru dictée par les circonstances.

« C'est ce qu'un membre fit remarquer.

« Les villes, dit-il, pas plus que l'Etat, ne peuvent, sans compensation immédiate, laisser tarir, même momentanément, la source de leurs revenus. Or, je vous le demande : peut-on remplacer par des impôts provisoires le déficit produit par la suppression totale ou partielle des octrois ? et lors même qu'on trouverait des impôts assez élastiques pour se prêter à ces combinaisons improvisées, les circonstances où nous trouvons permettraient-elles de les établir ? Il ne faut pas perdre de vue que rien n'est plus dangereux à manier que cette matière, et que ce n'est pas au moment où il y a souffrance et malaise, qu'il convient de la remuer de fond en comble. Una taxe nouvelle, quelque bien établie qu'elle soit, suscite plus de mécontentement que la suppression d'un impôt ancien ne provoque de reconnaissance. Que serait-ce donc de contributions improvisées, venant frapper au hasard, et peut-être sans compensation, des populations qui ont déjà à lutter contre mille difficultés ? A mon avis, je le répète, la suspension des taxes d'octroi, difficile en tout temps, est impossible en ce moment, et si le conseil croit devoir intervenir en cette matière, il fera sagement en ne se prononçant que sur la question de principe. » (Adhésion.)

« M. le président fait remarquer qu'il entre plutôt dans les attributions du conseil de voter sur une question de principe, que sur le mode de sou application immédiate. Si la question était posée comme question de principe, bien des membres pourraient peut-être voter pour, qui, dans le cas contraire, se croiraient obligés.de s'abstenir. »

Et la proposition ayant été ainsi modifiée, ayant reçu son sens le plus large, jugeant d'une manière absolue, abstraction faite des circonstances, à quel point les intérêts agricoles sont engagés dans la question des octrois, le conseil supérieur d'agriculture, sous la présidence de M. de Tornaco, émit à l'unanimité des membres présents, vingt-quatre, sauf une abstention, le vœu de voir supprimer les octrois.

J'ai cru devoir entrer dans quelques détails sur cette délibération importante. Comme vous l'avez remarqué, la plupart des objections qu'on peut produire contre la thèse que l'octroi est une charge pour les campagnes, ont été faites dans le conseil, elles ont été réfutées, et le conseil, à l'unanimité, a déclaré que l'on satisferait à un intérêt agricole de premier ordre en abolissant les octrois !

Messieurs, je pourrais peut-être m'arrêter à la démonstration que je viens de faire ; mais....

M. Coomans. - Vous ne voyez pas d'inconvénient à ajouter que c'est moi qui ai pris l'initiative de la proposition ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'étais très disposé à vous rendre hommage ; j'ai évité de vous nommer pour ne pas faire intervenir de noms propres.

M. Coomans. - Je me fais honneur d'avoir fait cette proposition.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'en doute pas ; j'étais persuadé que si sa santé le lui permettait, l'honorable membre viendrait appuyer le projet de loi....

M. Coomans. - Sous réserve.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On me dira que l'agriculture est intéressée sans doute à la suppression des octrois ; certainement personne ne peut prétendre que ce soit chose utile pour l'agriculture de voir maintenir les entraves qui arrêtent ses produits à la porte de chaque ville, mais on ajoutera que c'est une gêne plutôt qu'un préjudice, dont on tiendra compte dans le partage à faire ultérieurement ; qu'en définitive la charge des campagnes sous ce rapport est peu importante.

Je ferai remarquer que déjà dans le sein du conseil supérieur d'agriculture, on a bien entendu qu'il s'agissait d'une charge très directe ponr la production agricole. Mais on insistera, on prétendra que c'est le consommateur qui paye toujours l'impôt.

Messieurs, rechercher, déclarer qui supporte en définitive un impôt quelconque est chose fort difficile ; les documents en cette matière font absolument défaut. Il est fort téméraire d'affirmer à l'avance que tel impôt frappera telle catégorie de citoyens.

L'impôt peut, selon les circonstances, atteindre le producteur et réduire ses profits, ou bien atteindre le consommateur. L'impôt peut avoir pour effet d'accroître au préjudice du consommateur le prix de la marchandise même d'une quotité supérieure à l'impôt. Mais la concurrence, l'état du marché, l'état de la société, celui du producteur, tout cela peut exercer une influence telle, que ce soit le producteur qui devienne la première victime.

Il n'est peut-être pas de contribution qui n'atteigne plusieurs classes de citoyens, et dans des proportions qui varient non seulement en raison des impôts, de leur nature, de leur assiette, de leur perception, de l'état du produit, selon qu'il est naturel ou industriel, mais aussi en raison de la position particulière des contribuables et des circonstances générales et très variables dans lesquelles se trouve la société. On croit avoir résolu toute difficulté en répétant ; C'est le consommateur qui paye les impôts. Mais je préfère à cette simple affirmation, l'opinion des hommes les plus érudits, les plus habiles, les plus compétents en cette matière.

« On a remarqué, dit Say, que, dans la plupart des cas, le producteur ne réussit pas à élever le prix de son produit, de tout le montant de l'impôt qu'on lui fait payer.

« Vous pouvez en inférer le tort que font à la production les obstacles intérieurs qui s'opposent à la facilité, à la rapidité des communications, tels que les visites, les péages.

« Quand une marchandise est fort demandée, son détenteur ne la cède qu'autant que tous ses frais sont bien payés ; l'impôt fait partie de ses frais ; il a soin de se le faire rembourser en totalité et sans miséricorde. Une circonstance imprévue fait-elle baisser le même produit, il se trouve heureux de supporter l'impôt tout entier pour en faciliter la vente. Rien n'est plus incertain, rien n'est plus variable que les proportions suivant lesquelles les diverses classes de la société supportent l'impôt. Les auteurs qui les font porter sur telle ou telle classe et suivant des proportions constantes, raisonnent sur des suppositions que l'observation des faits dément à chaque instant.

« On voit, d'après ce qui précède, combien il est téméraire d'affirmer, comme un principe général, que tout impôt tombe définitivement sur cette classe de la société ou sur telle autre. Les impôts tombent sur ceux qui ne peuvent pas s'y soustraire. »

Les opinions exprimées par Stuart Mill sont aussi dignes d'attention. Il fait remarquer qu'en ce qui concerne surtout les produits de la terre ou les produits des mines, c'est, en grande partie, le producteur qui supporte l'impôt :

« Toute taxe perçue à l’entrée retombe en partie sur le dehors sans pour cela retomber toujours sur le producteur étranger ... mais dans deux circonstances, l'impôt à l'entrée retombe en grande partie sur le producteur étranger ... c'est le cas pour tous les impôts quelconques qui retombent sur les produits de la terre ou des mines.

« ... Les taxes indirectes sont bien plus fâcheuses perçues à l'entrée des villes, qu'à la frontière du pays ; car ce que le pays fournit aux villes, sont les produits de la terre et les objets de première nécessité. L'octroi ne peut donner un grand revenu, sans peser fortement sur les classes ouvrières des villes. Si cet impôt a pour conséquence de faire majorer d'une somme égale les gages et les salaires, l'impôt pèsera, pour la plus grande partie, sur ceux qui consomment les produits des villes, quelle que soit leur résidence, soit en dedans, soit en dehors du rayon. »

Voilà, dira-t-on, ce que les théoriciens, voilà ce que les économistes ont observé. Si ces théories ne sont pas vraies, il y a des faits avérés qui sont inexplicables. Tels sont ceux qui étaient cités par un honorable membre du conseil supérieur d'agriculture dont j'ai cité les paroles tout à l'heure. Il signalait le prix de la viande, par exemple, aussi élevé au-dedans qu'au-dehors d'une ville ; dans un cas, il y avait taxe d'octroi, dans l'autre il n'y avait pas taxe, et cependant le prix de la viande était le même des deux côtés.

Des faits analogues ont été constatés ailleurs.

En 1849, je pense, le gouvernement prussien a proposé une loi pour régler les impositions communales. Il voulait, par cette loi, interdire l'établissement des taxes sur la mouture et le bétail. La régence de la ville de Berlin adressa de vives réclamations au gouvernement ; elle fit un mémoire très étudié dans lequel elle soutient que ce sont en grande partio les producteurs qui supportent le fardeau des taxes d'octroi en ce qui concerne les denrées que nous venons d'indiquer.

« L'abolition de l’impôt sur la mouture, décrétée en 1847, dit-elle, n'a donc eu aucun avantage pour le consommateur qui, d'après l'intention du législateur, aurait dû cependant seul en profiter. Cette expérience a prouvé de nouveau que l'impôt de mouture et d'abattage n'est pas payé exclusivement par les habitants de ta ville, mais qu'il retombe en partie sur les producteurs dans des proportions qui varient selon les circonstances du temps et des événements....Cette expérience a donc de nouveau confirmé des faits analogues qui se sont produits dans maintes autres localités. »

Eu France, messieurs, une enquête spéciale a été faite sur la viande de boucherie. On a recherché à quelles causes il fallait attribuer l'élévation des prix- On a recherché aussi quelles étaient les raisons de certaines anomalies comme celle que je signalais tantôt. Dans cette enquête, les faits les plus intéressants ont été constatés. Les principaux éleveurs de France, MM. Dupin, Massé, Bizy et quelques autres, ont commandité un établissement situé à Bagnolet précisément pour l'abattage et la vente du bétail. Leur homme de confiance, leur commanditaire (page 1407) a été entendu dans cette enquête. Vous verrez, par la manière dont il s'exprime, que c'est un homme éclairé. Voici son opinion sur la question :

« Le témoin. Je me plains de l'octroi ainsi établi ; je m'en plains tout à fait. Je crois vraiment que ce n'est pas la consommation de Paris qui paye l'octroi, c'est le producteur. L'octroi est un prélèvement fait sur la bourse du producteur.

« Il est certain pour moi que l'octroi, dans la fixation du prix de la viande, ne joue aucune espèce de rôle, puisque cette fixation dépend uniquement de l'offre d'un côté, de la demande de l'autre. Ainsi, la même viande que je vends aujourd'hui au prix de 70 centimes, le lendemain, si le besoin s'en fait plus vivement sentir, si l'abondance est moins grande, je la vends 80 centimes. Ainsi, du jour au lendemain, la même qualité de viande va subir une augmentation ou une dépréciation de 10 centimes. Eh bien, quel rôle a joué l'octroi dans tout cela ? Il est évident que je ne suis pas seul pour vendre ; il me faut un acheteur : l'acheteur me tient-il compte de l'argent que j'ai laissé à la barrière ? En aucune façon ; cet argent ne m'est remboursé par personne, il est perdu pour moi. Il en résulte que le jour où je vends 70 centimes, c'est moi qui perds, et que le jour où je vends 80 centimes, c'est moi qui gagne ; le consommateur n'est pour rien là-dedans.

« M. le président. Vous vous plaignez aussi de ce que les droits sont perçus au poids, au lieu de l'être ad valorem ?

« Le témoin. Je me plains absolument ; je crois que les 3 millions que perçoit l'octroi de Paris sont pris dans la poche de l'agriculteur. Je me place au point de vue de l'agriculture, car c'est un peu mon affaire, et je dis que l'octroi n'a aucune influence sur le prix de la viande, que ce prix dépend seulement de l'offre et de la demande, de l'abondance ou de la rareté du marché.

« L'agriculture est vraiment bien bonne de laisser charger ses produits par les villes, et de subir ce système qui la dépouille.

« Ne veut-on pas que ce soit la production qui paye, ou ne peut nier du moins que le haut prix de la charge sur une denrée ne limite sa consommation, et que, par là encore, la production est atteinte.

« Ce système des octrois est la honte de notre pays, un empêchement au développement de la richesse ; il constitue une injustice flagrante contre la population pauvre, qui paye autant que la population aisée. Il est contraire, en principe, à nos lois, qui veulent l'impôt proportionnel à la fortune de chacun.

« Il fait à l'Etat vingt mille ennemis par an ; on retrouve la haine de l'octroi au fond de toutes les insurrections. On ne fera jamais comprendre à un ouvrier que le vin doive valoir 40 centimes au-dedans et 20 centimes au-dehors.

« Enfin il y a une vexation continuelle sur la population.

« Au bref, l'octroi est jugé par ceci : il m'en coûte moins pour transporter et vendre ma viande de Bagnolet à Londres, que pour la vendre à Paris, à une lieue de distance de chez moi.

« M. le président. Comment établissez-vous, quel que soit le droit perçu, que c'est le producteur qui paye, et non le consommateur ?

« Le témoin. Mon Dieu ! je raisonne d'après ce qui m'arrive tous les jours. Et puis, je vous citerai en exemple ma commune qui est ruinée ; et cet exemple, je ne le tirerai pas de la viande, qui coûte tout aussi cher à la barrière qu'à Paris.

« A Bagnolet, comme dans la plupart des autres communes de la banlieue de Paris, les vignerons qui voulaient introduire du raisin blanc n'avaient pas autrefois de droit à payer. Ce raisin valait de 1 franc à 1 franc 25 centimes le panier. Depuis quelques années, il a été soumis à un droit d'entrée. Croyez-vous que ces malheureux vignerons vendent plus cher depuis qu'ils acquittent le droit ? Pas du tout ; le raisin vaut toujours 1 franc, 1 franc 25 centimes. Le Parisien leur répond : Que m'importe que vous payiez ou que vous ne payiez pas ? Votre raisin ne vaut pour moi que 1 franc, 1 franc 25 centimes ; donnez-le, ou gardez-le. Ils vendent au même prix qu'autrefois. Cependant, à Bagnolet, les loyers n'ont pas été diminués en proportion du droit établi sur le raisin blanc, et la commune s'est trouvée ruinée par ce fait, en compagnie de huit ou dix communes des environs de Paris. Et je vous le demande, messieurs, qui paye ce droit d'octroi ? Est-ce le producteur ou le consommateur ? Evidemment le producteur ou son représentant.

« M. le président. Quand on supprime un impôt, il faut en établir un autre à la place : que proposeriez-vous ? Remplaceriez-vous le droit d'octroi par une augmentation de l'impôt foncier ou de tout autre impôt ?

« Le témoin. Puisque vous me faites l'honneur de m'adresser cette question, je vous répondrai en vous citant un exemple.

« J'étais dernièrement à Londres, précisément à l'occasion de la question de la viande. Eh bien, à Londres, il n'y a pas d'octroi. Et cependant la ville de Londres est, pour le moins, tout aussi bien entretenue que celle de Paris. Elle n'est pas moins bien pavée, moins bien éclairée ; la police n'y est pas plus mal faite. Pour tout cela, il faut des dépenses, par conséquent des ressources. Mais ces ressources que nous demandons à l'octroi, Londres les demande aux maisons : l'impôt est distribué sur les locataires à raison des loyers. Il n'y a pas en Angleterre une tourbe d'employés pour la perception, il n'y a pas ce spectacle sauvage de douze cents baïonnettes préposées à empêcher l'introduction de la denrée dans une ville d'un million d'habitants ; on ne voit pas à Londres un individu qui gagne 1 franc 50 centimes par jour, qui mange une demi-livre de viande, payer proportionnellement beaucoup plus cher que le riche. Or, je trouve qu'aujourd'hui, en France, les propriétaires d'herbages ne sont pas payés de leurs fermiers, et que si les fermiers n'avaient pas à supporter les droits d'octroi, que la ville de Paris prend dans leurs poches, les propriétaires seraient régulièrement et bien payés.

« M. Cordier. Vous avez dit cependant qu'alors même que le droit d'octroi n'existerait pas, le prix de la viande ne serait pas diminué.

« Le témoin. Je l'ai dit, et je le maintiens.

« M. Cordier. Selon vous, c'est le producteur seul qui paye l'octroi. Il me semble qu'il est payé également par le producteur et le consommateur ; que ce droit, par conséquent, modifie le prix de la viande dans les mêmes proportions pour l'un et pour l'autre. Je vous prie de vouloir bien expliquer comment vous comprenez qu'il n'y a que le producteur qui paye cette charge ?

« Le témoin. J'ai eu l'honneur de vous l'expliquer déjà. Que je vends ma viande 70 ou 80 c, le droit d'octroi est le même pour moi ; je profite du gain comme je subis la perte : le consommateur n'y est pour absolument rien. Il ne me tient pas compte du droit que j'ai payé, je garde pour moi seul le bénéfice que la rareté du marché peut me donner.

« M. Cordier. Il n'en est pas moins vrai que, lorsque vous pouvez vendre 80 c. au lieu de 70, vous êtes moins éloigné de faire une concession qui, en définitive, profite au consommateur ?

« Le témoin. Pas le moins du monde ; Je vends aussi cher que je le puis : si je vends peu, je perds ; si je vends cher, je gagne : le consommateur ne profite pas plus de mon gain qu'il ne souffre de ma parte.

« M. le président. Vous avez fait un voyage en Angleterre : dites ce que vous y avez observé relativement à la liberté du commerce de la viande, à sa qualité, au mode d'élevage des bestiaux, à leur abatage, à la vente sur les marchés et à l'étal ; veuillez nous donner quelques renseignements à ces divers égards.

- « Le témoin. Vous me demandez quelle est l'organisation de la boucherie anglaise. L'organisation est qu'il n'y en a pas. Les intérêts privés s'équilibrent toujours avec la liberté.

« En Angleterre, la boucherie n'a aucune espèce de charges : elle n'est pas administrée, pas inquiétée, pas ennuyée par l'administration.

« D'après une expédition de viande que nous y avons faite, il est démontré pour nous qu'il y a intérêt à vendre à Londres plutôt qu'à Paris ; car les droits d'octroi, les frais de criée, et tout ce qui s'ensuit, nous coûtent plus cher que les frais d'exportation. Ainsi, j'ai récemment, envoyé à Londres des agneaux (cette nature de viande y est très recherchée et vaut de 90 centimes à un franc la demi-kilogramme), et j'ai trouvé une économie de sept francs par mille à les vendre dans cette ville, au lieu de les vendre à Paris, parce que nous arrivons à Douvres sans droits de douane, et à Londres sans droits d'entrée à payer, sans charges fiscales d'aucune espèce, le droit de rivière étant la seule chose qui nous coûte un peu cher. »

Il y a là, comme vous l'entendez, peu de théories et beaucoup de faits. C'est un homme pratique qui parle ; il est tous les jours aux prises avec l'octroi ; il en connaît l'influence qui se traduit clairement pour lui dans ses livres de commerce.

L'octroi élève d'une manière absolue le prix des denrées. Reste à savoir qui paye cette surélévation. Est-ce le producteur ? Est-ce le consommateur ? Selon les circonstances, et pour certaines denrées surtout, c'est le producteur parfois, c'est parfois le consommateur.

M. H. Dumortier. - C'est selon l'intérêt de celui qui parle.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous jugerez si les raisons ne sont pas bonnes ; mais je crois que vous les trouverez assez péremptoires.

Ainsi, voilà les faits assez bien d'accord, ce me semble, avec les théories.

Voilà des agriculteurs, des éleveurs, des gens éclairés et intéressés à bien apprécier les faits, les voilà qui déclarent que le droit d'octroi est une charge qu'ils supportent en définitive selon les circonstances. Ce ne sont pas, comme vous l'avez remarqué, toujours, invariablement, d'une manière absolue les producteurs qui supportent la charge. La charge est supportée par les producteurs, selon l'état du marché. Je ne dis pas que cela se présente toujours et identiquement partout. Je ne dis pas que les conditions soient les mêmes pour un marché plus restreint, moins étendu et moins abondamment pourvu que ne l'est celui de Paris. Mais toujours est-il que l'on ne peut méconnaître qu'un impôt de cette nature exerce une influence réelle sur la production. Il l'exerce à un double titre, parce que l'impôt est supporté en certaine mesure par le producteur ; il exerce aussi son influence sur la production, parce qu'il a pour effet inévitable de restreindre la consommation. Or, à ce point de vue également, il est une charge et une lourde charge pour l'agriculture.

Après avoir établi que l'agriculteur est intéressé comme producteur dans la question de l'octroi, ai-je besoin de rappeler qu'il y est intéressé comme importateur, lui qui est le principal objet de toutes les vexations que l'octroi fait subir aux particuliers, est-il nécessaire d'établir aussi que ce même agriculteur supporte une partie de la charge comme consommateur ?

(page 1408) Messieurs, toute ville, grande ou petite, est le centre d'approvisionnement pour un certain rayon. La puissance d'attraction de ces villes est en raison de leur étendue. Qui peut nier que l'octroi de Paris ne soit fourni en très grande partie par tous les habitants de la France et même par les étrangers ?

Peut-on nier, lorsque l'on voit, dans toutes nos grandes villes, ce nombre si considérable d'hôteliers, de restaurants de tout genre qui sont destinés exclusivement aux forains, à des individus étrangers à la localité, que ceux-ci participent en certaine mesure aux charges de la localité ?

L'octroi n'est donc pas exclusivement payé par les habitants des villes. L'octroi est payé par des tiers, est payé par la généralité, toujours la question de proportion réservée.

L'octroi est payé par les forains. Et c'est ce que l'on faisait très bien remarquer dans la question de l'annexion des faubourgs à la ville de Bruxelles par exemple. Dans les discussions qui se sont élevées à ce sujet, les communes suburbaines disaient : « Mais nous contribuons à l'octroi ; tout consommateur est un contribuable ; nous sommes consommateur au profit de Bruxelles dès que nous pénétrons dans la ville ; il faudrait sortir de la ville sans faire la moindre dépense à l'intérieur pour n’être pas contribuable de Bruxelles.

C'est par ces raisons diverses messieurs, les faits étant bien constatés, qu'il serait de toute impossibilité, lorsqu'une institution de cette nature a subsisté, lorsque les ressources des villes ont été calculées d'après les résultats donnés par cette institution, lorsque les dépenses ont été établies en raison de ces mêmes ressources, il serait impossible de vouloir supprimer l'octroi en laissant aux villes de pourvoir à leris dépenses.

On répondra : l'octroi est une charge pour les campagnes comme c'est une charge pour les villes, soit ; mais il est injuste que les campagnes contribuent en quelque façon que ce soit aux dépenses des villes. Si vous reconnaissez l'injustice, si vous la proclamez, pourquoi hésitez-vous à la faire disparaître complètement ?

Messieurs, nous hésitons à la faire disparaître complètement parce que ce serait tout bonnement impossible, parce que tout système qui aura pour effet, sans ménagement, sans transition, de faire supporter incontinent aux villes toutes leurs dépenses, de les grever directement de contributions égales au produit de leurs octrois serait absolument impraticable ; des essais ont été tentés, il y a eu des répartitions, il a été fait des projets ; et à quels résultats arrive-t-on ? A des résultats tellement excessifs, que personne ne réussirait à les réaliser.

Si vous voulez un résultat pratique, si vous voulez réellement la solution de cette difficile question, si vous voulez éviter que, dans un avenir plus ou moins éloigné, en supposant la question résolue dans le système du projet, si vous voulez éviter qu'à une époque plus ou moins éloignée aucun regret ne se manifeste, qu'aucune tentative ne soit faite pour obtenir le rétablissement des octrois, ne reculez pas devant la nécessité de faire aujourd'hui un certain sacrifice, car si les finances des villes venaient à être compromises, rien ne pourrait résister à la nécessité de les rétablir et vous seriez invinciblement amenés, dans un temps donné, à restituer aux communes les moyens de faire face à leurs dépenses.

Remarquez, messieurs, que grâce à ce moyen facile, trop commode, à l'aide duquel les communes pouvaient se créer des ressources, elles ont assumé des dépenses que, sans cela, elles n'auraient pas à supporter. Elles seraient dans des conditions analogues à celles des villes anglaises qui n'ont pas autant embrassé que nos communes belges. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? C'est une autre question, sur laquelle je n'ai pas à m'appesantir maintenant.

Je constate seulement ce fait très grave, que nous sommes en présence d'une institution plus de cinq fois séculaire en ce pays, et qui a pour résultat de donner aux villes le moyen de prélever un impôt, non seulement sur leurs habitants mais dans une certaine mesure sur les autres citoyens et que vous ne pouvez pas sans injustice, sans iniquité, en supposant que la chose soit possible, dire aux villes : « Dès aujourd'hui, vous supporterez intégralement le montant de vos octrois. »

Messieurs, il faut donc, comme je le disais tout à l'heure, ne pas reculer, pour atteindre un grand but, pour avoir un grand résultat, ne pas reculer devant un sacrifice.

Nous avons proposé d'en imposer un au trésor. La situation est telle, que nous pouvons sans inconvénient, sans le moindre danger, aliéner momentanément une partie de nos ressources.

Le sacrifice que nous avons proposé s'élève à 3,500,000 fr. La section centrale demande qu'il soit quelque peu plus élevé. Je crois qu'il serait inutile en ce moment d'entrer dans des explications sur la situation du trésor pour établir qu'elle permet l'aliénation de cette portion de nos revenus ; si le fait était contesté, nous pourrions y revenir ultérieurement.

Il est incontestable que, ce sacrifice consenti, il y aura nécessité de se montrer, pendant un certain temps surtout, circonspect, prudent dans les dépenses, puisque l'excédant de revenus que nous avons signalé à diverses époques seta naturellement diminué d'autant. Cependant, je puis dire à la Chambre qu'en établissant mes calculs sur les recettes effectuées pendant les années passées, il y a certitude que l'application de cinq millions d'excédant pour travaux publics sera entièrement couvertes à l'aide des ressources du trésor, même après les avoir diminuées de la somme de 3,500,000 fr. dont nous venons de parler.

Il me faut maintenant, messieurs, rencontrer qul'ques objections qui ont été faites contre le système que nous proposons.

La liberté communale, a-t-on dit, est altérée. Nous portons atteinte à l'indépendance des communes. Je ne sais, messieurs, si je me fais une fausse idée de l’objection, mais j’avoue que je ne la comprends pas.

A ce sujet permettez-moi de vous raconter une petite anecdote, toute récente. Un de mes amis vit au village ; il aime beaucoup sa commune ; il l'administre avec soin.

Il s'occupe de l'école, du presbytère et de l'église ; tout cela exige des dépenses relativement assez considérables. Il eut l'idée de donner à cette commune une somme suffisante pour que, placée en fonds publics, elle représentât les dépenses auxquelles elle est tenue. Il me fit part de son projet et je le trouvai bon. Il en parla également à un ami commun, membre de la droite ; celui-ci se récria incontinent et lui dit : Malheureux ! Vous allez confisquer la liberté communale. (Interruption.) Et cet ami se résigna à attendre jusqu'à ce que la Chambre ait pris une décision sar la question qui nous occupe. (Nouvelle interruption.)

Cette anecdote, messieurs, a certaine analogie avec le cas qui nous occupe et avec la liberté communale.

M. de Naeyer. - Pas du tout !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne dis pas qu'il y ait identité. Je dis qu'il y a beaucoup d'analogie. Que l'honorable membre y réfléchisse, et il verra qu'au fond cela se rapproche beaucoup.

De quoi s'agit-il, en effet ? Il s'agit de créer un fonds qui sera distribué entre toutes les communes, d'après des bases fixes, certaines invariables, déterminées par la loi. En quoi va-t-on donc porter atteinte à l'indépendance de la commune ? En quoi va-t-on confisquer la liberté de la commune ? Cela est vraiment incompréhensible.

On objecte que le droit de voter l'impôt fait partie et partie essentielle de la liberté communale.

Il serait beaucoup plus juste de dire que l'obligation de voter l'impôt est une des charges de la liberté communale. Je n'aperçois pas que la commune qui n'a pas d'impôt à voter soit privée de sa liberté ; que les communes qui ont beaucoup de rentes, beaucoup de ressources, beaucoup de terres, de bois, de propriétés de tout genre, soient des communes privées de liberté. Je ne l'avais pas soupçonné jusqu'à présent.

Mais est-ce que la Constitution, dit-on, ne déclare pas que tonte imposition communale doit être votée par le conseil communal ? Sans doute, la Constitution le déclare ; mais je n'ai pas lu dans la Constitution qu'elle déclarât en outre que tout subside alloué par le gouvernement devait être voté par le conseil communal.

Je n'ai pas du tout lu cela dans la Constitution : si le gouvernement juge à propos de distribuer des subsides aux communes, cela n'a absolument rien de commun avec la question constitutionnelle dont on parle et qui est celle de savoir si une contribution peut être imposée à une commune déterminée autrement que par un vote du conseil communal.

Il y a plus, c'est qu'on ne remarque pas suffisamment que la Constitution, ajoute, sur ce point « sauf les exceptions dont l'expérience démontrerait la nécessité. » Ainsi, la Constitution elle-même admet ce que nous proposons ; la Constitution admet qu'on pourrait déterminer, par la loi, une exception à l'imposition de charges établie pour les communes sans l'intervention du conseil communal ; et nos lois, messieurs, contiennent déjà l'application de cette exception : il y a des centimes additionnels obligatoires résultant de la loi, centimes qui grèvent toutes les communes, que l'Etat perçoit et qu'il leur rembourse.

Il y a des charges pour les chemins vicinaux, par exemple ; il y en a d'autres encore, également déterminées par la loi et qui constituent des exceptions au principe constitutionnel que l’on invoque. Or, en supposant qu'on pût assimiler le mode que nous proposons de suivre pour la suppression des octrois, à un impôt grevant les communes, nous serions dans le cas de l'exception déterminée par la Constitution, car je ne crois pas qu'il se rencontrera jamais d'exception aussi légitime que celle qui pourrait être faite pour arriver à la suppression des octrois.

Et puis, après avoir fait cette objection, on ajoute : Mais il faudrait supprimer, en même temps, par la loi, les capitations communales.

D'autres ont dit : Et les centimes additionnels. Et d'autres encore ont ajouté : Et les charges pour les chemins vicinaux. Dans ce système, il ne reste absolument rien ; dans ce système, on supprime réellement la commune ; la commune n'exige plus ; il n'y a plus d'exception dans le sens déterminé par la Constitution ; il n'y a plus d'impôts à voter, et c'est alors (et cela a été proposé à cette Chambre) qu'on arrive à ce système détestable dont avait parlé un de nos prédécesseurs, qui a pour effet de supprimer indistinctement toute espèce d'impôt communal pour le remplacer par un impôt général. Or, c’est précisément contre ce grief très sérieux, très légitime, très fondé que je me suis prémuni. Je l'ai déclaré d’une manière expresse dans l'exposé des motifs. L'exposé (page 1409) des motifs énonce qu'il ne faut intervenir par viîe d'exception pour limiter les droits des communes que quand l'intérêt général le commande.

Eh bien, je dis que l'intérêt général le commande quand il s'agit des octrois, mais non quand il s'agit des capitations.

M. H. Dumortier. - C'est ce qu'il faudrait prouver.

M. le président. - Pas d'interruption, je vous prie ; demandez la parole si vous désirez répondre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dans la discussion à laquelle nous nous sommes livrés jusqu'à présent, nous avons prouvé que l'existence des octrois blessait l'intérêt général. Nous avons reconnu que l'intérêt général était froissé par les octrois : voilà pourquoi il est légitime d'interdire aux communes de se taxer de la sorte. Et je voudrais bien savoir en quoi il serait légitime d'interdire aux communes de se taxer par la voie de la capitation ou par la voie des centimes additionnels. Sans doute, cela peut, si la répartition est mal faite, occasionner un mal local, individuel ; mais en principe et en soi, qu'est-ce donc que la capitation a d'exorbitant et qui doive être condamné ? Absolument rien.

Il y a des modes mauvais de capitation ; il y en a de bons. On peut avoir des systèmes vicieux ; on peut avoir de bons. Si cela était vrai, il faudrait l'appliquer aussi aux centimes additionnels ; car les centimes additionnels ou la capitation, c'est une question de préférence pour les communes ; les unes ont jugé à propos de s'imposer par des centimes additionnels ; les autres par des capitations. Si l'on trouvait bon de supprimer les capitations, il serait aussi indispensable de supprimer les centimes additionnels ; et, comme je viens de le dire, nous aboutissons à ce résultat de ne plus laisser aucune base d'imposition aux communes, puisqu'il leur serait interdit de se taxer directement ou indirectement.

C'est donc, messieurs, la suppression de la commune. Mais ce n'est pas à dire que nous négligions en fait l'intérêt dont se préoccupe mon honorable interrupteur de tout à l'heure. En fait, messieurs, nous aboutissons au même résultat : nous créons un fonds communal qui se répartit entre toutes les communes. Eh bien, la plupart des communes vont immédiatement pouvoir supprimer et un grand nombre réduire le montant de leurs cotisations personnelles ou de leurs centimes additionnels. Le but sera donc atteint et complètement atteint.

Messieurs, ce que je viens de dire me conduit à examiner la question de la répartition du fonds communal ; c'est, après toutes les questions que j'ai traitées, celle qui, je crois, donnera lieu à un examen approfondi de la part de la Chambre.

La répartition que nous proposons est-elle juste, équitable ? Messieurs, j'en sois profondément convaincu, je n'ai qu'un scrupule : c'est que, dans un temps qui ne sera pas fort éloigné, on ne soutienne qu'elle est préjudiciable aux villes ; je crois que la part des campagnes, augmentant successivement d'année en année, d'après les principes déposés dans le projet de loi, atteindra inévitablement un chiffre tel, qu'il excédera les besoins d'un très grand nombre de communes rurales. (Interruption.)

Tant mieux, dit-on, soit ; je ne serais pas désespéré de voir les communes posséder des fonds, même pour acquitter les contributions que leurs habitants doivent payer à l'Etat. Mais enfin, ce n'est pas le point de vue auquel j'ai à me placer. Je dis que les sommes que beaucoup de communes recevront seront, dans un temps donné, hors de proportion avec les charges qu'elles auront à supporter.

Le principe de la répartition doit se faire en raison des consommations. Mais nous n'avons, il faut bien le dire, aucun élément pour déterminer, d'une manière certaine, la mesure des consommations.

J'ai publié, aux annexes du projet de loi, le tableau de la consommation de certains objets dans les villes ; je l'ai fait pour montrer qu'il n'y a rien à en conclure d'une manière absolue. Il y existe des disproportions, des disparates telles, qu'on ne peut pas en induire quelque chose de bien satisfaisant relativement à la consommation de telles ou telles localités. Il y a des causes que nous ne connaissons pas et qui ne nous permettent pas de conclure rigoureusement, après avoir consulté un pareil tableau.

Si l'on veut, au contraire, se contenter d'indices raisonnables, je crois qu'alors nous possédons un élément suffisant pour donner la conviction que la répartition, telle qu'elle est proposée, repose sur des bases équitables. J'entrerai plus tard dans une discussion plus précise si l'on m'y convie.

Messieurs, si nous supposons pour un instant que toutes les communes de la Belgique ont un octroi, et qu'on propose d'établir pour elles un Zollverein d'octrois, croyez-vous que les populations agricoles trouvent dans ce Zollverein, pour les objets imposés, une quote-part plus considérable que celle qui leur est attribuée par le projet de loi ?

Je crois que je suis bien compris par l'assemblée. Il y a deux choses à considérer : la mise à exécution immédiate de la loi et l'application successive. Je dis que pour l'époque qui suivra immédiatement la promulgation de la loi, les communes seront indemnisées, c'est-à-dire que leur charge ne sera pas plus lourde sans les octrois qu'elles ne l'étaient avant l'abolition des octrois.

Mais pour la situation définitive vers laquelle on marchera pas à pas, et chaque jour améliorant la condition des campagnes ; pour cette situation définitive, je dis que la répartition normale serait parfaitement équitable. C'est donc de celle-là que je m'occupe. C'est, au surplus, pour la rendre aussi équitable que possible, particulièrement pendant la période de transition, que j'y ai fait entrer certains éléments, notamment le produit de la poste dont le revenu net est donné exclusivement par les villes.

Je reprends donc : si nous avions un Zollverein d'octrois, les populations agricoles ne trouveraient pas une part plus considérable dans le fonds communal, et je crois qu'en prenant cet exemple du Zollverein, je puis fournir à la Chambre des éléments de conviction suffisants.

Si deux pays ayant des populations agricoles et urbaines dans des conditions analogues se réunissaient pour établir une union douanière, rien de plus simple que d'opérer la répartition par tête d'habitant ; mais si ces populations sont dans des conditions différentes, si l'élément urbain, et particulièrement l'élément industriel, domine d'un côté, et l'élément agricole, de l'autre, croyez-vous que la répartition par tête d'habitant soit alors juste et puisse être effectuée ?

C'est ce qu'il a fallu décider dans le Zollverein. Certaines petites principautés où l'élément urbain est en disproportion avec l'élément rural, ne pouvaient entrer dans le Zollverein avec le partage par tête d'habitants qu'à des conditions ruineuses.

Et qu'a-t-on fait ? Le Zollverein a établi des exceptions. En 1823, les duchés d'Anhalt-Dessau et d'Anhalt-Bernbourg ont été a dmis à prélever un préciput qui n'a cessé qu'en 1853.

En 1839 ou 1840 on a traité de l'accession du Hanovre et de l'Oldenbourg dans le Zollverein ; le Hanovre prétendait que sa consommation des articles soumis aux droits était plus considérable qu'elle ne l'était dans le Zollverein. Je ne puis, disait-il, adhérer au partage par tête.

Pendant dix ans, à cause de ces motifs, le Hanovre est resté en dehors du Zollverein. En 1853 on s'est déterminé à faire droit à ses observations, en lui reconnaissant une position particulière ; on a accordé au Hanovre et à Oldenbourg un préciput. Ils sont entrés à ces conditions dans l'association douanière allemande. Messieurs, ce sont des raisons, des discussions tout à fait analogues à celles qui nous occupent, qui sont reproduites dans les documents fournis par le gouvernement prussien à ses confédérés pour justifier l'accession :

« Il est évident, porte le mémoire adressé par la Prusse aux ouvernements du Zollverein, il est évident pour chacun que le Hanovre n'avait aucun motif de payer son accession au Zollverein par un grand sacrifice pécuniaire, et que dès lors, si l'on voulait sérieusement lier des négociations, il fallait admettre, de prime-abord, la nécessité d'un préciput pour ce pays.

« Le gouvernement prussien n'a cependant admis cette nécessité qu'après un mûr examen des motifs qui avaient fait rejeter une demande analogue en 1842 ; ces motifs peuvent se résumer comme suit :

« Il est indubitable que l'étude la culture, de la production et de la consommation dans les divers Etats isolés du Zollverein, soit qu'on les compare entre eux, soit qu'on les examine par parties isolées, présentent des différences notables, et que ces différence, doivent notamment exercer une grande influence sur la consommation des articles qui constituent, comme par exemple le sucre, le café, le tabac et le vin, les principales branches du revenu du Zollverein.

« L'expérience a constaté que dans les régions manufacturières on consomme beaucoup plus de sucre et de café que dans les contrées où la grande manufacture est inconnue. »

« Il est de plus juste et équitable que chaque pays touche, en réalité une part dans ces impôts égale à celle payée par la consommation de ses habitants, et on ne saurait avoir l'intention de •porter quelque atteinte à ce droit, de même qu'il ne peut entrer dans l'intention de personne, d'un côté de faire cadeau d'une partie de ces droits, de l'autre, d'accepter un pareil cadeau. Cependant ces considérations ne fournissent pas des motifs sérieux pour attaquer le principe que le Zollverein a adopté pour la répartition de ses revenus, en prenant pour base le dénombrement de la population. ; car, d'abord, il serait impossible, sans sacrifier la base essentielle de toute réunion douanière, la libre circulation, de rechercher, avec quelque certitude, à quel Etat de la réunion revient le plus ou le moins, basé sur la plus ou moins grande consommation de l'un ou de plusieurs articles tarifés. Ensuite, il ne faut pas perdre de vue, lorsqu'on veut établir, en chiffres, une pareille équipollence, que la conséquence de la réunion elle-même et l'extension de la liberté des relations commerciales ont amené nécessairement une augmentation de prospérité, principalement pour les pays où une culture et une production plus avancées ont encore eu pour conséquence une consommation plus considérable d'articles tarifés.

« Ainsi les manufacturiers qui consomment beaucoup plus de sucre et de café, produisent des articles qui sont principalement consommés dans les contrées du Zollverein, qui, fabriquant moins, consomment aussi moins de sucre et de café, mais qui en achetant ces produits manufacturés, fournissent en réalité, aux ouvriers des manufactures, la possibilité de consommer encore une plus grande quantité de produits tarifés. En dehors de ces idées générales, on faisait encore entrer en ligne de compte pour le Hanovre, que la consommation plus grande d'objets fortement imposés, comparativement à celle du Zollverein, était plus apparente que réelle, parce qu'une grande partie de ces articles (page 1410) n'étaient importés dans le Hanovre que pour être ensuite introduits dans le Zollverein...

« Sans vouloir en rien énerver la valeur de ces questions de principe, soit en ce qui concerne la position relative des divers Etats du Zollverein entre eux, soit dans leurs rapports avec l'état de choses tel qu'il existait il y a dix ans, le gouvernement prussien a cependant jugé, après mûr examen, qu'il ne pouvait pas être appliqué dans le moment actuel, pour servir de point de départ dans les rapports à établir entre le Zolkverein et le Steurverein.

« ... Il vous est prouvé à la dernière évidence qu'il existe, en rélalité, une consommation effective beaucoup plus considérable d'objets fortement imposés dans le Steuerverein que dans le Zoliverein ... Ces considérations doivent amener la conviction que cette consommation majeure du Steuerverein ne saurait éprouver une diminution notable après sa réunion au Zollverein.

« D'un autre côté, la considération générale que l'extension de la liberté de circulation et du nombre des consommateurs doit finir par amener une compensation équitable, par suite de l'augmentation des revenus de la généralité, ne saurait être applicable au Steuerverein. Cette compensation, en effet, s'établit dans un pays ou l'activité manufacturière prend une position hors ligne dans les forces productives d'une nation comparativement à un autre pays où l'industrie est peu développée, ou n'existe même pas ; mais elle ne saurait être invoquée lorsqu'une région presque exclusivement agricole, comme le Steuerverein, est unie à un autre pays où la fabrication, il est vrai, est plus développée, mais où cependant l'agriculture forme la base la plus importante de la fortune publique. Dans un pareil état de choses il s'établira bien un échange réciproque des produits des deux pays dans l'extension la plus grande, mais on ne saurait en tirer l'induction qu'il doive en résulter, en faveur du Steuerverein, un avantage assez grand pour compenser la diminution qu'il éprouverait dans son revenu actuel.

« Ce sont ces motifs qui ont amené le gouvernement prussien à admettre le principe du préciput. On avait gagné par là une base pour un traité futur, mais la difficulté réelle qui se présentait encore, celle d'un accord sur la fixation du chiffre du préciput.

« On a donné les motifs qui font croire qu'une diminution de consommation était peu probable, mais il n'en était pas moins difficile d'établir, en chiffres, avec quelque certitude, quelle serait en réalité cette consommation future. On ne pouvait, de tous côtés, invoquer que des probabilités, et après de longues discussions sur des propositions présentées soit par la Prusse, soit par le Hanovre, on a fini par s'entendre sur les bases de l'article 11 ...

« Le gouvernement prussien ne peut se dissimuler que la convention doit avoir pour conséquence une diminution dans le revenu brut du Zollverein et par conséquent de son propre revenu ; mais il ne faut pas perdre de vue que cette diminution du revenu brut sera atténuée, en partie, par les économies des frais d'administration que la réunion du Steuerverein permettra d'introduire, économies qui, pour le Zollverein, monteront probablement à 300,000 thalers. Quoi qu'il en soit, le gouvernement prussien pense que le Zollverein n'hésitera pas un instant à faire des sacrifices encore plus considérables lorsqu'il s'agit d'atteindre un but aussi important. »

Ainsi, malgré le principe admis, en thèse générale, du partage par tête, le Zollverein a dû consacrer des exceptions notables lorsqu'il a été prouvé que la consommation des objets soumis aux droits était beaucoup plus considérable dans certaines contrées que dans d'autres. A bien plus forte raison, nous pouvons dire qu'il en doit être de même lorsqu'il s'agit d'un partage entre villes d'une part et campagnes de l'autre. Il est d'une évidence palpable que la consommation est incomparablement plus forte dans les villes que dans les campagnes.

Mais il est encore une autre exception plus décisive, plus applicable à la situation qui nous occupe ; c'est celle qui a été faite pour la ville de Francfort.

Cette fois, on rencontrait une ville et une banlieue avec une population agricole très insignifiante eu égard à l'ensemble de cette population ; que faire ? Lui donner le partage par tête d'habitant, c'était impossible ; manifestement la consommation des divers objets soumis aux taxes est plus considérable dans la ville qu'à la campagne. Il n'y avait pas ici de compensation ; elle ne pouvait pas se faire ; comment a-t-on procédé ? C'est en 1836, je pense, que la chose s'est faite et elle est encore en vigueur aujourd'hui ; on a décidé qu'un habitant de Francfort compterait comme 4 2/5, et un paysan pour un. C'est la base de la répartition pour la ville de Francfort.

Appliquez ces principes au système dn projet de loi et il est complètement justifié ; la règle qui a été admise pour la ville de Francfort, appliquez-la à vos propres villes, et vous reconnaîtrez que les bases de la répartition que le projet consacre sont conformes à l'équité.

J'ai justifié de nouveau les diverses propositions que le gouvernement a l'honneur de soumettre aux délibérations de la Chambre.

Je m'adresserai maintenant au patriotisme de l'assemblée. Ce n'est pas une œuvre de parti que nous lui présentons, c'est une œuvre à laquelle tous nous pouvons concourir. Nous la croyons nationale ; nous la croyons digne des préoccupations les plus sérieuses de la législature ; nous croyons aussi que le temps est propice pour s'occuper de pareilles réformes ; nous devons montrer ici qu'au milieu des circonstances s difficiles où se trouve l'Europe, confiants dans nos destinées, nous cherchons à améliorer nos lois, à réformer profondément, courageusement, les abus qui peuvent exister dans nos institutions.

M. B. Dumortier. - Il est une question, une demande que je ne puis pas tarder plus longtemps à adresser au gouvernement. L'article 14 du projet de loi, qui est l'article capital de la loi, stipule qu'on garantit aux villes à octroi leurs recettes sur le pied du revenu effectué en 1859. Nous avons réclamé à plusieurs reprises pour connaître le chiffre des revenus des villes à octroi en 1859. Jusqu'ici ce tableau ne nous a pas été communiqué, en telle sorte que la Chambre est appelée à voter une chose qu'elle ne connaît pas, qu'elle ignore ; il est impossible que dans les circonstances où nous nous trouvons ce tableau ne soit pas fourni à la législature ; nous l'avons demandé en sections, on ne nous l'a pas fourni, on a renouvelé la demande en section centrale, on ne le fournit pas encore, je demande que M. le ministre veuille bien nous le remettre ; dans le cas contraire je demanderai, que le bureau écrive à toutes les communes à octroi de la Belgique pour connaître le produit de leurs recettes en 1859. En vain viendrait-on dire que les comptes des villes ne sont pas faits ; on sait que c'est dans le mois d'août que les conseils communaux se réunissent pour procéder au règlement des comptes, mais les comptes des octrois des villes comme ceux des recettes de l'Etat sont clos le 31 décembre ; mais dès les premiers jours de janvier, chaque ville connaît les recettes qu'elle a faites.

Il est impossible que, dans une discussion de cette importance, la Chambre reste dans l'incertitude sur le point même qui domine la loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). L’honorable M. Dumortier est dans une grande erreur. Il suppose que les renseignements dont il parle ont été demandés à cor et à cris par tout le monde, et que le gouvernement ne les a pas donnés. Mais dès que ces renseignements ont été demandés par une section, ils lui ont été transmis.

M. B. Dumortier. - Je n'y étais pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est fâcheux.

- Un membre. - Le renseignement a été donné in globo.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Evidemment. La section m'a demandé quel était le chiffre des recettes des octrois en 1859 ; j'ai répondu que ces recettes s'élevaient à 11,250,000 fr. Le rapport de la section centrale, page 43, reproduit ce chiffre, et indique que c'est un chiffre approximatif. Il y a eu des réclamations de communes intéressées, d'où il résulte que le chiffre est de 11,303,000 fr. ; je le dis de mémoire, mais je crois qu'il est exact.

Voilà la situation. Je ne sache pas que d'autres renseignements aient été demandés ; je serai d'ailleurs toujours prêt à donner tous ceux qu'on pourrait réclamer.

Le chiffre du produit des octrois en 1859, tel qu'il est accusé par les communes, est de 11,303,000 fr.

M. B. Dumortier. - Ce que j'ai dit est d'une exactitude parfaite. Dès le lendemain du dépôt du projet de loi, mon honorable ami M. Tack a demandé le détail complet du produit des octrois dans chacune des communes à octroi. Je prie mon honorable ami de dire si cela est exact.

M. Tack. - Il me semble bien que oui. Le Moniteur est là pour en faire foi. Je suis certain d'avoir fait cette demande en section et je crois aussi l'avoir faite le lendemain ou le surlendemain du dépôt du projet de loi. J'ai demandé deux renseignements, dont l'un était le produit de l'octroi dans chaque commune.

M. B. Dumortier. - Dans la quatrième section j'ai réclamé le même tableau. On a répondu en envoyant non pas le tableau mais un chiffre global, un chiffre approximatif. Or la Chambre ne peut se prononcer sur de pareilles questions d'après des approximations ; elle doit être tenue au courant de la vérité des faits.

Si la Chambre veut voter l'article 14, qui garantit aux villes le produit de leur octroi au prorata de 1859, il importe de savoir quelles étaient les recetltes de l'octroi dans ces communes avec tous leurs détails. C'est un travail qu'il est facile de se procurer, car nous sommes à la fin du premier semestre, et les comptes des communes sont dus au 1er janvier.

Je demande donc que M. le ministre des finances nous procure non plus un chiffre global, mais un tableau sérieux et réel pour toutes les villes, et dans le cas où ce serait impossible, je fais la motion formelle que le bureau s'adresse immédiatement aux 78 communes à octroi pour avoir ces renseignements.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je tiens qu'un seul renseignement m'a été demandé : le produit total des recettes des octrois des 78 communes, et je conçois difficilement qu'on puisse en réclamer utilement un autre. Mais si on le demande, comment supposer que j'aie intérêt à le refuser ? Le chiffre des recettes des 78 communes en 1859 suffit pour expliquer l'article 14. Mais puisque M. B. Dumortier a quelque argument à tirer des chiffres de chacune des communes, je ne fais aucune difficulté de lui fournir ces renseignements. •

M. B. Dumortier. - Je demande que ce renseignement soit distribué dans le plus bref délai possible.

(page 1411) M. le président. - La parole est à M. de Naeyer.

M. de Naeyer. - J'y renonce, M. le président ; je voulais demander le renseignement qui vient d'être offert par M. le ministre des finances, c'est à-dire la décomposition du chiffre de 11,250,000 fr., montant des octrois communaux pour l'année 1859.

- La discussion générale est continuée à demain.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère de l’intérieur

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) présente un projet de loi de crédit extraordinaire de 275,000 francs demandé par le département de l'intérieur, pour acquisition d'un hôtel faisant le coin des rues Ducale et Latérale du Parc, à Bruxelles, et pour la transformation en jardin public du terrain attenant à cet hôtel.

- La Chambre donne acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi, en ordonne l'impression et la distribution, et le renvoie à l'examen d'une commission à nommer par le bureau.


M. le président. - Conformément à une décision de la Chambre, les sections seront convoquées pour demain à l'effet d'examiner le projet de loi sur l'enseignement supérieur.

- La séance est levée à quatre heures et demie.