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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 25 avril 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 1201) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Lambert-Joseph Breukers, employé à la papeterie à Saventhem, né à Maestricht, demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des habitants de Wesemael présentent des observations contre le projet de loi qui supprime les octrois. »

« Mêmes observations d'habitants de Villers-Saint-Amand, Wackerzeel, de propriétaires, cultivateurs et ouvriers à Irchonwelz, Ligne, Moulbaix, Ath, Bouvignies et des membres du bureau de bienfaisance d'Irchonwelz. »

- Renvoi à la section centrale du projet de loi.


« Des habitants de Thuin présentent des observations sur le projet de loi qui supprime les octrois. »

« Mêmes observations d'habitants de Luttre, Bourlers, Grand-Reng, Lillois-Witterzée, Fontaine-Valmont, de cultivateurs et ouvriers de Villers-Notre-Dame. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Stavele demandent qu'il soit donné cours légal aux pièces décimales françaises en or, ou tout au moins que ces monnaies soient reçues pour leur valeur nominale dans les caisses de l'Etat, et proposent subsidiairement que le gouvernement soit autorisé à battre pour son compte et pour compte des particuliers, des monnaies d'or belges de même valeur, titre et module que l'or français. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Sutendael demandent la construction d'un chemin de fer de Tongres à Bilsen. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal et les membres du bureau de bienfaisance de Cherscamp demandent que le projet de loi sur l'art de guérir continue aux médecins des communes rurales le droit de cumuler la pharmacie et la médecine. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Plusieurs brasseurs dans l'arrondissement de Charleroî présentent des observations contre la partie du projet de loi supprimant les octrois qui est relative à la brasserie. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi.


« Des brasseurs à Nieuport présentent des observations sur le projet de loi qui supprime les octrois et proposent de porter le taux de l'accise sur la bière à 3 fr. par hectolitre de cuve-matière. »

- Même renvoi.

« Des habitants de Saint-Jean-Geest et de Sainte-Marie-Geest demandent l'abrogation des articles 22 et 23 de la loi du 11 juin 1850 sur l'exercice de la médecine vétérinaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Des habitants de Seloignes demande une enquête sur certains actes de l'administration communale. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Pry réclament l'intervention de la Chambre pour qu'il soit ordonné au bourgmestre de cette commune de suspendre des travaux de répartition dont il a remis l'entreprise à forfait sans l'intervention du conseil communal. »

- Même renvoi.


« M. Royer de Behr demande un congé. »

- Ce congé cet accordé.


M. le président. - Je rappelle à la Chambre que, par la décision prise samedi, elle assistera en corps au service funèbre qui sera célébré demain pour M. Charles de Brouckere. En conséquence, elle se réunira demain à dix heures et demie, au local de ses séances,

Règlement de la chambre

Rapport de la commission

M. E. Vandenpeereboom. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner la question de savoir s'il y avait lieu de réviser le règlement.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Notre ordre du jour est peu chargé, et il est difficile que les sections, avant qu'elles aient terminé l'examen du projet de loi concernant les octrois, s'occupent d'autres questions ; il serait possible cependant de réunir quelques commissions spéciales, si la Chambre voulait confier à ces commissions le soin d'examiner trois ou quatre projets de loi n'ayant qu'une importance administrative, et qui présentent un certain caractère d'urgence.

Ces projets sont : 1° le projet de loi portant prorogation du tarif des correspondances télégraphiques ; 2° le projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget des non-valeurs ; 3° un projet de loi allouant un crédit au département des travaux publics pour payer des condamnations judicaires ; 4° le projet de loi approuvant la convention intervenue entre la province et l'Etat au sujet des bâtiments de l'hôtel provincial.

Je crois qu'on pourrait renvoyer ces quatre projets à des commissions, qui nous feraient, après examen, un rapport, et nous aurions ainsi de quoi nous occuper en séance publique.

M. Goblet. - On pourrait réunir la section centrale pour la marine ; il y a déjà plus de six semaines que les sections ont nommé leurs rapporteurs.

M. Dolez. - Je ferai remarquer à l'honorable M. Goblet que si cette section centrale n'a pas été réunie, c'est à la demande de M. le ministre des affaires étrangères qui a des renseignements ultérieurs à donner. C'est ce que j'ai déjà eu l'honneur de dire, il y a trois jours, à l'honorable membre.

M. Goblet. - Pardon, vous m'avez dit avoir des objets plus urgents à traiter, et comme il y a de cela assez longtemps et qu'aujourd'hui nous n'avons rien à l'ordre du jour, j'ai cru bien faire en demandant la réunion de la section centrale, qui doit traiter cette question de il marine depuis si longtemps en suspens.

M. le président. - Je propose de renvoyer le projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget des non-valeurs à la section centrale qui a examiné le budget des non-valeurs et à des commissions spéciales à nommer par le bureau les trois autres projets.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - Voici la composition des trois commissions chargées d'examiner ces projets :

Pour le projet de loi relatif à la reprise par l'Etat des bâtiments de l'hôtel provincial du Brabant, MM. Van Volxem, Guillery, de Boe, de Naeyer et Magherman ;

Pour le projet de loi allouant un crédit au département des travaux publics, MM. de Montpellier, Goblet, De Fré, Tack et Moreau ;

Pour le projet de loi portant prorogation du tarif des correspondances télégraphiques ; MM. Orban, de Florisone, de Ridder, d'Ursel et Nothomb.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre V)

Discussion des articles

Titre V. Des crimes et des délits contre l’ordre public, commis par des particuliers

Chapitre IX. De quelques autres infractions à l'ordre public
Section V. De l’usure
Article 367

M. le président. - M. le ministre de la justice ne peut assister à la séance ; il a perdu ce matin sa sœur. Je demanderai au gouvernement s'il entre dans ses intentions de demander que la discussion sur le Code pénal soit remise à un autre jour.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Mon honorable collègue a déclaré qu'il se ralliait au projet de la commission. La discussion peut donc continuer.

M. le président. - On pourrait continuer aujourd'hui la discussion et remettre le vote à après-demain. (Adhésion.) En conséquence la discussion continue sur l'article 367.

La parole est à M. de Haerne.

M. de Haerne. - Messieurs, je vous ai fait connaître mon opinion sur la question qui nous est soumise.

L'honorable rapporteur a reproduit hier cette opinion d'une manière un peu inexacte.

Il a fait entendre qu'il y avait une différence entre l'opinion de l’honorable M. Guillery et la mienne. Cette différence n'est pas très grande. Elle consiste en ce que je suis moins restrictif que l'honorable auteur de l'amendement. Je reconnais que, pour être logique, il faudrait aller aussi loin qu'il le voudrait et réprimer non seulement l'habitude du fait, mais le fait isolé. Cependant, vu que la loi actuelle ne va pas jusque-là, je ne pense pas qu'il faille pousser la logique jusqu’à l'extrême, l'expérience ayant prouvé que la loi actuelle est suffisante pour notre pays.

Je me rallie donc à ce qui a été dit dans la séance d'hier par l'honorable M. Nothomb.

(page 1202) On a voulu informer les citations que j'ai eu l'honneur de vous faire, en disant que je n'avais pas tenu comité de l'opinion des majorités qui se sont prononcées pour la liberté illimitée de l'usage de l'argent.

Messieurs, si j'avais invoqué l'autorité de la Hollande, l'autorité de l'Angleterre, comme l'honorable rapporteur suppose que je l'ai fait, évidemment je n'aurais pas été logique. Si j'avais prétendu que la Hollande avait maintenu le système que je défends, que l’Angleterre voulait le maintenir, je n'aurais pas été dans le vrai.

Mais quand je me suis étayé des autorités appartenant à ces deux pays et à d'autres encore, c'est sous divers rapports que je l'ai fait. D'abord, tout en reconnaissant que la Hollande avait aboli, en 1857, la loi de 1807, j'ai fait voir que dans ce pays le régime que nous défendons a existé pendant des siècles. Je me suis appuyé sur l'exemple de la république hollandaise, j'ai invoqué l'autorité de certains orateurs néerlandais, pour faire voir à quel point de vue les protestants envisageaient la question. Voilà pourquoi j'ai cité des autorités, mais des autorités raisonnées.

Ce n'était pas ma raison individuelle que je faisais valoir, mais la raison de l'autorité, qui vaut bien l'autorité de la raison. Je n'ai pas développé les paroles des orateurs en y ajoutant mes réflexions, pour ne pas fatiguer la Chambre ; il m'eût été très facile de faire de longs raisonnements et d'arriver ensuite à des conclusions, mais j'ai pensé que c'était inutile et que les conclusions sortiraient d'elles-mêmes des paroles que j'avais citées.

Quant à l'Angleterre il y a eu une certaine méprise de ma part, mais je n'ai fait, sous ce rapport, que suivre les errements de la commission. J'ai pensé que le régime, tel que je l'avais exposé, était demeuré en vigueur jusqu'à nos jours. C'est une erreur, mais l'état transitoire et expérimental a duré en Angleterre pendant 36 ans, en y comprenant les discussions préparatoires qui datent de 1818. La législation a été modifiée successivement, et, comme l'a dit l'honorable rapporteur, elle a été démolie pièce par pièce.

C'est précisément en cela que j'ai fait comprendre que l'exemple de l'Angleterre devait être suivi, à cause de la sagesse qui précède toujours aux actes intérieurs chez cette grande nation. Si c'est là sa manière ordinaire de procéder en législation, comme l'a dit l'honorable M. Pirmez, c'est une raison de plus de l'imiter.

Il ne faut pas croire, cependant, que la loi actuelle en Angleterre soit tout à fait dans le sens des principes invoqués par l'honorable rapporteur ; il existe encore des exceptions ; ainsi, il y a encore des dispositions restrictives en ce qui concerne les prêts sur gages, pour lesquels l'intérêt ne peut être que de 12 p. c. lorsqu'il s'agit d'argenterie ou de joyaux et de 15 p. c, lorsqu'il s'agit d'autres objets donnés en gage.

Il y a en outre cette exception que lorsqu'il n'y a pas de contrat, lorsque l'intérêt n'a pas été stipulé, le taux ne peut excéder 5 p. c. Cette même restriction existe en Belgique ; mais si le système de la commission était admis, il serait impossible de la laisser subsister, ce serait illogique. (Interruption.)

Je dis, messieurs, que l'Angleterre n'a pas poussé la théorie jusqu'à ses dernières conséquences, ce qui fait voir, comme je l'ai établi dans mon discours du 18 de ce mois, qu'en cette matière comme en beaucoup d'autres, les théories ne sont jamais appliquées d'une manière absolue. C'est ce que M. Spooner a fait voir dais la séance de la chambre des communes du 4 août 1854.

Quant aux Etats-Unis on a voulu réduire les faits que j'ai cités à de très petites proportions, en assimilant l'intérêt usuraire qui est perçu dans ce pays à celui qui se perçoit ici, par une espèce de tolérance, dans ce qu'on appelle les prêts à la petite semaine, que j'expliquerai tout à l'heure d'après nos cours de justice.

S'il s'agissait de faits semblables, l'exemple que j'ai cité n'aurait pas grande valeur ; mais, comme je l'ai fait observer hier en interrompant l'honorable rapporteur, il s'agit, en Amérique de conventions bien plus larges et qui ne s'appliquent pas seulement au petit commerce qui emprunte à gros intérêts pour acheter des marchandises qu'il revend immédiatement avec un grand bénéfice ; il s'agit de toute autre chose et je vais en donner la preuve. Voici, messieurs, puisqu'on veut infirmer l'autorité que j'ai citée, voici comment s'explique l’éminent économiste américain, M. Carey.

« Dix ans, dit-il, se sont écoulés depuis la découverte de l'or de la Californie. Cette découverte, prétendait-on, devait produire chez nous une grande réduction dans le taux de l'intérêt payé par ceux qui travaillent surtout dans les contrées de l'Ouest. Ces résultats ont-ils été réalisés ? N'est-ce pas tout le contraire ? Nos ouvriers mineurs, nos manufacturiers, nos travailleurs, nos planteurs et colons (settlers) qui habitent l’Ouest payent aujourd’hui trois fois le prix de l’usage de la monnaie, par rapport au taux qu’on payait avant 1846.

Ne payent-ils pas (ajoute-t-il, et c'est la citation à laquelle je m'étais borné la première fois, croyant qu'il n'était pas nécessaire d'aller au-delà et que ma pensée aurait été suffisamment comprise), ne payent-ils pas autant parfois que les fermiers et les ouvriers payent par an dans les pays d'Europe protégés sous ce rapport ? »

Vous voyez, messieurs, que je n'ai rien renforcé, rien exagéré, qu'au contraire je n'ai pas donné à la citation toute la force que je pouvais lui donner.

Messieurs, cette détresse qui existe en Amérique ne se rapporte pas seulement à la classe ouvrière et manufacturière ; mais le gouvernement lui-même s'en est ressenti. Le même auteur et d'autres écrivains encore que j'ai consultés, font voir les graves difficultés dans lesquelles s'est trouvé le gouvernement de Washington, pour se procurer les fonds nécessaires, surtout dans les temps de crise, et particulièrement dans la grande crise de 1857. On a dû faire un sacrifice de 20 millions de dollars (plus de 100 millions de francs), pour combler le déficit qui existait à cette époque, et l'on a dû recourir à l'Europe pour faire des emprunts à des taux excessivement élevés.

La liberté des prêts n'avait donc pas attiré les capitaux en Amérique.

« Jetez les yeux, dit M. Carey, sur l'état de notre trésor public et comparez-le à celui de la France. Celui-ci propose de prêter de l'argent au peuple à un intérêt peu élevé ; l'autre court sans cesse les marchés, en qualité d'emprunteur pour se procurer de l'argent à des taux d'intérêt plus élevés que ceux qui sont payés par aucun gouvernement qui passe pour civilisé. »

« Les terres pour construction de routes, dit le même auteur dans sa lettre du 20 février 1860, adressée au « North american and United States Gazette » de Philadelphie, les terres sont grevées d'énormes taux d'intérêt, seul moyen de commencer la construction des routes. »

Messieurs, on a voulu infirmer aussi les citations que j'ai puisées dans les débats qui ont eu lieu en France à deux époques différentes, en 1830 et en 1850. On a dit que la France n'est pas un pays à citer en cette matière.

Je sais très bien, et je l'ai dit dans mon premier discours, que nous avons plus de rapports avec l'Angleterre qu'avec la France, au point de vue des libertés politiques.

Mais dans cette matière-ci, il s'agit plutôt d'intérêts sociaux ; c'est, à mes yeux, une question sociale bien plus qu'une question libérale proprement dite, que nous traitons dans ce moment.

Et sous ce rapport la France n'est pas aussi arriérée qu'on a l'air de le dire. N'a-telle pas aboli les majorats qui existent encore en Angleterre ? Or, il y a un rapport très intime entre l'institution des majorats et le taux de l'intérêt dans les emprunts, particulièrement dans ceux qui sont faits par l'agriculture. En effet, pourquoi l'usure est-elle fatale à la petite culture qui existe en France et en Belgique ?

A cause du peu de moyens qu'ont les petits cultivateurs, tandis qu'en Angleterre, c'est la grande culture qui se pratique ; la propriété ne pouvant être morcelée, on n'a pas à redouter les inconvénients de l'usure, comme on doit les redouter en France et surtout en Belgique, où ce fléau pèserait sur la petite culture, si elle n'était protégée par la loi. Sous ce rapport la France n'est pas arriérée, la division des propriétés et les institutions qui en sont la cause, sont plus en harmonie avec le mouvement du siècle, avec les idées de progrès, que les institutions anglaises concernant la propriété.

C'est, je le répète, une question sociale avant tout ; et sous ce rapport mes raisonnements étaient parfaitement applicables à notre situation en Belgique.

Il y a une autre considération qu'on ne peut pas perdre de vue dans cette matière. L'Angleterre est une puissance commerciale et industrielle sans rivale dans le monde, ayant une population coloniale déplus de 200 millions d'habitants, dont elle tire des capitaux énormes ; elle n'a pas à craindre, comme certains autres pays, la pénurie de l'argent.

La Hollande est dans une position analogue, la liberté de l'intérêt de l'argent ne peut pas affecter cette nation, comme bien d'autres.

Elle a environ dix-sept millions d'habitants dans ses colonies, qu'elle exploite au moyen du privilège de la Handelmaatschappij et d'un tarif colonial éminemment protecteur, qui fait affluer dans une proportion considérable, par suite de la grande prospérité de Java et d'autres îles néerlandaises, les capitaux dans les Pays-Bas.

Puisqu'on s'appuie particulièrement sur l'exemple de ce pays, je dois encore un mot d'explication à la Chambre.

La loi en Hollande a été votée à la fin de décembre 1857. D'après les nouvelles que j'ai reçues d'un membre très influent des états généraux, cela s'est fait avec une précipitation incroyable et tout à fait en opposition avec le caractère calme des Hollandais.

On a cité contre nous l'exemple de la Sardaigne et de l'Espagne. Dans ces pays, surtout en Sardaigne, je l'avoue, la question a été beaucoup plus mûrement examinée que dans les Pays-Bas.

Deux fois la question de la liberté du prêt à intérêt a été présentée aux chambres sardes, la première fois en 1856, et alors la proposition a été rejetée ; la seconde fois elle a été adoptée à une majorité qui n'était pas énorme, savoir, par 71 voix contre 62. C'était le 13 mars 1857.

Dans la séance du 4 mars, M. Chiglini, qui prit une grande part à la discussion, fit une observation frappante pour prouver que l'équilibre des capitaux ne s'établit pas si facilement de pays à pays, que le prétendent ceux qui veulent tirer de là un argument contre la limitation du prêt à intérêt.

« De 1844 à 1855, dit-il, l'escompte s'éleva à Londres jusqu'à 8 p. c. et descendit à 2 p. c, tandis qu'à Paris, pendant la même période, il n'atteignit pas 6 p. c. et ne s'abaissa guère (non si abasso nemmanco) en-dessous de 4 p. c. Les capitaux et les hommes, s'écrie-t-il avec M. Michel Chevalier, s'expatrient difficilement. » Ce qui est certain, c'est que la liberté du prêt n'a pas attiré, les (page 1203) capitaux en Sardaigne, où les importations dépassent les exportations de 100 millions par an.

Je dois, à ce sujet, donner quelques détails à la Chambre ; il ne suffit pas de dire : On a voté des lois de liberté dans tel ou tel pays ; il faut voir quelles ont été les conséquences de ces lois. Je crois, d'ailleurs, qu'elles sont un peu le résultat des circonstances du moment plutôt que de l'expérience. Elles sont de date très récente, elles sont de 1857, en Hollande comme en Sardaigne ; je crois que la crise monétaire qui pesait dans ce moment sur toute l'Europe, a été pour beaucoup dans la présentation et dans l'adoption de ces lois.

Mais quelle a été la conséquence de la loi en Sardaigne ? Messieurs, en Sardaigne comme en Espagne, on se plaint déjà du régime nouveau, et, si vous voulez me le permettre, je vais vous lire un passage d'une lettre que je viens de recevoir d'un député du Piémont. M. le comte Della la Margarita. Voici comment il s'exprime :

« La malheureuse loi sur la liberté de l'usure a été discutée à la Chambre au mois de mars 1887. Je n'ai pas pris part à la discussion de cette loi ; mais j'en ai voté le rejet. Au Sénat elle a passé avec une très faible majorité.

« Les conséquences de l'adoption de la liberté des prêts n'ont pas tardé à donner raison à ceux qui s'y étaient opposés. Elle a été la cause de la ruine et de la faillite de beaucoup de familles. Tous les jours on ressent davantage les déplorables effets de cette mesure. Les usuriers ne se contentent pas de 6 ou de 7 p. c. ; mais ils prétendent à 10 et à 12 p. c. Des magistrats honnêtes ont eu le désespoir d’approuver des contrats où l'intérêt était stipulé à 40 p. c. Ils auraient dû agir de la même manière, s'il avait été plus exorbitant encore, pour obéir à la loi.

« Tout le monde se plaint de cette loi, à l'exception de ceux qui en profitent et des économistes qui applaudissent à toutes les théories utopiques de nouvelle invention. »

Voilà comment s'exprime M. Solar della Margarita dans la lettre qu'il m'a fait l'honneur de m'adresser et où il fait voir, par le tableau qu'il trace des effets de la loi, que celle-ci a produit un véritable désastre pour les emprunteurs en Sardaigne.

Messieurs, je viens de vous dire que dans les citations que j'ai faites, j'ai eu soin de faire ressortir les raisons qu'alléguaient les orateurs et les écrivains dont j'ai invoqué les noms. C'était l'autorité raisonnée ou, comme on dit, la raison de l'autorité, à laquelle je tiens beaucoup, parce qu'enfin, quelque confiance qu'on ait en soi-même, on voit toujours avec plaisir que sa propre raison s'accorde avec celle d'autres, et qu'un certain nombre d'hommes considérables et compétents viennent appuyer les motifs qu'on peut alléguer en faveur de la thèse que l'on soutient. Mais j'ai encore d'autres autorités à citer et qui se rapportent à notre pays. Je crois que leurs paroles seront écoutées avec quelque attention comme étant non seulement des plus intéressantes, mais des mieux raisonnées et comme s'appliquant d'une manière parfaite à notre situation, puisqu'il s'agit de l'avis d'autorités des plus compétentes du pays, qui ont été consultées officiellement sur le projet qui vous est soumis.

Permettez-moi de faire connaître à la Chambra quelques passages des documents qui ont été déposés sur le bureau à l'occasion de cette discussion.

Je jetterai d'abord un coup d'œil sur le rapport de la cour d'appel de Liège.

Cette cour, après avoir examiné les rapports et les renseignements recueillis dans les divers arrondissements du ressort, s'est prononcée en faveur de la thèse que je défends ici devant vous. J'aurai l'honneur, messieurs de vous citer quelques extraits du rapport de cette cour. Il est trop long pour le lire en entier. Mais il s'oppose d'une manière formelle au projet de la commission. Voici d'abord ce qu'il dit de ce qu'on appelle le prêt à la petite semaine dont il a été question hier.

« Dans certaines circonstances on prête de petites sommes au jour, à la semaine et au mois. Ces prêts se font sans écrit, aux risques et périls des bailleurs de fonds, à des intérêts qui sont exorbitants ; mais ils viennent en aide à des indigents en les mettant à même d'acheter des denrées et des marchandises qu'ils revendent avec un bénéfice notable les jours de marchés, de fêtes et de foires. »

M. Pirmez, rapporteur. - C'est la condamnation de votre système.

M. de Haerne. - Du tout ; il s'agit ici d'une exception qu'on ne peut empêcher. J'ai raisonné de conventions générales, régulières, notamment quant à l'Amérique. Le prêt à la petite semaine n'est pas une usure sur une grande échelle. Elle n'abuse pas des besoins de l'emprunteur, abus que nous voulons réprimer. Du reste, c'est la cour de Liège qui raisonne ainsi, et qui fait voir que ce mal n'est pas dangereux. Nous verrons tout à l'heure que l'usure ruineuse, l'usure proprement dite, n'est guère connue dans les parties les plus morales du pays.

M. Pirmez. - La cour de Liège se condamne elle-même.

M. de Haerne. - « La loi de 1807, continue cette cour, fonctionne depuis un demi-siècle ; elle a mis un frein à l'usure. Elle est respectée comme elle doit l'être par les honnêtes gens qui sont toujours en plus grand nombre. Elle n'a empêché ni entravé les entreprises industrielles et commerciales non plus que les grands travaux d'utilité publique ; elle n'a porté aucune atteinte aux capitaux qui circulent librement même au-dessous du taux légal.

« Si l'intérêt conventionnel est abandonné à l'arbitraire, il ne tardera pas à s'élever. Il y aura baisse sans doute, quand l'argent sera très abondant, mais à la moindre crise, à l'apparence d'une guerre, les hommes avides en profiteront pour élever le taux de leurs fonds.

« Leur exemple entraînera les faibles et l'appât du gain séduira les forts. L'usure fera des progrès et finira par envahir la petite propriété, le petit commerce, la petite culture qui représente la population la plus attachée au sol et au pays. Or, c'est au bien-être de ces classes nombreuses de la nation que la politique commande de veiller et que le législateur doit toute sa sollicitude. »

Tel est, messieurs, l'avis raisonné de la cour de Liège. Je n'entrerai pas dans de plus longs développements à cet égard ; j'ajouterai seulement que sa résolution, favorable au maintien de la loi du 3 septembre 1807, a été prise à l'unanimité moins une voix.

La cour d'appel de Gand est une autorité à laquelle j'attache une importance toute particulière, parce que les Flandres sont dans son ressort. Cette cour se prononce dans le même sens que celle de Liège. Elle constate d'abord quelle est l'opinion publique dans les Flandres, puis elle dit : « Il résulte de ce qui précède qu'une atteinte serait portée à la morale publique par la liberté de l'usure qui a toujours été flétrie de quelque masque qu'elle se couvre, »

« Le rapport, dit la cour, et les discours concernant la loi de 1807 font connaître les effroyables abus qui sont nés de la liberté complète laissée aux parties quant au taux de l'intérêt par les actes législatifs de la république.

« Ces abus auraient pu être mis entièrement sur le compte du gouvernement révolutionnaire, si la loi restrictive de l'intérêt avait vu le jour pendant ou peu après la même période ; mais à partir du consulat et sous l'empire, on était revenu à des temps plus calmes, au point qu'en 1807, toutes les transactions avaient repris leur cours régulier, et cependant l'arbitraire dans les stipulations de l'intérêt continuait à produire des maux si graves, qu'on reconnut enfin la nécessité d'y porter remède.

« Quels sont les principaux griefs que l'on impute à la loi ?

« Elle est contraire, dit-on, aux principes d'économie politique qui veulent la liberté entière des transactions. Elle empiète sur le droit de propriété et demeure impuissante, puisqu'elle favorise ce qu'elle veut empêcher.

« Pour répondre à ces reproches, il n'est pas besoin d'entrer dans une discussion théorique. Il suffit de faire observer que dans toute notre législation civile et commerciale, il n'existe pour ainsi dire pas de liberté absolue et illimitée ni dans les transactions, ni dans l'usage du droit de propriété. Partout l'exercice du droit est corrélatif à un devoir, ou pour parler plus exactement, il est restreint et limité dans une certaine mesure commandée par l'intérêt général et constituant la plupart du temps une protection salutaire.

Je dirai en passant, messieurs, que le rapport du tribunal de Courtrai s'énonce dans le même sens, quant au petit nombre de cas dans lesquels cette loi est violée.

« On peut dire hardiment, continue la cour de Gand, que la loi a eu le mérite, d'une part. e mettre un terme aux excès qu'elle avait en vue de réprimer, et, d'autre part, d'être strictement observée dans notre pays. La raison en est que non seulement la loi, suivant l'expression de l'orateur du temps, est parvenue à former l'habitude nationale, mais surtout, quant à nous, que les règles qu'elle prescrit se concilient avec nos vieilles mœurs et avec l'esprit de nos anciennes coutumes.

« Depuis plusieurs mois que la question a été soumise à l'examen des tribunaux et des chambres de notaires du ressort, il n'a pas été possible de découvrir un seul fait précis qui vienne à l’encontre. Tout se réduit sur ce point à des soupçons ou à des conjectures.

« Certes il peut y avoir des abus cachés ; il n'y a pas de loi qui n'en soit susceptible ; mais pour convaincre la loi d'être impuissante, et, qui pis est, de favoriser le mal, il faudrait apporter d'autres preuves, et celles-ci font complètement défaut.

« Il en est qui comptent que la liberté illimitée sera avantageuse aux emprunteurs, en ce que l'apport d'intérêts plus élevés rendra les capitalistes plus disposés à prêter ; mais cette liberté ne tournerait-elle pas plutôt au profit exclusif du prêteur, qui, dégagé de tout lien, serait le maître d'imposer des conditions, que l'emprunteur est presque toujours forcé de subir ?

« Cela est surtout à redouter dans les campagnes et dans les petites localités où l'argent, en général, est plus rare, plus difficile à trouver et, partant, plus cher que dans les grands centres où abondent les capitaux. »

« Un fait irrécusable et que toute la science économique ne peut renverser, c'est que les gens de la campagne éprouvent plus d'embarras à se procurer des fonds que ceux des villes et sont bien souvent à la merci d'un petit nombre de possesseurs d'argent qui les exploitent. Aussi y a-t-il lieu de penser que l'usure secrète s'exerce davantage à la (page 1204) campagne qu'en ville et que là aussi l'abolition de la loi ferait le plus de victimes. »

Quant à la concurrence, voici, messieurs, comment s'énonce la même cour :

« Le grand obstacle qui empêche de trouver à emprunter n'importe sous quel régime, c'est l'absence de crédit ou de fortune. Le capitaliste, l'usurier lui-même ne veut avancer qu'à bon escient et avec sécurité matérielle et morale. Il n'est pas de concurrence au monde, qui décidera à donner des écus à ceux qui n'inspirent pas de confiance.

En ce qui regarde les inconvénients de l'abolition du taux de l'intérêt, il est facile de s'en rendre compte.

« Maintenant, comme autrefois, on voit des hommes âpres au gain que la cupidité pousse à toutes sortes d'excès, et qui, sourds à la voix de la conscience, ne peuvent être contenus que par le frein de la loi. De nos jours, le nombre sans cesse croissant des transactions de tout genre, surtout les spéculations et les entreprises industrielles, décuplées depuis 50 ans, l'agiotage exercé sur une grande masse de valeurs inconnues antérieurement, les fonds publics et les innombrables actions industrielles, répandues dans toutes les familles, ces causes et d'autres qui indiquent que les besoins de capitaux sont plus grands que jadis, ne doivent-elles pas faire craindre que les prêteurs insatiables n'en profitent, si la loi les y autorise, pour imposer des marchés usuraires par lesquels ils préparent la ruine de leurs débiteurs. »

Voilà, messieurs, dans quel sens dénonce la cour d'appel de Gand.

Elle ajoute encore un passage que je demande la permission de lire à la Chambre parce qu'il rentre tout à fait dans l'ordre d'idées que j'ai exposé dans mon premier discours, à propos des mesures transitoires qui, dans tous les cas, devraient être adoptées, lorsqu'on veut innover dans cette matière.

« Un changement aussi profond, dit la cour, ne devrait, dans tous les cas, s'opérer que par modifications successives, telles que l'élévation .graduelle du taux de l'intérêt. »

Comme je l'ai dit précédemment, messieurs, c'est ainsi qu'on procède en Angleterre ; là on ne passe pas brusquement d'un régime à un autre ; on prépare l'opinion graduellement au régime nouveau et l'on évite ainsi de très grands inconvénients.

Messieurs, le tribunal d'Arlon dont l'honorable M. Nothomb a invoqué hier l'autorité, s'explique aussi d'une manière extrêmement catégorique et remarquable à ce sujet.

J'aurai l'honneur de vous citer un passage de son rapport, qui concerne principalement l'intérêt de la petite culture, qui est surtout en jeu dans cette question.

« Avant de songer à abolir la loi de 1807, dit le tribunal d'Arlon, il 'faudrait commencer par organiser dans le pays le crédit foncier et le jour où chaque père de famille, propriétaire du sol, pourrait obtenir, auprès d'une grande institution du pays de l'argent à 4 p. c, par exemple, une loi sur le taux de l'intérêt, en matière civile, deviendrait sans doute moins nécessaire. De lourds impôts grèvent le sol, il est donc juste qu'en retour le propriétaire soit protégé contre les abus du capital.

« En matière commerciale, le taux légal de l'intérêt est de 6 p. c. Au milieu de la concurrence ce taux représente, à peu de chose près, le bénéfice moyen des industriels et des commerçants ; il doit donc paraître suffisamment rémunérateur pour le capitaliste, et nous croyons qu'il ne serait pas sans danger que la loi permît d'aller au-delà.

« Quant au capitaliste qu'un pareil intérêt ne satisferait pas, la loi lui procure les moyens d'augmenter ses revenus par l'association, en participant alors, comme de juste, à toutes les bonnes et mauvaises chances des entreprises industrielles et commerciales.

« La loi, dit avec grande raison le même tribunal, la loi qui met une barrière au taux illimité de l'intérêt de l'argent, a donc encore pour conséquence indirecte de favoriser l'esprit d'association, qui contribue sur une si vaste échelle au développement industriel et commercial des sociétés modernes. »

Telle est, messieurs, l'opinion émise par le tribunal d'Arlon. Je l'ai invoquée par ce qu'il en a été question hier et parce que cette opinion m'a paru parfaitement raisonnée.

Je pourrais, messieurs, vous citer plusieurs autres rapports de tribunaux, qui expriment la même opinion que ceux dont je viens de vous donner une courte analyse. Je sais que quelques tribunaux et une cour se sont prononcés dans un autre sens, mais c'est la minorité, et ici nous pouvons invoquer en notre faveur la majorité et une majorité compétente.

Pour soutenir sa thèse l'honorable rapporteur se base particulièrement sur le principe économique et il attend des avantages immenses de ce qu'on appelle la liberté absolue de l'industrie et du commerce. Quoi qu'on puisse dire de cette théorie, je pense, messieurs, qu'on ne peut pas l'appliquer à la matière dont il s'agit, pour les raisons morales, sociales et politiques, que j'ai fait valoir dans la séance du 18 de ce mois ; mais j'ose soutenir de plus que, lorsqu'on adopte cette théorie d'une manière absolue, on arrive à des conséquences qui ont quelque chose d'effrayant.

Je ne crains pas de dire que le système de la concurrence illimitée, accepté dans le sens philosophique et absolu, conduit au nivellement de la société. Pour vous en convaincre, messieurs, je citerai un passage d'un auteur qui abonde dans le sens des économistes, et vous verrez qu'il aboutit à un nivellement à peu près semblable à celui où arrivent les socialistes en poussant à ses dernières conséquences le principe d'égalité.

Dans le premier cas il y a abus du principe de liberté, dans le second cas il y a abus du principe d'égalité. Mais il y a, messieurs, entre ces deux théories extrêmes, un système moyen, qui consiste à modifier les principes dans l'application et d'après les faits, qu'il faut toujours savoir consulter en matière sociale et politique.

C'est là que se trouve la vérité, et c'est de cette manière qu'il faut procéder quand on veut travailler au bien-être de la société.

Voici, messieurs, comment s'énonce M. Fréd. Bastiat au sujet de la concurrence en matière de capitaux particulièrement.

« La concurrence, dit-il, est loin de remplir la sphère naturelle de son action. Nos lois la contrarient au moins autant qu'elles la favorisent, et quand on se demande si l'inégalité des conditions est due à sa présence ou à son absence, il suffit de voir quels sont les hommes qui tiennent le haut du pavé et nous éblouissent par l'éclat de leur fortune scandaleuse, pour s'assurer que l'inégalité en ce qu'elle a d'artificiel et d'injuste, a pour base la conquête, les monopoles, les restrictions, les offices privilégiés, les hautes fonctions, les grandes places, les marchés administratifs, les emprunts publics, toutes choses auxquelles la concurrence n'a rien à voir. »

Voilà, messieurs, jusqu'où l'on va lorsqu'on admet cette théorie de la concurrence illimitée.

M. Pirmez. - Bastiat parle des inégalités artificielles.

M. de Haerne. - Oui, et des fortunes scandaleuses, etc. C'est l'ensemble du passage qu'il faut remarquer. Je dis, messieurs, que la théorie de la concurrence absolue peut conduire à des conséquences effrayantes. Ces conséquences, sans doute, sont loin de la pensée de l'honorable rapporteur, mais elles découlent naturellement des principes qu'il a invoqués ; et je dis que ces principes sont en opposition avec les intérêts réels et essentiels de la société.

Mais, messieurs, il y a bien d'autres raisons pour lesquelles on ne peut pousser la théorie sur le taux de l'intérêt jusqu'à ses dernières conséquences.

Ainsi, par exemple, la théorie de l'argent marchandise est en opposition avec l'esprit du Code civil. Si vous combinez certains articles du Code, notamment les articles 1895, 1896 et 1897, qui distinguent, pour le remboursement, entre le numéraire et les lingots, il est évident qu'on ne peut pas confondre l'argent avec la marchandise, que l'argent du moins n'est pas une marchandise comme une autre.

Vous savez que, lorsqu'il y a dans la vente d'un immeuble lésion ultra-médiaire, c'est-à-dire si le prix est de plus des 7/12 en dessous de sa valeur réelle, il y a lieu, d'après l'article 1671 du Code civil, à la rescision du contrat.

Eh bien, tout cela est contraire à la propriété, comme on veut nous la faire comprendre, contraire aux droits qu'on vient toujours invoquer d'une manière absolue. Cela gêne les transactions. Et ici je puis invoquer l'opinion de M. Dupin qui s'est prononcé dans ce sens à la chambre des députés de France. Je suis heureux de pouvoir appuyer dans cette matière ma faible raison sur l'autorité raisonnée d'un homme comme M. Dupin.

Voulez-vous que je vous cite une autre autorité ? Je veux parler d'un aveu fait par M. Lherbette, qui abonde dans le sens de M. le rapporteur, quant à la liberté du prêt.

M. Lherbette a parlé en 1856, à la Chambre des députés de France, de la disposition du Code concernant l'anatocisme. Il a fait allusion à la manière de calculer les intérêts des intérêts.

Il a très bien compris que le Code qui aujourd'hui ne permet de stipuler les intérêts des intérêts que par année, pose un principe qui est en contradiction avec la liberté illimitée du prêt, que ce député voulait faire sanctionner en France.

En effet, l'argent fructifiant tous les jours, pourquoi ne pourrait-on pas établir le calcul relatif aux intérêts des intérêts, non seulement par année, mais par trimestre et par mois ? (Interruption.)

On devrait le faire pour être conséquent dans la théorie de la liberté du prêt ; mais c'est ce que le Code défend.

Vous arrivez donc encore ici à une grave conséquence ; et les personnes qui ne connaissent pas la portée de ces calculs seraient entraînées à des sacrifices auxquels elles ne se seraient pas attendues.

Voilà pourquoi on a stipulé une garantie contre les abus possibles dans une matière aussi délicate.

La Sardaigne n'a pas osé supprimer cette restriction : elle a maintenu les dispositions relatives à l'anatocisme.

Pour vous représenter l'importance de cette restriction établie par le Code, vous n'avez qu'à examiner la formule algébrique, d'après laquelle ou calcule les intérêts des intérêts ; le nombre d'annuités figure comme exposant. Si vous transformez l'annuité en trimestre ou en mois, vous changez l'exposant dans la formule, et vous comprenez dès lors qu’elle doit être la différence du résultat.

M. Lherbette a, du reste, très bien saisi et signalé cette contradiction entre le code et la liberté absolue.

(page 1205) Telles sont, messieurs, entre autres, les dispositions du code qui sont formellement contraires à la théorie tant prônée dans cette matière. C'est là un des motifs qui m'engagent à m'opposer à la proposition qui vous est faite par la commission, et à me rallier à l'amendement de l'honorable M. Guillery, sous-amendé par l'honorable M. Nothomb.

Cet amendement frappe l'abus que l'on peut faire de la détresse et des besoins des emprunteurs. Le sous-amendement limite la répression à l'habitude de l'usure en négligeant le fait isolé.

J'ai terminé mon premier discours en déclarant que je ne pouvais adopter la proposition de la commission que comme mesure temporaire, et sauf quelques modifications, ces modifications, que j'avais indiquées se rapportaient à l'abus que l'on fait de la détresse et des besoins de l'emprunteur. Telle était la portée de tout mon discours. Ainsi, j'arrivais exactement à la conclusion qui a été formuée, immédiatement après, par l'honorable M. Guillery.

J'ai déjà dit, messieurs, pourquoi je n'adopte pas cet amendement d'une manière complète ; savoir en ce qui concerne le fait isolé qu'on punit, au lieu de s'en tenir à la seule habitude.

J'ajouterai encore un mot quant à l'abus des passions, de la faiblesse et des besoins de l'emprunteur.

L'honorable rapporteur, répondant hier à l'honorable M. Nothomb, disait :

« En punissant ceux qui abusent de la faiblesse et des passions des emprunteurs, nous voulons punir les passions. Car en restreignant dans ce cas la liberté, nous faisons hausser le taux de l'intérêt. »

Je crois que c'est là une subtilité, passez-moi le mot. L'expérience le démontre. Mais, s'il en est ainsi, non seulement vous punissez les passions, mais, par une conséquence rigoureuse de votre système, vous devez admettre que vous punissez aussi la faiblesse. Or, la faiblesse n'est pas punissable. Elle mérite, au contraire, des égards.

Messieurs, je crois que le système, tel qu'il a été formulé par l'honorable M. Guillery, doit être adopté, si nous ne voulons pas nous exposer à tous les graves inconvénients qui ont été signalés par plusieurs orateurs dans cette discussion, et dont je viens moi-même d'avoir eu l'honneur de vous entretenir, en entrant dans quelques nouveaux développer Menti.

Je pense que dans tous les cas, nous devrions agir avec une sage lenteur, comme on l'a fait en Angleterre. Dans une des dernières discussions qui ont eu lieu sur cette importante question à la chambre des communes, savoir dans la discussion de 1854, le chancelier de l’échiquier, pour faire passer le projet définitif, dont il s'est agi déjà plusieurs fois dans le débat actuel, a fini par dire que le parlement avait à se prononcer pour ou contre, après avoir fait une expérience de 36 ans, pendant lesquels ou avait toujours été en diminuant les restrictions, jusqu'au moment où l'on croyait pouvoir adopter une loi définitive réglant cette grave matière.

Un immense inconvénient de l'abolition brusque et complète du système restrictif de l'usage de l'argent a été indiqué d'une manière saisissante en 1857 à la seconde chambre des états généraux des Pays-Bas, par M. Meijlink. Sous le régime de la liberté complète, dit cet orateur, on ne saura le plus souvent à quoi s'en tenir pour fixer le vrai prix de l'argent ; les emprunteurs et les préteurs honnêtes seront constamment dans l'embarras. Ils iront en tâtonnant dans les ténèbres. « zy zullen in het duister moeten rondtasten ». Cet état de choses ne trouvera de contre-poids que dans la loi morale et religieuse et dans une intervention plus active du clergé.

Messieurs, si nous suivions l'exemple de l'Angleterre, ce serait beaucoup plus sage que d'entrer brusquement et sans transition aucune dans le système de liberté illimitée en nous exposant ainsi à tous les désastres, à tous les inconvénients qui ont été signalés.

La temporisation nous permettrait de revenir plus facilement des erreurs et des dangers, que le temps aurait révélées. J'espère que la Chambre, dans sa sagesse, pèsera ces motifs et se laissera guider par les leçons de l'expérience et par l'autorité des législations antérieures de tous les pays civilisés.

Projet de budget de la chambre des représentants de l’exercice 1869

Rapport de la commission

M. Tack. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission de comptabilité qui a examiné les comptes de la Chambre pour 1858 et préparé le budget de l'assemblée pour 1861.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire au budget des non-valeurs et des remboursements

Rapport de la commission

M. de Renesse. - Messieurs, j'ai l’honneur de déposer le rapport de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'ouvrir un crédit supplémentaire au budget des non-valeurs et remboursements.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la commission

M. Moreau. - Messieurs, j'ai l’honneur de déposer sur ie bureau le rapport de la commission spéciale sur le projet de loi ayant pour objet d'ouvrir un crédit au département des travaux publics pour solder diverses créances afférentes à la construction du chemin de fer.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.


La Chambre remet à vendredi, 27 avril, à 3 heures, sa prochaine séance publique et la suite de la discussion du Code pénal (livre II, titre V).

- La séance est levée à 5 heures.