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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 24 mars 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 969) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone procède à l'appel nominal à une heure et demie.

M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des habitants de Zulte demandent qu'il soit donné cours légal aux pièces décimales françaises en or, ou que ces monnaies soient reçues pour leur valeur nominale dans les caisses de l'Etat, et proposent subsidiairement que le gouvernement soit autorisé à battre pour son compte et pour compte des particuliers des monnaies d'or belges de même valeur, titre et module que l'or français. »

« Même demande d'habitants de Houthem, Zandvoorde, Cruyshautem. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Haeltert demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique à la monnaie d'or de France. »

« Même demande d'habitants de Florenville. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Beverst demandent la construction d'un chemin de fer de Bilsen à Liège ou tout au moins de Bilsen à Tongres. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruxelles présentent des observations contre les articles relatifs aux coalitions qui sont proposés par la commission, et demandent l'abrogation pure et simple des articles 414, 415 et 416 du Code pénal. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du titre V, livre II du Code pénal.


« Le sieur Mertens prie la Chambre d'examiner s'il n'y aurait pas lieu d'autoriser le gouvernement à favoriser le boisement des landes communales.»

M. Nothomb. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport. La question qui y est soulevée me paraît digne d'être étudiée.

- Cette proposition est adoptée.


« M. de Ridder, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre V)

Discussion des articles

Titre V. Des crimes et des délits contre l’ordre public, commis par des particuliers

Chapitre VIII. Des infractions relatives à l'industrie, au commerce et aux enchères publiques
Section II
Articles 414 à 416

M. le président. - La discussion continue sur la question des coalitions.

M. Goblet. - Messieurs, je n'avais nullement l'intention de prendre la parole dans ce débat. Le système de la commission, sans être complètement justifié à mes yeux, laissait des doutes dans mon esprit sur son efficacité, et tout en continuant à avoir confiance dans la liberté absolue, je m'arrêtais devant des arguments qui me paraissaient fondés sous certains rapports.

La discussion d'hier m'a détrompé, et m'a fait envisager sous son véritable sens toute la portée du ce système.

Une chose m'a surtout frappé, c'est l'unanimité des orateurs pour faire disparaître l'acte de coalition de la liste des délits ; se coaliser est de droit commun plus d'objection de ce côté. Il m'a paru étrange que le système du gouvernement, système qui pourtant s'efforce de rétablir l'égalité n'ait pas rencontré une seule voix, je ne dirai pas sympathique, mais qui ne fût pas hostile.

Cette observation m'a naturellement amené à conclure que le système de la commission, tout en paraissant favorable aux idées libérales, donnait aux partisans de la répression absolue toute satisfaction, toute assurance. Ce système avait aussi pour eux les avantages de moyens franchement répressifs, sans en avoir l'odieux.

Les arguments produits par l'honorable M. Jacquemyns ne peuvent laisser aucun doute à cet égard.

L'honorable membre nous a fait le tableau de fantaisie d'une coalition. Il nous a montré l'ouvrier quittant, au grand détriment du patron, l’atelier pour le cabaret, se livrant au plaisir dans le désordre, et abusant de sa liberté pour aller transporter gaiement son industrie en d'autres pays. Il ne voit dans l'ouvrier coalisé qu'un misérable dont le plus grand crime est d'être insolvable vis-à-vis de l'action judiciaire du patron. Il compare l'ouvrier qui sa coalise pour hanter le cabaret au patron qui dissipe un capital en dépenses irrégulières, pour lui l'un et l'autre arrive à la banqueroute par des moyens analogues. L'honorable membre blâme, il est vrai, le patron qui agit ainsi, qui, violant un contrat, frustre les ouvriers ; mais, d'un autre côté, il réclame la prison et l'amende pour le travailleur.

L'honorable membre, logique dans sa manière de voir, en arrive naturellement à regretter que la loi ne soit pas plus sévère et qu'elle ne punisse pas comme délit l'acte de violation du contrat, alors qu'il est le fait d'un individu isolé, tout aussi bien que le fait d'individus coalisés.

Oui, là l'honorable membre est logique ; mais en essayant de défendre ainsi le projet de la commission, il prouve en même temps combien ce dernier est illogique.

Messieurs, est-ce bien ainsi qu'il faut établir le doit et l'avoir des coalitions ? est-ce bien là le tableau qu'il convient de tracer, alors qu'il s'agit d'un des plus grands fléaux de l'industrie ? Oui, la coalition peut amener la ruine du capital ; oui, la coalition amène le désordre et la perturbation dans les rapports commerciaux, mais qui donc en est le plus terriblement puni ? C'est l'ouvrier tout le premier. Sont-ce, comme on vous l'a dit, les joies du cabaret et du vagabondage qui lui sont réservées ? Non, c'est la misère et la faim ; c'est la dispersion et parfois la mort des siens qui lui en revient ; c'est dans tous les cas un abaissement de condition et la disparition pour bien longtemps de tout allégement à ses souffrances.

Faites comprendre cela à l'ouvrier ; faites-lui comprendre qu'il peut laisser tomber ses défiances et discuter ses intérêts sur un pied d'égalité réelle avec le patron et vous aurez fait plus que ne feront jamais toutes les lois pénales du monde.

Démontrez à l'ouvrier qu'il n'est pas victime de la loi, prouvez-lui qu'il est aussi fort par le droit que l'industriel, et vous aurez réglé d'une manière efficace et utile les rapports nécessaires entre le capital et le travail.

L'honorable rapporteur s'est élevé aven force, dans une autre circonstance, contre le reproche de germanisme ; et cependant il ne me paraît pas tout à fait à l'abri de ce reproche. Le germanisme, pour moi, quand il s'agit de loi, c'est cette tendance des criminalistes qui veulent tout punir, tout réglementer, tout sauvegarder dans l'ordre social, qui multiplient les délits, qui les recherchent avec amour, qui veulent, en un mot, que l'échelle de la répression soit, comme l'échelle des délits, des vices et des crimes, un ensemble bien complet, où un échelon, même inutile, manquant, rendrait le travail imparfait. C'est cette tendance qui fait tuer l'esprit par le texte et qui, fatalement, restreint par tous les moyens la responsabilité humaine.

Certes, messieurs, il faut punir la violence et l'intimidation ; que la société et la tli sévissent contre ceux qui touchent l'harmonie de l'Etat par des actes attentatoires à la liberté de tous.

Mais de là à vouloir intervenir dans les contrats privés, pour en régler les conséquences, c'est que je ne puis admettre.

Pourquoi toujours partir de cette fatale hypothèse que les gouvernants sont des tuteurs et les gouvernés des pupilles ; pourquoi ne pas laisser autant que possible les hommes tâtonner, se tromper, apprendre, choir, se relever, gérer leurs propriétés et leurs intérêts, agir à leurs risques et périls ?

Si le système de la commission, en modifiant complètement la nature d'un acte, en faisant, d'une violation de contrat privé un délit, n'encourait que le reproche, bien grave, de modifier le droit commun, de placer toute une classe de citoyens dans une position exceptionnelle, j'admettrais toutefois que les arguments produits par ses partisans auraient du moins un côté sérieux, mais c'est là le moindre tort de ce système.

Le système de la commission rétablit le délit de coalition, comme délit ; il maintient l'inégalité entre le maître et l'ouvrier ; il fait entrer le gouvernement dans les débat privés des citoyens, il maintient la défiance chez l'ouvrier.

Et pourtant ce que vous voulez tous, rassurez-vous, au nom d’un des grands principes inscrits dans notre pacte fondamental, c'est la disparition d'une disposition légale qui viole le droit d'association.

Le système du gouvernement a du moins le caractère de la franchise, et s'il paraît plus dur, il faut lui rendre la justice de reconnaître qu’il accepte la responsabilité de sa doctrine. Au nom de certain principe social, il admet le délit de coalition et il le fait franchement.

La commission, au contraire, rentre dans le même ordre d’idées par le petit côté de la question ; elle abolit bien le délit de coalition comme coalition simple, mais elle crée immédiatement un autre délit pour remplacer celui qu'elle vient de supprimer.

La violation du contrat privé est punie comme le serait un vol, non pas, il est vrai, s’il est le résultat de la conduite d'un ouvrier ou d'un patron, mais s'il résulte d'une coalition de plusieurs individus.

Vous le voyez, le délit de coalition est ressuscité ; il reparaît, comme dans la loi que nous modifions, avec son caractère odieux, avec son cortège habituel de force publique et de tribunaux, avec son cachet (page 969) arbitraire et abusif ; il frappe le travail dans ses fautes pour laisser le capital à l'abri de toute répression dans ses écarts.

Il y a coalition et, par suite, délit quand cent ouvriers violent le contrat d'engagement vis-à-vis d'un patron ; il n'y a qu'une simple violation de contrat et pas de délit quand le même patron viole un contrat vis-à-vis de ces mêmes cent ouvriers.

Inutile, messieurs, d'insister sur ce point. L'honorable M. Jacquemyns trouve qu'en ce cas la conduite du maire serait blâmable. Qu'avons-nous à nous occuper d'un blâme que beaucoup même excuseraient et qui importe peu à celui qui fait une opération lucrative ?

Vous le voyez, messieurs, dans le système de la commission la position de l'ouvrier n'est guère meilleure que par le passé. Peut-être est-elle plus mauvaise encore. La loi du contrat, loi débattue entre le fort et le faible, entre l'homme qui a besoin de travailler pour vivre et celui qui a le choix entre les bras qui s'offrent à lui, entre l’homme sans instruction et l'homme qui a pour lui l'intelligence exercée et la centralisation des idées, deviendra une source de déboires, d'abus et d'actes de mauvaise foi.

L'ouvrier, en se présentant dans une fabrique, prendra certains engagements ; et dans son atelier, le patron pourra toujours s'arranger de manière à joindre au fait de coalition une violation de contrat, ce qui en fera un délit public. Entre autres moyens, ne peut-il échelonner les dates de ses contrats ? Les contrats faits abusivement seront considérés, nous a-t-on dit, comme déloyaux, comme abusifs, par la justice. Comment ! là encore vous faites intervenir la justice ? Oui, vous arrivez fatalement, en admettant les conséquences des principes posés par la commission, à désirer l'intervention de l'autorité dans l'exercice des droits les plus naturels de l'homme, ceux de débattre ses conditions d'existence, de régler ses intérêts privés, et cela dans des cas à chaque instant différents, innombrables et impossibles à prévoir.

Si nous admettons même un instant que ces précautions ne soient pas prises par les patrons, ce qui est contraire à toute espèce d'expérience, quelle est encore la position respective des maîtres et des ouvriers en cas de violation de contrat, si le système de la commission prévaut ?

Généralement, je dirai même d'une manière absolue, l'ouvrier fait au patron l'avance de son travail ; il est payé par huitaine, par quinzaine ou par mois, mais toujours du travail accompli. Qui donc des deux est en meilleure position pour sauvegarder ses intérêts ? C'est évidemment le patron. Il sera toujours libre, en cas de procès ou de violation de contrat, de retenir le salaire jusqu'à ce que le débat soit vidé ; il a là une garantie matérielle, et la solvabilité de l'ouvrier vis-à-vis du patron est sous ce rapport en quelque sorte mieux assurée que celle du patron vis-à-vis de ses ouvriers. Le patron a un gage, l'ouvrier n'en a pas.

En Angleterre, messieurs, il n'est personne qui songe aujourd'hui à revenir sur la législation des coalitions. Dans ce pays éminemment pratique, où certes l'industrie est grande et puissante, où les transactions commerciales sont immenses, nul n'admet plus la répression où il n'y a pas de violence. Pas un économiste de la Grande-Bretagne ne croit plus possible l'intervention de l'Etat dans le règlement d'affaires privées.

Certes en Angleterre, comme chez les autres nations, les coalitions n'ont pas disparu, les chômages et les grèves n'ont pas cessé de jeter parfois la perturbation dans l'industrie, mais ces perturbations ne sont plus aussi fortes, elles sont moins violentes, elles sont, si je puis m'exprimer ainsi, moins inintelligentes.

El alors même qu'il n'y aurait aucun progrès sur ce rapport, l'état social anglais prouve une fois de plus que tout peuple qui se confie franchement, loyalement aux grands principes libéraux, y trouve d'immenses bienfaits, d'immenses compensations.

Les Anglais ont eu foi dans la liberté, et la liberté en fait chaque jour un peuple plus uni, un peuple plus fort.

Quel a été le premier résultat de l'abolition de toutes mesures légales contre la coalition, lorsqu'elle n'est pas accompagnée de violences ? C'est de faire disparaître, dans une certaine mesure, entre les ouvriers et les patrons, cette défiance constante ailleurs et qui entrave tout échange loyal des services.

L'éternelle loi du travail, la nécessité de se soumettre aux fluctuations de l'offre et de la demande est comprise en Angleterre par tout le monde, et nul parmi les ouvriers ne songe, quand même il se croit en droit de réclamer contre les exigences des maîtres et qu'il se coalise, nul ne songe à recourir à la force pour renverser les institutions gouvernementales. Le socialisme n'existe pas en Angleterre et la formule odieuse et tyrannique du droit au travail est inconnue de ceux qui ne croient pas devoir l'opposer à la formule tyrannique de la protection abusive du capital par l'autorité.

L'Angleterre industrielle par suite de cette liberté a vu se développer dans son sein l'association sous toutes ses formes. Chacun a compris que là où l'individu isolé était désarmé, en s'associant à d'autres il devenait fort et pouvait d'égal à égal débattre ses intérêts avec les plus puissants.

Les résolutions des ouvriers, alors même qu'ils se mettent en grève, ne sont ni violentes, ni le résultat d'émotions soudaines.

La coalition est décidée par un conseil d'hommes en qui les ouvriers ont confiance ; ces hommes appartiennent généralement aux classes supérieures de la société ; ils administrent les fonds sociaux et décident de la conduite des ouvriers, quand ils jugent que les exigences des patrons ne sont pas en rapport avec les nécessités de l'industrie.

Le premier résultat de ces associations, c'est de ne plus laisser les maîtres sans surveillance ; ils n'abusent plus de leur puissance parce qu'ils se sentent contrôlés, de même que les ouvriers réfléchissent aux conséquences des coalitions avant de se coaliser. Certes tous ils peuvent se tromper, mais chacun d'eux hésite avant de poser un acte grave et dangereux.

Voici comment s'exprimait sur cette question un grand organe de la publicité française en 1850 :

« En Angleterre, la prévoyance individuelle n'a pas attendu l'impulsion du gouvernement pour organiser une assistance puissante et réciproque entre les deux classes laborieuses. Depuis longtemps il s'est fondé dans les principales villes de la Grande-Bretagne des associations libres.

« Le nombre total de ces associations pour les trois royaumes s'élève à 33,223 qui ne comprennent pas moins de 3,052,000 individus. C'est la moitié de la population adulte de la Grande-Bretagne.

« Cette grande confédération des classes laborieuses repose sur les bases les plus solides. Leur revenu est de 125 millions et leur capital accumulé atteint 280 millions de francs.

« C'est dans ce fonds que puisent toutes les bourses quand le travail diminue ou s'arrête. On s'est étonné quelquefois de voir l'Angleterre résister aux contre-coups des immenses et profondes perturbations qu'éprouve de temps en temps et presque périodiquement sa gigantesque industrie. L'explication de ce phénomène est en grande partie dans le fait que nous signalons.

« Là où les intérêts individuels suffisent à se gouverner librement eux-mêmes, le pouvoir en Angleterre juge inutile de faire intervenir son action. Il veille de haut à ce que tout se passe régulièrement ; mais il laisse à chacun le mérite de ses efforts et le soin d'administrer sa propre chose selon ses vues et ses convenances.

« C'est à cette indépendance des citoyens que l'Angleterre doit certainement une partie de sa grandeur comme nation. »

Et M. Frédéric Bastiat en citant cet extrait ajoute :

« C'est encore à cette indépendance que les citoyens doivent leur expérience et leur valeur personnelle. C'est à cette indépendance que le gouvernement doit son irresponsabilité relative et par suite sa stabilité. »

Voilà 35 ans, messieurs, que l'Angleterre a mis le système de la liberté en pratique dans la question qui nous occupe, et vous pouvez voir le résultat qu'elle a atteint. Et pourtant lorsqu'elle avait confiance dans les véritables principes du progrès, c'était en 1825, à une époque où les remèdes légaux pour la répression des coalitions ne furent abandonnés qu'après avoir été essayés de toute façon, et où les désordres produits par les grèves et les chômages étaient dans toute leur force.

Depuis lors marchant confiante dans la même voie, dans la voie de la liberté commerciale, la Grande-Bretagne donne au monde l'exemple et la loi. Les plus récalcitrants finissent par subir son influence libératrice en applaudissant à ses efforts généreux.

En Belgique les désordres qu'ont engendrés les coalitions n'ont jamais été bien profonds, et quelque regrettables qu'aient été les faits de cette nature, il n'en est pas résulté de véritables perturbations. Nous sommes donc aujourd'hui plus heureux que ne l'était la Grande-Bretagne en 1825.

Ayons confiance, comme l'a dit un honorable préopinant, dans le bon sens de nos populations, et ne faiblissons pas ; saisissons l'occasion d'affirmer une fois de plus dans son entier un grand principe, alors surtout qu'elle se présente si belle.

Nous voulons l'égalité réelle entre tous les citoyens, nous voulons que la justice soit la même pour tous, ayons donc le courage de dire à chacun ; Vous êtes libres de débattre vos intérêts, alors que vous le faites sans violence et sans intimidation.

M. le président. - M. Sabatier vient de faire parvenir au bureau l'amendement suivant :

« Toute cessation de travail par suite de coalition soit entre ceux qui travaillent, soit entre ceux qui font travailler, et en violation de conventions ne consacrant pas des engagements pour un terme contraire aux pratiques de l'industrie, sera punie... (le reste comme au projet de la commission). »

La parole est à M. Sabatier pour développer son amendement.

M. Sabatier. - Messieurs, je me bornerai à présenter des arguments relatifs à l'amendement que je viens de déposer ; je ne prendrai donc à la Chambre que le moins de temps possible.

La pensée qui a dicté cet amendement est celle-ci : dès l'instant que l'on reconnaît qu'il y a nécessité de modifier les articles de la loi de 1810 sur les coalitions et que, dans une certaine mesure, nous autorisons celles-ci, notre devoir de législateurs est de donner aux faits que nous voulons punir correctionnellement, le moins possible de raisons d'être.

L'honorable M. Jamar nous a dit l'autre jour qu'en vertu de l'article 346 du projet de la commission de révision, et pour mettre obstacle aux coalitions, les maîtres ou patrons pourraient profiter d'un moment de détresse pour faire signer à des ouvriers un engagement d'assez longue (page 971) durée ; que si cet engagement devenait onéreux, les ouvriers seraient victimes de la nécessité dans laquelle ils se sont trouvés.

Cette observation est juste, messieurs, et il faut reconnaître que le fait d'avoir signé un engagement devenu onéreux poussera les ouvriers à le rompre et à se coaliser à cet effet.

Il y a là une source de difficultés entre maîtres et ouvriers qu'il faut empêcher ; il est en tout cas moral de mettre obstacle à une spéculation quelconque de la part des patrons sur la misère des ouvriers et nous aurons fait un grand pas si nous restreignons aux engagements d'usage ceux qui, étant violés par coalition, donneront lieu à une poursuite correctionnelle.

Parmi les différents orateurs qui ont pris part jusqu'à présent à la discussion, il en est qui voudraient entrer dans le système de la liberté absolue du travail ; ce sont MM. Jamar, De Fré et Goblet. Le système de la commission a trouvé un défenseur habile dans l'honorable M. Royer de Behr ; et vous savez, messieurs, que la commission admet d'autres engagements que ceux d'usage.

L'honorable M. Jamar a parlé, sous forme de compromis ou de tempérament à apporter au projet de la commission, d'accorder 15 jours aux maîtres et aux ouvriers pour se prévenir mutuellement d'une cessation de travail.

L'amendement que je propose se rapproche de cette idée, mais ne fixe pas de date, parce que pour toutes les industries le délai ne saurait être le même. J'avais pensé d'abord à me servir de l'expression « engagement d'usage », mais l'honorable M. Dolez, président de la commission de révision, m'a fait très justement observer qu'il n'y aurait pas d'usage pour les indusries nouvelles ; c'est là ce qui a motivé les expressions généralisées de mon amendement.

Messieurs, si j'abandonne à l'action civile les engagements contraires aux pratiques de l'industrie, je crois devoir dire pour quels motifs je tiens essentiellement au respect des engagements d'usage et aussi pourquoi je considère comme nécessaire la répression correctionnelle en cas de rupture, par coalition, de ces engagements.

Je ne puis m'empêcher de dire d'abord à MM. De Fré et Goblet qu'il semble vraiment qu'ils se soient mis martel en tête pour faire le plus de tort possible aux ouvriers, et cela de la meilleure foi du monde et guidés par des sentiments que nul ne suspectera.

Comment, tout le monde reconnaît ici que les coalitions et les grèves ont toujours été désastreuses pour les ouvriers plus encore que pour les maîtres et on voudrait faciliter ces coalitions ! Un moyen efficace de protéger les ouvriers, ou la grande partie des ouvriers contre eux-mêmes et contre des meneurs, est offert, c'est le respect des engagements d'usage, et ce moyen-là vous le repoussez ! Mais n'allons pas trop vite et posons deux questions :

1° Les engagements d'usage sont-ils nécessaires tant pour les ouvriers que pour les maîtres et l'industrie en général ?

2° Si les engagements sont reconnus nécessaires, peut-on les rompre par coalition sans donner lieu à une poursuite correctionnelle ?

Je dis que les engagements d'usage doivent être protégés autrement que par l'action civile qui n'a pas l'efficacité voulue et je le démontre. Supposons que des ouvriers puissent quitter leur atelier d'une minute à l'autre, sous prétexte que le maître ne satisfait pas immédiatement à leurs exigences.

Quelle sécurité y aura-t-il pour l'industriel dans les différentes entreprises qu'il fera ? Si cette entreprise ne peut être retardée, il devra se soumettre puisqu'on ne lui laisse pas même le temps de se pourvoir de nouveaux ouvriers.

Ne comprenez-vous pas la situation d'un patron qui fait une absence pour obtenir du travail, au marché, et qui, rentrant chez lui, trouve son atelier vide ? Si les ouvriers ne peuvent quitter l'établissement qu'après un certain délai, n'est-il pas évident que les trois quarts des leurs reviendront d'un moment de vivacité et que ce délai suffira pour remettre d'accord ouvriers et patrons ?

Et ne savez-vous pas que le plus grand nombre de coalitions sont suscitées par quelques meneurs qui, gagnant de fortes journées, sont indispensables à la marche de l'atelier et sacrifient à leurs exigences leurs camarades qui, sans eux, ne sauraient travailler ? Et c'est bien pis encore lorsqu'il s'agit d'usines que l'on ne peut arrêter sous peine de ruine, telles que les verreries, les hauts fourneaux, etc.

Lorsque l’industrie n’a pas de sécurité, le capital s’effraye, s’éloigne ; l’industrie se déplace et des localités sont ruinées, comme cela est arrivé en Angleterre, où les enseignements ne nous manquent pas ; rendre faciles ces conséquences, c'est évidemment faire du tort aux ouvriers.

Je pense donc que nous sommes d'accord sur ce point que les engagements d'usage sont nécessaires. Dès lors, peut-on les rompre par coalition sous la seule répression d'une action civile ? Messieurs, je laisse de côté les considérations juridiques à faire valoir à ce sujet ; elles ne sont pas de ma compétence et l’honorable rapporteur M. Pirmez nous donnera, n'en doutez pas, tous apaisements ; je me bornerai à dire que l’action civile se comprendrait s'il y avait égalité dans la position des maîtres et des ouvriers. Mais où voyez-vous cette égalité ?

Lorsqu'un industriel, un fabricant traite avec une personne quelconque, il est supposé avoir pris sur elle tous les renseignements voulus. S’il est trompé, il doit s'en prendre à lui-même pour ne s'être pas assuré suffisamment de la moralité et de la solvabilité de son client.

En un mot, le fabricant a le droit et le devoir de choisir ses clients mais peut-il faire un choix spécial d'ouvriers, ne prendre par exemple que ceux ayant des économies ou du bien au soleil, afin que l'action civile ait quelque résultat pour lui ?

Evidemment non, il doit prendre les ouvriers sans exiger cette garantie qui malheureusement n'existe que pour un très petit nombre, et le maître doit demander à la loi la garantie qu'on ne peut pas lui offrir autrement.

Je dirai encore que si un client vient à manquer, il fait du tort à celui qui a traité avec lui ; tandis que si une catégorie d'ouvriers, ceux indispensables à la marche des outils ou appareils, vient à se coaliser ils causent non seulement un préjudice du maître, mais ils l’étendent aux autres ouvriers.

C'est au nom de la liberté et de l'égalité qu'on modifie avec tant de raison la loi actuelle. Aller au-delà de l'amendement que je viens de développer me paraît avoir pour conséquence de consacrer en faveur des ouvriers un privilège contraire à ses vrais intérêts, à l'industrie et à l'ordre public.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande le renvoi de cet amendement à la commission.

- Cette proposition est adoptée.

M. Dolez. - Je voudrais que la commission fût autorisée à appeler dans son sein, comme cela s’est fait dans d’autres circonstances semblables, l’auteur de l’amendement. Je désirerais qu’elle pût aussi appeler l’honorable M. Jamar qui, sans formuler d’amendement, a émis la pensée qui fait la base de l’amendement.

M. le président. - La commission est suffisamment autorisée, ce que demande l'honorable membre est de droit.

M. Jacquemyns. - Messieurs, lorsque je parlais de l'utilité, de la nécessité de substituer dans certains cas l'action publique à l'action civile, je n'avais pas sous les yeux le texte de la loi sur les prud'hommes. S'il n'y a pas d'action publique dars le cas de coalition, si la violation du contrat ne donne lieu qu'à une action civile, le cas de coalition deviendra une circonstance atténuante pour les faits de trouble, de désordre dans l'atelier que poseront les ouvriers. A l'article 39 du projet de loi adopté sur les prud'hommes, il est dit : L'orateur donne lecture de cet article.)

Qu'un seul ouvrier vienne à quitter le travail inopinément, si c'est le chauffeur d'une machine à vapeur qui quitte l'atelier, évidemment il causera un grave désordre en arrêtant instantanément la machine à vapeur ; le conseil des prud'hommes peut le condamner à 25 fr. d'amende ; s'il ne paye pas dans la quinzaine, on peut le mettre aux arrêts. Et si cet ouvrier s'entend avec 50 autres ouvriers, qu'arrivera-t-il ? Il est sans exemple que l'on applique la peine à tous ces ouvriers coalisés ; ainsi, déjà il résulte des faits mêmes de la coalition une chance d'impunité en faveur de la plupart des coalisés. Mais de plus, que dira le machiniste ? Je n'étais pas seul ; nous étions coalisés ; et dès lors il n'y a plus délit, il n'y a plus que l'action civile. Il invoquera le fait de coalition pour décliner la compétence du conseil des prud'hommes et l'on ne peut l'attaquer que devant le tribunal civil ; de sorte qu'à ce double point de vue on crée une véritable tendance à la coalition. D’un côté sur les 50 ouvriers, il n’y a guère que les chefs qui courent la chance d’une répression, et d’un autre côté il n’y a pas d’amende possible, par la raison qu’il y a coalition. Dès ce moment il est établi que l’acte d’infidélité ou le trouble porté dans l'ordre, la discipline de l'atelier deviendra exclusivement une affaire civile.

Messieurs, je crois que ceux qui demandent la liberté absolue de coalition, même en violation des contrats, oublient une circonstance qui est importante : c'est qu'on ne peut guère permettre la coalition par les ouvriers, même en cas de violation des contrats, sans l'admettre également chez les patrons. Tout en disculpant l'ouvrier, vous disculpez également le patron. Ainsi les patrons, armés de la puissance du capital, se ligueront aussi, et l'ouvrier sera ainsi placé dans une position beaucoup plus mauvaise que s'il y avait action publique.

Admettons que divers industriels, admettons que tous les maîtres cordonniers d'une ville disent : Nous allons réduite immédiatement le salaire de nos ouvriers. A partir de demain, nous réduisons ces salaires. Contre la coalition de la part de ces entrepreneurs d'industries, vous aurez la simple action civile de quelques ouvriers contre leurs maîtres, et l'ouvrier qui intentera l'action civile ne trouvera plus d'ouvrage. Il se trouvera sous la menace de ne plus être admis dans aucun atelier de la ville.

Admettons un autre cas.

La coalition ne se présente pas exclusivement dans les établissements industriels, elle se présente aussi, et surtout, dans les cas d'entreprise de travaux publics. Ainsi l'entrepreneur d'un canal, l'entrepreneur d'une route, est parvenu à réunir le nombre d'ouvriers nécessaire. Il a des sous-traitants qui contractent avec les ouvriers. Eh bien, à jour fixe, tous ces ouvriers abandonnent leur travail. Ce sont des ouvriers qui sont arrivés de dix, quinze, vingt lieues à la ronde. Ils abandonnent leur travail et retournent dans leurs foyers.

L'entrepreneur peut intenter une action civile et c’est fini par là. Est-il admissible que l'entrepreneur puisse, à dix, à quinze lieues, intenter une action civile à des ouvriers qui n'ont rien. Il l’emporterait (page 972) dans cette action civile, mais à quoi cela le mènerait-il ? D'un autre côté c'est un procès qu'il interne à un homme qui a déjà beaucoup de peine à vivre, qui est dans la misère, et cette action deviendrait odieuse. S'il y a une action publique, au contraire, à l'instant même on agit contre quelques chefs, on leur représente la déloyauté de leurs procédés et la coalition cesse, le travail continue.

S'il n'y a pas d'action publique, l'entrepreneur dont les 400 ou 500 ouvriers auront quitté les travaux par suite d'une coalition, se trouvera en défaut de livrer le travail à l'époque fixée, ce travail restera inachevé pendant toute une saison.

On s'appuie sur le principe de la liberté pour demander que l'action publique ne soit pas exercée dans le cas de contrats. Mais la liberté ne s'oppose en rien à ce qu'on oblige chacun à respecter le contrat par lequel il s'est lié, et je crois qu'il y a un avantage réel à inspirer aux ouvriers le respect pour les engagements qu'ils ont contractés.

Naturellement un entrepreneur de travaux publics n'emploiera l'ouvrier, ne le payera à un taux donné qu'à la condition que cet ouvrier s'engage à travailler pendant un certain temps. Il arrive un jour où le travail est très facile. Le lendemain ce travail est plus difficile. Si l'ouvrier, après avoir fait le travail le plus facile, peut quitter impunément la besogne, l'entrepreneur devra diriger d'une tout autre manière ses travaux, et il en résulterait les plus grandes difficultés pour les travaux publics importants.

Il faut qu'il fasse des contrats et que l'ouvrier se trouve lié par des engagements d'une certaine durée. S'il était possible de maintenir l'existence de ce contrat, rien que par l'action civile, il n'y aurait pas d'inconvénients. Mais dans la pratique, ainsi que l'a dit l'honorable M. Sabatier, cela est complétement impossible à l'égard des ouvriers travaillant dans les usines ; cela est moins possible encore pour les ouvriers employés aux grands travaux publics.

(page 973) M. Nothomb. - Je ne m'attendais pas à prendre la parole aujourd'hui. Mais puisque personne ne la demande et pour que la séance puisse continuer, je vais expliquer le vote que je me propose d'émettre sur l'ensemble du système qui nous est soumis.

Je ne puis, en ce moment, me prononcer d'une manière absolue sur l'amendement de l'honorable M. Sabatier, parce que je n'en ai pas entièrement saisi la portée. Ce que j'en ai cru comprendre, cependant, me paraît de nature à ne pas me permettre de l'accueillir, car au fond je vois qu'il reproduit, avec quelque restriction, le système de l'article 346 de la commission que je combats ; l'amendement me semble conçu en termes si vagues, si généraux, que j'en dois, au premier abord, redouter les conséquences...

M. Sabatier. - Je veux les contrats d'usage et non les contrats spéciaux.

M. Nothomb. - Je relèverai cependant quelques-unes des assertions de l'honorable membre. Il nous dit, à nous qui sommes les partisans de ce que l'on qualifie erronément de liberté absolue : Vous faites du tort à l'ouvrier ; voulant le servir, vous le mettez dans une fâcheuse et souvent très périlleuse situation.

C'est ce que je n'admets pas.

Le système de l'honorable M. Sabatier consiste à protéger, pour ainsi dire, l'ouvrier malgré lui. C'est une espèce de tutelle universelle décrétée par la loi, exercée par l'Etat sur une classe de citoyens. Je ne crois pas que cela soit bon car c'est manifestement contrarier les tendances de la société moderne. Chacun, à notre époque, doit se protéger lui-même autant que possible, c'est la grande nécessité qui se dégage des sociétés démocratiques, c'en est le fait dominant ; qu'on l'approuve ou qu'on le regrette, il est invincible ; et je tiens dès lors que c'est pour l'Etat une dangereuse position que de vouloir se substituer à l'action, à la prudence, à la liberté de l'individu.

L'honorable M. Sabatier nous dit encore : Mais vous qui parlez de mettre sur la même ligne les engagements violés entre le patron et l'ouvrier, et les engagements violés entre des clients ordinaires, vous faites une assimilation qui est fausse, parce que l'engagement violé par les ouvriers vis-à-vis du patron, fait du tort à des tiers, tandis que l'engagement violé dans des conditions ordinaires, ne produit pas ce résultat contre des tiers.

Ceci me semble une erreur. Il est évident que la violation d'un engagement qu'un particulier prend vis-à-vis d'un autre particulier, peut causer du tort à des tiers. Ainsi un industriel ou un négociant doit recevoir à jour fixe le payement d'une somme considérable dont il a besoin pour faire honneur à ses affaires, pour payer des ouvriers. Son débiteur ne le paye pas. C'est un acte fâcheux, répréhensible, qui fait tort à des tiers, puis qu'il arrivera souvent que ce négociant, faute de recevoir la somme qui lui est due et sur laquelle il comptait, devra suspendre ses payements, congédier ses ouvriers, subir la ruine et l'imposer à d'autres.

Sous ce rapport, donc, la position ne varie que du plus au moins ; mais au fond elle est exactement la même.

Cela dit, j'aborde la question qui nous est soumise.

Messieurs, la discussion a déjà eu cela de bon, qu'elle a considérablement simplifié le débat. On est, en effet, d'accord sur deux points : tolérer ce qu'on appelle les coalitions simples ; en d'autres termes, renoncer au système du Code de 1810. Réprimer la coalition qui se présente avec un caractère de violence quelconque et que j'appellerai la coalition caractérisée par des actes extérieurs, tels que menaces, violences, intimidation, injures, etc., etc. Voilà l'accord que je constate avec satisfaction.

Le désaccord se produit seulement à propos d'une variété de la coalition, celle qui se manifeste par la non-exécution de l'engagement contracté, ou bien par la violation du délai d'information en usage. On peut donc dire que c'est sur ce point que se concentre le véritable débat.

Suivant le projet de la commission et d'après l'opinion développée par différents orateurs, il faut punir comme coalition, c'est-à-dire ériger en délit passible de huit jours à 3 mois d'emprisonnement et de 26 à 1,000 francs d'amende le fait d'ouvriers qui abandonnent le travail, soit en rompant l'engagement contracté avec le patron, soit en méconnaissant le délai d'information, les usages locaux.

Faut-il, messieurs, accepter ce système ? Pour moi, je ne le crois pas. Le fait de violer un engagement est certainement, en morale absolue, une action blâmable, répréhensible, contraire aux lois de la conscience ; personne ne le nie ; mais cela suffit-il pour ranger ce fait parmi les délits de droit positif ? Voilà la question. La réponse, non pas du moraliste, non pas du théologien, mais celle du législateur politique, est négative et doit l'être. Et cela est tellement vrai, que les partisans de l'article. 346 que nous discutons sont obligés d'avouer que ce fait de la violation d'engagements civils, pris isolément, ne pourrait être puni comme délit, et que ce n'est que lorsqu'il a été commis collectivement qu'il doit être frappé d'une peine.

Telle est, messieurs, l'argumentation que j'ai retrouvée plus ou moins implicite dans tout ce que j'ai entendu jusqu'ici de la part des partisans de l'article 346, et ce que je crois avoir plus ou moins rencontré déjà dans le rapport de l'honorable M. Pirmez. Je puis donc en inférer que telle est la pensée de nos honorables contradicteurs : le fait devient coupable parce qu'il est collectif.

- Un membre. - Parce qu'il est concerté.

M. Nothomb. - Parce qu'il est concerté, me dit-on ; mais en quoi cela peut-il changer le caractère primordial du fait ?

Je ne comprends pas, et ici je suis complètement de l'avis de l'honorable M. De Fré, je ne comprends pas qu'un fait, non pas, entendons-nous bien, innocent en morale absolue, mais innocent au point de vue de la loi positive, qu'un tel fait devienne punissable, parce qu'il est multiplié par 10, par 15, par 20. Prenons, messieurs, la question de plus haut, et demandons-nous où est la base du droit de punir ? Elle est dans la justice de la peine.

Voilà la légitimité de la peine. Il n'y en a pas d'autre. Du moment que la loi pénale procède d'ailleurs, elle dépasse son droit. La légitimité de la peine, pour moi, n'est que dans la ferme application de ce principe aux faits qu'il s'agit de punir. Hors de là, il n'y a plus de loi pénale proprement dite ; cela devient une loi de circonstance, une loi de fait, quelquefois de violence ; mais ce n'est plus de la justice.

Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler à cette occasion les paroles d'un homme dont les écrits ont eu une si grande et si bienfaisante influence sur la science du droit criminel moderne.

« La justice, a dit Rossi, si elle mérite réellement ce nom, ne doit punir que des coupables, dans la mesure, tout au plus, du délit. »

Cette belle pensée a trouvé depuis lors une formule bien connue, admirable de concision, dans la bouche d'un des hommes éminents de notre époque :

« Le châtiment n'a droit que sur le crime. »

Ce principe, juste et humain à la fois, je tiens qu'il faut l'appliquer ici, et il souffre quand on frappe d'une peine, qu'elle soit légère ou forte, un fait qui ne constituerait pas en lui-même, de son essence, un délit. (Interruption.)

Permettez : je reprends mon exemple de tantôt. Un homme est débiteur d'un négociant ; il doit lui payer aujourd'hui, à l'instant même, une somme de... Ce négociant en a un besoin urgent ; s'il ne la reçoit pas, il est perdu. Le débiteur ne paye pas, le négociant est ruiné, déshonoré, il s'ôte la vie. Voilà, certes, un préjudice épouvantable ; traduirez-vous ce débiteur, auteur de tant de maux, le traduirez-vous devant la justice criminelle ?

Non. Et cependant il a manqué, celui-là aussi, à son engagement. Il a commis une action répréhensible, immorale, causé par sa faute d'irréparables malheurs, et il ne viendra à personne l'idée d'en faire l'objet d'une peine dans la loi. Pourquoi donc faire, contre l'ouvrier qui méconnaît son contrat, ce qu'on n'essaye même pas contre le débiteur ordinaire qui se rend coupable de la même faute ? A parité de position, parité de traitement.

Mais, nous dira-t-on (c'est une objection déjà faite et qu'on reproduira sans doute), nous sommes obligés de céder à une grande exigence sociale, nous devons punir la violation de l'engagement par les ouvriers, à raison du danger, à raison du dommage qu'elle présente pour l'industrie. Et quand nous vous disons : Ayez recours à l'action civile, maintenez l'égalité, ne sortez pas du droit commun, que nous répondez-vous ? L'action civile serait illusoire pour le patron, puisque l'ouvrier qu'il s'agit de poursuivre n'est pas dans les conditions d'une responsabilité civile sérieuse. Il ne peut pas dans sa situation pécuniaire répondre des dommages-intérêts qu'on pourrait lui demander. Cela revient à dire ceci : Si la garantie de l'ouvrier était jugée par eux suffisante, certainement nos contradicteurs s'en contenteraient ; c'est parce qu'elle leur paraît illusoire qu'ils veulent autre chose. L'aveu est important ; il est pour moi la condamnation la plus formelle du système.

La réparation civile serait insuffisante, dit-on, parce que l'ouvrier manquera des moyens d'y faire face, et par quoi la loi va-t-elle pourvoir à cette insuffisance ? Que propose-t-on pour la remplacer ? La prison.

N'est-il pas à craindre, messieurs, que l'on puisse dire un jour de cette loi qu'elle fait porter à un homme la peine de sa pauvreté ?

Comment ! parce qu'il se trouvera quelques ouvriers, quelques travailleurs n'ayant pas les ressources nécessaires pour répondre des dommages-intérêts qui pourraient être réclamés contre eux, on aurait recours contre tous, indistinctement, d'emblée, à quoi ? A l'amende, à la prison !

Messieurs, je n'hésite pas à dire qu'une pareille loi serait bien dangereuse, car elle créerait une inégalité flagrante. Une semblable disposition serait, à mes yeux une arme redoutable laissée aux mains de ceux qui agitent les masses, les égarent pour souvent mieux les asservir après.

C'est un danger que je me permets d'indiquer à votre sérieuse attention. Je crains qu'un jour on ne puisse, calomniant cette loi, la signaler à la haine des classes qui travaillent, comme un instrument d'exploitation, d'oppression dirigé par une fraction de la société contre elles ; je craindrais qu'on ne donnât ainsi une apparence de vérité à des soupçons, à des erreurs, à des préjugés, et que dans des jours néfastes dont Dieu veuille nous épargner le retour, on ne fit de cette loi un prétexte de représailles ou de vengeance contre la classe qui en aurait profité !

(page 974) Ainsi donc, c'est au nom du dommage causé à l'industrie qu'on veut une peine ; c'est pour préserver l'industrie d’une situation fâcheuse que la police correctionnelle doit intervenir.

Eh bien, s'il en est ainsi, il eût fallu maintenir le système du Code pénal de 1810 ; l'intérêt de l’industrie, c'est aussi le grand argument des partisans de ce Code ; c'est en vue de cet intérêt que le système de 1810 a été fait, ce système cependant contre lequel tout le monde proteste et pour lequel aucune voix ne s'est encore élevée dans cette enceinte !

Soyez conséquents, et si vous punissez le fait du concert entre ouvriers, uniquement parce qu'il est préjudiciable à l'industrie, punissez-le donc aussi, lorsqu'il n'y a pas violation du contrat : le dommage, au point de vue de l'industrie, n'en existe pas moins.

Qu'on en revienne au système de 1810, et alors du moins, tout en consacrant une intolérable injustice, on aura l'application franche et logique du système qu'on veut faire prévaloir indirectement.

C'est donc la doctrine de l'utilité qu'on veut introduire ici comme élément principal dans la loi pénale ; c'est au nom du principe de l'utilité pratique qu'on veut inscrire dans la législation pénale l’article 346 que je combats.

Il n'est pas, messieurs, de pire ni de plus périlleuse voie que celle-là !

Tout à l'heure déjà j'ai eu occasion de rappeler à la Chambre quel est le fondement du droit de punir. Se baser principalement, pour édicter une peine, sur l'utilité qu'elle présente, c'est, selon moi, pervertir la loi pénale, c'est la dénaturer dans son essence, et je n'hésite pas à dire que c'est fausser le sens moral d'un peuple.

Considérez, messieurs, ce qui pourra se présenter quelquefois. Deux hommes sont en prison, l'un pour vol et l'autre pour une infraction à l’article 346 que nous discutons. Ne pensez-vous pas que ce spectacle soit de nature à émouvoir, à froisser la conscience générale ? Est-ce qu'il y a une assimilation possible entre le voleur et l'ouvrier, qui aura quitté une usine, en violation d'un contrat ou d'un délai d'usage ; et cependant l'un et l'autre sont frappés de la même peine ; ils pourront l'un et l'autre rester 6 mois en prison. Ne pensez-vous pas qu'en voyant reparaître à la fois le voleur et l'ouvrier, l'opinion publique n'en vienne à juger bien sévèrement, peut-être à ne plus estimer une législation qui réserve la même peine et à un ignoble voleur et à l'ouvrier, honnête d'ailleurs, qui aura méconnu une simple convention de travail ?

Messieurs, je ne puis m'empêcher de voir dans le principe de l'utilité, comme fondement principal du droit de punir, le même danger que celui que l'honorable M. de Theux vous signalait naguère, à propos du principe du salut public introduit dans les lois politiques.

A l’aide de cette doctrine de l'utilité publique, on peut aller bien loin ; on peut incriminer des faits qui en eux-mêmes ne seront pas immoraux ; on peut être conduit à une législation pénale draconienne, en dehors de notre temps, en dehors de nos mœurs. L'application d'un pareil système peut dégénérer en une véritable oppression. On peut, à l'aide de ce principe, faire du despotisme, comme, à l'aide du principe du salut public, on a fait de la tyrannie, de la terreur, commis tous les excès. Gardons-nous donc d'étendre ce principe dans notre législation et, puisqu'il y est et qu'il faut le subir, modérons-le, au contraire, à chaque occasion.

Dans la séance du 22, l'honorable M. Vermeire nous disait que la violation des contrats entre les patrons et les ouvriers ne peut donner lieu qu'à une action civile.

Cette opinion de l’honorable membre, dont la voix exerce en ces matières si une juste, et légitime autorité, est la seule admissible, elle a trouvé d'autres défenseurs dans cette enceinte, et au-dehors. C'est ainsi que dans les documents qui nous ont été communiqués, je l'ai trouvée défendue d'une manière remarquable par différentes personnes, notamment par les délégués des chambres de commerce de Gand, de Mons et de Bruges au conseil supérieur de commerce et d’industrie ; j'ai vu cette idée soutenue avec force dans le rapport de la chambre de commerce de Liège, à la page 22.

Ce document me paraît digne d'être médité, et j'avoue qu'il a exercé sur mon esprit une sérieuse influence.

Voici ce que je lis dans ce rapport :

« La majorité de la chambre a cru plus convenable d'imiter la tolérance de la loi anglaise ; elle se fonde sur ce que le meilleur moyen d'éviter les coalitions c'est de permettre les coalitions paisibles. »

Ces mots contiennent une grande vérité. Oui, messieurs, je crois aussi que, pour éviter les coalitions violentes, il faut permettre les coalitions paisibles. Car, si on ne le fait pas, qu'arrivera-t-il ? Que peut-on du moins prévoir dans l'avenir ?

C'est que la loi trop rigoureuse poussera infailliblement les ouvriers vers les moyens violents. S'ils sont punis dans les deux cas, soit qu'ils restent paisibles, soit qu'ils aient recours à la violence, il y aura malheureusement chez eux une trop grande tendance à avoir recours à la violence : tenez compte de leur caractère, de leurs mœurs, de leur éducation, trop souvent ils seront tentée de se dire :

« Quoi que nous fassions, nous serons punis ; ayons dès lors recours au moyen le plus efficace, à celui qui peut nous donner le plus vite ce que nous demandons. »

D’ailleurs, il ne faut pas se le dissimuler, si la grève se prolonge, il y aura presque toujours autre chose qu'un simple concert ; il y aura soit des menaces, des injures, des actes d'intimidation qui rentreront dans les dispositions de la loi ; les tribunaux répressifs seront dès lors saisis, et la loi pénale trouvant son application, la coalition ne restera plus impunie.

J'ai encore d'autres reproches à adresser au projet de la commission ; je m'arrêterai de préférence à deux, dont l'un a déjà été développé dans cette enceinte.

Je ne fais donc que reproduire en quelques mots des arguments que j'emprunte à mes honorables collègues.

Le premier est celui-ci : Le projet de la commission nous rejette vers le régime préventif et le substitue au régime répressif qui seul est de l'essence de nos institutions. En vertu de l'article 346, on voudrait punir un fait qui pris en lui-même, n'est pas un délit ; c'est la tendance que l'on punit. Or, dans notre organisation politique, il n'y a lieu de réprimer que le fait extérieur, dont les conséquences se sont produites réellement coupables et attentatoires à l'ordre social ; tel n'est pas le cas ici ; sous ce rapport, le projet de la commission méconnaît, à mon sens, l'esprit même de nos institutions.

Un deuxième reproche, c'est celui que l'honorable M. Goblet aujourd'hui, l’honorable M. De Fré hier, ont développé d'une manière irréfutable ; c'est celui de l'inégalité flagrante que le projet établit entre l'ouvrier et le maître.

Chose étrange ! on est parti de la pensée louable de rétablir l'égalité entre les patrons et les ouvriers. On ne veut plus du Code pénal qui consacre une injustice criante, et maintenant, sans le vouloir, on y retombe !

Dois-je répéter ce qui a été dît ? Le patron méconnaît le contrat qui le lie à ses ouvriers, il reste à l'abri de toute peine, il ne s'est pas coalisé, il n'y a pas coalition, car on ne se coalise pas seul ; il aura violé impunément la convention, la loi pénale ne pourra pas l'atteindre. Il restera bien, nous dira-t-on, l'action civile. Mais à mon tour de répondre : C'est dérisoire ! A quoi servira l'action civile à cet ouvrier qu'on nous représente sans ressource ; n'ayant aucun crédit, aucune solvabilité ; s'il est pauvre à ce point, qu'il ne puisse répondre de rien, comment voulez-vous qu'il assigne son patron, qu'il fasse les frais d'un procès ?

Mais voyez, messieurs, l'autre hypothèse. Les ouvriers se concertent, violent la convention, il y a coalition, et au bout l'amende, les frais et la prison.

Franchement, cela n'est pas juste ; c'est inique. Considérez maintenant combien nous sommes loin du but que nous avons en vue ! Ce que vous voulez établir comme nous, c'est l'égalité, les bons rapports, la confiance, la concorde entre les chefs d'industrie et les ouvriers ; et au lieu de cela vous provoquez entre eux un antagonisme dangereux, vous jetez parmi eux un ferment de discorde, un élément d'hostilité ; au lieu de réunir vous divisez ! Quel résultat !...

Les documents que j'ai sous les yeux et que la Chambre connaît, indiquent des moyens de solution ; ils émanent d'hommes pratiques plus à même que moi d'en apprécier la portée. Cette solution de la difficulté serait, dit-on, dans la législation nouvelle sur les livrets d'ouvriers. Ailleurs, on indique une retenue à exercer sur le salaire des ouvriers par les maîtres, (Interruption.)

Je ne comprends pas l'interruption. Du moment que le patron ne retient pas assez pour que les moyens d'existence de l'ouvrier soient compromis, et si l'ouvrier est assuré de retrouver cette retenue plus tard, je ne vois pas ce que ce moyen, déjà employé souvent, aurait d'impraticable.

Je crois que c'est à l'étude de pareils moyens qu'il faut s'attacher, La confiance que méritent l'intelligence et l'expérience d'hommes qui ont passé leur vie dans l'industrie au milieu de nombreux ouvriers, me donne l'espoir qu'on peut surtout attendre la solution de la question, qui nous occupe, de la loi nouvelle à faire sur les livrets d'ouvriers.

Je termine, messieurs, par quelques mots qui s'appliqueront au discours prononcé par l'honorable M Royer de Behr. Ce remarquable discours, comme on l'a justement qualifié nier, et qui est empreint d'une si persuasive, je dirai si loyale conviction, que si la mienne avait pu être ébranlée, elle l'eût été par les paroles de mon honorable ami.

L'honorable M. Royer demande l'adoption de l'article 346 que je repousse, et cependant vers la fin de son discours, j'ai cru voir qu’au fond nous sommes d'accord ; il a terminé en disant : « Je suis partisan de la liberté ; j’appuierai de mon vote tout ce qui pourra lui donner l’essor. Le temps venu, a-t-il ajouté, je serai aussi le partisan de la liberté du travail, et bientôt, j'espère, viendra le moment où les articles 346 et 347 disparaîtront du Code pénal. »

Mon honorable collègue le sent bien : au fond, il s'agit ici d'une question de justice ; c'est parce qu'il le comprend, que son sens droit et (page 975) généreux aspire à une prochaine abolition de l'article 346 qu'il va voter. Par quoi donc sommes-nous séparés ? Par une date, par un délai ; rien de plus. L'honorable membre veut maintenir provisoirement ce que je veux voir effacer définitivement de notre législation ; il veut maintenir un droit exceptionnel là où je veux entrer dans le droit commun. Je tiens que d'une question de justice, il ne faut pas faire une question de temps ; en pareille matière, ce qui est juste ne doit souffrir ni retard ni délai ; le juste ne comporte pas d'atermoiement.

Ce qui est juste, faites-le sur l'heure, faites-le sans marchander, parce qu'il n'y a de bonne justice que la prompte justice. J'ai, moi aussi, comme l'honorable membre, confiance dans la liberté et plus je vis, plus je m'y affermis ; mais cette confiance, l'honorable membre ne l'a que demain, moi, je l'ai dès aujourd'hui. C'est parce que je l'ai dès aujourd'hui que je voterai toute proposition qui pourra consacrer l'opinion que je viens d'émettre. S'il ne s'en produit pas que je puisse accepter, je me réserve de proposer une rédaction dans le sens de mes observations.

(page 1018) M. Carlier. - Messieurs, en entrant de ce débat, je crois avoir le droit de revendiquer pour l'arrondissement que j'ai l'avantage de représenter dans cette Chambre l'honneur de l'initiative de la réforme que nous discutons en ce moment.

C'est en effet, vous le savez tous, messieurs, à la chambre de commerce et au comité des exploitants du Couchant de Mons qu'est due cette initiative généreuse et digne d'éloges.

La chambre de commerce de Mons a la première, comme corps constitué, appelé l’attention du gouvernement sur l’opportunité et la constitutionnalité d’une mesure qui viendrait abolir les lois répressives des coalitions d’ouvriers. Mais, messieurs, la chambre de commerce de Mons, dont l’avis a été adopté par la commission supérieure de l’industrie et par la commission instituée par la Chambre pour la révision du code pénal, n’a pas entendu, en abolissant les lois qui atteignent à cette heure les coalitions d’ouvriers faire disparaître tout obstacle à certaines coalitions. Elle a voulu obtenir seulement l’abolition des lois qui frappent les coalitions simples.

C’est à ce point de vue, messieurs que s'est placée la commission du code pénal, c'est également à ce point de vue que je viens me placer et que je crois que la Chambre se placera pour admettre les propositions que la commission du Code pénal est venue formuler dans cette enceinte.

Le système de la commission peut se diviser en trois parties.

D’abord il dégage de toute pénalité les coalitions simples, c'est-à-dire qu'il laisse le maître et les ouvriers libres de tout engagement, parfaitement maîtres et libres de discuter leurs rapports d'intérêts comme ils l'entendent. Il les laisse libres de discuter les conditions et de l'offre et de l'admission du travail. Il les laisse libres de régler leurs intérêts et leurs rapports dans la mesure de leurs besoins, dans la mesure de la rétribution qu'ils croient convenable de donner ou de recevoir pour le travail.

A cet égard, messieurs, je pense qu'il ne s'élèvera dans cette enceinte aucune opposition au système présenté par la commission. Je crois que le système auquel le gouvernement s'est rallié, celui qui ne subordonne plus la coalition simple à aucune pénalité sera généralement admis par tous.

La seconde partie du système de la commission est de frapper de pénalité toute atteinte, toute entrave apportée par la violence ou par la menace à la liberté des maîtres et des ouvriers.

Je crois que cette seconde partie du système de la commission ne sera non plus l’objet d'aucune opposition et qu'elle sera votée de même que la première partie, que je vous ai exposée tout à l'heure.

Mais une troisième partie du système de la commission est en ce moment l'objet d’attaques et de critiques de la part de bon nombre de mes amis politiques et de la part d'autres honorables membres de cette assemblée.

On reproche au système de la commission de frapper les coalitions qui ont pour but de rompre les contrats et de faire cesser le travail. On lui reproche de ne rien innover et de laisser les choses absolument dans l'état où elles se trouvent placées par le système de la législation actuelle. On nous dit que l'on comprend parfaitement pourquoi le gouvernement s'est rallié au système de la commission, bien qu'il désirât d'abord frapper toute coalition et même les coalitions simples, et que c'est parce que le gouvernement a trouvé que son désir d'atteindre les coalitions simples était parfaitement satisfait par le système que la commission a cru devoir adopter.

Je crois, messieurs, que pour répondre à ce reproche, il suffit de parcourir le travail remarquable et si lucide de l'honorable rapporteur de la commission du Code pénal, je crois qu’il a parfaitement établi quels étaient les droits des ouvriers, quels étaient les droits des maîtres, et que, les laissant libres de déposer de part et d'autre de ces droits, on leur accordait touts la latitude que réclamaient la liberté et l'égalité de tous devant la loi.

Mais, nous dit-on, ce que vous aviez à faire surtout, c'était de faire comprendre à l’ouvrier qu'il était libre de discuter de ses intérêts devant le maître, qui pouvait en discuter d'égal à égal. Eh bien, ce désir que manifestait tout à l'heure l'honorable M. Goblet, me semble avoir été complètement satisfait par la commission, car lorsque la commission vient dire à l'ouvrier, libre de tout engagement envers le maître, qu'il peut à l’avance débattre vis-à-vis de ce maître les conditions moyennant lesquelles il lui livrera son travail, lorsque la commission vient dire que rien ne peut l'empêcher de faire ce débat avec la plus large liberté possible, évidemment elle fait voir à l'ouvrier qu'il peut d'égal à égal discuter avec le maître les conditions moyennant lesquelles il accepte d'entrer dans son atelier, de lui livrer son industrie, sa capacité de travailleur.

La coalition, dit-on, existe toujours dans votre système et c'est le gendarme qui protège le capital contre le travail.

Mais évidemment, messieurs, aucune protection, dans notre système, n'est accordée au capital, et le gendarme n'est pas, ainsi qu'on le dit, placé auprès du capital pour le sauvegarder. Mais le gendarme vient se placer, dans notre législation, là où nous croyons devoir faire respecter les engagements, là où la fraude, lorsqu'elle s'établit par le concert, lorsqu'elle s'établit par une coalition de volontés et qu'elle a pour objet de briser des engagements pris et de faire cesser un travail promis. Nous pensons qu'alors la fraude présente un caractère tellement immoral, tellement vicieux, qu'elle peut être atteinte, à titre de délit, par la législation pénale.

L'honorable M. Jamar, dans le discours remarquable qu'il prononçait il y a quelques jours, se faisait autorité de l'opinion de l'un des grands publicistes de l'Angleterre, et nous citait cette phrase de M. Stuart Mill : « Indépendamment de toutes les considérations de liberté constitutionnelle, les intérêts les plus élevés de l'humanité exigent que toutes les expériences économiques entreprises volontairement puissent avoir pleine carrière et que la violence et la fraude soient de tous les moyens d'améliorer leur sort, les seuls qui soient interdits aux classes les plus pauvres de la société. »

Eh bien, messieurs, lorsque je viens vous dire : Nous laissons les coalitions simples parfaitement libres, nous laissons l'ouvrier, dégagé de tout engagement, libre de tout contrat avec d'autres maîtres, venir discuter, devant le maître qu'il va prendre, l'étendue de ses intérêts, le montant de son salaire, nous pensons que nous accordons à cet ouvrier la latitude la plus grande qu’on puisse lui laisser. Mais lorsque nous disons à cet ouvrier : Vous ne viendrez ni par la violence ni par la fraude rompre le contrat que vous avez librement conçu, je crois que nous restons parfaitement dans les idées émises par le publiciste que je citais tout à l'heure. De même que M. Stuart Mill, nous ne voulons pour restrictions, aux droits de l'ouvrier, que les restrictions qui sont nécessitées par la violence, par la fraude qu'il peut commettre.

Mais, messieurs, les critiques que vous avez entendues chez tant d'honorables préopinants portent tout entières sur l'article 346 du projet, et je demande si cette partie du projet est parfaitement saisie par tous nos honorables adversaires ; je me demande si ceux-ci comprennent bien que l'article 346, pour ériger en délit la coalition telle qu'elle s'y trouve définie, exige que ce délit présente trois éléments, trois caractères bien distincts et dont la réunion est nécessaire pour constituer cette infraction.

L'article 346 ne frappe la rupture du contrat que lorsqu'elle amène la cessation du travail et qu'elle est le résultat d'une coalition, qu'elle est le produit d'un concert entre les ouvriers. Je fais remarquer à mes honorables adversaires que ce dernier élément, cette coalition, ce concert qui doit exister entre les ouvriers pour rompre le contrat et faire cesser le travail, est l'élément principal, l'élément essentiel sans lequel le délit n'existerait pas. Eli bien, cela une fois posé, je vous le demande, peut-on, sans permettre à la fraude de s'organiser de la façon la plus large, tolérer de la façon la plus ouverte, la mauvaise foi, l'organisation même de la mauvaise foi ? Peut-on ne pas atteindre d'une pénalité quelconque les infractions à l'article 346, tel que nous l'avons écrit dans le projet ? Evidemment non.

D'après notre projet, lorsqu'un ouvrier, lié par un contrat, brise ce contrat, s'éloigne de l'atelier et laisse le maître dans l'embarras, nous ne frappons pas cet ouvrier, nous laissons entre lui et le maître le seul lien civil, nous les laissons s'adresser au juge civil, si bon leur semble. Nous les laissons, en un mot, dans la position où l'honorable M. Nothomb plaçait tout à l’heure, le débiteur et le créancier. Mais nous ne pouvons laisser exister la même situation, à péril d'admettre et d'autoriser l’organisation de la mauvaise foi, je le répète, alors que c'est un concert entre les ouvriers qui amène la rupture du contrat et la cessation du travail.

Dans tous les cas, messieurs, qu'atteignons-nous en frappant d'une pénalité quelconque la coalition qui a pour but la rupture d'un contrat et qui a aussi pour résultat la cessation d'un travail ? Et créons-nous un danger bien grand en constituant ce fait en délit, ferons-nous à l'ouvrier une position plus pernicieuse, plus dangereuse ?

Je ne le crois pas.

Deux hypothèses doivent se présenter, si nous examinons cette partie de nos débats. Ou bien l'ouvrier dont il s'agit est un ouvrier loyal. Eh bien, cet ouvrier loyal remplira tout son contrat, et jamais la pénalité qu il s'agit d'instituer ne pourra l'atteindre.

La seconde hypothèse est celle de l'ouvrier improbe, déloyal, pour qui la parole donnée ou l'engagement pris ne sont rien. Eh bien, je vous le demande, dans une législation où nous voulons introduire et la justice et la moralité, ainsi que le demandait l'honorable préopinant, est-il possible que nous laissions l'ouvrier improbe et de mauvaise foi organiser le manque à la foi donnée, la rupture des engagements pris, sans que nous tentions de le ramener à la bonne foi, sans que nous punissions l’acte immoral et doleux auquel il se livre en agissant de la sorte ?

La peine, nous a-t-on dit, doit trouver son principe dans l'injustice, dans l'immoralité du fait. Eh bien, je me demande s'il n'y a pas un fait d'une flagrante injustice, d'une flagrante immoralité dans le fait de l’ouvrier se coalisant pour manquer aux engagements qu'il a pris, alors (page 1019) surtout qu'il a pu débattre, qu'il a pu régler à l'avance ces engagement vis-à-vis du maître, dans la plus entière liberté.

Ce qui n'est pas un délit, nous dit-on, dans le fait unique, ne peut le devenir par la réunion de plusieurs faits identiques. Si un ouvrier peut rompre un contrat sans que la loi l'atteigne, plusieurs ouvriers peuvent se réunir pour aboutir à cette même rupture d'un contrat, sans que votre loi puisse les frapper.

Messieurs, nombre d'exemples existent dans nos lois, qui punissent le concert, alors que le fait unique n'est pas atteint ; et sans reporter bien loin nos souvenirs, je rencontre dans un débat qui n'est pas très éloigné, la preuve que le concert est atteint là où l'acte unique n'a rien à craindre de la loi. Ainsi, dans les articles 123 et 124 de notre Code pénal, les fonctionnaires qui se concertent pour opposer la résistance à l'exécution des lois sont condamnés, tandis qu'un seul fonctionnaire n'a rien à craindre du Code pénal.

On dit plus, et je rencontre dans la bouche de l'honorable préopinant ces paroles fâcheuses pour la thèse que j'ai à soutenir, que dans la peine que nous comminons, ce n'est pas la faute que nous atteignons, c'est la pauvreté seulement.

Je vois avec bonheur une dénégation de la part de mon honorable adversaire. Mais évidemment ce ne sera pas la pauvreté de l'ouvrier, ce sera la mauvaise foi qui l'engagera à rompre un contrat, et dès lors ce n'est pas à la pauvreté, c'est à la mauvaise foi, à la déloyauté que la peine s'applique. (Interruption.)

Nous ne comminons aucune peine contre l'ouvrier qui abandonne son travail, nous ne comminons aucune peine contre l'ouvrier qui rompt son contrat ; nous ne frappons pas dans ces cas l'auteur du dommage causé, nous frappons uniquement le fait odieux, la mauvaise foi qui se concerte pour rompre un engagement librement contracté, et qui fait ainsi cesser le travail.

Et à cet égard, messieurs, que je vous dise que jamais les engagements de l'ouvrier ne seront asse lourds pour qu'il y ait un intérêt de quelque importance pour lui à rompre son contrat. En règle générale, dans les centres industries, dans les travaux charbonniers, dats les travaux sidérurgiques, dans la plupart de nos grandes industries, en un mot, l'ouvrier s'est engagé par huitaine ou par quinzaine. Eh bien, voyez pour quel minime intérêt, car l'augmentation du salaire de l'ouvrier n'est jamais considérable et ne se présente jamais dans une progression inattendue et notable, voyez pour quel minime intérêt, dis-je, il pourra se présenter des coalitions d'ouvriers dans le but de rompre un contrat et de faire cesser le travail !

Il me semble qu'il y a là un intérêt si faible que c'est bien plutôt l'immoralité du fait que son importance pécuniaire que la loi viendra atteindre.

Parmi les reproches adressés à notre système se trouve encore celui que nous substituons le régime préventif au régime répressif. Je n'ai pas bien saisi la pensée de l'honorable membre qui a formulé ce reproche, et je n'ai pas compris s'il a voulu dire que nous substituons le régime préventif au régime ancien, qu'il considère comme répressif ; alors certainement son observation n'est pas fondée, car si un régime est préventif, c'est bien certainement celui qui punit la coalition simple. Dans tous les cas, messieurs, ce n'est pas un régime préventif que nous présentons, car il ne frappe ce que vous considérez comme coupable, que lorsque le fait a été entièrement consommé ; il n'y a de peine que lorsqu'il y a, à la suite d'une coalition organisée, rupture de contrats librement conclus et cessation du travail. La loi ne punit que le fait accompli.

On dit encore : La loi n'est pas la même pour tous ; le maître aura rarement l'occasion d'entrer dans une coalition ; il est seul ; les ouvriers, au contraire, auront souvent l'occasion de se coaliser ; la position n'est donc pas égale pour les maîtres et pour les ouvriers.

Mais, messieurs, nous devons supposer qu'il y ait une coalition des maîtres pour que la loi trouve son application en ce qui les concerne, et si cette coalition existait la loi frapperait les maîtres comme elle frappe les ouvriers quand il y a coalition d'ouvriers, c'est-à-dire quand il y aurait rupture des contrats ou inobservance des délais d'usage.

Dans tous les cas, messieurs, la situation est-elle absolument la même pour le maître et pour l'ouvrier ; n'existe-t-il pas chez l'un un intérêt beaucoup plus grand que chez l'autre ? Chez le maître et surtout chez celui qu'on a eu en vue lorsqu'on a arrêté la rédaction proposée, il y a d'ordinaire un intérêt puissant.

Ainsi, comme l'a très bien dit l'honorable rapporteur, qu'un haut fourneau soit mis à feu, que la brigade d'ouvriers chargée de desservir ce haut fourneu, abandonne le maître par suite d'une coalition et en violation du contrat ; mais par la mauvaise foi de ces ouvriers, il y aura pour le maître une perte de 10,000, de 20,000 ou de 30,000 francs. Or, quelle est la perte qu'une cessation de travail peut occasionner aux ouvriers ? Quelle est la perte que peut leur causer un refus d'augmentation de salaire ? Quelques sous par jour, et si vous multipliez ces quelques sous nombre d'ouvriers dont se compose la brigade, vous n'arrivez jamais qu'a une très petite somme, c'est-à-dire à un intérêt extrêmement faible à côté de l'intérêt considérable du maître.

Mais il y a une autre inégalité de situation. L'ouvrier que vous croyez placé dans l'impuissance d'obtenir justice du maître, pourra parfaitement revendiquer ses droits.

La pratique que nous avons des conseils de prud'hommes nous enseigne d'une manière très positive que lorsque l'ouvrier se croit lésé il attrait parfaitement le maître devant cette juridiction et obtient à très peu de frais une belle et bonne condamnation contre le maître et le contraint, à lui payer non seulement le prix de son travail, mais encore des dommages-intérêts.

Ce que je dis à cet égard s'est vu non pas une fois mais cent fois. Lorsque l'ouvrier a un droit véritable à faire valoir contre le maître, il est toujours sûr d'obtenir justice. Le maître est-il placé dans la même position ?

Si le maître est obligé de s'adresser à la justice civile pour faire réparer le tort qui lui est causé par l'ouvrier, il obtiendra certes une condamnation, il pourra même faire mettre l'ouvrier en prison, ce qui sera bien plus nuisible à celui-ci que l'emprisonnement pénal ; mais s'il ne veut pas se résoudre à recourir à ce dernier moyen si rigoureux, les frais qu'il aura faits pour obtenir justice viendront encore augmenter sa perte.

II n'y a donc pas ici parité de situations et si vous trouvez que nous faisons pencher la balance en faveur du maître les deux raisons que je viens de donner me semblent démontrer qu'il est indispensable de faire ce que nous avons fait.

L'honorable M. De Fré a présenté dans la séance d'hier quelques objections auxquelles je crois devoir répondre.

Il nous a dit que la liberté du travail n'aurait pas les mêmes garanties que les autres grandes libertés proclamées par la Constitution.

Il nous a cité à cet égard quelques exemples. Il nous a dit : La liberté de l'enseignement existe, eh bien, qu'un groupe de professeurs, que tout le corps professoral attaché à l'une des universités de l'Etat, abandonne cette université, refuse de donner l'enseignement, certes vous n'aurez pas une coercition pénale à exercer contre eux, vous n'aurez pas à employer les gendarmes comme vous le faites pour la liberté du travail.

Non, messieurs, vous n'aurez pas de coercition pénale, vous n'aurez pas de gendarmes, mais vous aurez une coercition d'un autre genre, et je ne doute nullement que le gouvernement n'agisse en pareil cas pour faire condamner les professeurs à de justes dommages-intérêts.

M. De Fré. - J'ai parlé de l'université libre.

M. Carlier. - C'est exactement la même chose. Je crois que le conseil de l'université libre saurait faire respecter ses droits tout aussi bien que le gouvernement.

L'honorable M. De Fré a parlé également de la liberté de la presse et il a cité l'exemple d'un corps de rédacteurs abandonnant brusquement le journal auquel il est attaché. Eh bien, messieurs, là encore il y aurait des dommages-intérêts, et je crois que la contrainte par corps pourrait très bien être prononcée.

Il n'y a donc, messieurs, pas de différence entre les entraves que nous apportons à la liberté du travail et les entraves que pourrait rencontrer la liberté d'enseignement ou la liberté de la presse dans les exemples cités par mon honorable ami.

Un autre exemple encore a été cité par l'honorable membre, c'est celui qu'il a tiré de la proposition relative à l'usure. Rencontrant dans l'usure quelque chose d'immoral, attachant à l'usure une idée qui n'est plus dans le projet de loi, mais qui résulte de la manière dont on a longtemps envisagé le commerce de l'argent, mon honorable ami disait : « Vous laissez toute liberté à l'usurier ; et vous ne voulez pas l'accorder à l'ouvrier. »

Messieurs, la liberté de l'usurier, puisqu'on le qualifie encore ainsi, ne sera pas plus grande que celle de l'ouvrier. Que punissons-nous chez l'ouvrier ? La rupture du contrat ? La rupture du contrat ? non, pas encore ; nous punissons le concert pour arriver à la rupture du contrat. Chez l'usurier, il y aura punition pour rupture du contrat ; car celui envers qui il se sera engagé saura le contraindre à remplir ses obligations. Et certes après avoir vendu son argent à sept pour cent, l'usurier ne pourra pas se refuser à le livrer, si ce n'est à dix ou à douze.

On a dit enfin, et c'est un des reproches les plus graves adressés à notre système ; on a dit que nous faisions à l'ouvrier une position exceptionnelle et que ce c'était que pour lui que nous attachions une coercition pénale aux violations du contrat civil.

Messieurs, l'on se trompe : il est nombre de contrats civils qui peuvent devenir l'objet d'une coercition pénale ; la violation de ces contrats est frappée par le Code pénal actuellement en vigueur, et reste frappée par le Code pénal projeté, et dont la plus grande partie est déjà adoptée.

Ainsi, l'agent de change qui, sans aucune espèce de coalition, ni de concert, ni de fraude, manque à ses engagements et tombe en faillite, est frappé des travaux forcés à temps ; qu'a-t-il fait cependant ? Il a manqué qu'à un contrat civil. Et encore, peut-être, n'y a manqué qu'involontairement. Il en est absolument de même du failli concordataire qui manque à ses obligations et qui retombe en faillite ?

Il en est de même encore du fournisseur ou de l'entrepreneur pour le service de l'armée. S'il manque à ses engagements, il est frappé d'une pénalité, et la loi est même tellement rigoureuse, qu'on le punit alors qu'il n'y a pas de faute de sa part.

(page 1020) Enfin, dans la loi que vous avez votée le 17 mars 1856 sur les falsifications des denrées alimentaires, que frappez-vous, si ce n'est la fraude apportée dans l'exécution d'un contrat civil ?

Nous ne frappons donc pas exceptionnellement les ouvriers ; c'est une exception que nous ajoutons à celles qui existent déjà dans notre législation.

Et à ce propos, je crois devoir en revenir aux appréhensions manifestées par tous les honorables membres qui ont parlé dans un sens contraire à notre opinion. Ces craintes me paraissent fort exagérées.

En règle générale, les engagements d'ouvriers sont de très courte durée ; je crois qu'on peut dire qu'en moyenne ces engagements n'excèdent pas 15 jours ; eh bien, du moment que la liberté la plus absolue est accordée à l'ouvrier pour débattre l'engagement vis-à-vis du maître, et alors qu'il ne s'agit que de remplir cet engagement pendant 15 jours, pour éviter de tomber sons l'application de la loi pénale, je crois que toutes les appréhensions doivent disparaître.

L'honorable préopinant a cru devoir faire quelques objections au système développé hier d'une façon à la fois si éloquente et si sensée par l'honorable M. Royer de Behr. Cet honorable membre, dans le discours remarquable qu'il a prononcé et qui a produit sur nous tous une si vive împression, nous a dit qu'il ne faisait nul doute que, suivant en cela la loi constante du progrès, après avoir passé par le progrès auquel nous voulons nous arrêter un moment, nous n'arrivions bientôt à accorder à l'ouvrier une liberté beaucoup plus grande, et enfin à accorder tout ce que réclament les honorables membres qui se sont fait entendre jusqu'ici en sa faveur.

Je partage entièrement la manière de voir de l'honorable M. Royer de Behr. Je crois que le progrès, pour être stable et durable, doit être réfléchi, qu'il doit être surtout mûri par l'expérience.

Et quelle est l'expérience qui pourra nous servir de guide aujourd'hui ? Est-ce l'expérience de l'Angleterre ? En établissant la liberté la plus large, l'Angleterre a-t-elle évité les inconvénients attachés aux coalitions ? Les faits sont là et répondent pour moi.

Eh bien, nous voulons dans ce moment accorder à l'ouvrier une liberté déjà bien large, liberté dont, pendant 50 années, il a été absolument privé ; nous voulons lui accorder une liberté qui n'existe en quelque sorte dans aucune code étranger ; car l'examen des différentes législations placées sous vos yeux doit vous avoir appris qu'en entrant dans la voie où nous entrons en ce moment, nous faisons une innovation, nous établissons une nouvelle liberté par l'ouvrier.

Eh bien, laissons-nous le temps d'expérimenter les résultats de cette liberté, et si cette expérimentation est favorable à l'ouvrier, nous saurons faire un pas nouveau dans la carrière où nous nous engageons actuellement et nous ne manquerons à aucun des nobles sentiments qui ont été manifestés dans cette discussion.

(page 972) M. le président. - Le bureau vient de recevoir un amendement de M. Guillery. L'amendement consiste, d'abord, à supprimer l'article 346, ensuite à modifier dans les termes suivants l'article 348 :

« Seront punis d'une amende de vingt-six à cent francs et d'un emprisonnement de huit jours à trois mois, ou de l'une de ces peines seulement :

« Toute menace ou injure adressée dans un rassemblement de plus de vingt personnes, à des ouvriers ou à ceux qui font travailler ; toute violence exercée contre les mêmes personnes ; tout rassemblement près des établissements où s'exerce le travail ou près de la demeure de ceux qui le dirigent, lorsque ces faits auront porté atteinte à la liberté des maîtres ou des ouvriers.

« Ces peines pourront être élevées jusqu'à mille francs d'amende et jusqu'à un mois d'emprisonnement à l'égard des chefs ou moteurs. »

M. Guillery. - Messieurs, voici pourquoi je présente mon amendement aujourd'hui, bien qu'il se rapporte à l'article 348. Les articles 346 et 348 soulèvent une seule et même question, et il est nécessaire que la commission soit saisie en même temps de tous les amendements.

Je propose d'abord la suppression de l'article 346 ; d'honorables orateurs en ont déjà donné les motifs.

Le système défendu par MM. Jamar, Nothomb, De Fré, Goblet aboutit à voter contre l'article 346. Quant à l'article 348, il punit des mêmes peines que l'article 346 toute personne qui aura commis des violences, prononcé des injures, des menaces, des amendes, des défenses, des interdiction ou toute proscription quelconque, sont contre ceux qui travaillent, soit contre ceux qui font travailler et qui seraient attentatoires à la liberté du travail.

Il en sera de même de tous ceux qui par des rassemblements près des établissements où s'exerce le travail ou près de la demeure de ceux qui le dirigent, auront porté atteinte à la liberté des maîtres ou des ouvriers.

J'ai vu là la punition de faits qui ne sont pas criminels ; mon amendement punit l'injure et la menace quand elles sont adressées dans un rassemblement, et les violences dans tous les cas.

M. le président. - Je viens de recevoir un amendement signé de MM. Nothomb, de Montpellier, Thibaut et Vermeire. Il propose de supprimer l'article 346 de la commission et contient une rédaction nouvelle de l'article 348 dont je vais avoir l'honneur de donner lecture.

Elle est ainsi conçue :

« Seront punis d'une amende de vingt-six à mille francs et d'un emprisonnement de huit jours à trois mois ou de l'une de ces peines seulement, tous ceux qui auront porté atteinte à la liberté du travail, soit par des violences commises, des injures, des menaces, des amendes, des défenses, des interdictions ou autre proscription quelconque, prononcées contre ceux qui travaillent on contre ceux qui font travailler, soit par des rassemblements près des établissements où s'exerce le travail ou près de la demeure de ceux qui le dirigent.

« S'il en résulte une cessation de travail, les coupables seront punis d'une amende de deux cents à trois mille francs et d'un emprisonnement de deux à six mois ou de l'une de ces peines seulement.

« Dans l'un et l'autre cas, les peines pourront être élevées au.double à l'égard des chefs ou moteurs. »

L'amendement a été développé tout à l'heure par M. Nothomb.

M. Nothomb. - J'ai déposé mon amendement pour que la commission pût l'examiner en même temps que les autres propositions.

- Cet amendement est renvoyé à la commission.

M. le président. - Je viens de recevoir un amendement de M. Muller à l'article 346. Il est ainsi conçu :

« Toute cessation de travail faite par suite de coalition entre les ouvriers et en violation des conventions dont la durée ne dépasse pas les délais en usage dans chaque industrie ; toute cessation générale de travail faite par un ou plusieurs maîtres en dehors des cas de force majeure et en violation ces mêmes conventions, seront punies d'une amende, etc.

« (Le reste comme dans le paragraphe premier de l'article de la commission.) »

M. Muller. - Je n'ai que deux mots à dire pour développer cet amendement. J'ai été frappé d'un des arguments qui a été présenté par les honorables membres qui ont combattu le projet de la commission. Ils disaient qu'il y avait une certaine injustice à punir la cessation de travail de la part des ouvriers alors que le maître n'est pas puni quand il renvoie sans aucun motif et en violation des contrats passés trois ou quatre cents ouvriers. Mon amendement tend à établir l'égalité entre les uns et les autres. Tel est le motif qui me l'a dicté.

M. le président. - Je communiquerai à la Chambre une lettre que je viens de recevoir de M. Van Overloop qui, obligé de se rendre à l'étranger pour devoirs de famille de famille, demande un congé.

- Accordé.

M. le président. - L'amendement de M. Muller sera renvoyé comme les autres à la commission. Ils seront de plus imprimés et distribués.

- Plusieurs voix. - A mardi ! à mardi !

M. de Muelenaere. - Indépendamment du renvoi de ces divers amendements à la commission, il est entendu que le bureau les fera imprimer et distribuer aux membres de la Chambre.

M. le président. - C'est ce que je viens de dire ; du reste c'est de droit.

M. de Theux. - Je désirerais savoir si on peut espérer avoir le rapport mardi, pour que la discussion ne soit pas interrompue.

M. Dolez. - Dans la pensée de ne pas interrompre la discussion du Code pénal, j'aurais désiré convoquer la commission et tous les auteurs des amendements pour lundi, mais on m'a objecté les nécessités qui appellent une partie de nos collègues dans leur famille. S'ils voulaient consentir à ce que la commission travaillât en leur absence, je convoquerais pour lundi les membres de la commission et les auteurs des amendements qui restent à Bruxelles, et nous pourrions mardi présenter un rapport à la Chambre.

Je préviens donc mes collègues que lundi à une heure, je réunirai la commission et les auteurs des amendements.

M. de Theux. - Si lundi la commission pouvait avoir terminé son examen et M. le rapporteur son rapport assez tôt pour le faire imprimer dans la soirée, il serait à désirer qu'il nous fût distribué mardi matin afin de donner aux membres de la Chambre le temps d'en prendre connaissance avant la séance.

Un rapport verbal sur une question si importante ne peut être saisi dans toutes ses parties et ses conséquences.

M. Pirmez. - Je ne sais pas combien de temps durera la discussion au sein de la commission. Si elle se prolonge jusqu'à 4 heures, par exemple, il sera impossible de faire imprimer et distribuer le rapport mardi matin.

M. Tack. - On pourrait dès aujourd'hui déclarer qu'on intervertira l'ordre du jour et qu'on s'occupera mardi des objets à l'ordre du jour qui suivent le Code pénal.

M. le président. - Nous avons à l'ordre du jour quatre ou cinq projets qui pourront occuper la séance de mardi ; nous remettrions la reprise du Code pénal à mercredi.

- Cette proposition est adoptée.

La Chambre s'ajourne à mardi, à 2 heures. La séance est levée à 4 heures.