(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 913) (Présidence de M. Orts.)
M. de Florisone procède à l’appel nominal à deux heures et un quart.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance du 17 mars.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Albert Rosbach déclare retirer sa demande de naturalisation. »
- Pris pour notification.
« Des habitants de Gand demandent qu'il soit donné cours légal m Belgique aux pièces décimales françaises en or ou que ces monnaies soient reçues pour leur valeur nominale dans les caisses de l’Etat et proposent subsidiairement que le gouvernement soit autorisé à battre pour son compte et pour des particuliers, des monnaies d'or belges de même valeur, titre et module que l'or français. »
« Même demande d'habitants de Kerckhove, Dixmude, Coyghem, Staden, Comines, Zelzaete, Wercken, Beveren-lez-Roulers, Cuernes, Helchin, Wacken, Lokeren, Schoore, Mannekensvere, Saint-George, Harlebeke, Ypres, Nieuport, Beveren, Desseghem. »
M. Rodenbach. - Je propose le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, de ces quinze à vingt pétitions signées par à peu près 2,000 pétitionnaires. »
- Adopté.
« Des habitants de Moen demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique à la monnaie d'or de France. »
« Même demande d'habitants de Wasmes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal de Lanaken prient la Chambre de décréter la construction d'un chemin de fer de Bilsen à Tongres. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Solre-St-Géry, demandent la construction d'un chemin de fer reliant Manage à Momignies par Beaumont. »
- Même renvoi.
« Les époux Druant demandent un congé pour leur fils, soldat du 2ème régiment des cuirassiers. »
- Même renvoi.
* Des bourgmestres dans la province de Liège demandent qu'il soit pris des mesures pour que les fonds des communes ne soient plus absorbés par les frais d’entretien dans les dépôts de mendicité. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Il est fait hommage à la Chambre par M. Monnerie, rédacteur du journal le Moniteur du travail national, de 120 exemplaires du n°12, 2ème année, de ce journal, contenant en supplément la pétition adressée à la Chambre par l'association pour la défense de la propriété intellectuelle. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« M. de Naeyer, empêché par une indisposition, et M. Neyt, retenu chez lui pour affaires, demandent un congé. »
- Ce congé est accordé.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Dans une séance précédente l'honorable M. De Fié a demandé le dépôt sur le bureau des avis des cours d'appel, des tribunaux et des procureurs du roi, sur la question du taux de l’intérêt qui doit s'agiter prochainement. J'ai l'honneur de déposer ces documents sur le bureau.
- Ces pièces resteront déposées sur le bureau pendant la discussion du projet de révision du Code pénal.
M. Snoy, rapporteur. - Par pétition datée de Rocour, le 17 février 1860, te sieur Liben, ancien brigadier des douanes, demande la révision de sa pension.
Le pétitionnaire ne donnant aucune raison pour majorer le chiffre de sa pension, votre commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Snoy, rapporteur. - Le sieur Variez, capitaine pensionné, demande ix révision die sa pension.
Il voudrait qu'il lui fût tenu compte du temps qu'il a passé dans l’armée française, postérieurement au 24 juillet 1814, date de la remise des derniers congés aux militaires étrangers qui se trouvaient sous les drapeaux de la France.
Le pétitionnaire s'est déjà adressé au ministère de la guerre, et a essuyé un refus inévitable ; il est, en effet, impossible de compter au pétitionnaire le temps qu'il a passé au service étranger.
Votre commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Snoy, rapporteur. - Par pétition datée de Vilvorde, le 23 février 1860, le sieur Ronsmae, ancien soldat, demande une augmentation de pension.
Les pensions étant réglées par la loi, votre commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Snoy, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 22 février 1860, le sieur Carlf, blessé de septembre, demande la pension de 250 francs, dont jouissent des combattants de 1830.
(page 914) Le pétitionnaire s'est déjà adressé à l'autorité supérieure, qui a rejeté sa demande dans les termes suivants : (L'orateur donne lecture de ce passage.)
Votre commission a donc l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Snoy, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 8 février 1860, le sieur Piron, ancien officier. demande une récompense pour services rendus en 1830. »
Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la guerre.
- Adopté.
M. Snoy, rapporteur. - Par pétition datée de Vilvorde, le 5 janvier 1860, le sieur Labouchier. soldat à la deuxième compagnie sédentaire à Vilvorde, prie la Chambre de lui faire obtenir son congé ou sa rentrée au 2ème cuirassiers.
Le pétitionnaire prétend, qu'après avoir servi pendant 20 ans dans la cavalerie on l'a fait passer dans la 2e compagnie sédentaire ; il demande donc ou sa rentrée dans le 2ème cuirassier ou son congé définitif.
Votre commission a chargé votre rapporteur de prendre des renseignements au département de la guerre.
Voici la réponse qu'il a reçue :
« Monsieur le représentant,
« Voici les renseignements que vous m'avez fait l'honneur de me demander concernant le nommé Labouchier qui a adressé une pétition à la Chambre.
« Cet homme, qui a 48 ans, a été reconnu incapable de continuer à servir dans les cuirassiers, et comme d'ailleurs ses services ne sont pas assez longs pour lui donner droit à une pension, il a été désigné pour passer dans une compagne sédentaire où il pourra servir jusqu'à ce qu'il ait acquis des droits à la retraite.
« Il a donc été l'objet d'une faveur, et c'est bien mal comprendre ses intérêts que de réclamer contre la mesure bienveillante dont il a été l'objet.
« Sans doute, on ne peut pas forcer un homme à accepter une faveur ; aussi je pense que M. le ministre de la guerre, qui a d'abord refusé de licencier ce militaire, parce qu’il croyait agir dans son intérêt, ne fera aucune difficulté de lui accorder son congé su la Chambre juge à propos de lui renvoyer la pétition dont il s’agit.
« Veuillez agréer, M. le baron, l'assurance de ma haute considération.
« Le colonel, Guillaume.
« 12 mars 1860. »
En présence de ces renseignements, votre commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. A. Vandenpeereboom (pour une motion d’ordre). - On a distribué hier le projet de loi portant suppression des octrois communaux, avec les pièces à l'appui et l'exposé des motifs. Connue ce projet est très important, je demande qu’on veuille bien fixer un jour pour l'examen de ce projet de loi en sections et je demande également que ce jour ne soit pas trop rapproché, afin qu’on ait le temps d’examiner.
M. le président. - Nous pourrions fixer l'examen en sections à mercredi prochain.
M. B. Dumortier. - Le projet de loi doit il s'agit ne se borne pas à prononcer purement et simplement la suppression des octrois. Il soulève une foule de questions qui nécessiteront un long examen. Car, veuillez-le remarquer, c'est en quelque sorte la révision de presque toutes nos lois d'accises.
D'un autre côté, il importe aussi que l'opinion des villes puisse se former. Leurs mandataires ne peuvent former leur opinion sans connaître les développements qui ont été distribués hier au soir.
Il me semble qu'il serait plus sage d'examiner le projet de loi, immédiatement après les vacances de Pâques, et j'en fais la motion (Interruption.) Cela n'amènera pas de retard, parce qu'en définitive, pendant le cours de nos vacances, les Chambres étant absentes, on ne pourra pas avancer l’examen du projet.
Il est sage que chacun puisse peser les conséquences d'un projet de loi dont tout le monde désirerait l'adoption, mais dont on peut craindre certains résultats. Je pense que la Chambre voudra que l'opinion publique s'éclaire, que nos commettants nous donnent leur avis sur une semblable question et qu'on ne précipite pas l'examen, ce qu'on pourrait regretter plus tard.
Je demande donc qu'on fixe l'examen en sections du projet de loi sur les octrois, immédiatement après les vacances.
M. Guillery. - Loin de moi l'idée de vouloir précipiter, en quoi que ce soit, l’examen d'un projet de loi important. Mais, veuillez remarquer que le jour où les sections commenceront cet examen, elles ne le finiront pas. On peut avoir deux, trois, quatre, dix séances en sections ; s'il le faut. On aura des renseignements à demander au gouvernement, avant que l'examen sera ce qu'il faut pour qu'il soit complet.
Du reste, ce projet, quelque important qu'il soit, ne soulève pas de difficultés financières nouvelles. Il s'en réfère à des idées qui ont déjà été l'objet de délibérations et d'examens depuis quinze ans, qui nous ont tous préoccupés depuis longtemps et sur lesquelles nous avons une opinion plus on moins formée.
Le projet de loi n'a pas été porté hier seulement h la connaissance du public. Si nous n'avons pas eu cet exposé des motifs, nous avons eu un exposé qui expliquait parfaitement l'esprit du projet. Il y a donc déjà eu dans la presse, dans l'opinion publique, une étude préalable. Il me paraît que d'ici à huit jours, nous aurons parfaitement le temps de compléter cette étude, de manière à pouvoir commencer mercredi l'examen du projet de loi en sections. Loin de vouloir rejeter l'examen en sections après les vacances.je voudrais que le rapporteur de la section centrale pût être nommé avant cette époque, sauf à la section centrale à continuer ses travaux ultérieurement. Mais lorsque le rapporteur est nommé, il peut commencer ses travaux qui sont toujours nécessairement assez longs ; il suit alors les discussions de la section centrale avec plus de fruit et peut présenter son rapport dans un bref délai.
Je crois, messieurs, que pour l'honneur du parlement et pour l'honneur de cette session, il importe qu'elle ne se termine pas sans que nous ayons voté le projet de loi.
M. Muller. - Messieurs, je voulais présenter à peu près les mêmes observations que l’honorable M. Guillery. J'ajouterai une autre considération, c’est que trop d'intérêts sont engagés dans la question pour qu'on les laisse longtemps, pour que le pays puisse douter que la Chambre discute le projet dans la session actuelle. Différentes industries importantes, les villes elles-mêmes, au point de vue de leurs finances, les campagnes et l’Etat sont maintenant dans une situation précaire, qu'il convient de ne pas prolonger.
D'ici à mercredi en huit on aura parfaitement le temps de se préparer à l’étude du projet ; d'ailleurs, messieurs, ce que nous ferons en sections ne lie aucun de nous, et si nous ne sommes pas alors complétement éclairés, s'il restait du doute ou s'il y avait erreur dans nos appréciations individuelles, nous aurons encore parfaitement le loisir de les rectifier avant ou pendant les débats publics de la Chambre.
M. B. Dumortier. - Je conçois, messieurs, l'honneur et la dignité du parlement d’une toute autre manière que l’honorable orateur auquel je réponds. A mes yeux, l’honneur du parlement c’est que nous fissions les lois en pleine connaissance de cause, c’est que nous les examinions avec maturité et que nous les comprenions parfaitement.
Que fait-on, messieurs, dans beaucoup de circonstances ? On demande l'avis des personnes compétentes.
Ainsi, par exemple, M. le ministre de la justice vient de déposer les avis des cours et tribunaux sur la question de l'usure.
il est évident que la première chose à faire ici c'est de demander l'avis des villes dont les droits vont être supprimé et l'avis des autres communes. Je sais bien que les honorables membres qui représentent les villes de Bruxelles et de Liège (je n'entends pas foie une allusion offensante)...
M. Muller. - Je suis représentant du pays, nommé par l'arrondissement de Liége, et non par la ville seule.
M. B. Dumortier. - Je suis bien, dis-je, que les honorables députés de Bruxelles et de Liège peuvent être très satisfaits du projet de loi ; mais il n’en résulte pas que toutes les autres communes de la Belgique soient également satisfaites. Voilà ce qu'il faudrait examiner, et il me semble qu'en pareille matière on ne manque jamais à aucune convenance quand on cherche à s'éclairer sur le projet de loi.
Je dis, messieurs, que ce serait une précipitation incroyable que de vouloir examiner le projet de loi, même en sections, avant d'avoir permis à l'opinion publique de nous éclairer sur les détails.
S'il ne s'agissait que de dire : « Les octrois sont supprimés, » on pourrait aller très vite. Mais il y a autre chose à faire.
Il y a des moyens à employer pour créer les ressources nécessaires et pour cela il faut un examen très sérieux, cet examen doit être sérieux au point de vue de l’intérêt des villes et au point de vue des intérêts de l'Etat.
Ce serait donc une faute grave que d'apporter de la précipitation dans l'examen d'un pareil projet de loi. Remarquez, messieurs, qu'il s'agit d'une loi organique, et en matière de lois organiques la précipitation est une chose fatale.
Je dis, messieurs, qu'il faut étudier la question sous toutes ses faces, et quant à moi il me serait impossible de l'étudier complètement dans un délai de 8 jours.
Vous voyez donc que l'honorable ministre des finances a eu besoin de 10 jours pour l'impression de ce document, et vous ne donneriez à la Chambre, pour l'examen, que le temps qu'il a fallu pour l’impression. En vérité, c'est très fort.
M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, j'appuie la proposition de l'honorable M. Dumortier. Il me semble que le projet de loi qui nous est soumis, est d'une importance telle que nous devons avoir tout le temps nécessaire pour l'examiner avec maturité. Les membres de la Chambre qui appartiennent à des administrations communales, doivent désirer de pouvoir s'éclairer des lumières de leurs collègues (page 915) communaux. Un temps moral est également nécessaire pour expliquer aux communes rurales la portée du projet de loi qui n'est pas compris.
Messieurs, j'ai la conviction que plus on étudiera l'exposé des motifs et les pièces à l'appui, plus on verra disparaître certaines objections qui avaient été faites a priori contre le projet de loi.
Je parle ainsi, parce que c'est l'impression que j'ai éprouvée moi-même ; quand on a exposé le système, il s'en présenté dans mon esprit beaucoup d'objections contre la projet ; j'ai lu hier attentivement l'exposé des motifs ; et, sans avoir déjà une opinion arrêtée, je dois dire que plusieurs de mes objections ont disparu.
Je demande donc qu'on permette aux administrations des villes et des communes d'étudier le projet de loi et puis de nous éclairer.
Je crois, d'ailleurs, qu'on ne perdra guère de temps en adoptant la proposition de l'honorable M. B. Dumortier.
Je suppose que les sections soient convoquées dans 8 jours pour examiner ce projet ; toutes n'auront probablement pas terminé cet examen avant les vacances de Pâques ; la section centrale ne pourrait donc pas, avant cette époque, se réunir et soumettre des questions au gouvernement, d'un autre côté, l'on n'aura pas donné satisfaction à ceux qui désirent avoir un délai pour pouvoir se livrer à un mûr examen.
Pour ce motif, j'appuie h proposition de l'honorable M. B. Dumortier et j'espère que ceux de mes honorables collègues qui sont d'opinion que le projet de loi est bon, et qui désirent la suppression des octrois comme nous, se rallieront à la proposition.
M. Rodenbach. - Messieurs, je partage l'opinion de l'honorable préopinant, et j'appuie la proposition de mon honorable collègue, M. B. Dumortier. Ce ne sont pas seulement les villes et les communes qui doivent être consultées ; mais il y a encore de nombreux industriels qui sont en cause. On frappe, par exemple, les bières de 4 francs, tandis que le droit n'est aujourd'hui que de 2 francs 6 centimes. D'après le projet, les droits sur les vins, les eaux-de-vie seront perçus à la frontière. Nos distillateurs, nos brasseurs, et beaucoup d'autres industriels doivent pouvoir faire entendre leurs plaintes, s'ils ont des réclamations à nous adresser. Les questions que le projet de loi soulève sont graves. Ainsi, par exemple, pour le sucre de betteraves, il y a déjà eu des réunions. Nous devons nous éclairer.
M. Muller. - Messieurs, s'il est bien entendu par la Chambre que la session ne sera pas close avant que le projet de loi soit voté ou rejeté par la Chambre, je n'insisterai pis pour que l'examen en sections ait lieu dès mercredi en huit.
Les observations qui ont été présentées par l'honorable M. Guillery et par moi tendent surtout à ce que la question de la suppression des octrois ait une solution définitive dans cette session-ci, puisque, vous le comprenez, comme je l'ai dit tantôt, les plus graves intérêts sont engagés dans cette question.
Maintenant, s'il est bien résolu que la Chambre n'ajournera pas le débat à une autre cession, soit que vous rejetiez le projet, soit que vous l'adoptiez, je ne m'oppose pas à ce que le premier examen soit remis après Pâques. Seulement, je fais remarquer avec l’honorable M. Guillery que si l’on commençait l'examen en sections la semaine prochaine, vous auriez d'ici là huit jours pour étudier le projet, et qu'il vous resterait plusieurs jours pour l'examen des sections. Or, pendant la période des vacances de Pâques, chacun de nous pourrait recueillir des renseignements et les impressions diverses de l'opinion publique à cet égard.
M. Guillery. - La question est très importante : je crois qu'il n'est pas inutile d'insister.
Je serai le premier à réclamer un délai pour l'examen de la loi, le jour où la discussion devra venir devant cette Chambre. Jamais je ne coopérerai en quoi que ce soit à refuser à des collègues le temps nécessaire pour examiner une loi, mais on ne va pas voter la loi, on va l'étudier. C'est en section qu'on va faire l'examen préparatoire qui peut nous éclairer. Il n’est peut-être pas un de nous qui n'ait des renseignements à demander et c'est là qu'on les obtiendra. Ainsi le travail en sections est une étude, et c'est en section que nous trouverons le moyen d'utiliser nos vacances en méditant les renseignements qui nous auront été donnés.
N'avons-nous pas eu sur la question une pétition du conseil provincial du Brabant ? Est-ce que les questions d'accises qui sont maintenant en délibération n'étaient pas soulevées par cette pétition ? N'avons-nous pas eu le rapport de l'honorable M. Vandenpeereboom en 1856 ? Et le rapport de la commission d Etat en 1847 ? A maintes reprises nous avons eu l'occasion de discuter la plupart des questions qui se trouvent aujourd’hui soulevées dans le projet.
Le projet est nouveau quant aux combinaisons ; mais les moyens auxquels il fait appel ne soulèvent pas de questions nouvelles. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on a fait ces propositions. Par conséquent les fabricants ont eu le temps d'examiner et ils auront le temps de s'expliquer. Il est impossible, en prenant le temps nécessaire pour le travail des sections, le temps qu'il faudra à la section centrale et surtout au rapporteur pour faire son travail, qu'on discute le projet de loi avant deux ou trois mois.
Est-ce que d'ici là les personnes intéressées, les fabricants n'auront pas le droit de nous adresser des pétitions ? Les bourgmestres n'auront-ils pas le loisir nécessaire pour consulter les conseils communaux ?
J'insiste pour que l'examen commence de demain en huit, parce que je désire que nos études commencent le plus tôt possible ; mais je serai aussi le premier à insister pour qu'elles se prolongent, si l'on trouve qu'elles ne sont pas assez complètes, et pour qu'on retarde le vote de la Chambre jusqu'au dernier moment de la session, si un seul de nos collègues le demande.
- La proposition de fixer à demain en huit l'examen du projet de loi sur les octrois est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
La proposition de fixer cet examen immédiatement après les vacances de Pâques est adoptée.
M. le président. - Il est entendu que cet examen commencera le lendemain de la rentrée.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il aux amendements de la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas à tous. Je m'expliquerai dans le cours de la discussion.
M. le président. - La discussion s'ouvre donc sur le projet du gouvernement.
- Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la Chambre passe à la discussion des articles.
« « Art. 1er. Il sera fabriqué des monnaies d'appoint d'un métal composé de nickel et de cuivre.
« Cet alliage contiendra au moins 25 p. c. de nickel. »
M. B. Dumortier. - Je préférerais beaucoup pour mon compte que le gouvernement continuât à faire de la monnaie d'appoint en bronze. Voici mes motifs : je reconnais que la monnaie de nickel est très jolie, mais je crains que cette monnaie ne devienne dans les affaires une source d'embarras ; le soir elle serait très facilement prise pour la monnaie d'argent ; beaucoup d'erreurs seront commises dans les rouleaux notamment, si les proportions, proposées par le gouvernement étaient maintenues ; on serait exposé à des erreurs constantes.
La Belgique a toujours eu l'habitude d'avoir de la monnaie de cuivre, de la monnaie d'argent et de la monnaie d'or. La monnaie de cuivre a toujours existé, à toutes les époques ; l'ouvrier, le peuple, tout le monde est habitué à cette monnaie.
Je ne vois pas de motif, pour mon compte, de changer nos habitudes. Je sais que si l'on faisait une monnaie de bronze à l'instar de celle qui existe en France et qui est très belle, le bronze français pourra nous arriver en grande quantité ; mais dans aucune hypothèse nous n'empêcherons ces monnaies de venir chez nous ; mais si vous faites de la monnaie de France, la monnaie belge ira en France de même que la monnaie française viendra en Belgique. Il en sera de la monnaie de bronze comme des pièces de 5 francs dont la plus grande partie est allée en France.
Il me semble qu'il n'est pas nécessaire de contrarier les habitudes d'un pays, sans motif sérieux.
Cette nouvelle monnaie a un grand inconvénient, celui de prêter à des erreurs parce qu'on pourra la confondre avec la monnaie d'argent. On a fait de la monnaie infiniment plus petite.
Dans un pays d'un commerce aussi considérable que le nôtre, je crains que ce soit une source d'erreurs dans nos populations.
M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier vient de combattre le principe même du projet qui nous est soumis. Selon lui, ce qu'il y aurait à faire, ce serait d'adopter le système de billon qui est actuellement employé en France et de frapper une monnaie de bronze semblable à la monnaie française.
Je n'hésite pas à le dire, de tous les systèmes possibles, celui qui est préconisé par l'honorable membre est incontestablement le plus mauvais, celui qui offrirait le plus d'inconvénients, le moins d'avantages.
Et doit-on être surpris de l'opinion que vient d'émettre l'honorable membre ?
Il me paraît être dans une erreur tellement complète sur les faits, que réellement qu'il n'y a pas lieu de s'étonner de la fausse idée qu'il se fait des résultats de l'application de son système. La France a actuellement pour monnaie principale la monnaie d'or. Nous avons en Belgique pour monnaie principale la monnaie d'argent.
La valeur nominale de la monnaie d'or vaut moins que la monnaie d'argent.
En France, dix décimes valent un franc d'or ; en Belgique, dix décimes valent un franc d'argent.
Celui qui a vingt francs de monnaie de billon en France, a simplement la valeur représentative d'une pièce d'or de 20 francs, et celui qui a en Belgique 20 francs de monnaie de billon, a la représentation de 4 pièces de 5 francs. Celui qui a cette somme de monnaie de billon en (page 916) France a donc moins que celui qui a celle somme de monnaie de billon en Belgique, chacun sait en effet que la pièce de 20 francs ne vaut pas quatre pièces de 5 francs.
Il résulte de là qu'il y a avantage à apporter de la monnaie de billon de France en Belgique ; il suffit d'introduire chez nous une somme quelconque de billon français pour réaliser un bénéfice assez considérable. Le change sur la France qui est toujours à l'avantage de la Belgique le prouve pleinement.
Ainsi le fait d'apporter de la monnaie de bronze française en Belgique constitue une opération avantageuse.
Prendre une monnaie de billon exactement semblable à la monnaie française, c'est rendre facile cette importation en enlevant au peuple tout moyen de s'en prémunir ; c'est donner toute facilité aux Français pour lever un impôt sur les Belges, pour faire une opération très profitable pour eux, dommageable pour nous.
Il ne faut pas oublier qu'il y a dans la fabrication du billon un très grand bénéfice pour l'Etat.
Le gouvernement français, sur la fabrication des monnaies de bronze, gagne à peu près les deux tiers de la valeur nominale : le franc de monnaie de bronze ne lui coûte que trente et quelques centimes. Si nous facilitons l'entrée du billon français, il suffira qu'il en soit émis pour qu'on en importe dans notre pays, il en résultera que nous permettrons à nos voisins de faire à nos dépens un bénéfice égal aux deux tiers de la monnaie qui sera introduite chez nous.
D'après le projet de loi qui vous est soumis, le gouvernement fera aussi un très grand bénéfice sur la fabrication du nouveau billon.
Le trésor jouira des avantages de fournir aux besoins du pays avec ce billon ; si nous adoptions le système de M. Dumortier, ce bénéfice qui s'élèvera à plusieurs millions sera pour la France dont la monnaie envahira notre circulation.
L'honorable M. Dumortier dit que notre monnaie de billon entrera en France comme la monnaie de billon française viendra chez nous, et il donne à l'appui de cette conjecture ce qui se passe, d'après lui, pour l'argent. Voyez, nous dit-il, nos pièces de 5 francs ne vont-elles pas en France comme les pièces de 5 francs françaises circulent en Belgique ?
L'honorable membre est dans une erreur de fait extrêmement grave dans la matière ; non, nos pièces de 5 francs ne vont pas en France. On ne porte pas de chez nous l'argent en France ; l'argent français sort au contraire de ce pays, et cela par une raison bien simple, parce qu'il y a un bénéfice considérable à le remplacer par de la monnaie d'or.
De même, pour le moment, il est impossible que notre monnaie de billon aille en France ; l'y introduire, ce serait consentir à une perte de 1 ou 2 p. c. ou même plus ; or cela ne se fera jamais.
Nos relations avec la Hollande vous offrent une preuve remarquable du résultat qu'aurait l'adoption du système de l'honorable M. Dumortier.
En Hollande l'unité monétaire est le florin, que vaut 2 fr. 10 c.
M. B. Dumortier. - 2 fr. 11 c.
M. Pirmez. - Pardon ; depuis la réforme monétaire, le florin vaut 2 fr. 10 c.
Quand vous avez 100 cents des Pays-Bas, vous avez la représentation d'un florin ou de 2 fr. 10 c. Quand vous avez 100 pièces de 2 c. belges, vous n'avez que la valeur de 2 fr.
Il en résulte que chaque fois qu'on introduit cent pièces de deux centimes en Hollande, où on les fait passer pour des cents, on gagne dix centimes. La spéculation a vu ce bénéfice et aujourd’hui la Hollande est encombrée de pièces de deux centimes belges ; nos pièces de deux centimes vont pour la plus grande partie en Hollande. Le gouvernement hollandais a pris, mais vainement, tous les moyens pour arrêter ces importations ; on a proposé d'édicter une pénalité contre ceux qui importent du cuivre belge en Hollande.
Jamais, au contraire, nous ne voyons circuler en Belgique les cents de Hollande, et cela par la raison bien simple que si l'on importait les cents en Belgique, on ferait une perte équivalente au bénéfice que je viens de signaler.
Eh bien, messieurs, il en serait de même si nous fabriquions une monnaie semblable à la monnaie française. Les Français feraient un bénéfice par l'importation de leur billon dans notre pays ; nous subirions par-là une perte que nous ne pourrions réparer, parce que, introduire notre billon en France ne serait qu'accepter une nouvelle perte.
On le voit, le gouvernement français pourrait augmenter à discrétion son émission et c'est nous qui payerions le bénéfice qu'il réaliserait.
Le système de l'honorable M. Dumortier consisterait donc à faire au gouvernement français un cadeau de quelques millions.
Messieurs, y a-t-il avantage d'ailleurs à adopter la monnaie de bronze ?
Mais la réforme que nous voulons opérer est tout à fait impossible avec ce système.
A quels inconvénients veut-on remédier ? ; D'abord la pièce de o0 c. actuelle est trop petite pour les ouvriers qui doivent s’en servir fréquemment et qui ne peuvent les tenir dans leurs mains peu habituées à tenir des objets aussi délicats.
C’est un premier inconvénient.
Il y en a un second : c'est que la pièce de 20 c. coûte extrêmement cher à fabriquer. Ainsi la pièce de 20 c. est proportionnellement au même titre et au même poids que la pièce de 5 fr. Mais pour fabriquer 20 pièces de 20 c., il en coûte beaucoup plus que pour fabriquer une pièce de 5 fr. La fabrication des pièces de 20 c. est donc très onéreuse.
Il y a un autre inconvénient, c'est que l'usure de la pièce de 20 centimes est très considérable, qu'elle atteint des proportions telles, qu'au bout de quelque temps, cette pièce est impropre à la circulation.
Il faut donc remplacer la pièce de 20 c.
Par quoi la remplacera-t-on ? Evidemment l'honorable membre ne proposera pas de faire des pièces da bronze doubles de celles qui circulent en France. Ce seraient des pièces incommodes qui ne feraient nullement atteindre le but que l'on a en vue.
Ainsi avec le système de l'honorable M. Dumortier, ii faut conserver note pièce de 20 centimes avec tous ses inconvénients, avec toutes ses imperfections, avec le rôle insuffisant qu'elle joue dans la circulation monétaire. Y a-t-il d'un autre côté avantage à prendre la monnaie de bronze ?
Mais cette monnaie est encore très lourde. Elle présente infiniment moins de garantie contre la contrefaçon que l'alliage de nickel et de cuivre ; le bronze se frappe beaucoup plus facilement que le nickel. L'alliage fait avec le nickel est de tous les métaux employés celui qui, par sa dureté, offre le plus de difficulté à la fabrication, et il est ainsi protégé contre la contrefaçon. J'ajouterai que cette dureté est également précieuse en ce qu'elle empêche l'usure de la pièce.
L'honorable M. Dumortier craint que l'on ne confonde les pièces de nickel avec les pièces d'argent. Il suffit de voir ces pièces pour se convaincre que cette confusion n'est pas à craindre. La Suisse a, depuis dix ans, une monnaie de nickel, et jamais on n'a remarqué que cette confusion eût lieu et amenât des inconvénients sérieux.
Des renseignements ont été demandés au gouvernement suisse sur les résultats de l'admission de ce billon ; les renseignements ont été communiqués à la commission instituée pour examiner les questions monétaires ; ils attestent hautement les avantages que cette monnaie présente et l'absence d’inconvénients dans la pratique.
Les pièces suisses sont un peu plus petites que les pièces que le gouvernement et la commission vous proposent de frapper. Mais il est certain qu'un plus fort volume donné à la pièce offre de grands avantages dans l'usage, parce qu'on la saisit mieux.
Je reconnais que dans le système que propose le gouvernement, il n’y a pas une différence assez grande entr, le diamètre des pièces nouvelles et le diamètre des pièces d'argent ; notamment la différence entre le franc actuel et la pièce de 20 c, qui n'est que d'un demi-millimètre, n'est pas assez grande.
Mais je crois que la proposition que fait la section centrale remédie à cet inconvénient. Elle propose pour la pièce de 20 cent., le diamètre de 25 millimètres, or 25 millimètres, c'est un diamètre moyen entre la pièce d'un franc et la pièce de 2 francs. Je crois que cette différence suffira pour empêcher tonie espèce de confusion ; elle est de deux millimètres avec chacune de ces deux espèces. J'ajouterai que la pièce de nickel, au bout d'un certain temps, prend une teinte d'acier ou de plomb qui diffère très sensiblement de la teinte de l'argent.
Ainsi les pièces de nickel différeront de toutes les manières des pièces d'argent existantes ; en sorte que soit au toucher, soit à la vue, dans les usages ordinaires, ou dans la confection des rouleaux de pièces d'argent, on les reconnaîtra toujours aisément.
Je crois que ces considérations suffiront pour démontrer à la Chambre combien le système de l'honorable M. Dumortier présente plus d'inconvénients et moins d'avantages que celui du projet.
M. B. Dumortier. - Quand j'ai entendu l'honorable membre critiquer aussi vivement le système de la monnaie de bronze, quand je l'ai entendu dire que ce serait un système dangereux, fatal au pays, je m'attendais à le voir nous faire la démonstration de cette assertion. Je dois dire que j'ai vainement cherché cette démonstration dans ses paroles ; j'y ai rencontré au contraire une foule d'erreurs incroyables. Ainsi quand l'honorable membre dit que les pièces de 5 fr. ne vont pas en France, c'est une manière de discuter qui, à mon avis, n'est pas convenable.
Certainement, en ce moment, l'argent de Belgique ne va pas en France. Mais l'honorable membre sait très bien que pendant tout le temps que la pièce d’argent a été la monnaie la plus cursive, les pièces de 5 francs belges allaient en France.
M. Pirmez. - Il y a dix ans de cela.
M. B. Dumortier. - Non, il n'y a pas dix ans, il y a quatre ou cinq ans. Cela est tellement vrai que vous avez vous-même déclaré dans votre rapport que les quatre cinquièmes de la monnaie fabriquée en Belgique n'existaient plus en Belgique ; elle est allée à l’étranger, elle est allée en France par suite des échanges. Ainsi ne venez pas dire que nos pièces de monnaie ne vont pas en France.
Maintenant l’honorable membre dit que dans la situation actuelle, le cours du change est toujours à l'avantage de la Belgique. Mais c'est là le contraire de la vérité : le cours du change est tout à fait au désavantage de la Belgique. Il y a ici des personnes qui font de la banque et qui pourront vous répondre très facilement sur ce point.
(page 917) Et voilà comment vous démontrez que la fabrication d'une monnaie de bronze serait fatale au pays.
Mais, dit l’honorable membre, là Hollande reçoit nos pièces de deux centimes et de même nous recevrons la monnaie de bronze française. Est-ce que nous proposons, messieurs, de faire de la monnaie hollandaise ? Les monnaies d'un pays circulent dans tous les pays qui ont le même système monétaire.
C'est ainsi que nous voyons circuler en Belgique les monnaies de Sardaigne. Cela ne se fait pas par l'envoi de monnaies en masse et par le retour de monnaies en masse ; cela se fait par la circulation en petit : la pluie ne tombe pas tout d'un coup : elle tombe goutte à goutte. Il en est de même de la circulation des monnaies.
L'honorable membre prétend que nous n'aurions pas le bénéfice de la fabrication de la monnaie de billon. C'est encore là une erreur. Dès l'instant que la circulation est établie d'un pays dans l'autre, nous battrons monnaie pour la France, comme le fait aujourd'hui le grand-duché de Luxembourg. Je suppose que la Belgique frappe de la monnaie de bronze, cette monnaie prendra une place immense sur le marché fiançais et nous en battrons peut-être plus que nous ne battrions d'une monnaie différente de la monnaie française.
Voici, messieurs, le grand inconvénient que je trouve à cette monnaie de nickel : c'est qu'on sera tenté de la confondre avec les pièces d'argent. L'honorable membre dit que la confusion ne sera pas difficile parce que les pièces de nickel quand elles auront un peu circulé prendront une teinte d'acier, mais c'est précisément la teinte que prennent les pièces d'argent. Quand les pièces d'un franc et de deux francs sont depuis un certain temps dans la circulation, elles n'ont plus du tout la couleur d'une vaisselle qui sort du magasin de l'orfèvre.
Il sera donc facile de confondre la monnaie de nickel avec la monnaie d'argent.
Maintenant, messieurs, je ne fais pas de proposition ; je vois bien que la Chambre est disposée à accepter le projet de loi, mais je persiste à croire qu'un monnaie semblable à la monnaie française serait infiniment préférable.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne ferai, messieurs, qu'une simple observation qui, je l'espère, convaincra l'honorable M. Dumortier de l'erreur dans laquelle il verse.
Il confond les principes qu'il faut appliquer quand il s'agit d'une monnaie proprement dite, avec les règles qui doivent présider à la création d'une monnaie d'appoint. Lorsqu'il s'agit d'une monnaie proprement dite, comme les pièce de 5 francs, que deux pays voisins, qui ont le même étalon monétaire, frappent des pièces du même poids et du même titre, il n'y a à cela aucune espèce d'inconvénient ; mais, lorsqu'il s'agit d'une monnaie de billon, il en est tout autrement : non seulement la monnaie de billon fabriquée, par un gouvernement lui donne un bénéfice, qui lui est indispensable, à raison des grandes dépenses qu'il doit faire pour maintenir l'intégrité de la circulation monétaire, non seulement, dis-je, il fait ce bénéfice, mais il est de la plus haute importance pour le peuple que la monnaie de billon ne soit pas en excès.
Lorsque la monnaie de billon est en excès, il en résulte le plus grand préjudice pour les classes laborieuses ; ce n'est pas ici une simple hypothèse, une idée théorique, que l'honorable M. Dumortier pourrait refuser ; nous avons à côté de nous la preuve de ce que j'avance ; en Hollande, l'excès de billon est tel, qu'il est devenu une véritable calamité publique, et le gouvernement a fait les plus grands efforts pour en préserver les populations. La même chose arriverait inévitablement ici si, au lieu de chercher à différencier notre billon du billon de nos voisins, nous prenions leur propre billon.
Si nous fabriquions de la monnaie à l'image de la monnaie française, si l'une pouvait se substituer à l’autre dans les deux pays, il en résulterait, à certains moments donnés, les plus grands inconvénients pour les classes ouvrières. L’excès de billon sera pour elles une perte incessante. Il faut donc, messieurs, l'éviter à tout prix.
Qu'arrive-t-il aujourd’hui ? Notre monnaie de cuivre étant incommode et se trouvant en présence de la monnaie de France, qui est plus commune, cette dernière se substitue à peu à peu à notre propre monnaie de billon.
On écarte nos pièces de 5 et de 10 c, lourdes, disgracieuses, difficiles à manier, pour les remplacer par la monnaie de billon française, qui est infiniment plus commode.
Eh bien, nous proposons de créer une monnaie de billon qui aura, selon nous, une grande supériorité sur le bronze français et qui tendra à le faire rentrer en France. Nos populations trouveront beaucoup plus commode de se servir de la monnaie de nickel que de la monnaie de bronze, manifestement inférieure, plus grande, plus lourde, moins facile à manier, que ne le sera la monnaie dont nous proposons la création.
Ainsi, messieurs, sans entrer dans d'autres considérations, je crois que celles-ci justifient pleinement projet de Ici.
M. B. Dumortier. - Il y a beaucoup de vrai dans ce que vient de dire M. le ministre des finances, mais j’envisagerai la question à un autre point de vue. Il est important de conserver à la monnaie populaire un type spécial pour qu’elle ne puisse pas quitter le pays. Lorsque, en 1832, nous fîmes la loi monétaire actuelle, j'avais demandé qu'on fît une monnaie de billon représentant nos anciennes pièces de 25c néerlandais. Cette proposition n'a pas été admise, et qu'en est-il résulté ?C'est que, à ma connaissance, la Belgique s'est trouvée trois fois sans petite monnaie d'argent.
Il y a eu des crises considérables dans le pays. Ce n'est pas l'excès de monnaie que je crains ; je crains bien plus l’absence de monnaie, et c’est pour cela que j’ai toujours désiré, comme je désire encore, qu’l soit fabriqué une monnaie de plus bas aloi représentant la valeur d’un franc et de 50 centimes, afin que la Belgique ne soit jamais dépourvue de cette monnaie. L’argent devient de plus en plus rare ; la Chine et le Japon ne cessent de l’absorber, et il arrivera certes un jour où nous seront obligés de fabriquer de cette monnaie de bas aloi, comme on en fait en Allemagne. Il y a là des pièces d’un kreutzer, qui sont très belles. (Interruption.)
Je vous demande pardon ; je vous en montrerai de très belles.
Eh bien, je me suis demandé s'il n'était pas plus avantageux pour le pays de faire des pièces du même genre pour remplacer les pièces de 20 centimes et de laisser en circulation les pièces de 5 et de 10 centiles en bronze que de faire de la monnaie de nickel.
La monnaie de bronze ne manquera jamais dans le pays ; M. le ministre des finances craint même qu'il n'y en ait une trop grande abondance ; je suis de son avis : je pense que la surabondance de la monnaie de cuivre peut devenir un danger.
Mais je n'hésite pas à dire qu'on ne pourra jamais empêcher cette monnaie d'entrer dans le pays ; de Nieuport jusqu'à Virton, elle entre en Belgique grâce à toutes les affaires quotidiennes qui se traitent d'un pays à l'autre.
Les journaux ont publié dans le temps une circulaire ministérielle qui annonçait que la monnaie de billon de France n'avait pas cours légal en Belgique. Cela n'a pas empêché cette monnaie de continuer à pénétrer dans notre pays, Dans le principe, on avait refusé de recevoir cette monnaie au chemin de fer ; on a dû finir par l'accepter.
C'est une chose inévitable. Nous sommes, à la frontière, dans des rapports quotidiens avec la France ; on va et on achète chaque jour ; ou paye et on reçoit chaque jour ; les ouvriers belges qui passent la frontière pour aller travailler en France, rentrent en Belgique et y font leurs payements avec la monnaie de bronze qu'ils ont reçue en France.
II eût donc mieux valu conserver pour nous la monnaie de bronze jusqu'à 10 centimes, et fabriquer en même temps une monnaie de bon aloi, pour remplacer les pièces de 20 centimes ; la Belgique aurait eu, de cette manière, la certitude d'avoir toujours de la monnaie de billon, sans crainte de voir une crise ou une mesure politique d'un pays étranger nous priver d'une monnaie de ce genre qui est un grand besoin pour les transactions des ouvriers, du peuple.
Je bornerai là mes observations ; je ne présenterai pas d'amendement.
M. Pirmez. - Messieurs, j'ai été surpris d'entendre l'honorable M. B. Dumortier dire que le change sur la France est toujours plus favorable que celui de la Belgique.
M. B. Dumortier. - Il est en perte sur Paris.
M. Pirmez. - Nous sommes alors d'accord.
Ainsi pour faire un payement de cent francs sur Paris, il faut donner ici moins de cent francs ; à Paris il faut donne/plus de cent francs pour avoir du papier sur Bruxelles. Il ne faut donc pas contester que l'on a intérêt à apporter du numéraire français en Belgique.
L'honorable membre a dit que c'est un très grand avantage pour un pays d'avoir toujours en circulation une quantité de monnaie de billon proportionnée à ses besoins ; eh bien, le projet vient précisément procurer à la Belgique cet avantage si important.
Une de ses dispositions fondamentales est de permettre l'échange de l'argent contre de la monnaie de billon, et réciproquement de la monnaie de billon contre de l'argent.
Or si nous faisions une monnaie déjà existante dans un pays voisin, il y aurait de graves inconvénients à admettre cette faculté d'échange, parce que les monnaies des deux pays ne seraient aux bureaux que très péniblement distinguées.
L'honorable membre nous dit que l'on ne parviendra jamais à empêcher l'introduction et la circulation en Belgique des monnaies de billon française.
J'avoue qu'avec le système actuel c'est effectivement impossible ; les pièces de 10 et de 5 centimes de France sont plus légères et plus commodes que les nôtres.
Il est arrivé sans doute à chacun de nous, alors que nous voulions nous munir de monnaie de billon, de mettre en poche du billon français plutôt que du billon belge, de le choisir pour éviter de porter un poids très lourd.
On accepte le billon fiançais, parce que matériellement il est préférable au nôtre, et on nous le donne parce que commercialement il vaut mieux.
Mais il ne faut pas conclure de là à ce qui sera sous le régime de la loi en discussion. Nous avons le droit d'espérer que nous empêcherons le billon français (page 918) de pénétrer chez nous, lorsque nous aurons un billon tout à fait différent et incontestablement supérieur par les avantages qu'il offrira.
Or, les pièces de nickel auront le double avantage d'être une monnaie très commode et de pouvoir toujours être échangées contre de l'argent.
- Personne ne demandant plus la parole, l'article premier est mis aux voix et adopté.
« Art. 2 Les pièces de monnaie de nickel seront de cinq centimes, de dix centimes et de vingt centimes. »
- Adopté.
« Art. 3. Le poids de la pièce de cinq centimes sera de deux grammes et demi ; celui de la pièce de dix centimes, de quatre grammes ; celui de la pièce de vingt centimes, de six grammes. »
La section centrale propose de rédiger l'article 3 ainsi qu'il suit :
« Art. 3. Le minimum du poids des pièces est fixé comme suit :
« Pour la pièces de 5 centimes, 2 gr.
« Pour la pièce de 10 centimes, 4 gr.
« Pour la pièce de 20 centimes, 6 gr. »
(Addendum, page 960) - Adopté.
« Art. 4. Le diamètre de chacune de ces pièces est fixé, savoir :
« Pour la pièce de 5 centimes à 17 1/2 millimètres.
« Pour la pièce de 10 centimes à à 20 1/2 millimètres.
« Pour la pièce de 20 centimes à 21 1/2 millimètres. »
M. le président. - La section centrale propose de dire : 19 21 et 23 millimètres. Le gouvernement se rallie-t-il à cet amendement ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne me rallie pas à l'amendement de la section centrale ; je proposerai une autre modification. Je demande qu'on dise simplement :
« Le diamètre de chacune des pièces sera fixé, par arrêté royal.»
Il est sans utilité de donner ces indications dans la loi.
Il y aurait des inconvénients à ce que cela fût ; le diamètre doit être déterminé par certaines circonstances qui peuvent se présenter entre le vote de la loi et sa mise à exécution. Ainsi, par exemple si le diamètre des pièces de la monnaie française venait à ère modifié, nous serions portés à adopter tel ou tel diamètre plutôt que tel autre. Si le diamètre était déterminé par la loi, et qu'au moment de l'exécution il y eût inconvénient à le conserver, il faudrait présenter un projet de loi. A quoi bon ? C'est sans utilité.
Il se peut qu'avant la mise à exécution de cette loi le gouvernement ait pris une décision sur la modification des monnaies divisionnaires d'argent telles que les pièces d'un demi-franc, d’un franc et de deux francs ; si on admettait, par exemple, la proposition de frapper ces monnaies au titre de 850 millièmes, il faudrait modifier le diamètre, et par conséquent adopter pour les pièces de nickel un diamètre suivant celui qu'on aura fixé pour cette monnaie d'argent. Il me semble que tout convie la Chambre à donner au gouvernement le pouvoir de déterminer par arrêté royal le diamètre des pièces.
M. Pirmez, rapporteur. - La section centrale a trouvé dans le projet le détermination du diamètre des pièces ; elle l'a remplacée par une autre.
La détermination du gouvernement avait été faite dans la prévision de l'exécution des modifications proposées pour la monnaie divisionnaire d'argent. la section centrale a pensé qu'il est impossible de fixer maintenant le diamètre de ces pièces d'argent parce qu'il dépend de ce qui sera fait en France et par suite qu'il est impossible de fixer le diamètre des pièces de nickel sur le diamètre possible de ces pièces d'argent.
Appelée à déterminer le diamètre du billon, la section centrale a préféré le faire d'après les pièces existantes que d'après des pièces fictives dont les dimensions exactes sont incertaines.
Je crois, pour ma part, que la proposition que vient de faire M. le ministre des finances ne présente pas d'inconvénient ; cependant je dois déclarer qu'on a trouvé en section centrale que le diamètre étant une des conditions importantes de la monnaie, c'est à la loi et non au gouvernement à le déterminer.
- L'amendement proposé par M. le ministre des finances est mis aux voix et adopté.
« Art. 5. La tolérance du poids, tant en dehors qu'en dedans, sera :
« Pour les pièces de 5 centimes, de 15 millièmes.
« Pour les pièces de 10 centimes, de 13 millièmes.
« Pour les pièces de 20 centimes, de 10 millièmes. »
- Adopté.
« Art. 6. Le type des monnaies de nickel sera réglé par arrêté royal. »
M. B. Dumortier. - Si cet article est adopté, autant voulait dire que le gouvernement fera des monnaies de nickel par arrêté royal. Nous lui laissons le droit de déterminer la dimension ; maintenant ou veut lui abandonner la détermination du type, je ne vois pas que cela doive être fixé par arrêté royal. Il me semble que la monnaie de nickel doit être frappée à l'effigie du Roi. Dans tous les pays, les monnaies portent l'effigie du souverain. En France, il en est ainsi pour les pièces de 5 et de 10 centimes. Dans un pays comme le nôtre, où nous ne faisons plus de monnaie d'argent et pas de monnaie d'or, la numismatique ne présentera pas de trace du règne actuel. Il faut rester dans les traditions qui sont que le type de la monnaie soit réglé par la loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'effigie n'est pas le type, c'est quelque chose qui fait partie du type.
M. B. Dumortier. - Le type de la monnaie doit être fixé par la loi ; ce serait une véritable délégation du pouvoir législatif que d'en abandonner la fixation à un an été royal. La loi pourrait se borner à ceci : Il sera fait une monnaie de nickel par arrêté royal. Ce n'est pas ainsi que cela doit se faire. Au point de vue de la numismatique, la monnaie doit porter l'effigie du souverain régnant.
M. Pirmez, rapporteur. - Tout à l'heure l'honorable préopinant craignait qu'il n'y eût confusion entre la monnaie d'urgent et la monnaie de nickel, et il fait maintenant la proposition de leur donner la même empreinte qu'aux pièces d'argent.
N'est-ce pas là vouloir augmenter les chances de confusion ?
Pourquoi veut-il voir l'effigie du souverain sur la monnaie de nickel ? C'est dans la crainte que dans quelques centaines d'années la numismatique ne soit incomplète.
J'avoue que je ne porte pas aussi loin mes prévisions ; je m'attache à ce que la monnaie soit aussi utile que possible dans l'usage, à écarter la confusion entre différentes pièces, plutôt qu'à donner à nos arrière-descendants les moyens de faire des collections.
La monnaie, dit l'honorable M. Dumortier, doit porter l'effigie du souverain, qu’elle soit d'or, d'argent ou de billon.
Nous avons cependant des monnaies de cuivre qui ne portent pas l'effigie du Roi ; laissons le gouvernement déterminer le type national qui conviendra le mieux.
Avec le système de l'honorable membre, nous ne devrions pas seulement dire ce que portera la pièce, mais insérer dans la loi le dessin complet du type.
En effet si l'on se borne à une indication, le gouvernement devra encore intervenir, la compléter dans les détails, en proportionner les différents éléments, et l'on pourra dire qu'il y a une délégation du pouvoir législatif !
Force est donc de laisser au gouvernement le soin de déterminer, au moins en partie, le type de la monnaie ; il est dès lors plus rationnel de lui laisser ce soin entièrement. La détermination du type, est une chose accessoire pour la monnaie.
C’est une question d'art que le gouvernement résoudra, soit par un concours, soit par la comparaison de différents projets ; mais qu’il est dans tous les cas plus à même de résoudre que la législature.
M. B. Dumortier. - L'honorable préopinant veut me mettre en contradiction avec moi-même J'ai dit tout à l'heure que la monnaie de nickel avait l'inconvénient de pouvoir se confondre avec la monnaie d'argents et pour cela il trouve qu'il faut écarter l'effigie du Roi, parce qu'elle existe sur les monnaies d'argent. On peut établir des différences, c'est très facile en changeant l'avers. Si l'honorable membre ne sait pas cela, s'il ne s'est pas occupé plus que cela de monnaie, je le regrette beaucoup pour le rapporteur d'une loi monétaire.
Il ne suffirait pas, dit-il, pour déterminer le type, d'une énonciation ; il faudrait annexer un dessin à la loi ; c’est ainsi qu’en exagérant une proposition, on arrive à ‘absurde. J’ai vu des lois monétaires indiquer ce qu’il y aura sur la monnaie, mais on n’y avait pas joint de dessin ; il est dit qu’elle sera à l’effigie du souverain ; c’est ainsi dans la loi monétaire française et pour la nôtre quant à la monnaie proprement dite. Mais on n’a pas annexé de dessin à ces loirs. Sur notre monnaie de cuivre on a mis un dessin affreux, déplorable ; j’aurais compris qu’on mît les armes du pays ; j’espère que sur la monnaie nouvelle, M. le ministre fera mettre une effigie tant soit peu artistiques, numismatique.
Les numismates, tous ceux qui s'occupent de numismatique, savent très bien qu'il n’est pas de monnaie sans cela.
Je pense donc que la loi doit déterminer le type ; il est facile de déterminer l'avers de manière qu'il n'y ait pas de confusion possible.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L’honorable M. Dumortier se trompe lorsqu'il pense qu'il y aurait en quelque sorte une délégation du pouvoir législatif, parce qu'on déterminerait le type de la monnaie par arrêté royal. Ce n'est pas là l'essence même de la monnaie. Il faut une loi pour déterminer une monnaie. Aussi l'article premier détermine qu'il y aura une monnaie composée de nickel et de cuivre. L'article 2 détermine quelles seront les pièces qui seront faites en cette monnaie. Voilà ce qui est essentiel et ce qui doit être déterminé par la loi. Mais le diamètre n'est pas essentiel. Cela dépend des circonstances ; la Chambre l'a reconnu. Le type n'est pas non plus essentiel, et ne peut être déterminé par une loi. Vous ne le fixerez pas dans la loi. Quand vous admettrez la proposition de M. Dumortier, vous ne pourriez déterminer le type qu'en partie. Il vous faudrait toujours laisser au gouvernement le soin de compléter le type d'après les quelques indications que vous auriez insérées dans la loi.
Quelle est l'utilité d'une innovation de ce genre ? Je ne la vois pas. On n'est pas fixé sur ce qu'il convient d'inscrire ou de ne pas inscrire. On n'a pas trouvé, mais il est possible qu'en faisant appel aux artistes on trouve le moyen d'inscrire sur la monnaie l'effigie du Roi, sans que cela présente 1es inconvénients qu'a signalés tout à l'heure l'honorable M. Pirmez, c’est-à-dire de manière qu’il n'y ait pas confusion entre les pièces de nickel et les pièces d'argent.
Il n'y a donc pas de motifs pour que la loi porte que la monnaie sera à l'effigie du Roi.
Il y a au contraire des raisons pour ne pas régler ce point par la loi.
Il est possible qu'on trouve moyen de frapper la monnaie à l'effigie du Roi, mais enfin on ne l'a pas encore trouvé. Il faudra consulter les artistes, les hommes spéciaux, les hommes compétents en fait de (page 919) monnaies. C'est ce que le gouvernement se propose de faire. Il a été convié à ouvrir un concours, soit de dessins, soit de gravures pour les monnaies. On ne peut donc faire mieux que d'adopter la proposition du gouvernement, à laquelle s'est ralliée la section centrale.
- L'article 6 du projet du gouvernement est adopté.
« Art. 7. Nul n’est tenu d'accepter en payement plus de cinq francs en monnaie de nickel, ni plus de deux francs en monnaie de cuivre.
« Le gouvernement pourra en autoriser l'admission dans les caisses de l'Etat en quantités plus fortes, en payement des impôts. »
La section centrale propose pour le paragraphe 2 la réduction suivante. :
« Cette restriction, quant à la monnaie de nickel, ne s'applique pas au payement des impôts dans les caisses de l'Etat. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Un seul motif m'empêche de me rallier à cet amendement de la section centrale.
La différence qu'il y a entre les deux propositions est celle-ci : dans la proposition du gouvernement, celui-ci est autorisé à recevoir la monnaie de nickel en payement des impôts. Dans la proposition de la section centrale, le gouvernement est obligé de recevoir cette monnaie. Au fond la section centrale et le gouvernement veulent tous deux la même chose. Dans ma pensée, il importe que l'on puisse payer les impôts en monnaie de nickel. C'est aussi le désir de la section centrale. Mais jusqu'à quel point cela est-il praticable ? Les receveurs des contributions sont chargés d'opérer les recettes dans un certain nombre de communes éloignées de leur résidence, et plus éloignées encore du lieu où ils doivent opérer leurs versements. Si dans certaines localités il arrive que l'on fasse des payements en monnaie de nickel pour des sommes considérables, ils auront un fardeau très lourd à porter.
La mesure pourra donc être impraticable, si on ne les indemnise pus afin qu'il puissent se faire aider par d'autres, afin qu'ils puissent payer quelqu'un pour porter leur fardeau. Ces cas pouvant se présenter, je demande qu'on laisse au gouvernement le soin de rechercher les moyens de permettre le payement des impôts en monnaie de nickel, avec le moins d'inconvénients possible.
Si c'est une obligation pour le gouvernement, cela lui imposera peut-être une charge : cela fera même naître des impossibilités. Dans certaines localités industrielles, où il y a, par conséquent, beaucoup de monnaie d'appoint, l’obligation de recevoir le payement des impôts en monnaie de nickel occasionnera de grands embarras.
Puisque le gouvernement veut arriver au même but que la section centrale, je crois qu'il y a lieu de laisser la mesure à l'état facultatif comme il le demande, de façon qu'il cherche de donner à cette mesure toute l'extension possible.
M. Pirmez, rapporteur. - Je crois que les observations que vient de faire l’honorable ministre des finances ne répondent pas aux objections de la section centrale.
L'amendement de la section centrale me paraît devoir être adopté, et parce qu’il est conforme au principe même de la loi et parce qu’il satisfait aux exigences de la pratique.
Le principe de la loi est que la pièce de nickel donne droit à celui qui la possède non seulement à cette pièce même, mais à obtenir de l'Etat la valeur qu'elle représente. J'ai non seulement un droit de propriété, mais un droit de créance ; j'ai, outre le droit réel sur la pièce un droit personnel contre l'Etat. N'est-il pas juste, dès lors, que si je suis débiteur de l'Etat, je puisse étendre cette dette par la compensation, en lui remettant le titre en vertu duquel je suis créancier ?
Le projet proclame que j'ai droit à l'échange ; à plus forte raison dois-je avoir le droit de fournir ce billon en payement.
C'est là le fondement même du projet de loi.
La conséquence que nous tirons du principe, présente-t-elle de sérieux inconvénients pratiques ?
Mais ce que l'on signale comme des inconvénients nous semble des avantages.
Quand arrivera ce que redoute M. le ministre des finances ? Uniquement quand dans une localité il y aura excès de billon.
Mais n'est-ce pas précisément le cas de permettre à la circulation de se dégager par les payements que l'on fera au receveur des contributions ? Bien loin d'empêcher qu'on ne remédie à cet excédant qui est une gêne, il faut que le gouvernement use des mesures dont il dispose pour le faire cesser.
Veuillez remarquer que le gouvernement va faire un énorme bénéfice sur la monnaie de nickel, bénéfice non seulement dans la fabrication première, mais dans l'entretien de la circulation, sensiblement diminuée chaque année par les pièces qui s'égarent (les statistiques démontrent que le nombre des pièces égarées est considérable) ; eh bien, quand il devrait donner quelques francs aux receveurs pour faire transporter la monnaie de nickel du bureau de perception au chef-lieu d'arrondissement, ce ne serait pas un grand mal, et on rétablirait ainsi dans certaines localités la circulation dans son état normal.
Entre les considérations eu présence, d'une part, l’intérêt de tout le public : de l'autre, quelques difficultés, peut-être une dépense très minime, le choix ne peut être douteux.
Je pense donc que la proposition de la section centrale doit être maintenue.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je suis d'accord avec l'honorable rapporteur sur ce point que la monnaie de nickel que nous créons est en réalité le billet de banque du peuple. L'Etat se trouve débiteur, vis-à-vis du porteur de la monnaie, de la valeur qui est représentée par celle-ci. Comme le dit très bien l'honorable membre, le détenteur de cette monnaie est non seulement le propriétaire de la pièce, mais le créancier d'une certaine somme.
D'accord sur ces principes, en résulte-t-il que nous soyons obligés d'admette la dernière conséquence qu'indique l'honorable membre ? Pas le moins du monde. Le détenteur d'un billet de banque n'est pas admis partout à l'échange. Le porteur d'un billet de banque est créancier de la banque pour la valeur qu’indique son billet. Cependant, vous avez décidé, et il serait impossible de ne pas décider, qu’elle n’est tenue de rembourser les billets qu’au chef-lieu.
Dans votre système, la détenteur du billet est créancier de la banque, et lorsqu'il a besoin d'encaisser le montant de ce billet en argent, il pourrait se présenter à chacun des comptoirs de cet établissement pour lui en demander le remboursement. On a admis, par des considérations d'utilité publique, que cela ne se ferait pas ; et je dis qu'en admettant que la même règle doive présider à la circulation de la monnaie de nickel, il se peut que la mesure que l'on demande soit impraticable dans les conditions indiquées par la section centrale.
La section centrale a dit : Ce sera un grand remède à l'inconvénient que peut présenter la surabondance de monnaie de billon en certains cas. Je l'admets ; mais ce que j'admets aussi, et ce qui est inscrit dans le projet de loi, c'est que le gouvernement ouvre des bureaux d'échange dans les localités où il y aurait surabondance. Mais c'est tout autre chose que d'imposer aux receveurs des contributions l'obligation de transporter éventuellement de grandes masses de monnaie. Déjà aujourd'hui, les simples monnaies d'argent constituent pour les receveurs un fardeau considérable. Si l'on y ajoute, pour de petites sommes, un poids aussi considérable que celui que présentera la monnaie de nickel, la chose sera impraticable. Je ne demande qu'une chose, je veux ce que veut la section centrale. Mais permettez-moi de constater jusqu'à quel point le moyen qu'elle propose est possible, permettez-moi d'examiner. Si le gouvernement croit que cela est possible partout, la mesure sera mise en pratique S'il reconnaît qu'il y a lieu d'allouer aux receveurs certaine indemnité pour cette charge qui leur sera imposée, il en fera la proposition à la Chambre. Mais, a priori, ne décidons pas.
M. de Theux. - Il s'agit de créer une monnaie sans valeur intrinsèque. Puisque c'est la loi qui la crée, il me semble que la loi doit aussi donner au porteur de cette monnaie la garantie de pouvoir toujours s'en défaire, de pouvoir toujours la restituer au trésor.
Pour garantir au détenteur ce droit de pouvoir toujours restituer au trésor sans perte pour lui, il faut l'un des deux moyens : pouvoir payer les contributions en cette monnaie, ou pouvoir toujours échanger cette monnaie. C'est un dilemme dont ou ne peut sortir.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'admets l'échange.
M. de Theux. - Vous admettez l'échange, c'est très bien. Mais je vous ferai une observation toute pratique. Pour permettre l'échange, vous exigez une somme assez considérable ; vous ne voulez pas la fixer dans la loi, vous la fixerez par arrêté. Qu'arrivera-t-il ? Supposez que vous fixiez la somme à 50 fr. Pensez-vous qu'il y aura des intermédiaires qui voudront bénévolement se donner la peine de réunir 50 fr. de monnaie et de se déplacer pour faire une opération d'échange ? Evidemment non. Quelle est la conséquence ultérieure ? C'est que le peuple, voulant convertir la monnaie de nickel en une pièce d'argent ou en une pièce d'or, devra subir une perte très considérable. Il est impossible qu’il en soit autrement.
Eh bien, pour éviter cette perte, permettez au moins de payer les contributions en cette monnaie ; et si vous ne voulez pas permettre cela, alors établissez des bureaux d'échange à la portée du peuple, et que l'on puisse échanger la monnaie de billon à concurrence d'une pièce de 5 fr., que toute la monnaie de nickel puisse être échangée contre des pièces de 5 fr. ; mais si vous exigez un déplacement de la part du détenteur, il est évident que le peuple supportera des pertes considérables pour opérer l'échange.
Il serait très onéreux pour le gouvernement de mettre partout le moyen d'échange à la portée du peuple, mais il faudrait au moins que l'on pût payer ses contributions en monnaie de billon. Il ne faut pas que le détenteur puisse perdre.
Maintenant, si vous voulez que les receveurs de contributions ne soient pas chargés de beaucoup de monnaie, créez de grandes facilités pour l'échange ; alors vous aurez beaucoup moins de payements en monnaie chez les receveurs de contributions. Mais en principe il est impossible d'admettre la circulation à titre légal d'une monnaie sans valeur, lorsqu'on ne permettrait pas au détenteur de s'en défaire sans perte.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne sais si l'honorable comte de Theux a bien voulu remarquer que nous proposions deux innovations en matière de monnaie. Jusqu'à présent, on n'a pas admis la monnaie de cuivre en payement de l'impôt.
M. de Theux. - La valeur était plus grande.
(page 920) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La valeur intrinsèque était toujours inférieure à la valeur nominale.
- Un membre. - D'un tiers.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'était une monnaie de billon.
Ainsi, messieurs, jusqu'à présent on n'avait pas admis la monnaie de cuivre en payement des contributions ; nous proposons sous ce rapport une innovation toute favorable au détenteur et on raisonne contre nous comme si nous ne donnions pas assez de latitude au détenteur. Cela ne me paraît pas juste. C'est une innovation que nous proposons d'introduire dans la législation.
Deuxième innovation : Jamais on n'a admis la faculté d'échanger la monnaie de cuivre ; nous proposons de donner au détenteur cette faculté, qui est toute dans son intérêt. Toute la question qui s'agite porte sur le côté pratique et sur les justes limites dans lesquelles il faut que la loi lie à cet égard le gouvernement.
Nous voulons tout ce que l'on veut. Je veux, c'est moi qui le propose, je veux que l'on puisse payer les contributions partout, au moyen de cette monnaie de nickel que nous allons introduire.
Seulement, je demande qu'on laisse au gouvernement le soin de s'assurer si, dans la pratique, partout, dans tous les bureaux, sur tous les points du territoire, cela pourra se faire sans inconvénient. C'est tout ce que je demande, pas davantage et avec la ferme volonté apparemment de réaliser l’innovation que je propose à la Chambre d'introduire, innovation toute favorable au public. Je demande seulement qu'on laisse au gouvernement le soin de faire l'essai de cette mesure si éminemment favorable.
A côté de cela, je place la faculté d'opérer l'échange, et j'entends que cet échange puisse se faire dans un très grand nombre de bureaux. Je ferai en sorte de l'étendre le plus possible. Il ne pourra pas se faire chez les agents du trésor qui ne manient pas de fonds, qui ne font que de la comptabilité de papier, mais il se fera chez tous les agents de la Banque dans tous les arrondissements.
La Banque a des agents ailleurs que dans les chefs-lieux d'arrondissement, et elle multipliera encore ses agences ; l'échange se fera chez tous les agents de la Banque. Peut-être aussi pourrai-je ouvrir des bureaux d'échange chez certains comptables.
Cependant, il faut remarquer que dans la pratique, ailleurs que dans les bureaux de la Banque, il se présente un inconvénient assez sérieux ; il faut que les individus chargés d'opérer l'échange soient détenteurs de valeurs plus ou moins considérables ; cela exige donc des mesures de précaution.
Eh bien, messieurs, lorsque je propose ces deux innovations si éminemment avantageuses, qui seront étendues amant que possible, je prie encore une fois la Chambre de permettre au gouvernement d'apprécier, au point de vue pratique, la seule question de savoir dans quelles limites il faut agir immédiatement, pour éviter certains inconvénients qui pourraient se présenter dans l'application, si elle était trop étendue et trop précipitée.
M. de Theux. - M. le. ministre des finances fait remarquer que, jusqu'à présent, on ne pouvait pas payer les contributions en monnaie de cuivre, et que les agents de la Banque n'étaient pas tenus de faire l'échange. Cela est très vrai ; mais il n'en est résulté aucun inconvénient, parce que la monnaie de cuivre faisait défaut ; loin qu'il y en eût trop, il y en avait trop peu ; l'embarras était de s'en procurer en quantité suffisante. (Interruption )
Maintenant il s'agit d’introduire une monnaie nouvelle, qui n'aura pas cours en dehors du pays ; la monnaie de cuivre s'exportait en Hollande, la monnaie de nickel ne s'exportera pas ; c'est une situation nouvelle.
Le gouvernement aura, dit-on, un très grand bénéfice à la fabrication de cette monnaie de nickel ; donc il pourra être porté à en émettre beaucoup, à en émettre au-delà des besoins de la circulation.
Supposons, messieurs, que la législation actuelle ne soit pas entièrement conforme aux principes que j'ai posés, est-ce un motif pour ne pas la ramener à ces principes ? Nous modifions la loi, c'est, sans doute, pour l'améliorer.
Prenons un exemple, messieurs, pour voir ce que le détenteur de cette monnaie pourra faire, s'il doit en réunir une grande quantité pour obtenir l’échange, ou passer par des intermédiaires.
Dans les petites villes, quand la pièce de 20 francs est cotée à la Bourse à 19 fr. 90 c., on a de la peine à obtenir l'échange à 19 fr. 50. Eh bien la perte serait encore bien plus grande s'il y avait surabondance de monnaie de nickel et qu'il fallût passer par des intermédiaires, car, pour la monnaie d'or, on s'adresse aux grands négociants, on trouve beaucoup de personnes qui peuvent s'en défaire.
Usera-t-on de la faculté accordée par la loi ? Cela dépendra de la quantité de monnaie qu'on émettra. Si la quantité émise est en rapport avec le besoin de la circulation, s'il n'y a pas surabondance, le gouvernement n'éprouvera aucun embarras. On n’ira pas porter chez le receveur des contributions la monnaie de billon qu’on possède et dont on a besoin pour ses petites transactions journalières ; mais s’il y a surabondance, on usera de la faculté. Voilà ce que sera la loi dans la pratique.
Je crois que pour avoir la certitude que les receveurs n'éprouveront aucun embarras, il suffira que M. le ministre des finances décide que les agents de la Banque feront l'échange pour la valeur de 5 francs. Si vous fixez le minimum à 50 fr., il est certain que les intermédiaires seront nécessaires et onéreux.
M. Guillery. - Messieurs, je crois que les principes autant que les nécessités de la pratique justifient la proposition du gouvernement.
La monnaie d'appoint est une monnaie légale, mais légale dans certaines limites, c'est-à-dire qu'aux termes de l'article 7, nul n'est tenu d'accepter en payement plus de 5 francs en monnaie de nickel, ni plus de 2 francs de monnaie de cuivre. Voilà la position légale de cette monnaie.
Le particulier est obligé de la recevoir dans ces termes-là, avec ses avantages et avec ses inconvénients. Il se trouve, vis-à-vis des créanciers qu'il peut avoir, dans la même position ou il s'est trouvé lui-même vis-à-vis de ses débiteurs.
L'Etat, à la rigueur, pourrait dire aux particuliers : Lorsque vous aurez à payer vos contributions, vous serez à mon égard dans la même position. Cette monnaie que vous avez reçue, avec le caractère que lui attribue l'article 7, je la reçois avec le même caractère.
Mais dit-on, l'Etat se trouve le débiteur de la somme représentée par la monnaie ; le porteur se trouve avoir une valeur qui ne représente pas la valeur réelle, et il est créancier de l'Etat pour le surplus, il a à la fois un billet sur l'Etat et une valeur monétaire. Je crois que cette position résulte de toutes les monnaies. Je pense que celui qui est porteur d'une pièce de cinq francs, tout comme celui qui est porteur d'une pièce de monnaie de nickel ou de cuivre, est créancier de l'Etat.
L'Etat en garantit la valeur, à savoir que partout dans le pays on sera tenu de recevoir reste monnaie au taux légal. Le billet qui est en quelque sorte appliqué sur ce morceau de métal n'est pas protesté, tant que la promesse de l'Etat est accomplie, tant que partout vous pouvez faire recevoir cette monnaie jusqu'à concurrence de 5 francs.
L'Etat s'est engagé à une chose : faire accepter la pièce pour sa valeur jusqu'à concurrence de 5 francs ; et il tient sa promesse. Si la monnaie n'était plus reçue par les particuliers dans les termes fixés par la loi, alors seulement vous devenez créancier de l'Etat.
Que dit maintenant le gouvernement ? Le gouvernement nous dit qu'il veut se réserver la faculté d'autoriser l'admission de quantités plus fortes dans les caisses de l'Etat, c'est-à-dire qu'après avoir établi un mode nouveau, il se réserve d'étendre les facilités données aux contribuâtes aussi loin que la pratique le permettra. Il ne s'arrêtera que devant des impossibilités. Voilà le système qu'il vous propose.
La section centrale, entraînée par un principe que je crois inapplicable ici, voudrait que d'une manière absolue l'Etat fût obligé de recevoir.
Messieurs, il s'agit d'un système nouveau. Permettez donc au gouvernement d'en faire l'expérience, et ne compromettez pas le principe lui-même, en voulant pousser l'application trop loin, alors surtout que l'article 8 offre toujours aux particuliers le moyen de se débarrasser sans frais de la trop grande monnaie de billon qu’ils pourraient avoir.
Ainsi, tandis que, d'après le principe, le gouvernement ne devrait, comme les particuliers, ne recevoir la monnaie de nickel que pour la valeur de 5 fr., il introduit des exceptions ; l'une tend à permettre aux receveurs de l'Etat d'en recevoir pour des sommes beaucoup plus considérables, la seconde est celle qui est établie par l'article 8, en ce qui concerne l'échange.
Donc, qu'on se rattache, soit aux principes, soit aux nécessités pratiques, nous devons appuyer le système du gouvernement.
M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, ce que. vient de soutenir l'honorable préopinant me paraît être le renversement de tous les principes de notre législation monétaire, de tous les principes de la loi en discussion. L'honorable ministre des finances doit avoir été étonné d’entendre son système appuyé par des arguments si contraires à sa manière de voir.
L’honorable M. Guillery dit : « L'on prétend que la monnaie de nickel n'est qu'un titre qui donne droit au porteur d'être remboursé par le gouvernement. C\st la même chose pour toutes les monnaies. »
Mais cette assertion me semble être une manifeste hérésie monétaire.
De quoi le porteur de la pièce de 5 fr. pouvait-il être le créancier ?
M. Guillery. - De 5 francs.
M. Pirmez. - Mais il a les 5 francs dans sa pièce de 5 francs ; s'il s’adressait donc au gouvernement en ces termes : « Voilà une pièce de 5 francs, je suis votre créancier pour 5 francs ; payez-moi, » le gouvernement lui demanderait sa pièce, et la lui rendant, lui dirait : « Vous êtes payé. »
L'honorable M. Guillery peut-il imaginer un autre mode de payement ?
Pour la monnaie de nickel ce n'est pas la même chose ; elle n'a pas une valeur intrinsèque égale à sa valeur nominale. Quand vous avez cinq pièces de 20 centimes en nickel, vous avez uns valeur métallique qui vaut quelque chose comme 30 ou 40 centimes. Vous avez le droit de demander au gouvernement cinq grammes d'argent pour ces 5 pièces.
Voilà en quoi consiste la créance. De même quand vous êtes détenteur d’un billet de banque de mille francs, vous pouvez vous présenter à la banque et dire : « Voilà le titre de ma créance, donnez-moi mille francs. » De même avec les pièces de nickel, vous avez le droit de vous présenter au gouvernement et d'en demander la valeur en argent.
(page 921) On voit que l'assimilation faite par l'honorable membre est complètement inexacte.
C'est à tort aussi qu'il met le gouvernement sur la même ligne qu'un simple particulier.
Le particulier qui est créancier ne doit recevoir la monnaie de nickel que jusqu'à concurrence de 5 francs ; la raison en est simple ; le particulier n'est pas débiteur de la valeur représentative de la pièce ; il peut dire à celui qui vient le payer avec cette monnaie : Vous me devez de l'argent, donnez-moi de l'argent ; vous ne pouvez pas me payer avec du nickel, c'est-à-dire avec des créances sur un tiers.
L'Etat est dans une position toute différente. Il est le débiteur de ces créances. Si, étant détenteur de pièces de nickel, je lui dois l'impôt, il existe deux dettes dont la compensation doit être facultative.
L'honorable M. Guillery doit reconnaître que la règle générale de la limitation du nickel dans le payement juste pour le particulier, ne le serait pas pour le gouvernement, parce qu'il a des obligations qui résultent de l'émission obligatoire étrangère au particulier. Je suis certain que M. le ministre des finances, dans la question toute secondaire qui nous divise, se gardera bien d'employer les arguments de M. Guillery.
Quant à cette question secondaire je ne ferai qu'une seule observation. C'est celle-ci ;
Un bureau d'échange est difficile à établir ; il demande la conservation d'une certaine somme en caisse, vous ne pourrez en établir dans les localités reculées, vous n'en aurez qu'au chef-lieu d'arrondissement.
Cependant vous devez donner à ces localités les moyens de se débarrasser du trop-plein de la monnaie d'appoint ; or ce moyen est tout trouvé, c'est le payement aux bureaux des contributions. Ne pas l'employer, c'est priver d'un avantage précieux les localités dont je parle.
L'innovation introduite par le projet dans la législation est très heureuse, très importante ; elle aura, j'en suis convaincu, les résultats les plus favorables, il ne faut pas refuser de lui donner toute l'étendue qu'elle comporte.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais permettez-moi de voir jusqu'à quel point elle peut être mise en pratique.
M. Guillery. - Je vais défendre en peu de mots les monstrueuses hérésies qu'on a étalées avec tant de complaisance devant cette Chambre. J'ai dit que le porteur d’une pièce de 5 fr. était créancier de l'Etat pour une somme de 5 fr., que l'Etat devait garantir la valeur de la pièce de monnaie ; en supposant que la pièce vaille toujours 5 fr., cela ne détruira pas le principe si lorsque je présente cette pièce à l'Etat pour en avoir la valeur, l'Etat me répond :; Cette valeur existe dans vos mains, cela ni touche en rien au principe, cela ne touche en rien à la garantie, cela ne prouverait en aucune manière que la garantie n'existe pas.
Il est constant que quand le débiteur est solvable, la caution n'en existe pas moins, bien qu'elle ne soit pas appelée à payer ; mais il y a beaucoup de cas où la pièce de 5 fr. ne représente pas une valeur effective de 5 fr. Pour s'en convaincre le savant rapporteur n'aura qu'à relire le rapport si remarquable qu'il a fait sur la question des monnaies ; il y verra qu'il propose que, quand une monnaie est mise hors de la circulation, ce soit le porteur qui supporte la perte.
Qu'il juge d'après cela de la valeur de l'aimable plaisanterie qu'il faisait avec un rare succès sur le particulier réclamant la valeur de sa pièce de 5 francs à l'E tt qui la lui remettrait dans la main. Malheureusement si son système était appliqué, ce serait très peu lisible pour les porteurs.
Ayant une pièce portant l’effigie du souverain, c’est-à-dire la garantie de l’Etat, une pièce que j’ai dû forcément accepter, à peine d’une condamnation, je devrais subir une perte ! Ce système, je ne l’admets pas ; le gouvernement est garant de la valeur de la pièce qu'il a émise ; c'est selon l’expression du rapport un billet de banque sur un morceau de métal ; il doit m’en garantir la valeur,, que cette pièce soit de billon ou d’argent ; si une pièce de 5 francs qui à l’origine a sa véritable valeur la perd par l'usure, la garantie du gouvernement viendrait à cesser !
Si le gouvernement me donnait un lingot d'argent, je le recevrais comme marchandise pouvant augmenter de prix ou diminuer, ce serait mon affaire ; mais quand il porte l'effigie du souverain et l'indication de la valeur avec cours forcé, ce lingot n'est pas une simple marchandise, une simple valeur en marchandise, c'est un billet de banque écrit sur un morceau de métal.
Quelle différence y a-t-il pour la monnaie de billon ? La valeur intrinsèque ne représente pas, il est vrai, la valeur normale ! Mais le particulier porteur d'une pièce de monnaie ne se trouve pas porteur d'une créance exigible.
Le gouvernement est tenu de garantir, non de rembourser ; le particulier ne peut pas lui dire : Donnez-moi en argent la valeur de la monnaie de billon ; il n'est pas créancier du gouvernement. Il peut donner du cuivre, s'il est débiteur, à concurrence de 5 fr. Le gouvernement n'est pas tenu de faire le remboursement comme pour les billets de la Banque nationale, la Banque doit donner en pièces de 5 fr. la valeur de son billet à la première réquisition.
Il a promis que cette monnaie sera reçue partout dans le pays pour sa valeur nominale dans les termes tracés par la loi ; tant que cette condition est exécutée, tant que le débiteur principal ne fait pas défaut, il n'y a pas lieu d'avoir recours au gouvernement qui n'est que garant.
Dans la rigueur des principes, le gouvernement peut dire comme les particuliers : Je ne reçois que tant en cette monnaie ; mais comme il doit avoir égard à des nécessités de circonstance, il consent à s'en écarter ; mais du moins on ne peut s'opposer à ce qu'il s'assure jusqu’à quel point est praticable administrativement une innovation restée jusqu'aujourd hui à l'état de pure théorie.
- La disposition proposée par le gouvernement est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
Celle de la section centrale est adoptée.
« Art. 8. Les monnaies de nickel pourront être échangées contre des monnaies de payement, par sommes à fixer par le gouvernement, et dans les bureaux qu'il désignera.
« Le public pourra échanger, dans ces mêmes bureaux et par sommes à fixer par le gouvernement, les monnaies de payement contre des monnaies d'appoint. »
La section centrale propose la rédaction suivante :
« Art. 8. Les monnaies de nickel seront échangées contre des monnaies de payement, par sommes dont le minimum sera fixé par le gouvernement, et dans les bureaux qu'il désignera.
« Le public pourra être admis à échanger dans les bureaux et aux conditions à déterminer par le gouvernement, les monnaies de payement contre des monnaies d'appoint. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je me rallie à la rédaction de la section centrale.
- L'article proposé par la section centrale est adopté.
« Art.9. Le gouvernement fixera l'époque où les pièces de cinq centimes et de dix centimes de cuivre, ainsi que les pièces de vingt centimes d’argent, cesseront d'avoir cours légal.
« Il sera accordé un terme de trois mois, au moins, pour l'échange de ces pièces dans les caisses de l'Etat. »
M. B. Dumortier. - Il y a, me paraît-il, une lacune dans la loi, Toujours quand il s'agit de monnaie de bas aloi, de monnaie de billon, on fixe par la loi le chiffre auquel pourra être portée l'émission. Ici le pouvoir accordé au gouvernement est illimité.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous êtes dans l'erreur. Ceci est une loi de principe. Pour pouvoir battre de la monnaie, il faut un crédit. C'est lorsqu'on demandera ce crédit, que vous aurez ) déterminer le chiffre d'émission.
M. B. Dumortier. - Je me déclare satisfait.
- L'article est adopté.
« Art. 10. Sont abrogés, en ce qui concerne la fabrication et le cours légal des pièces de cuivre de cinq et dix centimes, et des pièces d’argent de vingt centimes, les articles 12, 13, 17, 18, 23 et 24 de la loi monétaire du 5 juin 1832, ainsi que els articles 2 et 3 de la loi du 1er décembre 1832. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je me rallie à la rédaction de la section centrale.
- L'article ainsi modifié est adopté.
Le second vote de la loi est fixé à jeudi.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen) (pour une motion d’ordre). - Je réclame de la Chambre qu'elle veuille bien mettra en tête de son ordre du jour le projet de loi relatif à la concession du chemin de fer de Morialmé à Givet. (Adhésion.)
M. le président. - Le projet figurera en tête de l'ordre du jour, Lo section centrale chargée d'examiner le projet de loi allouant des crédits pour l'église de Laeken et dont faisait partie notre collègue M. Coppieters, n'a pas terminé sou travail. Le bureau demande la permission de compléter cette section centrale.
- Cette autorisation est accordée.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.