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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 16 mars 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 890) (Présidence de M. Vervoort, second vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe lit le procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des habitants de Corbion réclament l'intervention de la Chambre pour faire recommencer les opérations du tirage au sort de la milice, qui ont eu lieu pour cette commune le 22 février dernier. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Hamme demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique aux pièces décimales françaises en or, ou que ces monnaies soient reçues pour leur valeur nominale dans les caisses de l’Etat, et proposent subsidiairement que le gouvernement soit autorisé à battre pour son compte et pour compte des particuliers des monnaies d’or belge de même valeur, titre et module que l’or français.

« Même demande d'habitants d'Emelghem, Vlamertinghe, Gheluwe, Herseau, Aeltre, Gand, Courtrai, Lichtervelde et Ingelmunster. »

M. Rodenbach. - Messieurs, tous les jours il nous arrive de ces pétitions ; je propose le renvoi à la commission avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Les sieurs Theys, Smets et autres membres de l'association générale ouvrière prient la Chambre de rejeter toute proposition de loi contre les coalitions. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du titre V, livre II, du code pénal.


« Des secrétaires communaux demandent que la position de ces fonctionnaires soit améliorée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Philippeville demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique à la monnaie d'or de France. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le sieur Rossignol demande une loi qui fixe le minimum du traitement des secrétaires communaux d'après le chiffre de la population de la commune. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Gand demandent l'abrogation des articles 414, 415 et 416 du Code pénal. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du titre V, livre II, du Code pénal.


« Le conseil communal de Neerhaeren présente des observations contre les tracés de chemin de fer projetés d'Ans à Tongres et de Cortessem, et prie la Chambre de décréter soit la ligne entière de Bilsen à Liège, soit la première section de cette ligne de Bilsen jusqu'à Tongres. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Vandormael, retenu par indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. de Renesse, obligé de s'absenter pour une couple de jours, demande un congé. »

- Accordé.

Rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée dee, le 5 mars 1860, le sieur Haeck demande une loi sur l'organisation du crédit communal et fait hommage de 116 exemplaires d'un écrit intitulé : De la nécssité d'une union du crédit des communes en Belgique et de la faculté de sa fondation.

Conclusion : Renvoi à MM. les ministres de l'intérieur et des finances.

(page 913) M. Vander Donckt. - Le pétitionnaire demande qu'il soit constitué en Belgique une union du crédit des communes sur le modèle de la société de l'Union du crédit de Bruxelles. Il croit que ce serait là un projet très facile à réaliser. Votre commission, messieurs, tout en appréciant les bonnes intentions du pétitionnaire, trouve cependant que la proposition offre quelques difficultés. D'abord, messieurs, il y a différentes catégories de communes : il en est qui sont fortement obérées, il en est d'autres qui sont propriétaires d'immeubles considérables ; il en est participant de ces deux situations, qui possèdent quelques immeubles, mais qui, en même temps, ont beaucoup de dettes.

Il serait assez difficile d'engager des communes dont la situation financière est excellente à s'associer à des communes dont la situation financière est fort précaire. H y a quelque vingt ans, par exemple, quelle est la commune du royaume, si petite qu'elle fût, qui eût voulu accepter la solidarité des finances de la ville de Bruxelles, et si aujourd’hui la situation financière de Bruxelles est meilleure, c'est bien au zèle éclairé des hommes éminents qui se trouvent à la tête de l'administration, qu'il est dû que ses finances se trouvent dans un meilleur état.

Autre considération : Quelle est la commune, par exemple, dans le Luxembourg qui, possédant des propriétés immobilières et n'ayant pas de dettes, aurait voulu s'associer aux communes des Flandres, au sortir de la crise financière et alimentaire, après la perte de l'industrie linière dans ces parages ? Aucune. Voilà donc une première difficulté très sérieuse.

Le pétitionnaire compare l'Union du crédit, établie à Bruxelles, avec l’Union du crédit entre les communes. La comparaison n'est pas juste.

Il y a une différence du tout au tout. L'auteur de la brochure donne comme un des éléments de prospérité pour cette Union de crédit, la facilité d'escompter les effets de commerce ; mais les communes ne font pas d'affaires, ne peuvent pas en faire. La comparaison est donc très inexacte.

Autre considération encore. Comment forcerez-vous les communes en recettes sous la législation actuelle ? N'avons-nous pas vu des pétitionnaires s'adresser à la Chambre pour obtenir le payement de créances à charge de communes ? Et la Chambre, avec la meilleure volonté du monde, n'a pu rien faire pour eux. Les communes débitrices ont été traduites en justice ; condamnées en première instance, elles sont allées en appel, et elles ont encore été condamnées. Aujourd'hui, les pétitionnaires, munis du jugement en dernier ressort, se trouvent devant des difficultés insurmontables pour faire exécuter ces jugements.

Eh bien, dans votre association, il y aurait des communes récalcitrantes ; comment voulez-vous forcer ces communes en recettes ?

Voilà des difficultés sérieuses dont il faut tenir compte, avant de songer à réaliser un projet semblable.

Toutefois, sans rien préjuger, la commission a l'honneur de renvoyer la pétition à MM. les ministres des finances et de l'intérieur.

(page 890) M. Goblet. - Messieurs, j'ai demandé la parole, parce que je crois que l'honorable rapporteur n'a pas parfaitement saisi l'idée émise dans la brochure qui nous a été envoyée.

Sans vouloir entrer dans le développement des idées exposées par le pétitionnaire et dans l'examen des statuts, je me borne à déclarer qu'à mon avis l'association des communes, dans le but de leur assurer le crédit qui leur manque souvent, présente un grand caractère d'utilité. Il y a là beaucoup à faire. Le crédit des communes, l'honorable rapporteur lui-même vient de le constater, est souvent insuffisant ; il est même insuffisant, pour que les communes puissent remplir des obligations établies de la manière la plus formelle.

Dans la pensée du pétitionnaire, l'autorité du gouvernement n'est nullement écartée ; son action se fait toujours sentir.

Les communes ne peuvent pas emprunter sans avoir obtenu préalablement l'autorisation du gouvernement ; et le gouvernement, avant d'autoriser les communes à emprunter, prendra les précautions nécessaires pour s'assurer si elles ont des voies et moyens suffisants pour remplir leurs engagements.

L'avoir des communes riches ne sera donc pas mis en péril par l'association à des communes pauvres.

La difficulté principale, difficulté que les communes ne peuvent pas surmonter, c'est d'emprunter alors même qu'elles ont des ressources, à moins de s'adresser à un crédit particulier, qui, lui, bénéficie de la manière la plus onéreuse sur les besoins et la position difficile de la commune.

Si les communes empruntaient au moyen d'une union de crédit le gouvernement ; il pourrait centraliser, généraliser ces emprunts, le public viendrait ainsi au secours des petites communes, parce qu'on considérerait les emprunts comme des emprunts de l'Etat, (interruption.)

L'Etat n'est-il pas le tuteur des communes ? Il autorise une commune à emprunter ; il est évident que si cette commune ne remplit pas ses engagements, les prêteurs, qui ont considéré l'Etat, non comme responsable, mais comme ayant autorisé, en sa qualité de tuteur, cette commune à emprunter, sont frustrés d'une manière tout à fait abusive.

L'Union du crédit de Bruxelles est une institution que personne ne peut songer à critiquer ; elle a rendu des services signalés, elle en rendra encore. Ce n'est donc pas émettre une idée téméraire, que de vouloir établir et généraliser des institutions analogues.

Ce n'est pas le moment, je le reconnais, de discuter le mode de crédit préconisé par le pétitionnaire. Mais convaincu que le système de la mutualité est appelé à jouer un grand rôle dans les institutions de crédit et à donner la solution de bien de difficultés pour l'avenir, je crois devoir appeler l'attention sérieuse de MM. les ministres sur cet objet.

M. H. Dumortier. - Je n'ai que quelques mots à dire.

L'honorable rapporteur de la commission des pétitions est entré dans des considérations très sérieuses pour faire voir que l'organisation d'une union de crédit communal n'est pas exempte de difficultés réelles. Pour fonder le crédit communal comme tout autre crédit, il faut commencer par inspirer confiance au prêteur, et pour lui inspirer confiance, il faut lui procurer les moyens nécessaires pour pouvoir forcer au besoin son débiteur à remplir ses engagements.

Vous aurez beau créer toutes les institutions de crédit imaginables, tons ces plans échoueront si le prêteur, quel qu'il soit, est désarmé vis-à-vis de son débiteur.

Or dans l'étal actuel de notre législation, il n'y a aucun moyen légal pour forcer une commune à payer ses dettes si elle ne possède pas d'immeubles.

Les communes possédant des propriétés immobilières sont très peu nombreuses, au moins dans les Flandres. Les 255 communes de la Flandre occidentale ne jouissent que d'un revenu de 16,000 francs en immeubles.

Mais, dit l'honorable M. Goblet, le gouvernement interviendra.

M. Goblet. - J'ai dit que le gouvernement interviendra pour autoriser l'emprunt, s'il le juge convenable.

M. H. Dumortier. - Permettez, laissez-moi achever au moins ma phrase, je ne puis pas tout dire à la fois.

M. Vander Donckt a dit qu'il serait difficile d'associer des communes pauvres et des communes riches ; que les intérêts des unes pourraient ainsi être sacrifiés aux intérêts des autres, et l'honorable M. Goblet a répondu à cet argument que le gouvernement pourrait intervenir pour autoriser ou empêcher les emprunts.

L'honorable membre croit-il que pareille intervention suffirait pour inspirer pleine confiance à un prêteur et pour le déterminer à accepter une commune pour débitrice ? J'en doute. Le gouvernement lui-même pourrait être induit en erreur ; il pourrait mal apprécier la situation de la commune, cette situation elle-même petit être plus ou moins variable. Cet avis du gouvernement ne lui paraîtrait souvent pas une garantie, une hypothèse suffisante.

Il craindrait de commettre une imprudence dont il pourrait devenir victime, et cette imprudence existerait tout aussi bien lorsque le prêteur est une union de crédit que lorsqu'il s'agit d'uni particulier.

Pour inspirer la confiance, il faudrait que le gouvernement se portât garant et caution en quelque sorte de la commune qui veut emprunter, ainsi que M. le ministre des finances le propose en ce qui concerne l'organisation de la caisse générale d'épargne et de retraite.

Vous voyez donc, messieurs, que la création d'une union de crédit des communes n'est pas tout à fait chose aussi simple et aussi facile que ie prétend le pétitionnaire.

Je crois donc que le pétitionnaire se trompe quand il dit « que la raison principale de la nullité du crédit public des communes tient tout (page 891) d'abord à leur petite population relative, à laquelle son projet d'union du crédit vient d'un trait apporter le correctif nécessaire. »

La principale base du crédit communal comme de tout autre crédit, ce sont les garanties réelles à offrir an prêteur.

Quoi qu'il en soit, messieurs, je suis loin de m'opposer aux conclusions de la commission des pétitions ; j'appuie au contraire le renvoi à MM. les ministres des finances et de l'intérieur, le vois avec plaisir que des questions d'une aussi haute importance soient soulevées et discutées dans la presse et dans la Chambre et je désire vivement qu'elles fassent l'objet d'un examen très sérieux de la part de gouvernement.

(page 913) M. Vander Donckt, rapporteur. - Je n'ajouterai plus qu'une seule réflexion, c'est que si l'association préconisée par le pétitionnaire se constituait, elle pourrait, dans des circonstances données, acquérir un pouvoir tel qu'elle formerait, en quelque sorte, un Etat dans l’Etat et pourrait, dans ces circonstances, présenter un véritable danger en absorbant une grande partie du pouvoir exécutif. Je recommande spécialement cette observation à MM. les ministres de l'intérieur et des finances. Il y aurait une foule de précautions à prendre s'il s'agissait de mettre en pratique un semblable système, et je dois dire que la question a été traitée assez légèrement par le pétitionnaire ; il n'a pas assez réfléchi à toutes les difficultés qui surgiraient à l'occasion de la mise en pratique de son projet.

(page 891) M. Goblet. - Comme l'honorable M. Dumortier, je suis parfaitement convaincu que la Chambre n'est pas disposée à discuter en ce moment une semblable question. Aucun de nous n'a approfondi le système proposé.

Mais j'ai dit qu'il y a dans ce système des idées qui sont bonnes, et l'honorable M. Dumortier l'a déclaré lui-même. Quant aux moyens d'application, je reconnais avec l'honorable membre qu'ils ne sont pas encore suffisamment étudiés, mais je désirerais ne pas voir écarter de prime abord les idées dont la réalisation pourrait être si avantageuse à tout le monde.

J'appuie donc le renvoi à MM. les ministres de l'intérieur et des finances et j'espère qu'ils examineront la question avec la plus grande attention.

- Le renvoi à MM. les ministres de l'intérieur et des finances at mis aux voix et adopté.

Motion d’ordre

M. Goblet. - Messieurs, depuis plusieurs mois déjà, la commune d'Ixelles est agitée par suite de dissolutions successives et d'élections de la garde civique. Je comprends parfaitement que M. le ministre de l'intérieur ait hâte d'en finir, mais ce que je n'admets pas, ce que je ne puis pas admettre, c'est que, pour en finir plus vite, on viole et l'esprit et le texte de la loi.

L'article 52 de la loi organique de la garde civique donne, à titre de garantie, dix jours pour réclamer près de la députation permanente contre toute élection.

Le 8 février dernier, on a procédé, à Ixelles, à l'élection des majors ; le 14, c'est-à-dire six jours après, ont paru les arrêtés royaux qui nomment les lieutenants adjudants-majors et les lieutenants quartiers maîtres. Or, messieurs, à part l'irrégularité grave que je signalerai tout à l'heure en ce qui concerne la présentation des candidats à ces dernières fonctions, comment voulez-vous que la députation permanente, qui a dix jours pour recevoir les réclamations, puisse stater alors qu'on ne lui laisse qu'un délai de six jours ?

Le désir de M. le ministre de l'intérieur était de rétablir l'harmonie dans la garde civique d'Ixelles ; ce résultat n'a pas été obtenu : le major du 1er bataillon a été nommé par 9 voix contre 8 et le major du 2ème bataillon par 8 voix contre 7.

Cela n'indique évidemment pas que l'harmonie soit rétablie ; bien plus il y a réclamation contre la validité du vote d'un officier qui n'habite pas la commune. Il figurait encore le samedi sur les contrôles de la garde civique de Bruxelles, il habite Bruxelles et il paye la cotisation communale à Bruxelles. Le samedi est venu l'ordre de détacher cet officier de la garde civique de Bruxelles.

Sans m'arrêter à la question de savoir si l'autorité supérieure peut détacher un officier de la garde civique de Bruxelles pour agir comme officier de la garde civique d'Ixelles, j'ai le droit de demander si alors que la députation permanente est saisie et avant l'expiration du délai dans lequel elle doit statuer, un arrêté royal peut nommer des officiers dans l'élection et dans le cas d'être invalidée par la députation.

Quand on a nommé, le dimanche 8, les majors, les médecins, on a immédiatement après choisi les candidats pour les grades d'adjudant-major et de lieutenant quartier maître ; c'est là une nouvelle violation de la loi. Qui donc doit encourir à la nomination des lieutenants adjudants-majors et des lieutenants quartiers-maîtres ? Ce ne sont pas seulement les officiers des compagnies, mais encor des majors et les médecins de bataillon, dont la nomination viont de se faire séance tenante et qui peuvent très bien ne pas être présents à l'élection.

C'est tellement vrai que dans votre arrêté de dissolution et de reconstitution, pris en vertu de la loi de 1848, vous avez, le 21 juillet 1858, dit te qui suit, dans l'article 4 de cet arrêté.

Les officiers de chaque bataillon sont convoqués pour le 10 août, à l’effet de procéder à l'élection du major et des médecins de bataillons et le 18 du même mois, pour former la liste des candidats aux fonctions de lieutenant adjudant-major et de lieutenant quartier-maître. Vous le voyez, vous-même, M. le ministre, avez mis ces élections à un délai de huit jours.

Eh bien, qu'a-t-on fait à Ixelles ? On a convoqué pour le 8, à l’effet de nommer les majors et les médecins de bataillon et on a convoqué en même temps pour nommer les candidats aux grades de lieutenant adjudant-major et de lieutenant quartier-maître ; puis le 14 on s'empresse de nommer les lieutenants adjudants-majors et les lieutenants quartiers-maîtres.

Je ne comprends pas qu'en présence du texte si formel de la loi, en présence de l'article 52 qui donne 10 jours à la députation pour statuer sur les réclamations qui lui sont soumises, en présence de l'arrêté royal et de l'esprit de la loi organique de la garde civique, je ne comprends pas qu'on vienne faire des élections avec cette rapidité étonnante après avoir, pendant deux ans, différé de nommer les officiers supérieurs.

On a dissous trois fois cette garde, on a recouru à toutes espèces de délai ; et puis, l'on ne se donne pas même la peine de respecter les délais légaux alors qu'on croit arriver au résultat que l'on désire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne puis pas admettre que le gouvernement ait commis une illégalité en agissant comme il l'a fait. Je n'admets pas davantage que le gouvernement ait songé un seul instant à recourir à une manœuvre quelconque pour amener un résultat quelconque. Le gouvernement est resté parfaitement désintéressé dans la question.

Sans doute nous devons désirer, gouvernement et citoyens, que la garde civique ait des chefs capables, des chefs honorables et dignes de l’institution. C'est un but que nous devons tous poursuivre.

Je ne sais pas si je dois justifier un acte parfaitement légal qui rentre dans les attributions du gouvernement et qui consiste à dissoudre la garde civique.

M. Goblet. - Je n'ai pas attaqué cet acte.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez parlé en termes de reproche de la dissolution. Le gouvernement a fat usage de son droit dans les limites de la loi.

Le gouvernement a fait si peu de cette question de la garde civique d'Ixelles, une question ministérielle, qu'il a laissé au gouverneur et à la députation permanente le soin de régler tous les délais pour procéder aux différentes élections, aux différentes présentations. Jusqu'au moment où j'ai eu à faire des présentations pour la nomination des lieutenants adjudants-majors et des quartiers-maîtres, j’ai ignoré à quelle époque les gardes avaient été convoqués, les officiers avaient été convoqués.

Mais, dit-on, les élections ne sont valides qu'après l'expiration d'un délai de dix jours qui est accordé aux réclamant pour se pourvoir devant la députation permanente, et le ministre vient de proposer au Roi de nommer des lieutenants adjudants-majors et des quartiers-maîtres six jours après l'élection.

Dans l'opinion de l'honorable M. Goblet, le gouvernement aurait donc dû attendre l'expiration du délai de dix jours avant de procéder aux nominations.

Je dirai à l'honorable représentant que cela ne s'est jamais fait et que cela n'est pas possible. Car il ne suffirait pas pour le gouvernement d'attendre l’expiration des délais d'appel avant de procéder à la nomination des officiers ; il faudrait aussi attendre que la députation eût prononcé ; il faut du temps avant qu'elle prononce, quelquefois il fautune enquête. En attendant, le droit du gouvernement se trouvera paralysé, se trouvera suspendu.

Dans les circonstances actuelles, admettons qu'on aurait pu ajourner les nominations, bien qu'on dise que la commune est agitée, depuis deux ans. C’était là une question de fait qui laisse intacte la question de droit. Or, nous devons maintenir le droit du gouvernement.

Admettons qu'on aurait pu attendre que la députation eût prononcé.

Il est des circonstances où les nécessités d'ordre public exigent qu'on procède rapidement à l'organisation de la garde civique ; et si vous subordonnez l'action du gouvernement, la nomination des officiers qu'il doit faire, à l'expiration des délais laissés pour les réclamations, et que vous devez aussi laisser à la députation permanente pour prononcer, vous pourrez arriver à plus de trois mois pour réorganiser la garde civique.

Remarquez bien qu'il ne s'agit pas seulement de la présentation des candidats pour les fonctions de lieutenant quartier-maître ou de lieutenant adjudant-major. Les officiers, une fois nommés par les gardes, ont à procéder à la nomination du major.

D'après nos adversaires, il faudrait attendre que le délai de dix jours fût expiré, et que, s'il y avait une réclamation, la députation eût prononcé sur cette réclamation, avant que les officiers pussent procéder à la nomination de major. En attendant, la garde civique dissoute resterait dans un état complet de désorganisation.

Eh bien, ce système n'est pas acceptable. Il n'a jamais été pratiqué.

Qu'arriverait-il, en supposant que la députation permanente annule les nominations du lieutenant quartier-maître et du lieutenant adjudant-major qui ont été nommés ? Messieurs, je n'hésite pas à le dire, les nominations seraient nulles. Le gouvernement aurait nommé des gens qui n'avaient pas capacité pour être nommés. Il y aurait là certain inconvénient pour le gouvernement. Mais voilà tout.

L'inconvénient serait bien autre, si des nominations qui doivent se faire successivement et promptement étaient subordonnées à l’expiration de tous les délais accordés pour les réclamations et pour les décisions que la députation permanente doit prendre sur ces réclamations. Je le répète, il pourrait souvent se passer des mois avant de pouvoir procèder à la réorganisation d'un corps de garde civique si l'on devait suivre toutes les formalités, tous les délais indiqués par l’honorable M. Goblet.

(page 892) M. Grosfils. - La loi est ainsi faite.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La loi n'est pas ainsi faite. La loi accorde en effet dix jours pour les réclamations ; mais elle ne dit pas qu'on ne pourra pas procéder à de nouvelles élections et à des nominations avant l'expiration des délais.

Maintenant pourquoi avons-nous procédé à la nomination des adjudants-majors et des lieutenants quartiers-maîtres ? Parce que nous avons appris que les présentations de candidats pour les fonctions de lieutenant-colonel et des officiers de l'état-major de la légion devaient se faire dimanche prochain, et que nous avons voulu que le plus grand nombre possible d'officiers pussent concourir à ces présentations. Voilà le seul motif qui nous a engagé à faire au Roi des propositions pour les nominations de lieutenants adjudants-majors et de lieutenants quartiers-maîtres. Je ne crois pas que l'honorable M. Goblet ait rien à alléguer contre les personnes désignées pour remplir les fonctions de lieutenants quartiers-maîtres ou de lieutenants adjudants-majors.

M. Goblet. - Je ne les connais pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ni moi non plus.

Mais je crois que j'agis plus libéralement que vous lorsque j'appelle un plus grand nombre d'officiers à concourir à la présentation de candidats pour l'état-major, et je ne sais pas pourquoi vous voulez dans ce cas éliminer les lieutenants adjudants-majors et les lieutenants quartiers-maîtres de la participation à la présentation de candidats pour la place de lieutenant-colonel.

M. Goblet. - Je ne les connais pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas non plus l'honneur de les connaître, mais j'agis plus libéralement que vous, lorsque j'appelle un plus grand nombre d'officiers à concourir à la présentation des candidats.

Voilà ce que j'avais à répondre.

Du reste, j'espère que l'espèce d'agitation qui a troublé très superficiellement la commune d'Ixelles, va bientôt cesser ; nous n'aurons employé que des moyens tout à fait légaux pour arriver à la meilleure organisation possible de la garde civique de cette commune.

M. Goblet. - Messieurs, je dirai d'abord à M. le ministre de l'intérieur que je n'ai pas contesté le droit du gouvernement de dissoudre la garde civique d'Ixelles ; je n'ai pas plus contesté ce droit que je n'ai contesté son droit d'envoyer une compagnie de gendarmerie pour empoigner des vieillards qui étaient accusés de ne pas exécuter la loi communale.

Le système de M. le ministre de l'intérieur est très commode. La loi, dit-il, déclare bien qu'il faut un délai, mais qu'importe ! nous ne jugeons pas bon de nous y soumettre, et s'il en résulte des inconvénients, nous en subirons les conséquences.

Il est plus libéral, selon M. le ministre, de ne pas exécuter la loi, parce qu'il y aura ainsi plus de membres qui concourront à la présentation des candidats aux grades supérieurs. C'est là un motif qui me paraît peu concluant. La manière dont on a procédé dans la commune d'Ixelles est contraire au droit qu'ont les gardes et les officiers de réclamer, en vertu de l’article 52 ; ou bien cet article est mauvais ; et alors proposez-en le retrait ; ou bien, il est bon, et alors il faut l'exécuter.

Par vos nominations faites dans les délais non légaux, vous avez augmenté la perturbation. Il est évident que la loi sur la garde civique veut positivement que les compagnies nomment d'abord leurs officiers ; puis que les officiers, après que leur nomination a été validée, se réunissent pour nommer les majors et les médecins, et enfin que ces derniers réunis aux officiers des cadres, soient ultérieurement convoqués pour nommer les candidats lieutenants adjudants-majors et lieutenants quartiers-maître. Le gouvernement a-t-il fait cela ? Evidemment non.

Vous avez convoqué les officiers pour la nomination des majors et des médecins ; on a nommé les majors et les médecins ; et séance tenante ou a procédé ensuite à l'élection du candidat lieutenant adjudant-major et du candidat lieutenant quartier-maître. Qui a concouru à cette élection ? Les majors qui venaient d'être nommés et les médecins qui avaient été également nommés séance tenante. On n'a pas même laissé le délai d'une heure pour réclamer contre les nominations des majors et des médecins si les électeurs croyaient devoir le faire.

Vous dites que vous vouliez faire concourir plus d'officiers aux présentations des grades supérieurs. Mais y avait-il péril en la demeure ? Vous ne pouviez pas attendre quinze jours ; vous avez bien attendu deux ans ; vous avez jugé bon de dissoudre la garde civique d'Ixelles à deux reprises différentes ; vous avez attendu deux ans, je le répète, et cette fois, vous ne pouvez pas attendre 15 jours !

Afin d'avoir un plus grand nombre d'officiers concourant à la présentation des candidats, vous violez le texte de la loi ; vous faites faire des présentations par des gens qui n'ont pas encore le droit de prendre part à ces présentations. Tant que l'élection des majors et des médecins n'a pas été validée, ces titulaires ne peuvent exercer leurs fonctions. Etiez-vous donc certain qu'ils seraient présents dans le local. Avant d'être nommé ils n'avaient pas le droit d'y être, à moins de faire déjà partie des cadres. Vous forcez ainsi le corps d'officiers à nommer dès à présents, vous préjugez de leur vote, vous contestez leur liberté électorale.

Maintenant M. le ministre de l'intérieur nous dit : « Je ne me suis occupé de rien » ; c'est la députation permanente et le gouverneur qui ont fixé les délais. Mais l'arrêté est contresigné par l'honorable M. Rogier ; je n'ai à interpeller ni la députation ni le gouverneur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'accepte la responsabilité de l'acte.

M. Goblet. - Je demande à l’honorable M. Rogier pour quels motifs il a mis tant de hâte à faire faire les nominations ; en violant ainsi, non seulement le texte, mais l'esprit de la loi, et je ne puis pas admettre que le gouvernement fasse de la loi l'usage que bon lui semble. Il est soumis aux lois comme tout le monde et si, dans des cas graves, il est appelé à les violer, ce n'est qu'à son corps défendant qu'il doit le faire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je le répète, je n'ai violé ni le texte ni l'esprit de la loi. Lorsque j'ai déclaré que le gouverneur avait fixé les délais, j'ai voulu seulement indiquer que le gouvernement faisait de cette affaire de la garde civique d'Ixelles si peu une affaire ministérielle, que j'avais abandonné au gouverneur le soin de régler les formalités. Je dis que la loi n'a pas été violée dans ce qui a été fait.

L'honorable membre a soutenu implicitement que les élus sont présumés illégalement élus, aussi longtemps que la députation ne s'est pas prononcée...

M. Goblet. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Moi, je les présume valablement élus, du moment qu'ils ont reçu un mandat des électeurs ; ils peuvent immédiatement jouir des droits inhérents à l'exercice de ce mandat.

Si plus tard leur mandat est reconnu avoir été illégalement donné, on pourra revenir sur les actes qui auront été posés ; mais aussi longtemps que leur mandat ne leur est pas retiré par l'autorité compétente, ils doivent être admis à l'exercice de leurs droits.

Voilà comment on a procédé, et je dis qu'on est resté ainsi dans le texte et dans l'esprit de la loi.

En ce qui concerne la nomination des adjudants-majors et des lieutenants quartiers-maîtres, je voudrais que l'honorable membre nous citât un texte de loi qui défende au gouvernement de procéder à cette nomination, aussi longtemps que la députation permanente n'a pas prononcé sur les réclamations.

M. Goblet. - Je vous ai lu l'article.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez lu l'article qui donne dix jours pour les réclamations ; mais vous n'avez pas lu d'article qui interdit au gouvernement de nommer les officiers dont il s'agit, aussi longtemps que la députation ne s'est pas prononcée.

Mais il est impossible qu'une pareille disposition se trouve dans la loi ; car il suffirait qu'une députation animée d'un mauvais vouloir fît attendre indéfiniment sa décision, pour faire ajourner d'une manière également indéfinie l'organisation d'une garde civique.

L'on dit que les majors qui venaient d'être élus, ont procédé à l'heure même aux présentations des officiers de l'état-major du bataillon ; mais oui, ils étaient investis d'un mandat régulier, et ils pouvaient en faire immédiatement usage.

Je ne vois pas où est l'illégalité ; je ne vois pas dans la loi un article qui défend aux officiers qui viennent d'être élus de procéder immédiatement à l'acquit de leur mandat. Ils pourraient prendre immédiatement le commandement, ce qui serait autre chose que de participer à une élection.

Je tiens beaucoup à ce que la Chambre soit bien convaincue que la loi sur la garde civique n'a été violée ni dans son texte ni dans son esprit.

Jamais à aucune époque on n'a procédé dans d'autres localités autrement qu'on ne l'a fait cette fois pour la garde civique d'Ixelles.

Tout officier élu est censé revêtu d'un mandat régulier, il peut à l'instant même exercer les droits inhérents à ce mandat. Si plus tard ce mandat est contesté, si l’officier voit son élection annulée, on pourra juger quelles peuvent être les conséquences de cette élection sur les élections subséquentes. Mais si une seule élection était frappée de nullité et que les nominations eussent eu lieu à une forte majorité, cette élection annulée ne devrait pas entraîner l’annulation de toutes les élections ; ce n’est pas parce qu’un électeur aurait été déclaré indûment inscrit alors qu’une seule voix n’aurait pu exercer aucune influence sur le résultat de l’élection qu’on annule cette élection.

Je ne vois rien autre chose à ajouter à ces déclarations ; je n'admets nullement que la loi ait été violée ; cela reste entièrement à démontrer dans tous les cas si la loi a été violée, la députation qui est un corps qui ne doit pas inspirer de défiance à l'honorable membre aura à le décidee.

M. Allard. - Je ne partage nullement l'opinion de M. le ministre de l'intérieur, quand il dit qu'un officier de garde civique nommé peut prendre immédiatement le commandement ; il ne le peut pas, avant d'avoir prêté serment ; je crois aussi que dans les opérations que vient de signaler l'honorable M. Goblet, un officier qui n'a pas prêté serment ne peut prendre part au scrutin. Ce qui s'est passé me paraît donc irrégulier. En effet, un officier ne peut pas prendre de commandement, ne peut exercer (page 893) de mandat en cette qualité, que quand il a prêté le serment prescrit par l'article 60 de la loi sur la garde.

Les officiers de la garde civique prêtent, avant d'entrer en fonctions, le serment dont la teneur suit :

« Je jure fidélité au Roi, obéissance à la Constitution et aux lois du peuple belge. »

Il y avait eu une première opération, les gardes s'étaient réunis, et avaient nommé leurs officiers, ces officiers devaient prêter serment, avant de procéder à l'élection du major et des médecins de bataillon ; les officiers ainsi nommés doivent aussi prêter serment avant de prendre part à l'élection des candidats pour le grade de colonel, de lieutenant-colonel et de lieutenant adjudant-major. Si on a procédé autrement à Ixelles, on n'a pas exécuté la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis étonné que l'honorable membre, qui a appartenu longtemps à la garde civique et était un officier distingué, fasse de pareilles objections ; je suis presque sûr que lui-même aura été, à son sens, en état de flagrante illégalité. Vous venez d'ajouter une nouvelle complication à celles présentées par l'honorable député de Bruxelles. Suivant l'honorable député de Tournai, après l'élection des officiers avant de procéder à l'élection des majors, il faudrait que les officiers prêtassent serment, et après la nomination des majors, avant de procéder à l'élection des candidats aux autres grades, il faudrait encore que les majors prêtassent serment.

Tout à l'heure je parlais de trois mois pour arriver à l'organisation de la garde civique si l'on procédait comme le voudrait l'honorable M. Goblet ; avec le système de prestation de serinent préalable, il en faudrait six !

Il faudrait d'abord attendre le délai de 10 jours dans lequel les réclamations peuvent se produire ; il faudrait ensuite que la députation voulût bien prononcer ; on devrait ensuite assigner un jour pour la prestation de serment ; les officiers procéderaient ensuite à la nomination des majors et des médecins de bataillon les mêmes règles devraient être observées avant de procéder à l'élection des candidats aux grades supérieurs.

La loi dit qu'avant d'entrer en fonction l'officier doit prêter serment, mais elle n'entend pas parler de ses fonctions d'électeur, elle n'a en vue que ses fonctions d'officier, c'est-à-dire l'exercice du commandement ; avant d'exercer les fonctions électorales, il n'y a pas de serment à prêter.

Si l'officier prenait le commandement, il prêterait serment, il n'aurait pas à attendre que la députation eût pu prononcer, que les délais pour les réclamations fussent expirés. Il peut y aller de l'ardre public pour la commune, que les officiers élus, immédiatement après prêtent serment et prennent le commandement ; mais ils ne doivent pas prêter serment pour remplir leurs fonctions électorales.

Il ne faut pas confondre l'élection avec le commandement ; cela a été décidé de la manière la plus formelle par les députations permanentes. La question a été soulevée au dernier renouvellement des corps d'officiers de la garde civique. Des députations ont été saisies de cette question, toutes l'ont résolue en ce sens que les officiers n'avaient pas besoin de prêter serment pour prendre part aux élections ou présentations aux grades supérieurs. Voilà ce qui a été reconnu parfaitement légal par ces députations permanentes ; procéder autrement rendrait impossible toute organisation de la garde civique.

M. Allard. - Quand j'ai pris la parole j'ai dit que je ne partageais pas l'opinion exprimée par M. le ministre de l'intérieur qu'un officier de garde civique nommé pouvait prendre immédiatement possession de son commandement. J'ai dit qu'il ne le pouvait qu'après avoir prêté serment, j'ai ajouté qu'il ne pouvait pas non plus prendre part aux élections pour les candidats, pour les officiers du grand état-major, colonels, lieutenants-colonels, capitaines adjudants-major, capitaines quartiers-maîtres, médecins de légion, porte-drapeau, avant d'avoir prêté serment. On a dit que les députations pour ce dernier cas en avaient décidé autrement ; ou n'a pas réclamé, je n'ai rien à dire là-dessus.

M. Muller. - J'avais demandé la parole pour m'expliquer sur l'opinion que vient de résumer l'honorable M. Allard. Il y a deux ans, les députations permanentes ont été appelées, à la suite du renouvellement quinquennal des officiers de la garde civique, à examiner cette question, et elles ont été d'accord pour établir une distinction entre les opérations électorales auxquelles les officiers doivent prendre part et l'exercice du commandement. Elles ont considéré les premières, en motivant fortement leurs décisions, comme étant inhérentes à l'organisation du corps d'officiers, et pouvant être accomplies avant la prestation de serment, sans laquelle un officier est sans qualité pour commander à ce titre. Voilà ce que j'avais à faire remarquer.

Mais sur le fond de la question, je dois exprimer un vœu, c'est qu'il soit bien entendu que, sauf des circonstances exceptionnelles, graves, où le gouvernement assume sur lui une responsabilité que lui commandent les événements, il ne faut pas procéder aux élections de majors et autres officiers supérieurs avant que la députation ait pu prononcer sur les réclamations qui peuvent s'élever sur les élections des officiers.

Il est incontestable que la règle, c'est que le droit de réclamation doit pouvoir s'exercer d'une manière légale, régulière et efficace.

Ce qui ne l'est pas moins, c'est qu'en dehors d'un cas d'urgence, il n'y a pas lieu de recourir au correctif si grave que M. le ministre de l'intérieur indique pour garantir le droit de réclamation ; celui d'un arrêté royal de nomination qui ne pourrait pas recevoir d'exécution.

Ainsi, régulièrement, il est évident qu'on ne doit pas procéder à la présentation des candidats aux places de lieutenants adjudants-majors et quartiers-maîtres en même temps qu'à l'élection du major et du médecin.

Ainsi, régulièrement, lorsqu'il n'y a pas de péril en la demeure, il est évident qu'on ne doit pas procéder le même jour à l'élection des lieutenants et des capitaines et le même jour à l'élection du major. Sans cela vous ne donneriez plus un moment pour les réclamations.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il ne faut pas fatiguer vos gardes par des élections réitérées.

M. Muller. - Il y a ici deux intérêts en présence : celui de la responsabilité du gouvernement et celui du droit électoral. J'admets que dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu'il y a péril en la demeure, le gouvernement procède comme l'indique M. le ministre de l'intérieur. Mais dans les cas ordinaires, il faut laisser à l'électeur la garantie qui lui est assurée. Il faut respecter le droit de réclamation.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dois à la franchise de dire qu'on n'a pas procédé par voie exceptionnelle pour la commune d'Ixelles, mais qu'on y a procédé comme on procède dans toutes les communes et qu'on continuera à procéder de la même façon. C'est sous la responsabilité du ministère qui croit devoir appliquer la loi de cette façon.

M. Muller. - Je pense, au contraire, qu'on a procédé à Ixelles d'une manière tout exceptionnelle, en faisant en quelque sorte nommer à la fois les capitaines et lieutenants, et les médecins et le major.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est une erreur, on n'a pas nommé le major le même jour que les lieutenants. Les officiers ont été nommés par les gardes et le major a été nommé un autre jour.

Il faut tenir compte des inconvénients attachés à la multiplicité des appels pour les élections. En appelant souvent les gardes pour des élections de plus ou moins d'importance, vous semez le dégoût au sein de la garde, cela entraîne à des déplacements ou à des amendes pour les gardes qui ne se rendent pas aux élections, et vous produisez ainsi le mécontentement.

M. Guillery. - Je ne puis laisser passer sans protestation les paroles que vient de prononcer M. le ministre de l'intérieur. Ce système du pouvoir exécutif qui consisterait à dire : J'ai agi ainsi et je continuerai à agir ainsi sous ma responsabilité, quoi qu'on en puisse dire, ne me paraît pas constitutionnel. Si le pouvoir exécutif est responsable, c'est parce qu'il est permis aux Chambres de contrôler sa conduite, et ses actes ; s'il ne l'était qu'en ce sens qu'il y a faculté pour le parlement de mettre les ministres en accusation, il est évident que MM. les ministres pourraient l'assumer sans se compromettre beaucoup ; mais dans la pratique constitutionnelle, la responsabilité ministérielle est surtout morale ; c'est-à-dire que lorsqu'un acte est blâmé par la Chambre, il y a, pour le pouvoir exécutif, obligation d'en tenir compte.

Récemment, j'ai eu l'honneur d'appuyer, d'accord avec plusieurs de mes collègues, une pétition sur laquelle rapport avait été fait dans cette enceinte et de présenter quelques observations sur l'interprétation d'une loi. Huit jours après paraissait une circulaire ministérielle qui disait exactement le contraire et qui consacrait définitivement ce qui jusqu'alors avait fait l'objet d'une controverse.

Le système de M. le ministre de l'intérieur consisterait purement et simplement à nous rendre non recevables, passez-moi cette expression de palais, à nous mêler des affaires de l'Etat. Or, cette théorie, je ne l'accepte pas et je donnerais plutôt ma démission de représentant que d'accepter une pareille position. Nous avons le droit de contrôler tous et chacun des actes de MM. les ministres ; mais c'est à condition que lorsque nous aurons blâmé ces actes, ils ne nous disent pas, comme conclusion du débat, qu'ils continueront à agir comme par le passé.

Comment ? Nous voyons un ancien membre de la députation permanente, qui a une longue expérience des affaires administratives, qui vient émettre une doctrine opposée à celle du gouvernement. Il me semble que cela mériterait au moins l'honneur.de la part du ministère, de dire : J'examinerai. Mais non, le parti est pris d'avance : « Je continuerai sous ma responsabilité, quelque chose que vous puissiez dire. »

Du reste, la conduite du gouvernement dans toute cette affaire a été au moins étrange depuis le premier jour ; et j'irai plus loin que mon honorable collègue M. Goblet, je dirai : illégale si l'on s'attache à l'esprit de la loi, lorsqu'on a annulé les élections d'Ixelles, sous prétexte de rétablir la bonne harmonie et sous prétexte, comme vient de le dire en terminant M. le ministre, de ne pas dégoûter les gardes en multipliant les élections.

C'est sous ce prétexte, qu'on ne veut pas obliger quelques officiers qui ont accepté cette mission à se réunir le nombre de fois voulu par la loi (page 894) et qu'on oblige les gardes à faire trois élections pour arriver à nommer un colonel qui ne déplaise pas à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je puis vous renvoyer l'accusation. Je crois que si celui qui vous plaisait était nommé, vous ne seriez pas cette opposition.

M. Guillery. - Mais est-ce que j'ai annulé les élections de la garde civique d'Ixelles ? Est-ce que j'ai renversé la position de qui que ce soit ?

Il est évident que si l'élection avait donné les mêmes résultats, l'acte du pouvoir exécutif eût été inopérant et que par conséquent on ne pourrait lui reprocher que de s'être exposé, suivant l'expression de M. le ministre, à dégoûter les gardes en multipliant les élections.

La conséquence n'aurait pas été plus grave ; mais lorsque M. le ministre de l'intérieur demande à un officier candidat présenté de donner sa démission en s'engageant à le nommer ensuite si une seconde fois il sort vainqueur de la lutte, je dis que lorsque le candidat s’est soumis à cette épreuve, le gouvernement ne doit pas, par une dissolution de la garde civique, renverser l'état de choses qui existe.

Je dis que la conduite du ministre peut être conforme à la lettre de la loi, mais qu'elle n'est pas conforme à l'esprit, pas plus qu'il n'est conforme à l'esprit de nos institutions, à l’esprit de la loi communale, à l'esprit de la loi sur la garde civique, de faire arrêter une administration communale, parce qu'elle a refusé, dans des circonstances que nous connaissons, d'exécuter les ordres de l'autorité.

Encore ici vous avez pour vous la lettre de la loi, d'une loi très sévère faite pour défendre le régime impérial et que vous avez exécutée d'une façon impériale ; mais vous n'avez pas pour vous l'esprit de nos institutions.

Si ce bourgmestre, qui a été arrêté par la gendarmerie, qui est un vieillard de 70 ans et qui depuis trente ans est à la tête de la commune, avait manqué à son devoir, ce que je crois, l'autorité administrative devait faire venir ce fonctionnaire respectable, respectable par ses services, respectable par son âge, respectable par la position qu'il occupe, étant élu par ses concitoyens qui, en définitive, sont les représentants de la souveraineté nationale ; elle avait à le faire venir, à lui représente les conséquences de sa conduite, à l'éclairer sur la portée de ses actes. Au lieu de cela, que s'est-il passé ? Procès-verbal des faits, que je ne veux, pas défendre, a été envoyé par le gouverneur du Brabant au parquet.

Ainsi, l'on n'a pas tenté un seul moment la voie de la conciliation. On a procédé avec toute la rigueur possible, on n'a pas eu, pour l'honorable bourgmestre et pour les échevins, pour des hommes que, quelle que soit votre opinion et quels que puissent être leurs torts, vous devez estimer, vous devez honorer, vous devez respecter, vous devez au moins traiter avec les égards que l'on a pour les voleurs, aux termes de la loi de 1852 sur la détention préventive.

D'après la tradition, d'après les usages, d'après la loi, lorsqu'un voleur, un brigand, est poursuivi, on lance contre lui un mandat de comparution, et s’il n'obéît pas à l'injonction, le juge d'instruction décerne un mandat d'amener. S'il obéit à l’injonction de la justice, après l'interrogatoire on peut convertir le mandat de comparution en un mandat de dépôt ou un mandat d’arrêt, suivant le fait dont il s'agit. Mais jamais on ne fait arrêter un homme par la gendarmerie, alors qu'on peut le faire venir officieusement.

Or ici de quoi s'agissait-il ? Vous aviez affaire à des hommes qui certainement ne vous faisaient pas craindre qu'ils quittassent le pays pour se soustraire aux poursuites que vous intentiez contre eux.

Vous ne pouviez supposer qu'un vieillard, qui peut-être n'a plus un bien grand nombre d'années à vivre, quitterait son pays, s'exilerait volontairement pour échapper à des poursuites qui ne peuvent en définitive aboutir à rien, pas plus que n’ont abouti les poursuites dans l'affaire de Couture-Saint-Germain et que n'aboutiront toutes poursuites de ce genre. Une descente de justice avait eu lieu ; on s'était emparé de tous les papiers, de toutes les pièces de conviction. L'autorité judiciaire était eu possession des délibérations incriminées. Ou n'avait donc pas à craindre qu'on fit disparaître des pièces. Il y avait à faire venir les inculpés devant le juge d'instruction, et si l'arrestation était devenue nécessaire, on pouvait transformer le mandat de comparution en mandat de dépôt.

Mais je me demande comment cette arrestation pouvait être nécessaire. Comment ! lorsque en 1852, la législature a voté il loi sur la détention préventive, ce n’était pas avec l'idée que la mise en liberté provisoire, que la faculté pour le magistrat instructeur, d'accord avec le parquet, de ne pas faire arrêter préventivement, ne pourrait pas être appliquée à des hommes comme ceux dont il s'agit ?

Mais pour qui donc cette loi était été faite ? La justice a-t-elle coutume d'avoir affaire à des hommes plus honorables, plus intéressants, plus dignes de sympathie que ceux-là ? Y en a-t-il pour lesquels elle doit témoigner plus d'égards ? Est-ce que le parquet a dans sa clientèle habituelle un choix plus honorable à faire ? Mais à qui s'appliquera donc cette loi ? Pour qui la législature l'a-t-elle votée ?

Voici, messieurs, ce que dit la loi : « Après l'interrogatoire de l'inculpé... »

Eh bien, messieurs, on se trouvait précisément dans l'un des cas prévus par l'article 3, non pas qu'il s'agisse des travaux forcés à temps, Dieu merci, jusqu'à présent le parquet n'a pas requis contre ces fonctionnaires la condamnation aux travaux forcés.Il1 s'agit du bannissement ; c'est déjà quelque chose. On veut leur appliquer l'article 124 du Code pénal qui commine le bannissement. Or, le bannissement est une peine simplement infamante et l'article 3 que je viens de citer était parfaitement applicable ici.

Les discussions qui ont eu lieu tant au sein de cette Chambre qu'au Sénat, les déclarations du ministre de la justice, les avis des personnes les plus compétentes attestent que la loi a considéré la non-arrestation comme le droit commun et la détention préventive comme étant l'exception. Voilà le principe qui a présidé à la loi. Il suffirait, messieurs, de vous lire quelques passages pour vous le prouver, mais je crois que cela est superflu. Qu'avons-nous besoin de dire que la détention est l'exception, que la mise en liberté, ou plutôt la non-détention sera le droit commun ?

Mais le fait de la non-détention fût-il l'exception, c'était encore le cas ici d'appliquer cette exception. Vous ne trouverez pas, dans toute l'histoire judicaire, un cas plus favorable aux inculpés.

On a donc, sous prétexte de rétablir la bonne harmonie dans la garde civique d’Ixelles, commencé par la dissoudre. Premier moyen pour ne pas avoir d’élections trop fréquentes, et ne pas dégoûter les gardes, on les a fait procéder trois fois à des élections.

Pour continuer à rétablir la bonne harmonie, on a fait arrêter le bourgmestre et les échevins de la commune d'Etterbeek. Il y a eu plainte déposée, envoyée par M. le gouverneur. Une fois ce fait posé, j'admets que l'autorité administrative n'est plus responsable ; c'est l'autorité judiciaire, c'est le parquet. Mais pour moi, le parquet, c'est M. le ministre de la justice. (Interruption.)

Je n'ai pas le droit, en ma qualité de représentant, d'attaquer un membre du parquet. Sous le régime constitutionnel, les ministres sont responsables. Nous n'avons pas à critiquer le pouvoir judiciaire, parce que c'est un pouvoir indépendant comme le nôtre.

Mais les officiers du ministère public sont dépendants du pouvoir exécutif, non pour les avis qu'ils donnent devant les tribunaux civils, mais pour l'exécution des lois. Ils sont aux ordres du ministre, et dès lors M. le ministre de la justice est responsable. Il peut réprimander ces officiers, la loi lui en donne le droit, s'ils agissent mal ; il peut même provoquer leur destitution.

Je ne connais de responsables que les ministres constitutionnels, et je m'adresse à eux.

Il y a donc eu un premier tort : c'a été de ne pas épuiser toutes les voies de la conciliation avant de provoquer les poursuites judiciaires et je ne comprends pas comment M. le gouverneur, représenté ici par M. le ministre de l'intérieur, également responsable des gouverneurs, a pu, sans avoir tenté la voie de la conciliation, sans avoir vu s'il ne pouvait pas éclairer ces hommes illettrés, ces hommes ne connaissant pas les lois, ne connaissant pas leurs obligations, faire parvenir la plainte au parquet.

Il y a eu ensuite, dans les poursuites judiciaires, une rigueur dont on ne peut pas se rendre compte. L'arrestation étant faite, on a maintenu cette arrestation préventive pendant plusieurs jours. Or, évidemment, si le parquet avait provoqué ou admis la mise en liberté, elle aurait été ordonnée.

Voilà, messieurs, un des incidents qui ont été provoqués par la dissolution de la garde civique, dissolution prononcée après une annulation et une démission sollicitée par le gouvernement et accordée dans l'espoir qu'au moins cette fois ou accepterait le résultat de l'élection.

Il paraît que cette fois le résultat des élections a satisfait le gouvernement, car il le témoigne en procédant aux nominations avec une précipitation tout à fait extraordinaire. Il ne se donne pas le temps d’examiner, il ne laisse pas à la députation le temps de statuer sur les réclamations qui peuvent lui être soumises il nomme à la hâte ; on croirait que le feu est à la communs d'Ixelles.

Il m'est impossible d'admettre que, pendant les dix jours donnés à la députation pour statuer sur les réclamations, il soit permis au gouvernement de nommer. La conséquence que M. le ministre indique lui-même le prouve à elle seule : si les élections étaient annulées, l'arrêté royal le serait également. Or, cette position est tout à fait anomale. Comment ! voilà un arrêté de la députation permanente qui va détruire un arrêté royal !

Mais c'est de l'anarchie, et on n'a pas plus rétabli la bonne harmonie dans l'administration que dans la garde civique d'Ixelles. Il y aura entre les arrêtés de la députation permanente et les arrêtés royaux une guerre qui ne finira pas. Voilà un arrêté royal signé et contre-signé, qui va être annulé par la députation permanente et le lendemain un autre arrêté royal annulera le premier.

Ce nouvel arrêté pourra être précédé de considérants conçus à peu près comme suit :

« Attendu que la députation permanente a fait crouler notre arrêté du...

< Nous rapportons ledit arrêté en regrettant de nous être beaucoup trop pressés. »

Outre la question de principe il y a encore, messieurs, une question de fait.

(page 895) Je comprends parfaitement que dans des circonstances extraordinaires, on procède à des nominations avant l'expiration des délais, mais dans les circonstances extraordinaires on fait ce qu'on peut et non pas ce qu'on veut. Dans les circonstances extraordinaires on prend le commandement d'office, on fait ce que l'intérêt de l'Etat exige.

Mais ici, s'il y avait lieu de faire une exception c'était en sens inverse. Il y a une réclamation contre une présentation faite par 9 voix contre 8, l'un des votants est, dit-on, porté sur les contrôles de la garde civique de Bruxelles, et c'est la veille de l'élection qu'on reçoit l'ordre de rayer cette personne pour qu'elle soit portée sur les contrôles d'Ixelles, ce qui n'empêche pas que le gouvernement ne s'est pas mêlé le moins du monde de l'élection.

On passe outre, on préjuge la question, c'est-à-dire qu'on tient la réclamation comme n'ayant aucune espèce de valeur ; mais la députation peut très bien ne point avoir, à cet égard, la même théorie que M. le ministre, la députation peut parfaitement croire qu'il ne lui est pas permis d'annuler un arrêté royal et s'il en était ainsi, que deviendrait la disposition de la loi ?

Ce serait, en définitive, le gouvernement qui aurait statué sur la réclamation.

M. le ministre nous dit qu'il a agi sous sa responsabilité ; mais qu'arriverait-il si, par exemple, les parquets exécutaient les jugements des tribunaux correctionnels avant l'expiration des délais d'appel ?

Il est évident que le droit d'appel deviendrait illusoire. Je ne puis pas comprendre un délai d'appel, un délai dans lequel on peut faire des réclamations, si l'on exécute les actes avant l'expiration de ces délais. Mais alors on peut exécuter les arrêts pendant les délais de pourvoi en cassation. Je vous demande, messieurs, où l'on irait avec un pareil système ?

Il y a si peu d'urgence à nommer les officiers de la garde civique, que l’article 53 de la loi organique porte ce qui suit : (L'orateur donne lecture de cet article.)

Ainsi, les officiers ont un mois depuis leur élection pour s'équiper et entrer en fonction. Pendant ce mois-là on peut observer tous les délais possibles sans qu'il y ait péril en la demeure.

En résumé, messieurs, je considère comme très déplorable cette affaire ; je considère comme très déplorable cette manière de rétablir la bonne harmonie dans les communes et comme très déplorable cette manière d'appliquer un Code pénal dont plusieurs articles sont virtuellement abrogés par la Constitution.

Ces articles fussent-ils applicables à des cas semblables, au moins faudrait-il, ce me semble, les appliquer avec un peu plus de douceur, avec un peu plus d'humanité, ce qui ne gâte jamais rien en administration et ce qui contribue toujours à rétablir la bonne harmonie.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La Chambre regrettera peut-être les proportions qu'a prises cette discussion. Je les regrette pour ma part, mais il ne m'est pas possible de ne pas répondre de nouveau quelques mots aux observations qui ont été faites. La principale est celle-ci, c'est que le gouvernement déclinerait en quelque sorte la compétence de la Chambre, enlèverait à la Chambre la liberté de son vote, à tel point que si un pareil système devait continuer, l'honorable membre se résoudrait à donner sa démission.

Je vous avoue, messieurs, que je suis surpris d'un pareil langage, je reconnais à tous les membres de la Chambre le droit illimité d'attaquer le ministère, d'incriminer ses actes et ceux de tous les agents de l'autorité publique, ses subordonnés ; mais j'invoque aussi le droit du gouvernement.

J'ai dit que le gouvernement agissait sous sa responsabilité, qu'il croyait avoir exécuté la loi et qu'il continuerait à l'exécuter, comme elle l'a toujours été. On vient dire que je m'insurge, en quelque sorte, contre les décisions de la Chambre ; mais où sont les décisions de la Chambre ? Vous avez exprimé votre opinion, j'ai exprimé la mienne et je crois pouvoir me placer sur la même ligne que vous, sur le terrain du droit Quand la Chambre aura statué, je respecterai sa décision comme vous deviez la respecter ; mais jusque-là vous n'avez pas le droit de m'opposer une volonté que la Chambre n'a pas exprimée.

Je continuerai à exécuter la loi en conscience, comme je la comprends, comme elle a été exécutée à toutes les époques et comme il est impossible de ne pas l'exécuter. L'honorable député de Bruxelles deviendrait demain ministre, qu'il exécuterait la loi sur la garde civique en ce qui concerne les élections, absolument comme je l'ai exécutée. Voilà ce que je lui dis.

Messieurs, on est allé invoquer un autre fait qui s'est passé dans la commune d'Etterbeek ; l'on a usé là d'une extrême rigueur, dit-on, envers des magistrats respectables, qu'il faut respecter avant tout, alors même qu'ils ne respecteraient pas la loi.

Je ne sais pas si nous sommes d'accord avec l'honorable préopinant sur les doctrines que je vais émettre ; j'espère que nous sommes d'accord mais voici mon opinion.

Je crois que dans un pays de grande liberté comme le nôtre, ce qu'on doit respecter avant tout, c'est la loi, que ceux qui doivent avait tout respecter la loi, ce sont les magistrats chargés de l'exécuter, et que quand ces magistrats donnent l'exemple de la désobéissance aux lois, ils doivent être poursuivis avec plus de rigueur que d'autres.

Messieurs, ne déshabituons pas nos populations du respect qu'elles doivent avoir pour les lois. Les lois sont la sauvegarde de la liberté. Nous devons faire tous nos efforts pour que la loi soit toujours respectée et exécutée.

Eh bien, que s'est-il passé dans la commune d'Etterbeek ? Depuis la seconde élection quinquennale, il n'a pas été possible au gouvernement de l'y mettre à exécution. Par mille et un manèges, on y a trouvé moyen de tenir en échec le gouvernement en n'exécutant pas la loi sur la garde civique. Lorsqu'on était convoqué pour les élections, on ne venait pas sur une nouvelle convocation, quelques gardes se montraient et faisaient les choix les plus dérisoires. Cet état de chose a duré plusieurs années.

Le gouvernement était à bout de moyens. C'est même un des motifs qui ont engagé le gouvernement à réorganiser la garde civique d'Ixelles à laquelle était annexée la compagnie d'Etterbeek. Lorsqu'il s'est agi de procéder aux élections d'Etterbeek pour la compagnie de cette commune, le délégué de la députation s’est présenté au local désigné pour l'élection ; les magistrats communaux, chargés de l'exécution de la loi ont tenu les portes fermées, et ont déclaré au délégué qu'il n'entrerait pas, qu'il ne leur convenait pas que les élections eussent lieu.

Le délégué, dans l'impuissance où il était d'exécuter son mandat, a dressé un procès-verbal qui a été envoyé au parquet ; le parquet a trouvé le cas assez grave pour faire procéder à l'arrestation de trois magistrats communaux. Mon honorable collègue, M. le ministre de la justice s'expliquera tout à l'heure à cet égard.

Quant à moi, je suis intervenu pour engager le parquet qui, d'ailleurs, avait fait complètement son devoir, à faire élargir le plus tôt possible ceux qui avaient été arrêtés ; le bourgmestre et un échevin ont été relâchés après deux ou trois jours ; un autre échevin est resté incarcéré quelques jours de plus. Voilà à quoi s'est réduite la persécution. Mais je ne puis pas admettre que des magistrats communaux, quelque âgés qu'ils soient, puissent impunément donner à leur commune l'exemple de la désobéissance aux lois qu'ils ont mandat d'exécuter.

Voilà ce qui s'est passé dans la commune d'Etterbeek, et je n'eusse jamais pensé que le cas fût tellement grave qu'il méritât d'être traduit à cette tribune.

Pourquoi ce fait aurait-il pu produire quelque impression ? Parce que nous vivons dans un pays de grande libéré et en même temps d'extrême tolérance. Il n'existe pas, je pense, en Europe de gouvernement qui montre plus de condescendance, plus de tolérance pour les citoyens que le gouvernement belge.

Aussi, est-il remarquable que le fait d'un bourgmestre et de deux échevins d'un village, arrêtés pendant 2 ou 3 jours, pour s'être refusés à l'exécution d'une loi, soit venu se produire devant le parlement. Cela est caractéristique pour le pays ; cela prouve que nous vivons dans un pays de grande liberté et de grande modération pour que le moindre fait de sévérité produise une certaine sensation. Voilà la seule leçon que puisse offrir le discours de l'honorable préopinant.

Mais, selon moi, on a pris trop chaudement à cœur la défense de ces magistrats communaux qui ont eu le tort de donner à leurs administrés l'exemple de la désobéissance aux lois.

On aurait voulu que le gouvernement usât des voies de conciliation à l'égard de ces magistrats. Eh bien, il est très probable que les voies de conciliation n'auraient pas abouti au résultat très prompt qui a été obtenu par une voie un peu plus rigoureuse ; il est probable que l'anarchie aurait continué de régner dans la commune, tandis qu'aujourd'hui l'ordre y est parfaitement rétabli. Les élections jugées impossibles pendant plusieurs années, se sont faites de la manière la plus régulière ; tous les gardes ont pris part à l'élection.

Par le résultat final, je ne puis que m'applaudir des résolutions auxquelles j'ai été amené dans cette affaire. Je crois que la zizanie qui existait dans la garde civique d'Ixelles viendra à cesser, et j'ai l'espérance que les élections qui auront lieu dimanche prochain mettront enfin un terme à un état de chose qui n'a que trop duré ; que les esprits se calmeront ; que ceux qui auront été vaincus dans la lutte se résigneront à leur défaite et ne viendront pas provoquer soit ici, soit ailleurs, des débats qui désormais ne pourraient avoir aucune utilité.

M. Hymans. - Messieurs, je fais partie de la garde civique d'Ixelles. (Interruption.)

Je répète que je fais partie de la garde civique d’Ixelles et j'ajoute que je regrette très vivement l'interpellation faite par l'honorable M. Goblet.

Je regrette cette motion qui fait tache d'huile, et qui, après avoir commencé par très peu de chose, s'élève au niveau d'un question constitutionnelle. Certes l'interpellation n'est pas de nature à rétablir l’harmonie dans la garde civique d'Ixelles, ou plutôt à la maintenir, car elle a été rétablie par suite des mesures prises par le gouvernement.

L'honorable M. Goblet nous a dit tout à l'heure que la commune d’Ixelles était profondément agitée, troublée depuis deux ans. La commune d'Ixelles est en effet troublée, mais le trouble ne se montre pas tout à fait aussi haut ; les divisions si regrettables qui existent dans la commune que j'habite se rattachent plutôt à l'époque des dernières élections pour les Chambres ; par suite de quelques amours-propres froissés, de quelques espérances déçues, ce qui n'était que dissentiment d'opinion, a amené des dissensions et s'est transformé en haines personnelles. (page 896) Qu'est-il arrivé alors ? Trois fois on a convoqué les gardes pour procéder aux élections.

La première fois les opérations ont été annulées, par la raison toute simple que les gardes d'Etterbeek, dûment convoqués, ne se sont pas rendus à l'élection ; les cadres se sont trouvés incomplets, on ne pouvait pas procéder à l'élection des officiers supérieurs, les opérations devaient être annulées. Une seconde fois les élections ont été annulées pour un vice de forme.

Le cas était grave ; suivant la lettre plutôt que l'esprit de la loi qui prescrit de présenter trois candidats, on avait composé la liste de trois noms, dont deux étaient ceux d’hommes de paille, afin de forcer le gouvernement de nommer celui qui était placé en tête ; le gouvernement a eu raison de ne pas céder à cette espèce de sommation qui lui était faite par le corps d'officiers et d'annuler encore cette fois les élections.

Une troisième épreuve a été faite ; qu'en est-il résulté ?

Déjà les esprits étaient plus calmes, plus éclairés ; on savait à quoi s'en tenir sur cette agitation factice qui avait pris des proportions si énormes depuis quelques mois. Deux candidats se trouvaient en présence ; le premier, dont je reconnais la parfaite honorabilité, avait été choisi à une seule voix de majorité ; à côté de lui se trouvait, comme deuxième candidat, l'ancien colonel de la légion qui pendant dix ans l'avait commandée à la satisfaction de tous les gardes. Que devait faire le gouvernement ? Devait-il donner la préférence au premier candidat, parce que le hasard de l’élection lui avait donné une voix de plus qu’au second ?

Devait-il nommer le deuxième dont le nom donnait lieu à des réclamations ? Il a mieux aimé dissoudre la garde et faire appel à la souveraineté populaire. A mon avis il a bien fait, je l'en félicite. Je ne regrette qu'une chose, c'est qu'il n'ait pas pris cette mesure plus tôt.

La discorde la plus complète régnait dans la commune. Il faut se reporter aux Guelfes et aux Gibelins, aux bleus et aux blancs du bas-empire, aux Hoeks et aux cabillauds du moyen âge, pour se faire une idée de ces divisions fâcheuses.

J'ai entendu dire par des membres respectables du conseil communal d'Ixelles qu'on en était arrivé à un système de dénonciation et d'intimidation auquel il fallait absolument mettre fin.

Ls gouvernement n'a fait qu'user de son droit dans l'intérêt de tons.

Et qu'est-il arrivé ? Les gardes ont compris que le chef d'une légion qui pouvait être appelé, dans des circonstances critiques, à jouer un rôle difficile et délicat, pour être certain du concours de ses gardes, devait, d'abord avoir été l'élu d'une grande majorité ; ils ont compris aussi qu'il fallait en finir avec ces discordes qui ne profitaient qu'aux cabaretiers.

L'immense majoré des gardes, après la dernière dissolution, n porté son choix sur des officiers qui d'avance s'étaient engagés à voter de manière à terminer le différend.

Grâce aux mesures prises par le gouvernement, la bonne harmonie s'est donc rétablie dans la commune ; il est donc extrêmement déplorable de la voir troublée de nouveau par des interpellations très légales, sans doute, mais assurément intempestives et inopportunes.

M. B. Dumortier. - L'honorable membre nous a appris qu'il faisait partie de la garde civique d'Ixelles, ensuite il nous a parlé de la lutte des moules et de cabillauds, mais je ne sais pas qui a triomphé ; on pourrait dire que c'est un argument qui arrive comme marée en carême. Mais il y a quelque chose qui me touche dans ce débat : d'après ce qu'on nous a dit, les officiers auraient émis un vote en qualité d’officiers avant la prestation de serment ; un pareil fait est une illégalité ; un officier ne peut exercer aucune fonction avant d'avoir accompli les devoirs que la loi lui impose, et en première l’un de ces devoirs se trouve la prestation de serment. L’officier est dans la condition du député qui prendrait part à un vote de la Chambre avant la prestation de serment.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est précisément sur cette comparaison que se fonde la députation pour soutenir que l'officier peut prendre part aux élections avant la prestation du serment.

M. B. Dumortier. - Un officier ne peut pas prendre part aux élections pour les grades supérieurs avant d'être investi de son pouvoir, et il n'est investi de ce pouvoir que quand il a prêté serment ; c'est une condition indispensable, comme pour les membres de la Chambre ; cela est dit dans la Constitution et dans la loi.

L'officier avant de se mettre à la tête de sa compagnie doit prêter serment ; or, quand il prend part à un vote pour la nomination des officiers supérieurs, il se met à la tête de sa compagnie ; il n'a pas plus le droit d'arriver au scrutin en qualité d'officier sans avoir prêté serment, qu'il n'aurait le droit de se mettre à la tête de sa compagnie pour lui faire faire l'exercice ; le scrutin pour la nomination des officiers supérieurs n'est pas autre chose qu'un exercice obligatoire

Si un pareil fait s'est passé, je dis qu'il est entièrement illégal, et je regrette que la députation l'ait considéré autrement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - S'il en est ainsi, les élections de toute la garde civique sont entachées d'illégalité, car toutes les députations permanentes sont d'accord.

M. B. Dumortier. - Je dis que M. le ministre de l'intérieur a le droit d'annuler de tels actes des députations, il est mieux que moi en état de les connaître.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je les approuve ces actes.

M. B. Dumortier. - Eh bien, si le gouvernement approuve ces actes, il laisse violer la loi sciemment, il manque à son devoir de gouvernement. Nous sommes dans un pays de liberté, dites-vous : cela est vrai, mais il faut que le gouvernement ait soin de faire en sorte que la loi soit exécutée, et qu'il annule les actes d'une députation qui violent la loi, comme il annule les résolvions prises dans une petite commune, en violation de la loi.

La loi est la sauvegarde de tous, elle est la même pour tous, pour les députations permanentes comme pour les communes, et c'est aux grands plutôt qu'aux petits à donner l'exemple.

Il est évident que si vous admettiez qu'un officier ne peut, avant de prêter serment, se mettre à la tête de sa compagnie pour commander, il ne peut se mettre à la tête de sa compagnie pour procéder à un vote.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais pour voter, il ne se met pas à la tête de sa compagnie.

M. B. Dumortier. - C'est en qualité d'officier qu'il prend part à l'élection du colonel et du lieutenant-colonel, et à la présentation des adjudants-majors et des quartiers-maîtres.

Vous admettez que s’il n’était pas officier, il ne pourrait prendre part au scrutin. Or, il n’’est pas officier avant d’avoir prêter serment, puisqu’il ne peut commander. S’il n’est pas officier, et s’il n'est que soldat, il ne peut pas voter, puisque ce serait un acte d'officier qu'il poserait. Il ne peut faire acte d'officier avant d'avoir prêté serment ; c'est un devoir que la loi lui impose. Le serment est le premier acte d'un officier.

Ce n'est pas de cette affaire que je voulais parler ; c'est de la question qu'a soulevée M Guillery, et que j'avais le désir de soulever moi-même. Je veux parler de l'affaire déplorable qui s'est passée dans la commune d’Etterbeek aux portes de la capitale, et qui a excité le mécontentement, je dirais même l'indignation de tous les cœurs attachés aux institutions du pays.

Je dis que si la loi communale doit être appliquée comme elle l'a été dans la commune d’Etterbeek, c'en est fait de la liberté communale dans le pays. Le bourgmestre d'Etterbeek, quand il a résisté, était-il dans son droit, ou bien avait-il tort, c'est un point que je n'examine pas ; mais ce que je sais, c'est que le gouvernement n’était pas dans sou droit : car il ne peut pas forcer les populations à aimer une institution. Le gouverneur a convoqué les habitants d'Etterbeek, pour les élections de la garde civique ; les habitants ne s'y sont pas rendus. Le gouverneur a nommé un commissaire pour faire exécuter la loi.

Ce commissaire s'est présenté ; il a trouvé la porte fermée ; il a dressé un procès-verbal qu'il a envoyé au parquet ; et immédiatement on a mis en prison, à côté de criminels, des membres d'une administration communale, un bourgmestre, des échevins. C’est la première fois depuis 1830, qu'un pareil acte a été posé ; j'espère bien que ce sera la dernière.,

Il importe que la question soulevée soit vidée en son entier ; il y va de l'intégrité de nos libertés communales qui nous sont si chères, et qui sont la base de toutes les institutions politiques du pays.

Lorsque en 1834 et 35, on a présenté la loi communale, on a proposé de donner au gouvernement le droit de destituer les bourgmestres et les échevins, le droit de les suspendre, et le droit de dissoudre les conseils communaux. La Chambre en faisant ce Code de nos libertés communales, cette seconde Constitution de la Belgique n'a pas voulu accorder un pareil pouvoir au gouvernement ; mais elle n’a pas voulu lui refuser un certain pouvoir sur les actes et sur les personnes, afin d'assurer l'exécution des lois.

Par l'article 87 de la loi communale elle a donné au gouvernement le droit d'annuler les actes des autorités communales qui sont contraires aux lois. Par l'article 88 elle lui a donné le droit d'envoyer des commissaires dans les communes où il y a résistance à la loi, pour que cette loi soit exécutée.

Ainsi donc la résistance est impossible, le Roi annule les actes des communes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et si l'on ne tient pas compte de l'annulation.

M. B. Dumortier. - L'article 88 donne alors au gouvernement le droit d'envoyer, après deux avertissements consécutifs, un commissaire placé près de l'autorité récalcitrante pour faire exécuter la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et si on le met à la porte.

M. B. Dumortier. - Qu'est-ce qui a été fait ? Le gouvernement a envoyé en qualité de commissaire dans la commune d'Etterbeek, un chef de division du département de l'intérieur.

(page 897) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable membre est dans l’erreur. Le gouvernement n'a pas envoyé de commissaire dans la commune.

M. B. Dumortier. - On n'a pas envoyé de commissaire ! Eh bien, c'est le tort qu'on a eu. (Interruption.) Il fallait en envoyer un. Que porte l'article 88 de la loi communale ? « Après deux avertissements consécutifs, constatés par la correspondance, le gouverneur, ou la députation permanente du conseil provincial, peut charger un ou plusieurs commissaires de se transporter sur les lieux, aux frais personnels des autorités communales en retard de satisfaire aux avertissements, à l'effet de recueillir les renseignements ou observations demandés, ou de mettre à exécution les mesures prescrites par les lois et règlements généraux, par les ordonnances du conseil provincial, ou de la députation permanente du conseil provincial. »

La loi est positive ; s'il se présente un cas de résistance à la lui, il faut qu'on envoie un commissaire pour la faire exécuter.

M. de Moor. - Mais à Etterbeck le commissaire a presque été hué.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On lui a fermé les pertes.

M. B. Dumortier. - Il n'avait qu'à les faire ouvrir. Il devait forcer les autorités récalcitrantes à exécuter la loi. Lorsqu'on a imposé au gouvernement le devoir et la responsabilité de l’exécution des lois, on lui a donné en même temps la force nécessaire pour qu'il puisse faite exécuter les lois ; et c'est ainsi que la loi communale l'a toujours entendu, que nous l'avons toujours entendu. Lorsque nous refusions au gouvernement l'action qu'il demandait sur les personnes, nous avons voulu lui donner une grande action sur les actes. Mais aussi nous avons voulu que dans cette action sur les actes, le gouvernement eût toutes les garanties possibles. Fallait-il pour cela envoyer dans la prison destinée aux criminels des magistrats communaux ? Je dis qu'il faudrait aller en Egypte pour trouver l'application d'un pareil régime.

Je le sais, messieurs, on invoquera les articles du Code pénal. Mais je maintiens que ces articles sont virtuellement abrogés quant aux magistrats communaux par les dispositions que nous avons introduites, et si ces articles existent encore en leur entier, je dis qu’il n'y a plus de liberté communale en Belgique.

Lisons les articles. 123 et 124 :

« Art. 123. Tout concert de mesures contraires aux lois, pratiqué, soit par la réunion d'individus ou de corps dépositaires de quelque partie de l'autorité publique, soit par députation ou correspondance entre eux, sera puni d'un emprisonnement de deux mois au moins et de six mois au plus contre chaque coupable, qui pourra de plus être condamné à l'interdiction des droits civiques et de tout emploi public, pendant dix ans au plus. »

« Art. 124. Si, par l'un des moyens exprimés ci-dessus, il a été concerté des mesures contre l'exécution des lois ou contre les ordres du gouvernement, la peine sera le bannissement.

« Si ce concert a eu lieu contre les autorités civiles et les corps militaires avec leurs chefs, ceux qui en seront les auteurs ou provocateurs seront punis de la déportation, les autres coupables seront bannis. »

Vous l’entendez, messieurs, ces dispositions punissent même du bannissement, ceux qui ont contrevenu aux dispositions de la loi ou aux ordres du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Aux ordres légaux.

M. B. Dumortier. - Eh bien, je dis qu'une pareille disposition est une disposition qui a été faite pour l'absolutisme impérial français et qui ne peut exister dans un pays de liberté comme la Belgique. Comment ! une pareille disposition serait encore en vigueur dam un pays de liberté comme le nôtre ! Il plairait à un ministre d'envoyer un ordre quelconque dans une commune, et la commune serait obligée de l'exécuter. Mais alors dites que la liberté communale n'existe plus chez nous.

Messieurs, je le répète, nous avons, par la loi communale, virtuellement abrogé ces dépositions tyranniques. Nous avons abrogé cette tyrannie comme toutes les autres tyrannies, en donnait la liberté aux communes, aux magistrats communaux.

Messieurs, encore une fois nous avons donné au gouvernement les moyens de faire respecter la loi, soit en annulant les résolutions illégales de ta commune, suit en envoyant un commissaire spécial dans la commune pour faire exécuter la loi. Mais ce n'est pas tout, la loi accorde encore au gouvernement un autre moyen, et un moyen terrible dans son emploi ; il peut demander et provoquer la démission des bourgmestres.

Eh bien, ce n'est pas à ces moyens qu'on a recours. On envoie, avec un grand appareil, la justice dans une petite commune, dans un paisible village, et en face de la population, on arrête un vieillard, l'honorable bourgmestre, et les échevins. On les traduit à la barre des criminels, on les met en prison.

Je dis que jamais pareille atteinte aux libertés publiques, aux libertés communales, n'a été commisse depuis 1830.

Je n'accuse personne, parce que je ne sais pas qui est l'auteur de cet acte. Mais je déclare que si de pareils abus pouvaient se renouveler, c'en serait fait de nos libertés publiques, et de la liberté qui nous est la plus chère à tous, de la liberté communale

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Faites donc une motion et que la Chambre prononce. C'est de l'anarchie de pareilles discussions.

M. B. Dumortier. - S'il y a quelque chose qui est de l'anarchie, ce sont vos actes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous parlez toujours de libertés. Vous leur nuisez singulièrement aux libertés, avec vos déclamations.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si la liberté communale doit être définie comme vient de le faire l'honorable M. Dumortier, je ne sais en quoi elle diffère de l'anarchie ! J'avais cru que la liberté communale consistait dans l'administration des affaires communales telle qu'elle a été réglée par les lois. Il n'en est plus ainsi. La liberté communale, selon M. Dumortier, consiste à violer la loi. La liberté communale consiste, d'après l'honorable M. Dumortier, dans le concert de mesures contraires aux lois et dans le concert de mesures contraires à l'exécution des lois.

Car, vous a-t-il dit, si les articles 123 et 124 existent encore, il n'y a plus de liberté. La liberté est donc dans le droit de résister aux lois, de concerter des mesures contraires aux lois. Il suffit de citer une pareille doctrine pour en faire justice.

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela du tout.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous avez dit que si les articles 123 et 124 sont maintenus, c'en est fait des libertés communales en Belgique Eh bien, tirez la conséquence. Que punissent les articles 123 et 124 ? Ils punissent d'une part le concert de mesures contraires aux lois, et d'autre part tout concert de mesures contraires à l'exécution des lois. Ce que je disais donc tout à l'heure est parfaitement exact, et je répète qu'il suffit de signaler une semblable doctrine pour en faire justice.

Je ne sais, pas après cela, où peut mener la tactique qui consiste ici à accuser le gouvernement dans une affaire qui, en définitive, s'est passée tout à fait en dehors de sou action, en dehors de l'action du département de l'intérieur, et en dehors de l'action du département de la justice Je n'ai pas eu à intervenir personnellement dans cette affaire, de sorte que je n'en connais pas les détails.

Je regrette de n'avoir pas été prévenu de l'interpellation qui devait être faite aujourd'hui. J'aurais eu soin de me faire renseigner complètement. Mais je crois en savoir assez pour démontrer à l'honorable M. Dumortier et à l’honorable M. Guillery que les faits sur lesquels ils raisonnent sont loin d'être exacts. Qu'est-il arrivé ?

La députation permanente a fixé un jour pour les élections de la garde civique. La députation, comme elle en a le droit, a désigné une personne pour présider à cette opération. C'était l'ancien quartier-maître, à ce que me dit mon honorable collègue. Ainsi, comme vous le voyez, c'est la députation permanente qui a fixé le jour de l'élection et qui a désigné la personne qui devait présider à l'élection.

La personne désignée se présente dans la commune, et là elle trouve le collège des bourgmestre et échevins ayant concerté des mesures pour s'opposer à l'exécution de la loi et aux ordres de la députation permanente, procès-verbal en est dressé et envoyé à l'autorité judiciaire.

Ainsi, messieurs, vous avez, d'un côté, la députation permanente, prenant des mesures que la loi lui donne le droit de prendre ; vous avez, d'un autre côté, l'autorité judiciaire qui, informée de l'existence d'un délit, en poursuit la répression ; qui de plus conforme à la loi ? Quoi de plus conforme à nos instituions ? Le parquet est saisi, il adresse l'affaire au juge d'instruction, et le juge d'instruction décerne un mandat d'amener qu'il convertit ensuite en mandat de dépôt.

Voilà les faits tels qu'ils se sont passés. Je demande aux honorables membres en quoi ils peuvent être incriminés et je leur demande en quoi le ministre peut en être responsable à un degré quelconque.

L’honorable M. Guillery voulait faire retomber la responsabilité de ces faits sur le ministre parce que le parquet est intervenu.

Mais ce n'est pas le parquet qui a ordonné l'arrestation, c'est le juge d'instruction, magistrat inamovible, agissant dans le cercle de ses attributions.

Maintenant le juge d'instruction avait-il raison ? D'abord ce n'est pas au ministre de la justice à s'immiscer dans les fonctions du juge d'instruction et à faire en quelque sorte de la justice une affaire administrative.

Je crois que la Chambre doit désirer que le ministre de la justice s'abstienne d'intervenir dans les affaires dont la justice est saisie. Semblable intervention finirait par entraîner les plus graves, les plus sérieux abus.

Maintenant le juge d'instruction a-t-il agi comme il devait le faire ? Le juge d'instruction se trouvait en présence d'une accusation qui (page 898) pouvait tomber soit sous l'application de l'article 123, soit sous l'application de l'article 124, je ne sais pas comment la plainte était formulée.

M. Guillery. - C'est l'article 124.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Eh bien, alors le juge d'instruction non seulement pouvait mais devait agir comme il l'a fait, et je ne comprends pas que l'honorable M. Guillery ne soit pas le premier à le reconnaître. L'article 124 commine des peines afflictives et infamantes.

M. Guillery. - Infamantes seulement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Dans tous les cas le juge d'instruction devait convertir le mandat d'amener en mandat de dépôt.

M. Guillery. - C'est une erreur.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Lorsqu'il ne s'agit que d'une matière correctionnelle, le juge d'instruction est {libre de ne pas convertir le mandat d'amener en mandat de dépôt ; mais dans les affaires de nature à entraîner une peine infamante, la réclusion ou les travaux forcés à temps il est tenu de le faire, à moins qu'il ne soit d'accord avec le procureur du roi.

Ainsi, messieurs, c'est l'autorité administrative et l'autorité judiciaire qui ont agi, chacune dars le cercle de ses attributions et il n'y a aucune espèce de reproche à leur adresser et beaucoup moins encore au gouvernement.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.