Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 13 mars 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 855) (Présidence de M. Orts. )

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance du 10 mars.

- La rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des membres du conseli communal de Stockheim demandent la construction d'un chemin de fer de Bilsen à Tongres. »

« Des membres du conseil communal et des habitants de Wonck présentent des observations en faveur de la demande en concession d'un chemin de fer de Liège à Tongres. »

« Mêmes observations des membres du conseil communal et d'habitants de Roclenge et de Bassenge. »

M. de Renesse. - Plusieurs communes de l'arrondissement de Tongres ; celles de Donck, de Bassenge et de Roclenge-Ogy demandent que le chemin de fer à décréter entre Liège et Tongres soit dirigé vers Glons.

Ces demandes sont surtout fondées sur ce que, dans ces communes, ainsi que dans les villages voisins s'exerce l'industrie de la chapellerie de paille, industrie qui procure l'aisance à un très grand nombre d'ouvriers ; cette industrie est assez importante, pour que la demande de ces communes mérite d'être prise en sérieuse considération ; dans ces localités si industrieuses, l'on fait des affaires, chaque année, pour plusieurs millions et il y a de nombreuses relations avec les villes de Tongres et de Liège.

J'ai donc l'honneur de proposer à la Chambra de vouloir ordonner le renvoi de ces pétitions à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

Je demande le même renvoi, pour la pétition de Stockheim qui a aussi rapport au chemin de fer à décréter sur Liége, Tongres et Bilsen.

- La proposition de M. de Renesse est adoptée.


« Le sieur Lopus, soldat congédié pour infirmité contractée au service, demande une pension. »

- Même renvoi.


« Des habitants des deux Flandres demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique aux pièces décimales françaises en or, ou que ces monnaies soient reçues, pour leur valeur nominale, dans les caisses de l'Etat, et proposent subsidiairement que le gouvernement soit autorisé à battre pour son compte et pour compte des particuliers, des monnaies d’or belges de même valeur, titre et module que l'or français. »

- Même renvoi.

M. Rodenbach. - Messieurs, la requête dont on vient de vous faire l'analyse nous a été adressée par un grand nombre de notables habitants des villes de Roulers et d’Iseghem et des communes de Rumbeke et de Waesmunster.

Les pétitionnaires entrent dans de très grands détails et avancent de nouveaux arguments en faveur de l'admission de l'or français dans notre royaume et ils demandent qu'on révoque la loi de 1850, qui n'a été présentée par M. le ministre lui-même que comme une loi d'essai.

Je demande pour cette pétition un prompt rapport ; je sais bien que l'on conclura au dépôt au bureau des renseignements, mais au moins le rapporteur fera connaître le vœu d'un grand nombre d'habitants de Roulers, ainsi que leur manière de voir sur cette grave question, qui, je 'espère, recevra une solution sous peu.

Car, conjointement avec mon honorable collègue et ami M. B. Dumortier je ne tarderai pas à présenter un projet de loi.

La proposition de M. Rodenbaech est adoptée.


« Le sieur Dumont demande que le Code pénal punisse le fonctionnaire public qui, par un rapport faux contre un de ses subordonnes, lui aura fait perdre l'estime et la considération de l'administration à laquelle il appartient. »

- Même renvoi.


« Les habitants de Hasselt appellent l'attention de la Chambre sur la perte que le système monétaire actuel fait subir aux industriels de cette ville, et demandent que les agents du trésor soient autorisés à recevoir l'or au taux légal de France jusqu'à ce qu'une loi permanente ait décidé la question monétaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Baux demande une augmentation de traitement pour les secrétaires communaux et la création d'une caisse de retraite en leur faveur. »

M. H. Dumortier. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi instituant une caisse de retraite en faveur des secrétaires communaux.

Je profite de cette occasion pour demander si cette section centrale ne pourrait pas continuer son travail ; voilà plus de deux mois que nous n'avons été réunis.

M. le président. - C'est au président de la section centrale, M, Vervoort, à régler cela d'après les convenances des membres.

- Le renvoi à la section centrale est ordonné.


« Les membres du conseil communal de Denée prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer se reliant à Morialmé pour se diriger sur la Meuse, qui a été présenté par le sieur Splingard. »

- Renvoi à la section centrale du projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Morialmé vers Givet.


« Les siens Louis-Théodore d'Arripe et Edouard-Dominique-Joseph d'Arripe, propriétaires à Biourge, nés à Amsterdam, demandent la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des industriels, commerçants et propriétaires de Jumet prient la chambre d'accorder à la Société des chemins de fer de l'Est Belge la concession de la ligne de Morialmé vers Givet. »

- Sur la proposition de M. Ch. Lebeau, renvoi à la section centrale du projet de loi.


« Des propriétaires et exploitant de minerais présentent des observations contre la pétition ayant pour objet le retrait de la loi du 2 août 1856 qui autorise la sortie des minerais oligistes et prient la Chambre non seulement de maintenir cette loi, mais encore de permettre la libre sortie des minerais hydratés.

« Le conseil communal de Rhisnes déclare adhérer à cette demande. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« M. Wasseige, retenu à Namur pour affaires indispensables, demande un congé pour la séance de ce jour. »

« M. H. de Brouckere, empêché par la mort de sa belle-mère, demande un congé de dix jours. »

- Ces congés sont accordés.


« M. de Bast, retenu pour affaires, demande un congé d'une dizaine de jours. »

- Accordé.


« M. Nélis, obligé d'assister aux séances du conseil supérieur du commerce et de l'industrie, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

« M. Van Iseghem, retenu par indisposition, demande également un congé. »

- Accordé.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II)

Motions d’ordre

M. Royer de Behr. - Si j'en crois les renseignements qui n'ont été fournis ; il serait question de réserver ou d'ajourner la discussion de (page 856) certains articles du Code pénal et spécialement des articles relatifs aux coalitions d'ouvriers.

Cette question est une des plus intéressantes que nous aurons à résoudre dans cette session. La solution en est attendue avec une certaine anxiété par la classe ouvrière et par les industriels.

J'aurai l’honneur de demander à M. le ministre de la justice ce qu'il y a de fondé dans les renseignements qui m'ont été fournis.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il ne s'est jamais agi d'ajourner indéfiniment la discussion des articles relatifs à la coalition des ouvriers. Mais en ce moment le conseil supérieur d'industrie est réuni et il s'occupe de la question. Il est naturel que le gouvernement désire connaître sa manière de voir. Il est possible que le conseil supérieur d'industrie formule son opinion avant que la Chambre n'arrive à la discussion du titre V. Il n'y aurait donc aucune espèce d'ajournement. En tout cas, s'il s'agit d'un ajournement, ce sera un ajournement de 8 à 10 jours.


M. Nothomb. - Je profiterai de la motion que vient de faire l'honorable M de Behr pour adresser une autre question à M. le ministre de la justice relativement à la discussion du chapitre sur l'usure.

Je crois savoir que M. le ministre, et en cela je l'approuve complètement, a demandé sur la question de l'usure l'avis des tribunaux, des cours d'appel et des procureurs généraux. Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il verrait quelque inconvénient à faire imprimer ces avis ou tout au moins à les déposer sur le bureau des renseignements.

Cette communication serait, je pense, de nature à nous éclairer.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Effectivement, j'ai consulté les tribunaux, les cours d'appel et les procureurs généraux. Je crois que ces renseignements sont assez volumineux, et je ne pense pas qu'il y ait lieu de les imprimer. Mais, quant à présent, je ne vois pas d'inconvénient à les déposer au bureau des renseignements. Cependant, je me réserve d'examiner.

M. Nothomb. - Il s'est présenté, il y a trois ou quatre ans, une circonstance où j'ai demandé l'avis des tribunaux, des cours d'appel et des procureurs généraux ; c'était sur la question des alliances entre les magistrats et les avocats.

A cette époque je crois avoir fait une analyse de ces rapports et j'en ai fait l'objet d'une communication à la Chambre qui en a ordonné l'impression. Ou pourrait peut-être adopter la même voie.

M. Rodenbach. - Le conseil supérieur d industrie et du commerce se réunit en ce moment, et si je suis bien informé, il s'est également occupé de cette question. Les membres de ce conseil comptent parmi eux les délégués des chambres de commerce et ils sont très compétents pour émettre une opinion.

Je suis persuadé que M. le ministre de la justice s'empressera de nous faire connaître l'opinion de ce conseil sur la grave question dont il s'agit.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La Chambre peut être convaincue que tous les documents relatifs à cette question seront mis sous ses yeux. Les chambres de commerce ont été consultées. Leurs avis ont été mis sous les yeux du conseil supérieur d'industrie et de commerce. Ce conseil s'est réuni hier ; il s'est occupé de la question ; il continuera à s'en occuper ; il formulera son opinion et cette opinion sera transmise à la chambre. Le gouvernement n'a rien à cacher, dans ces sortes de questions, ni aux représentants du pays ni au pays lui-même.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre VIII)

Discussion des articles

Titre VIII. Des crimes et des délits contre les personnes

Chapitre V. Des atteintes portées à l’honneur ou à la considération des personnes
Article 514

M. le président. - Nous reprenons la discussion des modifications au Code pénal. Il reste à voter sur l'article 514.

M. de Montpellier. - A la fin de la séance de samedi, lorsqu'il s'est agi de voter sur les amendements de MM. Nothomb et De Fré, on a demandé l'appel nominal, et l'appel nominal a constaté que ta Chambre n'était plus eu nombre. Il me semble donc que l'on ne peut pas considérer la question comme vidée en ce qui concerne ces amendements.

M. le président. - Il y a une légère erreur dans ce qui vient d'être dit : l'amendement de M. De Fré a été l'objet d'un vote, sans réclamation aucune ; lorsqu'il s'est agi de voter ensuite sur l'amendement de M. Nothomb, et lorsque l’épreuve était déjà commencée, M. Wasseige, a fait l'observation que la Chambre n'était plus en nombre ; or, il est interdit au président de lever la séance au milieu d'une épreuve. L'appel nominal n'a été demandé qu'après le vote sur l'amendement, et lorsqu'il s'est agi de voter sur l'article lui-même ; c’est cet appel nominal qui a constaté que la Chambre n’était plus en nombre.

(page 867) M. Nothomb. - Je ne veux pas prolonger ce débat ni entraîner la Chambre à une perte ce temps. Il s'agit de mon amendement, je suis prêt à le retirer, si la Chambre me permet d'ajouter un simple mot pour motiver ce retrait.

Je retire très volontiers l'amendement, et je voterai même l'autre rédaction, mais avec le bénéfice du commentaire que M. le ministre de la justice a donné de la portée de l'article 514, dans la séance du 9. Il s'agissait de savoir jusqu'à quel point il faut que l'imputation réputée calomnieuse ait porté atteinte à la considération, à la valeur morale, à l'estime d'une personne. (Interruption.) Voici ce que M. le ministre a déclaré... (Interruption.)

(page 856) M. Guillery (pour un rappel au règlement). - Messieurs, avec le système de l'honorable M. Nothomb, nous allons rentrer dans toute la discussion.

M. Nothomb. - Je retire mon amendement et je dis pourquoi.

M. Guillery. - C'est ce pourquoi qui fera renaître toute la discussion, parce que vous invoquez une opinion qui est écartée par la nouvelle rédaction. Il s'agit de savoir si l'amendement de M. Nothomb a été rejeté, oui ou non. Il me serait très agréable d'entendre les explications de l'honorable M. Nothomb, mais ces explications nous ramèneraient à une discussion qui pourrait remplir toute la séance.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La discussion a été close.

M. le président. - La discussion a été close et l'amendement a été rejeté mais la Chambre est toujours libre de rouvrir la discussion, de revenir même sur les votes antérieurs, et nul de ses membres, en ce dernier cas, ne s'y oppose.

M. E. Vandenpeereboom. - Je crois que nous n'avons qu'une chose à faire, c'est de respecter le règlement et de maintenir ce qui a été fait, samedi dernier : d’abord, on a rejeté l'amendement de l'honorable M. De Fré, sans réclamation ; on a ensuite prononcé la clôture sur l'amendement de M. Nothomb (Interruption.) Elle a été tellement prononcée, que l'amendement a été mis aux voix.

Cette remarque est venue tardivement, parce qu'on ne peut pas interrompre un vote.

Le vote, par assis et levé, a amené le rejet de l'amendement ; nous ne pouvons pas revenir sur ce vote. Il est vrai que, peu de temps après, on a procédé à un appel nominal qui a prouvé que la Chambre n'était plus en nombre ; mais il n'est pas prouvé du tout qu'au moment où l'on votait sur l'amendement, la Chambre n'y fût pas. Vous ne pouvez pas, je le répète, revenir là-dessus. Ce serait le renversement du règlement ; ce serait remettre en question ce qui a été résolu définitivement, en vertu de l'article 27 de ce règlement.

Si, au moment qu'on procède à un vote pas assis et levé, un membre doute que la Chambre soit en nombre, ce membre n'a qu'à demander l'appel nominal avec 4 de ses voisins.

- un membre. - Nous l'avons demandé.

M. E. Vandenpeereboom. - Vous l'avez demandé tardivement, puisqu'il n'a pas été accepté par le bureau.

Si, en temps utile, cinq membres avaient demandé l'appel nominal, on aurait voté, d'après ce mode, sur l'amendement de M. Nothomb ; mais rien ne prouve qu'entre les deux épreuves des membres ne soient pas sortis de la salie.

L'honorable M. Nothomb ne peut pas non plus retirer un amendement qui a été rejeté par la Chambre. Cet amendement lui a été enlevé par ce rejet, à ce point qu'il ne peut plus le représenter au second vote.

Le procès-verbal de la séance de samedi prouve que ce résultat a été régulièrement acquis. Admettre un nouveau vote sur cet amendement, ou permettre à M. Nothomb de retirer, en ce moment, cet amendement, ce serait renverser des dispositions fondamentales de notre règlement, et faire qu'il n'y aurait plus rien de certain dans les décisions de la Chambre. Je crois qu'il n'y a qu'une décision à prendre, c'est qu'il n'y pas à revenir sur le rejet de l'amendement, régulièrement opéré, en séance du 10 de ce mois.

M. B. Dumortier. - Messieurs, il y a quelque chose de contradictoire dans le discours de l'honorable préopinant : il consent bien à ce que l'honorable M. Nothomb ait la parole pour retirer son amendement, mais il la lui refuse, quand l’honorable M. Nothomb veut dire pourquoi il retire son amendement. (Interruption.)

Je n'étais pas samedi à la séance ; mais je suis convaincu que si l'amendement avait été rejeté, le président ne l'aurait pas mis aux voix aujourd'hui.

M. le président. - L'honorable M. B. Dumortier se trompe : ce qui est tout naturel, puisqu'il n'assistait pas à la séance de samedi. Voici comment les choses se sont passées ; il est inutile que M. B. Dumortier se mette involontairement à côté des faits.

La discussion a été close sans réclamation aucune, sur l'article et sur les amendements ; puis l'amendement de M. De Fré, qui s'écartait le plus de la rédaction de la commission, a été mis aux voix le premier et rejeté sans réclamation. Est venu ensuite l'amendement de M. Nothomb ; je l'ai soumis au vote par assis et levé et lorsqu'on était debout à la première épreuve, l'honorable M. Wasseige s'est écrié : « Nous ne sommes plus en nombre. » Or, comme, d'après de nombreux précédents, il est formellement interdit au président de lever la séance entre deux épreuves, il a bien fallu achever l'épreuve commencés et cette épreuve a été défavorable à l'amendement de M. Nothomb.

Il a été rejeté ; un rapport a été déposé par M. Pirmez ; puis j'ai mis aux voix l'article de la commission : on a demandé l'appel nominal ; et l'appel nominal a constaté qu'il y avait 4 membres de trop peu pour que la Chambre fût en nombre.

Voilà les faits rétablis dans leur vérité complète.

M. B. Dumortier. - Je demanda la parole. (Aux voix ! aux voix !) Il n'y a donc p us de liberté de la parole. (Interruption.)

Je parle sur le rappel au règlement. Je dis d'abord qu'on ne saurait invoquer un article ou règlement pour faire retirer la parole à l'orateur qui l'a obtenue et qui en use. M. le président a accordé la parole à l'honorable M. Nothomb ; d'après le règlement, nul ne peut se voir retirer (page 857) la parole, que s’il contrevient à un article du règlement ; or, vous ne pouvez pas citer l'article auquel l'honorable membre ne se serait pas conformé. Voilà pour le principe.

Maintenant, messieurs, il est une chose incontestable, d'après les faits tels qu'ils viennent d’être exposés par M. le président, c’est qu'on a déclaré, pendant le cours du vote, que la Chambre n'était pas en nombre, (interruption)... du moins on a réclamé sur ce que la Chambre n'était pas en nombre ; à l'instant même on a procédé à l'appel nominal ; il s'est trouvé qu'on n'était que 47 ou 50 membres.

M. le président. - On était 54 !

M. Ch. Lebeau. - Entre le dernier vote par assis et levés, un rapport avait été déposé par M. Pirmez.

M. B. Dumortier. - Je demande si en pareil cas la loyauté n'exige pas qu'on laisse M. Nothomb exposer les motifs pour lesquels il retire son amendement.

M. Dolez. - Il me semble que toute discussion est impossible sur l'amendement de M. Nothomb. Le procès-verbal de la dernière séance que vous venez d'adopter, interdit de la manière la plus complète de s'occuper encore soit de remettre aux voix, soit de retirer cet amendement. Le procès-verbal que vous avez adopté il y a dix minutes, voici ce qu'il porte : « Après des observations, l'amendement de M. Ch. Lebeau est retiré.

« Un orateur ayant été entendu, la clôture de la discussion est prononcée.

« On met aux voix l'amendement présenté par M. Nothomb, il n'est pas adopté.

« Il en est de même de l'amendement de M. De Fré. »

« M. Pirmez dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi qui apporte une modification à la loi monétaire eu ce qui concerne les monnaies d'appoint,

« Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

« Il est procédé au vote par appel nominal sur la nouvelle rédaction de l'article 514 proposée par la commission ; le résultat de l'appel nominal constate que la Chambre n'est plus en nombre ; ce vote est remis à la séance de lundi. »

C'est après la clôture de la discussion que l'amendement a été mis aux voix et rejeté, c'est même après d’autres travaux, puisque la Chambre a entendu la présentation d'un rapport par M. Pirmez, ce n'est qu'après avoir pris une décision sur l'impression et la mise à l'ordre du jour de ce rapport qu'il a été procédé à l’appel nominal ; ; et c'est alors qu'il a été constaté que. la Chambre n'était plus en nombre.

Je demande s'il est possible de parler encore de l'amendement de M. Nothomb, soit pour le mettre aux voix, soit pour le retirer, il a été définitivement rejeté ; il n'appartient plus au débat.

- Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !

M. B. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture.

Messieurs, j'ai besoin de parler, ne fût-ce que pour demander s'il est quelqu'un dans la Chambre qui ose dire qu'on était en nombre quand on a voté sur l'amendement. Si l'on n'était pas en nombre, on a émis un vote indu.

- La clôture de la discussion sur l'incident est mise aux voix et prononcée.

La nouvelle rédaction de l'article 514, proposée par la commission, est mise aux voix et adoptée.

Article 515 à 527

« Art. 515. Le coupable sera condamné à un emprisonnement d'un mois à deux ans et à une amende de cinquante francs à deux mille francs, lorsqu'il aura fait des imputations calomnieuses, soit dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits imprimés ou non, des images ou des emblèmes qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public. »

- Adopté.


« Art. 516. Sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à un an et d'une amende de cinquante francs à mille francs :

« Celui qui, par des écrits non rendus publics, mais adressés à différentes personnes, aura répandu des imputations calomnieuses ;

« Celui qui aura adressé, par écrit, des calomnieuses à la personne dont l’individu, contre lequel elles sont dirigées, est le subordonné.

« Celui qui aura fait par écrit à l'autorité une dénonciation calomnieuse. »

- Adopté.


« Art. 517. Seront punis d'un emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs :

« Ceux qui, en présence de plusieurs individus, auront proféré des calomnies, dans un lieu non public, mais ouvert à un certain nombre de personnes ayant le droit de s'y assembler ou de le fréquenter ;

« Ceux qui auront fait des imputations calomnieuses dans des écrits non rendus publics, mais adressés à la personne contre laquelle elles sont dirigées ;

« Ceux qui, dans un lieu quelconque, auront proféré des calomnies en présence de la personne offensée. »

A cet article se rattachent les amendements présentés par MM. Carlier, de Gottal et Ch. Lebeau, ainsi conçus :

« Ajouter au paragraphe 3 : Si les auteurs de ces écrits les ont communiqués & des tiers.

« Ajouter au paragraphe 4 : et devant témoins. »

La commission adopte ces amendements.

L'article ainsi modifié est mis aux voix et adopté,.


« Art. 518. La calomnie envers des fonctionnaires publics ou envers des corps dépositaires ou agents de l'autorité publique, ou envers tout autre corps constitué, sera punie de la même manière que la calomnie dirigée contre les particuliers. »

- Adopté.


« Arr. 519. Dans le cas prévu par l'article précédent, l'auteur de l'imputation sera admis à faire, par toutes les voies ordinaires, la preuve des faits imputés, sauf la preuve contraire par les mêmes voies.

« La preuve des faits imputés met l'auteur de l'imputation à l'abri de toute peine, sans préjudice des peines prononcées contre toute injure qui ne serait pas nécessairement dépendante des mêmes faits. »

- Adopté.


M. le président. - M. le ministre de la justice a proposé de faire du paragraphe dernier de l'article 520 un article séparé qui serait rédigé de la manière suivante :

« Lorsque la preuve légale des faits imputés est rapportée, s'il résulte des circonstances que le prévenu n'a fait l'imputation que dans un esprit de méchanceté, il sera puni, comme coupable de diffamation, d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de vingt-six francs à quatre cents francs ou de l'une des deux peines seulement. »

- La commission admet cette rédaction.

L'article est adopté.


« Art. 521. Quiconque aura injurié une personne, soit par des faits dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits imprimés ou non, des images ou des emblèmes qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, sera condamné à un emprisonnement de huit jours à trois mois et à une amende de cinquante francs à cinq cents francs. »

- Adopté.


« Art. 522. Sera puni d'un emprisonnement de huit jours à deux mois et d'une amende de vingt-six francs à trois cents francs, ou de l'une de ces peines seulement, celui qui aura injurié un individu dans des écrits non rendus publics, mais adressés à différentes personnes. »

- Adopté.


« Art. 523. Le coupable sera condamné à un emprisonnement de huit jours à un mois et à une amende de vingt-six francs à deux cents francs, ou à l'une de ces deux peines seulement :

« Lorsqu'il aura commis un acte injurieux dans un lieu non public, mais ouvert a un certain nombre de personnes ayant le droit de s'y assembler ou de les fréquenter ;

« Lorsque l'injure aura été faite dans des écrits non rendus publics, mais adressés à la personne contre laquelle elle est dirigée si les auteurs de ces écrits les ont communiqués à des tiers. »

- Adopté.


« Art. 524. Les injures commises envers les corps constitués, les fonctionnaires ou toutes autres personnes ayant agi dans un caractère public, seront punies de la même manière que les injures dirigées contre particuliers.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est la loi de 1831 qui est maintenue.

- L'article est adopté.

Articles 525 et 526

M. le président. - La commission propose la suppression des article 525 et 526.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est de commun accord avec le gouvernement.

- Ces articles sont supprimés.

Article 527

« Art. 527. Toutes les fois que les tribunaux prononceront pour délit de calomnie une condamnation à un emprisonnement de plus de six mois, ils pourront interdire le condamné, pendant cinq à dix ans, de l'exercice des droits énumérés à l'article 42.

- Adopté.

Article 528

M. le président. - La commission, d'accord avec M. Hymans, qui avait présenté un amendement, propose de rédiger ainsi l'article 528 :

« Les calomnies et les injures commises envers des particuliers, ne pourront être poursuivies que sur la plainte de la partie qui se prétendra offensée.

« Pourront néanmoins être poursuivies d'office les dénonciations calomnieuses prévues par l'article 516.

« En cas de calomnie dirigés contre une personne décédée, la poursuite ne pourra avoir heu que sur la plainte du conjoint survivant, soit de tout ascendant, soit de tout descendant jusqu'au troisième degré, ou à défaut de ceux-ci, sur la plainte de l'un ou de l'autre des héritiers légaux jusqu'au même degré. »

(page 867) M. Nothomb. - Messieurs, je voudrais voir la Chambre revenir, dans cette question, à la rédaction de la première commission ; elle est plus large que la rédaction de la commission actuelle et nécessairement aussi que celle de l’honorable M. Hymans.

Votre commission première avait rédigé cette disposition de la manière suivante :

« En cas de calomnie adressée à une personne décédée, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte soit du conjoint survivant, soit de tous ascendant ou descendants, ou à défaut de ceux-ci, sur la plainte de l'un ou de l'autre des héritiers légaux. »

L'honorable M. Hymans propose au contraire de n'attribuer ce droit de poursuite qu'aux descendants jusqu'au second degré et aux héritiers légaux, également jusqu'au deuxième degré. La commission est allée plus loin et étend cette faculté jusqu'aux parents du troisième degré.

La commission première, comme je viens d'avoir l'honneur de vous le rappeler, avait au contraire admis le droit de poursuite en faveur de tous les ascendants et de tous les descendants en ligne directe et de tous les héritiers légaux.

Cette rédaction était aussi la pensée de la commission de jurisconsultes qui a élaboré le Code pénal. Elle n'avait pas trouvé place dans le projet soumis au gouvernement, parce que, dans l’opinion de cette commission, elle découlait comme une conséquence obligée des principes mêmes posés en matière de calomnie. Mais à cet égard, l'opinion des hommes distingués qui ont rédigé le projet qui forme le canevas du travail en discussion, n'était pas hésitante le moins du monde.

Ils voulaient pour toute la descendance directe, comme pour tous les héritiers légaux, le droit de poursuivre la diffamation envers la mémoire des morts qui appartiennent à leur famille.

En cela, la commission qui a rédigé le projet était, du reste, d'accord avec la plupart des Codes modernes. Je n'ai pas sous la main les développements de la commission, mais la Chambre ne les a pas oubliés ; tous les Codes y sont cités. Les codes de l'Allemagne, sauf, je crois, le code prussien, admettent pour tous les descendants et pour tous les héritiers légaux d'une personne morte dont la mémoire est calomniée, le droit de poursuivre la diffamation.

Cette idée de la commission des jurisconsultes qui a élaboré le projet, a trouvé une pleine et entière adhésion dans votre première commission qui, non satisfaite de voir ainsi reconnu implicitement ce droit, a voulu, allant plus loin, eu faire l'objet de la disposition spéciale que je viens d'avoir l'honneur de vous lire, et c'est cette disposition formelle que je convie la Chambre de maintenir.

J'ai vu avec satisfaction la commission actuelle élargir l'amendement de l'honorable M. Hymans. Mais j'aurais voulu, je l'avoue, qu'elle ne s'arrêtât pas à mi-chemin et qu'elle revînt d'une manière absolue au projet des jurisconsultes et de votre commission première-

L'amendement de l'honorable M. Hymans, vous le savez, se traduit en ceci : il donne au fils le droit de poursuivre la diffamation envers la mémoire de son père, au père le droit de poursuivre la diffamation envers la mémoire du fils ; il permet au frère de rétablir la mémoire du frère.

Votre commission actuelle propose d'aller plus loin ; elle élargit, et je l'en remercie, cette proposition et elle permet au petit-fils de venger la mémoire de son grand-père, au grand-père celle du petit-fils, au neveu celle de l'oncle.

Tels sont les différents systèmes qui s'agitent devant vous.

Les deux amendements s'inspirent certainement d'un sentiment grand et élevé. Ils impliquent l'idée suivante ; l'honneur du nom, c'est le patrimoine des enfants, c'est leur bien, c'est leur propriété ; et la revendication de l'honneur du nom paternel est pour les enfants non seulement un droit, mais c'est un devoir, toujours et partout.

Voilà l'idée fondamentale ; elle est, je suis heureux de le reconnaître, grande et belle ; car est-il quelque chose de plus élevé et de plus consolant à la fois pour l’homme qui quitte cette vie, que la conviction qu'il laisse après lui des héritiers qui seront les gardiens et au besoin les vengeurs de sa mémoire ? C'est certainement là une consolation et pour ainsi dire pour celui qui meurt, la preuve sensible, la preuve matérielle que l'homme ne meurt pas tout entier.

Mais, si le principe est bon et il l'est incontestablement, tout le monde le reconnaît ; si le principe est salutaire, je ne puis comprendre, je l'avoue, pourquoi on le limite, pourquoi on le circonscrit à ce point dans sob exercice.

Si l'honneur est le bien commun de la famille, si la réputation du père est le bien le plus précieux des enfants, j'avoue que je ne conçois plus comment on restreint, comment on rétrécit le droit de maintenir intact ce bien suprême.

L'honneur n'est pas chose qui s'arré e à une génération déterminée, une chose qu'on puisse considérer comme respectable à une époque et comme indifférente à telle autre. A tous les degrés, dans tous les temps, l'honneur de la famille est un bien qui doit rester le plus intact de tous.

Or donc, messieurs, le principe étant bon, je trouve qu'il faut l'appliquer en entier, dans toute sa force, dans toute son étendue, sous peine d'être illogique.

Je comprendrais sans l'approuver, je comprendrais un système diamétralement opposé : celui de la liberté absolue, je concevrais qu'au nom de je ne sais quel fanatisme de la liberté de l'histoire, on vint réclamer pour les écrivains le droit de dire sur les morts tout ce qu'il leur plaît. Je pourrais m'expliquer un tel système, à tous points regrettable ; mais enfin il serait logique. Je comprendrais enfin que l'on vînt dire qu'un homme mort appartient tout entier, complètement au domaine public ; que, la personnalité morte, tout meurt avec elle.

C'est un système matérialiste qui a ses partisans ; et, si détestable qu'il soit, il est au moins conséquent. Mais ce que je ne m'explique plus, c'est qu'on veuille accorder une demi-liberté à l'histoire et, en même temps qu'on ne donne qu'une demi-protection à l'honneur de la famille. C'est cependant ce que l'on vous propose.

Traduisez en pratique l'amendement de l'honorable M. Hymans et celui de la commission. L'amendement de la commission accorder au petit-fils le droit de protéger la mémoire de l'aîeul, mais il ne lui donne plus le pouvoir de protéger la mémoire du bisaïeul. Pourquoi cette différence ?

L'honneur du bisaïeul est aussi précieux que celui de l'aïeul ou du père. La famille a le même intérêt à l'un et à l'autre. La morale a les mêmes exigences pour tous les deux. Je ne comprends donc pas qu'on garantisse l'honneur du père et de l'aïeul et qu'on ne garantisse pas l’honneur du bisaïeul, du trisaïeul et de tous les ancêtres.

Encore une fois, n'est-ce pas se montrer complètement inconséquent ?

Selon moi, messieurs, ce système mérite un double reproche ; il froisse, d'un côté, le sentiment le plus inné, le plus respectable de l'homme, sentiment que vous retrouvez dans toute l'humanité, chez les peuples sauvages comme chez les peuples civilisés, le respect, le culte des morts.

De l'autre côté, il est destructif de l'esprit de famille. Telle n'est certes pas la pensée des auteurs des amendements, mais ces amendements n'en ont pas moins une tendance à relâcher les liens de famille. Or, messieurs, s'il est une chose que le législateur doit cherchera maintenir par tous les moyens en son pouvoir, c'est l'esprit de famille, que le courant des institutions modernes ne tend déjà que trop à affaiblir.

En un mot, messieurs, je caractérise les amendements en disant qu'ils rompent la solidarité de la famille, et c'est à mes yeux un danger capital.

Je pourrais, messieurs, m'étendre sur ce point et entrer dans beaucoup de considérations, mais je préfère, pour épargner votre temps et ne pas vous ennuyer, vous lire une page écrite par un homme dont le nom a été cité dans cette discussion par l'honorable M. Hymans, de M. de Marchangy, dont on a qualifié les paroles de pathos ridicule.

C'est bien vite dit, messieurs, mais n'en fait pas encore qui veut de ce pathos-là. Vous en jugerez.

Dans ce que je vais avoir l'honneur de vous lire, vous trouverez tous les arguments condensés d'une manière remarquable en faveur du système que je soutiens.

Voici, messieurs, comment s'exprimait de Marchangy, avocat général à la Cour de Paris en 1825, dans un procès où il s'agissait de diffamation envers la mémoire du duc de Berry, récemment assassiné.

« La loi qui frappe le calomniateur a pour objet de réparer l'injure faite à la dignité morale des personnes, ou le tort causé à leur honneur. Un pareil intérêt cesse-t-il d'exister pour celui qui n'est plus ? Quant à nous, messieurs, nous pensons que c'est au contraire le seul intérêt qui lui survive. De tous les biens qu'il a pu posséder ici-bas, il ne lui reste que son nom, que sa mémoire ; c'est pour les livrer sans tache à la postérité qu'il a sacrifié aux dogmes sacres de la vertu, des avantages passagers et vulgaires, qu'il a négligé les chances d'une fortune périssable, qu’il a bravé les périls et le trépas. La pierre des tombeaux est-elle donc une barrière invincible qui exclue entre ce monde et l'autre les relations touchantes et religieuses, la communauté de souvenirs, les rapports intellectuels, les espérances illimitées ? Ah ! s'il en était ainsi, qu'il y aurait de choses superflues dans notre âme ! Le besoin de se survivre, le pressentiment d'un avenir, les indices d'une immortalité qui se manifestent dans les vertus et jusque dans les passions, ne seraient que des méprises, que des erreurs décevantes. La gloire, la renommée déposeraient sur cette terre d'un jour leur bilan stérile et réduites par le matérialisme à une insolvabilité complète, elles ne pourraient plus payer ni les travaux des savants, qui se (page 868) consument dans des veilles dont ils ne recueilleront pas les fruits, ni le sang que les héros versent pour la patrie, ni la mort d'un Malesherbes, trouvé coupable de vertus, ni le supplice de tant d'autres victimes d'un dévouement volontaire ou d'un devoir sublime !,..

« Loin d'être moins coupable lorsqu'elle est exercée conte les morts, la diffamation devient au contraire lâche et sacrilège. Nous le demanderons à ceux-là qui voudraient combattre notre opinion à cet égard ; ne seraient-ils pas saisis d'une juste indignation, si un diffamateur venait tracer sur le monument funèbre de ceux qu'ils regrettent, des épithètes injurieuses, des imputations atroces ? ne préféreraient-ils pas être attaqués eux-mêmes dans leurs personnes et leurs propriétés, que de voir le cercueil qu'ils ont arrosé de pieuses larmes, souillé par les venins de la calomnie ? Dans le transport de leur douleur, ils croiraient entendre ces êtres si chers leur reprocher de laisser leur réputation en proie à l'imposture et accuser une législation insensible, d'avoir circonscrit ses dispositions dans le cercle des choses matérielles.

« Puisqu'il est vrai de dire que nul individu, quelque indifférent qu'on le suppose, ne souffrira patiemment qu'on déchire la mémoire de ses amis, de ses parents, cette mémoire n'est donc pas une chimère, un vain mot ; c'est donc un bien appréciable ; un bien que, par conséquent, la loi doit défendre comme elle défend toutes les propriétés contre les entreprises illicites.

« Mais veut-on que la justice ne puisse venger que les vivants et ne peser dans sa balance que des intérêts positifs ? Eh bien, considérez la question sous un autre aspect, et voyez, non plus celui que le trépas a rendu inaccessible aux injures, mais ceux qui le représentent dans la société. Voici son fils qui regarde avec raison, comme la plus notable partie de son patrimoine, un nom recommandable et un sang dont le blâme n'a point flétri l'origine ; voici sa fille, dont la plus belle dot sera le lustre des vertus paternelles ; voici ses neveux, ses arrière-neveux, tous fiers de voir leurs jours découler d'une source honorable. Que la calomnie empoisonne cette source pure, et ce qui en est issu risquera d'être altéré. S'il était possible que le calomniateur n'eût aucune punition à craindre lorsqu'il s'adresse aux morts, il arriverait que, n'osant pas, de peur de la loi, attaquer ses ennemis vivants, il lancerait ses traits contre le tombeau des pères, afin qu'ils pussent réagir contre les enfants ; ils blesseraient les réputations par des contre-coups ; le reptile qui ne peut atteindre les branches ronge la racine, et tout l'arbre périt... »

Voilà comment M. de Marcbangy, un des maîtres de l'éloquence judiciaire qui en compte tant en France, a traité la question en principe. Je n'oserais rien ajouter à ce magnifique langage, à ces belles pensées ; je craindrais véritablement de les affaiblir. La Chambre connaît maintenant, par la lecture que je viens d'avoir l'honneur de lui faire, tout ce qu'on peut dire de plus concluant, de plus énergique en faveur du système que je défends. Et le mérite de la citation me vaudra, sans doute, j'en suis sûr, l'excuse pour sa longueur.

On fait des objections contre ce système ; je le sais, je les entends.

« C'est, nous dit-on d'abord, l'entrave à la liberté de l'écrivain. Désormais il perdra son franc-parler. Toute liberté de parole lui sera enlevée. »

On dit ensuite : « C'est jeter l'interdit sur l'histoire. Elle sera renfermée dans un cercle de fer. C'est, ajoute-t-on enfin, l'intimidation aux historiens, qui désormais n'oseront plus écrire, de crainte de la police correctionnelle. »

Voilà les objections, je ne les atténue certes point. Mais pour les faire, il faut méconnaître ou voiler le caractère vrai de l'histoire. On confond et il ne le faut pas, on confond les droits de l'histoire avec l'impunité de l'outrage et des libelles : les droits de l'histoire, personne ne sone et ne peut songer sérieusement à les contester ou amoindrir ; l'histoire échapperait toujours à toute vaine tentative de ce genre ; l'histoire ne se comprime point et ne se laisse pas confisquer.

Messieurs, on a souvent, et avec raison, comparé l'histoire à un tribunal devant lequel viennent passer hommes et faits. Eh bien, prenons la comparaison. Qu'est-ce qu'un tribunal ? C'est quelque chose de grave, de serein, d'impartial, qui n'a recours ni aux injures, ni à la diffamation. Voilà ce qu'est un tribunal ; et tel aussi doit être le rôle de l'histoire.

Ce rôle de l'histoire a été récemment tracé d'une manière admirable dans un procès qui a eu du retentissement en France et au dehors.

Ici, je me permettrai encore de vous faire une citation et cette lecture vous dira encore mieux que je ne pourrais le faire, ce que doit être le rôle de l'histoire digne de son nom.

Il s'agit du procès intenté par les héritiers du prince Eugène de Beauharnais à l'éditeur des œuvres du maréchal Marmont, duc de Raguse ; le maréchal avait, dans ses mémoires publiés après sa mort, accusé le prince Eugène, considéré comme le type de l'honneur et de la loyauté, d'avoir désobéi en 1814 aux ordres de Napoléon et d'avoir trahi la causé de la France.

La famille du prince, par ses filles et ses petits-fils, a intenté contre l'éditeur une poursuite devant la Cour d'appel de Paris. Vous allez entendre comment la cour a tracé les droits de l'historien ; l'arrêt est du 17 avril 1858 :

« Mais considérant... que si le droit de l'histoire est de juger avec une entière liberté les personnes et les choses, que si même il est consacré que lorsque, cessant d'être un juge incorruptible, et manquant aux devoirs d'impartialité, de probité, de vérité qui sont l’me de l'histoire, l'écrivain distribue l'éloge ou le blâme au gré de sa passion et de ses ressentiments, ses jugements, quelque contraires qu'ils soient à la conscience publique, ne relèvent que de l'opinion, c'est à la condition que le mensonge n'entrera pas dans son œuvre, c'est-à-dire que les faits seront rapportés avec exactitude, sans addition qui les dénature, sans retranchement des circonstances qui les expliquent et en fixent le caractère, de manière enfin que le lecteur, soit qu'il s'agisse de louer, soit qu'il s'agisse de blâmer, puisse apprécier personnellement et prononcer ;

« Qu'autrement, au lieu d'être le plus grave et le plus utile des enseignements, l'histoire se transformerait impunément en satire ; que les calomnies les plus odieuses y pourraient être accréditées et les meilleurs citoyens voués au mépris :

« Qu'un tel système est moralement et légalement impossible ; et que pour tout fait mensonger, en quelque ouvrage qu'il se soit glissé, histoire, mémoire ou libelle, la réclamation est ouverte, et que selon les cas, les tribunaux civils ou les tribunaux de répression sont chargés d'apprécier.... »

Que pourrait-on ajouter ou redire à cette description du rôle véritable de l'histoire ?

Messieurs, contrairement à ce que l'on appréhende, les poursuites de ce genre seront extrêmement rares, et les tribunaux seront toujours là pour apprécier les poursuites, car sur ce point, comme dans toute la matière de la calomnie et diffamation, il ne faut pas oublier que c'est l'intention méchante qui constituera le délit et qui seule la constituera. Il faut que les tribunaux reconnaissent chez l’écrivain la volonté méchante de diffamer la mémoire d'une personne, de nuire, par méchanceté, aux vivants sous prétexte de faire l'histoire des morts.

En dehors de cette intention, ne le perdez pas de vue, messieurs, l'écrivain, quoi qu'il puisse dire, échapperait à toute espèce de poursuite. Il y a donc ici une garantie complète, qu'il s'agisse soit d'une imputation envers la mémoire d'un mort, soit d'une imputation vis-à-vis d'une personne vivante.

Toute la crainte que l'on manifeste au sujet du système que je soutiens, c'est qu'on puisse, par ce moyen, venir attaquer les écrivains décédés depuis longtemps, s'en prendre aux historiens qui ont laissé un nom et obéir à je ne sais quelles passions de vanité ou autre.

Messieurs, vous le savez, dès que l'écrivain est mort, la poursuite contre lui devient impossible ; il n'y a plus qu'une action civile qui puisse être entamée.

Celui qui se croira lésé par l'écrit d'un historien décédé, pourra peut-être s'adresser à la justice civile, pour réclamer ou des dommages-intérêts ou une rectification ; mais il ne pourra plus s'adresser à la justice répressive ; ceci est trop élémentaire pour que j'insiste sur ce point.

L'abus n'est donc pas à craindre, pas plus qu'il ne faudrait prévoir de ces procès qui viendraient s'agiter tous les jours et détruire toute espèce de liberté historique. Nos tribunaux sauront bien faire justice de susceptibilités mal avisées, exagérées ou vaniteuses. Je termine, messieurs, par un mot. Je prie la Chambre de revenir à la rédaction première de sa commission et de ne pas gâter, si elle veut me permettre cette expression, par une étroite et mesquine application, une pensée si hautement morale, une si généreuse et grande idée, qui honorera certainement notre travail.

(page 858) M. Hymans. - Je ne comprends pas le système de l'honorable M. Nothomb, je ne le comprends pas de la part d'un jurisconsulte aussi distingué que l'honorable membre. Sa pensée se résume en ceci : Il veut tout ou rien ; il veut remonter jusque dans la nuit des temps pour venger une injure, ou bien laisser sans défense la mémoire du père, du fils, du frère de l'aïeul décédé.

Je le répète, je ne comprends pas ce système, attendu qu'on ne fait pas les lois avec des principes absolus ; si on voulait faire des lois avec de pareils principes, on établirait une guerre perpétuelle entre la société et l'individu ; tandis qu'il faut que la société soit fondée sur un contrat, sur une entente des divers intérêts qui se trouvent en présence.

Or, nous nous trouvons, cette fois, en face de deux intérêts également sacrés, le droit des familles et le droit de la postérité ; j'ai cherché à les satisfaire tous deux ; le système de M. Nothomb n'en satisfait aucun.

Le discours de l'honorable membre prouve que j'ai eu raison de proposer mon amendement, car il veut la protection absolue des morts, il reproduit le système primitif de la commission du Code pénal et de la commission parlementaire qui a examiné le projet après elle. Il adopte les principes de la législation des anciens qu'il trouve sans doute plus parfaite que la nôtre et d'après lequel la mémoire des morts était sacrée ; mais il oublie que, pour être logique, il doit ajouter à son raisonnement une seule chose, une conclusion, il doit inévitablement proposer la poursuite d'office.

En effet, s'il n'y a point d’héritiers, il n'y a pas de poursuites. Vous pouvez donc impunément calomnier, traîner dans la fange le citoyen décédé d’hier, celui que vous appeliez bienfaiteur de la patrie ; celui dont la gloire est le patrimoine, non de la famille dans un sens restreint, mais le patrimoine de la nation ; vous pourrez outrager la mémoire de cet homme, qui restera sans vengeur parce qu'il n'aura laissé un père, ni fils, ni petit-fils, ni neveu pour plaider sa cause vis-à-vis de la postérité.

Si l'on était mû par un véritable respect pour la mémoire des morts, si on la considérait comme le patrimoine de la nation, il faudrait que l'on admît le principe de l'antiquité, que l'Etat punit d'office l'injure envers la mémoire des trépassés.

Mais non ! Tout ce grand respect des morts n'existe pas ; tout se réduit à quoi ? A une simple question d'intérêt pour les vivants ; vous accordez le droit de plainte à la partie lésée, à la piété filiale, quelquefois je le veux bien, mais le plus souvent, à l'intérêt, à l'orgueil, peut-être même à la vanité.

J'ai montré dans mon premier discours jusqu'où pouvait aller ce sentiment, jusqu'où pouvait aller la jurisprudence, une fois placée sur un pareil terrain. C'est pourquoi mon amendement me paraît indispensable.

Je reconnais évidemment à celui qui porte un nom respecté le droit, je dirai même le devoir, de le défendre, mais je veux le mettre en garde contre les excès de sa propre susceptibilité, et les tribunaux contre des interprétations qui pourraient nuire, quoi qu'en dise M. Nothomb aux droits les plus légitimes de l'historien.

Sans doute j'aurais préféré que mon amendement fût beaucoup plus large, que la commission n'y apportât pas les restrictions auxquelles je me suis rallié, mais j'aime mieux le voir adopté, ainsi restreint, que de voir admettre le système absolu, que M. Nothomb emprunte à la commission.

Mon amendement est indispensable, voici pourquoi : Le Code de 1810 que nous révisons ne stipule rien pour ce qui concerne la mémoire des morts ; ils ne sont pas compris dans les personnes mentionnées à l'article 367 ; cela va de soi ; on ne peut pas exposer un mort à des poursuites criminelles ou correctionnelles ou à la haine et au mépris de ses concitoyens, d'après le système du Code pénal de 1810 ; celui qui se trouve lésé par une attaque dirigée contre la mémoire d'un parent, n'a que l'action en dommages et intérêts inscrite dans l'article 1382 du Code civil.

Mais nous introduisons un système nouveau en matière de calomnie, le système de la loi française de 1819 sur la diffamation ; nous introduisons une partie lésée, une partie qui se plaint de ce qu'un intérêt est compromis dans sa personne.

J'ai exposé la jurisprudence française, en développant mon amendement et j'ai montré où pouvait conduire un pareil système, j'en ai conclu qu'il fallait établir une limite et cette limite je l'ai proposée.

Maintenant on me dit : « Votre précaution est complètement inutile ; d’après le projet que nous discutons il faudra l'intention méchante pour constituer le délit de calomnie, et l'intention méchante n'existe pas chez l'historien.

Cette distinction, qu'on a déjà produite dans la commission du Code pénal, je n'ai pas pu l'admettre parce qu'à mon avis l'intention méchante, on la trouvera quand on voudra.

Je prends un exemple : je suppose que je raconte l'assassinat de Paul Ier, empereur de Russie ; je flétrirai ses assassins ; la calomnie n’existera pas, si je m'appelle Thiers, et que j’écrive l'histoire du Consulat et de l'Empire, mais supposez que j'aie fait un pamphlet ou un article d journal et que dans ce pamphlet ou cet article j'aie flétri les assassins de Paul Ier, en les citant nominativement, on dira certainement qu'il y a intention méchante,

C'est une question de lieu et de circonstances, subordonnée aux événements, aux incidents politiques. Un tribunal belge m'acquittera ; mais le gouvernement russe m'enverrait en Sibérie ; c'est donc bien une question de lieu, de temps et de circonstances.

Autre objection ; ou m'a dit : Vous n'avez pas besoin de cette protection, puisqu'il y a la sauvegarde du jury ; l'historien est un écrivain, et il tombe sous l'application des lois sur la presse ; en matière de presse, c'est le jury seul qui juge, par conséquent la protection sera plus grande que devant les tribunaux correctionnels,

Mais en matière d'histoire vous n'auriez pas à vous occuper que de la presse, des brochures et des journaux. Vous vous trouverez en présence du droit sacré du prédicateur dans sa chaire, du professeur dans son cours, de l'avocat dans sa plaidoirie. La sauvegarde du jury sera donc illusoire dans le plus grand nombre des cas, et je ne puis m'en contenter.

On m'a dit aussi : Vous n'avez pas besoin de cette protection ; quand il s'agit d’hommes publics, le droit de l’historien reste entier. L'homme public n'est pas plus sacré, lorsque trois générations se sont écoulées depuis sa mort, que le lendemain de sa mort ou même de son vivant.

On a évidemment le droit de le discuter ; il est du domaine de la publicité, soit, mais les vivants sont seuls juges de leur honneur ; le mort d'hier laisse après lui des intérêts sacrés, des affections qui le protègent ; tandis que celui qui est mort il y a deux siècles ne laisse pour le défendre que la vanité de ses arrière-neveux.

Et puis, à propos de l'homme public, il ne s'agit pas toujours exclusivement d'actes publics. L'homme public a sa vie privée ; cette vie privée, je le reconnais, a besoin d'une sauvegarde ; nous la donnons jusqu'au troisième degré. Si l'on allait au-delà, je ne sais plus ce qui arriverait. Aptes un certain temps il devient très difficile d'établir une distinction entre la vie publique et la vie privée. Supposez que dans un cours d'histoire on dise qu'Everard t' Serclaes, indigne descendant du héros qui sauva Bruxelles au XIVème siècle, futur malhonnête homme et un concussionnaire au XVème. N'y aura-t-il pas là atteinte à la vie privée ? Ces faits n'ont pas un caractère public ; et il se trouvera peut-être un descendant des T'Serclaes pour intenter au professeur une action en calomnie, du chef d'atteinte à la mémoire de son aïeul, au nom de cet esprit de famille qu'a fait valoir l'honorable M. Nothomb.

Enfin il y a un dernière objection. On est venu dire : Mais jamais ces cas ne se présenteront, jamais on ne réclamera contre les droits de l'historien. Pourquoi donc alors inscrit-on dans la loi le droit d'intenter l'action en calomnie ? Il me semble qu'il ne faut pas faire la loi pour des cas exceptionnels.

Il suffira, quoi qu'on en dise, de quelques discours comme celui de l'honorable M. Nothomb, de quelques commentaires comme celui de la commission qui a préparé le Code pénal, de quelques réclamations chaudes et passionnées, comme celles que nous entendrons probablement tout à l'heure, pour rendre les poursuites, très rares aujourd'hui, très fréquentes à l'avenir, pour les mettre en quelque sorte à l'ordre du jour.

Il n'est personne aujourd'hui, en Belgique, qui songe à s'inscrire en faux contre les droits de l'histoire ; mais avec le système de l'honorable M. Nothomb, s'il se trouvait dans le pays un descendant de Simon Stevin, il viendrait protester contre la qualification de traître, donnée à son aïeul, si toutefois ces attaques s'étaient produites ailleurs que dans cette enceinte.

En présence de ces considérations qui me paraissent dignes de l'attention de la Chambre, je ne puis regretter d'avoir présenté mon amendement, et il m'est impossible de le retirer. Les restrictions qui y ont été apportées par la commission sout de nature à satisfaire les susceptibilités les plus extrêmes. Je crois qu'il ne faut pas aller au-delà.

Je répète ce que j'ai dit en commençant. Vous êtes en présence de deux intérêts sacrés. L'homme qui défend la mémoire de son père, de son aïeul, remplit un pieux devoir ; lui refuser les moyens de le remplir serait un véritable déni de justice ; mais l'homme qui s'attaque à l’histoire, ne fait preuve que d'une vanité puérile, et il ne faut pas que la loi lui prête des armes.

Aussi, je craindrais en poussant les principes à l'extrême, de n'aboutir qu'à favoriser des préjugés.

M. B. Dumortier. - S'il s'agissait, dans la discussion actuelle, de porter atteinte aux droits de l'histoire, non pas de l'histoire comme l'entend l'honorable membre, mais de l'histoire vraie, de l'histoire des faits, de l'histoire d'un pays, je me rangerais à son opinion ; et je demanderais qu'on écartât complètement la disposition de la commission. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit.

Personne ne conteste le droit qu'a l'historien d'apprécier les faits de la vie pulique des hommes publics. Nous sommes tous dans notre vie publique soumis au contrôle de l'opinion publique.

Il y a donc un principe qui domine tout, c'est le contrôle du peuple sur la vie publique de ses représentants. Mais ce n'est pas de cela qu'on parle, c'est de la vie privée.

Si les paroles de l'honorable membre étaient exactes, ce ne serait pas l'amendement que vous devriez adopter, ce serait le rejet de toute la disposition.

L'honorable M. Hymans accuse mon honorable ami M. Nothomb de (page 859) manquer de logique ; mais s'il voulait lui-même être logique il devrait rejeter tout l'article. En effet il n'a pas dit un mot pour combattre le texte primitif de la commission ; il s'est jeté dans des considérations générales qui n'ont aucun rapport avec ce qu'a dit mon honorable ami M. Nothomb.

Toute cette argumentation, quelle est-elle ? C'est qu'il faut respecter les droits de l'histoire, c'est qu'il faut en un mot laisser l'historien libre. Nous sommes tous d'accord sur ce point. Si l'honorable M. Hymans a un amendement pour consacrer les droits de l'histoire, je l'engage à le formuler et je suis prêt à le signer avec lui. Mais autre chose est le droit de l'histoire, autre chose est le droit de la calomnie vis-à-vis des ancêtres. Ceci touche à une question d'ordre supérieur, à une question qui a réellement quelque chose de sacré dans les populations.

Voici ce qui me froisse dans la proposition de la commission telle qu'elle est maintenant formulée. Un acte mauvais aura été imputé à un individu. Le fils et le petit-fils de cet individu pourront déposer une plainte en calomnie contre celui qui s'est permis cette imputation. Ce n'est pas tout. Son neveu et son petit-neveu auront le même droit. Or, je demande si l'arrière-petit-fils n'est pas beaucoup plus proche de la personne accusée à tort que le petit-neveu.

M. Pirmez. - Le petit-neveu n'est pas compris dans l'article. Il ne s'agit que des parents jusqu'au troisième degré.

M. B. Dumortier. - Soit ; mais je demande si l'arrière-petit-fils n'est pas plus intéressé à défendre la mémoire de son bisaïeul que ne l'est le neveu.

Remarquez, messieurs, que la tache que l'on impute à un homme s'applique bien moins à un neveu qu'à sa descendance directe.

Le neveu peut profiter de la fortune si la personne est morte sans héritier direct, mais il n'en porte pas la tache, tandis que la descendance directe, aux yeux de l'opinion publique dans un pays constitué comme le nôtre, peut porter cette tache. Je crois donc que la rédaction première de la commission était bien préférable. Voici ce qu'était cette rédaction primitive :

« En cas de calomnie adressée à une personne décédée, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte soit du conjoint survivant, soit de tous ascendants ou descendants, ou à défaut de ceux-ci, sur la plainte de l’in ou l’autre des héritiers légaux. »

Voici comment la commission justifie cet article :

« Notre article, sous ce rapport, est général et absolu. Du reste, la commission a pensé qu'en ce qui concerne les outrages dirigés contre la mémoire des morts, la loi devait énoncer clairement les personnes qui auraient le droit de porter plainte. Ce sont celles qui sont atteintes directement dans leurs affections par des faits aussi répréhensibles. Evidemment, on ne peut calomnier ou injurier une personne décédée sans blesser profondément, son conjoint survivant, ses ascendants et descendants, et à défaut de ceux-ci, ses héritiers légaux. Il y a en cette occurrence un intérêt de famille que la loi doit protéger. Il existe d'ailleurs entre les membres d'une famille, en ce qui concerne l'honneur, une solidarité que dans l'intérêt public il est convenable de maintenir. Quel est le fils qui ne se sente outragé par des calomnies dirigées contre la mémoire de l'auteur de ses jours ? Des faits de cette nature doivent être réprimés, si l'on veut prévenir les conséquences funestes auxquelles ils peuvent donner lieu. »

Voilà ce qui se trouve dans le premier rapport signé par l’honorable M. Dotez, président, et par l'honorable M. Lelièvre, rapporteur.

Eh bien, je dois le dire, je regarde cette rédaction comme infiniment préférable.

Maintenant si l'on juge à propos d'introduire dans l'article une disposition pour sauvegarder les droits de l'histoire, je le déclare formellement, je suis prêt à le signer ; je ne demande pas mieux. Car si l'article est une arme pour les familles, il pourrait présenter quelques dangers pour l'historien. Mais ce n'est pas parce que vous vous arrêterez aux parents du troisième degré que vous aurez sauvegardé les droits de l’historien. Que résulte-t-il des paroles de l'honorable M. Hymans ? C'est qu'il ne sera permis de rien dire de quelqu'un du vivant de son petit-fils ; mais il sera permis de tout dire après la mort de ce petit-fils. Or personne ne peut penser que les droits de l'histoire ne commencent qu'après le troisième degré.

Je crois, du reste, que les droits de l'histoire sont sauvegardés. Je crois qu'ils le sont par les explications qui ont été données dans cette séance. Si ces explications ne sont pas suffisantes, je suis prêt à accepter un amendement. Mais je désire que les droits de la morale publique soient sauvegardés en faveur des descendants après le troisième degré.

M. Rodenbach. - Je crois devoir voter pour l’amendement de l'honorable M. Hymans, ou plutôt pour l'amendement de la commission. Voici pourquoi. J'énoncerai mon opinion en peu de mots.

Je suppose que nous ayons en Belgique un grand écrivain comme Voltaire, et qu'un historien dise de lui ce qu'on peut dire de Voltaire, qu'il a vendu le droit de publier ses ouvrages à trois éditeurs à la fois, en Hollande, en Suisse et en France, en donnant à chacun d'eux un droit exclusif, qu'il a posé ainsi un acte déshonnête, puisqu'il a triplé son bénéfice. Si l’amendement de la commission n'était pas adopté, on pourrait accuser cet auteur de calomnie et le condamner.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si c'est méchamment qu'il la dit.

M. Rodenbach. - Ainsi si Voltaire était Belge, celui qui énoncerait à son égard un fait vrai pourrait être poursuivi. Il y a quatre-vingt-deux ans que Voltaire est mort.

Je crois, messieurs, qu'il faut des bornes au droit des héritiers et des ascendants, et j'appuie la proposition de la commission.

M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, quelques-uns de mes collègues viennent de me poser cette question. La rédaction proposée par la commission porte que la plainte appartient aux ascendants et aux descendants jusqu'au troisième degré, et à défaut de ceux-ci, à certains parents collatéraux. Faut-il entendre par là que les collatéraux ont le droit de plainte lorsque les parents de la ligne droite n'usent pas de ce droit, ou seulement lorsqu'il n'existe ni ascendants ni descendants ?

La commission a toujours entendu ses expressions dans leur sens littéral et précis : Ce n'est qu'à défaut d'ascendants ou de descendants que les collatéraux peuvent porter plainte et non pas à défaut de plainte de leur part.

M. le président. - Je ferai remarquer à M. Pirmez que le texte porte : « à défaut de ceux-ci », et qu'il ne peut donc y avoir de doute.

M. Pirmez. - Je le crois aussi, M. le président, et c'est pour cela que la commission ne change pas la rédaction ; mais comme la question paraissait à quelques-uns de mes collègues faire quelque difficulté, j'ai cru devoir indiquer la solution qu'elle a pour nous.

M. De Fré. - Il me semble, messieurs, que les morts et les vivants sont parfaitement protégés par la rédaction de l'article 514.

On ne peut pas imputer méchamment un fait précis ni à un vivant, ni à un mort, si le fait est digne du mépris public, et si la preuve légale n'en est pas rapportée.

Le droit de l'histoire c'est d'être vrai, car sans cela ce n'est plus de l'histoire.

Je suppose que dans un journal se trouve énoncé un fait précis qui, ainsi que le dit l'article, est digne du mépris public et que ce fait précis soit produit et posé méchamment ; il est évident que, victime de la calomnie, vous aurez une action contre l'auteur de l'article ; eh bien, on ne peut pas dire contre un mort méchamment ce qui vous ne pourrez pas dire méchamment contre un vivant. Le mort, sous ce rapport, est placé tout à fait sur la même ligne que le vivant. Et l'histoire ? et le droit de l'historien ? Mais l’historien doit se conduire comme le journaliste ; non méchamment. L'histoire, c'est-à-dire le récit des faits passés, doit se faire de la même manière que le récit des faits présents.

La famille participe à la gloire de ses aïeux. Cette gloire rayonne sur elle. L'aïeul, au lieu de faire fortune, a défendu son pays, il l'a servi par des actes qui ont augmenté sa gloire, mais qui ne l'ont pas enrichi. Il ne laisse à sa postérité que ce patrimoine moral ; il ne lui a pas laissé aucun million ; eh bien, les enfants demandent à pouvoir défendre ce patrimoine, si on cherche à le leur enlever.

Si l'aïeul ou le bisaïeul est méchamment attaqué, si on articule contre lui un fait précis de nature à lui attirer le mépris public, il est évident que la famille doit avoir le droit, à quelque degré qu'elle se trouve placée, de défendre le patrimoine moral, comme d'autres défendront le champ qui depuis trois siècles est dans la famille. Mais je dis, messieurs, que quand vous citez méchamment des faits précis de nature à attirer le mépris public sur celui à qui ils sont imputés, vous ne faites pas de l'histoire. L'histoire, c'est la vérité impartiale.

Je ne vois pas, messieurs l'utilité de l'amendement. Je demande que les morts et les vivants soient placés dans le droit commun et que le mort puisse être défendu d'autant plus efficacement qu'il n'est plus là pour se défendre lui-même.

M. Hymans. - Je voudrais dire deux mots pour demander aux honorables membres ce qu'ils entendent par cet adage très commode, « le droit de 1 histoire c'est d'être vraie ! » Je me rappelle avoir lu dans un livre d'un grand écrivain, dont l'honorable M. Dumortier lui-même ne contestera pas l'autorité, dans Augustin Thierry : « On crie toujours à l'historien : Dites-nous la vérité, comme si pour être vrai il suffisait de vouloir. »

Le sens de ces paroles est certainement très profond ; l'historien peut se tromper avec d'excellentes intentions ; il peut être égaré par des documents qui ne sont pas tout à fait dignes de foi et il peut très bien aller jusqu'à prêter à un grand homme des actes qui ne lui appartiennent pas, une réputation qu'il ne mérite pas. Eh bien, je ne veux pas que l’historien qui aura ainsi commis une erreur, puisse être poursuivi comme calomniateur.

Je ne veux pas qu'on vienne faire un procès de tendance à l'historien qui s'est trompé sur le caractère d'une époque ou sur le caractère d’un homme de génie, et c'est pour cela que j'ai présenté mon amendement. Avec le système de la loi telle que vous voulez la faire adopter, quoi qu'en disent les honorables membres, et on n'a pas répondu un seul mot aux arguments que j'ai présentés à cet égard ; avec le système de la loi telle que vous la faites, le rôle de l'historien devient complètement impossible, dans les temps agités, aux époques de révolution et relativement à des faits sur lesquels l'opinion n'est pas faite. Prenons une époque qui n'est pas éloignée de nous, une époque sur laquelle on discute tous les jours dans les livres, dans les Académies, dans les universités, je veux parler de la révolution brabançonne. A propos de cette bizarre (page 860) met sanglante époque, les opinions les plus extrêmes se produisent. Nous avons vu Vaudernoot traité d'assassin, Vonck le chef du libéralisme d'alors, accusé t'c paijuie et de trahison.

Où est la vérité ? où est l'histoire ? Et puis admettez-vous que l’histoire soit plus infaillible que toute autre branche des connaissances humaines ? Evidemment non.

L'histoire peut se tromper et il faut donner à l'historien le droit d'errer, comme aux savants, comme aux orateurs, comme à tout autre écrivain.

Mais votre article, si on voulait le pousser à l'extrême, serait même une atteinte à la liberté de la presse, une limitation du droit de l'écrivain, du droit de l'orateur.

Vous ne pourrez plus parler de l'histoire du moyen âge, de l'histoire de temps plus rapproché ; car, si dans une improvisation, prononcée dans une assemblée politique, il vous échappe un mot malsonnant, prononcé méchamment sans doute, puisque il l'est dans l'intérêt de votre cause et pour nuire à la cause de vos adversaires, s'il vous échappe un mot qui puisse nuire à la réputation d'un personnage dont vous avez à vous occuper, vous serez traîné sur les bancs du tribunal correctionnel ; voilà ce que, pour ma part, je n'admettrai jamais.

M. B. Dumortier. - Messieurs, encore une fois, l’honorable membre ne s'occupe pas de la question de savoir s'il faut arrêter la répression au troisième degré ou la prolonger plus loin ; il fait la guerre à l'article en lui-même, et en faisant la guerre à l'article en lui-même, il doit, comme le disait ajuste titre l'honorable M. De Fré, faire la guerre à l'article sur la calomnie ; car les morts doivent être traités comme les vivants.

L'honorable préopinant dit qu'avec le système de 1a loi, le droit de l'historien devient impossible ; mais est-ce que le droit de l'historien sera plus grand, quand vous aurez arrêté le droit de poursuite au troisième ou au quatrième degré ?

On l'a dit avec raison, personne n'entend contester le droit de l'historien ; mais il faut que l'historien reste dans la vérité historique ; il ne faut pas que, sous prétexte de faire de l'histoire, il fasse du dénigrement et de la diffamation sur certaines personnes.

Quand il reste dans la vérité des faits historiques, il est dans son droit. C'est pour cela qu'il y a des tribunaux qui apprécieront si on a recours à eux ; c'est pour cela encore qu'on veut que l'attaque soit méchante. Je ne crois pas qu'on puisse dire que l'attaque est méchante, à cause que celui qui écrit ou qui parle est de telle ou telle opinion. La méchanceté de l'attaque découlera de toute autre considération que celle de la personne qui écrit.

C'est ainsi que l'honorable préopinant nous disait : « On ne pourra pas avancer que le descendant du grand Evrard de T'Serclaes a été condamné pour concussion. » Mais l'honorable membre perd de vue que la concussion est un fait politique ; que ce n'est pas un fait privé ; que l'historien peut très bien combattre un fait politique dans l'histoire du

M. Guillery. - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. Hymans, inspiré par le désir de sauvegarder les droits de l'historien, me paraît actuellement aller directement vers le but opposé.

Il a pris naissance, d'après ce que nous a dit l’honorable membre dans son premier discours, dans les réserves faites par l'honorable M. Lelièvre dans son dernier rapport. L'honorable rapporteur ne trouvait pas dans la rédaction de l'article 514 une garantie suffisante pour les droits de l'historien ; il croyait qu'une réserve spéciale était nécessaire de ce chef.

Au lieu de cela, nous arrivons, me paraît-il, à un système qui consisterait à lier l'historien plus que jamais ; et dans l'exemple choisi par l'honorable auteur de l'amendement, la révolution brabançonne échapperait complètement à nos appréciations, en vertu de son amendement, et non pas en vertu de l'article dont il vent atténuer la rigueur.

Il est bien évident qu'au-delà du troisième degré, les actions eu calomnie deviennent tout à fait extraordinaires. C'est précisément pour les cas où elles sont possibles que l'amendement vient les contester.

Je viens protester aussi contre l'interprétation donnée par l'honorable membre au mot « méchamment ». Les paroles qu'il a prononcées pouvaient donner lieu à de graveserreurs dans l'interprétation de la loi. Ce n'est pas ainsi que le gouvernement ni la commission ont entendu le mot « méchamment. » L'honorable membre disait :

« J'impute telle chose à Vatidernoot, dans un but méchant, puisque c'est pour nuire à nos adversaires. » Mais ce n'est pas là ce qu'on entend par intention méchante.

Je comprends parfaitement que si, voulant nuire à un particulier contre lequel j'aurais une haine mortelle, je venais, de gaieté de cœur, rechercher dans l'histoire des faits qui constateraient que sa fortune, par exemple, a une origine honteuse, il y aurait de ma part une intention méchante ; je ne le ferais pas pour éclairer mes concitoyens sur la vérité de 1’histoire ; je ne le ferais pas par esprit de parti, mais dans un esprit médian1, dans une intention méchante.

Ainsi les conséquences redoutées par l'honorable M. Hymans ne sont pas à craindre.

Si nous laissons la législation telle qu'elle est aujourd'hui, quant aux personnes décédées, je crois qu'après les explications données par l'honorable rapporteur sur la signification du mot « méchamment », il n'y a plus rien à craindre pour les droits de l'histoire. Quant aux héritiers, ils auront à intenter une action, lorsque l'attaque contre la personne d'un de leurs parents décédés rejaillira sur eux.

Et veuillez remarquer, du reste, que depuis que l'honorable M. Lelièvre faisait ses réserves en faveur de l'histoire, l'article 514 a reçu un changement de rédaction fort important, puisque le mot « considération » que l'honorable rapporteur interprétait d'une manière excessivement large, a été remplacé par l'imputation d'un « fait digne du mépris public. »

Cette expression, combinée avec le mot « méchamment », me paraît rendre tout à fait impossible la condamnation d'un historien qui aura traité l'histoire fût-ce avec passion.

- Plusieurs voix. - C'est cela !

M. Guillery. - La passion est admise ; la passion n'est pas de la méchanceté ; un homme entraîné par un esprit de parti n'est pas méchant ; c'est un homme qui apprécie l'histoire à sa manière.

M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, j'ai eu l'honneur d’indiquer à la Chambre, dans plusieurs des précédentes séances, l'importance qu 'a le mot « méchamment » dans la définition de la calomnie.

L'honorable M. Guillery vient de rappeler la portée que nous attachons à ce mot ; je dois déclarer qu'il a rendu exactement la pensée du gouvernement et de la commission.

L'honorable M. Hymans tient beaucoup aux droits de l'historien, mais je crois que dans ce débat une seule chose pourrait les compromettre, c'est le dernier discours qu'il vient de prononcer.

Ces droits pourraient être compromis si les tribunaux donnaient au projet le sens que lui donne l'honorable membre. Aussi je dois protester contre ses paroles.

Il faut qu'il soit bien reconnu, bien constaté que l'interprétation donné par l'honorable membre lui est toute personnelle, qu'elle n'est celle ni du gouvernement, ni de la commission, ni de la Chambre.

M. Dolez. - Je n'ai que deux mois à dire pour motiver l'amendement de la commission.

Je crois, comme viennent de le dire l'honorable M. Guillery et l'honorable rapporteur, que les appréhensions de M. Hymans viennent de ce qu'il a mal compris la véritable portée de notre système en matière de calomnie, avec l'introduction dans la loi du mot « méchamment », comme marquant un des éléments du délit de calomnie.

Les appréhensions qu'il vient de manifester à côté des exemples qu'il a cités, n'ont pas la moindre apparence de fondement. Mais il est un autre point de vue auquel il me semble que la limitation adoptée par la commission au droit de la famille de faire poursuivre les calomnies dirigées contre une personne morte, doit se défendre d’une manière sérieuse ; ce n’est guère que des contemporains qu’il y a lieu de redouter des appréciations et des imputations passionnées. L’impartialité de l’histoire succède aux passions, quand les contemporains des hommes et des faits ont disparu.

Il arrivera rarement qu'après la mort de contemporains, on dirige une imputation calomnieuse contre la mémoire d'un mort, de pareils faits seront extrêmement rares.

Il me semble donc que la loi pénale protège suffisamment la mémoire de ceux qui ne sont plus, quand elle accorde le droit de réclamer l'application de cette loi à ses parents jusqu'au troisième degré, c'est-à-dire à ses arrière-petits-fils en ligne directe et à ses neveux en ligne collatérale. L'honorable M. B. Dumortier faisait erreur en croyant que le projet de la commission limitait l'action aux petits-fils ; le troisième degré en ligne direxte, c'est 1'arrière-petit-fils

On ne suppute pas les degrés de la même manière en ligne directe et en ligne collatérale ; c'est ce qui a causé l'erreur dans laquelle est tombé M. B. Dumortier en présentant ses observations. Or quand il s'est écoulé un temps assez long pour que la descendance de la personne attaquée soit éteinte jusqu'à l'arrière-petit-fils, les imputations passionnées inspirées par un esprit de méchanceté ne sont plus sérieusement à craindre, et dès lors l'action pénale peut s'arrêter sans inconvénient. Je crois au contraire qu'il existerait dans la perpétuité de cette action des inconvénients plus réels.

Dans le système du Coda pénal, en matière de calomnie quand il s'agit de fans imputés à des fonctionnaires publics, la preuve des faits est admise par tous les moyens légaux, même par témoin. Je demande comment ceux qui seront poursuivis du chef de calomnies dirigées contre un ancien fonctionnaire public, pour faits relatifs à ses fonctions, pourront se défendre en prouvant les faits imputés à l'ancien fonctionnaire, alors que les générations contemporaines seront éteintes ?

Il y a là, me semble-t-il, une nécessité de limitation à cette action. Du reste si l'intérêt de la famille existait encore, il pourrait se produire par la voie de l'action civile ; nous ne limitons que l’action pénale, nous l'admettons jusqu'au troisième degré, c'est à-dire jusqu'à l'arrière-petit-fils en ligne directe et jusqu'au neveu en ligne collatérale ; aller plus loin, ce serait vouloir trop faire pour le sentiment de la famille, quelque respectable qu'il soit à mes yeux, et porter atteinte à un autre grand intérêt qu'il faut respecter, le droit d'examen des actions de ceux qui ont été fonctionnaires publics. J'engage donc la Chambre à adopter la dernière rédactin proposée par la commission.

- La clôture est prononcée.


(page 861) M. le président. - Je vais mettre d'abord aux voix l'amendement de M. Nothomb, qui est l'ancien article de la commission.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal ! l'appel nominal !

M. le président. - Cet article est ainsi conçu :

« Art. 528. Les calomnies et les délits commises envers les particuliers ne pourront être poursuivies que sur la plainte de la partie qui se prétendra offensée.

« En cas de calomnie adressée à une personne décédée, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte soit du conjoint survivant, soit de tous ascendants ou descendants ou, à défaut de ceux-ci, sur la plainte de l'un ou l’autre des héritiers légaux.

« Pourront néanmoins être poursuivies d’office les dénonciations calomnieuses prévues par l'article 516. »

- Plusieurs voix. - L'appel nominal, l'appel nominal !

M. Pirmez, rapporteur. - Je demanderai qu'on mette d'abord aux voix, par assis et levé, les deux alinéas qui ne donnent lieu à aucune difficulté et qu'on ne vote, par l'appel nominal, que sur l'autre.

M. le président. - La division est de droit.

-Les paragraphes 1 et 3 sont successivement mis aux voix et adoptés par assis et levé.


M. le président. - Il va être procédé au vote par appel nominal sur le paragraphe 2 ainsi conçu :

« n cas de calomnie dirigée contre une personne décédée, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte soit du conjoint survivant, soit de tous ascendant ou descendants ou, à défaut de ceux-ci, sur la plainte de l'un ou l'autre des héritiers légaux. »

- Le résultat de l'appel nominal constate que la Chambre n'est pas en nombre.

Ont répondu oui : M Goblet, Guillery, Mercier, Nothomb, Royer de Behr, Snoy, Tack, Vander Donckt, Van Dormael, Van Overloop, Verwilghen, Dechentinnes, De Fré, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, B. Dumortier, et Henri Dumortier.

Ont répondu non : MM. Grosfils, Hymans, Jamar, J. Jouret, Lange, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Loos, Moreau, Muller, Pirmez, Rodenbach, Saeyman, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Carlier, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Florisone, de Gottal, de Rongé, Dolez et Orts.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.