(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 847) (Présidence de M. Orts.)
M. de Florisone fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Sablon, juge de paix du canton de Jodoigne, demande que le président du tribunal civil puisse, sur simple requête, nommer un administrateur provisoire pour l'incapable qui est idiot, imbécile de naissance ou par folie accidentelle et vieillesse et pour le sourd-muet ne sachant pas écrire, et surabondamment que ce pouvoir soit conféré au conseil de famille, après production d'un certificat de médecine, appuyé d'une déclaration du collège échevinal de la commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Henri Fitzki, commissionnaire en marchandises à Anvers, né à Coblence (Prusse) demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Les secrétaires communaux dans le canton de Jodoigne demandent une loi qui fixe le minimum de leur traitement et qui organise une caisse de retraite à leur profit. »
- Renvoi à la section centrale du projet de loi instituant une caisse centrale de prévoyance pour les secrétaires communaux.
« Des habitants de Gand demandent l'abrogation des articles 414, 415 et 416 du Code pénal. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du titre V, livre II, du Code pénal.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Slaat, Jean-Joseph, brigadier à la compagnie d'ouvriers d'artillerie à Anvers »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) dépose sur le bureau :
Le budget de la dette publique pour l'exercice 1861.
Le budget des dotations.
Le budget des travaux publics.
Le budget des finances.
Le budget des non-valeurs et remboursements.
Le budget des recettes et dépenses pour ordre.
Le budget de la guerre.
Un projet de loi qui met à 1a disposition du ministre des finances un crédit de fr. 3,190 87 destiné à bonifier une partie des droits d'entrée payés sur des marchandises avariées par suite de l'incendie qui a éclaté l’entrepôt d'Anvers le 23 octobre 1859.
Un projet de loi qui alloue aux budgets du ministère des finances pour les exercices 1859 et 1860, des crédits supplémentaires jusqu'à concurrence de fr. 31,913 11 pour le magasin général du papier, le matériel, des frais d'instance, etc.
Un projet de loi qui autorise le gouvernement à vendre à main ferme à la ville de Spa une partie de bois domanial de Heid-Fanard.
Un projet de loi qui ouvre au département des affaires étrangères un crédit de 1,500,000 francs pour la construction de deux navires destinés à remplacer les deux bricks hors de service.
Un projet de loi qui supprime les octrois.
- Plusieurs membres. - La lecture
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le projet serait peu intelligible s il n'était précédé de quelques explications. Si la Chambre le permet, je les donnerai aussi brièvement que possible.
- De toutes parts. - Oui ! oui ! (Mouvement d’attention.)
Messieurs, les octrois, on ne la sait que trop, sont une plaie pour notre société. Le mal est d'autant plus sérieux qu'il s'aggrave chaque année, et que, si l'on n'y prend garde, il deviendra incurable.
Les octrois gênent les libres allures de l'industrie et du commerce ; ils font de toutes les communes qui les possèdent autant d'Etats séparés, ayant leur ligne de douane qui exige un appareil plus compliqué même que celui que l'Etat fait fonctionner à la frontière du royaume.
Il existe sur notre territoire exigu 78 lignes de douane de cette espère. Les tarifs, qui peuvent s'appliquer à 136 espaces de marchandises, comprennent :
Des droits d'entrée ;
Des droits d'expédition ;
Des droits de transit, sous le nom de « passe debout » ;
Des centimes additionnels aux droits d'octroi ;
Des droits d'entrepôt ;
Des droits sur la fabrication ou l'extraction de certains produits dans l'intérieur de la commune ;
Et, enfin, des droits de timbre.
La plupart des communes ont une enceinte formée de murs et de fossés, et il est interdit d'y pénétrer, si ce n'est par certains endroits déterminés.
Quelques-unes même de nos communes ont imaginé d'établir, pour assurer la perception de leur octroi, une double ligne de douane, de telle sorte qu'à l'intérieur même de la commune il y a un territoire réservé, dans lequel on ne peut circuler avec des marchandises soumises aux droits, que munis des documents.
La liberté individuelle est sans cesse exposée à des atteintes plus ou moins graves.
Une partie de la population est livrée à la tentation de la fraude, et, par conséquent, il naît de là une démoralisation constante et le mépris des lois. Les octrois multiplient les intérêts opposés et engendrent un antagonisme de communes à communes, qui se font entre elles une véritable guerre de tarifs.
Les octrois ne sont possibles qu'à la condition de frapper les denrées de première nécessité ; les céréales, le pain, la viande, le poisson, le combustible, donnent une notable partie des revenus des villes, c'est-à-dire que ces taxes pèsent durement sur les classes laborieuses de la société.
Les octrois sont une très lourde charge pour les campagnes : en frappant des quantités considérables de produits agricoles, ils en compriment la consommation au détriment de l'agriculteur. Celui-ci, lorsqu'il apporte ses denrées à la ville, doit faire l'avance des droits, sauf à les récupérer, s'il le peut, en les comprenant dans le prix des objets qu'il vend.
Mais la concurrence qu'il rencontre sur le marché où il se présente le contraint parfois à subir la perte de l'impôt, en réduisant une partie du bénéfice légitime auquel il avait droit de prétendre.
Ce n'est pas assez pour le campagnard. Le campagnard qui veut seulement traverser la ville est soumis à des formalités et à des taxes ; et s'il pénètre dans la ville, s'il y fait une consommation quelconque, s'il prend un verre de bière ou de genièvre, s'il achète un de ces mille objets qu'il ne peut trouver qu'en ville, il paye un impôt au profit d'une commune, sans qu'il participe aux avantages que cet impôt procure.
C'est peut-être là un des caractères les plus injustes et les plus odieux de ce genre d'impôts. Aussi en a-t-on demandé de tout temps et de toutes parts la suppression. Depuis douze ou quinze ans surtout, les, manifestations répétées de l’opinion publique n'ont pas cessé un seul jour de se faire entendre. La presse, les autorités constituées, les conseils communaux, les conseils provinciaux, le gouvernement, les Chambres législatives, tout le monde a demandé à grands cris la suppression des octrois.
Mais aucune mesure n'a été indiquée, aucun système n'a été formulé dont les pouvoirs compétents aient voulu assumer la responsabilité.
Deux modes pouvaient être suivis pour opérer cette réforme.
Il fallait ou bien l'initiative des communes, ou bien celle du gouvernement.
Les communes sont investies, en vertu de la Constitution, de pouvoirs tellement étendus en cette matière, qu'aucun obstacle légal ne semblait devoir les arrêter.
Cependant les communes n'ont rien fait ; et si elles n'ont rien fait, il n'y a pas de reproches à leur adresser à cet égard. Si elles n'ont rien fait, c'est qu'elles ne pouvaient rien faire.
Le devoir de s'occuper de cette question incombait donc au gouvernement. Nous n'avons pas reculé devant la tâche qui nous était imposée, et nous pensons avoir réussi à formuler un plan qui donne la solution du problème posé.
Assurément, messieurs, nous ne prétendons pas que la solution que nous avons à vous soumettre soit irréprochable de tout point, qu'elle ne soit pas de nature à soulever de sérieuses objections ; mais le but à atteindre est si utile, l'œuvre qu'il faut entreprendre est si difficile, on nous a regardés peut-être comme si téméraires d'avoir pensé à l'accomplir, qu'on se montrera indulgent pour des imperfections qu'avec votre concours nous réussirons sans doute à corriger.
II serait inopportun de se livrer à l'examen des mille moyens qui ont été mis en avant pour transformer, modifier, supprimer les octrois ; mais il en est un qui a paru mériter une étude approfondie : c'est le monopole du tabac. L'exposé des motifs fait connaître le résultat de l'examen auquel ce moyen a été soumis et montre que, dans la (page 848) situation actuelle, il ne pourrait pas être avantageusement introduit dans notre pays.
Un système nouveau a été soumis à de complètes investigations : c'est le monopole du sucre. Il peut être établi de deux manières : d'après l'une, il comprendrait la fabrication, le raffinage et la vente du sucre ; suivant l'autre, il se bornerait au raffinage et à la vente. Par le premier mode, on pourrait, moyennant un tarif qui ne serait pas trop élevé pour faire craindre la fraude, obtenir un produit de 12 millions. Par le second mode, dans les mêmes conditions, on obtiendrait un produit de 11 millions. Ce ne serait qu'après plusieurs années d'existence que la régie pourrait réaliser ces produits.
L'un ou l'autre de ces modes seul serait insuffisant pour résoudre la question des octrois. De plus, il y aurait là une innovation si grande dans notre régime que, jointe à la suppression des octrois, on devait craindre de ne pouvoir aboutir. Du reste, le système complètement étudié sera soumis à votre attention. Mais un examen attentif des ressources dont nous pouvons disposer, des éléments que nous possédons déjà nous a fait reconnaître que nous pouvions marcher d'un pas plus assuré vers le but auquel nous tendons.
Je vais maintenant exposer le moyen d'arriver à la solution qui a trouvé sa formule dans le projet de loi.
Il s'agit de constituer un fonds au profit des communes. Dans la prévision de l'exécution de notre plan, nous nous sommes réservé, dans le traité avec la France, la faculté de reporter à l'entrée du pays le montant des droits actuellement perçus par les villes sur les vins et les eaux-de-vie étrangères.
Le montant actuel de ce droit, et sans augmentation, forme le premier article du fonds communal. Le droit sur la fabrication de la bière se compose d'une taxe au profit de l'Etat et d'une taxe au profit de la commune dans les villes à octroi ; dans certaines villes le droit d'octroi est supérieur au droit d'accise, dans d'autres il est égal ; dans d'autres encore, il est inférieur ; il est nul enfin dans des communes qui n'ont pas d'octroi. Nous proposons de porter uniformément le droit à quatre francs par hectolitre de cuve-matière. La cuve donne un rendement double, triple, quadruple de sa capacité, suivant la qualité de la bière. Il en résulte que l'augmentation ne sera que d'une fraction de centime pour les bières ordinaires ; nous opérons de même pour le genièvre ; l'augmentation d'impôt représentera six ou huit centimes par litre de genièvre.
La loi sur les sucres exige un remaniement. Cette loi est fondée sur une supposition : c'est que le sucre de betterave et le sucre de canne se partageront la consommation dans des proportions déterminées. Si cette proportion vient à se rompre dans une forte mesure par l'envahissement de la betterave sur la canne, le revenu public est compromis. Car il y a inégalité de droits sur les deux sucres. Le droit est de 39 francs par 100 kil. de sucre de betterave ; il est de 45 fr. par 100 kil. de sucre de canne. Or, la betterave s'est développée dans des proportions très considérables.
Nous proposons un droit uniforme de 40 francs pour les deux sucres, et le minimum, qui est de 4,500,000 francs aujourd'hui, sera augmenté de 700,000 francs environ, augmentation attribuée au fonds communal.
Mais ces diverses ressources, messieurs, sont encore insuffisantes pour résoudre le problème. Nous proposons, en conséquence, d'attribuer à ce fonds 75 p. ç. du produit des droits d'entrée actuels sur les cafés. Il n'y a sous ce rapport aucun changement, pas d'augmentation de droits ; c'est le trésor qui contribue à la mesure.
Nous attribuons enfin à ce même fonds la recette nette actuelle du service des postes, revenu qui est donné presque exclusivement par les villes.
En somme, nous obtenons de la sorte un fonds de 14 millions de francs au moins, et nous le répartissons entre toutes les communes du royaume au prorata du principal de la contribution foncière sur les propriétés bâties, de la contribution personnelle et des patentes, sauf, par mesure transitoire, à ne pas donner aux communes à octroi une somme moindre que leur recette nette dans l'année 1859.
Les finances des communes à octroi ne seront donc pas compromises. Les communes maintenant affranchies de l'octroi recevront immédiatement une somme notable, et, dès la troisième année après la mise en vigueur de la loi, leur revenu de ce chef ne sera pas moindre, selon toutes les probabilités, de 3 millions de francs ; de plus, cette dotation est destinée à s'accroître d'année en année.
Une autre mesure transitoire est également indispensable pour que ce plan puisse être accompli sans froisser aucun intérêt légitime. La suppression des octrois laissera un personnel considérable sans emploi. Pendant les trois premières années de la mise en vigueur de la loi, les communes à octroi prélèveront sur le fonds communal un tantième égal à 5 p, c. de la quote-part qui leur sera attribuée, pour servir d'indemnité temporaire au personnel des octrois mis en disponibilité. Ultérieurement, ce personnel trouvera à se placer dans l'industrie, dans les affaires privées, dans les services communaux et enfin dans les administrations publiques ; au département des finances, au département des travaux publics, ce personnel pourra trouver successivement à être utilisé.
Les octrois ont produit net, en 1858, 10,876,000 fr. Les frais de perception, dans les communes à octroi, ont été de 1,229,220 fr. Dans les communes où l'octroi est affermé, nous évaluons la dépense, comprise dans le prix de fermage, à 270,780 fr. Nous avons en totalité 1,500,000 fr. De telle sorte que les taxes d'octroi ont dû produire une somme de 12,376,085 fr. brut.
D'après le plan nouveau, les contribuables n'auront plus à payer qu'une somme inférieure au produit net, soit 10,500,000 fr., et par conséquent il y aura une réduction de 2 millions de francs environ dans les charges publiques qui pèsent sur les contribuables.
Ainsi, au moyen d'une augmentation, d'ailleurs peu sensible, sur les bières et les genièvres, et d'un accroissement de produit sur le sucre avec un impôt réduit, nous arrivons, grâce à l'état prospère de nos finances, à proposer l'abolition complète des octrois.
Voyons maintenant quels sont les impôts supprimés d'après notre plan.
L'impôt sur les grains et les farines, sur le pain, qui produit près d'un million de francs, aboli ;
L'impôt sur le poisson, qui produit 319,000 fr., aboli ;
L'impôt sur le beurre et les œufs, qui s'élève à 255,000 fr., aboli ;
L'impôt sur les bestiaux, qui s'élève à 2,187,127 fr., aboli ;
L'impôt sur la viande dépecée, environ 500,000 fr., aboli ;
L'impôt sur le charbon de terre, plus d'un million de francs, aboli.
C'est enfin 5 à 6 millions d'impôts sur les objets de première nécessité dont nous venons vous proposer la suppression.
Notre plan se résume donc en ces termes :
Suppression complète et radicale des octrois ;
Réduction des charges publiques de 2 millions de francs environ ;
Abolition de 5 à 6 millions d'impôts sur des objets de première nécessité ;
Dotation de 3 millions de rente, dès la troisième année, supérieure encore après ce temps, au profit des communes rurales qui, après avoir pourvu complètement aux besoins de l'instruction primaire et de la voirie vicinale, appliqueront ce revenu nouveau à la réduction ou à la suppression des cotisations personnelles.
Nous le répétons en terminant, ce plan n'est pas parfait. Si nous pouvons l'améliorer avec votre concours, nous en serons heureux ; mais, quoi qu'il arrive, nous sommes convaincus que sur tous les bancs de cette Chambre on rendra justice à notre zèle et aux efforts que nous avons faits pour résoudre le grand et difficile problème qui nous était posé.
Voici le projet de loi :
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Sur la proposition de notre ministre des finances,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Notre Ministre des finances, présentera, en Notre nom, à la Chambre des représentants, le projet de loi dont la teneur suit :
« Chapitre premier. Abolition des droits d’octroi et attribution d’un nouveau revenu aux communes.
« Art. 1er. § 1er. Les impositions communales indirectes connues sous le nom d'octrois, sont abolies.
« § 2. Elles ne pourront être rétablies.
Art. 2. Sont attribués aux communes :
« A. Le produit net actuel des recettes de toute nature du service des postes ;
« B. Une part de 75 p. c. dans le produit du droit d'entrée sur le café et de 34 p. c. dans le produit des droits d'accise fixés par le chapitre I, sur les vins et eaux-de-vie provenant de l'étranger, sur les eaux-de-vie indigènes, sur les bières et vinaigres et sur les sucres.
« Art. 3. § 1er. Le revenu attribué aux communes par l'article 2, est réparti chaque année entre elles, d'après les rôles de l'année précédente, au prorata du principal de la contribution foncière sur les propriétés bâties, du principal de la contribution personnelle et du principal des cotisations de patentes, établies en vertu de la loi du 21 mai 1819, de la loi du 6 avril 1823 et des articles 1 et 2 de la loi du 21 janvier 1849 (Journal officiel, n°34 et n°14, et Moniteur, n°24).
« § 2. Une somme égale au quart présumé de sa quote-part dans la répartition annuelle, est versée au commencement du deuxième, du troisième et du quatrième trimestre à la caisse de chaque commune, à titre d'à-compte.
« § 3. Le quart présumé est fixé d'après les prévisions du budget des voies et moyens, quant aux droits d'accise mentionnés à l'article 2, d'après le produit net actuel des recettes de toute nature du service des postes, et le produit moyen des trois années précédentes en ce qui concerne le droit d'entrée sur le café.
(page 849) « § 4. Le solde du décompte de l'année est payé aux communes, après l'achèvement de la répartition définitive, dans les premiers mois de l'année suivante.
« Art. 4, § 1er. Lorsque la part d'une commune dans la répartition annuelle, mentionnée à l'article 3, dépassera la somme nécessaire pour satisfaire complètement aux besoins de l'instruction primaire, de la voirie vicinale, des chemins vicinaux et des autres dépenses obligatoires auxquelles elle subvient par des impositions quelconques, le conseil communal affectera l'excédant, dans l'ordre suivant, à la réduction ou à la suppression :
« 1 Des impositions communales indirectes, autres que les octrois, et des cotisations personnelles ou capitations ;
« 2° Des centimes additionnels communaux aux contributions directes ;
« 3° Des autres impositions communales.
« § 2. L'article 76, n°5, de la loi du 30 mars 1836 (Bulletin officiel, n°136) reste applicable aux délibérations du conseil communal concernant cet objet.
« Chapitre II. Modifications à quelques droits d’accise
« A. Vins et eaux-de-vie provenant de l'étranger.
« Art. 5. § 1er. Les droits d'accise sur les vins et les eaux-de-vie provenant de l'étranger, sont augmentés dans une proportion égale au droit d'octroi moyen réparti sur la consommation totale du royaume, d'après les faits constatés pour l'année 1858.
« § 2. Le gouvernement déterminera le taux des nouveaux droits à percevoir.
« B. Eaux-de-vie indigènes.
« Art. 6. § 1er. Le droit d'accise établi sur la fabrication des eaux-de-vie par la loi du 27 juin 1842 modifiée (Moniteur de 1853, n_227) et la loi du 30 novembre 1854 (Moniteur, n°335), est fixé à 2 fr. 45 c. par hectolitre de contenance des vaisseaux imposables.
« § 2. Ce droit est porté à 3 fr. 85 c. lorsqu'il est fait usage de fruits secs, mélasses, sirops ou sucres.
« Art. 7. Le taux de la décharge est fixé à 38 francs par hectolitre d'eau-de-vie à 50 degrés Gay-Lussac, à la température de 15 degrés centigrades.
« Art. 8. La quotité de l'accise établie par la loi du 27 juin 1842 modifiée (Moniteur de 1853, n° 227), sur la macération, la fermentation et la distillation des fruits à pépins et à noyaux, sans mélange d'autres matières produisant de l'alcool, est portée à 1 franc 85 centimes par hectolitre. »
« C. Bières et vinaigres.
« Art. 9. § 1er. Le droit d'accise établi sur la fabrication des bières et vinaigres par la loi du 2 août 1822 (Journal officiel, n°32), modifiée par la loi du 24 décembre 1853 (Moniteur, n°362), est fixé à quatre francs.
« § 2. Le taux de la décharge, ainsi que les réductions accordées aux vinaigriers sur le montant de l'accise, sont maintenus dans la proportion existant aujourd'hui. »
« D. Sucres.
« Art. 10. Par modification aux lois du 18juin 1849 et du 15 mars 1856 (Moniteur, n°171 et n° 80), le droit d'accise sur les sucres bruts est fixé à 40 francs par cent kilogrammes.
« Art. 11. § 1er. Le minimum de la recette trimestrielle, fixé à 1,125,000 francs par le § 1er de l'article 4 de la loi du 15 mars 1856, est porté à 1,300,000 francs.
« § 2. Lorsque la moyenne de la consommation de trois années consécutives, du 1er juillet d'une année au 30 juin de l'année suivante, est supérieur à 16,690,000 kilogrammes de sucre, le minimum de 1,300,000 francs est augmenté de 45,000 francs par quantité de 500,000 kilogrammes formant l'excédant.
« § 3. A l'expiration du premier semestre de chaque année, un arrêté royal constate cette moyenne, en prenant pour base, d'une part, la différence entre les quantités de sucre brut déclarées en consommation (déduction faite de 3 p. c. pour déchet au raffinage) et, d'autre part, les quantités de sucre exportées ou déposées en entrepôt public avec décharge de l'accise.
« § 4. Cet arrêté détermine le montant du minimum qui doit être perçu à partir du 1er juillet de l'année courante, jusqu'au 30 juin de l'année suivante.
« Art. 12. La décharge de l'accise, en apurement des comptes ouverts aux raffineurs et aux fabricants raffineurs, est fixée par cent kilogrammes comme il suit :
« 1° A 55 fr. 50 cent. pour le sucre candi sec, dur et transparent, reconnu tel par les employés, et à 50 francs pour les autres sucres de la catégorie A, mentionnés à l'article 5 de la loi du 18 juin 1849.
« 2° Au montant de l'accise pour les sucres de la catégorie B.
« Art. 13. Sont abrogés :
« La loi du 24 décembre 1853 (Moniteur, n° 562), sur les vins ;
« La loi de la même date, sur les bières et vinaigres ;
« Les articles 3 et 4 de la loi du 30 novembre 1834 (Moniteur, n°335) ;
Les articles 2 à 4 de la loi du 15 mars 1856 (Moniteur, n°80).
« Chapitre III. Dispositions transitoires.
« Art. 14. § 1er. Le revenu attribué aux communes par l'article 2 est fixé, au minimum, de 12,500,000 fr., pour la première année de la mise en vigueur de la présente loi.
« § 2. La quote-part assignée à une commune par la répartition faite en vertu de l'article 3, ne peut être inférieure au revenu qu'elle a obtenu des droits d'octroi pendant l'année 1859, déduction faite des frais de perception et des restitutions allouées à la sortie.
« § 3. Sont assimilés sous ce rapport aux droits d'octroi les taxes directes perçues pour en tenir lieu dans les parties extra muros de certaines villes.
« Art. 15. § 1er. Pendant trois années à partir de la mise en vigueur de la présente loi, il pourra être alloué aux communes une indemnité du chef des traitements d'attente à payer éventuellement aux agents du service des octrois qui resteraient sans emploi.
« § 2. Cette indemnité sera prélevée sur le revenu attribué aux communes par l'article 2 et ne pourra excéder 5 p. c. de chaque quote-part dans la répartition. Elle sera fixée par le gouvernement sur l'avis de la députation du conseil provincial.
« Art. 16. § 1er. Les nouveaux droits d'accise sont applicables, savoir :
« a. Pour les vins, les eaux-de-vie, et le sucre brut, provenant de l'étranger, aux quantités déclarées à l'importation ou à la sortie d'entrepôt à partir du jour où la présente loi sera obligatoire ;
« b. Pour les eaux-de-vie indigènes, aux travaux de fabrication effectués à partir dudit jour ; les déclarations de travail en cours d’exécution cesseront leurs effets la veille à minuit ;
« c. Pour les bières et vinaigres, aux brassins commencés après la mise en vigueur de la présente loi ;
« d. Pour les sucres de betterave indigènes, aux quantités prises en charge à la défécation à partir de la même époque.
« § 2. Les sucres de betterave placés sous le régime de l'entrepôt fictif seront passibles de l'impôt établi au moment où ils ont été emmagasinés, quelle que soit l'époque à laquelle ils seront déclarés en consommation.
« § 3. La décharge des droits en cas d'exportation, de dépôt en entrepôt ou de transcription, sera imputée sur les termes de crédit dont l'échéance est la plus prochaine et sera calculée d'après le taux ancien ou nouveau, selon que la prise en charge aura été établie avant ou depuis le changement du taux de l'accise.
« Chapitre IV. Dispositions générales.
« Art. 17. § 1er Le gouvernement est autorisé à prendre des mesures ultérieures pour assurer la perception des droits établis par la présente loi.
« § 2. Les contraventions aux arrêtés royaux prescrivant ces mesures seront punies de l'amende fixée par le troisième alinéa de l'article 10 de la loi du 9 juin 1853 (Moniteur, n°172).
« § 3. Ces arrêtés seront soumis aux Chambres législatives avant la fin de la session, si elles sont réunies ; sinon, dans la session suivante.
« Art. 18. Un arrêté royal fixera la date de la mise en vigueur de la présente loi.
« Donné à Laeken, le 9 mars 1860.
« Léopold.
« Par le Roi : Le ministre des finances, Frère-Orban. »
(page 830) M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, la commission chargée de la révision du Code pénal vient d'examiner les deux amendements déposés dans la séance d'hier et qui apportent des modifications à la définition de la calomnie.
Voici, messieurs, la définition telle que la commission la soumettait à la Chambre au commencement de la séance d'hier :
L'honorable M. Nothomb a proposé de dire :
« Est coupable du délit de calomnie celui qui, dans les cas ci-après indiqués, a méchamment imputé à une personne un fait précis qui serait de nature à porter atteinte à l'honneur de cette personne ou à l'estime dont elle jouit, et dont la preuve légale n'est pas rapportée. »
Le but de cet amendement, messieurs, est d'indiquer qu'il n'est pas nécessaire, pour que le délit de calomnie existe, que l'estime dont jouit la personne attaquées fût complètement détruite.
D'autre part, MM. Guillery et Muller ont proposé de rétablir, dans l’article, les expressions du Code de 1810, et de remplacer ces termes : « ou de lui enlever l'estime publique, » par ceux-ci : « de l'exposer au mépris de ses concitoyens. »
M. le ministre de la justice ainsi que MM. Guillery et Nothomb ont été entendus par la commission.
La commission, messieurs, après un débat approfondi et après avoir soigneusement examiné toutes les nuances délicates que présente cette matière, a l'honneur de vous proposer la rédaction suivante :
« Est coupable du délit de calomnie celui qui, dans les cas ci-après indiqués, a méchamment imputé à une personne un fait précis digne du mépris public ou qui serait de nature à porter atteinte à l'honneur de cette personne et dont la preuve légale n'est pas rapportée. »
Vous le voyez, messieurs, la nouvelle rédaction maintient tous les termes de l'article qui précédemment n’ont fait l'objet d'aucune critique.
Quant aux termes servant à déterminer le fait imputé et qui ont soulevé un si long débat, ils sont remplacés par ceux-ci : « digne du mépris public. »
Voici, messieurs, les considérations qui ont déterminé votre commission à vous proposer la rédaction que je viens de vous faire connaître.
Le terme « mépris public » offre cet avantage d'avoir déjà été employé dans la législation existante. Mais, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de le faire observer à la Chambre, la disposition du Code en vigueur a donné lieu à cette critique de ne pas apprécier le fait imputé, en lui-même, mais d’en mesurer la gravité d'après l'influence qu'il doit avoir sur l'opinion publique.
La commission a pensé qu'il faut apprécier la gravité de l'imputation par des considérations plus élevées, qu'il faut la juger non par l'impression qu'elle peut produire en raison de sentiments passagers, mais en elle-même et d'après les principes éternels de justice et d'honneur.
La commission propose donc de déclarer qu'il y a calomnie lorsque le fait est, par lui-même et abstraction faite des circonstances de lieu ou de temps, digne du mépris public ; cette définition rend inutile la solution de la question toute théorique, soulevée hier par l'honorable M. Muller, celle de savoir si l'estime est ou non divisible.
Votre commission croit que la définition qu'elle a l'honneur de vous proposer est assez étendue pour protéger utilement la réputation des citoyens, assez étroite pour que l'abus ne soit pas à redouter.
Elle a la confiance que les tribunaux, par la sagesse avec laquelle ils appliqueront la loi, sauront donner sa véritable portée à l'œuvre du législateur.
M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, voire commission avait non seulement à examiner les amendements qui ont été présentés sur la définition de la calomnie ; mais, en outre, elle avait à s'occuper d'autres amendements dont je vais avoir l’honneur d'entretenir la Chambre.
MM. Carlier, de Gottal et Ch. Lebeau ont proposé à l'article 517 les amendements suivants :
Ajouter au paragraphe 3 : « Si les auteurs de ces écrits les ont communiqués à des tiers. »
Ajouter au paragraphe 4 : » Et devant témoins. »
Voici, messieurs, quelle est la portée de ces amendements.
Le paragraphe 3 de l'art. 517 punit la calomnie contenue dans une lettre adressée à la personne qu'elle tend à offenser. Les auteurs de l’amendement veulent que lorsque cette lettre est demeurée secrète, lorsqu'elle n'a été connue que de son auteur et de celui à qui elle est adressée, il n'y ait pas délit de calomnie. L'amendement a pour but de restreindre la cl omnie punissable au cas où la lettre a été montrée par son auteur à différentes personnes.
Le deuxième amendement a un but analogue.
D'après le texte de l'article dont il s'agit, la calomnie verbale est punie dès qu'elle est adressée à la personne offensée elle-même, quelle que soit l'absence de publicité. Evidemment, en fait, le délit ne sera établi que lorsque des tiers présents à l'offense pourront en déposer. L'amendement exige en condition juridique du délit cette circonstance que la nature des choses établissait déjà en fait.
Votre commission, d'accord avec le gouvernement, adopte les deux amendements.
Elle croit seulement devoir compléter l'idée qu'ils réalisent en l'étendant aux injures.
L'injure contenue dans une lettre adressée à la personne offensée est punissable d'une peine correctionnelle ; il est naturel d'exiger les mêmes conditions de publicité pour ce délit d'injure, que pour le délit de calomnie, et d'étendre aussi à ce cas le premier amendement dont nous venons de parler.
Quant au second amendement, nous n'avons pas à nous eu occuper, il se rapporterait à l'injure verbale, or celle-ci n'est pas prévue par notre titre parce qu'elle constitue seulement une contravention.
Un changement à la détermination du délit d'injure par lettre doit donc être fait.
Mais les articles 522 et 523 qui concernent les injures, tels qu'ils sont reproduits au dernier rapport de l’honorable M. Lelièvre, contiennent des erreurs qui troublent l'harmonie qu'ils doivent conserver avec les dispositions relatives à la calomnie.
Eu rétablissant les véritables termes de ces deux articles et en y apportant la modification que j'ai indiquée, la commission et le gouvernement les rédigent comme suit :
« Art. 522. Sera puni d'un emprisonnement de huit jours à deux mois et d'une amende de 26 fr. à 300 fr. ou de l'une de ces peines seulement, celui qui aura injurié un individu dans des écrits non rendus publics mais adressés à différentes personnes.
« Art. 523. Le coupable sera condamné à un emprisonnement de huit jours à un mois et à une amende de 26 fr. à 200 fr., ou de l'une de ces deux peines seulement ;
« Lorsqu'il aura commis l'acte injurieux dans un lieu non public, mais ouvert à un certain nombre de personnes ayant le droit de s'y assembler ou de le fréquenter ;
« Lorsque l'injure aura été faite dans des écrits non rendus publics, mais adressés à la personne contre laquelle elle est dirigée, si les auteurs de ces écrits les ont communiqués à des tiers. »
M. Pirmez, rapporteur. - Un amendement, messieurs, a encore été proposé à l'article 520.
Cet amendement, présenté par M. le ministre de la justice, a été adopté par la commission.
L'article 520, messieurs, est celui qui punit la diffamation non calomnieuse.
L'honorable M. De Fré a, dans la séance d'avant-hier, exposé parfaitement les motifs qui justifient l'innovation introduite par cet article.
Cet article punit l'imputation d'un fait dont la preuve légale existe lorsque cette imputation est faite exclusivement dans un esprit de méchanceté.
Il est évident que, dans ce cas, il y aurait un injustifiable abus de mots à qualifier l'infraction de calomnie.
Comme l'article ne donnait pas une dénomination spéciale à ce délit et qu'il se trouve à côté des dispositions concernant la calomnie, on pourrait induire de ce silence du texte et de ce rapprochement que nous qualifions de calomnie le fait puni par cet article.
L'amendement de M. le ministre a pour but de donner à ce fait sa véritable qualification, celle de diffamation.
Voici cet amendement :
« Faire du paragraphe dernier de l'article 520 un article séparé qui serait rédigé de la manière suivants :
« Art. 520. Lorsque la preuve légale des faits imputés est rapportée, s'il résulte des circonstances que le prévenu n'a fait l'imputation que dans un esprit de méchanceté, il sera puni, comme coupable de diffamation, d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de vingt-six francs à quatre cents francs, ou de l'une des deux peines seulement. »
Ces dernières expressions de l'article « ou de l’une des deux peines », ont été ajoutées comme un adoucissement à la disposition ; au lieu de devoir toujours être cumulées, les deux peines pourront être prononcées séparément.
M. Pirmez, rapporteur. - Enfin, messieurs, la commission a été saisie de deux amendements présentés par notre honorable président, M. Orts. Ces deux amendements ont une très grande importance. Voici ces amendements :
« Ne donneront lieu à aucune action du chef d'injure, d'outrage ou de calomnie, les imputations contenues dans les discours prononcés au sein des conseils provinciaux ou communaux, lorsque ces imputations seront étrangères à la vie privée ou se rattacheront nécessairement à l'objet en discussion.
« Il en sera de même des actes et des délibérations de ces conseils, des collèges échevinaux et des députations permanentes, à moins que l'autorité supérieure compétente ne les ait annulés comme offensants dans la forme.
(page 851) « L'acte, annulé de ce chef seulement, conserve sa force obligatoire au fond. »
Tel est le premier amendement de l'honorable M. Orts ; il formerait un article nouveau dans le projet.
Voici le second amendement :
« Ajouter à la nomenclature des personnes contre lesquelles le prévenu a le droit de faire la preuve de ses imputations :
« ... Les candidats qui se proposent au suffrage des électeurs pour les Chambre et les conseils provinciaux ou communaux. »
La portée de ces amendements est étendue.
Je crois devoir l'indiquer à la Chambre.
D'après le premier de ces amendements, l'immunité, prononcée par la Constitution en faveur des membres des Chambres, de n'être pas judiciairement responsables de leurs paroles dans le parlement, serait étendue en grande partie aux conseillers provinciaux et aux conseillers communaux.
Vous voyez déjà quelle est l'immense extension de cette proposition.
En vertu de la disposition constitutionnelle, dans aucun cas il n'y a matière à délit dans le discours d'un membre de la législature quels que soient les excès auxquels ils se serait livrés, quelque coupables que soient les imputations qu'il se serait permise.
L'amendement n'accorde pas dans ses termes une immunité aussi complète, mais la Chambre comprendra qu'en fait ce qu'elle consacre en est à peu près l'équivalent.
En effet, il n'y aurait jamais infraction, lorsque l'imputation ne rentre pas dans la vie privée, quelque grave que soit, d'ailleurs, le fait imputé ; et il n'y aurait jamais infraction non plus, lorsque l'imputation se rattache à l'objet en discussion, même lorsque l'imputation rentrerait dans la vie privée.
Messieurs, la position des membres des Chambres offre une garantie que ne présente pas celle des membres des conseils provinciaux et surtout des conseils communaux.
Vos délibérations sont publiques, les personnes qui sont appelées dans cette enceinte, par leur position sociale, par le mandat qu'elles ont reçu, rassurent contre des excès fréquents.
Le respect de soi-même, le souci de sa propre dignité, est déjà un frein puissant quand on parle devant le pays entier, pour modérer les écarts du langage. La réprobation publique ne tarderait pas à atteindre celui qui abuserait de son mandat législatif et du privilége constitutionnel pour satisfaire une haine privée ; il serait ainsi la première victime des délits qu'il commettrait dans l'exercice de ses fonctions.
Les conseils provinciaux sont encore un grand théâtre qui, jusqu'à un certain point, commande ce respect et cette modération ; mais lorsqu'on descend dans les conseils communaux, et surtout dans les conseils communaux des plus petites localités, toutes les garanties que je viens d'indiquer disparaissent complètement.
Il est évident que, quelle que soit la liberté qu'on doive donner aux délibérations de ces corps, il est impossible de leur accorder l'immunité proposée ; il est impossible qu'il soit permis d'une manière absolue à un conseiller communal, à propos d'un objet en discussion, et quand même la personnalité d'un citoyen rentrerait dans le débat, d'entrer dans tous les détails vrais ou faux de la vie intime de ce citoyen ; il est impossible que l'on exempte de toute répression celui qui, au sein d'une délibération, accuse faussement, sans utilité pour le débat, une personne absente d'un fait honteux, encore que ce fait serait du domaine de la vie publique.
Chacun voit les excès possibles et imminents de la disposition proposée. Je n'ai pas besoin de les montrer plus en détail.
Nous verrons comment le projet sauvegarde tous les droits de l'administration. Mais n'oublions pas que les imputations fausses faites dans la vue de nuire, au sein d’un conseil communal, contre une personne qui n'en fait pas partie, ont une gravité particulière par cette double circonstance de l'abus du pouvoir et de l'impuissance du calomnié à répondre à l'offenseur ; n'oublions pas non plus que les imputations vraies se rattachant à l'administration publique et contre des membres présents ont la puissante garantie du droit de faire preuve.
Messieurs, le second amendement de l’honorable M. Orts n'a ni une portée ni une importance moindre que le premier ; il consiste, je le rappelle, à permettre de prouver tous tes faits avancés contre les candidats qui se proposent aux suffrages des électeurs pour les Chambres, pour les conseils provinciaux ou pour les conseils communaux.
Messieurs, une première difficulté pratique se rencontrerait dans l'application de cet amendement, celle de savoir : Quand on peut considérer un individu comme étant candidat pour un des corps délibérants du pays ?
La première chose à faire, si l'amendement devait être adopté, ce serait évidemment d'exiger du candidat une déclaration officielle constatant l'acceptation de cette qualité.
Il serait évidemment imposable en effet de placer un citoyen malgré lui dans la position que lui ferait cet amendement.
Cette déclaration serait-elle imposée sous peine de non-éligibilité ?
Si on répond oui, c'est une grave modification à notre système électoral.
Si on répond non, elle ne se fera jamais.
L'amendement, d'ailleurs, nous paraît aller trop loin, parce qu'il permettrait la preuve des faits les plus intimes de la vie privée, parce qu'il permettrait de rapporter méchamment des faits qui ne peuvent avoir aucune espèce d'influence sur le résultat du scrutin.
Messieurs, votre commission a rejeté, à l'unanimité, ces amendements ; elle apprécie cependant l'importance des questions qu'ils soulèvent. Elle en est reconnaissante à l'honorable M. Orts de les avoir présentés, parce qu'elle a ainsi l'occasion de dire quelle est sa manière de voir, quelle est la portée qu'elle attache à la loi sur les cas qui sont prévus par ces amendements.
Si elle les rejette, c'est parce qu'elle croit qu'ils ouvrent la porte aux actes les plus graves et que les abus que les amendements ont pour but de prévenir sont suffisamment écartés par les dispositions du Code, telles qu'elles sont formulées.
La Chambre me permettra de lui rappeler les principes du projet, pour en faire ensuite l'application aux deux cas qui sont prévus par les amendements.
La Chambre sait qu'il y a deux grandes espèces d'infractions ; les infractions qui supposent une intention criminelle et les infractions qui existent indépendamment de toute intention criminelle, par une simple faute, voile même par une omission.
Cette seconde catégorie d'infraction ne renferme qu'un petit nombre d'espèces ; elle comprend plus spécialement les contraventions de police. Je n'ai pas à m'occuper de ces infractions qu'on appelle « culpeuses » ; et j'aborde immédiatement les principes qui régissent les autres infractions bien plus importantes par leur nombre et par leur gravité, les infractions qu'on appelle « doleuses ».
Cette catégorie d'infractions comprend toutes celles que le Code n'en a pas exclues. Mais quand y a-t-il intention criminelle ? En général, c'est-à-dire chaque fois que le Code n'a pas exigé des conditions spéciales de culpabilité, lorsque l'agent a agi avec connaissance de l'acte qu'il faisait, et avec la volonté de le commettre néanmoins.
Ainsi, connaissance et volonté de l'agent, telles sont les deux conditions de la culpabilité en général.
D'après notre législation actuelle, la calomnie existe dès que l'intention criminelle ordinaire se rencontre, dès que le fait de calomnie est commis avec connaissance de l'imputation émise et avec la volonté cependant de l'émettre ; d'après la législation, il ne faut pas rechercher quelle a été l'intention spéciale de l'agent ; il suffit qu'il ait imputé le fait avec la connaissance de la circonstance, que ce fait rentre dans la définition de la loi et qu'il l'impute cependant, pour qu'à moins de circonstances particulières il tombe sous le coup de la loi. Mais quelquefois et par exception la loi veut que cette intention criminelle ne suffise pas pour constituer la criminalité, elle exige une volonté perverse spéciale ; elle ne se contente pas du dol général, elle exige la preuve d'un dol spécial.
Ainsi en matière de faux, la loi veut que le faussaire ait agi méchamment et frauduleusement pour qu'il tombe sous le coup de la répression ; il en est de même en matière de vol ; il ne suffit pas qu'il y ait soustraction, même volontaire, il faut que la fraude ait été le mobile de la soustraction pour qu'elle soit atteinte par la peine.
Le projet introduit la nécessité d'une intention particulièrement mauvaise pour que la calomnie soit punissable ; l'infraction n'existe plus que lorsque l'agent a été mis par le désir de nuire, par la méchanceté.
Le dol général ne suffit pas, le dol spécial est une condition essentielle du délit.
Je ne puis trop insister sur cette différence ; elle modifie de la manière la plus profonde et la plus étendue la législation en ce qui concerne la calomnie. L’introduction du mot « méchamment » restreint puissamment le nombre et l'étendue des délits de calomnie.
Messieurs, je prends maintenant ces principes et je les applique aux deux cas qui ont déterminé l'honorable M. Orts à présenter ses amendements.
La Chambre pourra se convaincre des garanties que présente le projet à la liberté de l'administration et à la liberté de discussion.
Quand un conseiller provincial ou un conseiller communal assistent aux délibérations des corps dont ils font partie, son premier devoir est de faire connaître la vérité et d'émettre une opinion consciencieuse, sans restriction comme sans exagération, sur tous les objets soumis aux décisions du corps dont il fait partie.
Quel que soit le mandat dont un homme est investi par ses concitoyens, il est obligé à parler ainsi sans crainte comme sans haine.
Ce devoir, nous le reconnaissons, et c'est parce que nous le reconnaissons, parce que nous croyons que nul de ceux qui comprennent nos institutions ne peuvent le méconnaître que nous voyons dans le projet la sauvegarde de ceux qui le remplissent.
N'est-il pas évident que l'accomplissement d'un devoir exclut la méchanceté ?
N'est-il pas vrai que par cela seul que le conseiller provincial ou le conseiller communal ne fait que s'acquitter de son devoir, remplir la mission qui lui a été confiée, toute idée de méchanceté disparaît de la manifestation de son opinion ? Ainsi dès l'instant que le tribunal (page 852) comprendra que ces mandataires publics ont agi en acquit de leur conscience, n'ont fait qu'obéir à leur devoir, en exprimant une opinion nécessaire, ou utile pour défendre les intérêts qui leur sont confiés, il reconnaîtrait que la disposition est complètement pénale, est complètement inapplicable.
C'est, messieurs, un vieux principe de droit que celui qui use de son droit ne lèse personne ; à plus forte raison celui qui remplit son devoir doit-il être irresponsable des conséquences de ses actes.
Faut-il tracer une limite plus précise entre les exigences de la répression et la protection due aux corps délibérants ?
L'honorable M. Orts était plus à même que qui que ce soit de tracer cette limite ; et je crois l'avoir démontré, il n'a pas réussi à le faire.
En voulant ne mettre aucune entrave à l'exercice d'un mandat électif, on donnerait un prétexte et une justification aux imputations les plus calomnieuses, les plus méchantes et les plus attentatoires à l'honneur des citoyens.
Rien ne présente plus de difficulté, la Chambre a déjà pu s'en convaincre, qu'une détermination fixe de ce qui, dans la matière qui nous occupe, doit être atteint par h loi pénale.
Déjà c'est une tâche ardue de définir matériellement l'infraction, et cependant ce ne serait là qu'un point secondaire si la loi devait ainsi séparer par des règles fixes l'intention coupable de l'intention innocente.
Dans ce côté si important de l'infraction, le fait est tout à fait prédominant, il échappe aux définitions. Le législateur doit s'en référer au juge, après qu'il lui a indiqué la direction de la voie qu'il doit parcourir.
Messieurs, des considérations analogues me permettront de montrer que le projet resecte aussi le droit de discussion étendue que le second amendement de M. Orts réclame pour les temps d’élection.
La garantie est encore ici dans l'impunité des imputations qui ne sont pas dictées par la méchanceté.
Nos institutions libérales permettent un contrôle utile et sérieux des actes et des hommes du gouvernement, elles invitent le citoyen à les juger périodiquement, elles lui déférent alors une espèce de magistrature dont les arrêts se préparent par la presse et par la parole et se prononcent par un scrutin.
Cette magistrature doit être libre parce qu'il faut que ses arrêts soient vrais.
Toutes nos institutions seraient fausses si la libre discussion ne précédait les sentences de l'opinion, et ce serait une contradiction flagrante de fonder un gouvernement sur ces sentences et de ne pas vouloir qu'elles soient éclairées.
Tout notre régime parlementaire est basé sur la libre discussion. C'est dans les élections générales où la nation se prononce sur le gouvernement tout entier que cette libre discussion doit exister dans toute sa plénitude parce qu'elle préside au choix des citoyens.
Mais vous voyez déjà, messieurs, quelles conséquences il faut tirer de cet état de nos institutions politiques.
Ce n'est pas agir dans un esprit mauvais que d'entrer dans une voie que les lois elles-mêmes ouvrent, dans l'intérêt de tous, à l'activité des citoyens.
Ce n'est pas un acte de méchanceté que de chercher à éclairer le public sur les choix qu'il a à faire.
Mais ici encore l'abus du droit, la licence peut se placer à côté de l'exercice du droit de la liberté et la faculté de discuter ne justifie ni toutes les imputations, ni toutes les intentions. C'est de la saine appréciation des faits que doit dériver la sentence.
Une différence profonde séparera toujours les imputations portant sur les actes et les hommes publics de celles qui ont trait aux actes et aux hommes privés.
Je disais tantôt que dans l'élection la loi défère au citoyen une espèce de magistrature.
Mais si tous ont le droit, en descendant dans l'arène politique de se soumettre à cette magistrature, nul n'y est contraint.
Ceux qui y descendent doivent accepter les conséquences de leur acte, mais les autres doivent être inviolables.
Ce n'est pas pour resserrer le champ de la discussion utile au pays que sont édictées les lois sur le calomnie, pour faire respecter le citoyen contre les attentats de la méchanceté.
S'il faut faire la part de la liberté dont nous dotent nos institutions, il ne faut jamais qu'il soit permis, sous un prétexte quelconque, de prendre le citoyen au foyer domestique, de le traîner sur la place publique et de le juger comme on juge les hommes publics. Cette grande différence ne doit jamais être perdue de vue.
Jamais les tribunaux ne verront la méchanceté là où il n’y a que l’exercice loyal du droit de citoyen ! Mais ils seront disposés à la voie et à la punir, lorsque sans utilité pour le pays, on viendra jeter dans la publicité les actes d'une nature privée.
Tels sont, messieurs, les principes qui ont guidé votre commission.
Elle croît que l’introduction de ce mot « méchanceté » satisfait à toutes les exigences, qu'elle peut satisfaire à toutes les susceptibilités, même les plus délicates.
Nos tribunaux ont souvent donné l'exemple du respect des droits civiques et ils ont établi une large différence, dans la pratique, entre le temps des élections et les autres temps, entre les hommes qui se sont jetés dans la vie publique et ceux qui sont restés dans le cercle plus étroit de la vie privée.
Votre commission a la conviction qu'avec le texte nouveau et avec les explications qu'elle m'a autorisé à vous donner en son nom, cett différence sera plutôt mieux marquée dans l'avenir qu'elle ne l'a été dans le passé.
M. le président. - La discussion continue sur l'article 514.
M. De Fré. - J'ai demandé la parole sur la rédaction nouvelle de l'article 514.
La commission propose de dire : « Un fait précis qui, s'il existait, le rendrait digne du mépris public. » Il me semble que cette expression « digne du mépris public » n'est pas un langage juridique, un langage que nous puissions mettre dans une loi. On est digne d'un honneur, on est digne de considération, mais on est pas digne du mépris.
Je ne dis pas que la phrase ne soit pas française, mais il existe, dans la langue française, beaucoup de mots que nous n'employons pas dans le texte des lois.
Je proposerai donc à la Chambre de remplacer les mots « digne du mépris public » par les mots suivants : « qui le rendrait indigne de la considération publique. »
De cette façon l'article serait rédigé comme suit : « Est coupable du délit de calomnie celui qui, dans les cas ci-après indiqués, a méchamment imputé à une personne un fait précis qui, s’il existait, la rendrait indigne de la considération publique, ou qui serait de nature à porter atteinte à l’honneur de cette personne, si la preuve légale n’est pas rapportée. »
Le texte de la commission subsiste en son entier, sauf qu'au lieu d'y laisser les mots « digne du mépris public », il y aurait, « indigne de la considération publique. »
M. Pirmez, rapporteur. - La commission a eu le même scrupule que l'honorable M. De Fré. Elle s'en est rapportée au dictionnaire et elle constate que le mot « digne » pouvait être employé lorsqu'il s'agit du mal comme lorsqu'il s'agit du bien.
Je ferai à l'honorable membre une observation sur la modification qu'il propose ; c'est qu'il rétablit le mot « considération » qui avait été proposé et qui a donné lieu à un si long déba.t
Cette observation me paraît devoir entraîner le rejet de cet amendement.
M. Guillery. - Messieurs, nous avons eu, au sein de la commission une assez longue discussion. Nous avons pesé avec le plus grand soin la valeur de tous les mots qui pouvaient être employés. C'est ainsi que le mot « exposer au mépris public » a été retranché comme n'exprimant pas d'une manière claire et précise notre pensée commune. Je crois que nous sommes arrivés à une rédaction qui satisfera parfaitement les partisans de l'opinion développée par MM. Muller et Lebeau (Ch.). L'adjectif « digne » peut n'être pas tout à fait juridique. Je crois que du moment qu'il est clair, qu'il est conforme aux règles de la langue française, et qu'il exprime surtout une pensée nette et précise, il faut l'accepter.
Cette rédaction, messieurs, me paraît d'autant plus admissible que M. le rapporteur vient de donner sur le sens général de l'article en discussion des explications de la plus haute importance.
Des doutes avaient pu se glisser dans beaucoup d'esprits sur la portée du mot « méchamment. »
En présence d'un rapport antérieur, le doute s'expliquait mieux encore et devenait d'autant plus difficile à être levé.
Il a donc été convenu, au sein de la commission, de commun accord avec le gouvernement, que la portée de ce mot serait expliquée, et elle l'a été avec une lucidité telle qu'il n'y a rien à y ajouter.
Il a été convenu également que, comme dans une séance précédente, m'inspirant d'observations qui se trouvaient dans le premier rapport de la commission, j'avais émis des doutes sur la portée du mot « méchamment », je ferais à la séance publique une déclaration qui montrerait qu'il y a unanimité au sein de la Chambre, sur la portée que ce mot doit avoir.
L'article, tel qu'il est maintenant conçu, me paraît satisfaire complètement à tous les griefs qui ont été produits, en restreignant la portée de l'article 367 du Code pénal, et c'est un véritable progrès dans notre législation. En conséquence je l'appuierai de mon vote.
M. Nothomb. - Je m'en voudrais de provoquer l'impatience da la Chambre en prolongeant ce débat. Mais je dois dire en deux mots pourquoi il m'est impossible de me rallier à l'amendement de la commission, tel qu'il a été rédigé en dernier lieu.
El d'abord je m'associe à la critique de forme que vient de faire l'honorable M. De Fré de cette rédaction. II y a, me paraît-il, quelque chose qui choque dans cette alliance du mot « digne » et du mot « mépris » ils semblent devoir s'exclure. A défaut donc de la rédaction que j'ai proposée, si elle n'obtenait pas l'assentiment de la Chambre, je serais disposé à accepter celle de l'honorable M. De Fré qui rentre davantage dans ma pensée.
Ensuite voici, quant au fond, ce que j'ai à articuler coutre l'amendement de la commission.
(page 853) Nous avons tous une pensée commune, celle de réprimer sérieusement la calomnie. Nous poursuivons aussi un but commun qui est de protéger efficacement les citoyens dans leur honneur contre les imputations diffamatoires. C'est seulement quant à la formule que nous différons.
Or, il me paraît que la rédaction actuellement adoptée par la commission et qui se résume dans ces mots : « fait précis digne du mépris public » présente trop d'extension ; il me semble qu'avec une disposition aussi large, bien des imputations calomnieuses, bien des diffamations échapperont à la répression.
Je crains qu'il y ait là une porte ouverte par où l’outrage pourra impunément passer ; c'est cette porte que je voudrais fermer. En effet, il y a telle imputation, telle allégation qui porte atteinte à la considération morale, à l'estime publique et qui néanmoins n'entraîne pas nécessairement le mépris public que la nouvelle réduction prévoit seule : en d'autres termes, on peut déchoir dans l'estime publique sans être pour cela complètement méprisable. Exiger que le « mépris public» soit la conséquence de l'imputation calomnieuse, n'est-ce pas faire au calomniateur une position trop facile ? Et ne doit-il pas suffire, pour que le calomniateur mérite d'être puni, qu'il se soit borné à proférer une imputation fausse et méchante, d'où résulterait seulement, pour la personne offensée, la diminution de l'estime dont elle jouit ?
Je l'ai pensé et c'est dans ce but que j'ai présenté mon amendement auquel avaient adhéré hier, au moins quant au sens, M. le ministre de la justice et l'honorable rapporteur de la commission.
J'ajoute enfin que si j'avais pu prévoir tant de divergence d'opinion, j'aurais préféré qu'on s'en tînt purement et simplement au Code pénal qui nous régit, quant au point spécial que nous discutons. La formule de l'article 367 a au moins un avantage, et il est grand : clic est connue depuis cinquante ans ; la jurisprudence en a bien fixé le sens et l'on ne risquerait pas de tomber peut-être dans des innovations, dans des expériences qui, somme toute, sont souvent dangereuses.
M. Ch. Lebeau. - Je propose de remplacer les mots « digne de mépris » par ceux-ci : « entraînant le mépris. » Ce mot me semble de nature à concilier presque toutes les opinions.
M. Pirmez, rapporteur. - J'ai une objection à faire aux termes que vient de proposer l'honorable M. Lebeau : C'est, qu'encore une fois, on n'obtient plus ainsi l'appréciation par le juge, d'après les règles de la justice et de l'honneur, du fait imputé ; il devrait, avec la nouvelle rédaction, s'en rapporter à l'appréciation du public, faite, d'après les circonstances des temps, d'après les préjugés des lieux.
Or, comme je l'ai indiqué plusieurs fois à la Chambre, il faut juger l'imputation d'après un ordre d'idées plus relevées.
M. Muller. - J'ai pris part, hier, aux discussions et aux critiques dont a été l'objet l'article 514 tel qu'il avait d’abord été rédigé et interprété. Je tiens à déclarer aujourd'hui que la nouvelle rédaction de la commission me donne tout apaisement.
Je ne me préoccupe guère du point de savoir si l'expression « digne de mépris » est juridique. Il me suffit qu'elle soit française, pour que j'admette l'amendement. Si nous allons établir des distinctions de mots, et admettre qu'il en est que nous pouvons plus ou moins employer dans nos lois, nous rétrécirons le cercle dans lequel nous pouvons et nous devons nous mouvoir.
M. Dolez. - Un seul mot sur le dernier point dont vient de parler l'honorable membre.
L'expression « digne de mépris, » employée dans la rédaction actuelle, est tout aussi française que juridique. On dit que quelqu'un est digne du dernier supplice, de même qu'on dit qu'il est digne de récompense. Un honorable collègue qui se livre de la manière la plus distinguée à l’étude des langues me donnait tout à l'heure le motif péremptoire de se servir du mot digne, en mal comme en bien, par la raison toute simple que la langue française n'a pas d'autre expression.
C'est donc une expression nécessaire. Aussi, le dictionnaire à la main, viens-je vous démontrer qu'il en est ainsi. J'ai sous les yeux le dictionnaire de Bescherelle et au mot « digne », je lis : « qui mérite en bien ou en mal », et parmi les exemples qu'il donne, vous en trouverez un qui démontre que l'expression est aussi juridique que française ; digne de mort, digne du dernier supplice. C'est bien là une application du mot « digne » à des idées qui appartiennent à la législation pénale.
Il est donc évident que les scrupules qui ont été exprimés par plusieurs honorables collègues ne sont pas fondés.
Je crois que la Chambre fera bien de s'en tenir à la rédaction finale de la commission. Celle-ci a apporté un soin infini à peser le pour et le contre de chacune des expressions qui ont été présentées à son examen ; elle a été aidée dans sa mission par les auteurs des divers amendements, et elle a fini par croire, de la manière la plus consciencieuse, que l'expression la meilleure est celle qui vous est soumise en ce moment.
M. Ch. Lebeau. - Je n'insiste pas.
M. De Fré. - Je n'ai pas prétendu que l'expression « digne du mépris public » ne fût pas française. Mais il s'agit de savoir s'il ne vaut pas mieux mettre dans un texte de loi « indigne de considération » que de mettre : « digne de déshonneur. »
J'admets l'exemple donné par Bescherelle. Mais il ne s'agit pas de cela ici. Bescherelle n'a pas fait un texte de loi. Je défie qu'on trouve dans la législation française une expression comme celle-là : « digne du mépris public. » Or, si cela est, pourquoi ne pas adapter votre langage aux traditions juridiques et pourquoi faire une innovation ?
La rédaction que je propose ne change pas le fond.
- Plusieurs membres. - Si ! si !
M. De Fré. - Dans ma pensée, elle ne change pas le fond. Elle change purement et simplement la forme, et il me semble que la forme que je propose est bien plus que celle de la commission, en rapport avec les antécédents juridiques. C'est pourquoi je maintiens mon amendement.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Nothomb est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'amendement de M. De Fré est ensuite mis aux voix ; il n'est pas adopté.
M. le président. - Reste l'amendement de la commission.
M. Wasseige. - Je demande l'appel nominal pour constater si l'on est en nombre.
M. Pirmez dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur la fabrication d'une monnaie de nickel.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article 514 tel qu'il est rédigé par la commission.
55 membres seulement sont présents.
En conséquence il n'y a pas de décision.
- La séance est levée à 4 heures 1/4.