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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 9 mars 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 837) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des habitants de Louvain demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique à la monnaie d'or de France. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Même demande de négociants, de boutiquiers et d'ouvriers de la commune de Hensies. »

- Même renvoi.


« La sieur Courtois, ancien sous-officier, demande la décoration de l'ordre de Léopold, du chef de servies rendus à la révolution. »

- Même renvoi.

Décès d’un membre de la chambre

M. le président. - Messieurs, le président de la Chambre a reçu la lettre dont je vais avoir l'honneur de donner lecture :

« M. le président,

« J'ai la douleur de vous faire part, tant en mon nom qu'au nom de ma famille, de la perte irréparable que nous venons d'éprouver en la personne de notre père bien-aimé, décédé ce matin, à 5 heures.

« Veuillez, je vous prie, avoir la bonté, M. le président, de communiquer cette triste nouvelle à vos collègues.

« La cérémonie funèbre est fixée à dimanche prochain, 11 mars, à 11 heures.

« Agréez, etc.

« Signé : A. Coppieters 't Wallant, avocat, à Bruges, 8 mars 1860. »

Dans ces douloureuses circonstances, il est d'usage à la Chambre de charger son bureau d'adresser une lettre de condoléance à la famille du collègue qu'elle vient de perdre ; je pense exprimer à l'avance les intentions de la Chambre en proposant de suivre encore cette marche sans préjudice à toute autre mesure qui pourrait être proposée.

M. Allard. - Je propose à la Chambre de désigner par le sort une députation de onze membres, présidée par notre président, pour représenter la Chambre aux funérailles de notre honorable et regretté collègue, M. Coppieters 't Wallant.

M. le président. - Dans plusieurs circonstances, des propositions analogues ont été faites, notamment pour les funérailles du si justement regretté M. Delfosse, mais la députation a été alors composée de six membres, à la tête de laquelle s'est placé le président de la Chambre. Quelle que soit la décision que l'assemblée prenne dans le cas actuel, le président se propose d'assister personnellement aux obsèques de M. Coppieters.

M. Allard. - Si j'ai proposé une députation de onze membres, c'est qu'aux funérailles de l'honorable M. Anspach, ainsi qu'à celles de l'honorable M. Destriveaux.la Chambre était représentée par une députation de onze membres, présidée par le président.

M. le président. - Voici pourquoi la députation a été composée de 11 membres dans les circonstances que M. Allard vient de signaler, et pourquoi elle n'a été composée que de 6 membres dans la circonstance que j'ai rappelée.

Lorsque le décès d'un membre de la Chambre arrivait à Bruxelles ou dans les faubourgs, comme le déplacement des membres de la Chambre est alors moins difficile, il a été d'usage de composer la députation de 11 membres ; tel était le cas, lors des funérailles de M. Anspach, décédé à Bruxelles, et de M. Destriveaux, décédé dans un de ses faubourgs. Mais lorsqu'il s'est agi d’un décès arrivé dans la province habitée par le représentant décédé, la députation a été composée de 6 membres.

Du reste, je ne fais cette observation que pour rappeler les précédents à la Chambre.

M. H. de Brouckere et d'autres membres. - Il faut s’en tenir aux précédents.

- La Chambre consultée décide qu’elle se fera représentées aux obsèques de M. Coppieters 't Wallant, par une députation de 6 membres, présidée par le président de la Chambre. La députation sera tirée au sort dans le courant de la séance.

Projets de loi de naturalisation

M. Van Volxem. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire, ainsi qu'un projet de loi accordant la grande naturalisation au sieur Raimond de Grand-Ry.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Prompts rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Pottes, le 21 janvier 1860, le sieur Kîndt, marchand à Pottes, se plaint du manque de monnaie d'argent dans la circulation.

Par pétition sans date, des habitants de Heule demandent que le receveur de l'Etat soit autorisé à recevoir en monnaie d'or le montant de leurs contributions.

Même demande d'habitants de Hulste.

Par pétition datée de Saint-Ghislain, le 22 février 1860, des commerçants habitants de Saint-Ghislain demandent qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France.

A ces pétitions je demanderai la permission d'en joindre encore quelques autres arrivées depuis l'impression du feuilleton et qui ont trait au même objet. C'est d'abord une pétition de Tournai en date du 27 février 1860, par laquelle un grand nombre d'habitants notables de Tournai demandent qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France ; une autre pétition datée de Bruxelles le 1er février 1860, par laquelle de nombreux habitants de Bruxelles demandent que la Belgique soit replacée sous le régime monétaire qui a prévalu en 1848 ; une pétition de Peteghem-Deynze en date du 4 mars 1860, par laquelle le sieur Valcke-Desmet demande qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France ; une pétition d’Enghien en date du 3 mars 1860, par laquelle des négociants de cette localité prient la Chambre d'accorder le cours légal des monnaies d'or décimales au titre de 9/10 de fin ; il y a encore des pétitions par lesquelles des habitants de Louvain et de Hensies font la même demande.

Messieurs, votre commission a conclu au dépôt au bureau des renseignements de ces différentes pétitions, parce que déjà une très longue discussion a eu lieu au sein de cette Chambre, et que le renvoi au ministre des finances n'avancerait pas l'affaire, vu que l'honorable ministre des finances a donné des explications et déposé un très long rapport sur le bureau et qu'en définitive il persiste toujours jusqu'ici dans son opinion.

Cependant le dépôt au bureau des renseignements, qui pour la plupart du temps est considéré comme un dépôt aux oubliettes, ne doit pas être entendu dans ce sens aujourd'hui, parce que dans l'intention de votre commission le dépôt qu'elle propose a la signification que la Chambre reste saisie de la question et que l'intention de quelques honorables membres de cette Chambre a été manifestée déjà de faire usage de leur initiative en présentant un projet de loi sur cet objet. La conclusion de la commission est le dépôt au bureau des renseignements entendu comme je viens de l'expliquer.

M. Rodenbach. - Si je, suis bien instruit, M. le ministre des affaires étrangères aurait demandé aux diverses chambres de commerce de la Belgique des renseignements sur la question dont il s'agit, le cours légal de l'or.

On m'a de plus assuré que le plus grand nombre de ces corps qui sont compétents partagent l'opinion des nombreux pétitionnaires qui se sont adressés à la Chambre depuis un an ou deux.

Messieurs, précédemment, c'étaient les communes et les villes frontières qui se plaignaient que les relations commerciales étaient entravées parce qu'on repoussait l'or. Mais aujourd'hui nous recevons des réclamations de toutes nos grandes villes, Bruxelles, Gand, Tournai, Louvain, et des communes de l'intérieur, Heule, Pottes, Saint-Ghislain, etc. et toutes ces pétitions sont signées par des hommes compétents, tels que banquiers, grands négociants et manufacturiers.

La pétition de Tournai dit qu'il faudrait en Belgique 300 millions d'or ou d'argent pour faciliter les relations commerciales. Eh bien, il paraît d'après cette requête que nous n'ayons pas plus de 100 millions dans la circulation. Toutes les relations sont arrêtées par le manque de monnaie.

Je sais que la question est très ardue. Mais en Angleterre, l’étalon d'or existe, et à l'aide de la monnaie d'appoint, les transactions s'y font parfaitement bien.

En France, depuis le règne de Napoléon III, on a déjà battu pour 5 milliards d'or. Vous voyez que, dans ce pays, on n'est pas si effrayé de la circulation de l'or. D'ailleurs, voisins de la France comme nous le sommes, je ne crois pas que nous ayons jamais rien à craindre.

Si cependant on ne veut pas permettre la circulation des pièces de 20 fr.de France, qu'on établisse un autre système. Si l'étalon d’argent ne peut atteindre le but, qu'on prenne un étalon d'or et qu'on en batte dans le pays.

(page 838) Je le répète, je crois que la force des choses nous obligera à changer notre système ou à recevoir l'or de France.

Je sais que M. le ministre des finances nous a dit qu'il y avait à la Banque Nationale 68 millions d'argent. Mais ces 68 millions sont dans les caves de la Banque ; ils ne circulent pas. Qu'est-ce qui circule presque partout ? Ce sont les billets de banque ; il y en a en ce moment dans la circulation pour 110 millions, et même plus, qui donnent un intérêt élevé à cette institution ; aussi les s pétitions de Hulste et de quelques autres communes nous disent qu'on ne peut plus payer les contributions, parce que la monnaie d'argent manque. On me dira qu'on peut les payer avec des billets de banque ; mais tout le monde, dans nos campagnes, n'est pas tenté d'avoir des billets. Ensuite les plus petits billets sont de 20 francs, et lorsqu'on doit payer 5 ou 10 francs, on ne peut plus donner des billets.

Je crois que nous serons forcés d'imiter l'exemple de la Suisse qui a admis la circulation de l'or français.

Et je persiste, dans mon opinion qu'un pays comme la Belgique, qui fait annuellement pour 232 millions d'affaires avec la France, ne doit pas craindre de recevoir l'or français. Toutes nos relations avec les cinq parties du monde ne s'élèvent qu'à 853 millions. Celles que nous avons avec la France seule atteignent, comme je viens de le dire, le chiffre de 232 millions ; c'est plus du quart du chiffre total de nos relations commerciales.

L'honorable M. B. Dumortier nous a promis de présenter un projet de loi ; il y a urgence que la question soit résolue. Il est temps que l'on comprenne que lorsque le pays a besoin de 400 millions pour faciliter les relations commerciales, il ne peut se contenter d'une circulation de 100 millions.

J'ajouterai, en terminant, que la loi de 1850 qui a mis l'or français hors du cours, n'a été votée qu'à titre d'essai et qu'il suffirait de rapporter cette loi pour satisfaire aux incessantes réclamations qui nous arrivent de divers points du royaume.

M. Allard. - Messieurs, la question de l'or est à l'ordre du jour depuis très longtemps, et demande un sérieux examen.

Dans la ville que j'habite et dans toutes les villes qui bordent la France, nous ne voyons plus de pièces de 5 fr. Il faut nécessairement que le gouvernement se décide à donner un cours à l'or, au moins le cours commercial. Ne serait-il pas possible, par exemple, que l'Etat reçût dans ses caisses les pièces de 20 fr. à 19 fr. 90 et les pièces de 10 et de 5 fr. avec une réduction proportionnelle ? Je suis persuadé que si cette disposition était prise, à l'instant même on verrait reparaître les pièces de 5 fr. car chacun aujourd'hui les tient dans la crainte qu'un jour il ne puisse plus trouver assez d'argent pour payer ses contributions.

L'honorable M Rodenbach nous dit : M. le ministre des finances nous a répondu qu'il y avait pour 68 millions de pièces de 5 francs dans les caisses de la Banque nationale, mais ces 68 millions y restent. L'honorable M. Rodenbach me permettra de lui dire qu'il est un peu cause qu'une partie de ces 68 millions reste dans les caves de la Banque. Car lorsqu'on proposa à l'honorable M. Rodenbach de lui payer son indemnité de membre de la Chambre en pièces de 5 francs, il les refusa pour prendre des billets de banque.

Je voudrais qu'il donnât l'exemple et que chaque membre reçût son indemnité en pièces de 5 francs pour mettre ces dernières en circulation.

M. Rodenbach. - Qu'on nous donne de l'or, nous ne le refuseront pas.

M. Allard. - On vous en donnera au pair le mois prochain. (Interruption).

Messieurs, il y a nécessité de prendre des dispositions. Sous le gouvernement des Pays-Bas, on ne recevait pas dans les caisses de l'Etat la monnaie de France. Mais nous avions une monnaie ; nous avions des pièces de dix florins, de trois florins et d'un florin.

On se procurait sans peine la monnaie nécessaire pour payer ses contributions, pour payer les droits d'accises et d'enregistrement. Et pourquoi ? Parce que le commerce recevait au pair les monnaies françaises, tandis que maintenant on ne veut plus les recevoir au pair.

L'Etat ne fabrique pas, dit-on, de monnaie d'argent, l'Etat n'a jamais fabriqué de monnaie pour son compte, l'argent est à un prix trop élevé, pour que les particuliers en fassent frapper ; il on résulte qu'on est dans la plus grande gêne pour se procurer des pièces de 5 fr.

Je crois donc qu'il y a quelque chose à faire. L'honorable M. Dumortier nous a annoncé qu'il userait de son initiative et présenterait un projet de loi. Nous verrons alors ce qu'il y a à faire relativement à la monnaie d’or.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Il est incontestable qu'il résulte de l'état actuel une gêne telle, qu'il est indispensable qu'on prenne des mesures dans l'intérêt de nos transactions journalières. Cette gêne est telle, que dans certaines localités on n'a plus d'argent pour payer ses contributions.

L'honorable préopinant a beau dire que chacun garde ses pièces de 5 francs pour le temps où la gêne sera plus grande encore ; j'ai l’honneur de lui faire observer qu'aujourd'hui même beaucoup de personnes n'ont pas de pièces de 5 francs et se trouvent dans l'impossibilité de s'en procurer. On a beau présenter des marchandises pour de l'argent, on n'obtient, on ne reçoit que de l'or ou des billets de banque. L'argent a disparu complètement.

A telles enseignes que, comme je l'ai dit, quand on présente des pièces d'or à échanger, il est impossible d'obtenir de l'argent, à moins d'y perdre considérablement.

Je dois, messieurs, appeler toute votre attention non seulement sur le nombre des pétitionnaires, qui est très considérable à Tournai, à Bruxelles, à Gand et dans beaucoup d'autres localités les plus importantes du pays, mais sur la qualité des pétitionnaires. Ce sont tous les chefs des maisons de commerce les plus importantes.

Ainsi, nous voyons à Bruxelles MM. Berlemont-Rey, Rey aîné, de Burges-Rey ; nous y voyons les noms de M. Maurice Oppenheim, etc., etc.

La gêne qui est aujourd'hui générale à Bruxelles et à l'intérieur du pays est infiniment plus grande encore le long de h frontière française.

Là, il n'y a pas moyen d'avoir de l'argent. Dans les Flandres, dans le Hainaut, etc., la monnaie d'argent a complètement disparu. Il y a des communes oh les habitants ne peuvent se procurer 1a monnaie nécessaire pour payer les contributions.

Il est donc indispensable, messieurs, de prendre des mesures, quelles qu'elles soient, dans l'intérêt des transactions journalières. L'exemple de la Suisse a de nouveau ravivé les instances et engagé les négociants et les industriels à reproduire leurs réclamations.

Si le gouvernement prétend se faire payer en monnaie d'argent, il est indispensable que d'une manière ou d'une autre il procure aux contribuables cette monnaie qui manque complètement en ce moment.

M. H. Dumortier. - Puisqu'il est convenu que la Chambre discutera très prochainement un projet de loi sur la grave question qui nous occupe, je veux bien ajourner les observations que je me proposas de lui présenter à l'occasion de l'analyse qui vient d'être faite de deux pétitions signées par des habitants de Heule et de Hulste.

Les considérations que viennent de présenter à l'assemblée les honorables préopinants sont d'ailleurs applicables à l'objet de ces pétitions ; je dois toutefois rectifier une erreur qui a été commise par la commission des pétitions.

Le feuilleton n°6 porte :

« Des habitants de Heule demandent que le receveur de l'Etat soit autorisé à recevoir en monnaie d'or le montant de leurs contributions ; i même demande d'habitants de Hulste. »

Ce n'est pas là ce que demandent ces pétitionnaires. Ils constatent ce qui ne peut être révoqué en doute par personne, l'état de gêne qui existe par suite de l'absence de monnaie belge en quantité suffisante pour répondre aux besoins non seulement du commerce et de l'industrie, mais aux besoins les plus usuels des contribuables ; et ils citent entre autres ce fait, qu'ils se trouvent très souvent dans l'impossibilité de payer leurs contributions sans devoir s'imposer des sacrifices et des pertes, puisque le receveur des contributions refuse l'or français. Cet état de gêne général, disent les pétitionnaires, est particulièrement préjudiciable aux habitants de la Belgique qui, comme eux, habitent les provinces limitrophes de la France.

Ce sont là des vérités tellement évidentes, que le gouvernement lui-même ne pourrait les contester.

Mais pour remédier à cette situation, les habitants de Heule et de Hulste ne se bornent pas à demander que les receveurs des contributions soient autorisés à recevoir le montant des contributions en monnaie d'or, ce serait prendre la question par le petit côté. Voici la thèse qu'ils soutiennent et je dois le dire, elle est plus large, plus intelligente et plus nouvelle que celle qui leur est attribuée par la commission des pétitions.

Ce n'est pas à nous à formuler un projet de loi sur cet important objet, nous ne disposons d'ailleurs pas de toutes les données, renseignements et documents, qu'il faudrait réunir pour élaborer un pareil travail.

Mais nous disons : Vous gouvernement qui disposez de tous ces éléments d'appréciation et qui assumez la responsabilité de veiller aux intérêts généraux du pays, vous avez ici une mission à remplir, c'est à vous qu'il incombe de chercher un remède au mal. L'accomplissement de cette tâche n'est pas seulement pour vous une possibilité, une faculté, c'est un devoir.

Il ne suffit pas qu'un gouvernement vienne dire aux contribuables : Je reconnais la gravité de cette situation ; mais je ne connais pas de remède pour en atténuer les effets.

C'est dans ce sens que sont conçues les observations que les pétitionnaires adressent à la Chambre ;i ls demandent que le gouvernement remplisse son devoir, celui de procurer d'une manière quelconque aux contribuables belges la monnaie nécessaire à leur usage et à leurs transactions. Pour moi, je ne puis que les approuver d'avoir posé la question sur ce terrain. En effet, s'ils demandaient par exemple que le gouvernement donnât cours légal en Belgique à l'or français, il leur serait probablement répondu que déjà à plusieurs reprises M. le ministre des finances a rejeté ce système, que la majorité de la Chambre s'est prononcée dans le sens du gouvernement ; on leur répondrait au besoin que c'est là une question usée.

(page 839) Quoi qu'il en soit, messieurs, je n'aime pas à abuser des moments de la Chambre et puisqu'on reconnaît qu'en ce moment une discussion à fond sur cette matière serait au moins prématurée, je consens volontiers à déférer au désir de la Chambre en ajournant à une époque très prochaine les considérations que m'a suggérées l'étude de cette importante et difficile question.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, il est incontestable que le nombre des pétitions ayant pour objet de demander qu'on donne cours légal à l'or français va toujours grossissant.

Il est désirable au suprême degré que la Chambre soit mise à même de prendre une décision et qu'on sache enfin à quoi s'en tenir.

Mais les honorables membres qui ont pris la parole avant moi reconnaîtront eux-mêmes que la discussion soulevée aujourd'hui ne peut conduire à aucun résultat quelconque.

En effet, de quoi nous occupons-nous ? De pétitions ; nous avons eu beaucoup de ces pétitions. Il est complètement inutile de les renvoyer à M. le ministre des finances, M. le ministre nous a fait connaître quelle était son opinion.

Passer à l'ordre du jour, ce serait faire un détestable accueil à des pétitions qui méritent qu'on s'en occupe. Nous n'avons qu'une décision à prendre : le dépôt au bureau des renseignements. Eh bien, la commission vous propose le dépôt au bureau des renseignements ; votons-le ; nous ne saurions faire autre chose. Mais je crois que tout le monde dans la Chambre sera d'accord pour désirer que l'honorable M. B. Dumortier ne tarde pas à déposer le projet de loi qu'il nous a annoncé.

Il faut que la Chambre finisse par se prononcer d'une manière catégorique. Eh bien, la proposition de loi de l'honorable M. Dumortier lui en fournira l'occasion. Cette proposition sera l'objet d'un examen très sérieux de la part des sections ; ensuite la section centrale appellera dans son sein M. le ministre des finances ; elle examinera, de son coté, d'une manière approfondie la question- ; elle tâchera de s'entendre avec M. le ministre ; nous serons saisis d'un rapport, et alors nous discuterons avec fruit et avec la certitude d'amener un résultat.

M. B. Dumortier. - Messieurs, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire dans une séance précédente, j'avais d'abord pensé que la proposition à faire sur la question de la monnaie d'or devait se présenter à l'occasion de la loi sur la monnaie de billon dont la Chambre est saisie. Je ne suis pas le seul qui ait eu cette pensée ; mais enfin comme des objections ont été faites, j'ai pris le parti de déposer un projet de loi ; j'ai même renoncé, dans la section centrale du projet de loi sur la monnaie de billon, à présenter un amendement concernant la monnaie d'or.

Je compte déposer ce projet de loi dans un délai aussi rapproché que possible. Mais la Chambre ne perdra pas de vue que j'ai à faire un exposé de motifs que je n'aurais pas dû faire, s'il s'était agi d'un amendement à présenter au projet de loi du gouvernement. D'un autre côté, je désire m'entendre avec quelques-uns de mes honorables collègues qui se sont occupés de la question, pour la rédaction du projet de loi.

Puisque j'ai la parole, je ne puis m'empêcher de répondre un mot à une proposition incidentelle qui a été faite par l'honorable M. Allard ; l'honorable membre propose de recevoir les pièces d'or de 20 fr. à 19 fr. 90 centimes.

Mais je ferai remarquer à mon honorable collègue que toutes les pétitions demandent qu'on reçoive les pièces d'or pour leur cours légal. Recevoir les pièces d'or à 19 fr. 90 c., ce serait faire subir une perte énorme à toutes les personnes qui ont de la monnaie d'or.

En Suisse, on reçoit les pièces d'or françaises pour leur valeur ; on n'y a pas décidé de battre de la monnaie d'or ; je crois que ma proposition se renfermera dans ces limites. Par là on a voulu, comme je le voudrais aussi, respecter les scrupules des personnes qui craignent que l'or ne baisse un jour.

Messieurs, la situation dans laquelle nous nous trouvons sous ce rapport vient d'un avis, donné il y a 3 ans, par la Banque nationale, qui a annoncé qu'elle ne recevrait plus les pièces d'or qu'à 19 fr. 50 c. C'est à partir de ce moment que la gêne a commencé et que les réclamations out surgi. On ne réclamait pas auparavant. L'or, quoique n'ayant pas cours légal en Belgique, était reçu par un consentement tacite des acheteurs et des vendeurs. Il n'y avait alors aucune objection en Belgique, comme il n'y en a pas maintenant en Suisse qui n'a pas une banque nationale pour démonétiser l'or français.

J'ai critiqué, il y a trois ans, la mesure prise par la Banque nationale ; elle a été critiquée alors par M. le ministre des finances de cette époque ; et je le répète, je crois que si cette mesure n'avait pas été prise, tous les embarras dont on se plaint n'existeraient pas.

Nous n'avons donc qu'un seul moyen de sortir de cette situation : c'est d'introduire en Belgique le système que la Suisse a adopté, à la majorité de 71 voix contre 12 ; je veux parler du cours légal à donner à l'or français.

M. Allard. - Messieurs, je n'ai pas proposé qu'il soit décrété que les pièces d'or françaises de 20 francs seront reçues dans les caisses publiques, à raison de 19 fr. 90 c ; j'ai demandé si on ne pourrait pas, au pis-aller, prendre cette mesure,

Si cette mesure était prise, celui qui serait détenteur d'or ne subirait qu'une seule fois une perte, tandis qu'aujourd'hui elle se renouvelle toutes les semaines, surtout pour les petits marchands et boutiquiers, sur la même pièce qui leur revient au pair. Les pièces de 20 francs n'auraient cours en Belgique que pour 19 fr. 90 c, tout le monde les recevrait à ce taux, il n'y aurait qu'une seule fois perte de 10 centimes à la pièce, pour ceux qui en seraient détenteurs au moment où cette mesura serait décrétée.

- Le dépôt au bureau des renseignements est adopté.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Maeseyck, le 28 février 1860, le conseil communal de cette localité prie la Chambre de décréter la construction d'un chemin de fer de Bilsen à Liège ou du moins de donner la priorité au tronçon de Bilsen à Tongres.

Par pétition datée d'Herstal, le 25 février, le conseil communal de cette commune demande que le chemin de fer liégeois-limbourgeois passe par Herstal, et qu'il y ait une station dans cette localité.

Messieurs, vous n'avez pas oublié les pétitions de la ville de Tongres et des autres communes intéressées qui ont demandé ce tracé. Je me permettrai quelques observations au sujet et en faveur de la ville de Maeseyck.

La ville de Maeseyck est encore une de ces localités qui ont été le plus frappées par l'exécution du traité de 1839.

Ce traité a placé l'extrême frontière aux portes de cette ville vers l'est et le nord. Dix à douze communes les plus productives de ce district et qui n'avaient que Maeseyck pour centre de leur commerce d'échange ont été séparées de la Belgique et rendues étrangères à Maeseyck.

Si Maeseyck par son éloignement et son peu d'importance ne peut prétendre à être relié au chemin de fer, le moins que l'on puisse faire pour lui c'est de donner la préférence au tracé de Bilsen à Tongres sur tout autre et c'est ce que Maeseyck demande.

Ici l'intérêt de Tongres et de Maeseyck, les deux villes les plus maltraitées, y trouvent ensemble le soulagement qu'elles sont en droit d'exiger par suite de la position qui, dans l'intérêt de l'existence de la Belgique même, leur a été faite.

Cette pétition si justement déduite est donc un motif de plus pour qu'on ne tarde plus l'exécution de cette ligne.

Puis vient la pétition d'Herstal, qui demande que pour que le nord de Liége et Herstal ne restent pas privés des bienfaits du chemin de fer, la ligne à tracer de Tongres à Liège prenne la direction de Glons et aboutisse au nord de Liège en passant par Herstal ; ce qui constitue une raison de plus de commencer la ligne ferrée limbourgeoise par la partie de Bilsen à Tongres.

Vous comprenez l'intérêt tout particulier qu'a la ville de Tongres à être reliée au chemin de fer ; la ville de Maeseyck a également un intérêt vital à ne pas être plus longtemps privée des avantages du chemin de fer ; vous comprenez que ces pétitions sont de la plus haute importance pour toutes ces localités, et votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi au ministre t'es travaux publics.

M. de Renesse. - Messieurs, déjà à plusieurs reprises j'ai appelé l'attention toute particulière de la Chambre et du gouvernement sur la position tout exceptionnelle de la ville de Maeseyck, qui, avant 1830, se trouvait dans une situation très florissante, ayant un commerce très notable, non seulement avec la Hollande, mais encore avec la ville et la province de Liège.

La ville de Maeseyck était alors l'entrepôt des marchandises coloniales venant de nos anciennes provinces du Nord, et des denrées et produits naturels et fabriqués, surtout de la province de Liège ; elle avait aussi des relations très suivies avec les communes de la province de Limbourg de la rive droite de la Meuse ; cette prospérité fut tout à coup anéantie par l'exécution du traité de 1839 ; elle perdit alors plus de 10,000 habitants de son canton, dont plusieurs communes très importantes furent rétrocédées au gouvernement néerlandais.

Depuis cette époque, la ville de Maeseyck n'a cessé de réclamer contre sa position si extraordinaire et contre son isolement du reste du pays ; elle avait réclamé des Chambres et du gouvernement l'exécution d'un petit canal, qui eût relié cette ville au canal de Maestricht à Bois-le-Duc, à Neeroeleren. Au moyen de cette voie navigable elle aurait pu plus facilement diriger son commerce vers Liège, qu'actuellement par la Meuse, dont la navigabilité s'est considérablement empirée depuis quelques années.

Jusqu'ici la juste réclamation de la ville de Maeseyck n'a pas encore pu recevoir un commencement d'exécution, malgré l'appui donné à plusieurs reprises par le conseil provincial du Limbourg, et la défense des intérêts de cette ville au sein des Chambres législatives, et cependant de grands travaux publics ont été décrétés et en grande partie exécutés dans la plupart de nos provinces, sans que la ville de Maeseyck en ait eu sa part.

La ville de Maeseyck notamment, depuis la session de 1855-1856, lorsqu'il s'est agi du grand projet des travaux publics, avait cru devoir pareillement s'adresser aux Chambres et au gouvernement, ainsi que toutes les communes de son arrondissement, pour que la législature voulût accueillir avec faveur le chemin de fer de Bilsen par Tongres à Liège ; l'administrtiion de cette ville a même fait des démarches en 1856 auprès de l'autorité communale de la ville de Liège, afin que cette grande (page 840 cité industrielle appuyât cette direction plutôt que toute autre, dans le but de pouvoir relier plus directement cette contrée du Limbourg aux marchés de Tongres et de Liège.

Aujourd’hui que la question de rattacher la ville de Tongres et la plus grande partie de cet arrondissement judiciaire à une voie ferrée a surgi de nouveau, avec plus d'animation que jamais, le conseil communal de la ville de Maeseyck croit devoir supplier avec instance les Chambres et le gouvernement de vouloir décréter la ligne ferrée de Bilsen par Tongres à Liège, ou du moins de donner la priorité au tronçon de Bilsen à Tongres qui ne peut manquer, dans un avenir rapproché, d'être prolongé jusqu'à Liège.

L'administration de la ville de Maeseyck fait ressortir que la direction par Bilsen intéresse au plus haut point les cantons de Mechelen, de Bilsen et de Maeseyck et même celui de Brée, appartenant tous à l'arrondissement judiciaire de Tongres. Ces cantons avaient jusqu'ici des relations commerciales assez considérables avec le marché principal de la province de Limbourg, celui de Tongres, qui est sans contredit l'un des plus forts marchés entrepositaires de la ville de Liège, puisque le bureau de l'octroi du faubourg Sainte-Walburge à Liége, qui se trouve à la porte vers Tongres, est celui qui rapporte le plus, après celui des Guillemins ; aussi l'administration de cette ville a, elle-même dû reconnaître l'importance du marché de Tongres, lorsque en 1856-1857, elle avait chargé une commission spéciale de faire un rapport sur la meilleure direction à donner au chemin de fer liégeois limbourgeois.

Si cette direction vers Bilsen n'obtenait pas la préférence d'exécution immédiate, il en résulterait, d'après la requête de Maeseyck, que les habitants des quatre cantons nord-est du Limbourg, appartenant à l'arrondissement judiciaire de Tongres, auraient à faire un détour de 5 à 6 lieues en passant par Hasselt pour se rendre à Tongres ou à Liège, soit pour leurs affaires judiciaires ou commerciales.

Quand la population entière de ces cantons n'a cessé, depuis plusieurs années, de réclamer d'être reliée à Tongres et à Liége par Bilsen, peut-on, en justice, repousser une pareille demande aussi fondée ? Il est à croire qu'elle doit, par une longue expérience de ses relations d'affaires, mieux connaître que tout autre où il est préférable pour le moment d'être rattachée à une voie ferrée.

L'opposition seule de la ville de Hasselt et de quelques communes, dans le Limbourg, ne doit pas prévaloir ici, puisque le léger détour de 2 à 3 kilomètres, par Bilsen, ne peut être d'aucune importance pour Hasselt ; elle qui, en 1845 et en 1853, repoussait formellement la ligne directe par Cortessem à Liège ; alors un détour de 5 à 6 lieues par Landen à Liège lui paraissait insignifiant sur le parcours d'une voie ferrée ; l’on pourrit même contester ce détour de 2 à3 kilomètres par Bilsen ; cari la ligne de Tongres à Hasselt présente une certaine difficulté d'exécution, par les grands accidents de terrain qu'il faudra chercher à éviter ce qui, nécessairement, allongerait le parcours de cette voie ferrée. D'ailleurs, la construction de ce chemin de fer coûterait de 4 à 5 millions, tandis que la courte ligne par Bilsen ne se montera guère au-delà de 1,400,000 francs, et certes l’Etat ne peut reculer devant une dépense aussi minime, lorsqu’il s’agit de porter un remède efficace aux doléances et aux souffrances d’une riche et populeuse partie d’une province qui n’a jamais obtenu une part quelcoque dans les grands travaux publics.

Les actes posés par l'administration supérieure des ponts et chaussées, dans cette partie de la Campine limbourgeoise, viennent même appuyer le tracé par Bilsen, et corroborer la demande de la ville de Maeseyck et de tout son arrondissement ; en effet, depuis quelques années, une grande route, partant de la frontière hollandaise, se dirigeant par le canton d'Achel, vers la ville de Peer, a été décrétée et est en voie d'exécution ; de la ville de Peer, elle sera poussée jusqu'à Genck, où elle aboutira au grand chemin de vicinalité, entre cette commune et Bilsen.

Une autre route vient aussi d'être décrétée ; elle doit rattacher la ville de Brée à la commune d'Asch, et de là elle est reliée à Bilsen par un chemin de grande vicinalité. C'est donc, réellement, vers Bilsen, point central, que plusieurs cantons de cette partie de la Campine auront leurs débouchés vers Tongres et Liège, et, si cette direction de la nouvelle voie ferrée n'obtenait pas la préférence sur toute autre, il est probable que cette partie de la Campine n'obtiendrait peut-être jamais une voie ferrée, et cependant c'est le tracé le plus direct de Liège vers Bosis-le-Doc, Utrecht et Amsterdam d'un côté, et de l’autre vers Dordrecht et Rotterdam.

Comme des demandes en concession de chemins de fer ont été faites, tant dans ce pays-ci qu'en Hollande, il y a lieu d'espérer, lorsque les chambres néerlandaises se seront mises d'accord avec leur gouvernement, que l'un ou l'autre de ces projets pourra alors recevoir une solution favorable ; aussi la ville de Maestricht et sa chambre de commerce ont appuyé à plusieurs reprises la ligne par Bilsen.

Je viens donc recommander et appuyer de tous mes moyens, la demande si fondée de la ville de Maeseyck qui est l'expression sincère et véritable des besoins de relations faciles et plus économies réclamées par les quatre cantons, formant le nord-est de l’arrondissement judiciaire de Tongres, et qui est aussi le sentiment unanime, sauf une exception près, de la ville de Tongres pour obtenir avant tout l’exécution de la petite ligne ferrée entre Bilsen et Tongres, afin de pouvoir sauvegarder les anciennes et fructueuses relations commerciales de ces divers cantons du nord-est du Limbourg avec le marché si important jusqu'ici de la ville de Tongres, et par conséquent avec celui de Liège, marché de consommation.

Ces anciennes relations sont actuellement mises en péril, et cela est incontestable, depuis l'exécution de la voie ferrée de Maestricht à Hasselt, qui détourne vers une autre direction, déjà, une partie des produits et denrées agricoles de cette partie nord-est de la province de Limbourg ; aussi, la ville de Tongres attache la plus grande importance à une décision favorable par des motifs très fondés, et son administration communale vient, par lettre du 27 février, de charger ses mandataires près de la représentation nationale de vouloir faire connaître tout particulièrement au gouvernement « que la section de Bilsen satisfait à tous les besoins essentiels de la ville, et de la majeure partie de l'arrondissement de Tongres, pour sauvegarder les marchés et le commerce de cette partie du Limbourg, » elle demande, en conséquence, avec la ville de Maeseyck, la priorité pour la section de Bilsen à Tongres, si, toutefois, la ligne ferrée de Liège, par Tongres à Bilsen, ne pouvait obtenir une exécution immédiate et simultanée.

C'est donc, en me conformant aux demandes si formelles des villes de Maeseyck et de Tongres, et de la plus grande partie de leurs arrondissements respectifs, que je crois devoir, de nouveau, insister avec force, pour que cette contrée, si importante d'une province, déjà si fatalement froissée, dans tous ses divers intérêts, surtout depuis 1839, né soit plus sacrifiée à d'autres exigences.

Lorsque des réclamations, aussi sérieuses et fondées, sur la situation réelle des choses sont adressées, depuis plusieurs années, à la législature par toute une population qui est réellement dans une agitation pénible, et dans une attente inquiète sur l'issue d'une affaire à laquelle est, en grande partie, attachée, ou l'amélioration de son avenir commerciale ou sa décadence, en cas que sa demande ne recevrait pas une solution immédiate et favorable, il me paraît qu'il est du devoir des Chambres et du gouvernement de ne pas méconnaître de pareilles réclamations,, de les prendre, en considération avec la plus grande bienveillance, et de donner, le plus tôt possible, une solution favorable au désir, si vivement manifesté par un très grand nombre de localités d'une province qui, jusqu'ici, est restée, depuis 1830, eu dehors de tous les grands travaux publics, décrétés aux frais du trésor public, méritent certes sous ce rapport, après de si longues années d'attente, d'être tirées d’un isolement si préjudiciable à tous leurs véritables intérêts, et d'être rattachées à la ligne ferrée où, pour le moment, est la seule sauvegarde de leurs anciennes relations commerciales.

- Le renvoi au ministre des travaux publics est ordonné.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Sur la motion d’un de nos honorables collègues, M. de Lexhy, la commission a été invitée à présenter un prompt rapport sur une pétition datée de Liège, février 1860, par laquelle des habitants de Liège demandent une modification à l'arrêté de clôture de la chasse qui excepte la province de Liège de la faculté de chasser à cor et à cris jusqu'au 15 avril.

Par une pétition de Huy, en date du 2 février, des habitants de cette localité fout la même demande.

Messieurs, les chasseurs et amateurs de chasse de la province de Liège réclament et non sans motifs contre la position exceptionnelle dans laquelle ils sont placés sous ce rapport. Dans toutes les autres provinces il y a une espèce de privilège de chasser à cor et à cris jusqu'au 15 avril.

La province de Liège se trouve dans cette position exceptionnelle que les chasseurs des autres provinces riveraines de la province de Liége viennent poursuivre le gibier sur le territoire même de cette province à la barbe, passez-moi l'expression, des chasseurs de Liège qui ne peuvent s'y opposer.

Il y a la une espèce de déni de justice. Pourquoi les amateurs de chasse de Liège ne jouiraient-ils pas des avantages de la loi aussi bien que les autres provinces ?

Dans cette situation la commission a cru devoir proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur en lui recommandant spécialement, pour le cas où il jugerait bon de satisfaire à la demande des pétitionnaires, de le faire immédiatement, parce que le temps court, que le 15 avril sera là et que les chasseurs n'auront pas pu, pour l'année courante, jouir des avantages dont jouissent les chasseurs des autres provinces.

C’est avec cette recommandation que la commission propose le renvoi au ministre de l'intérieur.

- Le renvoi est prononcé.


Il est procédé au tirage au sort des membres de la députation chargée d'assister aux obsèques de M. Coppieters t' Wallant.

Le sort désigne MM. Thienpont, Van Iseghem, Alph. Vandenpeereboom, de Breyne, Allard et Desmet.

Les membres qui voudront s'adjoindre à la députation se réuniront à elle pour se rendre à Bruges.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre VIII)

Discussion des articles

Titre VIII. Des crimes et des délits contre les personnes

Chapitre V. Des atteintes portées à l’honneur ou à la considération des personnes
Article 514

M. le président. - La discussion sur l'article 514, close à la séance d'hier, est rouverte.

M. Nothomb. - Je voudrais présenter une observation (page 841) relativement à la rédaction proposée en dernier lieu pour l'article 514. Cet article serait ainsi conçu :

« Est coupable du délit de calomnie celui qui, dans les cas ci-après indiqués, a méchamment imputé à une personne un fait précis qui serait de nature à porter atteinte à l'honneur de cette personne ou à lui enlever l'estime publique, et dont la preuve légale n'est pas rapportée. »

C'est à propos de ces dernières expressions « ou à lui enlever l'estime publique » que je désire faire une remarque ou plutôt exposer l'hésitation que j'éprouve.

Il me semble que ces mots « ou à lui enlever l'estime publique » sont trop absolus, expriment une idée trop générale ; ils tendraient à faire croire qu'un fait, pour être réputé calomnieux, devrait avoir pour résultat d'anéantir, de supprimer, de détruire entièrement l'estime publique dont la personne qui se plaint peut être entourée.

Telle, messieurs, n'est pas, je pense, l'opinion ni de M. le ministre de la justice, ni de l'honorable rapporteur, ni peut-être de personne. Il suffit, pour tomber sous l'application de notre article, que le fait imputé soit de nature à porter une atteinte, même partielle, à l'estime dont un citoyen jouit. Du moins j'entends ainsi la disposition.

C'est pour éviter toute espèce d'équivoque que je présente ces quelques observations. Ou pourrait peut-être couper court à cette difficulté, si mon observation est trouvée fondée, en intercalant la préposition disjonctive « de » entre le mot « enlever » et le mot « l’estime » et en disant : « ou à lui enlever de l'estime publique. » Ou l'on pourrait encore employer l'expression « amoindrir » et dire : « Tout fait précis qui serait de nature à porter atteinte à l'honneur de cette personne ou à l'amoindrir dans l'estime publique. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je pense qu'on peut maintenir la rédaction telle qu'elle est, surtout après le commentaire extrêmement clair que l'honorable M. Pirmez, dans son rapport d'hier, a donné de la disposition qui vous est proposée.

La commission ainsi que le gouvernement ont entendu cet article en ce sens que l'on devait punir comme coupable de calomnie celui qui articulerait un fait de nature à diminuer la valeur d'un homme dans l'estime de ses concitoyens. C'est dans ce sens que l'article a été rédigé et doit être entendu.

Maintenant à quel degré faut-il porter atteinte à l'estime dont jouit une personne pour tomber sous l'application de la loi ? Ce sont des questions d'appréciation à faire par le juge. Mais il suffit qu'un homme soit diminué moralement par l'articulation d'un fait méchamment affirmé et dont la preuve légale n'est pas rapportée, pour qu'on se soit rendu coupable et qu'on tombe sous l'application de l'article en discussion.

M. Muller. - J'avoue qu'hier, lorsque je me suis rallié à l'amendement qui nous était proposé au nom de la commission, je ne l'avais pas compris avec l'interprétation que lui donne aujourd’hui M. le ministre de la justice. Nous avions, deux de mes honorables collègues et moi, proposé de supprimer l'atteinte à la considération et de se borner à frapper les faits précis et calomnieux qui seraient de nature à attenter à l'honneur. Reconnaissant que le mot « considération » représente une idée très vague et sujette à des interprétations arbitraires, la commission qui a examiné notre amendement a conclu à les remplacer par la phrase suivante : « de nature à enlever l'estime publique. » Quant à moi, je ne crois pas pouvoir consentir à ce qu'on divise et morcelle « l'estime publique », de telle sorte qu'il suffira d'énoncer un fait amoindrissant d'une parcelle quelconque, sur un point qui n'a pas d'importance capitale, les droits qu'une personne croit avoir à l'estime publique, pour que l'on tombe sous l'application de l'article qui définit la calomnie, au lieu de n'être passible que de la peine commutée contre l'injure.

Or, enlever à quelqu'un l'estime publique, c'est lui ravir d'une manière générale, par l'imputation d'un fait grave, la possession qu'il avait de cette estime qui n’est pas divisible aux yeux de l'opinion publique, pas plus que ne l'est l'honneur.

J'étais, je viens de le dire, disposé à voter l’article tel qu'il avait été modifié par la commission, avec la signification que le mot « enlever » me semblait avoir ; mais plutôt que d'accepter le dernier commentaire et la portée extensive que lui donne M. le ministre de la justice, je reprendrais mon amendement en demandant qu'on s'en tienne aux faits précis qui seraient de nature à porter atteinte à l'honneur.

M. B. Dumortier. - Messieurs, je partage l'opinion diamétralement opposée à celle de l'honorable membre qui vient de se rasseoir.

Je déclare, pour mon compte, qu'à première vue j'ai regretté de voir supprimer le mot « considération » pour le remplacer par celui d'« estime. » Voici pourquoi : je pense que dans un pays où l'on jouit de la plus grande liberté en matière de parler, d'impression, de presse, en un mot dans toutes les matières qui se rapportent à l'article en discussion, précisément à cause de l'immense liberté dont on jouit, on doit prévoir les cas où cette liberté deviendra une fâcheuse et déplorable licence. La liberté est une chose magnifique, pourvu qu'elle ne tourne pas en des excès, et je crois que la meilleure manière de protéger la liberté, c'est d'empêcher les abus auxquels elle peut donner lieu.

Or, je voyais bien plus de garanties dans l'expression de « considération » que dans celle d' « estime publique ». Pourquoi ? Parce qu'au mot « considération » s'oppose le mot « déconsidération », c'est-à-dire que celui qui touche à la considération d'une autre personne amène sur elle la déconsidération. Je ne vois pas une opposition semblable pour le mot « estime publique. »

Cependant je dois dire que les commentaires donnés par M. l'honorable rapporteur et par M. le ministre de la justice me satisfont pleinement ; je demeure d'accord avec eux qu'on doit entendre cet article en ce sens que les faits qui diminueraient dans l'estime de ses concitoyens, la valeur morale de la personne à laquelle ils se rapportent, tomberaient sous l'application de la disposition. Mais, dit l'honorable M. Muller, je ne vois pas là le caractère de calomnie. Messieurs, c'est une question d'appréciation. Quant à moi j'y vois le caractère de calomnie beaucoup pins nettement tranché encore que dans le mot d' « honneur. »

Qu'est-ce que l’honneur ? C'est une chose qu'on sent, mais qu'on définit très difficilement. Il est beaucoup plus difficile d'arriver à une définition de ce mot qu'à l'interprétation de la phrase introduite par la commission, d'accord avec M. le ministre de la justice.

Nous sentons vivement l'honneur, mais il est très difficile d'en donner une bonne définition judiciaire.

M. Muller. - Les juges la sentiront aussi.

M. B. Dumortier. Oui, mais on peut lui donner une interprétation extrêmement élastique.

Telle personne pourra dire : Je trouve mon honneur atteint par telle accusation, par telle allusion, et le juge pourra répondre : Je ne trouve pas que votre honneur soit atteint.

La considération ou l'estime publique est au contraire une chose que chacun peut sentir ; c'est une chose beaucoup plus appréciable. Si donc une partie de l'article devait être retranchée, ce ne serait pas la phrase introduite par M. le ministre d'accord avec la commission, ce serait la première partie qu'il faudrait retrancher. Mais je trouve que la disposition, telle qu'elle est rédigée, offre à la justice un moyen clair de savoir ce que vaut la loi en pareille matière.

Je le répète, plus on jouit dans un pays de la liberté de parler et d'écrire, plus la sécurité des citoyens doit y être sauvegardée contre les abus de cette liberté. Si nous étions dans un pays où la presse, où la parole ne seraient pas libres, de pareilles dispositions seraient parfaitement superflues dans le Code. Mais en présence de la grande liberté dont nous jouissons je regarde ces dispositions comme indispensables, précisément dans l'intérêt des libertés publiques, pour les faire aimer, les faire chérir, les faire respecter, et je donnerai mon assentiment à l'article.

M. Pirmez, rapporteur. - Je crois qu'il suffit d'une observation bien simple pour répondre complètement à l'objection de l'honorable M. Muller.

Nous étions hier d'accord sur un point : c'est qu'il fallait protéger d'une madère efficace la valeur morale de l'individu.

Nous avons écarté le mot « considération », parce que ce mot comprend le talent, la fortune, la position, comme il comprend les qualités morales.

Nous ne nous sommes pas contentés du mot « honneur », parce que dans son sens étroit, il s'applique plus spécialement à la probité et au courage, et qu'il faut qu'il soit certain que les autres qualités morales sont aussi protégées contre les imputations calomnieuses.

L'honorable M. Muller prétend que l'estime est indivisible et qu'en conséquence on ne peut enlever une partie de l'estime publique. Je crois que c'est une erreur.et l'honorable M. Muller lui-même me paraît devoir en convenir.

Voici pourquoi :

Il admet qu'il y a calomnie, lorsqu'on porte atteinte à l'honneur. Or, évidemment toute atteinte à l'honneur ne constitue pas la destruction complète de l’honneur d’une personne. Ainsi supposez qu’un homme ait commis un acte de flagrante lâcheté. Cet homme peut avoir conservé sa probité intacte.

On voit que l'homme peut être considéré sous le rapport de l'honneur à des points de vue tout à fait différents. L'estime aussi a différents côtés.

On peut perdre de l'estime publique sous le rapport du courage et la conserver sous le rapport de la probité. L'homme est souvent un assemblage de défauts et de qualités, de vices et de vertus, dans lequel l'extrême du bien touche à l'extrême du mal.

Je craindrais que, si l'on n'admet pas cette divisibilité de l'estime, on ne vienne soutenir que l'imputation attentatoire à toutes les qualités morales d'un individu constitue seule la calomnie.

Je crois que ce peu de. mots suffira pour préciter le sens de la loi.

Si l'honorable M. Nothomb ne se contentait pas des observations qui ont été faites par M. le ministre de la justice avec qui je crois pouvoir dire, au nom de la commission, que nous sommes tout à fait d’accord, il peut proposer une modification ; mais je crois cette modification complètement inutile.

M. Nothomb. - Je me félicite d'avoir soulevé cette discussion, parce qu'elle aura pour effet de faire cesser un malentendu sur la portée de la loi. L'honorable M. Pirmez vient de l'établir d'une manière très claire.

Dans la pensée de l'honorable M. Muller et de ses adhérents, il faudrait que les imputations portassent sur l'ensemble des faits qui (page 842) constituent la valeur morale d'un homme et lui enlevassent l'estime publique tout entière. C'est ce que nous ne voulons pas. Il suffit d'une atteinte partielle portée à l'estime publique, pour que l'atteinte calomnieuse se réalise et la répression aussi.

Voilà comment j'ai entendu l’article et dans quel sens j'ai présenté mes observations. Je me contente des déclarations formelles de M. le ministre de la justice et de l'honorable rapporteur. Toutefois, je préférerais que leur explication, qui tranche un point important, se trouvât formellement dans la loi, et je pense encore que les mots « amoindrir dans l'estime publique » ou d'autres équivalents, rempliraient mieux le but et empêcheraient les difficultés que je prévois dans l'application.

M. Muller. - Messieurs, lorsque j'ai dit que l'estime publique et l'honneur sont des choses indivisibles, je n'ai pas prétendu qu'ils ne peuvent pas être détruits par une imputation calomnieuse portant sur un acte isolé de la vie morale ; mais si l'atteinte à l'honneur suffit pour déclarer calomniateur celui qui s'en est rendu coupable en avançant des faits faux, c'est précisément parce que l'honneur que chacun sait sentir et comprendre est indivisible. Mais une question qui prêterait beaucoup plus à des débats et à des solutions arbitraires, ce serait celle, non de la perte de l'estime publique, ce qui suppose l'imputation d'un fait bien grave, mais d'une réduction, même des plus légères, de cette estime.

Les commentaires de M. le ministre de la justice et de l'honorable M. Nothomb, comme celui de M. le rapporteur, diffèrent aujourd'hui essentiellement de ce qui avait été compris hier ; et la preuve, c'est que l'honorable M. Nothomb a cru nécessaire de demander une explication.

Permettez-moi de répéter que c'est donner à l'article une élasticité trop grande et d'émettre le vœu que l'on conserve à l'expression « enlever l'estime publique » sa signification naturelle. Dire qu'il suffit qu'on soit quelque peu amoindri dans l'estime publique sans l'avoir perdue, pour qu'on soit victime d'une calomnie et non d'une injure, c'est laisser le champ le plus vaste à l'appréciation arbitraire du juge : or, comme vous avez déjà supprimé de l'élément constitutif de la calomnie le caractère de publicité...

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Du tout.

M. Muller. - Mais oui ; car désormais il pourra y avoir calomnie sans qu'elle ait été proférée dans un endroit public.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Dans presque tous les cas, non. Il faut voir les articles suivants.

M. Muller. - Je vous parle de l'article 514, tel qu'il la définit. Eh bien, je vous engage à nous donner la garantie qu'on ne pourra pas appliquer cette disposition d'une manière abusive. Amoindrir quelqu'un dans l'estime publique, cela peut mériter une répression ; mais cela n'est pas évidemment aussi grave que de lui enlever complètement cette estime publique, ou que de l'exposer au mépris de ses concitoyens, termes dont se sert le Code pénal de 1810.

M. Guillery. - Je viens appuyer les observations de l'honorable M. Muller ; elles me paraissent parfaitement juste. L'honorable membre a d'autant plus le droit de les présenter, que d'après les explications qu'il me donnait hier en me rapportant ce qui s'était passé au sein de la commission, il insistait sur ce mot « enlever » qui, me disait-il, avait été la cause déterminante de sa décision.

Il est évident qu'avec le commentaire qu'on vient de donner, l'amendement de la commission ne signifie plus rien, et je comprends parfaitement que l’honorable préopinant reprenne le sien.

Comme on l'a fort bien dit, l'honneur et l'estime publique sont indivisibles. Cela ne veut pas dire que pour enlever à quelqu'un l'estime publique, il faille lui enlever toutes les qualités qui peuvent la constituer.

Mais il est assez difficile de faire des définitions à l'infini sur les parcelles d'estime publique qui peuvent être successivement enlevées.

Avec le commentaire qui vient d'être donné, nous revenons à l'ancienne rédaction. On veut punir l'atteinte portée à la considération, et la preuve c'est que la modification que vient de proposer l'honorable M. Nothomb rentre complètement dans le système du projet. Porter atteinte à l'estime et porter atteinte à la considération, ne signifient pas absolument la même chose. Mais il faut être métaphysicien très habile pour pouvoir appliquer dans la pratique ces distinctions. Si, pour prendre l'exemple qu'a cité le premier rapporteur de la commission, je dis d'un avocat qu'il plaide mal les affaires, si je dis d'un négociant qu'il gère avec inhabileté, qu'il a éprouvé des pertes ; si je dis d'un médecin qu'il traite mal les malades, est-ce que je ne leur enlève rien de l'estime publique ? (Interruption.) Pouvez-vous prétendre qu'un avocat dont on dira qu'il plaide mal les affaires qui lui sont confiées, a conservé l'estime publique au même degré que celui dont on dira qu'il plaide parfaitement ?

Votre définition donne lieu à des discussions à l'infini dans l'application. Ne perdez pas de vue que, malgré les expressions si claires du Code qui nous régit, je trouve encore dans le rapport de la commission que le tribunal de Namur a appliqué cet article à un cas analogue à celui que je viens de citer.

En pareille matière le législateur doit être parfaitement clair.

Si je dis d'un homme qu'en faisant un ouvrage, une brochure, il a cité à tort tous les textes, qu'il a dénaturé l'histoire, qu'il a représenté comme un ignorant celui qui est, au contraire, un savant, est-ce que je ne lui ai rien ôté de l'estime publique ?

Est-ce que l'estime dont il jouit restera aussi grande qu'avant ces imputations ? Allez-vous me punir comme calomniateur ?

L'honorable M. Dumortier dit que dans un pays où la parole est libre, il faut que la loi soit sévère dans la répression des abus.

C'est très vrai, mais il me semble que la parole ne sera plus très libre, si l'on punit toute espèce d'imputation qui peut porter atteinte à l'estime en quelque parcelle que ce soit. N'oubliez jamais, messieurs, qu'il ne s'agit pas d'imputations calomnieuses, dans le sens usuel de ce mot, d'imputations fausses ; j'aurais dit ce qui est cent fois vrai, je serai condamné.

Si, indigné de voir un homme s'élever malgré sa conduite honteuse, je signale cette conduite, je serai condamné comme calomniateur.

Tout le monde, y compris les juges, partagera mon indignation. Mais je n'en serais pas moins condamné parce qu'on dira la loi est ainsi faite : celui qui apprécie la conduite d'un homme et qui la juge défavorablement se trouve sous le coup de la présomption qu'il a menti. Mais alors, messieurs, il faut au moins ne punir que des imputations excessivement graves.

Il y a, comme l'a dit un auteur, quelque chose d'étrange dans cette présomption absolue d'innocence au profit de celui qui est attaqué et dans cette présomption absolue de mensonge contre celui qui attaque.

Il faut bien, si vous admettez la liberté de parler, la liberté d'écrire la liberté de se mouvoir, il faut bien admettre la liberté de blâmer ce qui est blâmable, de blâmer les gens qui commettent des actions indignes.

Sans doute, il ne faut pas aller trop loin sous ce rapport ; mais si je dis, par exemple, d'un homme qu'il a changé d'opinion plusieurs fois, est-ce que je ne lui aurais pas enlevé l'estime publique ? Cependant il faut bien que j'aie le droit de dire cela, si c'est ma pensée.

Il ne faut pas condamner l'honnête homme qui, dans un moment d'indignation, s'attaque à ce qui est odieux, ce que tout le monde réprouve.

En présence des observations qui viennent d'être échangées, je déclare, messieurs, que si l'honorable M. Muller reproduisait son amendement, je serais le premier à l'appuyer.

M. Pirmez, rapporteur. - L'honorable M. Muller m'a fait un reproche, reproche auquel je dois être sensible, car il n’est pas mérité. C'est de donner aujourd'hui une explication de la définition proposée, différents de celle que j'ai donnée hier.

Hier, messieurs, il n'était question que d’une seule chose, de la portée du mot « considération » et de la portée du mot « estime » ; j'ai indiqué quelle était la manière de voir de la commission sur la portée de ces deux mots.

Il ne s'est nullement agi de l'intensité, de la gravité de l'atteinte portée soit à l'estime, soit à la considération.

Je le répète, nous avons supprimé le mot « considération » parce que l'on peut prétendre que celle-ci s'attache non seulement aux qualités morales, aux circonstances imputables à l'individu, mais encore des choses intellectuelles ou matérielles, indépendantes de la volonté, comme le talent, la position, la fortune.

Nous avons adopté le mot « estime » parce que nous avons voulu restreindre la calomnie aux imputations qui portent atteinte à la personnalité morale.

Mes explications se sont bornées hier à donner cette portée à l'expression estime publique, j'en appelle à toute la Chambre comme aux Annales. J'attache aujourd'hui le même sens à ce mot.

L'honorable M. Muller s'occupe maintenant du plus ou moins de gravité des résultats de l'interprétation quant à l'estime qu'elle atteint. Il suffira, dit-il, d’enlever à quelqu'un une parcelle homéopathique de l'estime publique pour qu'il y ait calomnie ; c'est ce qu'on ne peut admettre. Mais je dirai à l'honorable membre : D'après votre système il faudra, pour qu'il y ait calomnie, qu'il ne reste pas une parcelle homéopathique d'estime publique à celui qui a été attaqué.

Il est en principe de droit, messieurs, qu'il ne faut pas oublier : De minimis non curat prator. Le juge n'a pas à s'occuper de choses inappréciables. Il faut qu'il y ait une atteinte sérieuse à l'estime pour qu'il y ait calomnie.

Le même principe s'applique à la lésion de l'honneur.

M. Muller admet que l'atteinte à l'honneur constitue la calomnie ; il suffira donc, d'après lui, que l'on blesse d'une manière insensible l'honneur de la personne offensée pour qu'il y ait calomnie.

Il tomberait ainsi dans le défaut même qu'il nous reproche. Il consent à ce que toute atteinte à l'honneur constitue la calomnie. Pourquoi dès lors ne pas admettre que l'atteinte à l'estime dont jouit la personne lésée ne soit pas sur la même ligne ?

Nous faisons pour l'estime ce que l'honorable membre admet pour l'honneur en donnant à l'article la portée qu'y donne l'observation de l'honorable M. Nothomb.

(page 843) L'honorable M. Guillery me paraît regretter de ne pas voir admettre la preuve des faits allégués. (Interruption.) Vous dites : C'est une chose regrettable de voir la présomption légale d'honnêteté en faveur de celui qui est attaqué et vous avez rappelé les paroles de M. Destriveaux.

M. Guillery. - Je demande la parole.

M. Pirmez, rapporteur. - Toute la Chambre a entendu vos paroles.

L'honorable M. Guillery ajoute : Si vous n'êtes pas bien sévère dans la définition, l'on n'aura plus le droit de blâmer ce qui est blâmable.

Mais quelle serait, en partant de cette considération, la conséquence d'une définition très étroite ? Uniquement de soustraire à la faculté du blâme les faits les plus graves.

Si je dois avoir le droit de blâmer la conduite de mes concitoyens, je dois avoir surtout le droit de blâmer et de rapporter les faits qui constituent les attentats les plus répréhensibles. La restriction de la définition ne ferait que méconnaître cette conséquence de principe, et plus on la restreindra plus sera frappant le privilège admis pour les faits graves. En définitive les faits les plus blâmables seront seuls protégés contre le blâme.

Mais, hâtons-nous de le dire, nous repoussons la base d'une pareille argumentation. La raison en est bien simple.

Quand il s'agit des affaires de l'Etat que, dans notre pays de liberté, chacun est maître d'apprécier, quand il s'agit des hommes publics que chacun a le droit de juger, nous voulons une grande latitude ; mais, par contre, nous voulons que la vie privée soit à l'abri de téméraires attaques ; il faut, comme on l'a dit hier, qu'elle soit murée. Là le droit de juger et de blâmer n'existe pas, et nul ne doit prétendre à s'ingérer dans l'appréciation de la conduite de ses concitoyens.

Messieurs, l'interprétation que nous donnons au projet est celle que la commission lui a toujours donnée et que j'ai exposée aussi clairement que je l'ai pu dans la séance d'hier.

Messieurs, quelle que soit la définition (et c'est là un point capital dans toute cette discussion) quelle que soit la définition que nous donnions à la calomnie, il y aura toujours, et tous les criminalistes l'ont reconnu, beaucoup à faire de la paru du juge.

Faites une loi aussi bonne qu'il soit humainement possible de la faire, si vous avez de mauvais tribunaux et de mauvais juges, vous aurez une mauvaise loi.

Si la loi laisse quelque chose à désirer dans la définition, et si vous avez en même temps des tribunaux appréciant facilement l'intention du législateur, la valeur des faits sur lesquels ils ont à prononcer, vous aurez des jugements qui ne laisseront rien à désirer.

Toutes les imputations contenues dans des écrits imprimés sont de la compétence du jury pour qui les subtilités d'une définition sont peu importantes. Le jury est ici une puissante garantie contre les abus.

Les calomnies verbales sont de la compétence des tribunaux ordinaires, la manière dont ils ont appliqué le Code de 1810 me rassure aussi sur la manière dont ils appliqueront le projet.

M. Guillery. - Je demande bien pardon à la Chambre de devoir lui présenter en double expédition les observations que j'ai déjà en l'honneur de lui faire ; mais si l’honorable rapporteur continue, chaque fois qu'il prend la parole pour me combattre, à dénaturer ce que j'ai dit, je devrai la demander pour rétablir la vérité. Si mes doctrines prêtent le flanc à la critique, l’honorable rapporteur peut profiter de l'avantage et de tant d'autres qu'il a sur moi sans y ajouter encore le facile plaisir de me créer des opinions que je n'ai pas émises. Je suis responsable ici, non pas des idées que la sagacité de l'honorable M. Pirmez croit découvrir au fond de mon cœur, mais des idées que j'ai émises.

Qu'au fond je regrette ou je ne regrette pas qu'il n'y ait pas de preuve, en matière de calomnie, je n'en ai pas dit un mot ; j'ai dit que le mot de « calomnie » était très mal employé, je l'ai dit avec des hommes assez éminents pour que je ne sois pas très sensible aux critiques dont mon opinion pourrait être l'occasion ; j'ai dit qu'il y avait contradiction entre le langage légal et la signification ordinaire du mot, dans la langue française, en appelant calomnie le fait de dire la vérité ; pour moi, je l'avoue, je ne puis comprendre que dire d'un voleur qu'il est un voleur, soit une calomnie.

Dire la vérité peut être une diffamation ; ce n'est pas une calomnie. En cherchant à caractériser le but que doit avoir en vue le législateur, les idées qui doivent le préoccuper lorsqu'il trace les limites de la plainte en calomnie, j'ai dû appeler l'attention de la Chambre sur la nature du délit ; et sans avoir proposé ni directement ni indirectement, d'autoriser la preuve, j'ai dû faire remarquer qu'en matière de calomnie, on condamne comme calomniateurs ceux qui ont dit la vérité, et j'en ai tiré une conclusion en termes excessivement clairs ; j'ai dit que quand la loi était sévère dans la répression, quand elle place l'accusateur dans une présomption permanente de mensonge et l'accusé dans une présomption permanente d'innocence, il faut limiter avec grand soin le délit, parce qu'il ne doit pas porter atteinte à la liberté de discussion.

Cette pensée n'cst-elle pas claire ? n'est-il pas évident qu'il faut concilier, autant que possible, ce qu'exige la considération due à chaque citoyen, avec le droit de parler et d'écrire ?

Je sais fort bien, je ne sais que trop, que je suis très loin des doctrines de l'honorable rapporteur en cette matière ; mais tout en nous combattant, nous pouvons cependant ne pas nous attaquer, nous pouvons surtout laisser tels qu'ils sont, les arguments qui sont produits.

J'ai parlé de l'interprétation qui a été donnée aux mots : « enlever l’estime publique. » Et la preuve que l'interprétation donnée aujourd'hui est différente de ce qu'avaient compris certains membres de la Chambre, c'est l'observation même qui a été présentée par l'honorable M. Nothomb. Si l'honorable membre a cru devoir la faire, c'est qu'il n'a pas trouvé que le texte fût clair par lui-même, et si l'honorable M. Muller, auteur de l'amendement, l'avait compris autrement, il faut bien admettre que cela donne lieu à différentes interprétations.

Or, un des premiers buts du législateur est d'être clair ; et les juges qui auraient à consulter nos débats ne seront guère éclairés pour l'application de la loi.

Je regrette que l'amendement de l'honorable M. Muller ne soit pas resté tel qu'il était ; je crois que les mots : « porter atteinte à l’honneur, » donnaient toute satisfaction. Il n'y a pas lieu de faire une distinction. On comprend très bien ces mots : « porter atteinte à l'honneur. »

Il n'y a pas de juge, il n'y a pas de jury qui ne soit à même de répondre, lorsqu'on lui demandera : Telle imputation porte-t-elle atteinte à l'honneur ?

Quant au mot « estime », personne n'a soutenu que l'imputation dût être de nature à enlever toutes les qualités qui peuvent concilier à quelques-uns l'estime publique ; mais l'on a dit que l'estime publique est une chose indivisible. Enlever l'estime publique, cela se comprend ; cela est clair pour tout le monde ; mais du moment que l'on fait les commentaires auxquels se sont successivement livrés l'honorable M. Nothomb, et M. le ministre de la justice, et l'honorable rapporteur, il est évident qu'on trouvera dans ces explications le moyen d'étendre la loi excessivement loin.

En quoi qu'en dire, il y a eu des abus ; j'en trouve la preuve dans le rapport de la commission, et dans un jugement du tribunal de Namur qui a appliqué l'article 367 du code pénal dans un sens où personne ne veut aujourd'hui qu'il soit appliqué.

Il est donc très nécessaire d'être clair et précis ; je comprends le projet du gouvernement ; c'est un système et je le trouve clairement expliqué ; mais ce n'est pas le même que celui de l'honorable M. Muller ; faisant un choix entre ces deux systèmes, j'appuie le dernier.

Maintenant qu'il y ait différentes opinions sur la portée des mots, « enlever l'estime, » il me paraît indispensable que la Chambre tranche la difficulté, par un changement de rédaction, soit dans le sens du projet du gouvernement, soit dans celui du système de l'honorable M. Muller.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je ne pense pas qu'il y ait, entre le système de l'honorable M. Muller et celui du gouvernement, une différence sérieuse ; à moins que l'honorable M. Muller n'accepte pas pour l'estime ce qu'il accepte pour l'honneur. Si l'honorable M. Muller accepte pour l'estime les mêmes conditions qu'il accepte pour l'honneur, nous sommes d'accord. M. Muller condamne l'affirmation du fait qui aura porté atteinte à l'honneur ; nous ne demandons qu'une chose, c'est que l'on condamne aussi le fait qui aura porté atteinte à l'estime publique.

Maintenant, quant à ces nuances multiples qui peuvent se présenter, n'ayant pas la prétention de les prévoir dans la loi, ce sera au juge à apprécier à quel degré on aura entamé l'estime dont jouit un homme, à quel degré on aura entamé son honneur ; il appréciera de la même manière l'atteinte portée à l’estime et l'atteinte portée à l'honneur ; je ne vois donc pas bien la différence qu'il y a entre le système de M. Muller et le nôtre.

Un mot maintenant en réponse à l'honorable M. Guillery. Il discute l'article sans tenir le moindre compte des conditions que la loi détermine pour que le délit de calomnie existe ; il parle continuellement comme s'il s'agissait de porter atteinte à la libre discussion, il cite des cas qui ne peuvent pas tomber sous l'application de la loi.

La loi dit que pour qu'il y ait calomnie il faut avant tout deux conditions : d'abord l'articulation d'un fait précis qui porte atteinte à l'honneur ou à l'estime, et elle ajoute qu'il faut que ce soit méchamment que le fait ait été articulé. Voilà, en dehors de la condition de publicité et de preuve légale, les conditions que la loi exige ; M. Guillery n'en tient pas compte. Il raisonne comme si la moindre atteinte à l'honneur, alors même qu'elle ne reposerait pas sur un fait précis et ne serait pas faite méchamment, tomberait sous l'application de la loi. C'est là une complète erreur.

Quand on impute un fait faux, méchamment à quelqu'un, ce n'est pas de la discussion, ce n'est pas user de la liberté de discussion, c'est calomnier ; c'est là ce que l'honorable M. Guillery perd continuellement de vue.

L'honorable membre déclare qu'il ne comprend pas très bien comment on peut admettre que des faits vrais soient calomnieux, et comment la loi ne se sert pas du mot « diffamation », au lieu du mot « calomnie ».

Ce serait un non-sens si la loi employait un autre terme que celui de « calomnie. »

Elle établit la présomption que le fait imputé n'est pas vrai ; c'est en raison de cette présomption que la loi doit employer le mot « calomnie » ; si elle se servait du mot « diffamation », la loi établirait la présomption que le fait est vrai, mais qu'elle défend de le prouver.

(page 844) La loi ne serait pas logique. Quels sont les faits qu'il n'est pas permis de divulguer ? Ce sont les faits de la vie privée, que personne n'a le droit de scruter. Le terme dont la loi se sert est donc en harmonie parfaite avec l'esprit de sa disposition.

M. Muller. - Il est évident que malgré les observations qui ont été présentées par M. le ministre de la justice, l'honorable rapporteur et l'honorable M. Nothomb, la rédaction proposée par la commission dans sa réunion d'hier a fait naître des doutes sérieux, puisqu'elle a été comprise en sens différents.

Lorsque nous, les auteurs de l'amendement, réclamant la suppression du mot « considération » comme n'ayant pas de signification précise, nous nous sommes ralliés à la rédaction corrigée de la commission, à coup sûr, ce n'était pas pour retomber exactement dans une situation aussi vague que celle qui résultait de la première rédaction.

Nous n'aurions donc obtenu à cet égard qu'une satisfaction illusoire, et il nous est permis, puisque, selon vous, la calomnie peut exister sans atteinte à l'honneur, de vous demander de vouloir bien préciser quelle différence vous faites entre l’honneur, la considération et l'estime publique.

Hier et aujourd'hui, vous avez reconnu que le mot « considération » devait disparaître de votre texte, comme donnant lieu à des interpellations et des applications arbitraires ; vous l'aviez remplacé par une phrase à laquelle nous nous étions ralliés, parce qu'enlever l'estime publique à quelqu'un, c'est tout autre chose que de l'y placer à un degré plus ou moins élevé. Et cependant c'est cette dernière que vous finissez par confondre avec l'autre.

Messieurs, je ne me suis pas joint jusqu'ici à ceux qui accusent le projet du nouveau Code pénal d’une tendance générale à la multiplication des délits ou à l'aggravation des peines, mats je ne puis m'abstenir de faire remarquer qu'ici vous allez plus loin en fait de sévérité que la législation actuelle ; car elle exigeait, comme je le rappelais tantôt, qu'une personne fût exposée au mépris public pour qu'il y eût calomnie contre elle.

Que par des imputations de faits mensongers, ou dont la preuve n'est pas admise, on lui enlevât l'estime publique, c'était, à nos yeux, une signification équivalente, et si nous nous étions ralliés à cette nouvelle expression, c'est qu'elle nous avait paru être à l'abri du grief, peu sérieux, au surplus, dont celle du Code pénal de 1810 avait été l'objet, et qui consistait à objecter que le mépris public pourrait ne pas être légitime ni justifié.

Je me résume : en présence du commentaire qui nous est fait en dernier lieu au nom de la commission, je me vois obligé de représenter l'amendement que j'avais signé avec mes honorables collègues MM. Carlier et Ch. Lebeau, tendant à ne parler ni de considération ni d'estime publique, et à prévoir simplement comme calomnie les atteintes portées à l'honneur, ce qui résume tout.

Je ne pense pas qu'il y ait plus à désirer en cette matière à titre de nécessité sociale, car notre Code comminera des peines contre l’injure, et elles frapperont dans une juste mesure qui atteindra ceux qui échapperaient aux dispositions spéciales de la calomnie.

M. Nothomb. - En présence des difficultés que la discussion fait de plus en plus surgir, en voyant surtout l'honorable M. Muller qui propose de reprendre la rédaction écartée hier, je pense qu'il est indispensable que la Chambre se prononce dans un sens précis et vote sur la proposition que j'ai indiquée tout à l'heure de remplacer les mots « enlever l'estime publique » par ceux-ci : « à amoindrir dans l'estime publique. » Je voudrais trouver une autre expression, mais celle-ci rend au moins l’idée qui m’est commune avec le rapporteur et M. le ministre, à savoir qu’il suffit qu’on ait entamé, diminué avec méchanceté, s’entend d’une manière quelconque la valeur morale d’une personne, pour qu’il y ait calomnie.

Il faut que la loi nouvelle soit au moins claire, car ce serait un spectacle bien étrange de voir la législature offrir aux tribunaux et au pays une loi sur le sens de laquelle ceux qui l'ont faite n'auraient pas pu s'entendre.

M. Pirmez, rapporteur. - Je crois qu'au fond nous sommes d'accord ; nous discutons ici une question métaphysique, celle de savoir si on peut enlever partiellement l'estime ou, en d'autres termes, si l'estime publique est divisible.

M. Muller. - Acceptez mon amendement.

M. Pirmez, rapporteur. - Votre amendement a pour but d'écarter de la disposition l'estime et la considération et de ne conserver que l'honneur.

Je serais tout disposé à admettre votre amendement s'il était parfaitement entendu que le terme d'honneur ne se restreint pas à la probité, au courage ou à d'autres qualités spéciales, mais qu'il comprend l'homme moral tout entier.

Nous serions parfaitement d'accord. Vous admettez qu'il ne faut pas pour l'honneur une destruction complète. Nous vous demandons d'admettre l'estime qui comprend les qualités morales, et de ne pas exiger pour l'estime, plus que pour l'honneur, cette destruction complète.

Tout ceci n'est qu'une discussion de mots, car je suis convaincu que si l'on posait des cas de calomnie, nous serions tous d'accord. Je ne vois aucun dissentiment sur le fond. Voulez-vous l'expression « exposer au mépris public », l'expression du Code pénal ? C'est encore la même chose.

M. Muller. - J'aimerais beaucoup mieux cela.

M. Pirmez, rapporteur. - Je n'y vois pas d'inconvénient pratique ; mais je demande à ne pas me prononcer définitivement tout d'un coup ; car c'est précisément parce que la question gît dans les mots qu'elle présente des nuances difficiles à observer.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mettez « mépris public », « estime » ou « considération », ce sera toujours une question à résoudre par le juge.

M. Muller. - C'est un pouvoir arbitraire que vous laissez au juge.

M. Pirmez, rapporteur. - Tout ce que nous voulons, c'est qu'on n'exige pas l'anéantissement complet de l'estime.

Après ces observations un peu décousues, je n'ajouterai qu'un mot pour répondre à l'honorable M. Guillery.

Je suis charmé de voir que l'honorable membre et moi nous sommes bien plus d'accord que nous ne le paraissons.

J'ai compris que l’honorable M. Guillery regrettait que pour échapper à la condamnation en matière de calomnie, on ne fût pas toujours admis à faire la preuve des faits imputés ; j’apprends avec plaisir qu’il n’en est pas ainsi.

Je ne vois pas maintenant qu'il reste entre nous une cause de dissentiment sur le fond même du débat.

Je me félicite de cet accord auquel j'attache, pour ma part, un grand prix.

M. B. Dumortier. - Il ne faut pas que le désir de concilier nous amène à mettre d'accord deux rédactions qui sont tout à fait opposées. Je crois que l'interprétation donnée par M. le ministre de la justice, M. le rapporteur et M. Nothomb est la seule vraie. Elle se trouvait dans le rapport qui a été fait hier. On veut punir les imputations de faits qui sont de nature à diminuer l'estime dont les personnes jouissent parmi leurs concitoyens.

Il me semble que l'honorable M. Muller perd constamment de vue deux choses. Il veut supprimer complètement le mot « estime publique », et se borner à punir les atteintes à l'honneur.

Il pense qu'il y a identité entre l'honneur et l'estime. Voici ce qu'il perd de vue.

Il est vrai que tout ce qui porte atteinte à l'honneur enlève l'estime publique ; mais il n'est pas vrai que tout ce qui enlève l'estime porte atteinte à l'honneur. Il est donc indispensable de conserver une double stipulation pour le cas où l'imputation ne porte pas atteinte à l'honneur, mais où elle apporte un préjudice en diminuant l'estime légitime dont la personne jouit parmi ses concitoyens. Il ne faut donc pas supprimer le mot « estime. »

Quant à revenir à l'ancienne expression du Code, c'est encore un système tout différent. Ce serait aller plus loin que M. Muller lui-même. « Exposer au mépris » ! Mais ce qui expose au mépris ne porte pas toujours atteinte à l'honneur.

J'engage donc M. le rapporteur à ne pas aller dans le désir de concilier jusqu'à vouloir accorder deux opinions différentes ; et par suite faire un texte inintelligible. Je pense que l'opinion émise par lui et M. le ministre est la seule admissible, et j'en trouve l'interprétation complète dans l'amendement de l'honorable M. Nothomb.

M. le président. - Voici la rédaction à laquelle s'est arrêté M. Nothomb pour son amendement à l'article 514, et qui rend très clairement sa pensée : « … de nature à porter atteinte à l'honneur ou à l'estime publique dont elle jouit parmi ses concitoyens, si la preuve légale n'en est pas rapportée. »

M. Guillery - Je viens appuyer une idée émise par l’honorable rapporteur. Il s'agirait d'insérer dans l'article l'expression de l'article 367 du Code pénal « qui l'exposent au mépris de ses concitoyens. » Sans doute, il y a dans la discussion qui vient d'avoir lieu une sorte de querelle de mots, parce qu'il est difficile de s'entendre sur l'application pratique d'une expression. Cependant il est très important que dans la législation les mots soient nets et précis et qu'ils aient un sens clair. Si la commission veut se rallier à cette idée, comme je le suppose, je crois qu'elle sera généralement acceptée.

M. Tack. - J'avais demandé la parole avant que M. Nothomb eût modifié son amendement ; l'honorable membre désirait, disait-il, trouver un terme autre que le mot « amoindrir » qu'il voulait substituer au mot « enlever » ; j'avais cru que ce serait rendre exactement sa pensée que de dire : « ou à la compromettre dans l'estime publique » et j'avais l'intention de proposer cette rédaction ; puisque M. Nothomb vient de remplacer lui-même ses premières expressions par des termes nouveaux, je crois inutile de faire une nouvelle proposition.

M. le président. - Je viens de recevoir un amendement de MM. Guillery et Charles Lebeau, qui consiste à remplacer les mots « lui enlever l'estime publique » par les mots « l'exposer au mépris de ses concitoyens. » Cet amendement a été développe ; il est appuyé, il fait partie de la discussion ainsi que l'amendement de M. Nothomb. M. Muller ne se rallie-t-il pas à cet amendement ?

M. Muller. - Je me réserve de m'y rallier. Tout dépendra de l'ordre dans lequel les amendements seront mis aux voix.

(page 845) M. le président. L'amendement qui sera le premier mis aux oeix est évidemment celui de M. Muller, qui supprime le mot « estime » et ne punit plus que les atteintes à l'honneur. La Chambre aura ensuite à décider s'il y aura deux expressions dans l'article, s'il y aura autre chose que l'honneur. Elle devra choisir cette expression. C'est alors que l'on mettra aux voix l'amendement de MM. Ch. Lebeau et Guillery, et celui de M. Nothomb.

M. Muller. - D'après l'ordre de discussion, je retire mon amendement.

M. le président. - Dans ce cas le premier amendement à mettre aux voix est celui de MM. Lebeau et Guillery.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dois dire une chose, c'est que, dans mon opinion, il n'y a aucune espèce de différence entre la rédaction de l'honorable M. Nothomb, entre celle de la commission et entre celle de l'honorable M. Lebeau. Ce sera toujours au juge à apprécier dans quelle mesure un fait aura porté atteinte à l'estime publique ou aura attiré sur un individu le mépris public.

Il suffit, pour que l'une ou l'autre des rédactions soit applicable, qu'à un degré quelconque on ait enlevé l'estime publique à quelqu'un, ou qu'à un degré quelconque on lui ait fait encourir le mépris public. Ce sera toujours au juge à déterminer ces cas, et il nous est impossible, à nous, législateurs, de le faire.

M. Pirmez. - Je crois qu'avant de statuer, on pourrait encore renvoyer l'article à la commission. Il y a eu beaucoup d'explications échangées ; mais je crois qu'au fond on est assez d'accord, et que les dissentiments ne sont qu'apparents, on pourra peser au sein de la commission, les différentes rédactions, ; les auteurs des amendements seront entendus et j'ai la conviction que nous serons demain dans un accord complet sur le fond et sur la forme.

- Le renvoi à la commission est prononcé.


M. le président. - A quelle heure la Chambre veut-elle se réunir demain ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La commission devant se réunir, il serait peut-être bon de n'avoir séance qu'à 2 heures.

M. Dolez. - Je suis aussi d'avis qu'on ne peut fixer la séance qu'à 2 heures. Non seulement la commission du Code pénal doit se réunir, mais je dois présider une autre section centrale chargée de l'examen d'un projet important.

M. Pirmez. - Je crois que d'honorables membres ont des amendements à présenter sur d'autres articles du titre en discussion. Je prierai ces honorables membres de déposer leurs amendements, pour que la commission puisse les examiner, et nous pourrons peut-être arriver à terminer demain ce titre.

- La séance est levée à 4 heures et demie.