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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 6 mars 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 819) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, fait l'appel nominal 2 heures et demie.

ML de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des habitants d'Opprebais, Incourt et Roux-Miroir demandent l'abrogation des articles 22, 23 et 49 de la loi du 11 juin 1850 sur l'exercice de la médecine vétérinaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Joris demande que son fils Jean-François, qui est appelé au service militaire, en soit exemple. »

- Même décision.


« Les sieurs Derbaux et Delval présentent des observations sur la nécessité de fixer la législation en ce qui concerne l'article 7, paragraphe 14 de la loi du 18 mars 1833 sur les barrières et l'article 23 de la loi du 10 avril 1841, sur les chemins vicinaux et soumettent à la Chambre une combinaison ayant pour but d'assurer la conservation des routes communales pavées et empierrées. »

- Même décision.


« Le sieur Valcke Desmet demande qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France. »

- Même décision.


« Des habitants de Nil-Saint-Vincent, Saint-Martin demandent que, dans le projet de loi portant suppression du droit d'enregistrement sur les ventes publiques de marchandises réputées telles dans le commerce, on introduise une disposition qui réduise les droits d'enregistrement et de transcription sur les partages faits par les ascendants sous forme de donation entre-vifs. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi. »


« Des fabricants et commerçants en rubans demandent une loi qui fixe les droits sur les rubans de soie et coton, au poids et non à la valeur. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Des habitants des cantons de Perwez présentent des observations relatives aux travaux de la Chambre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur François-Théodore Delame, négociant à Liège, né à Bourg-de-Bohain (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Wauters demande la réforme du crédit et de la législation foncière. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Haeck demande une loi sur l'organisation du crédit communal et fait hommage de 116 exemplaires d'un écrit intitulé : De la nécessité d'une union du crédit des communes en Belgique et de la facilité de sa fondation. »

- Renvoi à la commission des pétitions ; distribution de la brochure aux membres de la Chambre.

M. B. Dumortier. - Cette pétition ayant un certain caractère d’urgence, je demanderai qu'elle fasse l'objet d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande en obtention de la naturalisation ordinaire faite par le sieur J.-tF-A. Molitor, adjudant sous-officier au 4ème régiment d'artillerie. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. le ministre des travaux publics transmet 120 exemplaires d'une publication officielle intitulée : Renseignements statistiques recueillis par le département des travaux publics, pour l'exercice 1858. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. Quetelet, secrétaire perpétuel de l'Académie transmet un exemplaire ‘ un mémoire qu’il vient de publier et qui traite de la statistique considérée sous le rapport du physique, du moral et de l'intelligence de 1 homme. »

- Même décision.


M. le président. - M. de Liedekerke, obligé de s'absenter pour affaires de famille, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi autorisant le gouvernement à racheter le chemin de fer de Morialmé à Givet

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à racheter à la compagnie de l'Est Belge, le chemin de fer de Morialmé à Givet.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué. Je vous propose de le renvoyer à l'examen des sections.

- Ce renvoi est ordonné.

M. le président. - M. le ministre demande que les sections soient promptement convoquées pour examiner ce projet de loi. iI sera fait droit, par les soins de MM. les présidents des sections, à la demande de M. le ministre.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. de Boe présente, au nom de la commission des naturalisations un rapport sur le projet de loi déposé par MM. les ministres des affaires étrangères et de la justice et tendant à accorder la naturalisation ordinaire au sieur Salomé, vice-consul de Belgique à Damiette (Egypte).

- Ce rapport sera imprimé et distribué et le projet de loi mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre VII)

Discussion des articles

Titre VII. Des crimes et des délits contre l’ordre des familles et contre la moralité publique

Chapitre III. Des crimes et délits tendant à empêcher ou à détruire la preuve de l’état civil de l’enfant
Article 420

(page 822) M. Pirmez. - Messieurs, j'ai été cause, en demandant la parole à la fin de votre séance de samedi, que la question qui vous tient attentif depuis plusieurs jours n'a pas encore reçu de solution.

J'ai sans doute à craindre que la Chambre ne trouve, après m'avoir entendu, que, n'ayant pas d'aperçus bien nouveaux à jeter dans la discussion, j'eusse pu ne pas empêcher la clôture du débat.

Quel que soit le reproche auquel je suis exposé, je ne regrette pas ce retard.

L'importance des intérêts engagés le justifie déjà, et je crois que la Chambre ne se repentira pas de n'avoir pas voté sous l'impression des arguments, tout d'imagination et de sentiment des derniers orateurs qui ont parlé, et de les peser aujourd'hui à distance et froidement.

De tous les genres d'arguments, ceux-là sont, dans les assemblées délibérantes, les plus dangereux ; on cède volontiers à des entraînements généreux, mais quand la raison reprend son empire on regrette souvent la supériorité momentanée qu'a prise le cœur.

Parmi les sentiments nobles et généreux qui trouvent place dans la nature de l'homme à côté de beaucoup de mauvais instincts, il n'en est pas qui soit plus respectable à mes yeux que celui qui porte à compatir et à soulager les misères et les faiblesses même qui l'affligent l'humanité.

L'homme privé peut sans craindre en suivre les bonnes inspirations, il ne compromet que lui-même, et si la charité de quelques-uns avait quelque chose d'excessif, elle serait plus que compensée par l'égoïsme du grand nombre.

L'homme public doit être plus en garde contre ces nobles tendances ; l'amour du bien non-raisonné égare, et il arrive souvent qu'en voulant soulager une douleur on en crée d'autres. Ce n'est pas avec de bonnes intentions que l’on fait une bonne loi, mais en voyant juste ce qui est et ce qui sera. On ne vous demandera pas à quels mobiles vous avez cédé, mais à quels résultats vous arriverez.

Que la Chambre me pardonne ces observations un peu générales, mais elles trouvent naturellement leur place dans la matière qui nous occupe,

L'humanité est sujette à des infirmités de toutes sortes : misère, maladies, fautes, vices. C'est triste à dire, mais ces infirmités sont incurables ; atténuer le mal est tout ce qui est en votre pouvoir. Vous êtes, permettez-moi cette comparaison prise dans notre sujet, les médecins appelés aujourd'hui à examiner une petite partie de ces misères humaines. Si vous voulez réussir, examinez froidement, pour que vous n'aggraviez pas le mal.

La compassion est inutile quand elle n'est pas dans les résultats.

Et quand on vous démontrerait que le remède fait quelquefois souffrir, vous l'ordonneriez encore, s'il doit soulager ou du moins empêcher le mal de grandir.

Ah ! il faut qu'on le sache bien, si nous repoussons les suggestions du sentiment, ce n'est pas parce que nous sommes plus insensibles que nos contradicteurs aux situations si profondément tristes qu'ils nous signalent, mais nous voulons que la raison ne soit jamais étouffée, pour éviter les désillusions.

J'aborde maintenant plus spécialement la question en discussion.

Il est un point qui a été bien constaté dans vos précédentes séances ; je m'étonne que M. Orts ait essayé de l'ébranler par quelques objections, alors que M. Van Overloop, qui soutient son amendement, venait de le reconnaître ; je veux parler de l'état actuel de notre législation.

Il doit être constant que les amendements ont pour effet de changer la loi qui nous régit.

La cour de cassation donne à cette loi la même portée que nous, les autres tribunaux suivent la même doctrine, et il a été impossible jusqu'ici d'indiquer un seul monument de notre jurisprudence où une opinion contraire serait consignée.

Il est incontestable, il doit être reconnu par tout le monde que ce que nous demandons, c'est le maintien de la législation actuelle.

Il est intéressant de voir comment on a successivement proposé de la modifier.

Au sein de la commission on avait borné le changement à l'exemption de déclaration pour les médecins, chirurgiens accoucheurs et sage-femmes. Cette proposition a été reprise par l'honorable M. Ch. Lebeau. Mais voyez comme elle est accueillie par nos adversaires.

L'honorable M. de Gottal qui l'a soutenue trouve cependant qu'elle va trop loin ; il en signale les dangers, il reconnaît qu'au moyen de la disposition proposée on peut arriver au même résultat qu'avec la proposition de M. Orts qu'il repousse. M. de Gottal serait tenté d'y apporter une modification. L'honorable M. Nothomb et l'honorable M. Orts repoussent, au contraire, cet amendement transactionnel ; le premier le déclare incomplet et illogique, l'antre lui reproche de ne s'occuper que des personnes faisant profession de l'art de guérir et d'oublier précisément ceux dont l'intérêt est en jeu : la femme et l'enfant.

L'honorable M. Orts avait, pour appliquer ces principes, proposé d'abord d'autoriser la non-déclaration du nom de la mère, lorsqu'une double circonstance se rencontrait : l'accouchement hors du domicile et le secret imposé. Cette double circonstance devait d'après lui, être constatée, parce qu'il fallait que non seulement la volonté de la femme fût connue, mais en outre, que par sa conduite même il fût évident qu'un grand intérêt le forçait à réclamer le secret.

L'honorable M Guillery est alors venu dire à M. Orts : « Mais vous n'êtes pas logique. Pourquoi faire de l'accouchement hors du domicile, une condition du secret ? La mère a droit au secret, il faut lui reconnaître ce droit dans tous les cas sans l'entraver par des considérations dont il edt indépendant. »

L'honorable M. Orts a été obligé de se rendre à ce raisonnement et de consentir à une modification en ce sens ; ainsi d'après la proposition actuelle, dès que le secret est demandé, le nom de la mère ne doit pas être déclaré, que l'accouchement ait eu lieu au domicile de la mère ou ailleurs.

Je m'étonne, messieurs, qu'un membre ne se soit pas encore levé pour faire voir combien l'amendement, même avec l'extension qu'il a reçue, est encore insuffisant en présence des considérations qui ont été présentées.

On invoque l'obligation, pour les hommes de l'art, de garder le secret professions ; mais, on l'a déjà fait observer, la conséquence de ce principe est non seulement de faire taire le nom de la mère, mais de prescrire même la simple déclaration de naissance.

Dans une petite localité, la déclaration de l'accouchement équivaut en fait à la déclaration du nom de la mère.

Vous exposez, nous dit-on encore, une femme à se voir indiquer, dans un acte de naissance, comme mère d'un enfant qu'elle n'a jamais eu. S'il en est ainsi, messieurs, il ne faut pas se borner à adopter l'amendement, il faut aller plus loin, il faut défendre de jamais inscrire le nom d'une femme dans l'acte de naissance.

Il est évident en effet que cet abus est possible dans le système des amendements comme dans le nôtre.

Voilà où conduisent les considérations que l'on fait valoir ; mais cette conséquence on ne l'acceptera pas ; l'erreur est toujours forcée de répudier les résultats où elle mène, et c'est ainsi qu'elle s'avoue surtout.

Je viens de dire que ce qu'on propose est un changement radical a notre législation ; on me répond :

« Voyez ce qui se passe en France ; le système que nous défendons y est en vigueur. »

Messieurs, l'honorable ministre de la justice a démontré d'une manière irréfutable qu'en France la jurisprudence est encore divisée ; on poursuit encore les faits de non-déclaration du nom de la mère, et la preuve qu'il en est ainsi, c'est qu'il y a encore des arrêts très récents. Mais je prends l'un des auteurs qui ont écrit le plus récemment sur ces matières, Demolombe, un chaud partisan de l'opinion de nos adversaires ; savez-vous ce qu'il reconnaît ? C'est que la pratique presque partout observée est contraire à son opinion.

Ainsi, messieurs, en Belgique pas de doute, le système actuel est celui que nous vous demandons de consacrer encore.

En France il y a division dans la jurisprudence et, dans les faits, c'est notre système encore qui est généralement suivi.

L'honorable M. Van Overloop qui reconnaissait dans la séance de samedi que nous ne demandions que le maintien du système actuel me disait en même temps ! « Mais qu'importe ! si ce système présente des inconvénients graves il faut le modifier ; nous révisons le Code précisément pour l'améliorer. »

Personne plus que moi ne partage cette manière de voir. Mais, messieurs, pourquoi propose-t-on de modifier notre législation ? Remarquez bien, messieurs, qu'il s'agit d'une loi qui est appliquée environ 500 fois tous les jours, car chaque déclaration de naissance est une application de la loi. Eh bien, cette loi d'une application si constante vous voulez la changer, pourquoi ? L'honorable M. Orts l'a dit : « Il faut changer le système actuel pour parer à des cas graves et exceptionnels. »

Ainsi c'est pour des cas exceptionnels que vous voulez changer une législation qui s'applique à des milliers de cas ; vous voulez faire une législation non, pas comme on dit en droit, pour le quod plerumque fit, pour ce qui se passe tous les jours, à tous les instants, mais pour des(page 823) cas exceptionnels, pour des cas qui se présentent peut-être une fois par an, ou même moins souvent ! !

Je vous le demande, messieurs, quelle législation ferions-nous en matière civile comme en matière criminelle, si nous nous préoccupions non pas de ce qui se passe constamment mais des cas exceptionnels ?

Et, messieurs, quand nos honorables adversaires appuient leur amendement sur une base aussi vicieuse, je ne m'étonne pas d'avoir entendu l'honorable M. H. de Brouckere me dire : « On exagère la portée de ta question que la Chambre a à résoudre ; que voulons-nous ? Mais simplement parer aux inconvénients qui se rencontrent dans quelques cas. »

Ah ! je comprends parfaitement l'opinion de l'honorable membre : il ne voit que quelques cas, que quelques cas rares, quelques cas exceptionnels ; mais ces cas se grossissent tellement dans son esprit, qu'il ne voit plus les autres, bien autrement nombreux, dont la loi a à s'occuper. Je comprends qu'il nous dise : « Notre amendement ne s'applique qu'à quelques cas. » Oui, les faits que vous voyez, pour lesquels vous faites votre disposition, sont infiniment rares ; mais ceux que vous ne voyez pas, et que vous soumettez à de nouvelles règles en ne les appréciant pas, sont infiniment nombreux, et c'est pour ceux-là mêmes que nous repoussons votre amendement.

Telle est bien la vérité sur ce débat ; l'amendement est rédigé pour des cas extrêmement rares, et il n'a ainsi aucune importance pour le bien ; mais son importance en immense pour le mal, parce qu'il englobe des milliers d'actes dans une disposition qui ne doit régir que de cas tout à fait exceptionnels.

Messieurs, je trouve la preuve de l'exactitude de ce que j'avance dans une circonstance qui a frappé toute la Chambre : c'est la discordance complète des motifs donnés par l'honorable M. Ch. de Brouckere à l'appui de son opinion, et la conclusion à laquelle il est arrivé. En faveur de quoi a parlé l'honorable M. Ch. de Brouckere ? En faveur de l'amendement de M. Orts ? Il n'a pas dit un seul mot qui puisse porter la Chambre à adopter cet amendement ; il s'est borné à appuyer l'amendement bien plus restreint de l'honorable M. Ch. Lebeau.

Toute l'argumentation de M. H. de Brouckere consisté en ceci : Il suppose une fille appartenant à une famille respectable, honnête elle-même jusqu'au moment où, entraînée par une perfide séduction, elle commet une faute ; il suppose cette jeune fille se confiant à un médecin parfaitement honorable et lui demandant le secret et comme le seul moyen d'écarter la honte de sa famille et d’elle-même ; et quand l'honorable membre a dramatisé cette position, présentant d'ailleurs des côtés si tristes, il la généralise, et il veut que la loi se façonne sur ce que cette position lui paraît réclamer.

Eh bien, messieurs, on a parlé dans la discussion du mariage religieux et de la nécessité de le faire précéder par le mariage civil ; avec les mêmes arguments que l'honorable membre emploie, avec la même force je démontrerai qu'il faut supprimer cette obligation du mariage civil préalable.

Je vous montrerai un prêtre au chevet d'un moribond qui a entretenu des relations illégitimes ; il veut réparer son erreur ; donner une position honorable à la mère de ses enfants ; légitimer ceux-ci autant qu’il le peut. Le temps presse et ne permet pas d'attendre les lenteurs d'une union civile ; ta loi ecclésiastique impose au prêtre l'obligation impérieuse de procéder au mariage. Il le fait, et vous le condamnez. Si ce prêtre va en prison, ne pourrai-je pas dire avec M. H. de Brouckere : La peine a perdu sa force morale ; le voleur et l'escroc qui sortiront de prison avec ce prêtre seront eu droit de ne pas se considérer comme flétris, parce que les mêmes murs auront renfermés avec eux un martyr de sa foi religieuse, un martyr de son devoir ?

Oui, si vous êtes conséquents, vous devez proposer de supprimer immédiatement la nécessité de faire précéder le mariage religieux par le mariage civil.

Messieurs, je n'en finirais pas si je voulais parcourir toutes les dispositions de nos lois qui présentent des inconvénients dans certains cas particuliers.

Je n'aurais qu'à ouvrir au hasard nos codes pour montrer que dans le droit civil comme dans le droit criminel, à chaque instant, des dispositions peuvent conduire exceptionnellement à des résultats regrettables. Voyez les dispositions qui concernent la prescription ; ce sont les dispositions les plus tutélaires peut-être de la fortune des citoyens ; mais qui ne sait que bien souvent la prescription est an moyen pour un malhonnête homme de frustrer

La Constitution elle-même n'est pas exempte de cet inconvénient commun à toutes les lois. J'en citerai cet exemple frappant. Elle contient une disposition dont la haute nécessité ne sera contestée par personne : c'est celle qui défend que des troupes étrangères puissent entrer sur le territoire belge sans qu'une loi l'ait autorisé. Eh bien, le cas prévu par cette disposition s'est présenté une seule fois depuis 1830 ; et savez-vous ce qui est arrivé ? C'es que la disposition constitutionnelle a été violée, ouvertement violée.

Le ministre qui a commis cette violation de la Constitution et qui siège encore parmi nous, a en agissant ainsi sauvé le pays ; il s'est montré grand citoyen en ne craignant pas d'exposer sa responsabilité pour atteindre un si noble but. Faut-il conclure de ce fait que cet article de la Constitution devrait disparaître ? Mais évidemment non ; la seule conclusion à en tirer, c'est que dans certains cas les dispositions générales des lois les plus sages heurtent à des faits exceptionnels.

Mais le Code même que nous discutons reconnaît de la manière la moins équivoque que ses dispositions ne peuvent toujours être appliquées dans toute leur rigueur. Il admet un large système de circonstances atténuantes à l'aide duquel, pour le dire en passant, la pénalité de l'article qui nous occupe peut être réduite à 1 franc d'amende. Evidemment si nous pouvions déterminer pour tous les cas la gravité des infractions, nous devrions enlever au juge la latitude que nous lui accordons. Mais il est dans la nature que la multiplicité infinie des faits se soustrait à l'appréciation exacte et absolue du législateur.

C'est par cette raison encore que notre Constitution admet le droit de grâce. Croyez-vous que ce droit ne soit que la consécration de faveurs et de privilèges, destructeurs de la justice, un moyen pour le souverain de soustraire arbitrairement quelques individus à la juste sévérité des lois ? Non, le droit de grâce n'est pas l'antagonisme de la justice, il en est le complément, il supplée aux défectuosités nécessaires des lois ; et si je puis employer l'expression de l'Ecriture, les lois d'un pays ne sont parfaites que si la justice et la miséricorde s'y embrassent.

Je ne suis, messieurs, revenu sur ces considérations que parce que, déjà présentées, elles ont fait l'objet des plus vives attaques de la part des adversaires du projet du gouvernement et de la commission.

Dans le fait actuellement en discussion appliquez la loi avec la plus grande rigueur, supprimez même le droit de grâce et vous n'arriverez pas encore aux conséquences monstrueuses que paraissent craindre les auteurs de l'amendement.

Dans tout ce débat, nos adversaires ont fait une perpétuelle confusion. Ils ont confondu deux choses qu'il faut distinguer avec soin, la publicité légale et la publicité de fait.

Lorsqu'une fille z commis une faute, qu'a-t-elle intérêt à éviter ? Est-ce l'inscription de son nom dans l'acte de naissance ? Non évidemment, c'est la connaissance de sa faute par ses voisins, par ses amis, par les personnes de la localité qu'elle habite. Nous demandons la publicité légale comme garantie pour l'enfant, et cette publicité ne compromet pas la mère. Nous voulons cette publicité de droit parce qu'elle est un utile contrôle en non un aliment de scandale.

Mais la publicité de fait, croyez-vous que nous y tenions ? Pas le moins du monde. Une fille du Luxembourg est enceinte, l'empêchons-nous d'aller accoucher dans les Flandres, dans une localité retirée des environs de Bruges ou d'Ostende ? Son nom sera inscrit dans l'acte de naissance sur les registres de cette commune.

En quoi cet acte nuit-il à l'honneur de la fille ou à l'honneur de sa famille ? Pour moi toutes les attaques dont le projet est l'objet disparaissent devant cette distinction si pratiquement vraie. Elle montre qu'il n'exige qu'une mesure toujours utile, et jamais compromettante.

Mais quelles conséquences si graves craignez-vous ? nous disait l'honorable M. H. de Brouckere ?

En fait, la naissance de l'enfant est toujours déclarée, notre loi ne s'appliquera, encore une fois, qu'à des cas extraordinaires et vous aurez à l'avenir, comme vous aurez eu jusqu'à présent, la déclaration de naissance faite avec le nom de la mare.

Je crois que l'honorable M. de Brouckere est dans une profonde erreur. Comment ! pour juger la portée de la disposition nouvelle, l’honorable membre se base sur les faits qui se passent sous l'empire de la législation actuelle.

Mais lorsque cette législation n'existera plus, quand vous l'aurez modifiée, est-ce que les faits ne se modifieront pas également ? Mais j'ose affirmer qu'il en sera certainement ainsi. A l'avenir, le médecin, au moment de l'accouchement, demandera à la femme : Voulez-vous que je garde le secret ? Et j'ajoute que le médecin désirera qu'on le lui impose car il fera ainsi montre d'une grande discrétion, d'un respect profond pour les devoirs de son état ; il y mettra une certaine vanité, vanité innocente en soi, mais dont les résultats peuvent être fâcheux.

Et dans ce moment de l'accouchement, la fille abusée, 'qui ne verra dans la naissance de son enfant que la honte de sa faute, acceptera le plus souvent cette proposition de secret. Je craindrais moins cette acceptation, si la question était faite quelques jours après, mais l'acte de naissance dressé, la mère devrait, pour réparer l'omission, faire un nouvel acte de naissance, et celui-là, il n'est pas dans l'usage, on ne le fera pas.

Vous le savez, messieurs, après le décret du gouvernement provisoire qui avait proclamé de la manière la plus large nos grandes libertés, on avait cessé, dans beaucoup de localités de notre pays, de se marier civilement. Ce fait a été constaté au Congrès national. Vous aurez encore la même chose pour les naissances quand la loi n'existera plus ; le nom de la mère sera facultatif, on ne l'inscrira plus.

Je tiens, messieurs, à la main, une annonce d'un journal qui vous montre bien à quelles conséquences on peut arriver avec le système de nos adversaires. Voici cette annonce :

« Maison d'accouchement.....

« Madame Veuve Cuinniez, à Lille, rue.... tient des pensionnaires et se charge des enfants. »

Oui ! et se charge des enfants !

Eh bien, messieurs, voilà l'utile et morale industrie que vous allez (page 824) favoriser et qui pourra s'établir en Belgique sous le patronage des auteurs de l'amendement.

Une maison de cette espèce s'établit ; un enfant y naît ; pas d'acte de naissance, puisque l'entrepreneur de la maison se charge de l'enfant ; il disparaît, on n'en entend plus parler. Et voilà comment on veut maintenir l'esprit de famille et les droits de l'enfant !

L'honorable M. Orts a répondu que ces abus que je signale ne sont pas à craindre ; et voici ce que je lis à ce sujet dans son dernier discours :

« Quel est l'homme de l'art, quel est le médecin, quel est l'honnête homme qui se prêterait à une promesse de secret, lorsqu'il saura que cette promesse de secret n'a d'autre but que de soustraire un enfant légitime à la protection de la loi et de lui enlever les droits que sa qualité d'enfant légitime lui confère dans la société ? Le médecin, dans ce cas, refusera le secret. »

C'est parfaitement vrai. Quand vous aurez affaire à un médecin honnête homme, à des gens tout à fait irréprochables, qui ne cherchent que le bien, il n'y aura pas d'abus et vous ne verrez pas ces faits monstrueux que nous devons prévoir et craindre si votre amendement passe. Mais depuis quand fait-on des lois pénales pour les honnêtes gens ? Si tout le monde était honnête, nous n'aurions que faire du Code pénal et nous pourrions sans danger le jeter au feu. Mais nous faisons des lois pénales précisément parce que tout le monde n'est pas honnête, parce qu'il y a des médecins dont la conduite contraste avec l'honnêteté et la probité des autres médecins, et c'est pour cela que nous avons voté un article par lequel vous punissez d'une peine spéciale le médecin qui commet le crime d'avortement.

Du restée, messieurs, on ne parle jamais que des médecins ; pourquoi ne parle-t-on pas un peu aussi des sage-femmes ? Je ne vois jamais figurer que les médecins dans ces tableaux saisissants par lesquels on cherche à nous émouvoir. C'est probablement parce que ces tableaux seraient moins artistiques, si l'on y faisait figurer, au lieu d'un médecin respectable, une vertueuse sage-femme ; comme nos adversaires s'adressent surtout à l'imagination, ils sentent que ce simple changement sans valeur juridique compromettrait le succès de l'argument.

J'avoue qu'il est une chose qui m'a quelque peu surpris dans le discours de l'honorable M. Orts, c'est le brevet d'ignorance des faits et d'inexpérience qu'il a libéralement attribué à tous ceux qui combattent son amendement.

J'accepte bien volontiers ce brevet en ce qui me concerne, mais je crois qu'il est, parmi les partisans du projet, des hommes à qui moins qu'à personne, il peut être délivré. Je ne suivrai pas l'honorable M. Orts dans cette comparaison, à laquelle il paraît nous convier, entre les partisans du projet et ceux de l'amendement. Mais je me permettrai cependant de faire part à la Chambre de l'impression que produit naturellement cette discussion précisément à ce point de vue.

Je connais parfaitement la science et le jugement de l'honorable MM. Orts et H. de Brouckere, j'indique l'effet qu'ils ont fait sur moi ; mais si j'étais entré pour la première fois dans cette enceinte au commencement de ce débat, j'aurais cru que les partisans du projet du gouvernement avaient étudié les faits dans la vie réelle, tandis que les partisans de l’amendement les avaient étudiés dans les romans.

Oui, messieurs, les faits sur lesquels l'honorable M. Orts base ses craintes sont réellement incroyables. Savez-vous ce que l'honorable membre craint de notre loi ? 11 craint que si vous forçons un médecin à faire une déclaration sous la menace d'une pénalité de 26 francs d'amende, réductible même à un franc, ce médecin n'aille commettre un faux en acte authentique et public en donnant comme nom de la mère, un faux nom, c'est-à-dire qu'il pense que pour éviter une amende d'un à 26 francs, le médecin s'exposera à la peine des travaux forcés en attribuant l'enfant à une femme ou à une fille qui peut être n'aura jamais été mère.

Eh bien, j'avoue qu'une pareille crainte dépasse tout ce qu'on peut imaginer.

Mais, dit l'honorable M. Orts, on commettra ce crime pour être jugé par le jury qui l'acquittera parce qu'il juge avec le cœur. Eh bien, non, il n'acquittera pas de semblables faits, et je m'étonne que l'honorable membre, qui a toujours été un si grand défenseur de l'institution du jury, l'apprécie si mal aujourd'hui.

Jamais le jury n'innocentera un faux aussi destructif de la famille que celui d'attribuer à une femme un enfant qu'elle n'a pas eu ; s'il a quelquefois des faiblesses, l'expérience prouve qu'il est généralement sévère quand il s'agit de maintenir les bonnes mœurs et l'ordre dans les familles.

Messieurs, il est un autre point que je dois aborder et sur lequel on est souvent revenu. Je n'en dirai que deux mots parce qu'il me paraît tellement simple que tout ce qu'on a dit peut parfaitement se résumer en de courtes observations.

Nos adversaires ont souvent reproché au projet du gouvernement de méconnaître les principes du droit civil, d'appliquer des idées juridiquement inexactes, et de jeter ainsi le désordre dans l'ensemble de nos lois.

Il est aisé de répondre à ces reproches en n'avançant rien qui ne soit complètement incontestable.

Il est un principe certain du Code civil, c'est que la recherche de la paternité est toujours admise. En introduisant dans notre législation pénale un moyen de retrouver la maternité, nous ne pouvons donc être en contradiction avec les principes du Code civil.

Je ne recherche pas ici si l'acte de naissance est une preuve complète (c'est là un point controversé), mais je constate qu'il est, de l'aveu de tout le monde, un renseignement de la plus grande valeur. La disposition que nous soutenons favorise l'application d'un principe, la mise en pratique d'un droit inscrit dans la loi civile, donc elle est en harmonie avec ses dispositions.

Je suppose qu'on aille chez l'un de nos honorables confrères du barreau, avec qui je suis en désaccord ici, pour lui demander d'intenter une action en recherche de maternité, quelle sera la première question qu'il posera ?

Je suis bien convaincu que tous, sans aucune exception, demanderont d'abord : « Quel est votre acte de naissance ? Que dit votre acte à naissance ? »

C'est que cet acte de naissance, s'il ne fait point preuve, comme vous le soutenez, question que je ne veux pas examiner, sera toujours, mérité à vos yeux et par la force des choses, le plus utile renseignement, le document le plus précieux qui puisse être soumis aux tribunaux.

Je le demande maintenant encore une fois, quelle contradiction peut y avoir entre la disposition que nous proposons et qui facilite la recherche de la maternité, quelle contradiction peut-il y avoir entre cette disposition et le Code civil qui autorise la recherche de la maternité ?

Les règlements communaux exigent presque partout une déclaration de domicile ; mais la déclaration de domicile fait-elle preuve du domicile ? Evidemment non. Il appartient toujours aux tribunaux de rechercher le domicile réel par l'ensemble de faits qu'ils peuvent apprécier. A-t-on jamais prétendu pour cela que les registres de domicile contrarient les dispositions du Code civil ?

Ainsi, messieurs, que l'acte de naissance fasse ou non preuve de son contenu, nous pouvons toujours dans un intérêt public, dans un intérêt de police, dans un intérêt d'administration, exiger qu'il contienne le nom de la mère ; seulement les tribunaux y auront tel égard qu'ils jugeront convenable.

L'honorable M. Orts me paraît avoir commis une grande erreur quant il nous a dit que l'acte de naissance d'un enfant adultérin ne faisait jamais preuve.

L'enfant adultérin est inscrit comme enfant légitime ; il est déclaré adultérin à la suite de l'action en désaveu. (Interruption.) Si vous n'aviez pas le jugement de désaveu, vous auriez un enfant légitime. En présence de l'acte de naissance, vous devez choisir entre un enfant légitime et un enfant adultérin. Mais dans les deux hypothèses, c'est nécessairement de l'acte de naissance que dérive non sa qualité mais sa filiation.

Messieurs, au point de vue du droit civil il n'y a donc aucune difficulté, aucune critique sérieuse qui puisse être opposée au projet du gouvernement, qui, en définitive, favorise l'exercice d'un droit reconnu par le Code civil, aussi je crois pouvoir dire que ce ne sont pas les arguments pris dans cet ordre d'idées qui ont rallié une partie de la Chambre aux idées de nos adversaires.

Un argument plus influent qui a formé la conviction d'un certain nombre de membres opposés aujourd'hui au système du gouvernement, est pris dans l'obligation de garder le secret professionnel.

C'est ici que je rencontre l'amendement de mon honorable ami M. Lebeau.

Cet amendement, nous le repoussons par un motif très simple, c'est qu'il permet de faire indirectement ce que l'amendement de M. Orts permet de faire directement ; c'est qu'il autorise la maison d'accouchement où l'on peut faire disparaître complètement l'état civil de l'enfant.

Cette raison du secret professionnel me paraît, d'ailleurs, avoir été anéantie par une remarque de M. Moncheur.

Quand y a-t-il secret ? Lorsqu'une personne, connaissant un fait, vient elle-même confier ce fait à une autre personne. Si donc un individu va confier une affaire à un avocat ou va se faire traiter par un médecin d'une maladie qu'il ne veut pas faire connaître, il y a secret pour l'avocat ou pour le médecin, mais ce secret n'est pas un droit pour ceux-ci, c'est pour eux un devoir, ce n'est un droit que pour celui qui le leur a confié.

Est-ce bien ce qui se passe dans l'accouchement ? Evidemment non. Il n'y a pas dans l'accouchement que la femme et l'accoucheur, il y a un tiers, l'enfant ; l'enfant que vous oubliez toujours. Eh bien, supposons que l'enfant puisse parler. Il dirait au médecin : « Je viens de naître de cette femme, vous l'avez vu, venez attester ma naissance. »

L'enfant ne serait-il pas dans son droit lorsqu'il invoquerait ainsi le témoignage du médecin ? Et pourquoi n'aurions-nous pas le même droit ?

Le droit de l'enfant est hors de contestation, la loi civile le proclame, son intérêt n'est pas plus douteux ; son impuissance seule à réclamer l'empêche de faire valoir son droit ; mais c'est précisément à nous à protéger le droit du faible.

La loi peut donc et doit même dire au médecin : Au nom de l'enfant je vous requiers et en vertu de mon pouvoir souverain, je vous ordonne de déclarer la naissance et le nom de la femme qui est accouchée.

(page 825) Ainsi, messieurs, ce n'est qu'en oubliant complétement l'enfant, en oubliant et sa présence et ses droits qu'on peut venir ici parler du secret professionnel.

Cette remarque, messieurs, prouve déjà à elle seule combien est peu redoutable ce danger de voir par notre loi le devoir du secret affaibli ; elle vous montre combien nos adversaires s'exagèrent la portée des choses quand ils vous montrent déjà et la discrétion de l'avocat et celle du prêtre privées de la sauvegarde des lois.

Nous savons, comme nos adversaires, respecter le secret professionnel entièrement et absolument, comme nous savons ici respecter le droit de celui dont la présence écarte l'idée du secret.

Messieurs, j'avais dit, dans une précédente séance, que l'amendement porte atteinte au plus grand principe de toute législation, au principe qui est la base et la garantie de la liberté, au principe de la responsabilité.

'Nos honorables adversaires doivent bien reconnaître que quand nous faisons peser sur la femme la conséquence de sa faute, nous ne faisons que lui imposer une responsabilité qui lui incombe naturellement. Aussi n'a-t-on pas combattu ce grand argument de notre système.

L'honorable M. Nothomb nous dit seulement : « A côté de ce principe de responsabilité, il en est un autre non moins vrai, non moins général, non moins sacré, que vous méconnaissez : c'est celui de la conservation. »

C'est vrai ; le principe de la conservation personnelle est un principe qui est dans la nature, qui existe chez tous les êtres dès leur naissance ; il est consigné dans ce vieil adage de philosophie : Omnis existentia est sui conservatrix. »

Mais, messieurs, remarquez-le bien, la responsabilité est un fardeau dent l'individu cherche toujours à s'affranchir ; c'est à la loi qu'il appartient de lui en faire supporter les conséquences auxquelles il tend naturellement à se soustraire.

Le principe de la conservation personnelle a-t-il besoin d'être sauvegardé par la loi ?

Mais c'est le mobile de toutes les actions, il se confond aviec l'intérêt de l'individu qui en est ainsi le gardien le plus vigilant et le plus sûr ; la loi n'a pas besoin de protéger ce principe, mais elle est obligée d'en modérer les écarts contre l'individu même.

La responsabilité est le principe du droit, la conservation de soi le mobile de l'intérêt.

La loi fait régner le droit, elle laisse à chacun le soin de son intérêt.

Ah ! permettez-moi, messieurs, maintenant que j'ai défendu le projet contre les principaux reproches qui lui ont été faits, de vous indiquer ou plutôt de rappeler par un mot ces raisons si nombreuses et qui ont été si bien développées contre les amendements.

Les amendements portent, je viens de le dire, atteinte au grand principe de la responsabilité personnelle.

Ils blessent la justice parce qu'ils préfèrent la mère qui a commis une faute, à l'enfant qui n'en a pas commis ; ils font plus, ils autorisent la méconnaissance d'un devoir en sacrifiant un droit, devoir et droit les plus sacrés de tous parce qu'ils sont les plus naturels de tous, ceux qui unissent la mère à son eu fan t.

Mais voyez où conduit le système des amendements.

Ils tendent à changer les enfants naturels simples en enfants abandonnés.

Ils tendent à rendre plus rares les légitimations par mariage subséquent, et jettent le doute sur celles qui seront faites.

Ils ôtent un frein au relâchement des mœurs, en couvrant les conséquences des fautes.

Ils desserrent les liens de la famille.

Ils permettent à une mère de se marier, sans que sa maternité antérieure soit connue, et ouvrent ainsi une source d'embarras graves.

Ils annulent l'action tutélaire de l'autorité, et donnent l'appât de l'impunité à des crimes dont l'infanticide, le délaissement et la supposition d'enfant sont les plus graves.

Ils autorisent l'atteinte même à la position des enfants légitimes, et dans tous les cas, ils font seuls juges d'une grave question d'état la mère ou les témoins.

Au point de vue de l'intérêt public, les conséquences des amendements sont plus graves encore.

Ils jettent une confusion inextricable dans la population, apportent une masse d'erreurs graves dans les opérations de la milice, dans l'attribution du domicile de secours, et surtout augmenteront infailliblement les charges de la charité publique en faisant retomber sur tous les conséquences non du malheur, mais de la faute d'un seul.

J'ai exposé à la Chambre les motifs qui justifient, à mes yeux, le projet qui lui est soumis.

Il ne m'appartient pas de préjuger quelle sera sa décision.

Si elle adopte le principe des amendements, j'en ai la conviction, elle aura cédé à des entraînements généreux.

Il me restera alors à faire des vœux pour que nos prévisions ne se réalisent pas, et que, dans ce cas comme dans tous les autres, l'expérience ne vienne pas montrer que le sentiment est un mauvais conseiller.

(page 819) M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, si c'est une mauvaise fortune d'arriver tard dans un débat, combien plus mauvaise est la fortune de celui qui a dû combattre le premier une proposition marquée au coin de la générosité ! Il prête le dos à tout le monde, et nos honorables adversaires ont usé et abusé de la faculté de frapper sur le mien. Ils m'ont accusé presque tous d'exagération, tantôt singulières, tantôt exorbitantes et palpables ; ils ont même été jusqu'à dire que j'avais fait miroiter à vos yeux des myriades d'enfants trouvés ; puis passant à côté de chiffres pertinents, et payant un tribut au sentiment de la maternité, ils se sont tous attachés à des exceptions.

Un honorable orateur a voulu caractériser ce débat, et il vous a dit : « Tous ceux qui pendant une grande partie de leur vie ont été les dépositaires des secrets de famille sont partisans de l'amendement. » Avec un peu plus de franchise, il aurait dit : « Tous les avocats en général sont favorables à l'amendement ; les administrateurs et les magistrats le combattent. »

Et en effet, il faut se vaincre soi-même, il faut une très grande force de volonté, lorsqu'on a eu dans son cabinet, à travers lequel on voit la société, une, peut-être deux, voire même trois confidences auxquelles l'amendement aurait pu donner une solution facile, pour écarter ses souvenirs et voir le monde comme il est.

Si tous nos adversaires voulaient faire la récapitulation du nombre de ceux qui leur ont été soumis depuis 25 ans, ils n'arriveraient pas ensemble à 50 ; tandis que nous, nous venons vous parler, pour une seule localité du pays, de 1,800 enfants naturels, et de 400 enfants trouvés, par année, c'est à dire de 37,000 enfants naturels et de 10,000 enfants trouvés par quart de siècle.

Il est vrai qu'un orateur dont la voix a plus de puissance et plus de finesse que la mienne, s'est placé un moment sur le terrain des chiffres ; selon lui Bruxelles ne compte que pour 1/32 dans la population de la Belgique et il y naît, si je ne me trompe, le 8ème des enfants naturels ; c'est donc pour une seule ville qu'on soutient la proposition du gouvernement et de la commission.

Il faut donc mettre Bruxelles hors la loi ; il faut lui faire supporter le poids de toutes les iniquités ; il faut lui faire payer les frais de toutes les faiblesses, de toutes les fautes qui auront été commises dans la province.

Je tire des prémisses de l'honorable membre d'autres conclusions que les siennes. Et en effet, que prétend-il ? Dans une commune rurale, dans une petite ville, on cache difficilement sa maternité.

Dans une grande ville, au contraire, rien de plus simple ; c'est-à-dire, selon moi, que dans une grande ville il est très facile de cacher ce que l'honorable membre qui vient de parler appelait la publicité de fait, on n'a pas besoin pour cela de se refuser à la publicité légale.

Dans une grande ville on échappe facilement à la divulgation des déclarations, on change momentanément de quartier et ceux devant lesquels on devrait rougir ignorent l'accouchement.

Dans une petite localité un acte de l’état civil, surtout s'il relate la moindre particularité, est connu de tout le monde.

Aussi Bruxelles ne compte un aussi grand nombre de naissances illégitimes que parce que l'on y afflue de toutes les petites localités. J'ai des documents qui prouvent que dans les 16 maisons d'accouchement de Bruxelles, il y a plus de deux femmes sur trois qui appartiennent aux (page 820) communes rurales ; bien plus, parmi les femmes qui, une sur trois, sont imputées à Bruxelles, beaucoup appartiennent à la population nomade des domestiques, ou à celle des campagnes.

Elles arrivent ici après quelques mois de grossesse, et elles sont considérées comme étant de Bruxelles, parce qu'elles n'arrivaient pas de leurs villages au moment où elles sont entrées dans la maison d'accouchement.

Puis, se fourvoyant, on s'est demandé combien il y avait de médecins qui faisaient des déclarations de naissance dans la Belgique entière ? L'orateur a répondu : Pas dix par an, et un interrupteur s'est écrié : Pas un !

D'abord il ne s'agit pas ici seulement des médecins, il s'agit de tous les témoins de l'accouchement. Eh bien, j'ai voulu me rendre compte de la valeur de cet argument ; hier, j'ai demandé un registre de l'état civil de Bruxelles de 1859. J'ai compté les 500 premiers actes de naissance et j'ai trouvé 8 accouchements déclarées par les médecins, 42 par des accoucheuses, 26 par le directeur de l'hôpital et 18 par des gardes-couches ; d'où je pourrais conclure que sur les 5,650 naissances annuelles de Bruxelles, 90 sont déclarées par des médecins. 470 par des sage-femmes, 390 par le directeur de l'hôpital, 200 par des gardes-couches. J'avoue cependant que je suis arrivé à un chiffre exagéré pour les directeurs de la maternité ; il n'y a eu que 345 naissances en 1859 dans cet hospice, alors que je suis arrivé à 390 ; j'admets que la même exagération s'est produite sur les autres chiffres, et malgré cette concession j'arrive à 80 naissances déclarées par les médecins, à 410 par les accoucheuses, 345 par les directeurs d'hôpitaux et 180 par les gardes-couches. Sont-ce là des exceptions ?

Messieurs, l'honorable membre qui vient de parler vous a démontré que ce que demandent le gouvernement et la commission n'était pas autre chose que ce qui existe et avait existé de tout temps en Belgique. Je ne reviendrai pas sur cette démonstration ; elle a été faite de la manière la plus claire. Mais autrefois il y avait à côté de la loi la maternité, les maisons d'accouchement qui, grâce à la bouche béante d'un tour soustrayaient à l'état civil la naissance de 400 enfants par an.

Depuis que le tour a été surveillé, supprimé, je vous ai dit qu'à Bruxelles nous étions arrivés au-dessous de 10 enfants trouvés au lieu de 400 par an.

Je puis ajouter que depuis qu'il n'y a plus de tour, la population des maisons d'accouchement a diminué de plus de moitié.

Maintenant, que demain l'amendement introduise la faculté de ne pas déclarer le nom de la mère et, je le répète, vous rétablissez le tour d'une manière indirecte, vous permettez par les maisons d'accouchement de revenir au nombre constaté pendant longtemps de 400 enfants trouvés par an, de 400 enfants qui seront nés dans les maisons d'accouchement, qui seront déclarés sans indication du nom de la mère et pour lesquels on viendra, au bout de quelques jours, dire à l'autorité publique : Voilà un enfant dont la mère est inconnue ; je ne puis ni ne veux le conserver : je l'abandonne. Il change alors de caractère, il devient enfant trouvé, il n'a pas de nom. Ce qui se pratique ouvertement à Lille sous la jurisprudence française sera importé en Belgique.

Aujourd'hui, dans les 500 déclarations de naissance faite par les directeurs d'hôpitaux, les accoucheurs, les sage-femmes, les gardes-couches, je dois ajouter que l'intervention de la mère a en lieu dans tous les cas ; c'est-à-dire qu'il n'est pas un seul enfant dont la filiation puisse être contestée ; toujours la mère est intervenue, elle a déclaré qu'elle reconnaissait l'enfant. Par l'amendement, vous supprimerez de nouveau 460 états civils d'enfants ; vous nous ferez revenir à la position où nous étions avant la suppression des tours et tes mesurés prises à la maternité.

Non seulement pour Bruxelles seul vous créerez 400 enfants trouvés, mais vous ramènerez les légitimations de 500 à 300 enfants chaque année.

L'honorable rapporteur a trouvé la supériorité de la proposition du gouvernement eu droit et en justice ; je crois que je viens de l'établir en fait ; en conséquence j'aime à espérer que le vote de la Chambre lui est acquis.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. Guillery. - Je n'ai que deux mots à dire : je voudrais donner lecture de la disposition que nous allons voter. Les orateurs qui l'ont défendue ont répété plusieurs fois que les médecins n'encourraient qu'une amendé de 26 fr. ; voici la rédaction de l'article de la commission :

« Toute personne qui, ayant assisté à un accouchement, n'aura pas fait la déclaration à elle prescrite par les articles 55, 56 et 57 du Code civil, sera punie d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de vingt-six francs à deux cents francs, ou de l'une de ces deux peines seulement. »

Il en résulte donc que le minimum est 16 fr., mais que le maximum est trois mois de prison combinés avec une amende de 200 fr. Voilà la peine telle qu'elle est comminée par le projet.

Quant au fond du débat, on nous a dit que le secret professionnel n'était pas intéressé dans la question et que nous ne nous appuyons que sur des exceptions. Voilà un reproche qui, je l'avoue, m'a touché.

L'exception, permettez-moi de vous le dire, elle est dans le projet du gouvernement, qui place la femme dans une position exceptionnelle que rien ne justifie.

L'honorable ministre de la justice a reconnu que le secret professionnel doit être respecté ; que lorsqu'un médecin est appelé près d'un blessé, il ne doit pas dénoncer les faits qu'il a appris dans l'exercice de sou art.

Pourquoi donc, s'il est appelé près d'une femme en couche, doit-il révéler des faits qui intéressent l'enfant, je le suppose pour un instant ? L'acte de naissance dût-il établir sa filiation d'une manière irrévocable, comment cela peut-il être le devoir du médecin ? Un médecin en soignant un blessé découvre que celui-ci s'est rendu coupable d'un assassinat ; un avocat a reçu la confidence d'un assassin, ils ne devront, ils ne pourront révéler ces faits à la justice. Et cette discrétion que l'on doit à l'assassin, on ne la devrait pas à la femme en couches ? Voilà ce que je puis comprendre. L'intérêt de donner à l'enfant un acte de naissance est-il pour la société d'un intérêt plus grand que de dénoncer un crime à la justice ?

On nous a dit que nous ne parlions que d'exceptions ; je demanderai à nos adversaires la permission de leur renvoyer le reproche, de même que celui de faire du roman.

Vous faites du roman puisque vous dépeignez la société tout entière comme entrant dans une ère de corruption nouvelle et puisque vous imaginez des calamités qui n'arriveront pas. Vous nous dites que nous faisons du roman quand nous appuyons notre opinion sur une expérience de cinquante années ; et pour justifier toutes vos craintes et toutes vos appréhensions vous n'avez rien que des suppositions.

En France et même en Belgique, la législation a produit le système qui est contenu dans l'amendement de M, Ch. Lebeau. C'est cet amendement qui est exécuté en réalité. Ce n'est que par une jurisprudence toute récente que l'on a contesté aux médecins le droit de se taire.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il y a toujours eu des condamnations.

M. Guillery. - Le premier arrêt date de 1847, et c'est un arrêt d'acquittement.

Jusque-là, c'est-à-dire jusqu'à l'arrêt de la cour de Gand, les médecins n'avaient pas été inquiétés, grâce à une jurisprudence que nous croyions tous parfaitement établie.

Les traditions étaient telles que tout médecin se croyait le droit de ne pas révéler le nom de la mère devant l'officier de l'état civil pas plus que devant la justice.

Il y a une contradiction étrange dans votre système. Un médecin assiste à un accouchement. Il doit déclarer le nom de la mère, sous peine d'un emprisonnement de trois mois. Au contraire, si la mère assassine l'enfant, le médecin, témoin de cet assassinat, est tenu au secret ; il est puni s'il le révèle.

Ainsi pour donner un état civil à l'enfant auquel vous portez un intérêt dont vous vous réservez le monopole, vous faites plus que quand il s'agit de son existence. Il a donc, selon vous, plus d'intérêt à avoir ce fragile écrit qu'à vivre. Vous faites moins pour la mère que vous ne faites pour l'assassin.

Et ne sommes-nous pas en droit de dire que lorsqu'on adopte un pareil système on est forcément amené à faire pour les avocats et les prêtres ce qu'on fait pour les médecins ? Une femme se croyant en danger de mort fait venir un prêtre pour se confesser, un avocat pour lui demander des conseils an sujet de son testament.

L'accouchement a lieu plus tôt qu'elle ne l'avait prévu. L'un et l'autre en sont témoins. Ne sont-ils plus tenus au secret professionnel ? Doivent-ils faire la déclaration ? Vous me direz que le prêtre et l'avocat n'étaient pas des témoins nécessaires de l'accouchement ; et pourtant c'est pour demander des conseils à l'avocat au sujet de son enfant qu'elle l'a fait venir, c'est parce qu'elle a fait une faute, qu'elle a fait appel aux secours d'un confesseur. Croyez-vous qu'ils ne soient pas tenus à la discrétion et qu'ils ne tombent pas sous l'application de l'article 378 du Code pénal ?

Ici donc, tout en respectant en général le secret professionnel, vous faites une exception pour l'accouchement. Vous nous direz que vous faites cette exception afin de donner à l'enfant un acte de naissance ; mais cet acte de naissance importe peu. Il servira sans doute, comme l'a dit M. le rapporteur, à vous mettre sur les traces de la mère, mais il n'a en somme que peu de valeur.

Ainsi donc, lorsque l'article 420 met tous les témoins d'un accouchement dans la nécessité de déclarer le nom de la mère, dans votre pensée il dit que les médecins ne doivent pas observer la discrétion qui leur est imposée par l'article 378. C'est bien là une exception que vous introduisez dans vos lois.

Que voulons-nous, selon l'honorable M. Ch. de Brouckere ? Nous voulons changer tous les enfants naturels en enfants trouvés ; nous voulons rétablir les 400 enfants trouvés qui existaient à Bruxelles. Mais quand nous avions des tours, nous avions une suppression d'état organisée ; nous avions une suppression d'état à la portée de tout le monde. Est-ce que ces mères dénaturées qu'on vous représente comme devant toutes abandonner leurs enfants, du jour où elles ne seront plus obligées de déclarer leur nom, sont allées porter leurs enfants au tour ?

(page 821) Mais remarquez que le chiffre de 400, et l'honorable préopinant le sait mieux que moi, se compose d'enfants venus de tous les points de la Belgique et même de l'Allemagne, car on a constaté qu'il en venait de Cologne même ; comme il n'y avait plus que deux tours en Belgique, la plupart des personnes qui se trouvaient dans la dure nécessité de mettre leurs enfants au tour devaient venir à Bruxelles, de sorte que ce chiffre de 400 n'a absolument rien d'extraordinaire.

Maintenant, ce secret qu'on vous représente comme si dangereux, l'est bien moins, au point de vue de la suppression d'état que ne le sont les tours. Je vais plus loin, je dis qu’il n’arrivera pas une seule fois de changement dans l’état d’enfant naturel ou d’enfant trouvé, par suite de l’amendement.

Une femme se trouve en couche ; elle est dans sa propre maison ou se trouve dans une maison étrangère ; on déclare le fait de l'accouchement et on ne déclare pas le nom de la mère. Est-ce qu'elle est moins tenue aux soins de la maternité envers l'enfant ; ou celui-ci sera-t-il plus exposé à être entouré de gens disposés à le faire disparaître ? Je le concevrais si les tours existaient : mais, sans tour, que fera la mère ? Quel est le procédé dont elle usera pour s'en débarrasser ? Avec les tours, ce n'est pas l'obligation de déclarer son nom qui pourra la conduire à cette extrémité ; sans tour, l'enfant restera à sa charge, elle devra l'entourer de ses soins ; elle le nourrira et elle relèvera, comme cela se fait en France et en Belgique.

Je dis, comme en Belgique, messieurs, parce que jusqu'à présent les populations n'ont pas été placées dans l'hypothèse que suppose la disposition proposée Jusqu'en 1850, les populations n'ont pas cru que le principe consacré par le Code pénal dût être interprété comme on l'a fait depuis. On a dit que la France n'avait fait qu'une expérience incomplète et que quand la jurisprudence serait fixée en France, des effets désastreux se feraient sentir. Mais c'est tout le contraire : ce qui est nouveau, c'est votre système ; ce qui est ancien, c'est l'interprétation d'après laquelle le médecin doit garder le secret qu'on lui confie. Voilà ce qui a toujours existé, ce n'est que quand les officiers de l'état civil, les procureurs du roi en Belgique, ont appelé l'attention de la justice sur ces déclarations incomplètes, selon eux, qu'est née la jurisprudence dont vous vous prévalez.

Ainsi, messieurs, si quelqu'un a fait du roman, ce n'est pas nous ; ci sont évidemment nos adversaires. Ce qui est nouveau, je le répète, c'est le système qu'on nous propose.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande la parole.

M. Guillery. - C'est ce qu'a très justement rappelé l'honorable M. Nothomb. Le système ancien, le système de 1803, le système qui a été en vigueur pendant 7 ans, c'est l'absence de pénalités pour l'omission de toute espèce de déclarations ; c'est l'article 56 du Code civil disant aux personnes témoins de l'accouchement : Nous vous invitons à faire la déclaration dans l'intérêt de l'enfant, dans l'intérêt de la tenue régulière de l'état civil, afin de pouvoir établir les preuves de la filiation ; mais nous n'établissons pas de peine comme sanction. Voilà ce qui est ancien ; voilà ce que les populations ont connu. Et quand est arrivé le Code de 1810, dans l'intérêt de la conscription et non dans l'intérêt de la morale, la jurisprudence française a dit que personne n'était obligé de déclarer le nom de la mère et que la déclaration du fait et du jour de la naissance était suffisante.

Voilà ce que nous pourrions prendre pour point de départ si nous vous demandions le système français. Nous ne demanderions pas une exception pour les médecins ; nous demanderions simplement que personne ne fût obligé de déclarer autre chose que le fait du lieu de la naissance. C'est ce que la cour de cassation de France a jugé en 1843, 1844,1 850 et bien antérieurement. Voilà le système que nous pourrions demander ; alors il n'y aurait plus d'exception et personne ne serait tenu à autre chose qu'à la déclaration du fait de la naissance.

Mais, bien que j'aie défendu ce système, je n'en fais pas l'objet d'un amendement, parce que je ne pense pas qu'il eût quelque chance de succès ; je ne pense pas qu'on puisse, en 1860, aller aussi loin qu'en 1803 ; je ne pense pas que les idées du conseil d'Etat existent encore parmi nous.

Mais l'honorable M. Orts demande de ne permettre cette simple déclaration du fait de la naissance, dépouillée du nom de la mère, que dans le cas où la mère a imposé le secret. C'est donc une exception et une exception qui se présentera très rarement. Elle se présentera très rarement et en effet, nous en avons la preuve par ce qui se passe dans un pays voisin et même en Belgique ; s'il y avait eu des abus scandaleux, nous n'aurions pas comme jurisprudence deux arrêts qui ont condamné deux médecins à 26 francs d'amende.

En résumé, messieurs, nous ne demandons que le maintien de ce qui existe, et ce n'est pas nous qui innovons.

Je tiens à répondre, eu terminant, à un argument présenté par l'honorable rapporteur de la section centrale et auquel il a fait remarquer qu'on n'avait pas répondu. Je crois cependant qu'on y a répondu indirectement. Le principe de la responsabilité, dit-il, est un principe essentiellement libéral ; la responsabilité est la condition de la liberté. J'admets le principe ; mais cette responsabilité ne doit-elle pas s'arrêter devant certaines considérations ? Lorsque notre législation limite certaines poursuites, certains procès, concernant certains actes immoraux, n'est-ce pas parce qu'elle a vu qu'un intérêt social s'opposait à la répression de ces faits ? Lorsqu'elle n'a pas permis, dans certains cas, au ministère public de mettre en mouvement lui-même l'action publique, n'est-ce pas parce qu'elle a compris que la responsabilité devait avoir ses limites ?

Lorsque la législation proscrit, à la différence d'autres législations, la recherche de la paternité, pourquoi l'a-t-on fait ? Est-ce qu'ici le principe de la responsabilité n'est pas aussi respectable que quand il s'agit de la femme ? Mais la loi, encore une fois, s'est arrêtée devant ces procès scandaleux. Lorsque la loi a ordonné à certains dépositaires de secrets de ne pas révéler les faits dont ils sont témoins, n'est-ce pas encore une exception au principe de la responsabilité ? N'a-t-elle pas préféré cet intérêt d'ordre public qui veut que le secret professionnel soit respecté, à l'intérêt d'ordre public qui réclamait que les faits faisant l'objet du secret fussent révélés ?

Evidemment il n'y a pas de règle sans exception et je n'en ai indiqué que quelques-unes à l'égard du principe de la responsabilité. Mais ce qui serait tout à fait exorbitant, c'est la situation que l'on veut faire à la femme au moment de la naissance de son enfant, de faire disparaître en ce moment-là, pour ce seul fait et en vue d'un acte de naissance dont on ne conteste pas le peu d'autorité, toutes les règles qui, dans les matières importantes, sont toujours respectées.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J’ai deux mots seulement à dire à l’honorable M. Guillery. Il a constamment soutenu que le système qu'il défend est appliqué en France d'une manière générale et sans contestation ; eh bien, messieurs, j'ai en mains le traité qui, en ce qui concerne les dispositions relatives à l'état civil, jouit de la plus grande autorité en France ; c'est l'ouvrage de Coin-Delisle. Voici ce qu'il dit :

« Si le père d'un enfant naturel ne doit être nommé que pour autant qu'il se dévoile lui-même, la mère quand elle est connue doit toujours être déclarée ; car en cacher le nom de la part du comparant serait une suppression de l'état de l'enfant, et lui donner un autre nom serait un faux.

« Mais si la mère cache son nom, s'il n'est pas connu de la personne chez qui est est accouchée, celle-ci doit respecter le secret et l’officier de l’état civil est sans qualité pour pénétrer le mystère. »

Vous voyez donc bien, messieurs, que le système des honorables membres a toujours fait, en France, l'objet des plus sérieuses contestations et que, comme le dit Demolombe, il n'est pas suivi dans la pratique.

M. Guillery. - Je n'ai dit qu'une seule chose, c'est que la jurisprudence en France était constante ; or voici un arrêt du 16 septembre 1843, de la cour de cassation de France, un arrêt de la même cour du 1er juin 1844 et un arrêt de la cour d'Angers du 18 novembre 1850 ; n'est-ce pas là une jurisprudence ? Je n'ai pas à m'occuper de l'avis de certains auteurs ; ce qui importe c'est la manière dont les tribunaux appliquent la loi.


La disposition proposée par le gouvernement et approuvé par la commission est mise aux voix et adoptée.


La disposition additionnelle proposée par M. Orts est mise aux voix par appel nominal :

85 membres sont présents.

23 adoptent.

62 rejettent.

En conséquence l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Beeckman, Carlier, H. de Brouckere, Dechentinnes, De Fré, de Montpellier, de Smedt, Goblet, Guillery, Jamar, Landeloos, Mercier, Nothomb, Royer de Behr, Savart, Snoy, Thibaut, Vander Donckt, Van Dormael, Van Overloop, Verwilghen, Vilain XIIII et Orts.

Ont voté le rejet : MM. Wasseige, Allard, Ansiau, Dautrebande. David, de Baillet-Latour, de Boe, C. de Brouckere, de Florisone, de Gottal, de Haerne, de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Renesse, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, d'Hoffschmidt, Dolez, B. Dumortier. H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Loos, Magherman, Manilius, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Neyt, Orban, Pirmez, V. Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Vanden Branden de Reeth, E, Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel et Van Volxem.


La disposition additionnelle proposée par M. Lebeau est mise aux voix par appel nominal :

85 membres sont présents.

40 adoptent :

45 rejettent.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption ; MM. Allard, Ansiau, Beeckman, Carlier, David, de Baillet-Latour, de Boe, H. de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Montpellier, de Renesse, de Smedt, Dolez, Goblet, Guillery, Jacquemyns, (page 822) Jamar, Landeloos, Ch. Lebeau, Loos, Manilius, Mercier, Muller, Nélis, Neyt, Nothomb, Royer de Behr, Savart, Snoy, Thibaut, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Dormael, Van Overloop, Verwilghen, Vilain XIIII et Orts.

Ont voté le rejet : MM. Wasseige, Dautrebande, Ch. de Brouckere, de Haerne, de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Laubry, J. Lebeau, Magherman, Moncheur, Moreau, Orban, Pirmez, V. Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Vanden Branden de Reeth, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel et Van Volxem.

- La séance est levée à 4 heures 1/2.