(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 503) (Présidence de M. Orts.)
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Des habitants de Vivegnis demandent que le droit de débit des boissons alcoolqiues cesse d'être compté pour former le cens électoral. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent des modifications aux articles du Code pénal, relatifs aux coalitions. »
- Renvoi à la commission du Code pénal.
Voici la composition des sections pour le mois de janvier 1860.
Première section
Président : M. d’Hoffschmidt
Vice-président : M. M. Jouret
Secrétaire : M. Van Iseghem
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Deuxième section
Président : M. Coppieters ’t Wallant
Vice-président : M. J. Jouret
Secrétaire : M. de Paul
Rapporteur de pétitions : M. Hymans
Troisième section
Président : M. Muller
Vice-président : M. Dechentinnes
Secrétaire : M. de Lexhy
Rapporteur de pétitions : M. Laubry
Quatrième section
Président : M. de Naeyer
Vice-président : M. J. Lebeau
Secrétaire : M. de Montpellier
Rapporteur de pétitions : M. Frison
Cinquième section
Président : M. le Bailly de Tilleghem
Vice-président : M. de Renesse
Secrétaire : M. Van Volxem
Rapporteur de pétitions : M. Jacquemyns
Sixième section
Président : M. de Moor
Vice-président : M. Snoy
Secrétaire : M. de Florisone
Rapporteur de pétitions : M. Janssens.
M. d’Hoffschmidt, rapporteur de la section centrale du budget des travaux publics. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur la pétition qui lui a été renvoyée hier par la Chambres avec demande d'un prompt rapport et qui émane des exploitants des houillères du bassin de Mons. Cette pétition a pour objet de prier la Chambre de voter les fonds nécessaires pour augmenter le matériel destiné au transport des matières pondéreuses sur le chemin de fer.
La section centrale propose le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
- Adopté.
M. de Boe. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de l'intérieur pour l'exercice 1860.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
Rapport sur la requête des habitants du quartier nord de la ville de Liége (établissement de la Vieille Montagne)
(page 507) M. Goblet, rapporteur. - Messieurs, obligé de répondre non seulement aux arguments qui ont été développés hier par M. le ministre des travaux publics, mais encore aux attaques qu'a soulevées le rapport de la commission des pétitions en dehors de cette enceinte et qui, sous la forme de protestations et de mémoires, se sont introduites parmi nous, je suis dans la nécessité de réclamer l’indulgence de la Chambre. Il me sera difficile de ne pas quelque peu abuser de ses instants.
Messieurs, la discussion qui nous occupe peut se diviser en deux parties. Dans la première partie, il s'agit des questions légales ; dans la seconde, il s'agit des questions de salubrité publique, de l'historique des faits, des arrêtés de 1856, de 1857 et de 1859, et enfin de la défense des conclusions de la commission des pétitions.
En développant la question légale, je prouverai en premier lieu que la loi d'avril 1810, ne concernant en quoi que ce soit la salubrité publique, ne peut régir sous ce rapport les établissements insalubres, dangereux ou incommodes qui lui sont soumis à d’autres titres. Je prouverai, en second lieu, qu'en thèse générale, l'application de la loi d'avril 1810 n'exclut nullement l'application des lois et règlements relatifs à la salubrité publique.
Puis j'établirai, comme conséquence naturelle de ces deux propositions, que non seulement les établissements soumis à la loi d’avril 1810 sont aussi soumis au décret du 15 octobre 1810, remplacé successivement par la loi de 1824 et par l'arrêté royal du mois de novembre 1849, mais encore que l'arrêté royal de 1S49 étant applicable aux établissements régis par la loi de 1810, il est tout particulièrement applicable aux fonderies de zinc, en tant qu'établissements métallurgiques. Enfin, je prouverai que la Vieille-Montagne n'étant pas dans les conditions exigées par l'arrêté royal de 1849, pour être exemptée des formalités imposées par cette loi, la Vieille-Montagne, malgré sa création antérieure au décret de1810 et à l'arrêté royal de 1849, est soumise aux prescriptions de cet arrêté.
La loi d'avril 1810 n'a pas été remplacée par le décret du 15 octobre 1810 et par les lois et arrêtés concernant la salubrité publique ; c’était, en effet, de toute impossibilité. Je ne l'ai jamais entendu ainsi, mais je suis convaincu que l'application de ces lois et arrêtés, les uns relatifs aux intérêts généraux des mines et cours d'eau, les autres aux intérêts généraux de salubrité publique, doivent avoir une application simultanée.
Il importe, avant tout, de bien établir le caractère spécial de la loi d'avril 1810. Je dis que la loi d'avril 1810 ne concerne en rien la salubrité ; c'est tellement vrai, qu'aucun traité de salubrité publique n’en fait mention ; c'est tellement vrai, que cette loi, comme le prouve l'exposé de motifs qui l'accompagne, a été prise pour régler des intérêts généraux tout à fait en dehors des intérêts généraux de salubrité, car elle règle des intérêts généraux et spéciaux relatifs à l'exploitation du minerai., à l'emploi des combustibles et des cours d'eau Pour en être bien convaincu, il suffirait de lire l'article 74 de la loi.
Cet article indique les formalités à remplir pour obtenir une permission d'exploitation. Il détaille le mode d'opérer, en prescrivant une enquête. Cette enquête est faite par le préfet au point de vue des intérêts généraux qui se rattachent à l'exploitation et à l'usage de combustible et de minerai. On doit demander l'avis des administrations spéciales qui régissent ces intérêts, l'administration des mines et l'administration des eaux et forêts.
Il est évident que, quand la loi de 1810 a été mise en vigueur, le législateur a dû prendre des dispositions relativement aux établissements qu'il rangeait sous cette loi et qui avaient été créés antérieurement à sa promulgation. Après avoir réglé tout ce qui concerne les demandes en autorisation, la loi de 1810 s'occupe en effet des établissements existants.
M. le ministre vous a donné lecture de cet article pour prouver que la Vieille-Montagne ne pouvait être astreinte aux prescriptions de l'arrêté royal de 1849 et pour prouver que le gouvernement est resté parfaitement dans la légalité en ne consultant que les dispositions de la loi de 1810.
Il est inutile, je pense, de lire de nouveau cet article.
Permettez-moi de vous faire remarquer comment est conçu le titre VII. L'article premier du titre VII de la loi de 1810 indique les règles pour l'exploitation des minerais, c'est le même titre qui régit les établissements qui emploient le minerai.
Eh bien, dans cet article il est dit que l'exploitation des minerais est soumise à des règles spéciales.
Vous voyez donc bien que la loi de 1810 n'exclut en quoi que ce soit l'application des règles qui peuvent régir les intérêts généraux soumis à d'autres lois, mais bien plus, qu'elle astreint certains établissements à certaines formalités légales supplémentaires.
La loi du 10 avril 1810 autorise donc l'application des décrets, lois et arrêtés relatifs à la salubrité et l'intérêt public en fait un devoir au gouvernement.
En France cela ne fait pas l'ombre du doute ; la législation est constante : les deux lois ont constamment été appliquées simultanément.
M. Dufour, dans son Traité général du droit administratif, page 347, n° 400, l'établit d'une manière irréfutable :
« Les dispositions que nous venons d’analyser, dit-il en parlant de la loi du 21 avril 1810, n'ont trait qu’à l'utilité et à la possibilité de l’établissement dans son rapport avec son alimentation en matières premières et en combustibles. Il s'ensuit que ces dispositions ne font nul obstacle à l'application des dispositions écrites dans les lois spéciales et destinées à régler bs conditions de l'établissement sous le rapport de l'insalubrité ou de l’incommodité et à concilier son existence avec le régime des cours d’eau. Il faut se rapporter aux articles dont ces dispositions ont fait l’objet pour distinguer les formalités dont elles imposent l’accomplissement dans l’instruction des demandes, que la loi de 1810 n’exige et n’envisage que sous un point de vue particulier.
« Pour assurer à l'instruction une marche régulière et uniforme, l'administration a dressé une nomenclature désignant nominativement toutes les usines métallurgiques qui sont régies soit par la loi du 21 avril 1810, soit par le décret du 15 octobre 1810 et par l'ordonnance royale du 14 janvier 1815, sur les ateliers insalubres, dangereux ou incommodes, soit à la fois par cette loi et par ces décrets et ordonnances, et indiquant en outre les régiments qui sont applicables à ces usines, etc. »
Ainsi, en France, les usines métallurgiques régies par la loi d'avril 1810, en tant qu'exploitant du minerai ou employant du combustible, sont encore régies par le décret d'octobre 1810, édicté dans l'intérêt de la salubrité publique.
Les établissements tels que l'usine de la Vielle-Montagne ont été rangés parmi ceux pour l'érection desquels l'autorisation du préfet était supplémentairement nécessaire, sauf recours au conseil d'Etat.
En 1845, une circulaire ministérielle a spécialement attiré l'attention des préfets sur cette application simultanée. Voici ce qu'elle dit :
« La loi du 21 avril 1810 a pour objet la protection des intérêts qui se rattachent aux approvisionnements en minerai et à la consommation du combustible, tandis que le décret du 15 octobre 1810 et l'ordonnance réglementaire du 14 janvier 1815 sur les établissements insalubres, incommodes ou dangereux, se rapportent aux garanties contre les dangers du feu, les inconvénients de la fumée ou du bruit et l’insalubrité des vapeurs produite., »
La circulaire de 1845 donne ensuite le tableau des usines métallurgiques, avec l'indication des règlements de police qui les régissent concurremment avec la loi du 21 avril 1810, et l'on y rencontre les usines à fondre les substances métalliques.
En Belgique, messieurs, il en est absolument de même. En Belgique, province française jusqu'en 1815, cette législation a été maintenue sans subir aucune modification. Les lois sur la matière, les arrêtés royaux, les circulaires ministérielles ont confirmé dans notre pays la doctrine de l'application simultanée de la loi d'avril 1810 et du décret du 10 octobre, de la loi de 1824 et du décret royal de 1849, qui a aboli ces deux dernières dispositions.
Si la doctrine contraire était admise, qu'en résulterait-il ? Il en résulterait que l'administration aurait complètement abandonné le droit de protéger la santé publique. Elle n'aurait plus, dans certains cas, aucun moyen effectif de le faire. En effet, admettons qu'une usine métallurgique soumise à la loi de 1810 ait obtenu son octroi ; il est définitif d'après la loi de 1810. Vous ne pouvez le supprimer, d'après l'article 79 de la loi de 1810, que sur la poursuite du procureur impérial pour contravention à la permission. Mais il est clair que si la permission ne contient rien en ce qui concerne la salubrité publique, le pouvoir est complètement désarmé devant cet établissement, alors même qu'il empoisonnerait complètement la population.
Cette doctrine n'était pas admissible, en effet et voici l'opinion du conseil supérieur d'hygiène publique de Belgique. Ce conseil dit que si ces établissements n'étaient pas régis par les lois et règlements relatifs à la salubrité publique, il faudrait les y soumettre.
« La liberté, dit ce conseil, ne consiste pas à faire de sa propriété un usage qui dégrade celle de son voisin et qui nuise à la sécurité ou à la salubrité du voisinage ; la liberté ainsi entendue serait une servitude exercée sur les propriétés du voisinage et une servitude intolérable.
« Si l'autorité publique a le droit de porter ces règlements, il n'est pas moins évident qu'elle ne saurait aliéner ce droit en faveur d'un particulier. C'est cependant ce qu'on est obligé d'admettre quand on soutient que le pouvoir exécutif, dès qu'il a autorisé un établissement, abdique par cette autorisation le pouvoir de le comprendre dans les règlements de police que son devoir lui commande de porter.
« Pour colorer cette hérésie, il faut supposer que l'autorité puisse prendre l'engagement de ne plus protéger la santé publique et l'intérêt collectif des citoyens ; il faut supposer qu'un particulier puisse avoir un droit acquis de nuire à la salubrité publique, de répandre la mort et le deuil dans le voisinage.
« Un semblable droit ne peut jamais s'acquérir, quelque longue qu'ait été la tolérance de l'autorité publique. »
Je vais maintenant, messieurs, vous démontrer, pièces en main, que les établissements métallurgiques, fonderies de zinc, sont non seulement rangés, par le gouvernement, dans la première classe des établissements insalubres, en vertu de l'arrêté royal de 1849, mais sont encore soumis (page 508) aux lois de salubrité publique, qui régissaient la matière avant cette époque.
Dans les mémoires qui nous sont parvenus, signés par M. Saint-Paul de Sinçay, directeur général de la Vieille-Montagne, on cite un passage du remarquable ouvrage de M. Vilain. On dit contre la thèse que je soutiens, que M. Vilain s'exprime ainsi, page 121 : « Fonderies au fourneau et au réverbère, établissements rangés dans la première classe. A la colonne des inconvénients : Fumée dangereuse dans les fourneaux où l'on traite le plomb, le zinc, le cuivre, etc. »
« Il ne faut pas confondre ces établissements avec les fourneaux à fondre les minerais de fer et autres substances métalliques ; ceux-ci sont destinés à la fabrication même des métaux et à leur première manipulation ; les autres ont pour objet le travail ultérieur auquel les métaux sont soumis pour être appropriés aux différents besoins de la société. »
Il est clair que si je me bornais, comme M. le directeur général, à produire cette citation, je prononcerais ma condamnation ; mais je tourne le feuillet, je vais jusqu'à la fin du tableau et à l'article « zinc », je trouve, page 155, les fonderies de zinc rangées dans la première classe des établissements insalubres, et dans la colonne qui indique leurs inconvénients, danger de feu et vapeur nuisible à la végétation.
Ne sont-cc pas évidemment là les caractères de l'établissement de la Vieille-Montagne ? Ne sont-ce pas, évidemment, là les fonderies de zinc métallurgiques ?
L'établissement de la Vieille-Montagne a été désigné ainsi dans tous les arrêtes, et vous ne pouvez appliquer cette désignation qu'à cette nature d'établissement.
Cette classification de la Vieille-Montagne a été encore reconnue par le gouvernement en 1849 ; il a rangé l'établissement non pas dans la première classe, mais dans la deuxième classe, selon les exigences des lois existantes alors. Il a autorisé des usines analogues en invoquant non seulement la loi de 1810, mais encore le décret d'octobre 1810 et l'arrêté du 24 janvier 1824.
Voici l'arrêté qui autorise l'usine d'Angleur :
« Vu la loi du 21 avril 1810, le décret du 15 octobre 1810 et l'arrêté royal du 31 janvier 1824, etc. ;
« Considérant qu'aux termes des lois et arrêtés en vigueur, les enquêtes instituées sur les demandes en autorisation d'établissements insalubres et incommodes ont particulièrement pour but l'intérêt des habitants des maisons situées dans leur voisinage et la salubrité de ces habitations ;
« Que c'est dans cet esprit qu'a été conçue la classification établie par le décret du 15 octobre 1810, article premier, et qu'a été réglé le mode d'information de commodo et incommodo par l'arrêté royal du 31 janvier 1824 ;
« Que les lois et règlements sur les établissements incommodes ou insalubres, par cela même qu'ils établissent des restrictions à l'exercice du droit de propriété, sont nécessairement de stricte interprétation lorsqu'il s'agit de l'appréciation des motifs du rejet des permissions demandées ;
« Considérant que si l'établissement déjà existant au faubourg Saint-Léonard pouvait, selon les opposants, offrir des inconvénients, il n'en serait pas de même à Angleur, où la fabrication sera soumise à d'autres conditions, etc. »
Vous voyez donc, messieurs, que dans l'arrêté royal qui autorise Angleur on invoque la loi de 1810, le décret d'octobre 1810 et l'arrêté de 1824, on établit ainsi le système que je défends, le système de l'application simultanée de ces lois et arrêtés.
Si cela n'est pas, le gouvernement aurait deux poids et deux mesures ; la soumission de l'établissement métallurgique aux règles de la salubrité publique est une aggravation de position sous tous les rapports. Si vous n'aviez pas ce droit, pourquoi avez-vous soumis Angleur à cette aggravation ? Si le système est bon, vous devez rendre justice à Angleur, vous devez prendre en sa faveur un arrêté uniquement au point de vue de la loi de 1810.
Je vous ai déjà montré tout à l'heure le danger des citations incomplètes. Hier, M. le ministre des travaux publics après avoir fait aussi une citation, se retourna triomphant de notre côté et s'adressant à l'honorable M. de Renesse et à moi, il nous a dit : « Etes-vous convaincus maintenant ? » Je réponds, comme j'ai déjà répondu hier : Non, je ne suis pas convaincu, et de plus je dirai à I honorable ministre que pour se convaincre lui-même, il aurait dû compléter sa citation. C'est là ce que je vais faire, du reste.
Voici donc ce que porte la circulaire ministérielle du 27 septembre 1850, à propos de l’article 20 de l'arrêté royal du 10 novembre 1849.
« Art. 20. L'arrêté du 12 septembre 1849 remplaçant le règlement du 31 janvier 1824, celui-ci doit être considéré comme étant annulé dans toutes ses dispositions, ainsi que l'arrêté royal du 18 septembre 1815, concernant les établissements de fabrication de poudre à tirer.
« Les règlements pris sur la matière par les administrations communales ou provinciales sont et demeurent également abrogés, le nouvel arrête devant seul servir de règle pour l'avenir, sauf en ce qui concerne les lois et règlements d'administration générale qui régissent spécialement certaines catégories d'exploitations et d'usines, telles que les hauts fourneaux, les forges et martinets, etc. »
M. le ministre des travaux publics s'est arrêté là ; je complète la citation :
« Quand il s'agira du former un établissement tombant à la fois sous l'application de l’arrêté du 12 novembre 1849 et d'une ou de plusieurs dispositions dont parle l'article 20 de ce règlement, l'établissement ne pourra être légalement érigé qu'en vertu d'une autorisation délivrée par chaque autorité compétente, en conformité des divers règlements auxquels l'établissement se trouvait soumis. »
Il y a donc deux instructions, puisque le ministre les prévoit :
« L'instruction spéciale doit précéder celle qu'il y a lieu de faire, en conformité de l'arrêté du 12 novembre 1849. Dans le cas où l'autorisation exigée par une des dispositions précitées aurait été refusée en dernier ressort, il deviendrait sans objet de donner une autre suite à l'affaire. »
La même circulaire dit encore :
« Pour ne porter aucune atteinte à des droits acquis, l'article 16 de l'arrêté du 12 novembre 1849 déclare formellement que les établissements désignés dans la liste annexée à cet arrêté et qui, d'après les règlements antérieurs, n'étaient pas soumis à l'autorisation, pourrait continuer de subsister sans permission.
« Cependant, comme, d'un autre côté, il fallait parer aux effets préjudiciables que certains de ces établissements peuvent amener et de plus introduire, dans la législation toute l'uniformité possible, cet article porte que l'autorisation deviendra nécessaire dans les trois cas suivants :
« 1° Si ces établissements chôment pendant deux années consécutives ;
« 2° S'ils subissent des changements de nature à modifier notablement les effets de l'exploitation sons le rapport de la salubrité publique ou intérieure, ou bien au préjudice des voisins ;
« 3° S'ils sont transférés dans un autre emplacement.
« Dans l'un ou l'autre de ces cas, ils rentrent dans la catégorie des établissements à former et ils ne peuvent être remis en activité qu'en vertu d’une autorisation délivrée après l'accomplissement de toutes les formalités prescrites par le règlement pour les établissements nouveaux. »
Maintenant qu'entend-on par « changement notable » ? Voici l'explication ministérielle :
« Un changement notable est une extension assez marquée qu'on voudrait apporter à un établissement. En effet, tel établissement peut être autorisé parce que, formé dans certaines limites, il ne semble devoir donner lieu à aucun inconvénient grave pour les habitants du voisinage ; mais il n'en serait peut-être plus de même s'il était érigé sur une échelle plus importante. »
M. Vilain, dans son traité, discute la même question, et voici ce qu'il dit à propos des deux derniers paragraphes de l'article 20 de l'arrêté royal du 12 novembre 1849 :
« Les autorisations accordées en conformité du règlement du 12 novembre 1849, ne le sont qu'eu égard aux considérations de salubrité ou de commodité. Elles ne préjugent rien, sous le rapport des autorisations à obtenir en vue d'intérêts généraux d'un tout autre ordre. Les deux derniers paragraphes de l'article 20 ne doivent pas être interprétés dans un sens restrictif, c'est-à-dire que la non-dérogation ne concerne que les matières spécifiées. Cette spécification n'est qu'énonciative ; ainsi par exemple, la réserve, qui fait l'objet de ces paragraphes s'applique aux cours d'eau navigables et flottables, aussi bien qu'à ceux qui ne le sont pas, quoi qu'il n'en soit pas fait mention. »
M. Jules Sauveur, autre auteur estimé, exprime la même opinion.
Vous voyez donc, messieurs, que les établissements incommodes et insalubres, quoique soumis au régime de la loi de 1810, sont encore, par le texte formel des lois, des arrêtés et des circulaires, soumis aux lois de salubrité publique.
Cela étant établi, il nous reste à voir si la Vieille-Montagne est dans des conditions spéciales pour ne pas être soumise à l'application des lois de salubrité publique et particulièrement de l'arrêté royal de 1849.
Si je puis prouver que la Vieille-Montagne rentre dans les cas spécifiés par la loi et par la circulaire, il est évident que la Vieille-Montagne doit se soumettre à l'arrêté de 1849.
L'article 16 de l'arrêté royal de 1849 s'exprime ainsi :
« Les dispositions du présent arrêté ne sont pas applicables aux établissements industriels primitivement en activité pour lesquels une autorisation préalable n'était point requise par les règlements en vigueur.
« L'autorisation préalable deviendra nécessaire pour ces établissements, s'ils chôment pendant deux ans, ou bien s'ils subissent des changements de nature à modifier notablement les effets de l'exploitation, sous le rapport de la salubrité publique ou intérieure, ou au préjudice des voisins, ou bien si on se propose de les transférer dans un autre emplacement. »
C'est donc bien sous le rapport de l'exploitation du minerai et de la consommation du combustible, et non pas sous le rapport de la salubrité publique extérieure ou intérieure.
Messieurs, ces expressions sont d'une généralité absolue, elles ne permettent pas d'exception, les termes sont clairs et positifs, ils ne (page 509) comportent pas de réserve, pourquoi voulez-vous en faire une en faveur de certains établissements ?
M. Vilain exprime ainsi son opinion sur cette question :
« Si le propriétaire d'un établissement industriel non classé, créé antérieurement au règlement de 1849, donnait plus d’extension à ses travaux sous l’empire du nouveau règlement, serait-il, de ce chef, assujetti à solliciter une autorisation ? Oui, certainement. Le droit acquis pour un établissement ne peut exister que pour autant que l'établissement reste dans les limites où il était avant le règlement. Tout développement change nécessairement la nature de l'espèce de servitude à laquelle les propriétés voisines ont dû rester soumises et doit par conséquent placer l’établissement sous le régime des règlements de police. Cette obligation se justifie par la raison que des établissements exploités suivant certains procédés, lors de la publication des règlements, pourraient changer ces procédés et en adopter d'autres, perfectionnés sous le rapport de l'art, mais susceptibles, par exemple, de répandre des vapeurs très nuisibles.
« Il faut donc tenir pour certain que les établissements existants antérieurement aux règlements qui les ont classés, ne pourront prendre aucun accroissement ni changer leurs procédés sans être soumis aux formalités prescrites par l'arrêté royal du 12 novembre 1849.
« S'il s'agit, dit encore M. Vilain, d'un établissement dont la création est antérieure au règlement de police sur les établissements réputés insalubres, dangereux ou incommodes ; cet atelier tombe alors sous l'application du paragraphe 2 de l'article 16 de l'arrêté royal du 12 novembre 1849, portant que l'autorisation préalable deviendra nécessaire pour ces établissements s'ils subissent des changements de nature à modifier notablement les effets de l'exploitation sous le rapport de la salubrité publique intérieure ou extérieure. »
Maintenant j'arrive à démontrer que la Vieille-Montagne qui serait soumise en thèse générale, si elle était à créer, aux lois de salubrité publique et aux arrêtés pris sur la matière, l'est encore parce qu'elle a reçu des accroissements considérables et successifs depuis l'édiction de ces arrêtés et de nature à amener des changements notables.
Notre honorable collègue M. Moreau a fait en 1855 un rapport remarquable qui se terminait d'une manière telle que le ministre des travaux publics aurait dû en repousser les conclusions ; il déclarait lui aussi l'établissement parfaitement illégal en 1855 et 1856. Voici comment se terminait le rapport.
« Il n'est pas douteux que la Vieille-Montagne n'ait augmenté considérablement son établissement sans y avoir été préalablement autorisée ; elle a donc contrevenu à la loi, et votre commission doit le rappeler à votre gouvernement qui ne peut la laisser violer impunément. »
Vous voyez donc bien quoi qu'en dise le ministre des travaux publics, que la Chambre qui s'est occupée de la question en 1856, partageait l'opinion que je défends aujourd'hui et que la position de la Vieille-Montagne était illégale en 1856.
Il résulte de documents officiels que les accroissements de la Vieille-Montagne sont énormes et ont été successifs.
Ainsi, il résulte de rapports à l'autorité communale qu'en 1810 il y avait 48 creusets ; en 1820, 416 (d'après les plans déposes au gouvernement provincial) ; en 1827, 768 (rapport du commissaire Bastin) ; en 1840, 820 (Annales des mines, année 1844, page 204- ; en 1853, 1,655 (rapport de MM. Lesoinne et Chandelon) ; en 1854, 2,160 (nouvelle demande déposée au gouvernement provincial).
Il n'y a pas moyen de nier l'accroissement continuel de l'usine.
Je crois devoir abréger et en avoir dit momentanément assez sur le côté légal de la question.
J'ai démontré les propositions que j'ai affirmées dès le début.
Messieurs, je suis amené à développer et à examiner une autre parte de la question ; je vais m'occuper de la salubrité publique. Je dois dire que là je ne rencontrerai pas M. le ministre des travaux publics pour adversaire, parce qu'il n'en a pas parlé. Mais si je n'ai pas à répondre à M. le ministre des travaux publics, j'ai à répondre à l'avalanche de mémoires et de protestations qu'a signalée l'honorable M. Vander Donckt.
J'ai démontré que le cachet d’établissement incommode et insalubre est accepté par le gouvernement ; il place l’établissement de fonderie de zinc au nombre des établissements insalubres de première classe. La députation permanente de la province de Liège s'exprimait ainsi :
« La députation est d'avis que les réclamations qu'un grand nombre d'habitants du quartier du Nord de la ville de Liége ont formée contre l'usine à zinc de St-Léonard ont un fondement légitime et qu'on ne peut méconnaître le caractère incommode et insalubre de cet établissement, tel qu'il est actuellement en activité. »
A cette époque, en 1856, la Vieille-Montagne ne reconnaissait pas plus le caractère insalubre de son établissement qu'aujourd'hui ; pour elle le cachet d'insalubrité était aussi calomnieux alors que maintenant, pour elle l'application des lois relatives aux établissements insalubres était alors tout aussi impossible.
M. le ministre a cité une lettre de l'administration de la Vieille Montagne, par laquelle elle refuse de se soumettre à l'arrêté de 1856. Elle dit que les attaques affirmées, soutenues par la députation du conseil provincial, par toutes les autorités, par les rapports des inspecteurs des mines, par tout le monde enfin, que ces attaques sont fausses.
Voici ce paysage : La Vieille-Montagne regrette que le gouvernement n'ait pas compris que l'industrie qui forme une des bases de la richesse publique, a besoin de trouver protection et appui auprès de lui, pour vivre et se développer ; qu'elle ne peut pas exister tremblante et menacée, et ignorant si son existence ne sera pas chaque année mise en question sous le prétexte spécieux et mensonger de salubrité publique.
Ainsi la Vieille-Montagne, dans une pièce officielle, déclare en 1856 qu'elle est parfaitement salubre.
Le conseil communal de Liège soutenait la même opinion que la députation permanente ; pour lui aussi, l'établissement de Saint-Léonard était insalubre.
Citerai-je maintenant l'opinion des commissions médicales ? Il y a eu des rapports qui remontent jusqu'à 1826, époque de l'augmentation, par le sieur Mosselman, du nombre des creusets. Dans ce rapport, la commission médicale s’exprimait ainsi :
« Il est maintenant hors de doute, et il a été reconnu sur les lieux que les terrains souffrent plus ou moins de la fumée de la fabrique de zinc et sut tout depuis l'accroissement des fourneaux... »
M. le ministre des travaux publics a prétendu qu'en 1820 il y a eu une enquête et qu'il ne s'est élevé aucune réclamation. Or, nous voyons ici M. Mosselman payant dee indemnités depuis 10 ans, ce qui fait remonter à 1816 les réclamations formulées sous son administration ; et il est établi que son prédécesseur avait également payé des indemnités avant cette époque. Il est donc de toute évidence qu’il a dû y avoir des primes presque constantes. Il est vrai, comme l'a dit M. Macors au sein du conseil communal de Liége, qu'il n'y a pas de trace de réclamation dans l’enquête ; mais peut-on s'en étonner quand on songe que de cette enquête même il reste à peine quelques vestiges ?
Maintenant, en 1855, nous trouvons un autre rapport de la commission médicale qui dit que les émanations des fabriques de zinc sont nuisibles, insalubres. En 1838, la même commission médicale fut appelée à se prononcer sur des cas de maladie constatés dans des étables des environs ; et elle établit, d'une manière formelle, que ces bestiaux avaient été empoisonnés ; qu'ils s'étaient nourris de la récolte de prairies exposées aux émanations de la Vieille-Montagne.
La même année, la députation permanente de la province de Liège ayant été consultée sur l'établissement d'une usine à zinc, à Angleur, s'opposa formellement à cette mesure, et voici dans quels termes elle formula son avis :
« Il suffit, dit-elle, de voir les alentours de la fabrique de zinc établie au faubourg Saint-Léonard à Liège pour s'assurer de l'influence nuisible du zinc !
« L'administration communale de Liège a consulté la commission médicale qui a déclaré que cette usine était nuisible aux habitants.
« On ne veut pas exclure du territoire belge les établissements de ce genre, ajoutait la députation permanente, mais doit-on toujours les autoriser à la plus grande convenance des industriels sans s'inquiéter nullement de l'agriculture et des propriétaires ? Je ne le pense pas. »
En 1837, il s'agit d’établir un jardin botanique, et, comme l'a dit hier l'honorable M. de Renesse, on reconnaît qu’il est impossible de le créer dans le quartier du Nord, parce que l'établissement de Saint-Léonard détruirait toutes les plantes. En 1845, ou veut établir une prison, et un rapport est adressé au conseil communal, dans lequel on conclut à l'impossibilité de donner suite à ce projet, parce que, dit-on, il faut que les détenus puissent respirer. Prétendra-t-on que ce qui était alors considéré comme nuisible aux détenus, peut être toléré pour des hommes libres ?
En 1845, alors que la société de la Vieille-Montagne soutenait si ardemment que sa fabrication n'est point insalubre, une commission est nommée par le gouvernement, sous la présidence de M. le gouverneur de la province, et voici en quels termes cette commission s'exprime :
« L'usine à zinc de Saint Léonard, dans les conditions où elle fonctionne aujourd'hui, vicie l'atmosphère et nuit au voisinage par l'acide sulfureux, par les composés zinciques et par les cendres sulfureuses et autres poussières qui émanent de ses fours.
« Pour remédier aux inconvénients signalés, il faut retenir les matières solides et disperser dans une plus grande mesure d'air, tout en cherchant à les diminuer, les produits gazeux nuisibles, que l'usine laisse échapper aujourd'hui.
« Il ressort de notre travail que pour arriver à ce résultat, il ne suffirait pas d'employer les moyens qui ont été mis partiellement en usage à Angleur. Ces moyens qui ont produit de bons résultats doivent cependant être complétés et perfectionnés. »
Ainsi, là, messieurs, la question d'insalubrité n'est pas même mise en doute.
Consultons maintenant la statistique.
Prenons d'abord la statistique du choléra en 1849 ; prenons le rapport qui a été fait à ce propos à l’autorité communale. Voici ce que nous y trouvons :
Dans une rue d'Outre-Meuse, habitée par des ouvriers, la rue de la Roture, la moyenne des décès pendant la durée du choléra a été de 4 16/100 pour cent : dans une autre rue, la rue Franchimontois, rue plus belle, plus spacieuse, mais exposée constamment aux feux de la Veille-Montagne, la moyenne a été de 13 25/100 pour cent.
(page 510) Maintenant voici un extrait des statistiques officielles publiées par l'administration communale.
Nous y trouvons un tableau comparatif établissant dans quelle proportion les divers faubourgs de Liège ont été frappés :
\1. Faubourg Saint Laurent, 0.69 p. c.
\2. Faubourg Hocheporte, 0.90
\3. Faubourg Sainte-Walburge, 1.25
\4. Faubourg Sainte-Marguerite, 1.48
\5. Faubourg Vivegnis, 1.75
\6. Faubourg Saint-Gilles, 1.93
\7. Faubourg d’Amercœur, 2.35
\8. Faubourg Saint-Léonard, 6.39.
Messieurs, la Vieille-Montagne s'écrie à tout propos : C'est nous qui avons créé le quartier Saint-Léonard ; c'est nous qui l'avons enrichi ; c'est grâce à nous qu'il s'est développé. Cela mène n'est pas plus exact que le reste ; non, il n'est pas vrai de dire que la société de la Vieille-Montagne a déterminé le développement du faubourg de Saint-Léonard ; la prospérité de ce faubourg ne dépend nullement de l'établissement de la Vieille-Montagne.
Le quartier du Nord, qui occupait autrefois le deuxième rang sous le rapport de la population, et descendu au troisième rang, et l'augmentation de la population dans ce faubourg est plus lente que dans les autres faubourgs.
De 1816 à 1852, période pendant laquelle l'exploration de la Vieille-Montagne a été non interrompue, le quartier du Sud a augmenté de 11,990 habitant» ; celui de I Est de 10,456 ; celui du Nord de 10,188, et celui de l'Ouest de 5,449. Vous voyez que cette prospérité inouïe que l'établissement de Saint-Léonard aurait répandue dans le quartier du Nord, n'a pas suffit pour y maintenir la population à la même hauteur que dans les autres faubourgs.
Je citerai encore, pour démontrer l'insalubrité de l'usine de Saint-Léonard, une opinion qui ne peut pas être contestée, l'opinion d'un homme dont la haute capacité médicale ne peut pas être contestée non plus. C'était dans une discussion de 1856 au Sénat, à propos de la Vieille-Montagne.
Voici comme s'est exprimé l'honorable baron Seutin. Il ne s'est pas borné à dire que la Vieille-Montagne était insalubre ; il a dit que, par ses émanations, la Vieille-Montagne compromettait la vie des citoyens.
« Je viens appuyer de toutes mes forces les idées qu'a émises l’honorable ministre de l'intérieur. Je crois qu'il faut que le gouvernement en finisse une bonne fois.
« Malgré le respect que j'ai pour l'opinion de M. Forgeur, je place la santé publique avant l’industrie. Je crois que le gouvernement doit prendre des mesures énergiques pour garantir la santé publique et pour la mettre à l'abri des atteintes qu'on lui porte non seulement par la fumée mais par des émanations délétères, par des infiltrations qui vont altérer l'eau des sources, qui est un des premiers aliments de la santé, de la vie.
« Je place, messieurs, la santé avant la richesse et je crois que dans des questions de cette nature le gouvernement ne doit pas balancer. »
Le caractère d’insalubrité publique est donc parfaitement démontré. J'ai cependant quelques mots à ajouter.
Il nous est parvenu une protestation signée par les directeurs des différents établissements de zinc. D’après ces intérêts coalisés plaidant pro domo, l'innocuité des émanations de zinc est établie. Après ce que je viens de vous exprimer, je ne crois pas devoir discuter cette affirmation seulement, mais pour vous laisser juger de sa valeur véritable, je vous citerai un extrait d'un jugement porté en 1855 par le tribunal de Huy. M. Lamine, signataire de la protestation, fit condamner M. Brixhe, également signataire de la protestation, pour émanations nuisibles de son établissement, et le jugement déclare que les émanations qui s’échappent de l’usine de M. Brixhe et qui aujourd’hui, selon M. Lamine ; sont parfaitement innocentes, ont causé des dommages, par leur nature corrosive, aux propriétés de M. Lamine. Il me semble que quand il s’agit des intérêts des autres, on doit avoir la même tolérance que lorsqu’il s’agit de ses propres intérêts, et que si M. Lamine a cru bon, et a eu raison, comme le prive le jugement, de se plaindre, il doit bien admettre que ceux qui souffrent aujourd’hui pour les mêmes causes, se plaignent aussi.
Il y a des propriétaires antérieurs qui ne cherchent pas à nier l'insalubrité de l’établissement de Saint-Léonard. M. Mosselman, en 1827, s'exprime ainsi :
« Je conviens que quelques-uns de nos voisins ont des droits à se plaindre de la fumée de nos fours ; je l'ai reconnu et depuis dix ans j'ai constamment satisfait à des demandes souvent exagérées.
« Ce qui est bien étrange, c'est que le nombre des réclamations s’est accru depuis six à sept ans, quoiqu’à cette époque nous ayons considérablement diminué la cause des dommages en supprimant tout à fait la calcination de la calamine, qui produisait le plus de fumée. »
Or, si en 1827 M. Mosselman supprimait complètement la calcination de la calamine, il n'en est pas de même en 1856 et les années suivantes ; car, d'après une lettre officielle de l'inspecteur général des mines de la province, le grillage du zinc à l'usine Saint-Léonard s’élève à 35 millions de kilog. par jour.
Messieurs, après ce que je viens de vous dire, vous pouvez conclure pour ou contre les conclusions du rapport au point de vue légal. Mais la position insalubre de la Vieille-Montagne en 1856, selon moi, est incontestable.
Eh bien, jusqu'en octobre 1859 elle reste la même, d'après les déclarations des autorités compétentes. L'inspecteur général des mines déclare, par une lettre au ministre, qui se trouve au dossier, que les essais que l'on a tentes n'ont pas réussi, et qu'à partir du 13 octobre 1859, on va essayer un nouveau moyen qui, selon toutes les apparences, réussira ; mais il faut l'expérimenter avant de prendre une décision positive.
Ainsi, jusqu'au 13 octobre 1859, la position n'a pas changé.
Hier, l'honorable M. Vander Donkt vous a dit que la question de la Vieille-Montagne était aussi vieille que la Vieille-Montagne elle-même. On a souri, mais cela est vrai. La Vieille Montagne n'a pas cessé d'être en butte à des réclamations dont elle a reconnu la légitimité, puisqu'elle a payé des dommages-intérêts. La justice de ces dommages-intérêts a été avouée par le premier propriétaire, M. Donny ; par le second propriétaire, M. Mosselman. Je crois qu'il serait parfaitement inutile et beaucoup trop long d'entretenir la Cbambre des luttes constantes et sans cesse renaissantes des administrations communales et provinciales contre la mauvaise volonté de la société.
J'ai cité quelques extraits de la discussion de 1856. La discussion de 1856 a beaucoup d'analogie avec celle-ci. Les plaintes augmentaient tous les jours et la position du quartier du Nord était intolérable. Il vint une pétition à la Chambre, et l’honorable M. Delfosse, cet homme si juste et si droit, cet homme à qui chacun reconnaissait le grand mérite de ne se laisser égarer, ni par l'amitié ni par l’hostilité, vous a démontré non seulement que la position de la Vieille-Montagne était insalubre, mais encore qu'elle était illégale et que l'administration n'avait posé que des actes complétement contraires à l'intérêt général. Il appuya le renvoi de la pétition sur laquelle l’honorable M. Moreau avait fait rapport, au ministre de l'intérieur et au ministre des travaux publics. L'honorable comte de Renesse fit de même, et le renvoi fut ordonné.
Voici un passage du discours de l'honorable M. Delfosse, et ce passage résume en quelque sorte tout le débat :
« La société de la Vielle-Montagne ne tenant compte ni des injonctions, ni des menaces de l'ingénieur en chef, a fini par avoir le dessus, c'est le gouvernement qui a reculé ; il ne faudrait pas que cet acte de faiblesse se renouvelât.
« Après 35 ans d'incurie et d'anarchie administrative, il est temps que l’usine du faubourg Saint-Léonard soit contenue dans de justes limites et placée sous un régime qui donne aux habitants des garanties efficaces. »
Vous voyez, M. le ministre des travaux publics, que la position de l'administration en 1855 n'était pas une position si belle et que les mesures officielles qu'elle faisait prendre par l'autorité supérieure ne couvraient en rien la Vieille-Montagne. Si ces arrêtés spécifiaient pour certains cas, ils ne pouvaient fane disparaître des illégalités constantes et réitérées.
Dans la discussion de 1856, la défense de la Vieille-Montagne fut présentée par l'honorable comte Le Hon. L'honorable comte Le Hon, s'attacha surtout à réfuter les accusations d'illégalité, les accusations d'insalubrité et enfin à diminuer l'autorité des pétitions.
Si cette manière d'argumenter ne s'est pas encore produite dans cette enceinte, elle s'est produite au dehors. En 1856, comme en 1849, ce sont les mêmes arguments, les mêmes citations. La question de droit est peut-être différente ; mais en réalité, je le répète, ce sont les mêmes arguments, les mêmes citations pour ne pas se soumettre à la loi de 1849, que ceux que l'on produisait pour éviter l'application de la loi de 1810.
Ainsi que je l'ai déjà dit, en 1860 comme en 1856, on affirme que la Vielle-Montagne est parfaitement salubre, on affirme qu’elle produit seule la richesse du faubourg Saint-Léonard, on affirme qu'elle est entièrement soumise à la loi. Il y a eu cependant une différence en 1856 et en 1860. En 1856, ces affirmations étaient produites pour éviter l'arrêté de 1856. Nous savons quel a été le sort de cet arrêté, et nous verrons tout à l'heure les péripéties qu'il a subies.
En 1860 il faut à tout prix repousser l'application d'un système légal qui ferait rentrer la Vieille-Montagne dans le droit commun, et l'on se réfugie dans cet arrêté tant maudit de 1856, pour éviter l'application de l'arrêté de 1859.
M. de Sinçay s'exprime ainsi :
« Le gouvernement, armé de l'arrêté de 1856, a pu faire exécuter et expérimenter à Saint-Léonard le plus remarquable appareil de condensation qui a été imaginé jusqu'à ce jour. »
Eh bien, messieurs, si ce résultat si beau a été produit au moyen de l'arrêté de 1856, le gouvernement avait raison, en 1856, de vouloir maintenir son arrêté et la Vieille-Montagne avait tort de le repousser.
Je vous ai cité, messieurs, l'opinion des orateurs de la Chambre en 1856, les conclusions du rapport de M. Moreau, les paroles de M. Delfosse. L’honorable M. Lelièvre a taxé aussi d'illégalité la position de la Vieille-Montagne. Je regrette de voir l’honorable ministre des travaux publics en contradiction avec ces hommes les plus éminents de la législature de 1856.
Non seulement M. le ministre est en contradiction avec ces orateurs, (page 511) mais il est en contradiction avec les principes posés par son prédécesseur, M. Van Hoorebeke. Ainsi, en 1854, l’honorable M. Van Hoorebeke écrit au gouverneur de Liége une lettre dans laquelle il indique la marche à suivre. Voici cette lettre ; elle est importante :
« Bruxelles, 4 mars 1854.
« M. le gouverneur,
« J'ai reçu de M. le ministre de l'intérieur, comme rentrant dans les attribuions de mon département en vertu de la loi du 21 avril 1810, les pièces relatives à l'usine à zinc de Saint-Léonard, adressées à ce haut fonctionnaire.
« Pour répondre à la demande contenue dans votre lettre du 5 janvier dernier, première division, il est essentiel de faire une distinction :
« 1° Les fours auxquels s'appliquait la demande en maintenue faite en 1820, sont demeurés dans l’état où ils se trouvaient à cette époque et, depuis lors, de nouveaux fours ont été ajoutés à l'usine.
« 2° Ou bien les fours établis en 1820 ont reçu une nouvelle organisation ou subi des modifications et le nombre en a été augmenté depuis la publication de la demande.
« Dans le premier cas les publications faites en 1821 sont encore valables, et il y a lieu seulement d’exiger une demande particulière pour les additions introduites depuis cette année. Cette demande devra être instruite conformément à la section 4 du titre VOO de la loi du 21 avril 1810.
« Toutefois, comme il s'est écoulé beaucoup de temps depuis les publications de 1821, il conviendrait d'insérer dans les affiches la demande première à la suite de la demande supplémentaire.
« Dans la seconde hypothèse, une nouvelle demande, indiquant la consistance actuelle de l'usine, est indispensable pour le tout, et l'instruction devra s'en faire comme lorsqu'il s'agit d'une demande en permission pour mettre en activité un établissement nouveau. »
Or, il est évident, messieurs, qu'à moins que M. le ministre des travaux publics d'alors n'ait voulu dire une chose oiseuse, en exprimant la volonté d’astreindre l'établissement à une demande d'autorisation nouvelle, comme s'il s'agissait de le créer, il s'attribue évidemment le droit de lui refuser un octroi. Cependant d'après le discours prononcé hier par M. le ministre des travaux publics, le gouvernement n'aurait pas le droit de refuser la maintenue à cet établissement.
La députation permanente de Liège admet qu'on peut refuser l'octroi.
La thèse que l'usine est uniquement soumise à la loi de 1810, est encore combattue par l'un des intéressés.
Quand la Vieille-Montagne a besoin de se mettre sous la protection d'un arrêté ou d'une loi, elle invoque cette loi ; si au contraire une loi la gêne, elle la repousse sans la moindre difficulté. Ainsi M. Mosselman se réfugie aussi dans les prescriptions du décret d'octobre 1810 et de la loi de 1824. Il s'exprime ainsi dans une lettre adressée au conseil communal, en date du 25 septembre 1835 :
« Ma fonderie de zinc existe depuis l'an 1806 ; le devoir, l’obligation m'était imposé de l'ériger ; elle a été autorisée par le décret qui a accordé le brevet d'invention et se trouve maintenue par l'article 11 du décret de 1810 (octobre 15) qui l'a rangé dans la seconde classe, qui comprend les manufactures et ateliers dont l'éloignement des habitations n'est pas rigoureusement nécessaire. »
Ainsi voilà le propriétaire de la Vieille-Montagne qui invoque à son tour le décret du 10 octobre 1810 et la loi de 1824, pour soutenir que son établissement doit être maintenu sans avoir besoin d'octroi nouveau.
M. le ministre des travaux publics a cherché à prouver hier que l'arrêté de 1856 était encore. en droit et en fait, existant. Ce point, qui ne touche que secondairement à la position actuelle et passée de la Vieille-Montagne, ce point, selon moi, est facile à controverser.
La Vieille-Montagne prend texte des rigueurs illimitées et nouvelles imposées à l'établissement de Saint-Léonard, pour refuser de se soumettre cet arrêté de maintenue qui lui a été imposé après l'accomplissement de formalités contradictoires et enquêtes légales, après que l'on eut consulté pour être plus certain de bien faire, comme l'a dit M. le ministre des travaux publics, même des autorités qui, d'après la loi de 1850 n'avaient rien à y voir, notamment l'autorité communale.
L'autorité communale, en effet, avait donné un avis favorable ; et quand l'honorable M. Closset reçut communication officielle de l'arrêté royal de 1856, il s'empressa d'écrire au ministre des travaux publics pour le féliciter d'avoir tranché la question. Toutefois M. Closset fait une réserve, et c'était pourtant le chef d'une administration communale parfaitement favorable à la Vieille-Montagne. Il est vrai qu'elle l'a payé assez cher, parce qu'elle a été balayée de son siège, précisément parce qu'elle était favorable à la Vieille Montagne. (Interruption.)
Je retire l'expression balayée, si on la croit désobligeante, je tiens seulement à constater que l'administration communale de Liège n'a pas été réélue en 1857, parce qu'elle était favorable à la Vieille-Montagne.
L'honorable M. Closset, malgré ses sympathies pour cette société, exprimait, dans une lettre au ministre des travaux publics, le regret qu'on eût laissé trop de latitude à la Vieille-Montagne, qu'on n'eût pas été assez sévère à son égard. Quand la Vieille-Montagne se trouva en possession de l'arrêté de maintenue de 1856, elle prit la résolution dont l'honorable ministre des travaux publics nous a parlé hier ; elle résolut de se soustraire aux obligations qui lui étaient imposées par l’arrêté, en transportant sa fabrication ailleurs et en fermant son usine de St-Léonard.
Je n'ai pas le droit de préjuger les intentions ; mais en examinant tout ce qui s'est passé à cette époque, j'ai acquis la conviction que la Vieille-Montagne avait l'intention, non pas de se soustraire à l'obligation d'employer tels ou tels appareils, mais de se soustraire à l'application de l'article 4 de l'arrêté royal de 1856, article qui n'a pas été abrogé non plus, selon M. le ministre, et qui, cependant, n'a jamais été appliqué.
Cet article porte qu'en cas de changements à l’usine il faudra une nouvelle demande soumise aux règles spéciales de la matière, c'est-à-dire que pour tout changement à l’usine, il faudra une enquête nouvelle, il faudra les formalités voulues par la loi de 1810 tout au moins.
Cet article semble n'avoir jamais existé ni pour le gouvernement ni pour la Vieille-Montagne. J'ai lieu de croire que ce que cette dernière désirait, c'était uniquement d'être affranchie, le cas échéant, d'une nouvelle enquête et de nouvelles formalités. La société de la Vieille-Montagne, ne voulant pas appliquer certains appareils, refuse de se soumettre ; elle demande une année d'existence supplémentaire pour lui permette, selon sa demande, qu'a rappelée M. le ministre des travaux publics, de licencier ses ouvriers de manière à ne pas brusquer les choses, de façon à nuire le moins possible à la population, et à arriver à assurer, de concert avec le gouvernement, l'exécution de la mesure de suppression dans les conditions les plus paisibles.
Ce beau langage n'était-il pas tenu pour obtenir la prolongation ? En effet, une fois la prolongation obtenue et notifiée à la Vieille-Montagne, que fait celle-ci ?
Elle placarde dans les ateliers une adresse aux ouvriers, adresse dans laquelle elle rejette sur le gouvernement tous les torts de la situation, où elle qualifie de désastreuses les conditions qui lui étaient faites, où, enfin, elle se pose en victime. Elle renvoie brusquement le tiers de ses ouvriers ; et quoiqu'elle eût pris l'engagement de replacer le plus grand nombre d'ouvriers possible dans un autre établissement belge, elle annonce dans ce placard que les ouvriers qui ont quelques chances d'être conservés sont les seuls qui comprennent la langue allemande, parce qu'ils pourraient trouver du travail dans une usine de Prusse.
M. le ministre actuel des travaux publics a loué la fermeté du ministre qui était aux affaires en 1856. Je suis d'accord avec lui sur un point : l'administration précédente a été louable, en prenant 1'arrêté de 1856 ; parce qu'enfin cette mesure était quelque chose dans l’état d'illégalité où l'on se trouvait. Mais cette administration a eu tort de retirer un arrêté par suite de l'opposition des intéressés.
L'administration, a dit M. le ministre, avait pris l'arrêté de 1856, après avoir écouté les adversaires de la Vieille-Montagne et elle l'a retiré en 1857 après avoir écouté les partisans de la même société...
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je n'ai pas dit cela. Lisez le Moniteur.
M. Goblet, rapporteur. - Votre discours n'a pas été inséré au Moniteur de ce matin. Comment voulez-vous que je discute vos paroles, si elles ne sont pas imprimées ?
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Vous les aurez demain.
M. Goblet. - J'ai le droit de les discuter aujourd'hui et immédiatement et j'en appelle au souvenir de mes collègues.
Je prétends qu'on a tort d'écouter les parties l'une après l'autre ; il faut les entendre simultanément pour connaître la vérité.
Quoiqu'il en soit, je prétends que l'arrêté de 1856 est mort ; M. la ministre des travaux publics lui-même nous a lu la lettre de faire part de son décès.
Je comprends qu'on dise que l'établissement n'avait pas le droit d'annuler un arrêté royal en refusant de s'y soumettre ; mais quand le contrat, car un arrêté de maintenue est un contrat, quand le contrat est accepté comme nul par les deux parties, qu'il y a commencement d'exécution de la convention faite après l'annulation débattue de ce contrat, je soutiens avec raison qu'il n'existe plus et que l'arrêté ne pouvait plus revivre sans une enquête nouvelle, suivie d'une autorisation nouvelle.
Messieurs, l'arrêté royal de 1856, invoqué par M. le ministre des travaux publics dans l'arrêté de 1859, n'est pas même exécuté dans l'une de ses disposions les plus importantes. (Interruption.) Avez-vous appliqué l'article 4 de l'arrêté de 1859 que vous faites revivre ? Avez-vous ouvert une nouvelle enquête ? Non ; et cependant il y a eu des changements notables ; vous les constatez vous-même dans votre arrêté de 1859.
M. le ministre des travaux publics a dit qu'en 1856 et en 1857 on avait été bien loin ; qu'on avait pris toutes les mesures de précaution possibles ; qu'on avait consulté jusqu'au conseil communal lui-même ; il a ajouté qu'à la suite de cette enquête, il avait le droit, de par la loi, de prendre une résolution, de maintenir l'usine sans faire d'enquête nouvelle. Dans mon opinion, M. le ministre n'avait pas ce droit.
Vous avez fait une enquête administrative, mais vous n'avez pas consulté le conseil communal en 1859. Est-ce parce qu'on le savait défavorable à la Vieille-Montagne ?
Cette doctrine n'est pas admissible ; avoir le droit d'agir ainsi, (page 512) serait en définitive substituer la volonté de l'administration à la loi ; si la loi a prescrit des formes rigoureuses, c'est pour que les citoyens aient les moyens de se préserver des abus que peut commettre le gouvernement comme tout autre.
Maintenant les conclusions de la commission des pétitions ont été attaquées comme si elles demandaient la suppression immédiate de l'usine, je ne dis pas par M. le ministre, mais par les intéressés, dans leurs mémoires.
M. le ministre s'est borné à défendre la thèse légale et à repousser l'application de l'arrêté royal de 1849.
Que demandent les conclusions de la commission ? Le maintien de l'usine, mais à la condition de voir cesser les réclamations continuelles dont elle est l'objet ; elles demandent l'application d'une loi qui prescrit de donner la plus grande publicité à toutes les réclamations ; quel intérêt peut y avoir te gouvernement à ce que les réclamations ne puissent pas se produire ? Pourquoi, si la Vieille-Montagne est si sûre de son innocuité, craint-elle cette publicité ? Si elle se maintient dans des limites raisonnables, le gouvernement lui accordera un nouvel octroi, nul n'en peut douter.
En défendant l'opinion qui demande l’application de l'arrêté de 1849 aux établissements insalubres ou incommodes régis à d’autres titres par la loi de 1810, j'ai l'intime conviction de défendre une cause juste et équitable. L'ordre public, le bien-être et le repos des populations, l'égalité de tous devant la loi, tels sont les principes mis en question dans ce débat.
Si j'ai froissé des intérêts privés, si j'ai soulevé des récriminations hostiles, je le regrette, mais, en obéissant à ma conscience, j'accomplis une tâche librement acceptée. Je ne suis l'adversaire ni du commerce ni de l'industrie, je ne veux ni restreindre, ni entraver la production nationale ; que les succès de la Vieille-Montagne soient plus éblouissants chaque jour, que ses richesses s'accroissent d'heure en heure, je serai le premier à m'en réjouir comme citoyen et comme individu.
Mais il ne m'est pas permis d'oublier qu'il n'y a de prospérité réelle ni de progrès durable dans un Etat, que si chacun des membres qui le composent est soumis, sans distinction aucune, aux règles sociales. La puissance et la richesse se plaçant au-dessus des lois deviennent bien vite du monopole et de l’oppression.
L'industrie est une des plus grandes et des plus nobles choses de ce monde. Elle unit le travail et l’intelligence au capital, pour créer l'aisance et développer la civilisation. Mais il ne suffit pas de produire avec succès, de donner le pain quotidien à des ouvriers, instruments de prospérité, il ne suffit pas de contribuer indirectement au bien-être général, en gagnant beaucoup, il faut encore que l'industrie ne puise jamais être une cause de dommage pour les citoyens ; il faut que riche ou pauvre la respecte, en voyant qu'à son tour elle respecte les droits de tous.
Certes l'industrie a le droit légitime d’être protégée et d'être garantie contre les incertitudes et les caprices du pouvoir. Mais cela ne peut lui donner le droit d'existence indéfinie au détriment de la santé et du développement des générations futures.
Que ce soient l'intérêt seul et la satisfaction des nécessités de chaque jour qui aient aggloméré ces populations autour de l'usine, peu importe. Des intérêts nouveaux, des relations nouvelles demandent au bout d'un certain temps leur part d'air pur et de bien-être.
Le législateur de 1849 a introduit dans les règles qui régissent les établissements insalubres ou incommodes l'application de principes nouveaux.
« Protection tutélaire de l'Etat en faveur de l'ouvrier dans l'établissement même ; prescription de 30 ans dans la durée de l'octroi d'un établissement insalubre. »
A l'époque où l'arrêté royal de 1849 a vu le jour, on se préoccupait un peu plus de l’intérêt des masses et peut-être un peu moins de combinaisons financières ; on marchait un peu plus vite qu'aujourd'hui dans la voie du progrès, sous l'impulsion de l'opinion publique en mouvement.
Dans notre pays où la loi sur les coalitions existe encore, où la loi qui devrait régler le travail dans les manufactures n'existe pas, devons-nous cesser un instant de défendre et de soutenir les principes libéraux et d'émancipation, si rares encore dans notre code industriel ?
Le législateur de 1849, en fixant la durée de l'octroi de l'établissement insalubre à trente années a concilié l'intérêt du présent et celui de l'avenir ; il a eu raison.
Je le répète, messieurs, l'application de l'arrêté royal de 1849 est d'ordre public ; c'est au nom de l'industrie et de sa prospérité que j'en demande l'application. Que la société de la Vieille-Montagne se soumette à ce qui est juste et raisonnable, comme le disent les conclusions du rapport, et nul n'élèvera la voix contre son existence.
Que le gouvernement, après avoir appliqué la loi de 1810, applique l'arrêté de 1849, il prendra une décision sans que personne puisse lui en faire un reproche. Après s'être assuré de l'innocuité de l'établissement, il prendra, dans toute la plénitude de ses droits, une décision qui mettra un terme au déplorable conflit qui dure depuis si longtemps.
(page 503) M. Deliége. - Comme député de Liège, connaissant les faits qui sont l'objet du débat, dont j'ai eu occasion de m'occuper comme membre de la Chambre et comme membre du conseil provincial, je viens répondre quelques mots au discours de l'honorable M. Goblet.
D'abord j'aborde un fait qui vient d'être énoncé par M Goblet : il a dit qu'à Liège, le conseil communal avait été balayé ; le mot a été retiré ; il avait pu échapper dans l'improvisation, je ne lui en fais pas un crime, ce n'est pas dans une mauvaise intention qu'il l'a prononcé, mais je lui dois une réponse.
Je dois expliquer ce fait à la Chambre parce qu'il est de nature à éclairer jusqu'à un certain point le débat.
Il est vrai, messieurs, que lors des dernières élections qui ont eu lieu à Liège pour renouveler la moitié du conseil communal, la question électorale a été portée sur le terrain de la Vieille-Montagne ; mais la question n'a pas été portée sur ce terrain seulement ; elle a été portée aussi sur le terrain politique. A Liège, comme partout ailleurs, il y a trois partis : le parti avancé, le parti libéral, le parti catholique. Chacun de ces partis, à Liège, est représenté par un journal. L'un de ces journaux, organe du parti avancé, a constamment attaqué la Vieille-Montagne ; cet établissement et la question qui le concerne ont été une bonne fortune pour le parti avancé. Mais c'était là le petit côté de la question.
Quelques griefs locaux que l’on ressuscitait et surtout la question politique faisaient mouvoir ceux qui ont fait disparaître l'ancien conseil communal. Ajoutez, messieurs, que le parti libéral n'avait pris aucune précaution. Voilà, messieurs, l'unique cause de son insuccès dans la lutte électorale que l'honorable M. Goblet a rappelée.
Il dit, messieurs, que je connais la question.
Je m'en suis occupé comme conseiller provincial ; et bien longtemps avant que le comité du Nord ne fût formé, j'ai, en qualité de conseiller provincial, demandé que l'on prît toutes les précautions possibles pour que l'établissement d'Angleur ne fût point nuisible au voisinage. L'établissement d'Angleur appartient à la Vieille-Montagne. On lui reproche les mêmes inconvénients que l’établissement de Saint-Léonard.
J'ai demandé deux choses : d'abord que cet établissement indemnisât les propriétaires voisins du tort qu'ils avaient pu éprouver ; ensuite, qu'il fût obligé d'user de tous les moyens possibles pour ne causer aucun dommage.
Eh bien, messieurs, j'ai obtenu cette double satisfaction, car l'établissement d'Angleur a indemnisé, et largement indemnisé tous ceux qui avaient souffert de son voisinage et il a pris, et j'espère qu'il continuera à prendre, toutes les mesures possibles pour ne pas nuire aux propriétés d'alentour.
D'autres ont demandé davantage. Ainsi un homme pour qui j'avais une profonde estime a demandé la fermeture de l'établissement ; il a porté sa demande devant les tribunaux ; il l'a poursuivie même jusqu'en cassation ; mais la cour suprême a déclaré que cette demande n'était point recevable et que tout se réduisait à une question d'indemnité. Le propriétaire auquel je fais allusion a modifié alors sa demande et il a reçu 53,000 fr. à titre d'indemnité.
Voilà, messieurs, comment les choses se sont passées pour l'établissement d'Angleur. Ceux qui se sont bornés à demander ce qui était raisonnable ont obtenu pleine et entière satisfaction ; les autres ont plaidé et ont perdu leur procès.
Maintenant, messieurs, je me demande si l'on peut considérer comme insalubres des établissements tels que ceux d'Angleur et de Saint-Léonard. Je connais parfaitement l'établissement d'Angleur ; je connais la nombreuse population de Chênée qui avoisine cet établissement ; or, en voyant les hommes robustes et bien portants qui les composent, en voyant le contingent qu'elle fournit chaque année à la milice, j'avoue ne pas comprendre les critiques que l'on dirige contre les établissements dont je parle, au point de vue de la salubrité publique.
Si ces établissements étaient réellement insalubres, il est évident que le personnel de l’établissement serait le plus exposé aux dangers qu'ils offriraient. Or, la plupart des directeurs qui les ont dirigés et notamment l'honorable M. de Brouckere, y ont habité longtemps sans que, ni eux ni leur famille, ni les personnes qu'ils recevaient, aient jamais ressenti aucun inconvénient résultant de la fabrication du zinc ; et certainement, messieurs, à voir l'état sanitaire de toutes les personnes qui sont constamment dans ces établissements, on ne comprendrait pas comment il est possible qu'au sein du parlement on les représente comme vivant dans une atmosphère empoisonnée.
L'honorable M. Goblet a été jusqu'à alléguer que, si l'on avait établi un jardin botanique à St-Léonard, on n'aurait pu y tenir aucun arbre ni aucune plante en vie. Eh bien, allez à l'établissement d'Angleur, vous y trouverez au sein de l'établissement même des arbres magnifiques et toutes sortes de plantes comme dans nos plus beaux jardins.
M. de Renesse. - Et le voisinage ?
M. Deliége. - Je ne nie nullement que des établissements comme ceux d'Angleur et de St-Léonard ne soient incommodes pour le voisinage ; je ne nie pas que, dans les environs de ces établissements il n'y ait certaines essences d'arbres à fruit, comme le pommier, le prunier qui ne peuvent pas y vivre ; mais ce dont je doute fort, c'est que ces établissements soient insalubres et qu'ils offrent des inconvénients tels qu'il faille les supprimer dans l'intérêt de la salubrité publique.
Quant à la question de légalité, elle n'est évidemment point douteuse. Nous avons sur cette question non seulement l'opinion du gouvernement mais encore celle des jurisconsultes les plus recommandables, et notamment de l'honorable M. Raikem, qui a été président de cette Chambre et qui est maintenant procureur général près la cour d'appel de Liège. Il est évident que l'honorable magistrat a examiné la question au point de vue exclusif du droit et en l'absence de toute autre préoccupation ; dès lors, nous pouvons tenir pour démontrer que l'article 78 de la loi de 1810 est applicable dans l'espèce.
(page 504) S'ensuit-il, messieurs, que les règlements de police ne sont pas applicables à l’établissement de la Vieille-Montagne ? S'ensuit-il, et ceci répond à toute l'argumentation de l'honorable M. Goblet, que cet établissement ne doive rien faire pour parer aux inconvénients qu'il peut offrir ? Evidemment non ; mais je crois que ce que nous avons de mieux à faire, c'est d'engager le gouvernement à persévérer dans les efforts qu'il fait aujourd'hui pour parer à ces inconvénients.
Tout ce que je tiens à établir, messieurs, c'est que de ce que le gouvernement a le droit de prendre tontes les mesures nécessaires pour forcer l'établissement à faire ce que la justice lui recommande de faire, il ne s'ensuit nullement qu'on puisse l'obliger à suspendre ses travaux.
L'honorable M. Goblet lui-même nous a dit que telle n'est pas son intention ; mais, messieurs, un établissement comme celui-là doit trouver dans sa concession des conditions de stabilité et de durée telles que son existence ne soit pas constamment exposée. Soyons justes, messieurs, l'établissement de Saint-Léonard fait tout ce qu'il peut, depuis quelques années, pour prévenir tout sujet de plainte. Au commencement, je le sais, il a voulu résister ; il a fait longtemps peu de chose ; mais ensuite, il a fait beaucoup ; il est certain qu'il a depuis quelques années dépensé en appareils plusieurs centaines de mille francs. Un établissement qui, dans l'intérêt de la santé publique, dépense plusieurs centaines de mille francs pour arriver à la solution d'un magnifique problème industriel, doit-il donc être traité avec tant de rigueur ? Je crois que nous ne devons pas exciter le gouvernement contre cette société.
Respect à l'industrie ! Respect à la propriété !
Respect à l'industrie ! Ne convions pas le gouvernement, dans un pays industriel comme le nôtre, à prendre des mesures qui pourraient vexer les industriels.
Respect à la propriété. Si la Vieille-Montagne cause un préjudice à la propriété, les tribunaux sont là. Ils appliqueront cet article du Code qui dit que nul ne peut causer du dommage à autrui sans être obligé à le réparer.
D'un autre côté, le gouvernement, j'en suis certain, conjointement avec la société qui est aujourd'hui dans cette voie, on ne peut le nier, fera tout ce qu'il est humainement possible pour résoudre, comme je viens d'avoir l'honneur de vous le dire, un des plus beaux problèmes qui puissent se présenter, celui d'empêcher que nos grandes usines soient incommodes pour le voisinage.
M. Julliot. - Messieurs, la discussion s'est élevée sur la question de savoir si les lois relatives aux usines nuisibles ont été bien appliquées.
Je n'examinerai pas si la loi a été entièrement exécutée, si elle a été exécutée à demi ou si elle n'a pas du tout été exécutée, non.
Je prendrai la question d'un peu plus haut, et je me demande si cette querelle qui fait écrire 30 brochures et 200 articles de journaux, ne prouve pas, une fois de plus, que quand nous conservons toute cette procédure administrative qui constituait le bagage du premier empire et que nous voulons l'appliquer sous notre libre Constitution, nous ne faisons pas fausse route, et je conclus affirmativement.
L'article 11 de la Constitution dit que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et moyennant indemnité préalable.
Eh bien, beaucoup de lois de l'empire disent le contraire et nous les écoutons en les appliquant.
Je vais le démontrer, et les opposants à l'usine de Saint-Léonard m'en ont fourni l'occasion.
Un grand nombre de médecins déclarent que les émanations de l'usine de Saint-Léonard ne sont pas nuisibles à la santé de l'homme, mais les réclamants en font bon marché en disant qu'il pourrait bien y avoir de la complaisance dans la délivrance de ces certificats.
Eu ce qui me concerne je ne crois pas que des hommes qui ont une réputation à ménager s'exposeraient légèrement dans une question qui était de la discussion publique.
Mais admettons que cela soit et alors nous verrons où nous arrivons.
On demande à élever une usine nouvelle, et comme tout le monde est un peu en tout aujourd'hui, il se trouvera parmi les fonctionnaires consultés l'un ou l'autre, très honnête homme du reste, qui verra cette nouvelle usine comme dangereuse pour la sienne d'abord et après pour la santé publique ensuite ; on consultera des médecins qui ne seront pas ceux de l’établissement puisque l'usine n'étant pas créée n'a encore pu être malade ; bref les avis sont contradictoires et le gouvernement refuse son érection et exproprie le propriétaire pour cause d'utilité publique, sans l'indemniser le moins du monde ; cela est-il conforme à l'esprit de l'article 11 de la Constitution ? Je dis que non.
Je tiens pour vrai, que les lois organiques de l'empire, que nous conservons religieusement, sont pour les trois quarts des antithèses à l'esprit de la Constitution ;
Qu'il faut en élaguer une bonne partie, remplacer les mesures préventives par des mesures répressives, et remplacer la procédure administrative par la procédure judiciaire.
Tel est évidemment l'esprit de la Constitution.
La question de l'usine de Saint-Léonard, pour moi, est une question à vider entre la commune de Liège et le gouvernement ; et en tout cas elle devient forcément une question judiciaire, que l'usine soit administrativement en règle ou non.
Il serait désirable de voir supprimer toutes les autorisations qui n'ont aucune valeur au point de vue judiciaire et de laisser chacun user et abuser de sa propriété, sauf à répondre de la nuisance faite à autrui devant les tribunaux et quand nos magistrats se familiariseront avec ces questions, il y aura peu de jugements à réformer. A l'aide de ces lois de l'empire où le pouvoir administratif dominait tout, le gouvernement belge se trouve à Liège dans la position que voici : Si le gouvernement donne une autorisation définitive, il sera actionné en dommages et intérêts en même temps que la société de Saint-Léonard par les opposants.
Si, au contraire, il faut supprimer l'usine, il sera actionné du même chef par la société. Il n'y a qu'un moyen de prévenir des situations si mauvaises, c'est la réforme des lois préventives en lois répressives et la disparition de cette procédure administrative qui ne donne de garantie à personne.
Qu'on veuille réfléchir un moment à cette singulière situation.
Le gouvernement, d'accord avec la société Saint-Léonard, dit : L'usine est légalement établie.
Les opposants, aidés dans cette enceinte même, soutiennent le contraire.
Or, qui va trancher cette question ?
Le pouvoir judiciaire ne pouvant faire invasion dans le domaine administratif, devra s'abstenir de statuer sur cette question.
Il ne reste donc, en définitive, que l'action en dommages et intérêts, ce qui ramène l'affaire à sa plus simple expression, comme je voudrais la voir traiter de prime abord, en élaguant toutes les formalités bureaucratiques, impuissantes à régler les intérêts civils.
Les intérêts civils sont du pouvoir judiciaire d'une manière absolue, et l'usage de ma propriété ne relève que de lui ; je n'admets pas que, sous prétexte de police, on puisse indirectement gouverner la propriété par l'élément administratif quand le domaine judiciaire seul doit en connaître, si nous voulons appliquer sainement la Constitution.
On a invoqué tantôt le conseil général de salubrité publique qui par avance a combattu mes arguments, mais on sait ce que cela vaut quand on reconnaît qu'avec le principe que je préconise, un conseil officiel de salubrité publique ne serait plus qu'une curiosité qui n'aurait plus de raison d'être. Je désire donc beaucoup que le gouvernement se pénètre de la nécessité qu'il y a à simplifier les rouages du gouvernement, et tout le monde y gagnera.
Je voterai donc pour le renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre de travaux publics.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, c'est avec une grande répugnance que je prends part à ce débat ; mais quand j'ai entendu hier un de nos honorables collègues vous dire : Je suis docteur en médecine, le zinc est un poison, donc la fabrication du zinc empoisonne, ma conscience m'a fait un devoir de parler, de vous éclairer sur des faits qu'on cherche à dénaturer.
Aujourd'hui encore on a longuement argumenté pour vous démontrer que la fabrication du zinc était insalubre, et l’on a fait de singulières confusions dans cette argumentation.
On a été jusqu'à invoquer l'autorité de M. Mosselman, pour prouver que la fabrication du zinc était insalubre, parce que M. Mosselman, dans une lettre, a dit : « J'ai indemnisé des voisins, et il est étonnant que l'on me demande plus d'indemnités cette année-ci que les années précédentes. » Messieurs, M. Mosselman a vécu pendant de longues années dans l'intérieur de l'usine Saint-Léonard, à trois mètres de distance de l'ouverture des fours ; il y a élevé toute sa famille, et je pense qu'il est mort à 88 ou 89 ans !!
Moi-même j'ai habité pendant cinq ans dans l'intérieur de l'usine d'Angleur. Je ne me suis jamais mieux porté que pendant ces cinq années. Je puis en dire autant de ma famille qui y passait six mois par an.
On s'est plaint, en quelque sorte, des nombreux documents que l'on avait reçus ; mais il y en a sur lesquels on a gardé un silence absolu ; et ces documents n'étaient pas des certificats de complaisance. Ainsi, vous avez reçu la statistique des maladies dans toutes les usines à zinc ; seulement on a oublié de distinguer la qualité des individus, le genre d'emploi qu'ils occupaient. Pendant cinq ans, j'ai fait une étude consciencieuse des effets que la fabrication pouvait produire sur les ouvriers ; et j'ai acquis la certitude que ceux qui étaient le moins atteints de maladies étaient précisément ceux qui travaillaient aux fours : c'étaient les ouvriers qui fabriquaient le zinc. La fabrication de la poterie, est bien autrement insalubre que la fabrication du zinc L'atmosphère dans laquelle vivent les ouvriers qui travaillent à la poterie est une atmosphère réellement malsaine, et la plupart des maladies des ouvriers, dans les fabriques de zinc, échoient à ceux qui font les creusets, chose que vous regardez probablement comme très innocente.
Il résulte de faits pertinents qu'il n'y a pas de fabriques où le nombre de malades soit moins grand que les usines à zinc. Et cependant un honorable orateur a voulu établir que la fabrication du zinc contribuait au développement du choléra. Si je vous soumettais la statistique des (page 505) cholériques dans la ville de Bruxelles, je défierais n'importe qui d'en tirer une conclusion quelconque, s'il ne connaissait pas tous les fait qui se produisent chaque jour dans les familles ou dans les maisons où le choléra pénètre, si je ne montrais du doigt la marche de l'épidémie. D'ailleurs le faubourg Saint-Léonard n'est pas habité exclusivement par les ouvriers de l’usine à zinc. Ceux-ci ne font pas la vingtième partie de la population du faubourg. De pareils arguments prouvent la pauvreté de la cause qu'on soutient.
La fabrication du zinc, les émanations qui en résultent, cela n'a jamais été contesté par personne, pas plus par M. Mosselman que par ceux qui l'ont suivi, sont nuisibles à la végétation. Mais ces émanations agissent exactement comme la poussière sur les végétaux ; c'est-à-dire que se répandant sur 1es feuilles, elles ne permettent plus à celles-ci le contact avec l'air. Les plantes ont besoin de carbone comme nous avons besoin d'oxygène. Voilà le seul effet que produisent les émanations des fabriques de zinc.
On a traité longuement la question de légalité et l'on a fait, à cet égard, une confusion continuelle des lois avec des arrêtés et des arrêtés avec des lois. On a continuellement donné à un simple arrêté de police, à l'arrêté du 12 novembre 1849, le caractère d'une loi.
La Vieille-Montagne, comme toutes les usines qui traitent des minerais, a été autorisée en vertu de la loi du 10 avril 1810. Or, une autorisation donnée en vertu d'une loi a un tout autre caractère qu'une autorisation obtenue eu vertu d'un simple arrêté.
Mati, dit l’honorable M. Goblet, vous admettez qu'une pareille usine, parce qu'elle aura été autorisée par la loi, pourra empoisonner. Non. Si le gouvernement a pu prendre l'arrêté de 1849, il peut en prendre un autre en 1860. Ce sont de simples arrêtés de police ; on peut en faire en tous temps, dans les mêmes termes et pour des objets identiques. A part la rétroactivité, ceux d'aujourd’hui auront la même force, la même vigueur que les arrêtés de 1849.
Si jamais les tribunaux n'appliquaient pas un arrêté pris en 1860, relatif à une fabrique quelconque, vous pouvez être assurés que ces mêmes tribunaux n'appliqueraient pas davantage l’arrêté de 1849.
Je dis qu'il y a une tout autre garantie pour la société elle-même dans l'autorisation accordée en vertu d'une loi que dans l'autorisation obtenue en vertu d'un arrête royal.
Dans le premier système vous avez l'avis des hommes les plus compétents, tandis qu'au contraire l'autorisation s'accorde, en vertu de l'arrêté de 1849, en dehors de l'avis des ingénieurs à la suite d'une information de commodo et incommodo. Que vous apprendrait une pareille information ?
Depuis un grand nombre d'années vous êtes assaillis de pétitions sur pétitions et certes ce que les pétitions ne vous ont pas appris, l'enquête de commodo et incommodo ne pourra vous l'apprendre.
Mais, dit l’honorable M. Goblet, les fonderies de zinc se trouvent comprises dans la deuxième catégorie (interruption) ; dans la première catégorie de 1849, dans la deuxième de 1824. Pouvez-vous admettre, messieurs, que de grandes usines aient jamais été placés dans la deuxième catégorie ?
Ce qu'on a mis dans la deuxième catégorie, ce sont les fonderies de métaux et non pas les fonderies de minerai. Il y a à Bruxelles trois fonderies de zinc qui sont autorisées : On y fond le zinc pour en faire des objets d'ornements, de luxe à bon marché ; pour remplacer le bronze.
Est-il jamais venu à l'esprit de personne de confondre une fonderie de fer avec un haut fourneau ?
Les fonderies de fer sont comprises dans les arrêtés de 1821 et 1849 : il n'y est fait aucune mention des hauts fourneaux parce qu'ils tombent sous l'application de la loi du 10 avril 1810.
La confusion est beaucoup moins possible pour le zinc.
Tous les métaux, en effet, s'obtiennent par la fusion des minerais : le zinc seul fait exception ; il est produit par la distillation.
Je vous disais tout à l'heure, messieurs, que j'avais habité pendant cinq ans au milieu des fours d’Angleur ; eh bien, pendant ces cinq années, de 1841 à 1846, je n'ai jamais entendu une plainte du chef d'insalubrité ni à St-Léonard, où je me rendais tous les jours, ni à Angleur que j’habitais.
On m'a demandé des indemnités que j'accordais, que j'étais autorisé à accorder, mais pourquoi ? Pour le tort que nous faisions à la végétation. Jamais une seule réclamation ne m'a été adressée du chef d'insalubrité. Les questions d'insalubrité ont surgi plus tard ; je ne pourrais pas, je ne voudrais pas dire ici à quelle cause futile elles doivent leur origine ; niais ce qui est certain, c'est qu'elles ont pris un caractère passionné. La fabrique de Saint-Léonard est devenue un moyen politique dont une infime minorité s'est servi pour dégoûter d'abord un de mes collègues les plus dignes, et ensuite pour arriver sous un drapeau d'emprunt.
Quant à moi, messieurs, convaincu que la société de la Vieille-Montagne est parfaitement en règle sous le rapport de la légalité, je me prononcerai pour le renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre des travaux publics.
J'éprouve, avant de m'asseoir, le besoin de vous dire, messieurs, que depuis 1846 j'ai quitté la Vieille-Montagne sans aucun esprit de retour et sans y avoir conservé le moindre intérêt.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.