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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 22 décembre 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 407) (Présidence de M. Vervoort, second vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 1/2 heure.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Van Bockel transmet des explications au sujet de ses démarches près de l’autorité judiciaire et au département de la guerre concernant la garde dite de sûreté qui a été organisée à Louvain. »

- Renvoi à la commission d'enquête.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Champion présentent des observations sur la pétition des maîtres de forges ayant pour objet le retrait de la loi du 20 août 1856, qui permet la libre exportation de certains minerais de fer. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Les secrétaires communaux du canton de Westerloo demandent une loi qui fixe leur traitement et qu'il leur soit en outre alloué un subside sur les fonds du trésor. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'une commune non dénommée demandent des modifications aux articles du Code pénal relatifs aux coalitions. »

- Renvoi à la commission du Code pénal.


« M. de Lexhy, rappelé à Liège, demande un congé de deux jours. »

- Accordé.


« M. Prévinaire a également écrit pour faire connaître qu'une indisposition grave l'empêche d'assister à la séance de la Chambre. »

- Pris pour notification.

Projet de loi prorogation la loi sur les concessions de péages

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - J'ai l'honneur de soumettre à la Chambre un projet de loi portant prorogation de la loi du 19 juillet 1852, sur les concessions de péages.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des travaux publics de la présentation de ce projet de loi, dont je vous proposerai, messieurs, de confier l'examen à la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics pour l'exercice 1860.

- Cette proposition est adoptée.

Rapport de la commission d’enquête sur les élections de l’arrondissement de Louvain

Discussion des conclusions

M. de Theux. - Messieurs, j'ai lu, avec la plus grande attention, l'enquête, le rapport de la majorité de la commission, la note de la minorité ; j'ai entendu avec la plus grande attention toute la discussion qui a eu lieu dans cette enceinte. Or, messieurs, cet examen m'a convaincu qu'il n'existe aucun motif légal, aucun moyen légal d'annuler les élections de Louvain. Pour les annuler il faut se jeter dans l'arbitraire ; annuler ce sera décider que désormais la Chambre pourra prononcer arbitrairement et comme elle l'entendra sur les élections qui lui sont soumises.

Aucun fait de corruption n'a été posé. Cette assertion, je la puise non seulement dans les témoignages des témoins appartenant à l'opinion conservatrice, mais je la puise encore dans les témoignages des témoins appartenant à l'opinion libérale.

La corruption, si elle existait, devrait être prouvée clairement. On ne peut pas établir l'existence d'un délit par voie d'induction, par voie d'argumentation, et encore moins par des arguments qui se contredisent Les inductions qu'on tire de certains faits sont contrairement exposés par divers orateurs.

Aussi s'est-on bien gardé d'intenter des poursuites du chef d'un délit de corruption. Si ce délit existait en lui-même d'après les faits qui sont connus par l’enquête, des poursuites eussent dû être exercées depuis longtemps dans l’arrondissement de Louvain, car le défrayement des électeurs est un usage très ancien dans cet arrondissement.

L'autorité judiciaire a eu connaissance de ces défrayements en argent, avant et depuis l’élection ; elle est en possession de l'enquête et jusqu'à présent aucune espèce d'instruction judiciaire en poursuite d'un délit n’est parvenue à ma connaissance. C'est assez dire que le délit n'existe point.

Le bilan de l'enquête est celui-ci : Eloignement des députés de Louvain pendant plus de six mois, fait énormément grave ; une dépense énorme d'argent, une grande perte de temps pour la Chambre, et l’ouverture d'une source nouvelle de division dans le pays ; et cela au moment où l'on vient d'inaugurer la colonne commémorative du Congrès, qui avait donné à la Belgique sa devise : « L'union fait la force. »

L'enquête n'a prouvé que ce qui était de notoriété publique dans l'arrondissement de Louvain, et qui a été avoué, ce qui n'a été en aucune manière dénié dans les discussions relatives à l'enquête. L'enquête donc n'a rien produit, absolument rien. Cependant aucun moyen n'a été négligé pour parvenir à la découverte des faits qui auraient pu compromettre l'élection.

Ainsi nous avons vu dans l'enquête qu'un paysan a reçu la promesse d'une pièce de 5 francs s'il pouvait faire parvenir au comité libéral la connaissance de quelque fait compromettant qui se serait passé dans sa commune. Soyez certains, messieurs, que ce fait, le seul qui ait été révélé, n'est pas en réalité unique, mais qu'il s'est produit d'une manière générale.

En effet, l'association libérale de Louvain a des affiliations dans toutes les communes de l'arrondissement et elle a cherché par tous les moyens possibles à découvrir tout ce qui pourrait compromettre le parti conservateur.

Pour arriver à la découverte de la vérité, la Chambre a voté une loi on ne peut plus sévère.

La commission d'enquête était composée en majorité de membres appartenant à l'opinion libérale/ M. le président de la commission a cru devoir recourir en outre à des commissions rogatoires alors, cependant, qu'il me semble que d'après ce qui a été dit dans cette enceinte, la commission serait mixte, que la minorité devait y être représentée. Il devait en résulter cette conséquence que les témoins devaient être aussi entendus en présence de tous les membres de la commission.

Je crois aussi que cette pratique eût été plus conforme à la pratique judiciaire. Ainsi, à la cour d'assises les témoins sont entendus en présence du jury et de la cour, et on ne s'en rapporte pas à des commissions rogatoires. Si je fais cette remarque, c'est uniquement pour prouver qu'aucun moyen d'investigation n'a été omis, car, en définitive, les commissions rogatoires n'ont pas produit plus de résultats que la commission d'enquête elle-même.

M. le rapporteur de votre commission a exposé tous les faits au point de vue de l'opinion de la majorité ; cela a été reconnu dans le sein même de la commission, puisque la majorité de la commission a autorisé les membres de la minorité à faire un contre-rapport.

Dans ce rapport de la majorité de la commission, une partie notable du clergé et un grand nombre d'électeurs de l'arrondissement de Louvain sont inculpés d'un fait grave dans son essence, puisqu'il s'agit d'un délit de corruption, grave dans ses conséquences, à cause des peines sévères comminées par le Code pénal.

En outre, dans le discours d'un des orateurs les plus sérieux et les plus anciens de la Chambre, on a cherché à articuler contre la minorité de cette assemblée anticipativement une grave accusation d'immoralité à résulter du vote à émettre.

Messieurs, permettez-moi de vous dire que précisément plus on a cherché à inculper un nombre considérable de prêtres de l'arrondissement de Louvain, plus on a cherché à inculper un grand nombre d'électeurs de cet arrondissement, mieux on a manqué son but.

En effet, qui pourra croire sérieusement que non pas tel ou tel prêtre isolé, mais qu'un très grand nombre de prêtres, occupant des fonctions importantes dans leurs paroisses, jouissant de l'estime de leurs concitoyens, à tel point que d'eux d'entre eux qui ont été plus particulièrement inculpés dans le rapport de la commission ont été déclarés très honorables par des témoins appartenant au parti libéral ; qui pourra, dis-je, croire sérieusement qu'un très grand nombre de prêtres aient travaillé activement à distribuer, dans les communes rurales, de l'argent destiné à corrompre les électeurs !

Peut-on croire sérieusement que ces prêtres aient cru, en défrayant les électeurs, commettre une action immorale, contrevenir au Code pénal, et s'exposer à des poursuites judiciaires, là des condamnations assez graves ; et peut-on croire qu'ils eussent agi publiquement, sans se cacher, qu'ils se fussent même adressés à des électeurs douteux, à des électeurs connus comme ayant appartenu, au moins antérieurement, à l'opinion libérale ?

Ces électeurs libéraux, dans le zèle qu'ils ont pour leur parti, n'auraient-ils pas saisi l'occasion de dénoncer à l'instant le délit commis par des prêtres ? C'était là se livrer à ses adversaires, c'était se livrer à la justice correctionnelle, c'était courir au-devant des condamnations. Et l'on croira que des hommes instruits qui doivent tenir essentiellement à la considération de leur état, que des hommes, habitués, par leur état même, à la plus grande circonspection, à la plus grande prudence, aient commis une aussi grave faute contre le bon sens et contre leur intérêt personnel !

Vous savez, messieurs, qu'on ne le croira pas ; ajoutez que, d'après M. Devaux, il devait être parti de Louvain des instructions mûrement délibérées, d'après lesquelles on disait jusqu'où les intermédiaires dans les élections pouvaient aller sans se compromettre, sans offenser le Code pénal. Vous voyez que ces arguments avancés contre l'élection viennent précisément la confirmer.

(page 408) Quant aux électeurs ruraux, peut-on croire que l'on serait arrivé à en corrompre un nombre aussi grand que celui dont l'honorable M. Orts révélait hier la possibilité de manière à ôter la majorité des voix aux députés qui en ont obtenu le plus et à faire réussir, en cas d'abstention, la minorité qui a succombé, même le membre qui a obtenu le moins de vois ? C'est l'outrage le plus sanglant qu'on puisse faire non seulement aux électeurs de Louvain, mais à la Belgique entière, au corps électoral.

On n'est pas plus immoral dans l'arrondissement de Louvain que dans les autres arrondissements du pays. Si les électeurs de Louvain sont si faciles à corrompre, s'ils ont si peu l'intelligence de leurs devoirs, s'ils ont si peu de souci de la chose publique, ce n'est pas l'annulation de l'élection de Louvain qu'il faut prononcer, mais il faut se hâter de changer le cens électoral, le porter à un chiffre plus élevé, peut-être au maximum de cent florins.

Voilà la réponse à donner aux détracteurs de nos électeurs ruraux ; mais heureusement il n'en est pas ainsi ; nos campagnards qui payent 20 florins d'impôt foncier ont en biens-fonds plus de 20 mille francs, non compris un mobilier d'une valeur considérable, car ils sont agriculteurs. Ce n'est pas dans cette classe que vous trouverez de la facilité à se laisser corrompre, à recevoir une opinion contraire à la leur.

Chose remarquable, dans la discussion, dans le rapport, on n'a articulé aucune loi en vertu de laquelle l'annulation de l'élection pourrait être prononcée. Aussi qu'a fait l'honorable membre ?

Il a dit : Il est de l’intérêt public que la Chambre prononce l'annulation. Pourquoi ? Pour que l'indemnité en argent ne dégénère pas en un abus véritable et effrayant. S’il s'agit de réprimer le danger d'un abus, vous avez un moyen tout simple ; faites une loi d'après laquelle vous interdirez le défrayement en argent, comblez la lacune, et tout est dit.

Mais, messieurs, l'intérêt public substitué au régime de la légalité, c'est tout ce qu'il y a de plus anti-libéral, c'est un principe qui conduit aux conséquences les plus dangereuses et les plus monstrueuses.

Si, au nom de l'intérêt public, vous pouvez refuser d'admettre dans notre sein des députés légalement élus, pourquoi ne pourriez-vous pas, comme la chambre des députés en France, écarter de notre sein un député qui vous semblerait compromettre la dignité de la Chambre ! C'est ainsi, messieurs, qu'on en a agi envers M. Manuel et je vous demande si le parti royaliste, qui a posé ce fait, en a tiré profit ? Eh bien, je le dis encore, si l'élection de Louvain est annulée au nom de l’intérêt publie, la majorité n'en profitera pas.

L'honorable M. Devaux a dit : « Nous n'avons pas à appliquer une loi pénale, nous n'avons pas à démontrer que des individus aient volontairement corrompu. »

Eh bien, messieurs, cette nouvelle maxime est aussi dangereuse que celle de l'intérêt public. Comment ! vous ne pouvez alléguer aucun texte de loi qui vous autorise à prononcer l'annulation et vous voulez appliquer rétroactivement la peine de l'annulation ! Messieurs, ce sont là des maximes qu'un vrai libéral ne devrait jamais avancer, surtout dans cette enceinte.

En quoi consiste toute l'argumentation en faveur des conclusions de la commission ?

Elle consiste à supposer l'existence d'un délit, celui de corruption ; je dis « supposer », car les preuves font défaut, ce n'est que par supposition que l'on vient affirmer que ce délit a réellement existé.

M. De Fré disait dans son rapport : « C'est aux amis que l'on donne de l'argent pour les faire venir au chef-lieu ; on n'a garde de donner de l'argent à ses adversaires. » M. Orts dit : « C'est aux hommes douteux, c'est à certains libéraux que l'on offre de l'argent dans l'espoir que cet argent aura quelque influence, » Voilà, messieurs, deux arguments opposés ; l'un affirme que c'est aux amis, l'autre affirme que c'est principalement aux douteux ou à des adversaires que l'on espère convertir.

L'honorable M. Devaux dit que ce sont surtout les petits électeurs qui sont susceptibles de se laisser corrompre ne fût-ce que pour un bénéfice de 3 francs ; l'honorable M. Orts vous dit qu'on néglige, en général, les petits ; que l'on s'adresse aux grands et qu'on leur offre une indemnité très large, bien suffisante pour les frais de déplacement et pour un bon régal et l'on espère ainsi les entraîner. Vous le voyez, messieurs, ces arguments sont contradictoires. L'honorable M. Orts disait encore hier : « C'est dans les cantons les plus rapprochés de l’urne qu'on dépense le plus d'argent. » D'abord l'honorable membre ne fait pas attention que dans le canton même de Louvain rien n'a été dépensé dans aucune commune rurale.

Mais l'honorable M. Devaux avait fait remarquer précédemment et avec vérité qu'il a été constaté par la déclaration qu'a faite le sieur N... que, dans ce canton, que l'honorable M. Orts signale comme ayant été particulièrement maltraité sous le rapport de la distribution d'argent, on avait dépensé approximativement et pour autant que la chose pouvait être appréciée, une somme de 500 fr. Or, c'est le seul canton où l'on ait dépensé une somme aussi considérable.

L'honorable M. Orts affirme que le canton de Haecht avait favorable aux libéraux, qu'il leur avait toujours donné une belle majorité.

Eh bien, messieurs, cette assertion a été contredite à l'instant même par plusieurs de mes amis politiques qui ont dit que, dans le canton de Haecht, le parti conservateur avait toujours obtenu une majorité considérable. (Interruption.)

L'honorable M. Dumortier me fait remarquer que l'élection au conseil provincial en est une preuve manifeste, puisque le canton de Haech envoie deux députés conservateurs au conseil provincial. C’est là, je crois, une réponse péremptoire.

M. Muller. - M. Orts a dit, non pas la majorité mais le quart de voix.

M. de Theux. - Quoi qu'il en soit, messieurs, on ose affirme l'existence d'un délit là où l'on n'ose pas établir l'intention d'un délit là où l'on n'ose affirmer que sur des suppositions invraisemblables.

Ainsi, on nous fait le compte des dépenses de l'électeur rural ; on vous affirme que l'électeur rural prend le waggon, qu'il se traite très modestement dans un cabaret en y prenant un verre de bière et une tartine ; et qu'ainsi il parvient à économiser trois francs sur cinq francs. Je ne sais pas même si ce calcul est bien exact, car tout le monde sait que le jour des élections tout coûte généralement assez cher, (Interruption) Tous ceux qui ont eu à payer quelque carte électorale savent parfaitement à quoi s'en tenir. (Nouvelle interruption.)

Mais, messieurs, qu'est-ce donc qui vous autorise à mettre à un si maigre régime l'électeur rural conservateur, à l'exclusion de l'électeur rural libéral ?

Pourquoi supposez-vous que l'électeur rural conservateur se contente d'un waggon, d'un verre de bière et d'une tartine, uniquement pour économiser deux à trois francs ; tandis que son voisin, appartenant à l'opinion libérale, reçoit un dîner magnifique, sa bouteille de vin.

S'il en était ainsi et si on laissait le choix aux électeurs, je crois que ceux-ci opteraient pour le transport en bonne voiture, et pour un dîner semblable à celui de l'Association libérale de Namur.

Mais je vais plus loin et je dis : les électeurs ruraux ont tous une exploitation plus ou moins considérable à soigner ; ce ne sont point, comme on le dit, des journaliers à gages, mais des cultivateurs exploitant pour leur compte. Il ne s'agit pas même de locataires, car il y en a très peu qui soient électeurs du chef des biens qu'ils tiennent en location ; à moins que ce ne soient des fermiers très riches qui ont un très beau patrimoine en sus de l'exploitation.

Pouvez-vous croire qu'un homme, dans cette position, puisse subi l'influence d'une pièce de deux à trois francs, à gagner péniblement ? Croyez-vous que cet appât soit suffisant pour lui faire vaincre la répugnance qu'il éprouve généralement à se déplacer ? Non, messieurs, vos élections seraient la plupart du temps désertes, si les électeurs camp gnards ne cédaient aux sollicitations de l'amitié, aux influences exercées par les divers partis.

Selon moi, il y avait, pour la majorité, un rôle plus digne et plus facile à remplir ; c'était de se dire qu'il y avait une lacune dans la loi et qu'il fallait en venir au système de l'indemnité de déplacement aux frais de l'Etat, et à la suppression de tout défrayement en argent ou en nature. Voilà une thèse beaucoup plus belle à soutenir.

On nous parle des lois anglaises. Mais, messieurs, je ferai remarquer que nous sommes en Belgique ; nous y avons une législation spéciale et les lois anglaises n'ont rien à faire ici. Pour nous, nous trouvons dans nos lois deux garanties fondamentales contre la corruption et qui sont à mon avis de beaucoup supérieures aux centaines de bills que le parement d'Angleterre a votés. Ces deux garanties sont le secret du vote et l'article 113 du Code pénal. Mais c'est le secret du vote que je place au-dessus de tout comme garantie de l'indépendance de l'électeur comme garantie contre toute corruption.

Il y a une autre différence essentielle encore. En Angleterre, on est électeur à raison du loyer que l'on paye, et l'on vote publiquement ; vous comprenez si, dans de telles conditions, l'indépendance de l'électeur n'est pas complètement illusoire.

En Belgique, au contraire, il y a très peu d'électeurs du chef de terres qu'ils tiennent en location ; les électeurs sont généralement électeurs de leur propre chef et si, par hasard, quelque électeur qui paye le cens du chef de ses propriétés foncières, tient quelque terre en location, cela n'exerce guère d'influence sur son opinion ; attendu qu'il jouit alors d'un crédit assez considérable pour se procurer au besoin d'autres terres à exploiter. Je ne dis pas que cela ne doit exercer absolument aucune influence ; mais je dis que si cette influence existe, elle est certainement bien minime.

L'honorable M. Van Volxem vous a dit à quoi pouvait s'étendre l'influence de l'administration des hospices de Bruxelles, dans l'arrondissement da Louvain ; je crois qu'il a cité six ou sept électeurs. Ce n'est qu'en élevant la mise à prix à l'expiration des baux qu'elle peut s'exercer.

Messieurs, l'influence qui a pu être exercée dans les élections de Louvain, n'a pas eu pour effet d'entraver la liberté d'action des électeurs puisqu'elle n'était condamnée ni par la loi civile, ni par la loi pénale. J'ai toujours cru que l'élection faite sans contravention à la Constitution et aux lois, donnait au collège électoral un droit indestructible à voir siéger ses mandataires au sein du parlement.

J'ai toujours cru que le mandat régulièrement accordé était inviolable et, en effet, messieurs, il est à tel point inviolable que l'unanimité du collège électoral vînt-elle protester devant la Chambre que son représentant ne jouit plus de sa confiance, ni l'unanimité du collège (page 409) électoral, ni l'unanimité de la Chambre ne pourrait abréger d'un seul jour la durée du mandat.

Ne croyez pas, messieurs, que vous ayez un pouvoir absolu ; vous ne l'avez que dans ce sens qu'aucune autorité ne peut réformer votre décision ; mais il ne vous appartient pas de juger suivant vos préférences ; vous ne pouvez juger que suivant les lois et vous ne pouvez ne pouvez en aucune manière vous en écarter ; car non seulement ce serait une usurpation de pouvoirs, mais une violation de la Constitution que vous avez juré d'observer. Vous devez par conséquent vous renfermer dans les attributions que la Constitution vous confère.

Messieurs, qu'il me soit permis, sans aucune espèce d'injure, de vous citer, comme exemple du danger de l'arbitraire, un fait qui est encore présent à votre mémoire et qui a produit une grande sensation même dans le parti libéral. En 1857, il y avait dans trois districts un certain nombre de bulletins portant le nom d'un candidat sans autre désignation. A Louvain et à Dinant c'étaient des candidats conservateurs, anciens représentants.

Eh bien, conformément à la loi électorale, qui dit que les bulletins sont nuls lorsque les candidats ne sont pas suffisamment désignés, vous n'avez compté ni à M. de Wouters ni à M. Thibaut les bulletins qui ne portaient que leur nom de famille. S'il en avait été autrement, MM. de Luesemans et Wala ne seraient pas entrés dans cette enceinte, c'est M. de Wouters et M. Thibaut qui y seraient entrés.

Mais arrivant à l'élection d'Ath que fait-on ? On compte au candidat libéral les bulletins qui ne portaient que son seul nom de famille.

M. Devaux. - Conformément à la décision du bureau.

M. de Theux. - Mais depuis quand la décision du bureau est-elle inviolable pour la Chambre ? La loi dit que les bulletins sont nuls quand ils portent une désignation insuffisante, mais elle ne dit pas que les bureaux peuvent tantôt admettre un bulletin ne portant que le nom de famille d’un candidat nouveau et tantôt repousser un bulletin ne portant que le nom de famille d'un représentant sortant.

Il est impossible d'admettre un système semblable sans froisser le plus simple bon sens.

M. Devaux. - Je demande la parole.

M. de Theux. - Aussi, messieurs, le vote auquel je viens de faire allusion eut un grand retentissement dans le pays, et la majorité d'alors est loin d'avoir été unanime ; il y en a qui ont répugné à émettre ces votes contradictoires dans une même séance.

Voilà donc, messieurs, le danger de l'arbitraire en matière de vérification de pouvoirs. Il peut vous conduire à de grands désastres et à la déconsidération du pouvoir parlementaire.

Revenons, messieurs, à la légalité. La loi électorale garde complètement le silence sur le défrayement des électeurs.

Dans l'origine, le défrayement n'avait lieu, ni en argent, ni par des dîners, ni par des voitures ; mais, peu à peu, par suite de luttes survenues entre les candidats dans certains arrondissements, d'autre part, par suite de l'indifférence qui succède à l’exaltation des époques de révolution, des époques où un système nouveau s'introduit, il est arrivé qu'on a reconnu la nécessité d'exciter les électeurs à venir remplir leurs devoirs électoraux ; on a commencé par les dîners, par le transport en voiture, et finalement, à Louvain, on est arrivé au défrayement en argent.

Eh bien, aucun texte de loi n'autorise davantage les voitures ou les dîners qu'un texte de loi n'autorise le défrayement en argent.

Le code pénal exige qu'il y ait vente et achat pour qu'il y ait corruption.

Or, messieurs, pour autoriser vos distinctions, vous devez soutenir que tel homme ne peut trouver que son vote est convenablement payé par un magnifique dîner et le transport en voiture, tandis qu'un autre peut trouver que son vote est suffisamment payé par une économie de 2 ou 3 francs qu'il peut faire péniblement sur l'indemnité qu'on lui a accordée pour ses frais de voyage, économie qui compense rarement la perte de son temps.

Je dis, messieurs, que dans les arrondissements où l'on transporte les électeurs et où ou leur donne à dîner, la dépense atteint communément 10 à 15 fr. par électeur n'habitant pas le chef-lieu. Je ne parle pas des élections extraordinaires où les partis dépensent jusqu'à 50 et 100 fr. par électeur.

Voilà donc la comparaison. Je n'hésite pas à convenir que le mode d'indemnité au moyen du transport en voitures et au moyen de repas, est plus poli, que c'est même le seul qu'on puisse employer à l'égard d'électeurs haut placés, et encore ne peut-ou pas toujours l'employer à l'égard de ceux-ci, car je sais par expérience que beaucoup d'électeurs haut placés, invités à dîner, ne veulent pas accepter sans payer. Vous voyez, messieurs, ce que c'est que les convenances ; l'appréciation varie selon les personnes.

D'autre part, on ne peut méconnaître que la dépense du défrayement en argent est beaucoup moins grande, et que ce système expose beaucoup moins les électeurs aux excès de table qui se sont répétés bien des fois dans certains arrondissements.

Mais, messieurs, je dis que le défrayement est nécessaire et, suivant moi, le mode de défrayement qu'il faut adopter, c'est le défrayement par l'Etat. Il y a identité de position entre l'électeur et le juré ; l'un et l'autre exercent, si vous le voulez, un droit, celui de sauvegarder la liberté ; mais l'un et l'autre exercent aussi une fonction publique dans l'intérêt de l'Etat. Voilà ce qui recommande, à mon avis, le défrayement par l'Etat.

Du reste, messieurs, le défrayement par l'Etat existe déjà jusqu'à un certain point, car le gouvernement concède le transport par chemin de fer à moitié prix : c'est là une bonne chose.

Cependant il y a un privilège ; car le gouvernement, pour être juste, devrait accorder aussi une réduction des frais de transport sur les chemins de fer concédés. Il ne faut pas qu'il y ait en Belgique deux classes d'électeurs, les uns défrayés à moitié par l'Etat et les autres nullement défrayés. (Interruption.)

Il faut arriver à l'indemnité de tous à raison des distances ; et alors soyez sévères dans votre loi qui défendra les dépenses électorales ; j'y souscrirai très volontiers, pour couper court à toutes les discussions que nous subissons et que nous serons dans le cas de subir encore dans l'avenir.

Messieurs, en 1831 et 1843 rien n'a été articulé contre le défrayement. On n'en a pas parlé en 1831. Cela tient à deux causes ; d'une part, aux idées extrêmes d'économie qui régnaient en 1831 ; d'autre part, au zèle que le peuple belge avait pour la fondation de son indépendance.

Mais, outre les motifs que j'ai énoncés tantôt, comme refroidissant aujourd'hui le zèle électoral, il y en a encore d'autres. C'est d'abord l'abaissement du cens à 20 florins ; d'un autre côté, l'égalité du cens entre les villes et les communes.

Il en est résulté que les électeurs ruraux et même beaucoup d'électeurs des villes éloignées du centre se disent, dans certains districts : « A quoi bon aller voter ? La majorité des électeurs des grandes villes est tellement écrasante que notre présence est inutile. Et puis nous sommes exposés encore de temps en temps à des avanies ; nous sommes tiraillés en tous sens. Restons plutôt chez nous. »

J'irai plus loin : je consentirai à ce qu'on impose à l'électeur l'obligation de venir voter, comme on impose aux jurés de venir siéger.

Je n'ai aucune répugnance pour cette mesure. Ce serait le moyen de connaître la véritable opinion du pays, puisque le corps électoral tout entier se prononcerait.

Messieurs, on a cru que mon honorable ami, M. Dechamps, regrettait le vote de la loi de 1848 qui a abaissé le cens électoral ; je pense qu'il a été mal compris. L'honorable membre a parlé en publiciste ; mais il n'a exprimé aucun désir d'élever le cens électoral.

Quant à moi, je déclare que si la proposition en était faite, je voterais contre toute élévation du cens. Le cens à 20 florins est un fait accompli. On ne prive jamais les citoyens des droits électoraux, on les étend quand on peut...

- De toutes parts. - Très bien !

M. de Theux. - Mais ce qui est bien plus fâcheux, quant à la loi de 1848, c'est la présomption de corruption qui a été articulée dans cette discussion par des membres de la gauche à l'égard d'un grand nombre d'électeurs qui votent en vertu de cette loi ; c'est la présomption d'ignorance, la présomption d'incapacité de choisir entre les deux partis qui se disputaient le gouvernement depuis bientôt 20 ans, et au sujet desquels dit-on, ils n'auraient aucune espèce de préférence à énoncer.

Messieurs, ceux qui disent cela n'habitent pas la campagne ; ils ne connaissent point l'honorable indépendance de nos propriétaires campagnards, leur haute moralité.

Soyez certains que ces honorables électeurs n'auraient pas à rougir d'une comparaison avec les électeurs citadins. Non pas que je veuille jeter la moindre déconsidération sur le bourgeois électeur à 20 florins. Dans cette classe, vous trouvez beaucoup d’honnêteté et de respectabilité, comme dans la classe des cultivateurs ; leur moralité et leur indépendance sont d'autant plus vraies et plus assurées qu'ils n'ont en définitive aucune ambition personnelle.

Ils n'ont qu'un seul intérêt, c'est que l'Etat soit bien gouverné, que l'Etat soit tranquille et que chacun puisse, en toute sécurité, vaquer à son travail, vaquer à ses affaires.

Ils n'ont qu'un seul intérêt, c'est que le culte de leurs aïeux, le culte qu'ils professent, soit respecté dans nos lois, dans nos discussions, et qu'il ne soit pas livré à la déconsidération. Voilà le sentiment presque unanime de cette classe d'électeurs à 20 florins.

Messieurs, j'ai dit que l'enquête est une instruction inopérante, parce qu'aucun fait de corruption n'a été constaté. Au contraire, presque tous les témoins protestent contre la supposition de corruption ; tous sont d'accord pour assurer qu'il n'y a eu qu'un simple défrayement.

Voyons, aux termes de nos lois, ce que c'est que la corruption électorale car, en définitive, ces questions ne sont pas livrées à l'arbitraire ! Pour le magistrat, comme pour la Chambre, il y a une règle à suivre, c'est celle qui est tracée par les lois.

Or, que dit l'article 113 du Code pénal :

« Art. 113. Tout citoyen qui aura, dans les élections, acheté ou vendu un suffrage à un prix quelconque, sera puni. »

Achetés ou vendus, retenez bien, messieurs, ces deux termes. Notez bien les mots « à un prix quelconque. »

Maintenant voici le commentaire de la commission du Code pénal : « Il n'est pas nécessaire que le prix du suffrage soit une somme (page 410) d’argent, car notre article parle d'un vote acheté ou vendu à un prix quelconque. Ainsi, une place, une faveur promise, un objet quelconque pourrait être considéré comme le prix d'un vote ; la condition du délit est que l'électeur ait fait trafic de son droit de suffrage. »

La condition du délit, c'est que l'électeur ait fait trafic de son droit de suffrage. Or, tant que vous n'aurez pas prouvé par des témoignages irréfragables qu'il y a eu vente ou achat de suffrages, vous ne trouverez pas dans la loi pénale le moindre prétexte pour annuler l'élection de Louvain.

L'honorable M. Hymans parlant du défrayèrent des électeurs a trouvé un nouveau moyen d'accabler les campagnes, de les vouer à l'ilotisme.

Il vous dit : Je blâme tout défrayement de transport, soit en argent, soit autrement ; mais je ne blâme pas les dîners, au contraire, je les prône.

Aussi vous pouvez donner un dîner aux électeurs du chef-lieu, et vous ne pouvez pas défrayer de son voyage l'électeur éloigné, en payant le transport ou en le lui fournissant gratis ! Eh bien, je dis que ces paroles sont dangereuses ; elles tendent à consacrer l'ostracisme de la majorité du pays vis-à-vis de la minorité ; car si vous consacrez l'ostracisme électoral, vous aurez consacré l'ostracisme des emplois, l'ostracisme du gouvernement. Il y aura en Belgique des ilotes ; et il y aura en même temps l'aristocratie des villes qui disposera de tout à son gré.

Or, messieurs, ce n'est pas là ce que le Congrès national a voulu ; je proteste, je ne craindrais pas de le jurer en votre présence, jamais cette pensée n'est entrée dans l'esprit du Congrès national.

La corruption faisant défaut, que fait-on ? On tâche de fortifier quelques suppositions, quelques présomptions de corruption par un autre principe, le défaut de liberté chez l'électeur.

Or, heureusement ici encore nous avons un texte de loi pour expliquer en quoi consiste le défaut de liberté, c'est l'article 109 du Code pénal relatif aux violences exercées en matière électorale. ; il faut qu'il y ait des attroupements, des voies de fait, des menaces, un danger immédiat.

Que dit le Code civil quand une des parties prétend avoir manqué de liberté pour signer un contrat ? Il dit : Il faut que la partie ait été menacée d'un mal considérable pour lui ou pour les siens, un mal présent.

Comment ce mot « mal présent » est-il expliqué par les jurisconsultes ? La menace d'un mal immédiat qui enchaîne la liberté du contractant, la menace dont l'exécution est remise au lendemain ne suffisent point.

Et nous serions assez bénévoles pour admettre comme défaut de liberté, l'influence du confesseur dans le confessionnal, le conseil que le prêtre peut donner à domicile à l'électeur ! Ne voyez-vous pas que c'est attaquer dans leur base deux de nos grandes libertés : la liberté des cultes et la liberté des opinions ?

Le confesseur ne pourra plus exercer son ministère dans son confessionnal, un prêtre ne pourra plus émettre son opinion dans les élections. Notre honorable président a fait hier justice de cette prétention ; je l'en félicite.

D'abord, en fait la pression du confessionnal est un fait imaginaire, c'est un ouï-dire dans un cabaret qui a été répété ; Vollen qui seul pouvait le savoir, qui a été souvent en compagnie de libéraux et pouvait craindre de perdre son honneur vis-à-vis de ceux qui auraient prétendument entendu ce propos, n'hésite pas à dire que le fait est absolument faux.

Peut-on, après cela, encore insister sur ce fait ?

Je m'étonne d'une chose ; c'est que la commission d'enquête ait attaché de l'importance à ce propos ; à mon avis elle eût montré plus de dignité en ne s'en occupant pas.

Chacun choisit librement son confesseur, personne ne peut l'imposer à qui que ce soit ; le confesseur a le droit d'absolution, mais le pénitent a le droit de choisir son confesseur ; le confesseur ne peut appliquer une morale arbitraire ; il ne peut appliquer que la morale de l'Evangile, la morale de l'Eglise, qui, aux yeux de tous, est irréprochable ; si le confesseur s'en écarte, il se montre trop sévère ou trop large, il a sa responsabilisé devant Dieu, responsabilité immense pour un homme qui croit à la sincérité de son culte. Voilà les rapports qui existent entre le pénitent qui a sa liberté et le confesseur qui a une responsabilité immense devant Dieu.

Messieurs, on a beaucoup parlé de l'influence que le prêtre exerce dans sa commune, et on dit : Ses conseils sont des ordres, auxquels on n'ose pas se soustraire.

Je crois qu'on sera plus vrai si on admet ce dialogue entre le prêtre et l'électeur :

- Mon ami, vous irez sans doute aux élections ?

- Non, répond l'électeur, c'est pour moi une grande fatigue, un dérangement dans mes affaires ; j'aurais des frais à supporter et après tout, je m'expose à des désagréments quel que soit le parti qui triomphe. >

Le prêtre insiste : Ce n'est pas seulement un droit que vous avez à exercer comme électeur, c'est un devoir ; les évêques l'ont proclamé dans leurs mandements ; le droit électoral n'est pas seulement un avantage que la loi a voulu faire à l'électeur, mais c'est surtout une mission qu'elle lui a donnée dans l'intérêt du pays ; quiconque peut contribuer à un bon choix est obligé en conscience de le faire.

L'électeur persiste dans sa résolution : Non je ne veux pas, je n’irai pas.

Ce dialogue, je le suppose entre un homme influent du parti libéral et un électeur.

- Triomphez sans moi si vous pouvez, lui répond celui-ci, je ne me déplace, pas.

Que fait-on ?

On cherche à vaincre cette résistance. Je vous invite à dîner, lui dit-on, et je vous ferai transporter ; vous vous gênerez un peu, vous supporterez un retard dans vos affaires.

L'électeur, à force de sollicitations, se rend. J'accepte, dit-il, une place dans votre voiture et votre dîner ! A d'autres on donne, au lieu du transport et du dîner, une indemnité en argent.

De ce qu'on a donné cette indemnité en argent, oserez-vous dire que les électeurs ont vendu leur vote ; oserait-on le leur reprocher face à face ? Non certainement, on risquerait de recevoir un soufflet de bonne portée.

Messieurs, on a beaucoup parlé de moralité, et on l'a invoquée au profit d'une seule opinion ; permettez-moi d'en dire aussi un mot. S'il est immoral de corrompre et de se laisser corrompre, et je n'hésite pas à dire que c'est un délit odieux, grave, que tout homme qui tient à sa respectabilité, à son honneur, ne commettra jamais ; d'autre part, je dis qu'il y a une immoralité plus considérable, c'est l'usurpation d'attributions par un pouvoir. Cette immoralité renferme dans son sein les conséquences les plus graves, elle peut aller jusqu'au renversement des institutions.

Pourquoi avons-nous vu de notre temps naître et mourir tant de constitutions ? C'est à cause de l'immoralité des pouvoirs soit représentatifs, soit exécutifs, qui n'ont pas su se renfermer dans leurs attributions.

Voilà pourquoi nous les avons vus périr ; voilà pourquoi les institutions ont perdu toute confiance. Cessez donc de vous donner un vernis de morale à l'exclusion des autres ; que la gauche nous permette d'avoir notre propre opinion, notre conscience sur notre moralité ; d'ailleurs nous ne sommes pas juges à l'abri de toute critique ; tous nos votes sont livrés à l'appréciation du peuple ; si nous sommes juges nous somme jugés ; le public électeur ou non-électeur connaît assez les influences et les menées électorales pour n'être pas dupe d'une susceptibilité politico-morale.

Qu'est-ce que l'enquête constate ? Elle ne constate ni la corruption, ni la violence, ni tous les faits dont on a parlé dans la discussion. Mais, dit-on, et le rapport s'exprime également ainsi, nous avons constaté des réticences. Il y a des témoins qui n'ont pas été sincères. Il y a des témoins qui ont fait des mensonges, de faux témoignages. « Du reste, dit le rapport, nous devions nous y attendre. » C'est une chose grave que de voir, dans un document parlementaire de la Chambre, la majorité de la commission d'enquête dire qu'elle pouvait s'attendre à de faux témoignages

Mais où sont les faits qu'on a constatés ? Le faux témoignage est un fait punissable ; la loi le punit de peines très graves ; il fallait dénoncer les faux témoins. Si les tribunaux avaient découvert des délinquants, nous aurions dit qu'il était malheureux que de pareils faits eussent été commis. Mais nous ne pouvons être responsables des délits commis par quelques personnes de notre opinion.

Au moins nous aurions eu là une certification des délits commis, faite par l'autorité compétente à la suite d'une instruction judiciaire. Ces délits auraient été constatés par des juges moins impressionnables que nous aux sentiments politiques.

Je dois m'arrêter un instant à l'articulation de faux témoignage. On a accusé de faux témoignage M. l'abbé Soeten, le vicaire de Keerberger et quatre autres témoins.

Je remarque qu'on fonde ces accusations de faux témoignage, sur ce qu'il y a contradiction entre les dépositions des témoins qu'on accuse et que d'autres témoins auraient entendu dire aux déposants dans des conversations. Voici de quelle manière la mémoire peut faire défaut.

Je lis la déposition de M. Vrysen (page 169 de l'enquête).

Voici maintenant la déposition de M. Nihoul, électeur libéral, membre du bureau, et d'une condition assez élevée (pages 169 et 170).

Ainsi M. Nihoul déclare qu'il est possible qu'il ait tenu le langage que rapporte le témoin Verysen, mais qu'après six ou sept mois il n'est pas étonnant qu'il ne se souvienne plus de ses moindres paroles. Ses paroles étaient cependant bien plus importantes que celles attribuées aux autres témoins que le rapport inculpe et qu'ils dénient ou ouvertement ou en déclarant sous serment aussi de ne pas s'en souvenir, sans vouloir affirmer sous serment que ces propos sont faux.

(page 411) Quel dissentiment y a-t-il entre le témoin Serré et M. l'abbé Soeten ? Serré prétend qu'il a été appelé chez M. l'abbé Soeten, celui-ci a dit qu'il est venu chez lui de son propre mouvement. L'affaire s'explique parfaitement. C'est la servante de l'abbé Soeten qui, en venant faire une commande de grains chez Serré, lui a dit de passer chez l'abbé pour être payé. C'est tout simple, la servante qui fait une commande n'a pas toujours d'argent pour payer. Je ne vois aucune contradiction entre les deux dépositions. M. l'abbé Soeten n'avait d'ailleurs aucun intérêt à nier ce qu'il a nié.

Prenons maintenant le témoignage de Michiels. Michiels est membre de l'association libérale de Louvain, et cousin de l'huissier de Ridder, qui a joué un grand rôle au profit des libéraux.

De Ridder affirme que Michiels lui a rapporté toute sa conversation avec M. le vicaire Vanderbeuren.

M. Michiels ne nie pas la déposition de son cousin et protecteur, mais il ne peut affirmer que ce soit exact, voilà encore une mémoire en défaut.

Maintenant, M. Vanderbeuren dépose qu'il ne se souvient pas avoir tenu le propos rapporté par M. Michiels, mais qu'il ne sait pas s'il a tenu ce langage, qu'il n'affirme pas exactement n'avoir pas tenu ce propos, mais qu'il ne s'en souvient pas. Or, ces propos étaient de si peu d'importance que M. Vanderbeuren aurait pu, sans rien compromettre, les avouer ; il n’y avait donc aucune espèce d'intérêt à déclarer sous serment qu'il ne s'en souvenait point.

Les Janquin, loin d'avoir intérêt à se mettre mal avec les libéraux, avaient un intérêt contraire ; le fils est clerc d'un notaire libéral et désire un notariat.

Vous savez assrz comment dans les instructions les propos s'évanouissent la plupart du temps à plus forte raison les on-dit.

Quant aux dix mille francs qu'on dit avoir été recueillis dans le canton de Diest, je connais assez les mœurs électorales du pays pour affirmer qu'il est impossible de recueillir dans un canton une pareille somme pour une élection.

On dit que l'électeur se croit obligé à voter comme celui qui l'a défrayé de ses frais de voyage. Non, messieurs, l 'électeur sait bien que la loi électorale garantit le secret du vote ; que ce droit ne peut être abdiqué. C'est pour maintenir le secret de son vote qu'il peut accepter la pièce de cinq francs qu'on lui a offerte pour ses frais de voyage, ou l'invitation à dîner qu'on lui adresse, sauf à donner la pièce de 5 francs aux pauvres.

On parle d'indépendance !

Messieurs, les cultivateurs sont-ils moins indépendants que les membres des associations libérales, qui prennent l'engagement d'honneur de voter et d'user de leur influence en faveur du candidat qui a triomphé dans leur scrutin préparatoire, que ces électeurs dont l'ardeur dans la lutte électorale n'a d'autre mobile que d'obtenir des emplois ?

Les faits qui se sont passés dans l'arrondissement de Louvain ne sont pas de nature à faire annuler l'élection. Il n'a pas été déposé un seul bulletin marqué portant les noms des conservateurs. C'est là un fait capital qui prouve l'absence de la corruption.

J'abrège, messieurs, les observations que j'ai encore à présenter.

On a parlé de la garde de sûreté organisée à Louvain. Nous avons reçu aujourd'hui même une réclamation de M. Van Bockel, ancien bourgmestre de Louvain, dans laquelle il rend compte des démarches qu'il a faites auprès des autorités de Louvain et de M. le ministre de la guerre. Je n'ai pas à parler de la composition de la bande de Louvain ; je n'ai à m'occuper que de sa conduite.

Eh bien, messieurs, il est prouvé que cette bande ne s'est livrée à aucun acte répréhensible, il est bien évident que si elle avait fait quoi que ce fût de blâmable, M. le bourgmestre de Louvain, qui était le candidat de l'opinion libérale n'eût point manqué, avec sa police, de sévir contre elle.

Il n'y a donc pas eu d'actes de violence commis par cette bande ; c'est là un fait incontestable.

M. Allard. - A quoi devait-elle donc servir alors, cette bande ?

M. de Theux. - Elle devait servir à empêcher le retour de certains faits qui, dans d'autres circonstances, s'étaient déjà produits ; elle devait servir à prévenir les insultes, les outrages de toute sorte dont certaines personnes ont été l'objet. Et puisque j'y suis amené par cette interruption, j'ajouterai une considération qui est de notoriété publique, c'est que, dans diverses circonstances, il y a eu, dans les grandes villes surtout, des avanies faites à des électeurs ; il y a eu des charivaris donnés à des vaincus ou même à des vainqueurs, et d'autres démonstrations de ce genre ; et ce n'est que bien rarement que nous avons entendu parler d'arrestation ou de poursuites. (Interruption.) Pourquoi ! messieurs, c'est que, dans ces agitations qui ont un caractère politique, les polices locales ne se croient pas obligées à la même sévérité que dans les agitations ordinaires qui ont pour objet, par exemple, de prendre ou de détruire la propriété.

M. Allard. - Qu'aurait-elle fait, cette bande, en cas de charivari ?

M. de Theux. - Je répète que, dans les agitations politiques, les polices locales sont généralement moins préoccupées, moins actives à réprimer les troubles apportés à l'ordre public. (Interruption.)

Messieurs, l'argument que j'ai présenté en premier lieu est irréfutable. Rien n'a été constaté à la charge de cette bande, pendant ni à l'occasion de ces élections. Dans le cas contraire, on l'eût certainement poursuivie, je n'en ai pas le moindre doute.

On a parlé aussi de la pression exercée sur les témoins : mais cette pression, qui est supposée avoir été exercée par les conservateurs, on n'en administre aucune preuve dans les procès-verbaux de la commission d'enquête ; tandis que nous pouvons dire, nous, que des pressions ont été exercées sur des témoins de l'opinion conservatrice par des hommes appartenant l'opinion libérale.

Loin de moi la pensée d'imputer quoi que ce soit à la commission d'enquête ni aux commissions rogatoires ; mais je dis que des pressions ont été exercées sur des témoins appartenant à l'opinion conservatrice. Les témoins conservateurs étaient bien et dûment avertis par la composition de la commission d'enquête, par les pouvoirs immenses qui lui étaient attribués, par l'intervention de commissions rogatoires, que, si un faux témoignage eût été constaté, on n'eût point manqué d'en poursuivre et d'en condamner l'auteur. Voilà, messieurs, une bien forte présomption contre le faux témoignage.

M. De Fré et, après lui M. Hymans, ont dit que MM. Dechamps, de Decker et moi avons condamné absolument l'întervention du clergé dans les élections ; et à propos de moi, l'honorable membre a donné lecture d'un passage d'un discours où il était question de l'influence du clergé.

Eh bien, messieurs, je n'hésite pas à dire maintenant comme alors que, bien qu'il en ait parfaitement le droit, il est de l'intérêt des membres du clergé de ne point se faire hommes déclarés d'un parti politique ; mais que, dans certaines circonstances, lorsque les intérêts de la religion sont en cause, il est parfaitement licite et naturel qu'ils cherchent à exercer une légitime influence dans les luttes électorales. J'ajoute qu'alors même qu'ils n'auraient aucun intérêt à exercer une influence quelconque, il serait encore bon qu'ils donnassent l'exemple de l'accomplissement d'un devoir qui est corrélatif au droit électoral ; car enfin de quel droit pourrait-on leur faire un grief de remplir un devoir que la loi leur impose comme à tous les autres citoyens ?

Je me résume, messieurs, et je dis que le rapport de la commission fait le procès à la loi électorale ; que c'est la condamnation la plus patente de la loi de 1848 ; qu'il tend à rendre plus profonde encore la désunion qui existe entre les deux grands partis qui séparent le pays. Ce rapport est injurieux en ce sens qu'il tend à faire croire que des hommes possédant un capital foncier de 20,000 francs, et des propriétés mobilières pour la moitié au moins aient pu se laisser influencer par l'appât une pièce de monnaie, dont d'ailleurs il ne leur reste aucun profit. Quant à l'accusation de dépendance, je dis qu'elle est absurde pour quiconque connaît les campagnards. Les campagnards, messieurs, ont autant de fierté et d'indépendance de caractère que nous pouvons en voir nous-mêmes.

Messieurs, on a dit longtemps : la liberté comme en Belgique ; je demande si on pourrait encore le dire dans l'avenir si les élections, principal pivot de la liberté dans les Etats constitutionnels, peuvent être annulées arbitrairement, en dehors de la Constitution et des lois ?

On nous engage, messieurs, à être sincèrement attachés à nos institutions, et en même temps on regrette la liberté des cultes qui est une disposition fondamentale de la Constitution, ce qui est une inconséquence, mais je rassure les membres qui se montrent inquiets à cet égard et je leur dis : Les catholiques n'ont pas la mémoire assez courte pour ne pas savoir que c'est à l'élément populaire, à l'élément représentatif qu'ils doivent la pleine existence de leur liberté en Belgique et c'est à ce même élément qu'ils doivent en grande partie leur liberté en Angleterre et en Allemagne.

C'est à cet élément qu'ils doivent la liberté d'enseignement en France, votée par l'assemblée législative et toujours refusée antérieurement. Bien que d'autre part la révolution de 1848 menaçait la France et l'Europe de maux incalculables, au moins, au point de vue de la liberté et de l'égalité des droits, l'assemblée législative a été irréprochable.

On nous dit : « Les conservateurs seront emportés partout par le mouvement du siècle. » C'est une prophétie, elle peut se réaliser, mais j'en fais ici une autre : c'est que si les conservateurs sont emportés partout par le mouvement du siècle, partout régnera l'incertitude, et que pour mettre fin à cette situation c'est au pouvoir militaire que l'on aura recours.

Nous désirons donc, messieurs, qu'aucun parti ne coure après l'inconnu, que tous les partis se contentent de nos institutions, que la durée de la Constitution soit garantie non point par des phrases et de beaux sentiments patriotiques, mais par des faits, par l'impartialité.

De l'impartialité naîtra l'union, non point l'absence de principes et d'opinions, mais la tolérance réciproque, telle que le Congrès national l'a pratiquée. Et n'oublions jamais que dans son ardent patriotisme il nous a laissé un testament politique, et ce testament porte : « L’Union fait la force. »

Quant à moi, messieurs, je reste partisan de cette tolérance pratique, non point de la confusion, ou de l'absence d'opinions.

Non, messieurs, que chacun professe franchement les siennes, mais aussi que l'on soit franchement tolérant dans la pratique.

Alors nous pourrons nous serrer la main.

(page 412) Nous pourrons être amis quoique divergents d'opinions. Je termine, messieurs, par cette considération toute spéciale à l'objet du débat.

Je n'admets pas la peine de la nullité qui n'est basée sur aucune loi, appliquée d'une manière préalable, mais j'admets la réforme de la loi avec les conditions d'égalité dans les élections que j'ai indiquées.

Je n'admettrai jamais l'intérêt public comme équivalent de la légalité.

L'intérêt public conduit à la violation des constitutions ; c'est ainsi que toutes les constitutions établies depuis la fin du dernier siècle ont péri par les abus, soit du pouvoir exécutif, soit des Chambres. C'est ainsi que l'intérêt public, préconisé par des écrivains habiles, conduit aux assassinats politiques, comme en Italie ; conduit au comité de salut public, comme en France ; fait précipiter les prêtres en les royalistes dans les rivières ou les fait courber sous les coups de la guillotine.

M. Orts (pour une motion d'ordre). - Messieurs, je demande la parole pour faire une communication à la Chambre, communication qui lui aurait été faite plus tôt, si le paquet qui la contenait n'avait pas été à mon adresse personnelle, au lieu d'être à l'adresse du président de la Chambre.

Dans la séance d'hier, j'ai donné lecture d'une lettre de M. le ministre de la guerre, dans laquelle ce haut fonctionnaire affirmait que jamais il ne lui avait été donné avis ni direct, ni indirect de la formation de la garde de sûreté de Louvain. J'ai reçu aujourd'hui de M. le ministre de la guerre, au moment où je suis arrivé à la séance, la lettre que voici et la pièce qui l'accompagne. Je crois nécessaire d'en donner lecture à la Chambre, quoique en définitive il n'y ait rien là-dedans qui me soit personnel.

Voici donc la lettre de M. le ministre de la guerre ;

« Monsieur le président,

« Un officier de mon cabinet, M. le major Pouchin, vient de me rendre compte d'une conversation qu'il a eue avec un monsieur dont il ignore le nom, un peu avant les élections de Louvain.

« J'ai prié M. le major Pouchin de me faire immédiatement un rapport écrit à ce sujet. Malgré le peu d'importance de ce document qui n'infirme rien de ce que vous avez dit hier à la Chambre, j'ai cru qu'il était convenable de vous en donner communication, afin que vous puissiez au besoin en faire l'usage que vous croiriez convenable dans l'intérêt de la vérité.

« Vous trouverez ci-joint ce document.

« Veuillez agréez, Monsieur le président, l'expression de mes sentiments de haute considération.

« Le ministre de la guerre, Baron Chazal.

« 22 décembre 1859.

« P. S. Si vous aviez besoin de moi pour d'autres renseignements, je vous prie de me faire prévenir au Sénat, où je vais me rendre. »

Voici maintenant l'annexe :

« 22 décembre 1859.

« Monsieur le ministre,

« Dans la séance d'hier, il a été question, à la Chambre des représentants, de la déclaration faite par vous de n'avoir reçu aucune communication, directe ou indirecte, du projet d'organisation d'une espèce de police irrégulière, prétenduement destinée à protéger les électeurs des campagnes, lors des dernières élections de Louvain.

« Je crois, à cette occasion, devoir vous rendre compte d'un fait qui se rapporte à la question dont il s'agit et que, dans le moment même, j'avais jugé de si peu d'importance qu'il m'était complètement sorti de la mémoire.

« Pendant une de vos absences, quelques jours avant les élections, un monsieur que je ne connais pas s'est fait annoncer près de moi, sous le titre, je crois, d'ancien bourgmestre de je ne sais plus quelle localité. Comme il prétendait avoir quelque chose de très important à me communiquer, je le reçus aussitôt. Voici ce que mes souvenirs me retracent de la conversation que j'eus avec lui :

« Il me dit que la lutte électorale qui se préparait à Louvain menaçait d'être très chaude ; que les libéraux se disposaient à employer toute espèce de moyens pour effrayer et écarter de l’urne électorale les habitants des campagnes ; qu'il pourrait résulter de là des collisions sanglantes qu'il serait prudent de prévenir, et conclut enfin par me demander s'il ne conviendrait pas d'envoyer quelques troupes à Louvain pour la protection des électeurs paisibles. J’ai répondu à ce monsieur que l'armée n'avait nullement à se mêler des élections et que, en tout cas, son intervention ne pouvait avoir un caractère préventif ; que la police locale et la gendarmerie devaient suffire, à Louvain comme ailleurs, pour le maintien de l'ordre et la protection des personnes ; qu'au surplus la garnison de Louvain, si elle était légalement requise, était plus que suffisante pour rétablir la tranquillité, dans le cas où elle serait sérieusement troublée.

« Voilà, je crois, un résumé assez exact de ce qui s'est passé entre mon interlocuteur et moi. Comme plusieurs mois se sont écoules depuis, il m'est d'autant plus difficile de bien préciser les faits, que je n'avais attaché aucune importance à la démarche de ce monsieur ; je l'avais considérée comme une espèce de banalité et je n'y ai plus pensé jusqu'au jour où il a été question de certaines communications qui vous auraient été faites. Je crois néanmoins pouvoir affirmer que mon visiteur n'a pas fait mention du projet d'organiser une force irrégulière. Une confidence de cette importance et de ce caractère m'eût infailliblement frappé ; je ne l’eusse certainement pas laissée passer sans observations et sans vous en rendre compte à votre retour.

« Je vous prie de vouloir bien agréer, monsieur le ministre, l'expression de mes sentiments les plus respectueux.

« Le major d'état-major, Pouchin. »

M. B. Dumortier. - Il est nécessaire qu'on lise maintenant la lettre de M. Van Bockel. Je demande que le bureau donne lecture de cette pièce.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture de la lettre de M. Van Bockel ; cette lettre est ainsi conçue :

« A messieurs les membres de la Chambre des représentants.

« Louvain, le 22 décembre 1859.

« Messieurs,

« Dans la séance d’hier, l'honorable M. Orts ayant donné lecture des lettres écrites à sa demande par M. le procureur du roi de Louvain et M. le ministre de la guerre, je m'empresse de fournir à la Chambre quelques explications concernant cette affaire.

« Quelques jours avant les élections j'ai écrit à M. le procureur du roi de Louvain au sujet des bruits qui couraient concernant des désordres qui, disait-on, devaient éclater à Louvain le 14 juin, en priant ce magistrat de prendre des précautions.

« Je me suis rendu eu personne chez M. le procureur général à Bruxelles, mais ce magistrat étant absent, je n'ai pu lui parler.

« De là je me suis rendu au département de la guerre ; ce haut fonctionnaire était aussi absent. J'ai parlé à son secrétaire, à qui je fis connaître les menaces de désordre dont la ville de Louvain était menacée, et les mesures que j'avais prises pour les prévenir. Je le priai de faire connaître à M. le ministre de la guerre le but et l'objet de ma visite, afin que des ordres fussent transmis à la garnison pour le 14 juin.

« Voilà la vérité.

« Maintenant il ne s'agit pas de savoir, que s'il y avait eu des désordres le 14 juin, la garnison de Louvain eût pu les réprimer, mais il s’agissait d'assurer avant tout le libre exercice du vote et la sincérité des élections.

« L'armée n'étant pas chargée de la police intérieure n'eût pu agir qu'après coup, et ce qui s'est passé à Gand, pendant les émeutes de 1857, n'est pas de nature à rassurer le paru conservateur, car je me rappelle fort bien que l'armée, qui avait maintenu l'ordre dans cette ville populeuse, a été désavouée dans la personne de son chef, le brave général Capiaumont.

« Si l'armée était chargée de la police intérieure le jour des élections, le parti conservateur n'aurait pas besoin d'organiser une garde de sûreté pour la défense personnelle ; mais il n'en est pas ainsi.

« C'est la police qui est chargée de ce soin, et il eût été dangereux de se fier à la police libérale, surtout que des commissaires et agents de police font partie de l'Association dite libérale. Ce fait est constaté par l'enquête même.

« M. l'avocat Debecker a même fait connaître devant la commission d'enquête : « que la police de Louvain est tout entière à la dévotion de l'hôtel de ville, dont le chef est toujours parmi les candidats que nous combattons, et que nous rencontrons dans cette police des agents électoraux très actifs. »

« M. Debecker a même ajouté : « Que M le procureur du roi de Louvain avait été informé des dangers qui menaçaient plusieurs maisons et cela, dit M. Debecker, dans une visite que je lui avais faite avec M. l'avocat Debruyn. »

« Je le répète, si une garde de sûreté a été organisée par le parti conservateur pour le maintien de l'ordre, c'est à cause des scandales, des excès et des actes de quasi-brigandage exercés dans les élections antérieures à celles du mois de juin dernier, contre certains membres du parti conservateur.

« Cette garde enfin a été organisée :

« Parce que, depuis 1847, les libéraux faisaient beaucoup de bruit à chaque élection ;

« Parce que, les jours d'élecitons, un grand nombre d'ouvriers encombraient les abords des bureaux d'élection, insultant les électeurs que l'on présumait être attachés à l'opinion conservatrice ;

« Parce que les électeurs campagnards étaient bafoués, ainsi que le clergé,

« Parce que les ouvriers arrachaient les bulletins des mains des électeurs qui étaient considérés connue hostiles à la gauche ;

« Parce qu'ils frappaient sur les chapeaux des campagnards et des prêtres pour les leur enfoncer sur la tête ;

« Parce qu'ils jetaient des pierres entre les jambes des électeurs conservateurs de la campagne et des curés, et qu'un curé fut même atteint (page 413) et blessé à la jambe par un de ces projectiles (le curé de la commune de Kessel-Loo) ;

« Parce que l'on poursuivait les électeurs catholiques et le clergé après le scrutin, en vociférant toutes sortes d'injures ;

« Parce que en 1850 et antérieurement les libéraux plaçaient des hommes aux portes de la ville pour inspirer de la crainte aux paysans et les détourner de l'accomplissement d'un devoir civique, sous prétexte qu'il y aurait du tumulte ;

« Parce que à la suite des saturnales de mai 1857, des hommes circulaient dans Louvain et entraient par pelotons dans les cabarets, en chantant des couplets orduriers contre le clergé, les couvents et le parti conservateur. Parmi ces couplets on distinguait le Chant des libéraux belges. Cette chanson ignoble, reproduite par l’ Estafette de Paris, entraîna pour l'éditeur de ce journal une condamnation pour outrages à la morale publique et religieuse ;

« Parce que à diverses reprises, les libéraux ont fait usage de lettres anonyme et comminatoires, témoin la lettre adressée au curé de Bierbeek et qui est déposée au parquet de M. le procureur général ;

« Parce que à l'approche des élections du 10 décembre 1857, des lettres comminatoires furent encore adressées à des membres du parti conservateur de la ville : On les menaçait de les exécuter en pleine place publique. Deux de ces lettres ont été remises entre les mains de M. le procureur du roi de Louvain.

« Voilà pourquoi, dès 1850, le parti conservateur ne pouvant pas compter sur un concours efficace de la police locale, pour exercer avec sécurité ses droits politiques, il prit la sage et énergique résolution d'organiser une garde de sûreté pour défendre, au besoin, ses partisans contre les insultes et les voies de fait de ses adversaires.

« N'est-ce pas une résolution à laquelle tous les hommes d'ordre doivent applaudir ? Ce qui prouve d'ailleurs que c'était le seul moyen de maintenir l'ordre et de garantir le libre exercice des droits politiques aux électeurs de l'opinion conservatrice, c'est que depuis l'organisation de cette compagnie, il n'y a plus eu de désordre à Louvain au moment des élections.

« Peu de temps avant les élections de 1854, le parti libéral fit mine de vouloir recourir à ses moyens ordinaires de violence. L'opinion conservatrice se tint pour avertie. C'est alors que l'on organisa une compagnie de sûreté. On engagea à cet effet 30 ou 40 ouvriers qui reçurent les instructions les plus précises touchant la manière de se comporter. Ils devaient se conduire avec prudence, calme et modération.

« Les élections eurent lieu, et les conservateurs obtinrent une majorité de plus de 500 voix. Aucune plainte ne fut faite contre les hommes enrôlés pour le maintien du bon ordre, et cependant personne ne l'ignorait.

« Grâce aux mesures prises par les conservateurs, les prêtres n'ont plus été insultés et injuriés, les électeurs campagnards n'ont pas été molestés non plus. Tous ont pu remplir leurs devoirs électoraux sans la moindre inquiétude et sans être exposés aux mauvais traitements du parti dit libéral.

« Du reste, je le constate de nouveau, les réclamations libérales, au sujet de la garde dite de sûreté, n'ont pas de raison d'être, attendu que jamais élection ne fut plus calme, plus paisible que celle du 14 juin de cette année, et que ces hommes n'ont jamais donné lieu à la moindre plainte.

« Veuillez agréer, messieurs, l'assurance de ma parfaite considération.

« G. Van Bockel, notaire et président de l'Union constitutionnelle et conservatrice de l'arrondissement de Louvain. »

M. le président. - Nous reprenons la discussion.

La parole est à E. Vandenpeereboom.

M. E. Vandenpeereboom. - Je la cède un moment à M. Devaux qui désire présenter une observation.

M. Devaux. - Messieurs, j'ai trop longuement occupé l'attention de la Chambre, il y a à peine deux jours, pour rentrer encore dans le fond du débat. J'ai demandé la parole pendant le discours de l'honorable M. de Theux, lorsqu'il a fait allusion à ce qui s'est passé lors de la vérification des pouvoirs en 1857. C'est pour la troisième fois depuis cette époque que l'honorable membre méconnaît les faits qui ont eu lieu alors.

Il juge très sévèrement le vote de la majorité, il le trouve absurde et dit qu’il a eu un grand retentissement dans le pays. C'est à-dire que les journaux du parti de l'honorable M. de Theux ont exactement reproduit son opinion.

Mais ce qui s'est passé en 1857 était parfaitement régulier, et même j’ose dire que si l’honorable M. de Theux veut y réfléchir, loin de trouver là, comme il le dit, une contradiction absurde, il trouvera, dans la règle unique suivie par la Chambre pour les deux cas dont il s'agissait, une jurisprudence très conséquente avec elle-même.

De quoi s'agissait-il en effet ? De savoir si le nom de famille seul constituait un suffrage valable ou une désignation insuffisante.

On prétend qu'il résulte de deux décisions que la Chambre a prises à cette époque, d'une part que le nom de famille seul suffit pour constituer un suffrage valable, d'autre part qu'il ne suffit pas et ne forme qu'un suffrage nul, et c'est là, dit-on, une contradiction absurde.

Je dis que l'honorable M, de Theux lui-même n'oserait poser comme une règle absolue, ni que le nom de famille seul constitue toujours, un suffrage valable, ni que le nom de famille seul ne puisse jamais constituer une désignation suffisante. Je dis que l'honorable membre lui-même n'oserait pas poser comme règle générale l'adoption de l'une ou de l'autre de ces deux opinions. Je vais prouver combien cela serait inadmissible en posant deux cas extrêmes.

Je suppose que dans l'arrondissement de l'honorable M. de Theux sur une liste de noms de son parti on le désigne seulement par son nom de famille, je suppose qu'il n'existe ni sur la liste électorale ni dans l’arrondissement aucune personne connue du même nom et qu'eu égard à cette circonstance et à ce que depuis 29 ans les électeurs de l'arrondissement on' toujours porté à la Chambre la même personne de ce nom, le bureau électoral pense qu'il n'y a pas de doute sur l'intention du votant et que c'est bien le représentant sortant qu'il a voulu désigner ; faudra-t-il que la Chambre annule l'élection si elle dépend de ce vote ?

- Plusieurs voix. - Non, non.

M. Devaux. - Vous dites non ! eh bien, je suppose maintenant que dans un autre arrondissement il y ait deux candidats du même nom comme on l'a vu à Marche, où il y avait en présence deux candidats opposés du nom d'Orban ; le bureau décide que le nom seul n'est pas une désignation suffisante ; la Chambre doit-elle de ce chef annuler le résultat proclamé par le bureau ? Evidemment non, n'est-ce pas ? Voilà cependant deux décisions qui paraissent contradictoires, mais qui ne le sont pas, parce que la question de savoir si la désignation du nom de famille est suffisante oui ou non pour faire connaître l'intention du votant ne dépend pas d'une règle absolue, mais de circonstances locales qui varient d'un arrondissement à l'autre.

Ces circonstances, n'est-il pas vrai que le bureau électoral qui est sur les lieux peut beaucoup mieux les apprécier que nous qui sommes loin de là et qui n'avons aucun élément pour nous assurer de l'intention de l'électeur.

N'est-il pas vrai que la Chambre, pensant qu'à moins de motifs graves ou d'une enquête sur les faits, il était sage de s'en rapporter au bureau électoral, a agi sans contradiction aucune en suivant dans les deux cas la décision de ce bureau ?

Je prie l’honorable M de Theux de me dire si à ses yeux le nom de famille forme toujours une désignation suffisante ou s'il ne suffit jamais.

S'il avoue que la règle n'est pas absolue et que la décision varie d'après les circonstances locales, il ne peut pas reprocher à la Chambre de se trouver en contradiction pour avoir méconnu une règle que lui-même reconnaît n'être pas inflexible et pour s'en être rapportée au bureau électoral de l'appréciation de circonstances locales qu'elle-même ne connaissait pas. J'ajoute qu'une Chambre prudente et qui se respecte ne pouvait et ne pourrait pas agir autrement. (Interruption.)

Vous me répondrez, M. Dumortier, et vous me direz surtout si dans tous les cas vous admettrez que le nom de famille est suffisant ou si vous prétendez qu'il ne l'est jamais.

Si vous ne faites pas de l'un ou de l'autre une règle absolue, si vous convenez qu'il faut consulter les circonstances locales, vous ne pouvez plus reprocher à la Chambre de s'être contredite parce qu'elle a eu égard à ces circonstances et qu'elle a suivi l'appréciation que le bureau électoral en avait faite de part et d'autre.

Messieurs, ainsi que je l'ai dit, je n'ai pas demandé la parole pour entrer dans le fond du débat qui nous occupe depuis plusieurs jours. Permettez-moi seulement deux mots encore en réponse à l’honorable M. de Theux.

Il a présenté les électeurs ruraux comme jouissant tous d'une si grande aisance qu'il les considère tous comme étant à l'abri de l’influence de l'argent par suite de leur position de fortune. C'est là le contraire de ce qu'ont déclaré dans l'enquête plusieurs témoins de l'opinion de M. de Theux et, entre autres, plusieurs ecclésiastiques qui ont déclaré qu'on n'a donné de l’argent que parce que beaucoup d'électeurs avaient trop peu de fortune pour supporter les frais de déplacement. (Interruption.)

Je n'ai pas l'enquête sous les yeux, mais je me rappelle entre autres la déclaration formelle du curé de Montaigu qui déclare qu'un grand nombre d'électeurs de sa commune sont si peu fortunés, qu'ils ne se rendraient pas aux élections à leurs frais.

Les orateurs de la droite ne nous disent-ils pas d'ailleurs chaque jour que depuis l'abaissement du cens à 20 florins les électeurs de la campagne ne peuvent plus se déplacer s'ils ne sont défrayés ? Si tous les électeurs sont dans une si grande aisance, où était la nécessité de leur distribuer de l'argent ?

L’honorable M. de Theux vient de soutenir cette doctrine que nous ne pouvons refuser de reconnaître les pouvoirs d'un représentant si ce n'est en vertu d'un cas d'annulation déterminé par la loi.

C'est la première fois que cette théorie se produit et je crois que, comme celle du nom de famille dont je parlais tout à l'heure, M. de Theux ne la soutiendrait pas jusqu'au bout. Dans la vérification des pouvoirs, nous avons à examiner si le mandat est régulier et sincère. Or, il y a une foule de circonstances, que la loi n'a jamais déterminées et qu'elle ne pourrait déterminer, qui peuvent détruire la régularité et la sincérité du mandat.

(page 414) Comment ! on aura, je suppose, organisé une bande de mauvais sujets pour effrayer les électeurs des campagnes, il sera reconnu qu'une espèce de terreur aura empêché une moitié des électeurs de se rendre aux élections, et vous ne pourrez pas annuler les pouvoirs de l'élu, parce qu'aucune disposition précise n'a prévu le cas ?

L'urne électorale aura été renversée par hasard ou par suite de quelque émotion qu'on aura soulevée dans l'assemblée, une partie des bulletins se sera perdue et vous devrez confirmer cette élection parce qu'aucune disposition expresse de la loi n'aura été violée.

M. de Naeyer. - L'élection ne serait pas régulière : il y aurait eu violence !

M. Devaux. - En l'absence d'un candidat, le jour de l'élection, soit hasard, soit malveillance, le faux bruit de sa mort se sera répandu et tellement confirmé que ses partisans eux-mêmes n'auront plus voté pour lui, et vous devrez reconnaître les pouvoirs de celui qui a réussi par suite de cette surprise, qu'aucune loi ne punit ?

Nous vérifions les pouvoirs de chacun de nous, nous jugeons si l'élection est sincère. Si vous n'aviez pas ce droit, vous seriez au-dessous de tous les parlements qui ont existé, au-dessous du parlement anglais, au-dessous du corps législatif de France ; nous serions de tous les pays, celui où l'on se soucie le moins de la moralité de l'élection.

L'honorable M. de Theux a émis, comme plusieurs autres orateurs de la droite, le vœu que les électeurs fussent défrayés par l'Etat. Si ce système se produit jamais ici, il me rencontrera pour adversaire, parce que, comme je l'ai dit à propos de l'élection de Louvain, ce qui serait une indemnité pour l'un serait une gratification pour l'autre ; vous ne la régleriez pas sur les besoins les plus restreints, et alors ce serait une gratification pour ceux qui ont les habitudes les plus modestes ; ceux qui seraient payés pour venir à l'élection auront un privilège sur les électeurs de la ville où l'élection a lieu.

Ce serait une injustice vis-à-vis des électeurs de la localité, qui comme à Louvain viendraient en moindre nombre à l'élection que les électeurs soudoyés.

M. de Theux. - J'ai demandé la parole pour répondre un mot à l'honorable M. Devaux.

Messieurs, j'ai été rapporteur de la loi électorale au Congrès, comme a dit l'honorable M. Devaux.

J'ai dit : Il y a des circonstances où il y a des présomptions en faveur de la validité du bulletin qui ne porte que le nom de famille, notamment quand il est connu qu'il n'y a qu’un candidat de ce nom, et j'ai fait une proposition en ce sens. Le Congrès a voulu que le bulletin qui ne portait pas de désignation suffisante fût nul ; si ma proposition avait été adoptée, il n'y avait pas de contestation possible. M. de Wouters aurait été représentant de Louvain, M. Thibaut représentant de Namur, comme M. Frison l'a été d'Ath ; il n'y avait pas de difficulté possible. Tout le monde conviendra que la Chambre appelée à statuer sur la validité des élections de Louvain et de Dinant, quand elle voyait qu'un certain nombre de bulletins portant le nom des députés sortants avaient été annulés, ne pouvait pas admettre comme vraie la décision des bureaux de Louvain et de Dinant, quand elle admettait celle du bureau d'Ath où il y avait un candidat nouveau.

Voilà la seule observation que j'avais à faire.

M. Devaux. - J'ai demandé la parole pour défendre la décision de la Chambre contre l'appréciation de M. de Theux. Je n'ai pas compris si l'honorable M. de Theux admet définitivement comme règle que l'indication du nom de famille ne suffit jamais ou suffit toujours. Je dis que cela dépend des circonstances locales. A moins de motifs très graves ou à moins d'une enquête, il est impossible de ne pas s'en rapporter à la décision du bureau électoral. C'est ce que la Chambre a fait. Elle ne pouvait pas faire autrement. Nous sommes étrangers à la localité. Il faut ou ordonner une enquête ou s'en rapporter à la décision du bureau, sur la question de savoir si la désignation a été suffisante on non, à moins qu'on n'ait de puissantes raisons de croire que le bureau s'est trompé. Il n'y a pas d'autre moyen d'appréciation. Si vous n'ordonnez pas d'enquête, il faut bien que vous approuviez la décision du bureau.

M. B. Dumortier. - Il est très facile d'élucider les faits par les faits mêmes. Quelle était la situation en 1857 ? Le même cas s'est présenté dans trois arrondissements, à Louvain, à Dinant et à Ath. Remarquez que dans chacun de ces arrondissements, la majorité dépendait de deux ou trois bulletins. A Louvain 4 bulletins avaient été annexés au procès-verbal. Ces 4 bulletins portaient les noms des quatre députés sortants MM. de Man d'Attenrode, Landeloos, de la Coste et Wouters. Il n'y avait qu'un seul candidat du non de Wouters.

M. Devaux. - Il y avait deux Wouters,

M. B. Dumortier. - Il n'y eu avait qu'un dans l'arrondissement.

M. Devaux. - Il y en avait un autre à Nivelles, frère du premier.

M. B. Dumortier. - Je sais qu'il y en avait un à Nivelles ; mais cela ne fait rien pour celui de Louvain.

M. Devaux. - C'est égal.

M. B. Dumortier. - Vous avez autant de doctrines que vous avez de causes à défendre.

Il n'y avait donc à Louvain qu'un seul candidat du nom de Wouters, et c'était un des membres sortants, quatre bulletins portant les noms des quatre députés sortants, ne contenaient que le nom de famille de M. Wouters. Le doute était-il possible ? Non.

A Dinant les bulletins portaient les noms de deux membres sortants, mes honorables amis MM. le comte de Liedekerke et Thibaut. Le nom de M. Thibaut se trouvait sur plusieurs bulletins sans désignation e nom propre.

A Ath c'était un membre nouveau, c'était M. Frison, dont le nom se trouvait sur plusieurs bulletins sans prénom ; il y en avait même un avec une initiale qui n'était pas la sienne. Il y avait dans l'arrondissement trois Frison, électeurs et éligibles. Cela est prouvé par les listes électorales. Qu'a fait la majorité ? Qu'a fait l'honorable M. Devaux ? Ils ont prétendu que les quatre bulletins portant les noms des députés sortants, de Man d'Attenrode, Landeloos, de la Coste et Wouters, ne pouvaient pas être comptés à ce dernier.

A Dinant, les bulletins portant simplement les noms de famille de MM. de Liedekerke et Thibaut ont été déclarés nuls et ne sont pas entrés en ligne de compte. Mais à Ath, les bulletins portant Martin Jouret et Frison, ont été comptés, bien que le nom de M. Frison se trouvât précédé d'une initiale qui n'est pas la sienne.

C'est ainsi qu'ils ont fait entrer dans cette salle M. de Luesemans, qu'on veut y faire revenir encore en annulant les élections de Louvain, et en renvoyant les quatre élus de cette ville, comme on a renvoyé alors M. Wouters.

M. Devaux (pour un fait personnel). - Le fait personnel consiste en ceci que MM. de Theux et B. Dumortier changent le caractère de mes paroles et de mon vote. J'ai dit que la Chambre a bien fait de s'en rapporter dans les deux cas à la décision du bureau parce qu'il est le juge naturel des circonstances locales, dans lesquelles l'élection a eu lieu et que nous n'avions aucun élément pour nous prononcer avec connaissance de cause dans un autre sens.

Vous avez tort d'insister sur les vérifications de pouvoirs ; je pourrais appeler celles que vous avez faites : celles du prince de Chimay, celle de M. Cogels et celle de M. Dellafaille d'Anvers.

- Un membre. - Et celle de M. Félix de Mérode !

M. Devaux. - Je ne veux pas parler des morts.

A l'élection de M. Dellafaille qui avait dépendu de deux voix, on avait compté comme votant un homme qui était en prison au moment du vote et quatre personnes qui n'avaient que la petite naturalisation, qui n'avaient pas le droit de voter. Nous, nous avons fait ce qu'on doit faire ; nous avons validé les décisions du bureau, juge naturel des circonstances locales. Je dis que sans une enquête qui n'a pas été demandée, il nous était impossible de connaître ces circonstances ; nous n'avons eu aucun élément de preuve, aucun fait constaté qu'on ait opposé à la décision du bureau.

M. de Theux. - Vous voyez où conduirait la théorie de l'honorable membre ? C'est que si le bureau était composé d'hommes appartenant à un parti, il pourrait prendre une décision contraire à la loi, et la Chambre devrait s'incliner humblement devant cette décision et recevoir dans son sein un intrus.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole, après les discours si éloquents et si complets de mes amis politiques. Mais, quand j'ai vu mon collègue de la commission, l'honorable M. De Fré, être l'objet de toutes les attaques, à cause d’un rapport qui, à part la forme, est notre œuvre commune, je me suis dit : Il faut venir en aide à ce camarade, élevé, il y a six mois, par nos adversaires politiques, à la hauteur d'un père de l'Eglise, écrasant toute la gauche sous le poids de son orthodoxie, et qui, aujourd'hui hélas ! est précipité dans le gouffre du libéralisme, aussi bas que M. le président Orts, plus bas que moi-même. Et navré à la vue de cette chute, je me suis écrié :

« Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ? » (Interruption.)

J'entre dans le côté sérieux, le plus sérieux de la question.

Je puis en donner l'assurance formelle à la Chambre, quand, un des premiers, j'ai soutenu la nécessité de l'enquête ; quand j'ai accepté la mission, la difficile mission de faire partie de la commission, je n'avais ni le désir, ni la prévision, d'aboutir à l'annulation de l'élection de Louvain. Ce que je désirais, ce que je voulais, c'était de constater l'existence de faits qui puissent me conduire à la répression des abus se manifestant dans beaucoup de nos élections.

L'annulation est une nécessité, que j'ai rencontrée, et à laquelle, en conscience, j'ai dû conformer mon vote.

En outre, j'ai été confirmé, par les faits révélés, dans ma vieille conviction, relative à la nécessité de la répression de certains abus électoraux. J'aurai l'occasion d'expliquer bientôt cette double position.

A Louvain, comme ailleurs, plus qu'ailleurs, les abus électoraux sont nés de l'intervention du prêtre politique, du prêtre agent électoral.

Vous l'avez déjà dit, vous le direz encore : Vous voulez donc frapper sur le « Clérical » ! Mais, messieurs, est-ce notre faute à nous, si le prêtre, qui a pour mission de vous conduire, dans la vie religieuse, depuis le (page 415) berceau jusqu'à la tombe, se croit aussi le droit de vous guider, dans la vie publique, depuis l'hôtel de ville jusqu'au palais de la Nation ?

Est-ce notre faute à nous si, dans les élections communales, provinciales, pour la Chambre ou le Sénat, vous-mêmes, vous croyez ne pouvoir marcher qu'accompagnés du prêtre ? A Louvain, n'avons-nous pas trouvé le prêtre partout ? Sur 200 témoins que nous avons entendus, il y en a 150 qui sont venus nous accuser l'intervention du prêtre à des titres divers ; tantôt dans des limites certainement très légitimes, tantôt d'une façon évidemment intolérable.

Eh ! messieurs, qu'on ne dénature point mes intentions, ni ma pensée ; si j'attaque les influences illicites, lorsqu'elles se cachent sous la robe du prêtre, je n'entends nullement interdire aux membres du clergé l'exercice de leurs droits constitutionnels de citoyens. Je crois et j'ai toujours cru que le prêtre, en allant déposer son vote, donne à ses paroissiens un salutaire exemple de l'accomplissement d'un devoir civique ; il fait bien en agissant ainsi, comme il fait bien, en donnant à ses paroissiens l'exemple de toutes les autres vertus ; or, le patriotisme aussi est une vertu. Et ici, je suis heureux de me rencontrer avec l'honorable M. de Theux. Cette circonstance est assez agréable et assez rare, pour que je m'empresse de la constater.

Mais, messieurs, je vais plus loin : j'admets même, comme un droit, l'intervention du clergé ; et j'en comprends quelquefois l'exercice. Je comprends très bien l'action du prêtre politique, en Irlande avant l'émancipation catholique ; je la comprends en Suède, je la comprends partout, enfin, où il n'y a point de liberté. Mais où je ne la comprends pas, où surtout je ne la comprends pas de la manière dont elle s'y exerce parfois, c'est en Belgique. C'est l'intervention du prêtre, ainsi exercée, que je conteste, que je combats ; non pas parce qu'elle ne dériverait pas d'un droit, mais parce que je la considère comme l'abus d'un droit.

Messieurs, on a voulu déplacer la responsabilité ; on vous a dit ici : « Mais le prêtre n'est entré sur le terrain électoral que parce que vous l'y avez appelé. » C'est l'honorable M. Dechamps qui a tenu ce langage. Je suis fâché de n'avoir pas son discours officiel sous les yeux ; mais j'ai assez bonne mémoire et d'ailleurs celle de nos honorables amis est là, pour me garantir que je ne me trompe pas. Eh bien, messieurs, je ne suis nullement de l'avis de l'honorable membre.

J'ai vécu pendant 25 à 30 ans au milieu des électeurs des Flandres ; j'y ai vu, de très près, l'action du clergé ; j'ai étudié, en outre, de nombreux documents parlementaires, et de cette longue observation est résultée pour moi la preuve, que, si le clergé belge est descendu dans l'arène électorale, ce n'est pas du tout nous qui l'y avons appelé.

Pour expliquer mon opinion sur ce point, j'ai besoin, tout d'abord, de dire quelle est cette intervention ; comment elle se manifeste, quels en sont les résultats.

Je tâcherai d'être très laconique et de ne pas occuper trop longtemps la Chambre.

Se mêler de la politique est dans les traditions du clergé. Pour le prouver, je n'ai pas besoin de remonter à ces temps, déjà reculés, où l'évêque était le chef de la cité ; ce qui alla fort bien aussi longtemps que l'évêque fut pauvre ; mais ce qui depuis, alla fort mal ; et c'est ainsi qu'un jour vint où, à Tournai, à Liège, à Cambrai, à Amiens, partout enfin où il y avait un seigneur évêque, des conflits incessants éclatèrent entre les évêques et les populations ; et c'est même de ces conflits qui sont nées beaucoup de nos libres communes.

Je ne veux pas parler, non plus, de ces temps, qui ont eu une bien longue durée, où le clergé siégeait, comme premier ordre, dans les assemblées générales et provinciales : le flot de 1789 a renversé le banc des évêques et des abbés, et j'espère bien qu'il ne se redressera plus jamais en Belgique. Mais, messieurs, la perte de positions ainsi détruites devait laisser des regrets, et depuis lors le clergé n'a point cessé de se mêler de politique, ici sourdement, là ostensiblement.

Se mêler de politique, n'est pas seulement dans les traditions du clergé ; cela fait partie aussi de son éducation.

Dès le petit séminaire, ceux qui se destinent à l'état ecclésiastique se mêlent de politique, et je puis vous en parler pour l'avoir vu de très près. Je sais qu'il y a des établissements où les exercices littéraires et les représentations, qui se donnent à l'occasion de distributions des prix, ont pour objet la politique. Au séminaire encore, on ne lit qu'un journal, c'est celui de monseigneur l'évêque, et vous savez tous avec quelle mansuétude, avec quel atticisme les publications de ce genre sont rédigées.

Quand le prêtre sort du séminaire et qu'il est placé dans une petite ville où existe un journal, c'est souvent ce prêtre même qui en est le rédacteur ou le co-rédacteur ; et nous savons aussi jusqu'où peut aller la polémique à laquelle se livrent ces petits journaux conservateurs.

Mais, messieurs, comment les luttes du clergé avec l'élément laïque de la société ne seraient-elles pas violentes, quand les luttes intestines du clergé sont elles-mêmes si ardentes ? Voyez, en France, les combats de l'aigle de Meaux avec le cygne de Cambrai ! Voyez les batailles de Port-Royal contre les jésuites ! Ne sont-ce pas là des preuves bien concluantes de l'ardeur des luttes intestines du clergé ? Et dans notre pays, les doctrines de Jansénius, les disputes provoquées par la bulle Unigeniius, le puritanisme des Stevenistes, les doctrines nouvelles de Lamennais n'ont-elles pas jeté dans les rangs du clergé des brandons de discorde, pendant près d'un siècle ?

J'en appelle à tous ceux qui ont quelque peu lu les polémiques de ces temps-là ; ils doivent se souvenir des aménités qui étaient adressées d'un camp à l'autre camp, et de l'ardeur des invectives qu'on se renvoyait tour à tour. Comment donc voulez-vous que, quand on se traite ainsi entre frères, on ménage le libérai, cette lie, cette boue de la société moderne ?

Il est curieux, messieurs, d'étudier quelle a été la marche, la gradation de la violence de cette intervention du clergé, dans les affaires politiques de notre pays.

L'honorable M. Dechamps nous disait hier : C'est vous qui avez attiré le clergé sur le terrain des luttes électorales. Eh ! mon Dieu, notre révolution était à peine accomplie, nous vivions, en plein, dans l'âge d'or, tant vanté de l’Union, que le clergé était tout naturellement engagé dans ces luttes ; il y a si bien combatte, qu'il est parvenu à faire entrer 12 ou 13 prêtres au sein du Congrès, ce qu'il ne pourrait certainement plus faire aujourd’hui, toute proportion gardée.

Dans les premières élections suivantes, le clergé s'est placé tout aussi carrément sur le terrain électoral ; et il y a obtenu de faciles victoires, parce qu'elles n'étaient point contestées : les partis n'avaient point encore eu le temps de produire leurs prétentions ; et par conséquent de provoquer l'antagonisme, qu'ils devaient faire naître plus tard.

Mais aussitôt que notre nationalisé fut solidement établie, quand nos inquiétudes à l'égard de l'étranger se furent apaisées, les partis se préoccupèrent de leurs vues particulières, de leurs intérêts particuliers. Le clergé sentit bientôt se produire l'action du parti libéral, qui, jusqu'alors, avait eu le dessous, d'une manière assez sensible. Le premier acte public, le premier aveu officiel de l'intervention du clergé, fut un mandement de l'archevêque de Malines, de 1837, mandement inséré au n°157 du Moniteur de cette année.

Mais ce prélat, d'un caractère doux, chacun en Belgique le reconnaît, tout en croyant de son devoir d'engager le clergé à entrer dans la lutte électorale, lui donnait des conseils de modération, et voici ce qu'il disait :

« Nous vous avertissons de procéder avec beaucoup de sagesse et de circonspection... Vous ne vous occuperez donc pas, en chaire, d'affaires politiques : vous vous abstiendrez de tout ce qui peut rendre qui que ce soit odieux, ou l'offenser en aucune manière. »

C'étaient là, certainement, des conseils très sages ; mais je vais vous dire comment ils ont été suivis, eu vous lisant un passage d'un sermon, passage que je garantis fidèle et exact.

Ce sermon fut prononcé, dans une commune des Flandres, à l'occasion des élections de 1857.

« Si les libéraux sont élus, si la majorité libérale revient à la Chambre, on fermera les églises, on égorgera les prêtres ; vous marcherez dans le sang jusqu'aux genoux !... »

Eh bien, je dis que, cette fois-là, on n'avait été fidèle ni à la vérité, ni à la recommandation de l'archevêque de Malines.

Messieurs un deuxième signe de l'intervention du clergé, fut une lettre du secrétaire de l'évêque de Liège, et c'était à l'occasion de l'élection de notre tant regretté Delfosse. On prémunissait les fidèles contre l'éventualité de l'arrivée au parlement de cet homme de bien, de ce cœur d'or, de cet illustre patriote, comme contre un malheur pour la religion. Eh bien, Delfosse a été nommé ; et il a toujours défendu les intérêts de la moralité et de la religion. Et, s'il a rencontré cet obstacle en entrant au parlement, il a eu une belle ovation, quand il a succombé.

J'ai vu pleurer, sur la tombe de ce grand parlementaire, ceux-là mêmes qui avaient mis obstacle à son entrée dans le palais de la Nation.

Messieurs, cet obstacle qu'on a voulu mettre à l'entrée de Delfosse à la Chambre, est aussi déplorable que l'empêchement qu'on a mis à l'ambassade de M. Leclercq à Rome ; de telles taches ne s'effacent pas de l'histoire des partis !

Enfin, messieurs, le troisième acte public du clergé, le troisième aveu officiel de l’intervention du clergé dans les élections, ce fut un dernier mandement de l'archevêque de Malines, relatif aux élections de 1841. Il se trouve au Moniteur de 1841, n°146.

Il s'agissait alors de faire ratifier, par le corps électoral, l'acte irrégulier du Sénat qui avait fait, tomber le ministère libéral de 1840. Je pense qu'aujourd'hui vous n'auriez plus un pareil mandement, m même un pareil vote du Sénat.

Messieurs, ces ordres de combat furent trop bien compris par le clergé ; ils furent aussi trop blâmés par l'opinion publique, pour qu'on les renouvelât. On prit une autre mesure et voici ce qu'on fit. Au lieu de recourir à la grande publicité du Moniteur, on fit jouer les ressorts de la hiérarchie ; et le doyen dit, à l'oreille du curé, ce que précédemment lui portait la grande voix de la presse.,

Mais, messieurs, si cette intervention du clergé fut sourde ; elle n’en fut ni moins active, ni moins forte ; car c'est de ce temps-là que datent tous les excès, j'ose le dire, dans les élections, et surtout dans les élections des Flandres.

Je pourrais entrer dans des détails, mais je ne veux par irriter le débat, Je dis seulement ce qui est nécessaire pour soutenir la thèse que (page 416) je défends ; je n'entrerai dans les détails que si l'on me contredit ; du reste, ces détails seront très authentiques.

Messieurs, jusqu'à présent, je vous ai dit ce qu'avait été l'intervention du clergé. J'arrive maintenant à constater ce à quoi elle a abouti et je me demande ce que le clergé a gagné politiquement et moralement à toute cette intervention, je ne veux pas dire a toutes ces violences ? C'est un curieux bilan.

Vous dites : Nous ne combattons politiquement que pour avoir des résultats moraux ; et moi, je vous i s : Vous avez perdu la partie politique et vous êtes en train de perdre la partie morale. Je vais vous le prouver.

Messieurs, qu'est- que le clergé, - et je veux surtout parler du clergé supérieur, puisque le clergé inférieur ne fait qu'obéir à des ordres et nous avons vu souvent qu'il n'obéit qu'à regret, à grand regret, et j'ai souvent été témoin de la désolation que cela lui cause, - qu'est-ce que, dis-je, le clergé supérieur veut obtenir en politique ?

Il poursuit un double but : c'est de placer ses amis au pouvoir ; c'est de placer ses partisans en majorité, sur les bancs de cette Chambre. Eh bien faisons le compte de ce qu’il a obtenu, à ce double point de vue.

Prenons une période de 30 ans, 1830 à 1860, et divisons ces 30 années d’occupation du pouvoir en séries de 10 ans ; voici les résultats que nous constatons à chaque série.

De 183 à 1840, les catholiques occupent le pouvoir pendant près de 7 ans ; les libéraux pendant plus de 3 ans : 10 années.

De 1840 à 1850, le pouvoir est occupé, par les catholiques purs, 1 an 1/2 ; par les mixtes 5 ans ; par les libéraux, 3 ans et 1/2 :10 années.

De 1850 à 1860, e pouvoir est occupé par les catholiques mixtes (il n’y a plus de catholiques purs) moins de 3 ans ; et, par les libéraux, plus de 7 ans : 10 années.

Vous voyez, messieurs, la déchéance pour les catholiques purs ; et le progrès pour les libéraux. Ce qui, pendant la première période, n'était qu'un accident, la présence des libéraux au pouvoir, est devenu pendant la dernière période la règle.

Et les libéraux sont, si je ne me trompe, aux affaires pour longtemps, s'ils veulent imprimer un mouvement un peu plus accéléré à la marche libérale, que beaucoup d'entre nous désirent qu'ils suivent.

Mais, messieurs, si le clergé politique n'a pas réussi à maintenir ses partisans au pouvoir, a-t-il mieux atteint son but, en remplissant les sièges de cette Chambre de sa majorité ? J’ai encore fait quelques recherches, et encore u.ne fois, elles ne sont pas à l'avantage du clergé politique.

En 1831, les catholiques ont des représentants partout, même à Anvers, à Bruxelles, à Gand, à Liège, à Namur, à Tournai ; ils formaient la grande majorité de la Chambre et du Sénat.

Dès 1845, les catholiques n'ont plus de représentants à Anvers, à Bruxelles et à Liège. C'est par les chefs-lieux de province que commence la décadence, consommée en 1848. Aujourd'hui des neuf chefs-lieux de province, sept sont totalement occupés par des libéraux.

Messieurs, vous savez tous que ce qui donne ordinairement le mouvement, en fait d'opinion, ce n'est pas Turnhout sur Anvers ; ce n'est pas Eecloo sur Gand ; c’est ordinairement Anvers sur Turnhout, Gand sur Eecloo ; il en est aussi pour beaucoup d'autres localités.

Aujourd'hui donc, sur neuf chefs-lieux de province, il y en a 7 qui sont totalement occupés par des libéraux, et, dans la plupart de ces chefs-lieux, les catholiques n'entrent même plus en lutte. Pendant 12 ans, de 1848 à 1860, les catholiques n'ont été en majorité, à la Chambre, que par accident et par surprise.

L'honorable M. Orts vous a expliqué hier, en termes très spirituels, comment ce tour de passe-passe avait été fait ; c’est-à-dire qu’on n’avait pas emporté la place, mais que la place avait été livrée, par ceux qui étaient à l’intérieur.

Eh bien, toutes ces déchéances politiques s'accomplissent, précisément en raison directe des manœuvres que l'on emploie pour échapper à cette situation. Plus on fait d'efforts, plus la fortune manque à ceux qui font ces efforts.

Mais, messieurs, le clergé pourrait ou devrait se consoler, si, n'ayant pas des succès politiques, il avait au moins des succès moraux.

Il est certain qu'en ces temps mauvais, comme on les appelle à présent, le clergé belge n'a rien à envier à aucun clergé en Europe ; même en ces temps de persécution et d'oppression libérale, le clergé catholique belge n'a rien à envier à qui que ce soit : nomination directe des évêques par le pape ; correspondance sans contrôle avec Rome ; liberté la plus entière d'enseignement, d'association et de charité. (Interruption.)

Comment ! il n'y a plus de liberté de la charité ! mais je lis tous les jours, dans le Moniteur, des colonnes remplies de donations. Vous nous avez dit, que les donations allaient tarir, que les pauvres n'auraient plus de dons de ceux qui venaient à mourir. Je suis sûr que si on voulait faire de la statistique, on prouverait que jamais les donations n'ont été aussi nombreuses et aussi fructueuses qu'elles le sont depuis quelque temps. Non ! le contrôle civil ne tue pas la charité !

Si le clergé a tout ce qu'il lui faut, en fait d'influence morale et de puissance morale, il y a une chose qui lui manque : c'est l'affection d'un assez grand nombre de citoyens beiges, professant la religion catholique. Eh bien, je dis que cette affection va s'affaiblissant de plus en plus ; je pourrais même dire que la désaffection vis-à-vis du clergé est effrayante. Le clergé est moins aimé de 1845 à 1859, que de 1830 à 1844 et même que de 1824 à 1830.

Je ne veux pas rappeler tout ce que vous appelez des scandales et que moi, froidement, j’appelle des signes du temps. Je pourrais parler comme vous, des scandales de Jemmapes, du mouvement de mai 1857, des miliciens qui, arrivant à votre secours, criaient : « A bas la calotte ! » dans toutes les stations ; je pourrais parler des prêtres insultés dans les comices électoraux ; je pourrais même parler d'évêques insultés dans les comices électoraux ; tous ces faits sont des scandales : je vous l'accorde ; mais ce sont en même temps les signes du temps ; malheureux, si vous voulez, mais qui sont provoqués par l'intervention du prêtre ; et ce qui en est une preuve, c'est qu'ils ont grandi en raison des efforts qu'a faits le prêtre dans les élections.

En lisant cette enquête, sur les élections de Louvain, je me suis pris, quelquefois, à penser comment il peut y avoir sur les bancs de la droite un homme sensé qui nous parle d'union, quand on voit des scènes telles qu'elles se passent à Diest, à Tirlemont, à Louvain et ailleurs !

Vous parlez d'union ; mais vos appels à l'union viennent se placer au milieu de nos luttes, comme le conseil de l'abbé de Saint-Pierre serait venu se placer entre Solferino et Magenta.

Vous parlez d'union, quand on a été prêt à en venir aux mains, s'il faut vous croire ; quand il y a eu presque une guerre civile ; quand vous avez organisé, pour l'empêcher dites-vous, les stockslaegers, faisant ainsi de l'ordre comme M. Caussidière !

Est-ce là de l'union ? Cessez de parler d'union, après de tels procédés. On ne fait pas la paix, l'arme au poing !

Messieurs, je vais vous donner encore un signe de la désaffection qui se manifeste à l'égard des membres du haut clergé. Nous avons six viles épiscopales ; quatre de ces villes envoient des députés libéraux, Gand, Bruges, Liège et Tournai.

Pour l'archevêché, les victoires de Malines, de Turnhout et de Louvain même ne peuvent pas compenser les défaites de Bruxelles et d'Anvers.

La ville de Namur seule envoie des députés catholiques. C'est bien une preuve que là où le clergé est le plus influents, le plus directement en cause, il obtient le moindre succès.

Vous vous apercevez si bien vous-mêmes du tort que vous faites à la religion, qui est, après tout, la seule mission à laquelle le prêtre doive prendre intérêt, que vous vous êtes vus forcés de changer de nom.

Vous vous appeliez catholiques ; vous aviez un journal qui s'appelait le Catholique ; vous vous vantiez d'être le parti catholique. Et tout d’un coup, vous changez de nom. Vous devenez des conservateurs et vous ne savez pas même conserver votre nom. Pourquoi changer du nom, s'il vous plaît ? Pour conjurer le danger. Je dis, moi, que dans ce but ce n'est pas de nom, mais de conduite qu'il faut changer.

Prendre un masque, ce n'est pas changer de visage ; s'envelopper dans un manteau, ce n'est pas empêcher que l'on voie que vous boitez.

Mais vous n'avez pas seulement changé de nom, vous avez encore changé de tactique. Vous n'avez plus de mandements, moins de prêches politiques, moins d'exercices du culte, mis au service des élections ; mais vous avez les visites à domicile ; vous avez tes courses plus nombreuses ; vous avez même, dans les Flandres, des courses pendant la nuit ; et vous avez à Louvain le clergé, l'argent à la main. Voilà comment vous marchez dans votre modération.

Maintenant, je vais vous dire : vous avez expliqué combien l'argent était un perfectionnement sur les dîners, je vais vous dire pourquoi vous avez substitué l'argent aux dîners.

J'ai vu ceci, plusieurs fois, dans nos Flandres : on prenait les électeurs, à 5 heures du malin, on les menait à l'église ; puis au cabaret, pour déjeuner ; ensuite on les mettait en voiture ou plutôt on les chargeait sur des chariots, un prêtre en tête, un prêtre en queue, pour que personne ne pût se sauver ; on arrivait ainsi à la ville, où on les conduisait au scrutin, en rang et escortés. Puis on revenait au cabaret, pour dîner ; mais on les enfermait, en cas de ballottage.

A la fin, il a déplu aux campagnards d’être ainsi tenus en laisse, ils étaient devenus la risée des habitants des villes, ils se sont refusés à cette servitude publique. Qu'a fait alors le parti catholique ? Il a donné de l'argent aux électeurs ruraux, leur disant : Vous irez manger, où vous voudrez ; et vous assurerez même, que vous votez pour les libéraux. Voilà pourquoi et comment on a substitué l'argent au dîner.

Vous dites : Si on ne donnait pas d'argent aux électeurs campagnards, ils n’iraient pas en ville, et même, M. Van Bockel, qui joue un si grand rôle dans les élections de Louvain, nous dit : Du moment que nous donnons de l'argent aux électeurs, si vous voulez leur donner une fois cinq centimes de moins qu'avant, ils n'iront plus. Cette somnolence, cette paresse de l’électeur campagnard me semble une chose toute nouvelle. J'ai connu le temps où il marchait gratis ; on lui disait seulement : Cela intéresse la foi ! et le campagnard marchait volontiers.

Maintenant, que faites-vous ? Vous dites : Voter pour les catholiques, c'est sauver la religion ; et en même temps vous dites : Si on ne donne pas d’argent au campagnard, il n'ira pas aux élections. Qu'est-ce que cela signifie ? Ou le campagnard ne croit pas à ce que vous dites, ou, y (page 417) croyant, il n'a plus la foi ; choisissez : Pas d'argent, pas d'électeurs Ce n'est pas un cri de vrai catholique, de vrai croyant. Ce n'est pas l'urne qui s'est éloignée du campagnard ; c'est sa confiance qui s'est éloignée de vous.

Messieurs, je me résume. Je dis que, pour moi, annuler l'élection de Louvain, est une nécessité ; je dis que, présenter une loi pour la répression des abus électoraux, est un devoir pour le gouvernement, et je dis enfin que si le clergé ne veut pas abandonner le terrain électoral, l'usage de son influence électorale a besoin d'être conduit avec beaucoup de modération, si on ne veut pas arriver à des résultats funestes pour le pays.,

Messieurs, si je demande l'annulation, ou si je me déclare prêt à voter l'annulation des élections de Louvain, ce n'est pas pour que tel de mes adversaires politiques ne puisse pas venir dans cette enceinte, ou que tel de mes amis puisse y venir ; je n'ai pas souci de cela, je vous en donne l'assurance ; j'ai souci qu'on ne puisse pas reprocher à notre bon régime représentatif de renfermer un germe, d'offrir une occasion de corruption. C'est le seul motif, je le dis en toute conscience, pour lequel je voterai l'annulation de l'élection de Louvain.

Pour ce qui est de ce que je crois être le devoir du gouvernement de présenter un projet de loi de réforme électorale, nous avons non seulement dans cette élection, mais dans d'autres, constaté des abus ; nous ne voulons pas dire que parce que nous trouvons l'élection de Louvain irrégulière, toutes les autres étaient régulières ; mais c'est la première plainte officielle dont nous sommes saisis, nous y faisons droit. Ce n'est pas un motif, quand nous avons connaissance d'autres griefs, de ne pas les faire cesser. C'est pourquoi je crois qu'il est du devoir du gouvernement d'examiner sérieusement cette question ; il y a les billets marqués, les billets d'un certain pliage et d'autres moyens de surveillance, exercés sur l'électeur.

Après y avoir réfléchi, je crois que le vote par ordre alphabétique, qui vous répugne tant, serait un remède non contre vous, mais contre beaucoup d'abus ; il rendrait la liberté à l'électeur, il lui permettrait d'échapper, un instant, à des influences légitimes ou illégitimes : et après avoir tout entendu, de se recueillir et de dire : Tel est mon devoir, je le remplirai.

Ce qu'il ne peut pas faire, ce devoir il le remplirait plus facilement, si on lui donnait un moment de liberté et s'il pouvait rester, ne fût-ce qu'un quart d'heure, éloigné de toute surveillance.

C'est ici, que je puis rencontrer votre fameux projet de réforme électorale : je ne lui donnerai pas de nom, vous-mêmes ne lui en donnez pas. D'abord, vous vouliez le vote à la commune ; vous en avez reconnu l'impossibilité, car souvent une commune ne présente pas de quoi former un bureau ; le vote au canton, vous y avez également renoncé, parce que souvent un canton appartient à trois arrondissements électoraux différents ; vous êtes venus à ce que nous avons appelé le vote au compas, à quelque chose d'innomé, à un à-peu-près.

On met le compas sur un clocher, ou sur une église et on prend ce qui l'environne, dans un certain rayon. Mais ce projet n'est pas formulé, nous attendrons qu'il le soit, pour en parler. Je crois que, au fond, ce n'est qu'un épouvantail.

L'honorable M. Hymans a parlé, avec beaucoup trop d'indulgence, des dîners, des frais électoraux ; moi je m'en plains beaucoup, non pour en avoir beaucoup payé, car je n'en ai payé que quand j'ai échoué : je n'en ai jamais payé quand j'ai réussi ; c'est une méthode que je recommande à mes collègues, c'est celle que je suivrai à l'avenir ; afin de réussir, je ne payerai plus jamais.

Je suis moins indulgent que M. Hymans ; il nous a rappelé les joyeuses entrées. Mais l'honorable membre a oublié une chose, c'est qu'aux joyeuses entrées, le peuple avait raison de se réjouir, car on lui faisait une concession ; tandis qu'aujourd'hui, aux élections, il n'a pas besoin de se réjouir, on ne lui fait pas une concession, il exerce un droit, il est souverain ; ii n'y a pas lieu pour lui à si grande allégresse, car ce droit lui est acquis depuis longtemps. Seulement il n'en use pas assez ; on remarque trop d'abstentions, surtout à Bruxelles qui, comme capitale, devrait donner l'exemple.

L'honorable M. Hymans, pour justifier les dépenses électorales, a cité l'Angleterre. Personne plus que moi n'admire l'Angleterre ; mais je ne veux pas tout lui prendre. Je ne veux ni de ses majorats ni de ses dépenses électorales ; je veux lui prendre ses libertés et nous en avons, beaucoup ; mais je veux lui laisser se abus ; et je dis que les dépenses électorales, telles qu'elles existent en Angleterre, constituent un des plus criants abus qu'on puisse imaginer. Je ne dis pas que nous allions jamais aussi loin ; il y a de bonnes raisons pour cela ; mais c'est pour que ces abus ne prennent pas, chez nous, de trop fortes proportions, que je suis disposé à soutenir le gouvernement, s'il présente un projet pour y remédier.

Je ne veux pas fatiguer la Chambre, mais je recommande à l'attention de M. le ministre de l'intérieur un projet qui a été adopté dans le grand-duché de Luxembourg. M. le ministre de l'intérieur le trouvera dans les journaux de novembre.

- Plusieurs membres. - Lisez-le.

M. E. Vandenpeereboom. - Je vais le lire.

« Sans préjudice aux peines plus graves prononcées par la loi générale, est puni d'une amende de 20 à 500 fr. et pourra, en outre, être privé du droit de voter et d'être éligible pendant 2 à 6 ans :

« 1° Celui qui, pour influencer les élections, répand des bruits faux dont l'effet est de faire naître la défiance et l'inquiétude dans la population ;

« 2° Celui qui aura engagé un électeur à se rendre aux élections. soit en lui donnant une indemnité quelconque, soit en lui promettant de le tenir indemne de tout ou partie de ses dépenses, ou de lui remettre une somme en argent ou toute autre valeur.

« 3° L'électeur qui aura accepté la chose promise ou offerte, dont il est fait mention dans le numéro précédent.

« 4° Celui qui aura apposé sur des bulletins des marques ou sigues destinés à faire reconnaître la personne du votant ou le vote émis ;

« 5" Celui qui aura demandé à un électeur l'exhibition de son bull tin électoral ;

« 6° Celui qui substituera frauduleusement un bulletin électoral à celui qu'un électeur lui aura exhibé. »

L'article 6 est, je pense, dans le Code pénal.

M. B. Dumortier. - Où vote-t-on dans le grand-duché ?

M. E. Vandenpeereboom. - Je n'en sais rien.

M. B. Dumortier. - Ah ! ah !

M. E. Vandenpeereboom. - J'avoue mon ignorance ; ce n'est pas un crime d'ignorer ce qui se fait dans le grand-duché de Luxembourg. Si je le savais, je vous le dirais. Demandez-le à M. Nothomb, il doit le savoir.

En troisième lieu j'ai dit qu'il était désirable que le clergé s'abstînt dans les élections, et surtout ne tînt pas la conduite qu'il a tenue, dans les élections de Louvain.

Je comprends l'influence du prêtre, mais je ne la comprends pas avec de l'argent. Je pourrais vous citer l'opinion de MM. de Decker et Dechamps. Je crois inutile de vous relire leurs paroles, vous les connaissez ; mais croyez bien que si je les invoque, c'est dans l'intérêt de ma cause et non pour m'abriter derrière eux. Je sais les injures que me vaudra ce que je vous dis ; mais il y a longtemps que j'ai appris à mesurer le bien que je peux faire à la chose publique à la hauteur de la haine et du mépris de certaine presse.

Je n'ai pas le droit d'être écouté du clergé, mais j'ai le devoir de lui dire ce que je crois être de l'intérêt du pays.

Je ne dirai pas : Arrière vos mandements électoraux ! car il y a longtemps déjà que le feu de nos discussions a fait taire ces canons de l'Eglise.

Je ne dirai pas : Arrière vos prédications politiques ! car il y a longtemps que les échos de cette tribune, - qui elle aussi peut être une chaire de vérité, - ont fait cesser presque généralement ces prêches insensés et coupables.

Mais je dirai : Vos journaux appellent la liberté de la presse et de la tribune des idoles ; un de vos partisans les plus considérables vous a dit, que les clairvoyants remarquaient que ces idoles sont chancelantes sur leurs bases. Pensez-y bien ; si, dans un jour de folie et d'ivresse, vous étiez assez forts pour renverser ces idoles, vous seriez écrasés sous leur chute ; et nous, nous serions là pour les redresser plus fortes et plus rayonnantes que jamais ; car nous ne saurions plus vivre sans le culte de ces idoles.

M. Van Overloop. - Personne n'a rien dit de semblable.

M. E. Vandenpeereboom. - On a dit qu'on les voyait chanceler. On l'a dit, au début de la discussion.

Je vous dirai ; Vous accusez les libéraux de décatholiser la Belgique ; et c'est vous qui, par vos excès, creusez un abîme entre une partie de la population et l'Eglise. Continuez encore ainsi, pendant dix ans, et il faudra remonter au XVIème siècle pour retrouver une telle situation. Et alors, vous n'aurez plus un Philippe II, pour faire rentrer, par la force, dans vos temples, ceux qui en seraient volontairement sortis ; vous n'aurez plus un duc d'Albe, pour étouffer, dans le sang, ceux qui voudraient marcher sans vous, ou contre vous.

Je vous dirai : Si vous ne voyez pas le spectacle qui se passe sous vos yeux ; si vous n'entendez pas les bruits de l'intérieur, jetez les yeux sur l'Italie : écoutez les bruits qui viennent au-delà des Alpes. Il y a huit ans que Rome est gardée par une armée étrangère ; il y a huit mois que les Romagnes se sont soustraites à l'autorité temporelle du pape.

Quoi ! eux Italiens, accoutumés à cette domination, aspirent après l'émancipation laïque ; et nous Belges, saturés de liberté, nous irions nous soumettre, sans combats, à la domination temporelle d'un évêque ? Vous n'avez pu le penser, vous n'avez pu le croire !

Et pour exprimer, d'un seul mot, ma pensée tout entière, je dirai : Prêtres, c'est votre sainte mission, sauvez la foi ! Nous, laïques, c’est notre devoir et c'est notre passion, nous garderons la liberté. (Interruption.)

- La discussion est continuée à demain.

(page 418) M. le président. - La proposition suivante vient d'être déposée :

« La Chambre, avant de passer au vote sur les conclusions de la commission, décide qu'il est urgent de réviser la loi électorale, de manière à prévenir le retour d'abus semblables à ceux qui se sont produits dans les dernières élections de l'arrondissement de Louvain.

« Elle émet le vœu qu'un projet de loi soit présenté dans ce but, et soit adopté dans le cours de la présente session.

« Eudore Pirmez, E. Laubry, J. Guillery, Louis Goblet, H. Ansiau, L. Frison, F. Crombez, Dechentinnes. »

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de cette proposition.

La séance est levée à 4 heures et trois quarts.