(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 85) (Présidence de M. Orts.)
M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Villers, médecin vétérinaire diplômé, demande des modifications à la loi du 11 juin 1850 sur l'exercice de la médecine vétérinaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Braun, cultivateur à Guelff, né à Dippach (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Clerkem, ancien sergent au 6ème régiment de ligne, demande une pension ou un emploi équivalent à la position qu'il a occupée dans l'armée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Royer de Behr, proclamé, dans la session extraordinaire, membre de la Chambre des représentants, prête serment.
M. Moreau. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de la dette publique pour l'exercice 1860.
M. Carlier. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de la justice pour l'exercice 1860.
- Ces deux rapports seront imprimés et distribués. La Chambre les met à la suite de l'ordre du jour.
M. de Paul, rapporteur. - Par pétition datée d'Anvers, le 10 mars 1859, les sieurs Straele, Sermon et autres membres d'une société dite de Vlaemsche Bond, rappelant une première pétition, en date du 1er janvier dernier, prient la Chambre de régler par une loi les questions qui se rattachent aux intérêts de la langue flamande.
La Chambre, messieurs, ayant renvoyé à M. le ministre de l'intérieur la première pétition dont s'agit, ainsi qu'un grand nombre d'autres relatives au même objet, votre commission croit devoir vous proposer le même renvoi pour celle dont vous êtes saisis en ce moment.
- Adopté.
M. de Paul, rapporteur. - Par requête, en date du 23 mars 1859, le sieur Camerlynck, cultivateur à Watou, demande que son fils Charles-Louis, milicien de la classe de 1859, soit exempté du service militaire en Belgique comme fils de parents nés en France.
Aux conseils de milice, aux députations permanentes provinciales et à la cour de cassation est réservé le droit de statuer sur toutes contestations relatives aux exemptions en matière de milice. Votre commission ne peut, messieurs, que vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. de Paul, rapporteur. - Par pétition sans date, un sieur Philippe demande que le Moniteur publie, par extraits, les décisions ministérielles nommant aux divers emplois de l'administration de l'enregistrement et des domaines et notamment aux emplois de surnuméraire et de second commis de direction.
Le pétitionnaire ne faisant connaître ni prénoms, ni profession, ni domicile, votr commission a considéré la requête dont s'agit comme un écrit anonyme ; en conséquence elle vous propose l'ordre du jour.
- Adopté.
M. de Paul, rapporteur. - Par requête datée de Bruxelles, le 24 mars 1859, le sieur Slingeneyer, imprimeur en cette ville, combattant de la révolution, demande une pension, en raison des services qu'il a rendus à la cause de l'indépendance nationale.
Le requérant s'est vainement adressé, en 1833, à la commission de secours et récompenses, et en 1856, au gouvernement, pour obtenir la croix de Fer et une pension ; il a aujourd'hui recoins à la législature. Voire commission, sans contester les services rendus par le sieur Slingeneyer, croit qu'il ne remplit pas les conditions fixées par la loi pour l'obtention de la pension accordée aux blessés de la révolution ; en conséquence, elle a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. de Paul, rapporteur. - Par pétition, en date du 24 mars 1859, le sieur Joncke, ancien militaire, domicilié à Oostacker, demande un emploi.
La collation des emplois publics appartenant exclusivement au pouvoir exécutif, votre commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. de Paul, rapporteur. - Par requête datée de Bruxelles, le 21 mars 1859, le sieur Aubert, ouvrier armorier, ancien combattant de 1830, demande un secours.
Au gouvernement seul il appartient d'apprécier le mérite de la demande du sieur Aubert ; votre commission a l'honneur de vous en proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. de Paul, rapporteur. - Par requête en date du 22 mars 1859, le sieur Outtier, cultivateur, demande que son fils Victorien soit exempté du service militaire en Belgique.
Outtier père, étant né en France, réclame, en faveur de son fils, le bénéfice de l'article 2 de la loi du 8 mai 1847. Pour que le milicien, fils de Français, puisse invoquer les dispositions de la loi de 1847, il faut nécessairement que son père ait, aux termes des lois françaises, conservé sa qualité originaire. Toute réclamation en cette matière soulève donc une question de fait qui est exclusivement de la compétence des conseils de milice et des députations permanentes provinciales ; la Chambre ne saurait en connaître sans amener une confusion de pouvoirs. En conséquence, voire commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, chaque année, à pareille époque, le gouvernement nous fait distribuer un cahier intitulé : Renseignements statistiques recueillis par le département des travaux publics. Ces renseignements sont très intéressants et fort utiles pour la discussion du budget des voies et moyens et des travaux publics.
Je prierai M. le ministre de vouloir bien nous faire distribuer, le plus tôt possible, ce document relatif à l'exercice 1858 ; ce travail, à l'heure qu'il est, doit être complètement préparé.
Je demanderai, en même temps, à M. le ministre, s'il ne pourrait pas communiquer à la Chambre une note indiquant les conventions postales qui ont été conclues avec les pays étrangers en 1857, 1858 et 1839 Cette note devrait mentionner la part, à raison d'une lettre transportée, revenant, eu moyenne, à la Belgique et celle attribuée aux pays avec lesquels on a traité.
Messieurs, je n'ai pas besoin de dire que je demande ces renseignements, afin de faciliter l'examen de la question postale, pour le cas où nous jugerions utile, d'honorables amis et moi, de la soulever de nouveau, à l'occasion de la discussion du budget des voies et moyens.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je ne sais pas bien de quels renseignements statistiques l'honorable M. Vandenpeereboom entend parler ; si c'est du compte-rendu du chemin de fer, il est à l'impression. Je tiens essentiellement à ce qu'il soit distribué à la Chambre avant la discussion de mon budget ; il le sera à la fin de cette semaine ou au commencement de la semaine prochaine. Quant aux conventions postales dont parle l'honorable membre, je transmettrai à la Chambre tous les renseignements qu'elle pourra désirer.
M. Tack. - Je ne crois pas que l'honorable M. Vandenpeereboom ait voulu faire allusion au compte rendu des opérations du chemin de fer dont vient de parler l'honorable ministre des travaux publics mais bien à un autre document intitulé : Renseignements statistiques recueillis par le département des travaux publics ; je voudrais que l'honorable ministre nous dise si cette dernière pièce pourra nous être distribuée en temps utile, ainsi que cela s'est pratiqué précédemment.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est à cela que je faisais allusion quand je demandais à l’honorable membre de quels renseignements il entendait parler. Il y a au département des travaux publics deux catégories de documents, te compte rendu des opérations du chemin de fer, celui-ci sera distribué au premier jour ; il y a d'autres documents fournis par le département ; dans le temps ils étaient imprimés à part par chaque département, mais on a pensé que par mesure d'économie il valait mieux restreindre la publication aux renseignements les plus intéressants et les réunir dans un travail général de statistique publié par le département de l'intérieur. Je ne saurais dire si ce travail est prêt, puisqu'il ne se réfère pas exclusivement à mon département.
M. A. Vandenpeereboom. - Les renseignements que j'ai demandés sont ceux qui ont été fournis chaque année par l’honorable prédécesseur de M. le ministre, vers la fin de novembre, avant la discussion du budget des voies et moyens et du budget des travaux publics, lis sont intitulés : Renseignements statistiques recueillis par le département des travaux publics.
Si ce document ne se publie plus, je demanderai à M. le ministre de vouloir bien faire un travail analogue à celui qui se faisait antérieurement, en ce qui concerne les postes et télégraphes.
(page 86) Je voudrais aussi connaître le produit de la poste pendant les dix premiers mois de 1859. Ce que je demande ce sont les renseignements qu'on fournit ordinairement et qui sont nécessaires pour la discussion de la question de la taxe des lettres.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Il sera fait droit à la demande de l'honorable membre dans la mesure du possible.
M. de Renesse. - Il y a un autre document dont il est nécessaire que nous prenions connaissance avant de discuter le budget des voies et moyens, c'est la situation du trésor que M. le ministre des finances nous remet chaque année
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce document est sous presse ; il sera distribué incessamment.
M. le président. - Nous reprenons notre ordre du jour qui appelle le rapport des pétitions.
M. Goblet, rapporteur. - Par pétition datée de Liège, le 9 juillet 1859, un grand nombre d'habitants du quartier Nord de Liège demandent que le gouvernement retire l'arrêté du 21 mars 1859, qu'il a pris en faveur de l'usine à zinc de St-Léonard.
M. le président. - C'est un rapport qui a été mis à l'ordre du jour de la séance de demain.
M. de Renesse. - Puisque le rapport est prêt, on peut l'entendre aujourd'hui.
M. le président. - Il peut se faire que des membres qui comptent prendre la parole à propos de cette pétition ne se soient pas rendus à la séance d'aujourd'hui, pensant que le rapport ne sera présenté que demain.
(page 93) M. Vander Donckt. - Tous les honorables membres ont compris que les prompts rapports seraient présentés aujourd'hui même avant les rapports ordinaires ; nous nous sommes en conséquence préparés pour présenter les conclusions de la commission sur les prompts rapports.
J'aime à croire que la Chambre adoptera ma proposition pour utiliser le temps pendant la séance d'aujourd'hui et je vous demande s'il ne serait pas bon d'utiliser les moments et de présenter aujourd'hui les prompts rapports.
M. le président. Je ferai remarquer que si l'on fait aujourd'hui les prompts rapports, nous n'aurons rien à l'ordre du jour de demain.
- Plusieurs membres. - Dans ce cas, nous n'aurons pas séance.
M. le président. - Si l'on n'a pas séance demain, on ne pourra déposer les rapports des sections centrales. Or, on déposera probablement demain des rapports sur des budgets et peut-être le rapport de la commission d'enquête.
Il est donc nécessaire d'avoir séance demain.
M. Vander Donckt. - Si les honorables rapporteurs voulaient déposer les rapports aujourd'hui, on pourrait se dispenser d'avoir une séance pour cette simple formalité.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qu'on autorise les sections centrales à faire imprimer leurs rapports sans la formalité du dépôt.
M. le président. - Le moyen que propose M. Vander Donckt n'est pas praticable. Le dépôt des rapports dans cette séance ne peut avoir lieu parce que ces rapports n'ont pas été approuvés par les sections centrales.
Mais ou pourrait admettre le moyen indiqué par M. le ministre des finances et autoriser les sections centrales à faire imprimer leurs rapports sans qu'ils aient été déposés (Oui ! oui !)
S'il n'y a pas d'opposition, il en sera ainsi.
M. Allard. - Il paraît décidé qu'il n'y aura pas séance demain. Quand aura lieu la prochaine séance ?
- Plusieurs membres. - Mardi.
M. le président. - La prochaine séance aura lieu mardi, et nous aurons à l'ordre du jour le budget de la justice, le budget de la dette publique et peut-être le budget des affaires étrangères et celui des travaux publics.
M. Goblet, rapporteur. - Messieurs, en date du 9 juillet 1859, la pétition d'un grand nombre d'habitants du quartier du nord de la ville de Liège est parvenue à la Chambre des représentants. Cette pétition concerne l'établissement de la Vieille Montagne et soulève plusieurs questions d'une haute gravité.
La commission des pétitions a jugé qu'il importait d'examiner ces questions d'une manière aussi complète que possible, tant sous le rapport du bien-fondé des réclamations que sous le rapport, plus élevé et plus général, de la légalité des mesures de l'administration supérieure vis-à-vis cet établissement insalubre.
Ce n'est pas la première fois que la Chambre est saisie de ce débat ; en 1855, douze cents pétitionnaires de la ville de Liège le portèrent devant elle et il occupa plusieurs séances.
La Chambre ajourna sa décision en présence de la déclaration du ministre, que la loi et les droits de tous indistinctement seraient sauvegardés.
Il fut établi, à cette époque, par l'honorable M. Delfosse, que depuis 1820, l'existence de la Vieille-Montagne était entachée d'irrégularités radicales.
Malgré les réclamations incessantes des habitants, réclamations qui remontent à 1826, ce ne fut qu'à la suite de cette discussion que l'administration tenta de régulariser cette situation.
Le gouvernement chercha les moyens de concilier les diverses exigences de l'industrie avec le respect que la loi accorda à la propriété et avec la protection que toute société doit à la santé publique. Préoccupé de la bonne foi des usiniers et de la gravité des intérêts engagés, il se trouvait, il faut l'avouer, devant une situation difficile ; l'arrêté royal du 12 novembre 1849 à la main, l'autorité résolut néanmoins de sortir d'indécision. Nul ne pouvait nier que la Vieille-Montagne ne fût dangereuse, nuisible et incommode pour les populations. Les commissions hygiéniques, nommées par le gouvernement, ne laissèrent aucun doute sur l'urgente nécessité de modifier entièrement l'état de choses existant.
Après avoir fait une enquête selon les prescriptions légales, après avoir consulté la députation permanente et le conseil communal, le gouvernement prit l'arrêté du 31 mars 1856. Cet arrêté, quoique astreignant l'usine de la Vieille-Montagne à certains sacrifices et à certaine surveillance, était ou ne peut plus favorable à l'établissement qu'il s'agissait de faire entrer dans le droit commun. Aussi le conseil communal de Liège, tout favorable qu'il était au maintien de la Vieille-Montagne, ne put, en approuvant l'arrêté, s'empêcher d'exprimer, par l'organe de son bourgmestre, le regret de voir une latitude aussi grande laissée à la société.
Tout semblait terminé, et la solution de cette affaire si grave et si épineuse était atteinte sinon d’une façon complètement satisfaisante, du moins d'une manière à peu près régulière, lorsque intervint un fait insolite.
La Vieille-Montagne, mécontente de la position qui lui était faite par l'arrêté du 31 mars 18560, refusa de s'y soumettre. Regrettant une liberté dont elle abusait, elle oubliait, qu'à part l’irrégularité de sa position intérieure, elle se trouvait, en tous cas, sous l'application d'une disposition stricte de la loi, qui exige pour l'établissement dont le privilège a 30 ans d'existence, l'obtention d'une autorisation nouvelle.
Le président du conseil d'administration de la société fit officiellement part au gouvernement de la résolution où était cette dernière de renoncer tout à fait au bénéfice de l'octroi du 31 mars 1856.
Il n'appartient pas à la commission des pétitions de rechercher les motifs qui inspirèrent, en cette circonstance, la société de la Vieille-Montagne. Elle tient seulement à constater que, par un refus officiel, l'usine anéantissait, de son propre mouvement, ses droits acquis et qu'elle permettait au gouvernement de lui imposer librement des conditions strictes, s'il entrait dans les vues ultérieures de ses propriétaires de solliciter un nouvel octroi.
La résolution de la Vieille Montagne fut, à son tour, notifiée par l'autorité aux intéressés, pour qu'ils eussent à cesser leurs réclamations, désormais sans but.
Dans l'intérêt des ouvriers il avait été accordé, sur sa demande, à la société, un délai d'une année pour éteindre les fours, cesser la fabrication et licencier son personnel.
Peu de temps avant l'expiration de ce sursis, la Vieille-Montagne, revenant sur des faits désormais résolus pour tous, adressa au gouvernement une requête qui tendait au maintien de l'établissement. La conduite de l'autorité supérieure était dès lors, selon la commission des pétitions, bien facile à déterminer ; il fallait procéder aux formalités inhérentes à l'obtention de toute autorisation nouvelle. L'administration ne le pensa pas ainsi, et l'arrêté du 20 mai 1857 vint malheureusement compliquer la question.
Le gouvernement était maître d'agir sans préoccupation d'aucune espèce, il n'avait pas d'engagements et l'on repoussait ses faveurs d'une façon tant soit peu hostile. Dans cette situation, devait-il, au mépris du texte et de l'esprit de la loi, accorder de nouveaux privilèges à l'établissement de la Vieille-Montagne ?
Les considérants de l'arrêté du 20 mai 1857, à part la question de légalité, que soulèvent les pétitionnaires, ont profondément surpris les membres de la commission.
Il y est invoqué une requête de la Vieille-Montagne, une pétition de certains habitants de Liège ainsi qui des décisions du conseil communal de cette ville et des dépêches du gouverneur et de l'inspecteur général des mines de la province.
L'usine de la Vieille-Montagne demandait une latitude plus grande encore que celle octroyée par l'arrêté de 1856. En avait-elle le droit ? Pourquoi avait-elle attendu si longtemps avant de le faire, alors qu'un délai tout de tolérance et accordé da s un but tout accessoire était à la veille de finir ?
La pétition des habitants de Liége sur laquelle on s'appuyait, quelle valeur avait-elle, en présence d'autres pétitions tout aussi nombreuses, tout aussi sérieuses en sens contraire ?
Enfin les décisions du conseil communal citées sous la date des mois d'août et de novembre ne sont que le rappel d'une décision prise en faveur de la Vieille-Montagne à une époque antérieure.
Ces décisions du conseil communal sont d'ailleurs peu conformes à la déclaration de la députation permanente, qui blâma en termes aussi énergiques que concluants les dispositifs de l'arrêté du 20 mai 1857.
S'en référant à son avis du 15 mars 1854, la députation permanente exprima le regret, que, contrairement aux convenances et aux règles administratives, ni le conseil communal, ni elle-même n'avaient été préalablement consultes sur la question du retrait de l'arrêté royal du 31 mars 1856 et que celui du 20 mai laissait à la société de la Vieille-Montagne la faculté discrétionnaire d’apporter ou de ne pas apporter d'améliorations à l’usine de St-Léonard jusqu'au 31 mars 1859, sans aucun contrôle des agents du gouvernement et des autorités constituées par la loi pour exercer une surveillance sur les établissements réputés incommodes et insalubres.
L'arrêté du 31 mars 1856 porte, article 3, paragraphe premier : La présente permission est (page 87) accordée aux conditions suivantes. (Suit la nomenclature des travaux à exécuter.)
§ 2. Tous ces travaux seront commencés immédiatement et poursuivis avec activité ; ils seront terminés en un an, pour une moitié des fours à réduction et à deux ans pour la totalité.
§ 12. En cas d'inexécution de l'une ou de l'autre de ces conditions, la présente autorisation pourra être révoquée.
Les termes de la loi sont précis et clairs ; l'autorisation donnée à la société de la Vieille-Montagne en 1856 était évidemment temporaire, et l'application de l’article 9 de la loi du 12 novembre 1849 était par suite de toute nécessité dans l'occurrence.
« En cas d'autorisation temporaire, dit cet article, il faut procéder à une nouvelle enquête de commodo et incommodo, pour pouvoir accorder une autorisation nouvelle, soit temporaire, soit définitive.
L'arrêté du 20 mai 1857 est une nouvelle autorisation, puisqu’au lieu d'un délai d'un an accordé par l'article 3, paragraphe 2 de l'arrêté du 31 mars 1856, il en constitue un autre de deux années, qui expirait seulement au mois de mars 1859, c'est-à-dire trois ans après.
A part ces reproches si graves que l'on peut adresser à l'arrêté royal de 1857, il soulevé encore une autre question tout aussi peu conforme aux véritables principes en matière d'octrois et de contrats.
L'arrêté du 20 mai 1857 admettait en effet que celui du 31 mars 1856 était demeuré debout, alors qu'il n'existait plus ni en fait, ni en droit.
Il aurait fallu, évidemment, pour que l'octroi du 31 mars 1856 conservât encore quelque valeur, que la société de la Vieille-Montagne n'eût pas posé d'acte de renonciation formelle.
L'article 13 de l'arrêté royal de 1849 donne en effet à l'usinier le droit de chômer pendant deux années consécutives, avant d'être dans la nécessité de solliciter une autorisation nouvelle et de se soumettre à toutes les formalités légales.
Les motifs de cette disposition sont tout à fait contraires à l'hypothèse d'une renonciation formelle.
Dans son remarquable traité théorique et pratique de la police des établissements insalubres, nuisibles et incommodes, M. Jules Vilain, chef de bureau au ministère de l'intérieur, l'établit clairement.
« Un point, nous dit cet auteur, sur lequel l'arrêté royal de 1849 est resté muet, c'est celui de la cessation des travaux, en d'autres termes la suppression de l'établissement par les propriétaires.
« La question n'est pas sans présenter quelques difficultés de solution, ajoute-t-il ; on peut prétendre que par cela même que le mobilier industriel a été enlevé, il y a suppression de l'établissement et par conséquent renonciation, de la part du propriétaire, au bénéfice de l'autorisation qui lui aura été octroyée. »
Ainsi donc le seul motif que M. Vilain trouve pour maintenir l'usinier dans ses droits, c'est que l'on ne peut a priori supposer la renonciation. Admettant même l'hypothèse que des tiers abusés de visu sur l'état des choses viendraient de bonne foi s'établir dans le voisinage de l'usine, il conclut en faveur de l'usinier, parce que l'on n'a pas le droit d'interpréter sa pensée, alors que la loi lui accorde un délai de deux ans.
Il est inutile d'insister sur ces considérations ; elles condamnent, sans qu'il soit possible d'émettre de doute, la société qui a posé un acte de renonciation formelle à l'octroi obtenu.
Les réclamations contre l'existence de la société de la Vieille-Montagne et contre les inconvénients des émanations qu'elle laissait échapper, continuèrent avec d'autant plus d'énergie, qu'il était constaté qu’elles avaient plus de fondement.
Le conseil communal de Liége lui-même, dans sa séance du 2 juillet 1859, protesta à l'unanimité contre une situation aussi peu conforme à la loi qu'aux intérêts de ses administrés et demanda la fermeture de la Vieille-Montagne.
Le délai accordé par l'arrêté, du 20 mai 1857 devait expirer peu après ; il fut facile à l'administration d'invoquer ce motif pour engager les réclamants à prendre patience quelque temps encore.
L'arrêté du 31 mars 1859, qui accorde de nouveau, sur sa demande, à la Vieille-Montagne un troisième délai, vint tromper, une fois encore, les prévisions légitimes des pétitionnaires et donner la preuve que l’administration supérieure persistait, dans le présent comme dans le passé, à se placer au-dessus de toute espèce de règle.
Plus que jamais l’arrêté du 31 mars 1859 était pris en opposition flagrante avec l’article 9 de l’arrêté royal de 1849. C’était bien ici le cas de l’autorisation temporaire arrivée à son terme ; il fallait une enquête de commodo et incommodo pour accorder une autorisation temporaire nouvelle.
En prenant l'arrêté du 20 mai 1857, le gouvernement avait du moins cherché à sauvegarder les apparences dans une certaine mesure ; à la date de 1859, le conseil communal n'est pas même consulté.
La commission des pétitions proteste avec force contre une ligne de conduite tout à fait en dehors des prescriptions qui régissent la matière.
Personne ne doit admettre que la loi puisse être violée impunément en Belgique.
Si le pouvoir veut qu'on le respecte dans ses décisions, s'il vent maintenir intacte sa dignité, il ne peut pas oublier que l'observation sincère de la loi est aussi bien le premier devoir de l'autorité que celui du citoyen le plus humble.
La constitution politique de notre pays a pour base fondamentale un système communal et un système provincial parfaitement établis ; est-il prudent de méconnaître, en quelque circonstance que ce soit, l'importance de ce mécanisme précieux qui protège et conserve nos libertés ?
Ce n'est certes pas en repoussant les avis et la lumière que l'autorité supérieure imposera ses volontés. Le pouvoir ne sera jamais un pouvoir fort chez un peuple libre, si ce n'est par l'opinion publique, et dans les petites comme dans les grandes choses, cette dernière ne veut pas qu'on se borne à lui dire, sans l'écouter, qu'elle a tort, mais elle tient encore à ce qu'on le lui prouve.
Il est à regretter aussi que dans ces deux circonstances, en mai 1857 et en mars 1859, l'administration supérieure, non contente de commettre des illégalités, semble avoir cherché à faire croire aux intéressés qui réclamaient, que ses intentions futures étaient à l'abri de tout soupçon. Cette manière d'agir ne pouvait avoir qu'un résultat fâcheux, celui d'aigrir tes passions et d'anéantir la confiance dans la loyauté du pouvoir.
La législation des établissements insalubres, nuisibles et incommodes en Belgique est principalement fondée sur le décret du 15 octobre 1810. Ce décret régularisa et compléta les dispositions qui régissaient la matière, en introduisant dans la loi des changements importants.
« S'il est juste, dit le ministre de l'empereur Napoléon Ier dans sa lettre à l'Institut, que chacun puisse exploiter librement son industrie, le gouvernement ne saurait d'un autre côté voir avec indifférence que pour l'avantage d'un individu, tout un quartier respire un air infect ou qu'un particulier éprouve des dommages dans sa propriété. En admettant que la plupart des manufactures dont on se plaint n'occasionnent pas d'exhalaisons contraires à la salubrité publique, on ne niera pas non plus que ces exhalaisons puissent être désagréables et que, par cela même, elles ne portent pas préjudice réel aux propriétaires des maisons voisines.
« Comme la sollicitude du gouvernement embrasse toutes les classes de la société, il est de sa justice que les intérêts des propriétaires ne soient pas perdus de vue, pas plus que ceux des manufacturiers.
« Il paraîtra d'après cela, convenable d'arrêter en principe que les établissements qui répandent une odeur forte et gênant la respiration ne soient dorénavant formés que dans des localités isolées. »
Cette volonté si manifeste de protéger la santé publique et de défendre la propriété contre les dangers et les inconvénients de certaines industries est presque toute l'économie pratique du décret de 1810.
En présence de cette préoccupation, le gouvernement impérial, qui, comme tout pouvoir absolu, ne reconnaissait rien de plus sûr que lui-même et qui ne voyait nulle part, dans l'ordre social qu'il dirigeait, autant de garantie que dans sa toute-puissance, crut bien faire en mettant l'hygiène publique sous sa protection immédiate.
Mais le décret de 1810, tout en consacrant un principe despotique, a pris soin d'entourer la création d'un établissement insalubre de formalités strictes et nombreuses, et l'autorisation des établissements de première classe ne pouvait émaner que d'une ordonnance impériale, délibérée en conseil d'Etat.
Les lois et arrêtés des 14-22 septembre 1789, des 16-24 août 1793 et des 19-22 juillet 1791 furent abolis.
Un arrêté en date du 2i janvier 1824 pris par le roi Guillaume modifia de nouveau la matière ; tout en rapportant certaines dispositions réglementaires du décret de 1810, le gouvernement hollandais en conserva intact le principe fondamental, savoir l'attribution faite à l'administration supérieure seule de régler, dans l'intérêt de la santé publique, la police des établissements dangereux au premier chef.
Le gouvernement belge, préoccupé des lacunes que laissaient subsister dans la législation des établissements insalubres les décrets de 1810 et l'arrêté royal de 1824, et voulant rendre aux corps constitués, tels que les conseils communaux et les conseils provinciaux, la véritable part d'influence qui leur revient de droit dans notre état politique, soumit à la signature du Roi, l'arrêté du mois de novembre 1849.
Les modifications qu'apportait l'arrêté de 1849 à la législation existante paraissaient, en outre, nécessaires tant dans l'intérêt des fabricants, que dans celui des personnes qui pouvaient avoir à souffrir du voisinage de certaines exploitations. Il importait aussi d'établir légalement l'entremise tutélaire du gouvernement en faveur des ouvriers attachés aux établissements industriels, et, l'obligation si sage et si juste de protéger la classe laborieuse fut inscrite dans la loi.
La légalité du décret de 1810, ainsi que la parfaite constitutionnalité de l'arrêté de 1849 ont été mises en doute ; mais les décisions des tribunaux et les opinions des meilleurs auteurs sont d'accord pour en maintenir intacte toute la valeur légale. Le décret de 1810 a, par suite de l'acquiescement tacite du Sénat conservateur, acquis force de loi, et les arrêtés de 1824 et de 1849 ont été pris en exécution de cette disposition législative aux termes de la constitution du 22 frimaire an VIII.
A la suite de l'arrêté de 1849, les divers ministres de l'intérieur qui se succédèrent au pouvoir, crurent utile d'adresser à leurs agents et aux corps constitués que la chose concernait, de fréquentes circulaires. Le mode des enquêtes de commodo et incommodo fut surtout l'objet de leur attention ; à diverses reprises ils témoignèrent la volonté (page 88) sérieuse de sauvegarder par toutes les précautions possibles la santé et l'hygiène publiques.
En présence de la position spéciale de l'administration supérieure vis-à-vis des établissements insalubres de première classe, position sortant du droit commun et en opposition avec tous les autres principes qui nous gouvernent, la commission des pétitions a cru nécessaire cet exposé succinct de la législation. Il était utile pour bien apprécier les devoirs de l'autorité de faire ressortir, en regard de ses droits, les obligations qui lui incombent.
S'il a paru juste et pratique au législateur, que le gouvernement une fois arrivé à la connaissance d'une situation vraie, puisse prendre une décision tous sa seule responsabilité, il est évident aussi qu'il a voulu que l'administration ne sortît jamais des limites fixées par la loi a ses pouvoirs exceptionnels. Les prescriptions légales qui lui sont imposées comme celles dont elle n'est pas affranchie sont d'autant plus d’observation stricte pour elle, qu'elle a, en matière d'établissements insalubres, des privilèges exorbitants.
La commission des pétitions ne peut s'empêcher de reconnaître que les réclamations des pétitionnaires sont fondées, alors qu'ils s'élèvent contre les illégalités des arrêtés de 1857 et de 1859. Que s'il n'y a pas lieu d'admettre entièrement leurs objections touchant celui de 1856, il n'en est pas moins prouvé que cet arrêté n'existe plus et qu'il ne peut, en quoi que ce soit, être pris en considération dans l'arrêté qui doit intervenir.
Au 1er décembre prochain le dernier délai accordé à la Veille-Montagne par l'arrêté du 31 mars 1859 expire définitivement ; il importe donc de s'occuper immédiatement de savoir s'il y a lieu de maintenir cet établissement en l'obligeant à se conformer aux prescriptions de la loi, ou bien si, cessant d'user d'une tolérance extrême, il faut en exiger la fermeture.
En mars 1859, les essais tentés pour améliorer une situation, déclarée intolérable en 1856, n'avaient pas abouti.
Le système Beaufumé, après avoir fait espérer des résultats satisfaisants, a été reconnu impuissant.
Le 13 octobre dernier, de nouveaux moyens ont été mis en œuvre et l'avis de l'inspecteur général des mines laisse entrevoir une réussite meilleure.
Il faut toutefois, d'après ce fonctionnaire lui-même, attendre que ce système ait opéré quelque temps, pour que l'on puisse en apprécier toute l’efficacité.
M. le ministre des travaux publics vient de nommer une commission destinée à constater officiellement les résultats obtenus par le système que la société a inauguré depuis quelques semaines. Cet acte de l’administration peut-il nous faire espérer qu'elle a pris la résolution de sortir de la voie regrettable où elle est engagée ? La commission des pétitions aime à le croire. L'autorité supérieure doit être bien convaincue que couvrir une illégalité par une illégalité nouvelle ne remédie à rien.
Qu'il soit bien démontré que les exhalaisons de l'usine de la Vieille-Montagne ne peuvent plus nuire aux propriétés du voisinage, que ces émanations fatales à l'hygiène des populations soient rendues complètement inoffensives, et l’opinion publique trouvera des motifs pour cesser des réclamations, justes et fondées aujourd'hui. Qu'il soit prouvé également que la santé des ouvriers est sauvegardée en même temps d'influences désastreuses pour leurs forces et leurs existences, et nul n'élèvera désormais la voix pour réclamer la suppression d'un établissement dont la prospérité a son utilité incontestable.
Sera-t-il possible de retenir dans l'usine une aussi grande quantité de principes pernicieux, que celle qu'absorbait jusqu'ici l'atmosphère, sans mettre la vie des ouvriers en péril ? Cette question est grave et en appelant l'attention du gouvernement sur ce point, la commission des pétitions obéit à une préoccupation sérieuse.
Il convient donc que l'application sincère de la loi soit assurée dans l'avenir ; l'industrie y gagnera d'être à l'abri de tout reproche et l'administration ne se verra plus en butte à des accusations de favoritisme et d’abus de pouvoir.
Quelle que soit la décision qui interviendra, cette décision de l'autorité supérieure devra avoir pour base première une enquête de commodo et incommodo nouvelle, aussi complète et aussi étendue que possible.
Il est de toute nécessité que les prescriptions du décret de 1810 et de l'arrêté royal de 1849 soient strictement observées et qu'une solution prompte, régulière et légale intervienne dans les questions soulevées par l'existence de la Vieille-Montagne.
Insistant sur ces considérations, dont l'importance lui est démontrée, la commission des pétitions conclut au renvoi de la pétition à MM. les ministres des travaux publics et de l'intérieur.
M. de Renesse. - L'importance que votre commission des pétitions a attachée, en examinant à fond la juste réclamation d'un grand nombre d'habitants du quartier du nord de la ville de Liège, contre l'usine de la Vieille-Montagne du faubourg Saint-Léonard, m'engage à proposer à la Chambre de ne prendre une résolution sur cette pétition qu'après l'impression dans les Annales parlementaires, du volumineux rapport fait par l'honorable comté Goblet ; la Chambre pourra, alors, mieux apprécier le fondement de cette réclamation, datée du 3 juillet de cette année, sur laquelle, j'avais demandé un prompt rapport, empêché jusqu'ici par différentes circonstances indépendantes de la volonté de la commission des pétitions.
J'ai donc l’honneur de proposer à la Chambre de mettre la discussion sur ce rapport à son ordre de jour, après la discussion des budgets dont les rapports sont présentés, et sur l'enquête parlementaire relative aux élections de Louvain.
- La proposition de M. de Renesse est adoptée.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Dinant, le 5 août 1859, des bateliers dans l’arrondissement de Dinant demandent une modification à l'article 35 de l'arrêté royal du 5 novembre 1841, concernant la police et la navigation de la Meuse.
Cet article 35 est ainsi conçu :
« Tous les bateaux et trains iront de file dans les chenaux en suivant l'ordre de leur arrivée, sauf les exceptions ci-après. »
Or les pétitionnaires disent que cela est non seulement très dangereux, mais même impossible ; que jamais, depuis 1841, les prescriptions de cet arrêté n'ont été exécutées.
De temps à autre, on a dressé des procès-verbaux contre les bateliers délinquants, et ils se sont exécutés ; ils ont payé l'amende à laquelle ils étaient condamnés ; mais ils prétendent qu'il est physiquement impossible, sans s'exposer aux plus grands dangers, que les bateaux passent à la file dans les chenaux.
Votre commission n'a pas les éléments nécessaires d'appréciation, elle n'a pas non plus les connaissances nécessaires pour juger de l'exactitude des faits que l'on signale. Elfe se borne donc à vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
M. Thibaut. - J'appuie le renvoi à M. le ministre des travaux publics, et je me permettrai de prier l'honorable ministre de s'occuper le plus tôt possible de la question soulevée par les bateliers de la Meuse.
J'ai lu la pétition lorsqu'elle est arrivée à la Chambre ; elle explique les inconvénients et les dangers auxquels le batelage est exposé par les exigences de l'arrêté royal du 3 novembre 1841, j'espère que le gouvernement se montrera disposé à modifier ledit arrêté.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. le président. - La parole est continuée à M. Vander Donckt.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition en date du 27 septembre 1859, la dame veuve Van Haelen demande la révision de la loi du ler juillet 1858, sur l'assainissement des quartiers populeux insalubres.
Même demande du sieur Mareska et d'autres propriétaires d'immeubles situés à Saint-Josse-ten-Noode.
Les pétitionnaires demandent la révision et l'interprétation de l'esprit de la loi du 1er juillet 1858, dans laquelle il existerait des lacunes à combler, à l'effet, dans l'intérêt général, d'en prévenir la fausse application à des quartiers salubres.
A l'appui de leurs demandes, les requérants font valoir :
1° Que la loi du 1er juillet 1858, décrétée dans un intérêt de morale et d'hygiène publique est une loi exceptionnelle, ayant pour but, notamment dans les grandes villes, l'assainissement des quartiers populeux, insalubres, occupés par la classe ouvrière, manquant d'air, d'espace et de lumière ; que l'esprit de cette loi ne peut être étendu, mais doit, au contraire, être restreint aux cas spéciaux pour lesquels cette loi a été décrétée, que ce serait en abuser que de l'appliquer pour cause d'utilité et d'embellissement, sous prétexte d'assainissement, à des localités consistant en jardins potagers, jardins anglais et autres très salubres, situés non en ville, mais au faubourg, à la campagne, pour ainsi dire, où il n'y a ni impasses, ni agglomérations de maisons insalubres occupées par la classe ouvrière ;
2° Qu'appliquer cette loi, comme vient de le proposer la commune de Saint-Josse-ten-Noode pour le prolongement de la rue Marie-Thérèse, en cherchant à exproprier par zones, des propriétés très salubres, qui ne peuvent tomber que sous l'application des lois générales du 3 mars 1810 et du 17 avril 1835, pour utilité publique, c'est donner à l’esprit de cette loi, une élasticité outrée, abusive, dans un intérêt de pure spéculation, pour s'assurer des bénéfices considérables de revente de terrains par zones et parer ainsi non seulement à l'insuffisance des ressources communales, mais à réaliser en outre un lucre illicite et usuraire.
3° Que, pour motiver sa demande en expropriation en vertu de la loi du 1er juillet 1858, la commune de Saint-Josse-ten-Noode qualifie injustement d'insalubres, une partie de jardin potager dépendant de la ferme Moeremans et la ferme Mareska, situés non sur le tracé de la nouvelle rue projetée, mais dans les environs et atteints par voie de zones seulement.
Que cette partie de jardin potager et cette ferme ne sont pas plus insalubres que les fermes, les laiteries et les écuries à vaches dans Bruxelles, que les hommes de l'art emploient quelquefois comme remède souverain de certaines maladies.
4° Que les zones devant couvrir l'insalubrité, dans l'intérêt de la santé publique, c'est poser un acte arbitraire, illégal et inconstitutionnel, d'appliquer la loi du 1er juillet 1858 à des quartiers salubres, en (page 89) prenant par zones, tout à l'un, ce qu'il a de mieux à l'autre et rien à quelques favorisés.
Que ce genre d'emprises par zones inégales de profondeur, est tout à fait arbitraire.
5° Les pétitionnaires ajoutent que cette loi exceptionnelle, qui place les citoyens dans l’alternative, ou de se voir ravir leurs propriétés salubres à des conditions spéciales en dehors de tout droit commun pour en faire l'objet de spéculations ; ou bien de se voir forcés à se faire entrepreneurs de travaux publics dans un long parcours, exigeant de grandes ressources pécuniaires, des connaissances spéciales et comportant quelquefois de grandes et sérieuses difficultés ; que cette loi, disent-ils, au lieu d'être appliquée largement par l'autorité supérieure, doit, au contraire, être appliquée avec la plus grande circonspection, pour en prévenir les abus graves, pouvant donner lieu à des spoliations injustes.
6° Enfin, que la plupart des riverains à la rue projetée, pour faciliter la communication nouvelle, ont offert de céder gratuitement le terrain nécessaire à la rue, sans emprise ultérieure par zones.
Que la commune trouvant un accroissement de revenus dans les bâtisses des nouveaux quartiers, il est juste qu'elles contribuent également dans les fois de la nouvelle rue à ouvrir.
7° Les pétitionnaires résument comme suit les lacunes à combler dans cette loi, pour en faciliter l'application dans l'intérêt général.
a. La commission, nommée en exécution de l'article 2 de la loi, devrait être composée de membres étrangers, à l'abri des influences de la localité, n'être point propriétaires ni avoir des parents propriétaires d'immeubles situés dans les environs de la rue projetée, pour ne pas être juge et partie dans leur propre cause.
b. Avant de procéder à la visite des lieux, les membres.de cette commission devraient prêter serment.
c. La visite des lieux devrait se faire contradictoirement en présence du bourgmestre ou échevin de la commune et en présence des propriétaires intéressés dûment appelés.
d. La commission, au lieu de donner son avis avant l'enquête, ne devrait donner son avis qu'après l'enquête, c'est-à-dire après avoir entendu les intéressés dans leurs observations respectives.
e. L'avis de la commission devrait être clair et précis, indiquer nominativement les propriétés insalubres, pouvant donner lieu à un assainissement par l'application de zones sur les parties insalubres.
f. Les propriétaires lésés devraient avoir le droit, dans un délai déterminé, de faire nommer une nouvelle commission.
g. Les tribunaux devraient être compétents pour apprécier et statuer, sur les questions de salubrité ou d'insalubrité, en cas de contestations.
h. Pour arriver à l'enquête, les communes devraient au préalable observer les formalités prescrites par l'article 5 de la loi du 10 avril 1841 qui exige l'avertissement par lettre pour les personnes de la commune et par lettre chargée pour les personnes étrangères à la commune.
Les pétitionnaires disent que, de la manière dont la commune de Saint Josse-ten-Noode a rempli ces formalités, par une simple affiche à quelques coins de rue de la commune, sans avertissement par lettre, les propriétaires étrangers à la commune et à la province pourraient se trouver expropriés, à leur insu, sans avoir été prévenus ni entendus.
i. Les communes devraient être tenues de mettre à la disposition des propriétaires, qui voudraient faire usage de l'article 6 de la loi :
1° Le tableau d'évaluation des emprises pour la rue et pour les zones, dressé par le commissaire voyer.
2° Le plan des nouvelles constructions salubres projetées.
Votre commission, messieurs, après mûr examen, a d'abord examiné la question de savoir s'il ne serait pas utile, dans l'intérêt général, d'interpréter sagement et de combler les lacunes signalées par les pétitionnaires dans la loi du 1er juillet 1858.
Elle s'est prononcée pour l'affirmative.
Une circonstance importante l'a frappée d'abord.
C'est qu'une première commission nommée en vertu de l'article de la loi, paraissant n'avoir pas été assez éclairée, a émis un avis favorable sur la demande en expropriation d la commune.
Plus tard, à la suite des instances et des réclamations des propriétaires intéressés, une nouvelle commission a été nommée par l'autorité supérieure, sur le rapport de laquelle la députation permanente du conseil provincial du Brabant vient d'émettre un avis négatif, en déclarant la loi du 1er juillet 1858 non applicable à l'espèce.
Celte circonstance milite évidemment en faveur d'une interprétation, que les réclamants sollicitent.
Votre commission a cru que dans l'intérêt général de la propriété, d’une part, et des intérêts communaux d'autre part, il importait de concilier ces deux intérêts, afin que certaines administrations communales ne puissent spéculer et réaliser des bénéfices illicites sur la plus-value des zones, au détriment des propriétaires limitrophes à la rue ; et afin que le mauvais vouloir de quelques propriétaires ne puisse entraver l'exécution de certains travaux d'assainissement réels.
Mue par ces considérations, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur, avec demande d'explications.
M. Guillery. - Messieurs, j'appelle l'attention bienveillante de M. le ministre de l'intérieur sur la pétition sur laquelle il vient d'être fait rapport. Elle me paraît soulever une des questions les plus graves qui puissent être soumises à la législature. Les pétitionnaires se plaignent de ce qu'étendant les termes de la loi du 1er juillet 1858, on applique les expropriations qu'elle ne permet que pour les cas d’insalubrité, à des cas d'embellissement et d'agrandissement, contrairement au but du législateur.
Dans l'espèce, on m'a remis le plan de la rue et je vois qu'elle traverse des jardins anglais, qui certainement n'ont pas besoin d'être assainis, et cependant on veut forcer les propriétaires à vendre tout le périmètre et à racheter ensuite leur propre fonds avec une perte très considérable s'ils veulent le conserver.
Evidemment, messieurs, il y a là abus de la loi et non pas usage de la loi.
J'espère que M. le ministre de l'intérieur voudra bien donner à la Chambre des explications afin que nous puissions savoir comment la loi est interprétée par l'administration.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la loi votée en 1858 avait été réclamée avec beaucoup d'instance par un assez grand nombre de communes et notamment par la capitale. Elle a pour but d'autoriser les communes et même les particuliers à exproprier lorsqu'il s'agit de l'ouverture de rues nouvelles, de places publiques, à exproprier au-delà des besoins mêmes de la voirie qu'il s'agit ‘ établir dans l'intérêt de la salubrité publique.
Cette loi, je le répète, a été réclamée avec beaucoup d'instance et avec raison, suivant moi et suivant tous ceux qui s'occupent de l'amélioration physique et morale des classes pauvres, suivant ceux qui prennent à cœur la santé publique, ce grand intérêt trop souvent négligé et dont on ne s'occupe, à ce qu'il semble, que périodiquement au retour périodique de certaines maladies. Alors chacun montre beaucoup de zèle, mais lorsque la crise est passée, tout le monde s'endort de nouveau.
Messieurs si, dès les premiers pas que fait l'administration pour arriver à l'exécution d'une loi tant désirée, elle se voit arrêtée par les réclamations des particuliers, si surtout ces réclamations trouvaient un écho puissant dans cette enceinte, alors la loi pourrait être paralysée et, dès le principe, les avantages que l'on attendait de cette innovation si utile seraient perdus.
On demande, messieurs, comment j'interprète la loi. Je vais le dire très nettement. Je donnerai à la loi l'interprétation la plus large possible. Je faciliterai de tout mon pouvoir les entreprises des administrations communales qui ont pour but d'assainir et d'embellir les villes et communes. Voilà, messieurs, comment je pense que la loi doit être interprétée, et comment elle doit être appliquée. Dans le cas dont il s'agit, je reconnais que la rue à établir doit traverser un jardin, que ce jardin est vaste et qu'il n'offre rien d'insalubre, mais pour y arriver et pour en sortir, il faut traverser des parties qui sont insalubres ; or la loi n'a pas seulement permis d’exproprier les terrains insalubres ; si dans un travail d'assainissement l'on rencontre des parties de terrain qui ne sont pas insalubres, la loi n'a pas dit que pour ces terrains-là il faudrait se borner à exproprier ce qui est strictement nécessaire pour la circulation.
La loi a déterminé les formalités à remplir pour arriver à la déclaration de salubrité publique et lorsque ces formalités sont remplies, la loi investit le gouvernement d'un pouvoir très large.
Je ne voudrais pas jeter une espèce d'impopularité sur la loi, en l'exécutant sans aucun égard pour les réclamations des particuliers. Je veux prendre toutes les précautions, pour que ces réclamations ne surgissent pas ; si elles surgissent, je veux qu’il y soit fait droit, lorsqu'elles sont fondées. Mais je supplie la Chambre de vouloir bien observer que l'intérêt particulier ne peut pas en définitive, dans ces sortes de questions, faire obstacle à l'exécution de travaux d'intérêt public.
Messieurs, je suis à examiner l'affaire sur laquelle on vient de vous présenter un rapport. Je me suis rendu moi-même sur les lieux. J'ai constaté en effet qu'une partie du terrain que devait traverser la nouvelle rue n'offrait pas en elle-même des traces d'insalubrité ; mais la commission, nommée par la députation permanente, aux termes de la loi, a déclaré que la salubrité publique exigeait l'ouverture de cette communication. La commune, appuyée sur l'avis conforme de cette commission spéciale, a demandé l'expropriation et l'ouverture de la rue dont il s'agit. La députation permanente, je dois le dire, n'a pas donné un avis favorable.
Il reste maintenant au gouvernement à prendre une décision. Je suis, pour ma part, très enclin à accorder ce qui est demandé. Voilà la déclaration que je dois faire à la Chambre, voilà les explications que j'ai à donner.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, quelques mots d'explication sont indispensables, pour que la Chambre comprenne bien (page 90) ce que demandent les pétitionnaires, et ce que veut l'autorité communale.
Les propriétaires des terrains sur lesquels on se propose de construire la rue nouvelle depuis la rue Marie-Thérèse jusqu'à la chaussée de Louvain, sont tellement convaincus de l'utilité et de l’embellissement de cette nouvelle voie de communication, qu'ils offrent gratuitement le terrain nécessaire pour la construction de ce chemin : mais la réclamation des pétitionnaires concerne les parties avoisinantes de la route, sur lesquelles on prend aux propriétaires riverains des 9,000, et jusqu'à 41,000 pieds pour les revendre ensuite au profit de la commune. Ce que la commune aura payé 80 centimes ou un franc, on le revendra 4 ou 5 francs.
Eh bien, c'est cette spéculation usuraire qu'on ne doit pas permettre à la commune de faire. Voilà le fin mot de l'affaire : les pétitionnaires seraient très heureux de voir s'établir les nouvelles communications ; mais ils n'entendent pas qu'on enrichisse le trésor communal à leurs dépens, qu'on verse dans la caisse communale une centaine de mille francs, toutes dépenses de construction faites.
Les propriétaires ont signifié leur opposition par exploit d'huissier au bourgmestre de la commune de Saint-Josse-ten-Noode. Messieurs, on a nommé une première commission, en vertu de l'article 2 de la loi ; je ne doute pas que les membres de cette commission ne fussent parfaitement intègres et justes ; mais ils n'en ont pas moins été l'objet de critiques plus ou moins fondées, et il n'est pas moins vrai qu'on a nommé une seconde commission sur les réclamations des pétitionnaires qui s'étaient adressés, à cette fin, à la députation permanente.
Cette seconde commission s'est rendue sur les lieux, et c'est à la suite du rapport adressé par elle à la députation permanente que ce corps revenant sur sa première décision, a émis un avis défavorable ; qu'il a déclaré qu'il n'y avait pas lieu à exproprier, pour cause d'insalubrité, en vertu de la loi du 1er juin 1858, bien que le chemin à construire fût un embellissement pour la commune.
Voilà l'état des choses ; eh bien, nous croyons qu'il faut de toute nécessité que la loi soit interprétée de manière à éviter dorénavant que les commissions ne tombent dans les mêmes fautes, et à forcer une députation permanente à revenir sur une première décision, et à se prononcer dans un sens tout contraire.
Messieurs, j'ai été moi-même sur les lieux ; j'ai voulu voir de mes propres yeux, comme l'honorable ministre de l'intérieur et comme beaucoup de membres de la Chambre. Il est incontestable qu'il n'y a pas lieu à exproprier pour cause d'insalubrité ; qu’il y a seulement lieu à exproprier pour cause d'utilité et d'embellissement. Un des réclamants est le sieur Mareska dont la ferme est exploitée par lui et par ses aïeux depuis plus d'un demi-siècle ; eh bien, il déclare que cette ferme est dans un état de salubrité tel que des médecins de Bruxelles conseillent à des maladies d'aller y rétablir leur santé.
En bien, je vous le demande, messieurs, peut-on soutenir qu'une ferme dans un faubourg est un lieu insalubre ? Où faut-il placer des fermes ?
Je concevrais l'expropriation d'une ferme placée au milieu de la ville de Bruxelles, mais comment est-il possible de prétendre qu'une ferme placée dans un faubourg, et qui n'est autre qu'une exploitation agricole puisse être nuisible ? Et remarquez qu'on prend la moitié du jardin potager à la ferme Moeremans et qu'on lui laisse tout le reste. On lui prend la partie la plus salubre.
Je veux bien que le conseil communal exécute son projet d'embellissement, mais je veux qu'il l'exécute à ses frais et non pas aux frais des propriétaires riverains, ce qui est une véritable spoliation.
Messieurs, on nous a dit que les propriétaires riverains ont la faculté d'exécuter ces travaux par eux-mêmes en se faisant entrepreneurs de travaux publics, et de construire eux-mêmes la rue. Cela est vrai ; la loi porte cela ; mais je le demande, le devis estimatif évalue les frais de construction à 200,000 fr. Quel est le propriétaire qui est disposé, quand même il en aurait les moyens, à sacrifier 200,000 francs ? Quel est le propriétaire habitant où étranger qui voudrait y mettre son argent et ses peines pour établir un chemin public ! Vous comprenez que cette faculté, il n'est guère de particulier qui veuille en user. La plupart sont des négociants ou des industriels qui ont un autre emploi à faire de leurs fonds que de les employer dans la construction d'un chemin public ; les étrangers ne viendront pas chez nous se faire entrepreneurs de travaux publics.
On a fait une autre objection que je dois rencontrer à l'instant. C'est, dit-on, aux tribunaux à décider ces questions.
Messieurs, dans tous les cas d'application des règlements communaux en matière de salubrité, d'hygiène, de cours d'eau, etc. etc., les tribunaux se déclarent incompétents ; c'est au pouvoir administratif à décider ce qui est insalubre et ce qui ne l'est pas. Dans tous les cas, c'est à la Chambre à voir si la loi, telle qu'elle a été faite, recuit une application franche et loyale.
Un dernier mot :
Dans les conclusions par lesquelles on demande l'adoption du rapport présenté en séance du conseil communal par M. Deladrière, M. Jottrand s'exprime ainsi :
« Nous sommes peut-être les premiers à exécuter d'une manière un peu large la loi du 1er juillet 1858. Cette loi a élargi le cercle d'application de nos lois civiles relatives à l'expropriation. Depuis fort longtemps, on s'occupe presque exclusivement d'examiner quels sont les intérêts des individus dans une société qui est faite, au point de vue de notre législation moderne, dans l'intérêt général. Quand les conservateurs parlent, c'est presque toujours au nom d'intérêts opposés aux intérêts généraux. Ils veulent conserver des privilèges que nos lois ont intérêt à abolir.
« La loi du 1er juillet, appliquée au point de vue de 1 hygiène publique, a établi quelques règles qui blessent certains privilèges ou certaines manières d'envisager le droit de propriété. Elle a été discutée avant d'être votée et a reçu l'approbation générale parce que notre siècle est disposé à faire plier les intérêts particuliers lorsqu'ils sont en hostilité avec les intérêts généraux.
«N ous sommes, pour la première fois, appelés à appliquer largement cette loi, etc. »
Messieurs, vous le savez, les tendances de cette opinion avancée, quelque peu socialiste et communiste, sont connues, au surplus je ne crois pas faire injure à l'honorable membre en le disant ; il avoue cependant que l'application qu'on veut faire de la loi est un peu large ; il aurait pu ajouter un peu injuste, un peu arbitraire, car on est bien convaincu que l'application de la loi à la rue nouvelle dirigée de la rue Marie-Thérèse à la chaussée de Louvain n'est qu'un embellissement et n'a aucun caractère de salubrité publique.
M. B. Dumortier. - Je ne connais pas l'objet en discussion, mais je n'ai pu m'empêcher de demander la parole quand j'ai entendu M. le ministre de l'intérieur professer les doctrines qu'il a débitées en disant qu'en cas d'embellissement il y avait lieu d’appliquer la loi de 1858. Si cela pouvait être vrai un instant, ce serait ni plus ni moins que la suppression de l'article 11 de la Constitution. Que porte cet article 11 ?
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique dans les cas et de la manière établis par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité. »
Ainsi on ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique ; mais il est bien évident que ce serait priver le particulier de sa propriété pour cause d'agrément. M. le ministre a dit qu'il appliquerait la loi non seulement pour utilité, mais pour embellissement public ; c'est à l'occasion de cette déclaration que j'ai demandé la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai parlé d'assainissement et d'embellissement.
M. B. Dumortier. - Nous avons voté la loi du 1er juillet 1858 dan un but d'assainissement ; or, assainissement n'est pas embellissement. Vous ne pouvez pas, sous prétexte d'assainissement, exproprier des propriétés pour faire des embellissements, ce serait créer l'arbitraire le plus effrayant ; ce serait, comme vient de le dire avec infiniment de raison, l'honorable rapporteur, permettre aux communes de faire des opérations usuraires au détriment des particuliers.
Les propriétaires offrent le terrain gratis, mais que veut la commune ? Elle veut les priver de toute la partie de leur propriété qui a une valeur réelle. C'est la suppression de l'article 11 de la Constitution.
Avec ce système de légiste, je vois que toutes les libertés inscrites au titre II de la Constitution belge deviendront une véritable chimère.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a longtemps que tout cela est supprimé.
M. B. Dumortier. - Vous y avez largement contribué.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous vous attendons depuis longtemps à la preuve.
M. B. Dumortier. - Il fallait venir avec un discours du trône, nous y aurions répondu, nous nous serions expliqués.
Je le répète, nos libertés deviennent une chimère.
Comment ! le droit d'expropriation pour cause d'utilité publique deviendra entre vos mains un droit d'expropriation pour cause d'agrément public ! On ne se bornera pas à prendre le terrain nécessaire pour l’établissement du chemin ou de la rue, mais on prendra au quart de leur valeur les terrains contigus pour permettre à la commune de faire des bénéfices usuraires avec les terrains qu'elle aura enlevés aux particuliers ! On a parlé de vol ; voilà ce que j'appellerai un vol.
Je conçois qu'on applique la loi comme nous l'avons faite, pour assainir les localités et les quartiers insalubres, mais je ne crois pas qu'un seul membre sur nos bancs ou sur ceux de nos adversaires eût consenti à voter une loi de spoliation des particuliers pour enrichir les communes.
La question est d'autant plus sérieuse que la députation a donné raison aux pétitionnaires. On marche sur cet avis de la députation permanente, on emploie une loi faite dans l'intérêt de la salubrité pour spolier les particuliers. Je ne les connais pas, je n'ai avec eux aucun rapport direct ou indirect. Il y a là un principe dangereux pour l'avenir et contre lequel je ne saurais assez m'élever.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est étrange qu'on se livre à des attaques à propos d'un acte qui n'est pas encore posé. On parle de ruine de toutes nos libertés, à propos de quoi ?
M. B. Dumortier. - A propos des doctrines que vous avez émises.
(page 91) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas émis de doctrines, j'ai parlé du principe de la loi votée l'année dernière ; quel est le principe de cette loi ? C'est d'autoriser les communes à exproprier pour cause de salubrité publique au-delà des terrains nécessaires à l'établissement de rues ou de places nouvelles.
On peut exproprier au-delà des besoins nécessités par ces constructions. Voilà ce que la loi a voulu.
Nous avons une législation sur l'expropriation pour cause d'utilité publique. Mais cette législation n'a pas paru suffisante, et les Chambres ont voulu que, lorsqu'il s'agit du grand intérêt de la santé publique, les communes et les propriétaires mêmes fussent autorisés à exproprier les terrains d'autrui même au-delà des besoins de la circulation, au-delà des rues ou des l'aces publiques qu'il s'agit d'ouvrir.
Vous attaquez aujourd'hui ces principes déposés dans la loi comme des principes révolutionnaires, comme des principes socialistes. Libre à vous, mais il fallait faire des observations à l'époque où la loi a été discutée. Aujourd'hui c'est trop tard. Mais c'est encore une liberté qui aurait été confisquée à votre insu, sans que vous vous en aperceviez. Ce n'est qu'après coup que vous avez fait cette belle découverte.
Je le répète, voilà tout le système de la loi. Elle autorise à exproprier même au-delà des besoins des communications à ouvrir. Ces excédants de terrain qu'en fait-elle ? Quelle est leur destination ? La commune les exproprie pour en tirer parti, et c'est au moyen du produit des excédants que les communes parviennent souvent à faire des travaux considérables, sans se ruiner.
M. B. Dumortier. - Voilà !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est le but de la loi.
M. B. Dumortier. - Non, ce n'est pas le but de la loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous voudrez bien me dire quel est, dans votre sens, le but de la loi. L'esprit de la loi est d'encourager les communes à effectuer les travaux d'utilité publique en tirant au besoin parti des excédants de terrain qui n'ont pas servi à la rue ou à la place publique à ouvrir.
On peut faire abus de cette loi sans doute ; mais il ne faut pas non plus l'interpréter de manière qu'elle ne serve absolument à rien. Il est difficile ici de limiter le droit de la commune et de déterminer le point où la commune devra s'arrêter pour ne pas faire de bénéfices, pour ne pas léser injustement les intérêts des particuliers. C'est une question de fait, une question de pure administration.
On parle toujours comme s'il s'agissait de dépouiller les propriétaires sans aucune espèce d'indemnité. Mais ils ont droit, aux termes de la Constitution, à une indemnité préalable, et en général on ne peut pas dire que les propriétaires soient indemnisés d'une manière parcimonieuse et insuffisante. En général, je crois que dans les cas d'expropriation ils n'ont pas à se plaindre. De plus, les cas, le recours leur est ouvert devant les tribunaux.
Je demande à la Chambre, sans vaquer à des exagérations que la question ne comporte pas, de ne pas arrêter a priori, préventivement, l'action administrative.
Lorsque j'aurai donné suite à cette affaire sur laquelle je délibère, si j'ai posé un acte que l'on trouve illégal, j'en répondrai devant la Chambre. Mais vous ne pouvez à l'avance interdire en quelque sorte au gouvernement l'exercice de sa prérogative, qui est d'exécuter la loi. S'il l'exécute mal, libre à vous d'accuser le ministre, de lui demander compte de sa conduite. Mais avant qu'il ait agi, la Chambre n'est pas compétente.
Je reçois avec intérêt les conseils qui me sont donnés. Mais je ne puis considérer comme devant suspendre l'action du pouvoir exécutif les discussions qui ont lieu dans cette circonstance.
Je dois, loyalement et comme je 1 entends, exécuter la loi, et je l'exécuterai à mes risques et périls, mû en cela par le seul intérêt public, par le seul intérêt de la santé publique.
Lorsque les maladies éclatent. vous voyez des administrations communales, longtemps inertes et engourdies.se réveiller tout à coup et se livrer souvent à des actes de violence ; vous les voyez abattre des maisons, fermer 20, 30,, 40, 60 maisons de la manière la plus arbitraire. Voilà ce qui s'est fait à plusieurs reprises, personne n'a rien dit ; personne n'a crié au scandale. Pourquoi ?
Parce qu'on se trouvait en présence d'un grand intérêt, de l'intérêt de la santé publique qui excusait ces actes violents des administrations communales.
Eh bien.il faut éviter autant qu'on le peut, pour l'avenir, ces moyens violent auxquels on a recours en cas d’épidémie. Il faut s'occuper de l'avenir et prendre des mesures préventives. On est pris au dépourvu. ; on arrive trop tard ; les maladies éclatent et reviennent à certaines époques déterminées. C'est seulement alors que beaucoup d'administrations communales découvrent que parmi leurs attributions essentielles figure la santé publique.
Je voudrais que cette question de la santé publique fût mise à l'ordre du jour de toutes les administrations, non pas lorsque la maladie éclate, lorsque le choléra vient jeter partout la terreur, mais en quelque sorte chaque jour de l'année.
Lorsque, par des moyens légaux aussi étendus que possible, nous aurons pris des mesures préventives pour faire disparaître les centres pestilentiels de nos villes et de nos communes, vous verrez que ces maladies qui tous les cinq ans, tous les dix ans viennent jeter la désolation et le désordre dans nos cités, perdront beaucoup de leur intensité.
J'ai dit, messieurs, qu'il fallait se montrer large vis-à-vis des communes qui demandent à exproprier pour travaux d'assainissement et j'ai ajouté pour travaux d'embellissement, parce que ce sont des travaux qui se lient intimement. Il est impossible d'assainir une localité sans l'embellir en même temps. L'honorable M. Dumortier n'entend pas sans doute qu'en assainissant une commune on doive l'enlaidir !
Les plus beaux quartiers de Londres aujourd'hui étaient, il y a 15 ans, les quartiers les plus malsains, les quartiers habités par les classes les plus pauvres, les plus dépourvues de toute espèce de moyens d'existence matérielle et morale. Ces quartiers sont transformés ; ils sont devenus les plus beaux quartiers de Londres. Est-ce un mal que de transformer un vilain quartier en un beau quartier ? C'est encore là un des buts de la loi. Ainsi, parce qu'un travail d'assainissement amènera dans une ville des quartiers nouveaux, des quartiers magnifiques, il ne faudrait pas encourager ces travaux !
Je crois. au contraire, qu'il faut, autant que possible, transformer le mal en bien, transformer le vilain quartier en beau quartier.
Je suppose que l'administration communale de Bruxelles, appliquant la loi d'expropriation pour travaux d'assainissement à cet hideux (je l'appelle ainsi), à cet hideux, à ce honteux quartier qui avoisine le Moniteur, veuille y ouvrir des communications nouvelles, il y aura lieu, je pense, d'appliquer la loi. Je ne sais pis si l'on trouvera des propriétaires récalcitrants. Mais j'appelle de tous mes vœux le jour où la ville de Bruxelles demandera à appliquer la loi à ce hideux quartier. Or, qu'arrivera-t-il dans ce cas ? C'est que ce quartier deviendra un des plus beaux de la ville. Est-ce un motif pour ne pas appliquer, dans ce cas, la loi relative aux mesures d'assainissement. Il y aura embellissement, parce qu'il y aura eu assainissement. L'un est la conséquence de l'autre.
Messieurs, pour conclure, je dirai que l'acte du conseil communal de St-Josse-ten-Noode n'est pas encore approuvé, que lem inistre examine, mais qu'il entend se réserver le droit d'exécuter librement la loi, sauf à en rendre compte à la Chambre. Je supplie aussi la Chambre, et je termine par-là, de bien vouloir ne pas entraver l'action de l'administration, de ne pas jeter le découragement et le doute au sein des adminstrations communales en se livrant à des critiques contre un des premiers actes posés par l'une d'elles ; mais au contraire d'encourager et les administrations supérieures et les administrations communales à appliquer tous leurs soins à ces travaux d'assainissement qui se lient d'une manière si intime au bien-être et à l'amélioration des classes industrielles et pauvres.
M. Guillery. - Je ne voudrais en rien contribuer à paralyser l'action du pouvoir exécutif, et encore moins à paralyser les intentions généreuses de M. le ministre de l'intérieur qui, je dois le reconnaître, s'est toujours préoccupé de la question d'assainissement des quartiers insalubres, de la question de la construction des maisons ouvrières ; et je saisis cette occasion de lui témoigner toute la sympathie que m'inspirent les actes qu'il a posés à cet égard. Mais avec les meilleures intentions du monde, il ne faut pas s'égarer.
D'abord je déclare que je ne veux pas apprécier l'acte du pouvoir exécutif. Car, comme on l'a très bien dit, il n'est pas posé ; nous n'avons pas à le juger. Mais puisqu'une pétition est adressée à la Chambre, je crois que nous ne sortons pas de nos attributions en disant ce que nous pensons de la loi du 1er juillet 1858.
Or, cette loi est relative, d'après son titre, à l'expropriation pour cause d'assainissement des quartiers insalubres. L'article premier se sert des mêmes expressions. L'exposé des motifs mentionne expressément qu'il ne s'agit que de salubrité et pas autre chose.
Quel est le but de cette loi ? Antérieurement le gouvernement, l'administration pouvait parfaitement exproprier pour faire une voie publique, pour faire une rue ou une route.
Mais il ne pouvait exproprier le périmètre, les terrains longeant la route ou la rue et sur lesquelles on construit des habitations. Or, la loi de l858 a donné à l'administraition le droit d'exproprier non seulement le terrain nécessaire à la voie, mais le terrain avoisinant et de revendre ce terrain après l'avoir exproprié.
Evidemment c'est un droit exorbitant, et vous vous rappelez tous que lorsque cette loi a été présentée, on a eu des scrupules constitutionnels sur le point de savoir si l'on pouvait aller aussi loin. Je ne pense pas qu'il y ait un seul ministre qui voulût présenter une loi permettant d'exproprier le périmètre pour d'autre cause que celle de salubrité.
D'après l'article premier de cette loi, lorsque pour l'assainissement d'un quartier, il est nécessaire de construire, d'élargir, de prolonger une rue, l'administration peut exproprier le périmètre, et l'exposé des motifs disait :
« Le projet de loi que j'ai l'honneur de soumette à vos délibérations est destiné à favoriser l'exécution de certains travaux d'intérêt communal, tels que percement de rues nouvelles et constructions d'habitations salubres dans les quartiers encombrés, l'élargissement de rues trop étroites, l'ouverture de places publiques, le voûtement des cours d'eau, etc.
(page 92) « On sait combien les améliorations de cette nature importent à la salubrité publique et combien il reste à faire, sous ce rapport, dans la plupart des grandes villes où la classe ouvrière, reléguée dans des quartiers malsains, ne trouvé pour se loger que des habitations mal bâties, manquant à la fois d'air, d'espace et de lumière.
« Dans l'intérêt de la morale autant que dans celui de l'hygiène publique, le gouvernement a considéré comme un devoir rigoureux de rechercher et de vous proposer, messieurs, les moyens de remédier autant que possible aux maux résultant de ce fâcheux état de choses.
« C'est le but de la loi qui vous est soumis. »
L'exposé des motifs dit encore, relativement à l'article premier de la loi dont on veut faire ici l'application :
« Il est donc d'intérêt public que le droit d'expropriation, pour certains travaux d'utilité communale, soit étendu à des immeuble situés en dehors des alignements de la voie publique, lorsque cette extension est justifiée par des motifs de salubrité. »
Il dit finalement :
« Telles sont les dispositions dont la loi vous propose l'adoption, afin de faciliter l'assainissement dans les villes et l'amélioration des habitations de la classe ouvrière. »
Or, messieurs, d'après la théorie qui vient d'être développée, on donne à la loi de 1858 une portée que, j'en suis convaincu, aucun membre de cette Chambre n'a voulu lui donner, c'est-à-dire que non seulement on pourrait percer une rue qui traverse les habitations insalubres, mas encore, bien que cette rue fût complète, qu'elle aboutît a deux autres rues, en percer une autre faisant le prolongement de la première et traversant des terrains où il n'y a pas de quartier insalubre, pas une habitation qui puisse tomber sous l'application de la loi de 1858 et néanmoins on pourrait exproprier le périmètre.
Voilà la question telle qu'elle est posée. Et dans quel but ferait-on cela ? M. le ministre vient de le dire avec beaucoup de franchise, on le ferait dans le but de récupérer les dépenses faites sur un autre point.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas parlé de deux rues, j'ai parlé d'une rue à ouvrir.
M. Guillery. - Parce que vous considérez les deux rues comme n’en faisant qu'une. Il est évident que de la Place Royale à la Place de la Reine, il n'y a qu'une rue ; mais comme elle est coupée par plusieurs rues perpendiculaires, il est certain qu'on aurait pu ne pas percer la rue entière.
Du reste veuillez remarquer que personne ne s'oppose au percement de la rue entière dont il s'agit. Vous voulez percer la rue ; faites-la aussi longue que vous voulez ; mais ce qu'on ne veut pas, c'est l'expropriation du périmètre. Les propriétaires s'opposent si peu au percement de la rue, qu'ils offrent gratuitement le terrain destiné à la voie publique. Mais que répond-on au propriétaire ? Vous voulez conserver votre maison, vous voulez conserver votre jardin ; libre à vous de le racheter. C'est-à-dire qu'il pourra racheter pour 5 fr. ce qu'il aura vendu pour un franc à l'administration.
Je demande s'il est possible qu'une commune vienne exproprier prétendument pour cause d'assainissement et revende au propriétaire lui-même un terrain trois fois plus cher qu'il ne l'a vendu. Il y a là évidemment spoliation de la part de la commune. Je sais bien que c'est dans l’intérêt général que cela se fera ; mais on ne peut léser ainsi les droits des particuliers, même au profit du public.
La loi de 1858 n'a permis qu'une seule chose : c'est l'expropriation du périmètre pour le cas où il s'agit de traverser des quartiers insalubres.
Ainsi, la rue dont vient de parler M. le ministre de l'intérieur, la rue allant de la place des Barricades à la rue de Louvain, pourrait être très bien une rue dans les conditions prévues par la loi de 1858, parce que cette me traverse des habitations insalubres, et le percement de cette voie de communication serait un immense service rendu à la population. Mais si vous vouliez prolonger la rue à travers le palais de la Nation et à travers le parc, je dirais que vous allez trop loin.
Eh bien, c'est le cas. Entre la rue de l'Enclume et la rue Hydraulique, on peut très bien dire qu'il y a insalubrité. Mais entre la rue Hydraulique et la chaussée de Louvain, il y a un quartier qui ne renferme pas un seul endroit insalubre.
Je regrette de m'être laissé entraîner sur le terrain des faits. Car je reconnais que M. le ministre de l'intérieur est parfaitement libre dans ‘ exercice de sa mission et que nous n'avons pas à nous immiscer dans ses fonctions.
Mais puisque la question s'est présentée à la Chambre, j'ai cru qu'il était beaucoup plus loyal de notre part de dire ce que nous pensions avant que l'acte fût posé, que d'attendre pour venir ensuite infliger un blâme à l'administration. J'ai la conviction que la loi de 1858 ne peut être étendue au-delà des nécessités de l'assainissement. Je me rappelle parfaitement que, lorsqu'elle a été présentée, il a été discuté entre personnes compétentes si l'on pouvait aller plus loin, et que la plupart des jurisconsultes ont trouvé qu'on ne le pouvait pas. Or, ce qu'on ne pourrait édicter par une loi, à plus forte raison ne peut-on le faire contre la loi.
M. B. Dumortier. - Je ne suivrai pas M. le ministre de l'intérieur dans toutes ses digressions au sujet de la santé publique, parce que ce n'est pas sur ce terrain que vous êtes en fait. Vos paroles ne sont pas en harmonie avec la question dont il s'agit.
De quoi s'agit-il ? Nous avons fait une loi pour favoriser l'assainissement des quartiers insalubres et vous l'avez dit, nous l'avons voté à l'unanimité.
Mais quand vous venez nous dire que vous ferez servir cette loi aux embellissements publics, je dis que vous sortez de la loi et c'est sur ce point-là que j'ai pris la parole. Je ne puis admettre qu'il dépende du gouvernement de spolier les particuliers ; si la commune veut faire des embellissements, elle doit se renfermer dans les limites de la loi générale.
Quand il s'agit de la salubrité publique, alors, mais alors seulement, la loi nouvelle est applicable. Pourquoi avons-nous donné au gouvernement le droit d'autoriser l'expropriation d'un périmètre ? Mais pour un motif extrêmement simple, c'est que quand on exproprie des terrains marécageux, insalubres, uniquement dans les limites de ce qui est nécessaire à la rue, on n'a pas de garantie que les terrains à droite et à gauche seront assainis ; et donc vous avez le droit d'exproprier une zone. Mais lorsque le terrain cesse t'être insalubre, lorsque vous entrez dans les terrains salubres, alors vous ne pouvez plus exproprier que ce qui est nécessaire à la voie publique. Appliquer à des embellissements une loi qui a été faite uniquement en vue de l’assainissement, ce serait la spoliation des particuliers, l'agiotage de la part des communes.
Or, je ne veux pas d'agiotage de la part des communes ; il faut que les communes gèrent leurs intérêts comme on gère les intérêts communaux à Londres, comme on les a toujours gérés en Belgique, comme on les gère partout. Il ne doit pas être permis aux communes d'exproprier un particulier pour lui revendre ensuite sa propriété trois fois plus cher qu'on ne la lui a payée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dois répéter encore une fois que je n'ai pas parlé d'expropriations ayant un but exclusif et direct d'embellissement ; j'ai parlé de travaux d’assainissement lesquels constituent aussi des embellissements.
L'administration pourrait dès à présent prendre une résolution ; elle est parfaitement en règle.
La loi a voulu que le cas d'expropriation fût constaté par une commission spéciale ; la commission spéciale a été nommée conformément à la loi, et elle a déclaré qu'il y avait lieu d'exproprier pour cause d’assainissement.
Voilà les garanties que la loi a exigées pour qu'une administration, pour que le gouvernement ne fît pas abuser de la loi, ne vînt pas, sous prétexte d'assainissement, faire des travaux de pur agrément.
J'ai examiné l'affaire avec soin parce qu'elle a donné lieu à certaines réclamations peu nombreuses, mais très actives, à en juger par les résultats que nous avons sous les yeux. Je dois dire que l'administration communale de St-Josse-ten-Noode n'a pas entendu faire une spéculation.
Je me réserve encore d'examiner la question en tenant compte des observations qui ont été faites, mais j'entends donner à cette loi une application aussi utile et aussi étendue que possible. Je serai arrêté par les réclamations qui me paraîtront entièrement fondées ; mais ce ne sont pas les cris de quelques intérêts particuliers injustement alarmés, qui arrêteront la marche de mon administration.
M. Muller. - Messieurs, je ne viens me mêler à ce débat, portant sur une question de fait qui peut être débattue dans l'un ou l'autre sens, que pour présenter une observation contre le sens trop absolu, selon moi, que l'honorable rapporteur de la pétition a donné à la loi de 1858, en la considérant comme obstative à ce que les communes tirent parti, en les vendant, sans les laisser aux propriétaires expropriés, des parcelles de terrain comprisses dans la zone qui doit longer une nouvelle communication ou voie publique décrétée par arrêté royal, pour cause d'assainissement.
Abstraction faite, messieurs, du point de fait qui se présente aujourd'hui de savoir s'il y a, oui ou non, cause d'assainissement ou désir d'embellissement de la part de l'administration communale, je n'hésite pas à être convaincu qu'il est dans l'esprit de la loi que nous avons votée en 1858, qu'une commune puisse tirer profit des zones par la revente des terrains qu'elles contiennent. Si cela n'était pas, la loi serait parfaitement stérile au point de vue des progrès de la salubrité publique.
On se récrie sur ce que la commune pourrait ainsi vendre 3, 4 et 5 fr. des terrains qu'elle n'aurait payés que 80 centimes ou un franc au propriétaire exproprié. Mais messieurs, il est rationnel qu'il puisse en être ainsi.
En effet lorsqu'une ville se trouve en face d'une dépense de 400,000 ou 500,000 fr. pour assainir un quartier, si elle ne peut pas exproprier une zone pour en tirer parti par la vente, si elle doit abandonner à chaque propriétaire la plus-value à résulter des travaux qu'elle entreprendrait, elle reculera devant une charge trop lourde, et ils ne s'exécuteront pas.
Je me borne, messieurs, à ces observations ; je les ai soumises uniquement pour que les arguments en sens contraires et inadmissibles, selon moi, qui ont été présentés à l'appui de la pétition, ne puissent (page 93) pas être considérés comme n'ayant pas rencontré de contradicteurs dans cette Chambre.
M. de Theux. - Les frais de l'assainissement ou de l'embellissement d'un quartier doivent-ils être supportés par des propriétaires déterminés ou par la commune ? Voilà comment l'honorable M. Muller a posé la question.
Il a dit, en effet, que la commune reculerait devant la dépense, si elle ne pouvait pas faire une spéculation sur les terrains des particuliers. Ce n'est point là le respect de la propriété. Le droit de propriété ne permet pas qu'on mette à la charge d'un particulier des travaux qui profitent à la communauté.
Ce ne peut pas être là l'esprit de la loi, car alors la loi serait inconstitutionnelle.
Vous avez vu, messieurs, avec quel soin l'on a discuté la loi générale sur les expropriations ; on a même laissé au propriétaire le droit de reprendre tout ce que l'administration n'a pas employé à la construction de la route ou du canal, par exemple, en vue desquels l'expropriation a eu lieu.
Le gouvernement n'a pas le droit de faire des spéculations, et si le gouvernement n'a pas ce droit, lui qui représente un intérêt beaucoup plus général, à plus forte raison ne peut-on pas le concéder à la commune.
Je dis, messieurs, que cette question doit être examinée très sérieusement pour que l'application de la loi ne donne pas lieu à des abus.
M. Muller. - L'honorable M. de Theux vient sans doute de parler de la loi ancienne, et générale, qui est applicable aux expropriations pour simple cause d'utilité publique.
Mais évidemment l'esprit de la loi de 1858 a été inspiré par une nécessité nouvelle et urgente, celle de donner à l'autorité publique quelconque, gouvernement ou commune, qui veut assainir un quartier, des moyens efficaces pour atteindre ce but. Cette loi a été calquée, sauf quelques restrictions, sur celle qui a été portée en France, pour la ville de Paris et qui est applicable aux villes de France qui en invoque le bénéfice et qui peuvent l'obtenir par décret de l'empereur.
En cette matière, il y a un intérêt social en jeu. On redoute l'expropriation ; mais il faut ne pas perdre de vue qu'elle n'est pas du tout une spoliation, puisqu'il y a une indemnité préalable, dont le gouvernement ou la commune ne sont pas juges, et dont le chiffre est déféré à l'appréciation des tribunaux.
Je répète donc, en terminant, que votre loi serait tout à fait illusoire et inutile, et que l'on en fausserait l'esprit, si l'on contestait aux administrations publiques qui veulent se charger d'un grand travail d'assainissement, la faculté de pouvoir amoindrir la dépense. Le plus souvent on aboutirait, par une interprétation aussi erronée, à devoir renoncer aux améliorations qui intéressent la salubrité publique, parce que le chiffre total de la dépense serait effrayant et rendu inabordable.
M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, je mets aux voix les conclusions de la commission des pétitions, qui propose le renvoi des deux pétitions à M. le ministre de l'intérieur avec demande d’explications.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai donné des explications ; je n'en ai plus d'autres à fournir.
M. Guillery. - Si la Chambre admet les explications comme satisfaisantes, alors les pétitions pourraient être déposées au bureau des renseignements ; mais dans le cas contraire il me semble que les pétitions doivent avoir une autre suite.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Je crois que M. le ministre de l'intérieur pourrait accepter le renvoi pur et simple des deux pétitions à son département.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - A quoi bon ? Que les pétitions soient déposées au greffe.
M. Goblet. - Comme membre de la commission des pétitions, je demande qu'on maintienne le renvoi des deux pétitions à M. le ministre de l'intérieur ; il les examinera.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je répète que j'ai donné des explications, et franchement je ne peux pas en donner d'autres...
- Des membres. - Il s'agit d'un renvoi pur et simple.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si ce renvoi n'a aucune espèce de signification, je ne m'y oppose pas.
- Le renvoi pur est simple des deux pétitions à M. le ministre de l'intérieur est mis aux voix et prononcé.
M. Deliége. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des voies et moyens pour l'exercice 1860.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
La Chambre le met à la suite de l'ordre du jour.
La séance est levée à 5 heures et demie.