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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 28 septembre 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)

(page 320) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Crombez fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« La veuve Ducat, réduite à l'indigence par suite des soins qu'elle a donnés à son fils, ancien préposé des douanes, qui a été pensionné pour infirmité contractée au service, demande un secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Interpellation

M. Ansiau. - Je regrette, messieurs, de ne point voir à son banc M. le baron Chazal. Toutefois comme l'objet de l'interpellation que je me permets d'adresser au gouvernement me semble d'une haute importance, je dois supposer que le cabinet entier a été appelé à délibérer en cette occurrence, et que l'acte posé par le chef du département de la guerre a reçu l’adhésion de MM. ses collègues.

Je veux parler, messieurs, de l'avis inséré au Moniteur, et annonçant l'adjudication des travaux de dépense d'Anvers, évalués approximativement à 40 millions, en un seul lot, sur bordereau de prix, à exécuter en trois ans, et avec l'obligation, par les soumissionnaires, du dépôt préalable, dans les caisses de l'Etat, d'un million, à titre de cautionnement.

Il ne me convient pas, messieurs, pour le moment, de discuter une à une chacune des conditions sommairement indiquées ci-dessus. Mais, je le demande, ne semble-t-il pas, au premier abord, que l'on ait précisément conçu, de propos délibéré, le mode d'adjudication le plus propre à éloigner toute concurrence sérieuse ?

Avec de telles conditions, messieurs, l’opinion d'hommes spéciaux, c'est que l'on payera vraisemblablement les travaux 15 à 20 p c. de plus qu'ils n'eussent dû coûter.

Or, ce chiffre minimum de 15 p. c. sur 410 millions forme encore la somme de 6 millions. C'est là une trop grosse chose, un trop colossal pot-de-vin pour être bénévolement abandonné au détriment du pays, surtout, ne l'oubliez pas, que le gouvernement devra venir plus tard pétitionner des crédits supplémentaires pour des travaux dont toute l'importance vous eût fait reculer, si de prime abord, on nous en eût fait connaître entièrement le coût énorme.

C'est la presse libérale, messieurs, la presse, amie du ministère qui a donné la première l'alarme ; ce sont ses organes qui se distinguent par la vivacité de leurs observations et de leurs critiques. Et elle a raison, c'est servir ses amis que de leur signaler, alors qu'il en est temps encore, les conséquences fâcheuses de la voie où ils semblent vouloir s'engager. L'autre presse, messieurs, l'autre opinion a, au contraire, hâte de voir le fait s'accomplir, l'adjudication se consommer, afin de pouvoir plus sûrement vous accuser, vous accabler plus tard.

On vous l'a dit, on vous l'a répété, l'exécution complète du système de défense d'Anvers coûtera plus de 100 millions. Ces redites dussent-elles vous déplaire, tant pis ; mais je le fais encore dans votre intérêt afin que l'économie que vous pourrez obtenir par suite du rabais sur l'entreprise, vous permette d'exécuter davantage, et par conséquent de nous demander plus tard un peu moins.

C'est bien assez, messieurs, de payer ces travaux strictement ce qu'ils vaudront, sans devoir passer encore par des conditions désastreuses, et qui auraient pour résultat de faire entrer, outre leurs bénéfices légitimes, 3 ou 6 millions dans la poche anonyme de gens dont la malignité publique pourrait avoir l'air de nous rendre les compères.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je regrette que l'honorable M. Ansiau ne m'ait pas prévenu de l'interpellation qu'il avait le projet de m'adresser, parce qu'alors j'aurais pu lui fournir tous les renseignements qu'il désire.

Ce que je puis dire à la Chambre, c'est que le mode d'adjudication adopté par le département de la guerre est généralement suivi dans le corps du génie lorsque les travaux à exécuter peuvent donner lieu, comme ceux d'Anvers, à des difficultés imprévues dans l'exécution. Je crois, en effet, que le mode d'adjudication à bordereau de prix est le seul qui permette d'exécuter rapidement et avantageusement pour le trésor public, des travaux d'une grande importance. Il est en vigueur en France et dans d'autres pays.

On prétend que les travaux d'Anvers s'élèveront à cent millions. J'ai déjà eu l'occasion de déclarer que cette assertion est complètement erronée. J'ai eu l’honneur de vous communiquer les devis dressés avec l'exactitude habituelle au corps du génie militaire, en vous faisant observer que s'il se produisait des différences, elles ne pourraient provenir que du renchérissement des matériaux et de la main-d'œuvre dans le cas où d'importants travaux civils s'exécuteraient en même temps que les fortifications projetées.

Au reste il n'y a rien de définitivement arrêté quant aux clauses du cahier des charges. Ce document n'est pas encore soumis à l'inspection des concurrents.

Il ne le sera qu'à la fin du mois, et contiendra toutes les précautions nécessaires pour que les travaux s'exécutent avec l'économie, la solidité, et la promptitude désirables.

Si la Chambre désirait des explications plus détaillées, je me mettrais en mesure de les lui fournir dans une prochaine séante.

M. Muller. - J'aurais désiré que M. le ministre de la guerre voulût bien nous dire sur quelle base il se fonde pour supposer avec quelque raison qu'une adjudication comprenant in globo des travaux pour 40 millions peut être plus favorable au trésor que si l'on avait recours à des adjudications partielles.

C'est un point sur lequel, pour mon compte, je désirerais obtenir des éclaircissements, et je crois que si la réponse est satisfaisante, elle apaisera des doutes qui peuvent s'élever dans le public à cet égard..

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, quand il s'agit d'un travail aussi important que celui des fortifications d'Anvers, il est fort difficile, et dans tous les cas peu avantageux, de former plusieurs lots séparés. Si, par exemple, l'enceinte était adjugée à différents entrepreneurs, il serait presque impossible d'arriver à un bon résultat, parce que les eaux d’épuisement provenant des parties élevées doivent s'écouler par les parties basses, et que cela ne pourrait se faire si l'un des adjudicataires était en retard ou s'il y avait entre eux quelque hostilité ou quelque mésintelligence.

D'un autre côté quand plusieurs entrepreneurs se font concurrence, le prix de la main-d'œuvre et des matériaux renchérit nécessairement. C’est ce qui s’est présenté lorsqu'on a construit les fortins du :camp retranché actuel.

Il arrive aussi, lorsqu’on forme plusieurs lots, qu’il se présente des entrepreneurs qui n'offrent pas toutes les garanties nécessaires pour la bonne exécution des travaux.

Le gouvernement éprouve alors de très grands embarras, dont le moindre inconvénient est d'occasionner des retards considérables.

Nous avons fait cette expérience au département de la guerre et c'est par suite des difficultés de toute nature que nous avons rencontrées que nous préférons maintenant confier l'exécution des travaux importants à un seul entrepreneur disposant de moyens et de ressources qui lui permettent d'exécuter les travaux promptement, régulièrement et économiquement.

M. Rodenbach. - J'ai écouté avec intérêt l'interpellation faite par l'honorable M. Ansau.

Déjà la presse avait dénoncé en quelque sorte cette gigantesque entreprise de 40 millions. Mais M. le ministre de la guerre vient de nous dire que le cahier des charges n'est pas encore officiel et qu'on procédera avec la plus grande économie.

J'aime bien ce mot d'économie, il importe au plus haut degré qu'il figure dans le dictionnaire ministériel, quelle que soit, du reste, la couleur à laquelle appartienne le cabinet. Or, de l'avis des hommes les plus compétents, d'hommes qui ont fait des entreprises de plusieurs millions, rien ne s'oppose à ce qu'on fasse, par exemple, quatre adjudications partielles, chacune de 10 millions. Des adjudications de 10 millions sont déjà des adjudications considérables dans notre petit royaume de Belgique. Ce ne sont pas de petits entrepreneurs qui peuvent s'en charger.

Je ne veux pas m'étendre longuement là-dessus ; on sait généralement que les dépenses énormes que l'on va faire à Anvers ne sont pas très populaires dans le pays.

C'est un nouveau motif qui doit engager le gouvernement à apporter dans ces travaux la plus grande circonspection possible.

Je n'en dirai pas davantage, j'espère qu'avant de s'occuper de l'adjudication définitive, l'administration stipulera dans des règlements les conditions auxquelles les entrepreneurs auront à se conformer, et prendra des mesures pour les forcer à maintenir l'harmonie entre eux. Il s'agit d'un maniement de 40 millions de francs.

Nous avons des entrepreneurs qui sont de fins spéculateurs, qui sont actifs, qui ont déjà gagné, je dirai, par improvisation des fortunes de millionnaires.

J'espère bien que lorsqu'on mettra les travaux en adjudication publique, on fera les choses de manière à ne pas rendre l'entreprise accessible à ces gros bonnets seulement.

M. Coomans. - Messieurs, je ne suis pas entièrement satisfait de l’explication donnée par le gouvernement. Je ne comprends pas encore qu'il puisse y avoir économie pour le trésor dans l’agglomération de tous les travaux de fortification d'Anvers.

La loi belge exige l'adjudication, c'est à-dire la concurrence ; mais, messieurs, pour des sommes de 40 millions, la concurrence et impossible, surtout dans le système que le gouvernement nous a exposé (page 321) dans les sections et en section centrale, c'est-à-dire dans l'hypothèse que l'on ne payera les entrepreneurs que 5 ou 6 mois après l'exécution des travaux.

Il faut donc que les entrepreneurs aient un million à fournir pour le cautionnement ; il fait encore qu'ils aient en poche 7 à 8 millions pour faire exécuter les travaux avant d'obtenir un sou du gouvernement. Je vous le demande : combien d'entrepreneurs avons-nous qui puissent disposer de 7 à 8 millions de francs ?

Dans le système que le gouvernement a adopté et qu'il vient de nous expliquer, il n'y a pas d'adjudication réelle. J'aurais aimé tout autant que le gouvernement fît faire les travaux à ses risques et périls. Au fond, ce serait la même chose.

M. le ministre de la guerre vient de nous dire qu'il faut de l'harmonie, une bonne entente, etc., dans les travaux, soit ; mais je ne vois pas qu'il y ait une différence telle entre l'enceinte et les nouveaux forts qu'il faille, pour l'une et les autres, un seul entrepreneur. Pourquoi ne pourrait-on pas avoir un entrepreneur pour l'enceinte, et un ou plusieurs entrepreneurs pour les forts ? Par-là vous entretiendrez une salutaire émulation entre les entrepreneurs. Le gouvernement sera toujours en mesure de maintenir l'harmonie et la bonne entente ; il a les clefs de la caisse et il sera toujours le grand maître.

Je tenais à faire cette déclaration ; mais j'ai surtout demandé la parole pour prier le gouvernement de renouveler l'assurance qu'il nous a donnée, que les fortifications ne coûteraient pas plus qu'on ne nous a annoncé. Car le langage de M. le ministre de la guerre est beaucoup moins explicite aujourd'hui qu'il ne l'était avant le vote de la loi. Avant le vote de la loi, on nous a déclaré que le chiffre pétitionné par le gouvernement était un maximum. Je tiens, pour ma part, à ce qu'il reste tel, et j'espère que le gouvernement voudra bien réitérer la déclaration qu'il nous a faite, que ces travaux ne coûteront pas plus de 40 millions, somme votée par la législature et considérée comme déjà très forte par la Chambre et par le pays.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je commence, messieurs, par vous dire que je n'ai jamais fait exécuter de travaux d'aucune espèce ; de sorte que je ne suis pas très compétent pour traiter la question qui m'est posée. Mais, j'ai consulté les officiers du génie qui ont le plus d'expérience et tous ont reconnu qu'il y aurait avantage à adjuger les travaux d'Anvers en un seul lot ; du reste je ne m'oppose pas le moins du monde à ce qu'on divise l'entreprise en plusieurs lots, ni à ce qu'on essaye tout autre mode d'adjudication. Sous ce rapport, le gouvernement recherchera tous les moyens possibles de réaliser la plus grande économie et ce sera un véritable bonheur pour lui s'il parvient à faire exécuter les travaux d'Anvers pour moins de 40 millions ; il ne négligera aucun moyen d'arriver à ce but, et cela est si vrai, que j'ai déjà préparé un règlement pour faire exécuter certains travaux par l'armée.

Je ne puis pas affirmer que l'on s'arrêtera définitivement à tel ou tel mode d'exécution ; cela dépendra des circonstances ; mais je m'éclairerai de l'opinion des hommes les plus compétents. C'est tout ce que je puis dire quant à présent.

- L'incident est clos.

Projet de loi, amendé par le sénat, relatif aux mesures organiques de l’enquête sur les élections de l’arrondissement de Louvain

Discussion générale

M. Wasseige. - Messieurs, lorsque la pétition dont j'ai demandé hier l'impression au Moniteur et la distribution aux membres de cette Chambre, s'est produite une première fois devant vous, j'en avais réclamé le renvoi à la commission de vérification des pouvoirs afin de pouvoir examiner les faits qu'elle révèle, pour décider, après cet examen, s'il n'y avait pas lieu de renoncer à l'enquête et de prononcer immédiatement la validation des élections de Louvain.

J'avais demandé cet examen parce que de l'examen que j'en avais fait moi-même, il était résulté pour moi la conviction profonde que l'enquête était devenue inutile et que j'étais bien persuadé que la même conviction aurait pénétré dans l'esprit de la Chambre à la suite d'un examen consciencieux, sincère, approfondi. Cet examen, la majorité me l'a refusé par le vote qu'elle a émis sur ma proposition, elle a décidé qu'elle ne voulait pas même examiner et qu'il fallait qu'une enquête eût lieu quelle que fût la valeur des faits qui auraient pu se produire depuis le premier vote.

Mais cet examen, refusé par vous, messieurs, a eu lieu dans une autre enceinte : la même pétition a été renvoyée au Sénat ; le Sénat s'est livré à l'examen que la Chambre avait refusé de faire et il en est résulté que mes prévisions se sont complètement réalisées.

En effet l'examen attentif des faits contenus dans la contre-pétition de Louvain a démontré à l'évidence à la majorité du Sénat que tous les faits allégués dans une première pétition et qui avaient motivé l'enquête étaient complètement et victorieusement démentis, à tel point que l'enquête se trouvait faite et qu'il y avait lieu de valider immédiatement l’élection des deux sénateurs élus par l'arrondissement de Louvain. Mais il est résulté des rapports déposés dans cette assemblée et de la discussion à laquelle ils ont donné lieu, cet autre fait bien prévu que le Sénat n'avait jamais entendu soumettre les élections de Louvain à une enquête parlementaire et judiciaire, mais qu'il n'avait prétendu parler que d'une enquête purement administrative.

A propos de ce dernier fait si grave, je me permettrai une réflexion. Comme je le disais tout à l'heure, il résulte de la discussion qui a eu lieu au Sénat, que le Sénat a voulu une enquête administrative cl qu'il n'a jamais entendu, par son vote, sanctionner une enquête parlementaire et judiciaire... (Interruption.) Ni parlementaire, ni judiciaire ; le Sénat n'a voulu qu'une enquête administrative.

Eh bien, il est au moins fort singulier, fort étrange, que la lettre écrite par le Sénat à l'honorable ministre de l'intérieur pour lui faire connaître les intentions de cette assemblée, n'ait pas été communiquée à la Chambre, quoique cette lettre eût été remise à l'honorable ministre de l'intérieur le 14 ; et cependant il résultait des discours prononcés par plusieurs membres de cette Chambre, que s'ils avaient voté pour l'enquête, c'était pour ne pas se mettre en opposition avec le vote émis antérieurement par le Sénat.

L'honorable M. de Brouckere disait qu'il n'était point partisan de l'enquête, mais qu’il la voterait pour que la Chambre marchât d'accord avec le Sénat, et notre honorable président faisait à peu près dans les mêmes termes la même déclaration.

Eh bien, l'honorable ministre de l'intérieur avait connaissance de l'intention du Sénat qui était de charger le gouvernement de l'enquête et il n'en a rien dit à la Chambre alors qu'il la voyait se tromper sur les intentions qui avaient dicté le vote du Sénat et alors qu'il lui eût été si facile de l'éclairer ; mais il ne l'a pas voulu, et j'avais raison de dire que le silence gardé par l'honorable ministre de l'intérieur en cette circonstance est au moins très singulier, car il est évident que si la pensée du Sénat avait été connue, elle aurait pu influer grandement sur la décision de la Chambre.

Cependant, messieurs, je ne reproduirai pas ma proposition consistant à faire valider immédiatement les élections de Louvain ; elle a été reproduite par le seul membre de la minorité qui faisait partie de la section centrale chargée de l'examen du projet de loi en discussion et la section centrale l'a repoussée. Je le dis franchement, je vois, dans cette décision, un parti pris, et irrévocablement pris ; on veut l'enquête quand même, tous les faits sur lesquels on s'est appuyé seraient complètement détruits ; il ne resterait plus l'ombre d'un fait répréhensible, que cela ne changerait pas les résolutions de la majorité ; on veut l'enquête, et on la fera malgré tout.

L'accueil fait à cette proposition par la section centrale m'empêche de la reproduire dans cette enceinte. Je vois, je le répète, un parti pris contre lequel je ne puis rien.

Il eût été cependant digne de la majorité, en présence du vote du Sénat, qui change complètement l'étal des choses, il eût été digne de la majorité, si elle voulait faire preuve d'impartialité et de justice, de faire elle-même ce que le Sénat a fait, c'est-à-dire de valider les pouvoirs des représentants de l'arrondissement de Louvain ; mais je n'insiste pas, car, messieurs, si je trouve l'enquête injuste, si je la trouve vexatoire, si je la considère comme un précédent mauvais, comme un précédent détestable, dont ceux-là mêmes qui la voteront aujourd'hui auront peut-être à gémir un jour, je ne la redoute nullement comme membre de la minorité ; je suis convaincu que le résultat unique de cette enquête sera la confusion de ceux qui l'ont provoquée.

Je suis convaincu que des investigations auxquelles la commission devra se livrer, il résultera à toute évidence que la Chambre a été induite en erreur et que de toutes les accusations, il ne restera rien que la honte de ceux qui les ont produites.

Maintenant, messieurs, quoique je trouve l'enquête détestable, je ne puis m'empêcher de signaler quelques-uns des vices principaux dont fourmille la loi au moyen de laquelle on veut donner vie à cette enquête.

- Un membre. - A cette inquisition.

M. Wasseige. - Oui, à cette inquisition, comme le dit un honorable ami.

La loi tout entière leur paraît mauvaise, illogique et incapable d« supporter un sérieux examen mais cet examen serait trop long, et je le sais parfaitement inutile ; je me bornerai donc à vous en signaler quelques-uns des vices principaux et qui sautent aux yeux de tous à une première lecture.

L'article premier dit : « La commission d'enquête est composée de cinq membres nommés par la Chambre des représentants »> Je demande d'abord si la Chambre entend nommer ces cinq membres elle-même au scrutin secret ou si elle croit pouvoir déléguer le droit de les désignera son bureau ; premier doute.

Je demanderai ensuite si la Chambre croit pouvoir prendre une décision sur ce point avant que la loi en vertu de laquelle elle va agir soit devenue loi, c'est-à-dire avant qu'elle ait été sanctionnée par la troisième branche du pouvoir ou si elle croit pouvoir le faire dès maintenant. Quant à moi, je ne pense pas qu'elle puisse nommer ces cinq membres avant que la loi, en vertu de laquelle elle agit, ne lui en ait donné. le droit, c'est-à-dire qu'elle n'ait été sanctionnée. Car, remarquez-le bien, ce n'est pas en vertu du droit d'enquête inscrit dans la Constitution que la Chambre va nommer ces cinq membres. Elle n'a pas le droit, en vertu d'une disposition de la Constitution, de nommer des commissions (page 322) qui puissent faire assigner des témoins, les forcer à comparaître, qui puissent les faire entendre sous la foi du serment.

Ce n'est qu'en vertu de la loi en discussion qu'elle a ce droit exorbitant. Or, je le répète, elle ne peut user d'une faculté qui se trouve dans la loi avant que la loi ne soit devenue parfaite, c'est-à-dire qu'elle n’ait été sanctionnée par les trois pouvoirs ; jusqu'alors ce n'est qu'un simple projet sans aucune valeur.

La Chambre pourra-t-elle déléguer ce droit à son bureau ? Je ne le pense pas. Pour qu'une délégation semblable puisse avoir lieu, il faut qu'elle soit inscrite dans la loi. La Chambre ne peut pas plus faire une délégation semblable qu'elle ne pourrait déléguer à son bureau le droit de nommer les membres de la cour des comptes.

Y aura-t-il lieu de nommer les suppléants. C'est encore un doute très grave. Je crois, quant à moi, que la Chambre ne le pourra pas, parce que ce droit n'est pas inscrit dans la loi. La loi parle de cinq membres, elle ne parle pas de suppléants. Dans quelle disposition de la loi ces membres suppléants puiseront-ils leur droit ? Je l'ignore et je serais curieux qu'on me le dît.

Je passe à l'article 2. Cet article est la disposition la plus exorbitante qu'on puisse imaginer dans une loi politique. Il donne des pouvoirs discrétionnaires au président de la commission ; il lui donne les pouvoirs d'un président de cour d'assises ; il lui permet d'ordonner des visites domiciliaires, d'interroger sur tous les faits et même sur le vote qui aurait été émis, de faire emprisonner immédiatement un témoin, parce que son témoignage lui paraîtrait suspect. Seul il a le droit de poser les questions, il est le seul juge de leur opportunité, il peut donc annuler la garantie que l'on paraît vouloir donner à la minorité, par la présence de l'un de ses membres dans la commission. Ces pouvoirs si exorbitants, ils ne peuvent être tolérés que dans l'intérêt de la société et pour sa sauvegarde qui est le principal mobile de toutes les affaires qui se présentent devant les cours d'assises.

Mais les accorder, dans une loi politique, alors que les agents seront des hommes politiques intéressés au résultat, c'est là une mesure exorbitante que je ne puis sanctionner par mon vote, une mesure d'autant plus exorbitante qu'elle est inutile.

Que vous faut-il dans l'enquête à laquelle vous allez vous livrer ? Il faut que vous puissiez obliger à comparaître devant vous les personnes que vous voulez interroger et que vous puissiez leur faire prêter serment pour assurer la vérité de leur déposition. Eh bien, l'article 3 vous donne complètement vos apaisements sur ces deux points.

L'article 2 est donc inutile et dès lors il devrait disparaître, parce que le pouvoir discrétionnaire que vous donnez an président de la commission est exorbitant et peut conduire aux plus graves inconvénients.

Quant à l'article 3, j'ai une simple observation à faire :

« Les témoins, les experts et les autres personnes dont le concours peut être exigé ou requis en matière criminelle, sont soumis, devant la commission d'enquête, aux mêmes obligations que devant les cours d'assises, et passibles des mêmes peines en cas d'infraction ou de refus. »

Qui sera chargé de citer les témoins ? Sera-ce la commission d'enquête en vertu des pouvoirs que lui donne l'article 2 ? Et si les témoins ne comparaissent pas, seront-ils passibles des peines comminées contre les témoins qui ne comparaissent pas en cour d'assises ?

Mais dans ce dernier cas, c'est le ministère public qui doit citer. Vous voulez appliquer les mesures qui s'appliquent aux instructions criminelles. Devant les cours d'assises, c'est, je le répète, le ministère public qui doit citer les témoins, et si ce n'est pas le ministère public qui les cite d'après vote loi, les tribunaux condamneront-ils les témoins défaillants ? Cela est fort douteux et peut devenir un conflit entre les tribunaux et votre commission.

Vous appliquez à votre enquête toutes les règles de l'instruction criminelle, dans ce qu'elles ont de favorable à l'accusation, mais vous les écartez en ce qu'elles ont de favorable à la défense.

Car si le Code accorde des pouvoirs exorbitants pour la répression des délits et des crimes, il établit aussi une compensation. C'est le débat contradictoire, c'est le débat oral, c'est la publicité. Or aucune de ces conditions n'est inscrite dans votre loi ; vous n’avez ni publicité, ni débat contradictoire ; il ne sera pas possible de faire entendre des témoins à décharge ; cela est-il loyal, je vous le demande, et surtout en matière politique et devant des magistrats intéressés ? -

Il y a dans la loi beaucoup d'autres anomalies sur lesquelles je passerai.

J'arrive à l'article 7 :

« Les peines encourues sont appliquées par les tribunaux ordinaires, auxquels la commission renverra les procès-verbaux constatant les délits. »

De quel genre sera cette constatation et quelle force auront les procès-verbaux ? Feront-ils foi jusqu'à preuve contraire, jusqu'à inscription de faux ? Seront-ils assimilés à des procès-verbaux de gendarme, de garde champêtre ou de garde forestier ? La loi ne s'explique pas à cet égard. Sera-ce une constatation telle que les tribunaux n'auront plus rien à y voir, qu'ils ne seront plus qu'un bureau d'enregistrement devant appliquer la peine ? Le ministère public pourra-t-il instruire de nouveau, pourra-t-il aviser ou sera-t-il forcé d'agir ? La loi n'en dit rien.

Telles sont les irrégularités les plus flagrantes et qui m'ont d'abord sauté aux yeux ; j'ai peu d'espoir de les voir disparaître, mais, quoique décidé à voter contre la loi, je n'ai pas cru, pour ma responsabilité personnelle, pouvoir les passer sous silence.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'aurais désiré qu'on laissât au ministère la position qu'il avait prise dans ce débat. Mais il paraît que l'on trouve plus agréable et plus juste de faire intervenir le ministre et d'engager sa responsabilité dans cette affaire à laquelle il est resté complètement étranger

On vient d'apprendre à la Chambre qu'il résultait des débats du Sénat que le Sénat avait entendu ordonner une enquête administrative. Je prierai l'orateur qui vient de se rasseoir de vouloir indiquer dans les débats du Sénat une seule phrase d'où il résulterait que cette assemblée a entendu voter une enquête administrative. Et si cela résultait des débats du Sénat, d'où vient que l'honorable M. Wasseige, qui n'avait pas une grande prédilection, je pense, pour une enquête parlementaire, n'a pas dit dans la discussion : « Votez du moins une enquête administrative, suivons l'exemple du Sénat » ? Mais, dans cette Chambre, pas un membre n'a fait remarquer qu'il s'agissait d'une enquête administrative. Le ministère ne l'a pas cru davantage. Au contraire, lorsqu'un honorable sénateur est venu récriminer contre le ministre, prétendant qu'il s'était mépris sur le vote du Sénat et lui reprochant de n'avoir pas donné suite à la lettre du président de cette assemblée, j'ai démontré par le discours même de l'honorable sénateur M. Pirmez, que le Sénat avait entendu faire une enquête parlementaire, une enquête par le Sénat. En effet, parmi les objections qu'il faisait valoir, M. Pirmez demandait comment le Sénat voulait entendre les témoins, comment il agirait envers ceux qui ne voulaient pas comparaître, toutes phrases qui prouvaient que c'était d'une enquête à faire par le Sénat qu'il s'agissait.

Messieurs, qu'est-il arrivé après le vote du Sénat ? Le bureau m'a écrit de procéder à une enquête administrative ; j'avoue que j'ai été très surpris de recevoir une pareille lettre. Car si j'avais supposé qu'il s'agissait d'une enquête administrative, je n'aurais pas conservé un rôle passif : j'aurais fait voir les inconvénients pour un corps parlementaire de confier au gouvernement une enquête électorale, et c'est contre notre gré qu'on nous aurait chargés de cette mission.

J'ai été d'une entière bonne foi. J'ai cru que le Sénat voulait une enquête parlementaire ; et je le répète, si j'avais supposé qu'il s'agissait d'une enquête administrative, j'aurais fait des objections dans l'intérêt de la dignité et de l'indépendance du Sénat.

On dit que je n'ai pas communiqué la lettre du bureau du Sénat à la Chambre. Si je me le rappelle bien, je crois avoir dit à notre honorable président et à d'autres membres que j'avais reçu une communication du bureau du Sénat, d'où il résultait que c'était une enquête administrative qui devait été faite. Mais j'ai ajouté que j'avais répondu au bureau du Sénat que, dans mon opinion, il ne pouvait être question d'une enquête administrative et qu'il serait convenable que le bureau du Sénat se mît d'accord avec le bureau de la Chambre pour procéder de commun accord.

Certes il ne pouvait convenir que l'on procédât, par l'intermédiaire du ministre, à une enquête administrative, et par l'intermédiaire de la Chambre, à une enquête parlementaire. On ne pouvait faire marcher simultanément les deux enquêtes ; c'était impossible. Je fais appel à la conscience des membres de la Chambre : A-t-il été dans l'intention d'aucun de vous d'ordonner une enquête administrative sur l'élection de Louvain ? Evidemment non. Dès lors j'aurais eu beau dire et déclarer, ce qui n'était pas, que le vote du Sénat impliquait une enquête administrative, je crois que par cette déclaration, la Chambre n'aurait pas été amenée à ordonner une telle enquête. La Chambre aurait voulu user de sa prérogative, elle aurait ordonné une enquête parlementaire.

Ainsi je pense qu'on ne peut tirer aucune conséquence malveillante pour le ministre de l'intérieur de ce qu'il n'aurait pas donné avis à la Chambre, que le Sénat voulait une enquête administrative. Cette enquête, je l'aurais complètement déclinée.

Je ne crois pas devoir en dire davantage sur cette question. Je regrette qu'on n’ait pas laissé ailleurs, dans la presse par exemple, cette accusation contre le ministre de l'intérieur, comme s'il était comptable de la décision prise par la Chambre.

Je le demande à l'honorable représentant de Namur, et je termine par-là, si j'étais venu dire à la Chambre : Il résulte d'une lettre du bureau du Sénat adressée au ministre de l'intérieur, que le Sénat entend faire l'enquête par voie administrative ; serait-il venu dire : Eh bien, ordonnons une enquête administrative ? Il ne l'aurait pas fait ! Et s'il l'eût fait, il eût été seul, je ne crains pas de le dire, de cette opinion. S'il l'eût fait, en outre, le cabinet aurait combattu une pareille proposition. Les ministres, membres de la Chambre des représentants, auraient combattu cette proposition au nom de la dignité de la prérogative parlementaire.

Voilà, messieurs, la conduite que nous avons entendu tenir, et j'espère que la Chambre, sur tous les bancs cette fois, voudra bien reconnaître que les ministres ont eu raison.

M. Deliége, rapporteur. - Messieurs, j'ai demandé la parole torique j'ai entendu M. Wasseige dire que l'enquête était une mesure vexatoire, une mesure inique, semblable à celles que prenait dans le temps une institution qui, heureusement, est loin de nous.

(page 323) Je ne crois pas, messieurs, que l'enquête soit une mesure inique ; je crois, au contraire, qu'il importe aujourd'hui à la dignité de la Chambre et à la dignité du pays de faire l'enquête. En effet, messieurs, que s'est-il passé ? Remarquez-le bien, dans la session dernière, déjà on s'est plaint des frais électoraux, on s'est plaint de l'élévation de ces frais, on a dit qu'il se passait dans le pays des faits qui étaient une honte pour les élus et pour la Chambre, et l'un de vous a ajouté : C'est une honte pour le pays !

A l'occasion des élections de Louvain, on nous a présenté une pétition revêtue de nombreuses signatures et qui nous dénonce un fait principal, c'est que dans l'arrondissement de Louvain des votes auraient été payés deniers comptants. (Interruption.)

Voilà, messieurs, ce que l'on dit dans la pétition, et on a dit dans le public autre chose ; des témoins dignes de foi ont déclaré que dans une des dernières élections une personne conduisait les électeurs au bureau électoral, se mettait sur le seuil du bureau, donnait un billet à l'électeur, suivait l'électeur de l'œil, et que quand l'électeur repassait il recevait une pièce de 5 francs, deux pièces de 5 francs, le prix convenu. (Interruption.)

Ce fait sera peut être prouvé dans l’enquête ; il m'a été attesté, je le répète, par une personne digue de foi. Il ne s'est point passé dans les élections de Louvain.

- Plusieurs membres. - Où ?

M. Deliége. - Je le dirai. Le fait sera éclairci.

Maintenant, messieurs, quant aux critiques de détail faites par l'honorable M. Wasseige, je ne les réfuterai pas ; je crois qu'elles se réfutent d'elles-mêmes, et que ceux qui feront un examen attentif de la loi et des discussions qui ont eu lieu au Sénat, reconnaîtront que la loi est ce qu'elle pouvait être. C'est une loi improvisée, nous vous l'avons dit ; nous avons dit que nous n'avons pas eu le temps de faire une loi générale.

Nécessairement la loi ayant été improvisée, doit présenter certains défauts. Cependant je constate une chose, je constate que le Sénat n'a adms aucun des amendements qui lui ont été proposés. Or on sait qu'au Sénat un membre de cette honorable assemblée a usé largement du droit d'amendement ; ici pas un seul amendement n'a été présenté, il n'y a eu que des critiques coutre l'enquête elle-même.

Maintenant, messieurs, avons-nous les motifs qui ont été allégués au Sénat contre l'enquête ?

Il est évident que, dans certaines parties du pays, le vote du Sénat a causé une impression défavorable, une impression pénible ; cependant au Sénat il y avait encore quelques motifs ; d'abord celui qu'on alléguait tantôt et que l'on a allégué après au Sénat, c'est-à-dire qu'on avait voulu non une enquête judiciaire, non une enquête parlementaire, mais une enquête administrative. Ici, messieurs, il est complètement impossible de venir soutenir la même chose.

Il y a eu au Sénat un deuxième motif, qui a sa valeur : les élus de Louvain pour le Sénat avaient obtenu chacun 200 et des voix de majorité, tandis que, parmi les élus de Louvain pour la Chambre, il en est un qui n'a obtenu que 14 voix de majorité. (Interruption.) Messieurs, des ah ! ne sont pas des raisons.

Un autre motif, messieurs, qui est de nature à nous faire persister dans nos premiers votes, c’est que nous avons déjà décidé deux fois qu'il y aurait une enquête. On a parlé de dignité, il me semble qu'il serait indigne d'une Chambre belge de revenir sur une décision prise et confirmée par deux votes successifs.

M. Wasseige. - Messieurs, je n'ai que deux mots à répondre et je serai d'autant plus court que l'honorable M. Deliége, lui-même, a bien voulu se charger d’une partie de ma réponse.

L'honorable ministre m'a défié de citer un seul mot prouver que le Sénat a entendu voter une enquête administrative et l'honorable M. Deliége vient de répéter qu'en effet il résultait des discussions du Sénat qu'il ne s'agissait, devant cette assemblée, que d'une simple enquête administrative et que cette différence justifiait en partie la divergence d'opinions qui avait pu se manifester dans les deux assemblées, sur la nécessité de persister dans la voie d'une enquête. Cette démonstration, qui n'a pas paru du goût de M. le ministre de l'intérieur qui l'a accueilli par des signes d'impatience assez marqués, me paraît à moi concluante et je n'ai rien à y ajouter.

L'honorable ministre a ajouté qu'il n'était pas digne d'un membre de cette Chambre de faire connaître un fait de cette nature ; qu'il fallait laisser cela à la presse. Mais si le fait a été connu, c'est par les rapports des honorables MM. Pirmez et d'Anethan.

L'honorable ministre a dit enfin que dans ce rapport l'honorable M. Pirmez lui-même avait parlé d'une enquête parlementaire et judiciaire. Cela peut être vrai, mais M. Pirmez était membre de la minorité ; il avait voté contre l'enquête et il pouvait par conséquent ignorer quelle était l’intention réelle de ceux qui voulaient l'enquête. Mais M. de Tornaco, promoteur de l'enquête, a dit que l'opinion de M. Pirmez était irrationnelle et inadmissible. M. de Thuin, qui a signé la lettre adressée par le bureau du Sénat à l'honorable ministre de l'intérieur, pour lui faire connaître que cette assemblée chargeait le gouvernement de faire procéder à une enquête administrative, lettre que M. le ministre jugeait convenable de laisser cinq jours sans réponse, et de ne pas faire connaître à la Chambre ; l'honorable M. de Thuin lui aussi a voté pour l'enquête et ces messieurs étaient par conséquent bien plus à même de connaître la pensée de la majorité, que l'honorable M. Pirmez qui ne voulait de l'enquête dans aucun cas.

L'honorable ministre de l'intérieur m'a demandé si dans le cas où j'aurais su que le Sénat ne voulait qu'une enquête administrative, j'aurais voté pour cette enquête. Je réponds positivement non, parce que je ne voulais ni enquête parlementaire, ni enquête judiciaire, ni enquête administrative, attendu que, pour moi, les élections de Louvain n'étaient entachées d'aucun vice.

Il y a eu, à Louvain, des faits qui se sont présentés dans beaucoup d'autres arrondissements sans avoir donné lieu à la moindre réclamation. Je ne prétends pas que ces faits n'offrent aucun inconvénient et qu'il faille toujours les tolérer ; mais alors que l'on prenne une mesure générale, mais que l'on ne s'en fasse pas une machine de guerre, une arme de parti contre un seul arrondissement, parce que le résultat des élections déplaît à la majorité.

Voilà, messieurs, pourquoi je n'aurais voulu ni enquête parlementaire, ni enquête judiciaire, ni enquête administrative.

M. B. Dumortier. - Je félicite mon honorable ami de n'avoir pas reproduit aujourd’hui la motion qu'il avait précédemment faite de renvoyer la dernière pétition à la commission de vérification des pouvoirs afin que la Chambre examinât s'il y avait lieu, oui ou non, de revenir sur son vote et d'admettre les élus de Louvain.

Je l'en félicite, par un motif très simple : c'est que dans aucune hypothèse, comme il l'a dit, nous ne pouvons espérer d'avoir la moindre chance de succès. Et pourquoi ? Parce qu'il y a des nécessités de position qu'il faut subir.

Chaque année, à l'ouverture de la session, le ministère a besoin de battre le rappel sur peau de clérical. L'année dernière, nous avons eu les abus d'un autre âge ; cette année, on mettra sans doute en scène les prêtres corrupteurs dans les élections, afin de resserrer les liens de la majorité. Nous, de la minorité, nous devons subir les inconvénients de notre position ; ces inconvénients, nous les subirons avec courage ; nous ne les redoutons pas ; nous nous défendrons avec toute l'énergie de nos convictions, en présence de la situation qui nous est faite.

Mais cela n'empêche pas que nous ne puissions dire que l'enquête que la Chambre est en train d'ordonner, n'est nullement justifiable et nullement justifiée. C'est notre pensée, et cette pensée, nous avons le droit de l'exprimer.

Messieurs, pourquoi l'enquête n'est-elle nullement justifiée ? Parce que vous n'avez pas voulu de la proposition que j'avais eu l'honneur de vous soumettre, parce que vous vous êtes refusés à étendre l'enquête à toutes les élections qui ont eu lieu en juin dernier, parce que vous avez frappé un seul district, attendu que dans ce district les noms de quatre députés de la minorité étaient sortis de l'urne. Voilà en quoi la mesure que vous prenez est injuste.

L'honorable M. Deliége vient de dire que, dans une occasion précédente, on a fait valoir devant la Chambre les abus qui se commettent en matière d'élections.

Messieurs, il est fort désirable qu'on fasse disparaîtra ces abus ; et, croyez-le bien, il n'y a pas sur les bancs de la Chambre, il n'y a pas parmi les conservateurs un seul député qui ne s'associe à vous-avec empressement, quand vous voudrez prendre des mesures générales, des mesures s’appliquant à tout le pays, pour arriver à extirper les abus.

Mais ce n'est pas cela que vous voulez ; si vous aviez voulu la cessation des abus, il aurait fallu les examiner dans leur ensemble ; s’enquérir de tout ce qui se passe dans tous les bureaux électoraux ; il ne fallait pas uniquement s'attacher à une indemnité de déplacement accordée à quelques électeurs et voir là un motif pour annuler une seule élection.

Mais il y avait des faits bien plus sérieux à éclaircir, vous les avez laissés de côté ! Vous avez voulu ne mettre que la minorité en cause, parce qu'encore une fois, vous avez au mois de novembre à battre le rappel sur la peau du clérical.

Je dis, pour mon compte, que l'enquête, comme la veut la majorité, sera souverainement injuste ; pour qu'elle ne le fût pas, il fallait qu'elle s'appliquât à tout le pays et non pas à un seul district. Appliquée à tout le pays, elle pouvait amener le grand résultat que l'honorable M. Deliége vient d'indiquer, celui de faire cesser tous les abus qui se pratiquent en matière d'élections.

Mais que dire du projet de loi que vous avez à voter aujourd'hui ? Ce projet est, à mes yeux, le comble de l’iniquité. Partisan dévoué du droit d'enquête parlementaire, et certes j'ai fait mes preuves, puisqu’à peine entré de 15 jours dans cette enceinte, il y a de cela 28 ans, j'ai proposé une enquête parlementaire ; partisan dévoué du droit d’enquête parlementaire, je veux que ce droit s'exerce avec toutes les garanties qu’il présente dans tous les pays où il s'exerce, et surtout en Angleterre ; je veux le droit d'enquête, mais je ne veux pas le droit d'inquisition ; je veux une commission d'enquête, mais je ne veux pas un comité de salut public ; je veux le droit d'enquête, parce qu'il est une arm puissante entre les mains du parlement ; mais je ne veux (page 324) pas que le droit d'enquête devienne une épée de Damoclès suspendue sur la tête du pays. Je ne veux pas qu'au moyen du droit d'enquête, la majorité, quelle que soit sa nuance politique, devienne oppressive pour la minorité. Je veux que le droit d'enquête soit exercé avec la publicité exigée devant les tribunaux, avec autorisation pour les députés de se faire représenter pour leur défense.

Voilà comment se pratique le droit d'enquête en Angleterre, et voilà les garanties que vous chercherez vainement dans le projet de loi actuellement en discussion.

Vous créez par votre projet de loi une commission d'enquête qui est à la fois accusatrice et juge ; accusatrice, parce que c'est elle qui désigne et fait venir les témoins ; juge, parce qu'elle apprécie la valeur des témoignages des personnes qu'elle appelle devant elle. Et c'est, là, selon vous, de la justice, moi je dis que c'est de la justice à la façon d'un comité de salut public.

Je veux le droit d'enquête avec toutes ses garanties ; je ne veux pas une commission d'enquête instruisant en secret, écartant qui elle veut, jugeant la valeur des témoins qu'elle a appelés, tenant cachées et ne communiquant à personne les déposions des témoins ; je ne veux pas que ceux qui sont en cause soient exclus des abords du tribunal où l'on témoigne contre eux. Aucune législature, dans aucun pays, n'a donné l'exemple d'une loi aussi despotique, aussi tyrannique.

Je veux le droit d'enquête ; je veux que la Chambre en fasse un fréquent usage ; mais parce que ce droit est grand, que l'exercice peut en être dangereux, je veux qu'il soit entouré de toutes les garanties et pour le gouvernement et pour la chose publique et pour tous les intéressés.

Eh bien, ces garanties ne sont nullement inscrites dans le projet de loi. On institue une commission qui est à la fois accusatrice et juge, qui appelle des témoins en secret, en l'absence des intéressés et qui juge souverainement leurs dépositions. De faux témoins pourront venir déposer, et nous serons obligés d'ajouter foi à leurs fausses dépositions, parce que vous évitez soigneusement le moyen de réfuter les faux témoins. Que vous reste-t-il en pareil cas ? Rien. L'enquête est un mensonge, et c'est sur un mensonge que vous aurez probablement à délibérer.

En Angleterre, les choses se passent bien autrement. Dans ce pays, le député qui propose une enquête devient, par cela même, l'accusateur près de la commission d'enquête ; le député contre lequel l'enquête est dirigée, a le droit de se faire défendre par un avocat devant la commission d'enquête comme devant un tribunal ; et la commission n'appelle pas les témoins ; elle se borne à les interroger. Ici, au contraire, vous avez une commission qui réunit tous les pouvoirs ; elle exerce à la fois les droits du président de la cour d'assises et ceux du procureur général ; c'est la confusion des pouvoirs judiciaires.

Ce n'est pas tout : sur une simple dénonciation, sans un adminicule de preuve, vous instituez une enquête ! Le pays peut-il approuver des mesures aussi exorbitantes ?

Faites-y bien attention, messieurs, les partis sont en lutte ; eh bien, chaque fois qu'il y aura des élections, à la faveur du précédent que vous posez, il y aura des dénonciations ; vous ordonnerez donc, comme aujourd'hui, des enquêtes sur de simples dénonciations, sans un adminicule de preuve ; et quand vous en serez là, comment vous sera-t-il possible de constituer le parlement ?

Chaque fois que la Chambre aura été renouvelée par moitié, tous les partis viendront proposer d'annuler les élections qui auront été faites dans le sens opposé à leurs candidats ; et on aura beau vous démontrer que les faits qui vous seront signalés, sont faux. comme le sont ceux qui vous ont été signalés dans l'affaire actuelle ; vous aurez, conformément à vos précédents, à ordonner une enquête, et le parlement ne pourra se constituer. Le système que vous voulez sanctionner aujourd'hui est donc la mort du gouvernement représentatif.

On l'a bien compris en Angleterre ; on n'y a pas voulu que la lutte des partis pût devenir une entrave à la constitution du parlement.

Et qu'a-t-on fait ? On a décidé que celui qui demande l'enquête aurait à déposer un cautionnement de 25 mille francs, mille livres sterling et que ce cautionnement serait perdu pour lui si l'enquête tournait à sa confusion. Ainsi, là on veut bien du droit d'enquête, mais on ne veut pas que ce droit, en matière d'élection, puisse empêcher le parlement de se constituer. Ici, de garanties vous n'en avez aucune ; le premier venu, un inconnu, a articulé certains faits, des faits faux et controuvés, et sur cette simple dénonciation, vous vous croyez obligés d'ordonner une enquête. Mais ne voyez-vous pas que cela est inconstitutionnel ? Ne voyez-vous pas que l'application de ce système peut avoir pour effet d'empêcher l'exécution de l'article de la constitution qui fixe la réunion obligatoire des Chambres au deuxième mardi de novembre de chaque année ?

Maintenant, est-ce tout ? Vous prescrivez le serment. Or, c'est du serment politique qu'il s'agit, de ce serment contre lequel nous nous sommes constamment élevés depuis 1830. (Interruption).

Oui, il s'agit du serment politique, de ce serment qui a toujours été repoussé par cette Chambre et par les chambres des députés de France. Et où prenez-vous la formule de ce serment ? Vous prenez celle qui engage le plus solennellement la conscience humaine, vous prenez la formule du serment devant la cour d'assises.

En France, messieurs, je le répète, chaque fois qu'une enquête a été ordonnée en pareille matière, et on en a ordonné fréquemment, jamais le paiement n'a consenti à ce qu'on fît prêter serment par les témoins. J'en trouve la preuve dans le passage suivant d'un rapport de M. Lanyer.

« La commission a décidé que les témoins seraient invités à se présenter et introduits devant elle sans être assujettis au serment. »

Voilà ce qu'on a fait en France et voilà aussi ce qui se pratique en Angleterre ; tandis qu'ici on veut exiger le serment politique et l'on choisit précisément la formule du serment exigé devant les cours d'assises, le serment en matière de crimes. Et vous ne vous bornez pas là, vous allez jusqu'à admettre en matière de vérification de pouvoirs la mesure la plus odieuse pour un Belge, la visite domiciliaire !

Maintenant, sur quoi vont porter les questions que la commission pourra poser aux témoins ? En Angleterre, les faits doivent être nettement articulés, et c'est sur ces faits que doit porter l'enquête. Ici, de faits il n'y en a point ; de manière que vous donnez à votre commission un blanc-seing, un pouvoir absolu, illimité, tyrannique, de poser toutes les questions qui lui feront plaisir.

Eh bien, je le demande, est-ce ainsi que nous devons organiser le droit d'enquête qui nous a été dévolu par le Congrès ? Evidemment non. Convient-il que l'enquête porte sur d'autres faits que ceux dont il est question dans la pétition ? Je ne le pense pas, et cependant tout à l'heure encore l'honorable M. Deliége nous parlait d'un fait dont il n'a pas été parlé jusqu'à présent et sur lequel on devra encore indaguer.

Il en résulte que tous les faits, vrais ou faux, qui passeront par la tête des membres de la commission pourront donner lieu aux investigations de celle-ci.

D'où il suit, par exemple, que s'il plaisait à la commission d'interroger des témoins sur des votes, dont le secret est garanti par la Constitution, elle pourrait le faire ; car le projet ne contient aucune réserve pour empêcher la commission de violer le secret du vote des témoins.

On a dit, dans une autre enceinte : Fiez-vous aux membres de la commission. En pareille matière, messieurs, je ne me fie à personne ; la loi doit être une garantie, non pour la commission d'enquête, mais pour les citoyens qui pourront être appelés devant elle. Eh bien, la loi manque complètement de cette condition essentielle, fondamentale.

Je le répète, partisan sincère du droit d'enquête exercé par le parlement, désireux que la Chambre en use fréquemment, je voudrais une loi, oui, mais une loi qui offrît des garanties pour tous et qui fût faite dans le seul but de faciliter la découverte de la vérité ; mais non une loi despotique, unique, qui doit nécessairement, fatalement, aboutir au mensonge. Je voudrais une loi de nature à éclairer le parlement, le gouvernement, les autorités, le peuple. Au lieu de cela vous aller voter une loi qui n'offrira de garanties à personne, si ce n'est aux membres de la commission qui sera nommée. Nous ne pouvons donc pas voter une telle loi ; une loi de comité de salut public ne peut qu'être repoussée par le parti conservateur et par le pays entier.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles amendés

Articles 1 et 2

« Art. 1er. La commission d'enquête est composée de cinq membres, nommés par la Chambre des représentants. La commission choisit dans son sein un président et un secrétaire. »

- Adopté.

« Art. 2. Les pouvoirs accordés aux magistrats instructeurs et aux présidents des cours d'assises par le Code d'instruction criminelle, appartiennent à la commission d'enquête et à son président. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Les témoins, les experts et les autres personnes dont le concours peut être exigé ou requis en matière criminelle, sont soumis, devant la commission d'enquête, aux mêmes obligations que devant les cours d'assises, et passibles des mêmes peines en cas d'infraction ou de refus. »

M. B. Dumortier. - Je désire avoir une explication, sur cet article. Je demande si la commission aura le droit d'interroger les témoins sur ce qui se rapporte aux votes.

- Voix à gauche. - Mais, non !

M. B. Dumortier. - Auront-ils le droit de faire des visites domiciliaires ? (Interruption.)

Cette question est très sérieuse, et votre silence me fait croire que vous voulez des visites domiciliaires. Eh bien, je le demande, est-ce là,, oui ou non, ce que veut la Chambre ? Nous avons des limites à poser aux pouvoirs de la commission, et je demande qu'on s'explique nettement sur la question que je viens de poser. Je demande si la commission aura ce droit exorbitant et tous ceux qu'on a si justement déniés à la commission de 1831. Je demande l'opinion de la section centrale sur ce point.

M. le président. - Personne ne demandant la parole, je fais mettre l'article 3 aux voix. .

M. B. Dumortier. - Mais, M. le président, je viens de poser une question à laquelle je désire qu'on réponde. .

M. le président. - Je ne puis forcer personne à prendre la parole.

M. B. Dumortier. - Il faut que la section centrale s'explique.

M. Coomans. - On a interpellé des membres de la commission.

(page 325) M. Guillery. - Comme membre de la section centrale, je m'empresse de répondre à l'honorable M. Dumortier tout ce qu'il est possible de lui répondre ; c'est qu'on ne peut rien répondre du tout. (Interruption.) Cela vous étonne ? mais on a écrit des ouvrages en 3 et 4 volumes in-8° sur le Code d'instruction criminelle et on n'est pas encore parvenu à prévoir tous les cas. Comment donc voulez-vous que nous répondions à toutes les hypothèses que vous pourriez nous poser ?

Nous avons proposé de donner purement et simplement aux membres de la commission les pouvoirs qui existent en vertu des lois commentées par la jurisprudence et par la doctrine, précisément parce qu'il était impossible de prévoir par le projet de loi tous les cas qui peuvent se présenter. D'ailleurs qu'y-a-t-il d'exorbitant à donner à des commissaires choisis dans la Chambre des pouvoirs dévolus aux magistrats ?

Nous ne leur accordons que des pouvoirs accordés déjà par la loi, des pouvoirs déjà définis, et certes de tels pouvoirs ne sauraient être mieux conférés qu'à des hommes qui sont la plus haute expression, permettez-moi de le dire, de la confiance nationale.

M. B. Dumortier. - Je n'ai point demandé ce que la loi contient ; je le vois bien ; mais autre chose est la loi que nous faisions, qui est une loi sur les enquêtes, et autre chose sont les attributions que nous entendons donner, en cette circonstance, à la commission d'enquête. Les attributions de la commission doivent être réglées à chaque enquête par résolution de la Chambre, dans les limites nécessaires pour arriver à la vérité sur la matière sujette. Je demande si, en matière d'élections, vous entendez autoriser la visite domiciliaire.

Car, après que la Chambre aura voté la loi, elle aura toujours le droit de régler, de fixer, non pas d'augmenter, mais de limiter les droits qu'elle accorde à la commission d'enquête.

Eh bien, j'ai demandé dans l'enquête actuelle, si la commission aurait le droit d'interroger les témoins relativement à leur vote. On m'a répondu : Non ! non ! Voilà, je crois, l'opinion de l'assemblée. J'ai demandé en second lieu si la commission aurait le droit de faire des visites domiciliaires. Je n'ai pas entendu de réponse positive. J'en ai conclu qu'il semble qu'on veut donner à la commission le droit de faire des visites domiciliaires. Mais y pensez-vous ? Comment ! une commission de vérification de pouvoir serait armée du droit de faire des visites domiciliaires ! Mais c'est encore violer d'une autre manière le secret du vote ; ' c'est la violation de tous les principes.

Faites-y bien attention, si vous donnez à la commission le droit de faire des visites domiciliaires, un membre de cette assemblée peut demander d'aller faire des visites domiciliaires chez MM. les ministres pour savoir les engagements qu'ils ont pu prendre eu matière d'élections ; il aura le droit de demander aux ministres s'ils n'ont pas écrit de lettres pour favoriser le candidat de telle ou telle couleur. Vous arrivez au compulsoire dans le cabinet. Eh bien, ce compulsoire, je n'admets pas qu'on puisse le réclamer en pareil cas.

Je dis donc qu'indépendamment de la loi que nous faisons, il y a la mesure des attributions que nous entendons conférer en vertu de cette loi à la commission d'enquête, et je demande qu'il soit bien entendu que la commission d'enquête actuelle n'aura le droit de toucher en rien, ni directement ni indirectement, au secret du vote qui est une garantie constitutionnelle, ni de faire des visites domiciliaires.

M. Deliége, rapporteur. - Je ferai remarquer à l’honorable M. Dumortier que lui-même en 1831 a proposé de donner à une commission d'enquête le droit qu'il vient denier à celle d'aujourd'hui, L'article 3 de son projet disait : « La commission a le droit de compulsoire dans les dépôts publics et dans les archives des départements ministériels. »

M. B. Dumortier. - Je regrette que l'honorable membre en citant le projet de loi que j'ai signé comme secrétaire, ne se soit pas donné la peine de citer mon discours qui s'y rapporte.

M. Deliége. - Je ne l'ai pas lu.

M. B. Dumortier. - Il fallait le lire, avant de chercher à me mettre en opposition avec moi-même. Si vous l'aviez lu, vous aurez vu que plusieurs des mesures du projet de loi que j'ai signé comme secrétaire n'avaient pas mon approbation.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez soutenu le projet.

M. B. Dumortier. - J'ai soutenu le principe de l'enquête et de la loi ; mais j'ai déclaré, en le soutenant, que je proposerais des amendements au projet.

Messieurs, j'aurais conçu le compulsoire en pareil cas ? Tout cela tient à la matière sujette.

De quoi s'agissait-il ? Il s'agissait de tout autre chose que d'élections. Il s'agissait de savoir si les revers et les désastres que nous avions à déplorer n'avaient pas été amenés par des trahisons, et la commission d'enquête pouvait avoir besoin de voir si dans les documents ministériels ne se trouvaient pas des actes qui avaient pu porter à de pareils résultats.

Or, ici nous sommes dans des circonstances tout à fait différentes ; nous avons une simple vérification de pouvoirs à faire. La chose publique n'es pas en danger ; vous n'avez pas à effacer un désastre comme celui du mois d’août. Du reste, je le répète, j'avais fait mes réserves en signant les articles du projet, j'avais déclaré que je proposerais des modifications.

M. le président. - Je ferai remarquer que la seconde question est soulevée trop tard. L'article 2 définit les pouvoirs de la commission ; nous discutons en ce moments l'article 3 qui règle les dépositions des témoins, de sorte qu'il est trop tard pour parler du droit de visite domiciliaire.

M. Wasseige. - S'il est trop tard pour parler de la visite domiciliaire, il est temps encore pour parler du secret du vote. C'est une question importante, et il me paraît qu'on recule devant les explications.

A. une première interpellation faite au Sénat ou à la Chambre, M. le ministre de la justice a répondu d'une manière positive qu'on n'interrogerait pas sur les votes qui avaient été émis, que les membres de la commission seraient assez discrets, assez délicats pour ne pas porter leurs investigations sur le vote qui doit rester secret. Mais de cette déclaration au droit inscrit dans la loi, il y a une différence.

En France aussi, les membres de la commission, gens également honorables, également délicats qui, d'après l'opinion de M. le ministre de la justice, n'auraient pas dû interroger sur le secret du vote, l'ont cependant fait. En 18i43 dans une enquête ordonnée en France, les commissaires ont interrogé les prévenus sur leur vote ; ils n'ont pas respecté le secret du vote.

Ce fait a donné lieu à un article extrêmement remarquable du Journal des Débats pour flétrir cette manœuvre. Le Journal des Débats a blâmé en termes très vifs cette indiscrétion, et cet article pourrait encore devenir applicable au cas qui nous occupe si nous n'avions pas la déclaration de l'honorable ministre de la justice. Il est vrai que M. le ministre a déclaré il y a quelque temps que cet abus n'aurait pas lieu ; mais aujourd'hui on ne va pas aussi loin, on ne répond plus. Je demande positivement à l'honorable rapporteur, si, dans l'opinion de la commission, on pourra interroger les témoins sur le vote qu'ils auraient émis. Si c'est oui, le pays jugera. Si c'est non, ce sera au moins une garantie.

M. Deliége, rapporteur. - L’honorable M. Wasseige nous demande si la commission d'enquête pourra interroger les témoins sur le vote qu'ils ont émis aux élections. Nous sommes d'avis, et, je crois, à l'unanimité, que non.

Nous ne reculons nullement devant la réponse à une pareille question ; mais nous croyons que poser cette question, c'est la résoudre.

M. Wasseige. - Quelque embrouillée que soit la réponse donnée par l'honorable rapporteur (Interruption.)... je demande qu'elle soit actée au procès-verbal pour valoir ce qu'elle pourra.

M. le président. - Voici une proposition que M. Dumortier vient de faire parvenir au bureau.

« Résolution de la Chambre à inscrire au procès-verbal.

« La commission ne pourra faire ni ordonner de visite domiciliaire, ni poser de question sur le secret du vote. »

La parole est à M. Dumortier pour développer cette proposition.

M. B. Dumortier. - Je crois avoir suffisamment développé ma proposition tout à l'heure. Je reconnais que par la loi qui va être votée, la commission peut avoir le droit de faire des visites domiciliaires, que ses droits sont illimités.

Mais j'ai fait remarquer qu'autre chose est la loi et autre chose les pouvoirs à attribuer à une commission en vertu d'une loi. La loi que vous faites devient une loi générale, je demande si dans l'occurrence, lorsqu'il s'agit d'une vérification de pouvoirs, on veut permettre à la commission de faire des visites domiciliaires, de poser des questions relatives au secret du vote.

M. le président. - Je ferai remarquer à M. Dumortier que, sauf en ce qui concerne le secret du vote, la question qu'il pose est décidée par le vote que la Chambre vient d'émettre sur l'article 2.Voici ce qui est voté : « Les pouvoirs accordés aux magistrats instructeurs, et aux présidents des cours d'assises, par le Code d'instruction criminelle, appartiennent à la commission d'enquête et à son président, » de sorte que la question du droit de visite domiciliaire se trouve réduite à celle de savoir si le Code d’instruction criminelle accorde ce droit aux magistrats instructeurs.

Quant à la question du secret du vote, elle se rattache à l'article 3, et l'on peut la discuter sans revenir sur un vote qui a été émis.

M. B. Dumortier. - Il faut que je me sois mal exprimé, puisque je n'ai pas eu l'honneur d'être compris par M. le président. Je reconnais que par l’article 2 qui a été voté, on a admis en principe que les commissions d'enquête auraient les droits déférés aux magistrats instructeurs et aux présidents des cours d'assises, et par conséquent le droit de visite domiciliaire dans les cas prévus par le Code. Mais je demande si la Chambre est obligée, par cela même, d'accorder à toute commission d'enquête les droits qui résultent du Code d'instruction criminelle. Evidemment non. Vous faites une loi qui permet d'aller jusqu'à la visite domiciliaire. Mais voulez-vous accorder ce droit à la commission dont il s'agit aujourd'hui ?

Je soutiens que personne ne peut vouloir accorder ce droit lorsqu'il s'agit d'une vérification de pouvoirs, et je propose, non un amendement à la loi, si je proposais un amendement, je ne serais plus recevable, (page 326) mais je propose qu'après avoir fait la loi, la Chambre décide quels droits elle entend donner à la commission d'enquête.

M. Deliége, rapporteur. - J'espère que l'honorable M. Dumortier voudra bien retirer son amendement. Il faudrait faire revenir le Sénat pour le voter.

M. B. Dumortier. - Ce n'est pas un amendement ; c'est une résolution.

M. Deliége. - C'est évidemment un amendement à la loi. Or il est bien entendu que la commission d'enquête n'usera pas du pouvoir que l'on prétend trouver dans la loi, de faire des visites domiciliaires et que la commission ne pourra pas non plus interroger les témoins sur le point de savoir pour qui ils ont voté.

Je crois que cette déclaration satisfera complètement l'honorable M. Dumortier.

M. B. Dumortier. - Certainement. Mais je demande qu'elle soit inscrite au procès-verbal.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elle se trouvera aux Annales parlementaires.

M. le président. - M. Dumortier insiste-t-il pour que sa proposition soit mise aux voix ?

M. B. Dumortier. - La déclaration de l'honorable M. Deliége suffit ; mais je désire qu'elle soit insérée au procès-verbal. (Interruption.) Si l’on croit que l'insertion aux Annales parlementaires suffit, je n'insiste pas.

M. le président. - Les Annales parlementaires sont lues. Les procès-verbaux de la Chambre ne sont pas lus, pas même par les membres de la Chambre.

- L'article 3 est adopté.

Articles 4 à 8

« Art. 4. Les membres de la Chambre des représentants ont le droit d'assister aux séances de la commission d'enquête. »

- Adopté.


« Art. 5. Les indemnités sont réglées par le tarif en vigueur devant les cour d'assises. »

- Adopté.


« Art. 6. L'offense envers les membres de la commission et la subornation de témoins sont punies des peines prévues par les articles 222, 223, 228, 231 et 365 du Code pénal. »

- Adopté.


« Art. 7. Les peines encourues sont appliquées par les tribunaux ordinaires, auxquels la commission renverra les procès-verbaux constatant les délits. »

- Adopté.


« Art. 8. La commission n« peut opérer ou délibérer valablement que lorsque trois de ses membres au moins sont réunis. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

83 membres prennent part au vote.

49 votent pour l'adoption.

34 votent pour le rejet.

En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera soumis à la sanction royale.

Ont voté l’adoption : MM. Manilius, Moreau, Muller, Nélis, Neyt, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Saeyman, Savart, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Leempoel, Van Volxem, Vervoort, Allard, Ansiau, Carlier, Coppieters 't Wallant, Crombez, Dautrebande, de Bast, de Breyne, H. de Brouckere, de Florisone. De Fré, de Gottal, De Lexhy, Deliége, de Paul, de Renesse, de Rongé, Dolez, Frère-Orban, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Koeler, C. Lebeau, Lesoinne, Loos et Orts.

Ont volé le rejet : MM. Magherman, Mercier, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Snoy, Tack, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Coomans, de Decker, de Haerne, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Julliot et le Bailly de Tilleghem.

Mode de nomination de la commission d’enquête

M. le président. - Une dernière question se présente : Quel sera le mode de nomination des membres de la commission d'enquête. La Chambre entend-elle continuer au bureau, pour la nomination des cinq membres, la délégation qu'elle lui avait donnée pour la nomination de trois membres de la commission (Oui ! oui !) Ou la Chambre veut-elle procéder elle-même à la nomination des cinq membres de la commission ?

- La Chambre décide que le bureau nommera les deux membres qui doivent compléter la commission d'enquête.

M. le président. - Voici la composition arrêtée par le bureau. Il est entendu que chaque membre aura son suppléant spécial.

Membres effectifs et suppléants spéciaux :

MM. Ernest Vandenpeereboom et Coppieters ’t Wallant

MM. De Fré et De Gottal

MM. Coomans et Noteltiers

MM. Van Overloop et Verwilghen

MM. Orts et Hymans.

Ajournement de la chambre

- La Chambre s'ajourne indéfiniment.

La séance est levée à 3 1/2 heures.