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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 24 août 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)

(page 211) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe fait l'appel nominal à une heure et un quart, et lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente ensuite l'analyse des pièces adressées à la Chambre :

« Des administrateurs, propriétaires, industriels, négociants et habitants de Thuin demandent une loi qui donne cours légal en Belgique à la monnaie d'or de France. »

« Même demande d'habitants de Leuze. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Ernest-Auguste Roerhe, musicien-gagiste au régiment des guides, né à Olbersleben (Saxe-Grand-Ducale) demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« L'administration communale d'Aerschot déclare appuyer la pétition du conseil communal de Louvain relative à l'exécution de différents travaux d'utilité publique, dans la partie nord-est de l'arrondissement de Louvain. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de travaux publics.


« M. le ministre de l'intérieur fait hommage à la Chambre d'une loupe qui a appartenu à M. le baron Surlet de Chokier et dont il se servait lorsqu'il présidait le Congrès national. »

- Dépôt à la Bibliothèque.


« L'administration communale de Tournai transmet à la Chambre 116 exemplaires d'une requête du conseil communal de cette ville. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« M. le ministre de la justice informe la Chambre que le sieur Auguentz Adolphe, instituteur à St-Ghislain, a déclaré renoncer à sa demande de naturalisation. »

- Pris pour information.


« M.de Baillet-Latour, retenu par indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi relatif aux mesures organiques de l’enquête parlementaire sur les élections de Louvain

Discussion des articles

Article premier

“Art. 1er. La commission d'enquête est composée de six membres dont trois nommés par le Sénat et trois nommés par la Chambre des représentants.

« La commission choisit dans son sein un président et un secrétaire. »

(page 222) M. Ch. Lebeau. - Messieurs, comme c'est la première loi que nous faisons sur les enquêtes parlementaires, il y a lieu d'en bien définir la nature, le caractère et la portée.

Dans la discussion générale, différentes questions assurément très importantes ont été soulevées ; maintenant qu'il s'agit d'examiner les différents articles du projet de loi, je pense, messieurs, que ces questions doivent être résolues.

Parmi ces questions, messieurs, il en est une qui est relative au point de savoir s'il faut donner à la loi un caractère général, si elle doit s'appliquer à toutes les enquêtes parlementaires. Cette question a été agitée dans les sections et résolue en sens divers. Plusieurs sections ont pensé qu'il fallait donner à la loi un caractère général, d'autres ont pensé le contraire, et la section centrale a adopté ce dernier système.

Je pense, quant à moi, qu'il faut restreindre la loi, non à l'enquête relative aux élections de Louvain, mais à toutes les enquêtes concernant les vérifications de pouvoirs.

Quant à étendre la loi à toutes les enquêtes parlementaires indistinctement, je crois qu'il ne faut pas le faire. Ainsi dans les enquêtes qui concernent l'industrie, le commerce, l'agriculture, les douanes, évidemment on ne doit pas suivre les mêmes formes que dans les enquêtes relatives à des faits qui prennent un caractère délictueux.

Les témoins appelés à déposer dans le premier cas ne devraient pas être astreints aux mêmes obligations, puisque leurs dépositions ne doivent pas avoir la même portée ni le même caractère ; on ne devrait pas non plus leur appliquer les mêmes pénalités en cas de refus de comparaître ou en cas de refus de déposer.

Mais, messieurs, je ne vois aucun inconvénient à décréter que la loi s'appliquera à toutes les enquêtes relatives aux vérifications de pouvoirs ; non seulement je n'y vois aucun inconvénient ; mais j'y vois des avantages, ainsi, supposons que d'ici au jour où le gouvernement déposera un projet de loi sur les enquêtes parlementaires, il se présente de nouvelles élections qui soient également contestées, qu'on signale derechef des faits de corruption et que la Chambre et le Sénat ordonnent une enquête parlementaire, comme dans le cas actuel ; nous en serons réduits encore à devoir faire une nouvelle loi sur les formalités à suivre en matière d'enquêtes.

J'estime donc qu'il faut éviter de renouveler la présentation d'un projet de loi.

D'un autre côté, supposons que les élections de Louvain soient annulées et qu'on procède à de nouvelles élections. Eh bien, si les nouvelles élections, faites dans le même sens ou dans un sens opposé, étaient de nouveau attaquées, on devrait encore, en cas d'enquête, faire une nouvelle loi.

(page 223) II faut éviter ces inconvénients, et je ne vois d'autre moyen que de rendre la loi applicable à toutes les enquêtes concernant les vérifications des pouvoirs.

Je crois qu'il importe également de bien définir l'objet et la portée du projet. L'article premier porte :

« Art. 1er. La commission d'enquête est composée de six membres dont trois nommés par le Sénat et trois nommés par la Chambre des représentants.

« La commission choisit dans son sein un président et un secrétaire. »

Il s'agit de savoir si la commission sera une commission parlementaire ou extraparlementaire ; dans le premier cas, vous n'avez pas besoin d'une loi, si ce n'est pour frapper d'une peine le refus des témoins qui ne voudraient pas comparaître ou qui se refuseraient à déposer ou qui déposeraient contrairement à la vérité.

Car s'il s'agissait seulement de régler les droits et les attributions de la commission, vous trouveriez cela dans les articles 34, 40 et 46 de la Constitution.

Aux termes de l'article 34, c'est à la Chambre à vérifier les pouvoirs de ses membres et à décider les contestations qui s'élèvent au sujet des vérifications de pouvoirs.

S'il s'élève des contestations relatives à des vérifications de pouvoirs, la Chambre a le droit d'ordonner une enquête et d'y procéder elle-même ou d’y faire procéder par une commission ; pour cela, vous n'avez pas besoin d'une loi ; une loi n'est nécessaire que pour comminer des peines contre ceux qui entraveraient les opérations de l'enquête. Mais dans ce cas j'estime que la loi devrait avoir un caractère général, c'est-à-dire applicable à toutes les enquêtes relatives aux vérifications de pouvoirs des membres des deux Chambres.

Il importe, à mon avis, de bien définir si la commission sera une commission purement parlementaire ; car on ne dit pas, dans l'article premier quels seront les membres de la commission ; on dit seulement : « La commission d'enquête est composée de six membres dont trois nommés par le Sénat et trois nommés par la Chambre des représentants. »

D'après cette rédaction, on peut se demander si les membres de la commission doivent être choisis dans le sein des deux Chambres. De la solution de cette question dépend le caractère de la commission, car la commission sera parlementaire ou extra-parlementaire selon qu'on la résoudra dans un sens ou dans l'autre.

Ainsi voilà une commission composée de membres de la Chambre et de membres du Sénat ; c'est là une commission mixte, composée à la fois de délégués de la Chambre des représentants et de délégués du Sénat. Eh bien, je ne sais pas jusqu'à quel point on ne peut dire que cette commission n'est pas une commission extra-parlementaire.

Il importe donc de bien définir le caractère de la commission ; car, je le répète, si vous décidez que cette commission n'est pas une commission purement parlementaire, mais une commission mixte, une commission extra-parlementaire, alors la question serait de savoir si la commission peut siéger après la clôture de la session. Je comprends qu'une commission extra-parlementaire puisse siéger après la clôture de la session, mais je ne pense pas qu'une commission qui n'est qu'une émanation de la Chambre, qui doit exercer, en tout ou en partie, par délégation, les pouvoirs de la Chambre, puisse siéger après la clôture de la session. La Chambre peut-elle prolonger en quelque sorte ses pouvoirs par la nomination d'une commission ? Je ne le crois pas.

C'est pourquoi il faut bien définir le caractère de la commission et dire dans l'article premier si la commission sera parlementaire ou extra-parlementaire, car de la solution de cette question dépendra le droit pour la commission, après la clôture de la session.

J'attendrai les observations qui pourront être présentées par la section centrale sur ces dernières questions avant de présenter d'autres considérations.

(page 211) M. E. Vandenpeereboom. - Vous le voyez, messieurs, par discussion qui a été soulevée hier et qui vient d'être reprise par l'honorable M. Lebeau, nous touchons à une question très grave ; celle de savoir quelles seront les attributions de la commission d'enquête.

Vous avez pu voir dans le rapport, que la section centrale a changé le considérant qui précédait le projet de loi, proposé par le bureau. Elle a invoqué non seulement l'article 40 de la Constitution, mais aussi l'article 46, et je crois, comme vient de le dire M. Lebeau, qu'elle aurait dû viser aussi l'article 34.

Messieurs, on a, en section centrale, émis une opinion qui réservait les droits de la Chambre ; c'est-à-dire que des membres ont reconnu que la Chambre a à elle seule le droit de faire des enquêtes et de les réglementer, surtout en matière de vérification de pouvoirs.

Pourquoi faisons-nous, dans cette occurrence, une loi ? C'est parce que nous avons résolu de procéder à une enquête commune, parce que déjà le Sénat a décidé qu'une enquête aurait lieu sur les mêmes faits, que ceux à propos desquels nous avons pris notre résolution. L'intervention du Sénat est indispensable, parce que nous n'avons pas d'autre moyen, en Belgique, de communiquer avec cette assemblée. En Amérique, il y a une assemblée mixte qu'on nomme conférences, et cette difficulté ne se présente pas comme ici, où nous ne pouvons communiquer avec le Sénat qu'au moyen de projets de loi.

Je disais donc qu'en section centrale on avait soutenu que la Chambre avait isolément le droit de décréter l'enquête et de la régler, sans l'intervention d'aucune autre branche du pouvoir législatif. Et, en effet, messieurs, s'il n'en était pas ainsi, le droit qui nous est donné par la Constitution resterait stérile ; car l'une ou l'autre branche du pouvoir pourrait le rendre impuissant.

C'est surtout en fait de vérification de pouvoirs que notre droit doit être absolu, sans empêchements ou obstacles capables d'amoindrir et d'annuler cette garantie qui nous est donnée par la Constitution.

S'il vous fallait recourir à d'autres pouvoirs, pour exercer efficacement le droit d'enquête, ce droit, dans une affaire qui vous serait propre, deviendrait même une arme ridicule : telum sine ictu.

Cela n'est pas possible.

Vous avez d'abord l'article 40 de la Constitution qui vous donne un droit absolu. « Chaque Chambre a le droit d'enquête. »

L'article 46 dit : « Chaque Chambre détermine, par son règlement, le mode suivant lequel elle exerce ses attributions. » L'article ne dit pas ses travaux, ses délibérations ; mais il dit : « ses attributions ». Or, parmi ces attributions, existe le droit d'enquête.

Vous avez donc le droit de déterminer, par des dispositions réglementaires, c'est-à-dire à vous seuls, de même que vous avez approuvé à vous seuls votre règlement. Vous avez le droit de déterminer comment se fera cette enquête. Cela est si vrai, qu'il aurait pu se faire, et c'eût été, je crois, une mesure très légale, que les auteurs du règlement eussent inscrit un chapitre relatif aux enquêtes à faire par la Chambre, et ce règlement eût eu force de loi, sans que le Sénat et la pouvoir exécutif intervinssent.

M. Ch. Lebeau. - Je suis d'accord avec vous.

M. E. Vandenpeereboom. - Je veux expliquer pourquoi la section centrale a fait des réserves et vous démontrer, que, si, dans le cas actuel, on fait une loi, c'est qu'il s'agit de prendre une mesure commune avec le Sénat. Mais nous avons complètement réservé les droits de la Chambre. Cette réserve est nécessaire ; car nous devons sauvegarder les prérogatives de la Chambre, pour ceux qui nous suivront ; comme nous les avons reçues intactes de ceux qui nous ont précédés.

Pour moi, je crois que la Chambre aurait le droit de déterminer une enquête, qu'elle pourrait établir un règlement comminant des peines. (Interruption.) Je le pense sans l'affirmer, c'est une question à discuter. Il est inutile de la résoudre en ce moment ; mais telle est mon opinion en ce moment ; car enfin il pourrait arriver que vous n'eussiez plus le droit d'enquête, s'il appartenait à une autre branche du pouvoir exécutif de paralyser dans vos mains ce pouvoir.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il faut une loi générale.

M. E. Vandenpeereboom. - Mais si vous ne parvenez pas à établir une loi générale ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cette objection est applicable à toutes les lois.

M. E. Vandenpeereboom. - Oui, mais en fait de vérification de pouvoirs, nous réglons une affaire qui nous est propre, en vertu de l'article 34 de la Constitution.

On invoque l'article 26 de la Constitution qui dit : « Le pouvoir législatif s'exerce collectivement par le Roi, la Chambre des représentants et le Sénat. » Mais, il ne s'agit pas, dans ce moment, de légiférer ; il s'agit d'assurer votre droit de vérifier les pouvoirs et je dis que si nous n'avions pas une mesure à prendre, collectivement avec le Sénat, nous pourrions faire un règlement pour décréter cette enquête et arrêter les mesures d’exécution.

Vous avez, du reste, des exemples, dans votre règlement et dans la Constitution même.

Je ne dis pas que la Chambre puisse appliquer des peines, parce que le pouvoir judiciaire en Belgique est un pouvoir séparé, un pouvoir constitutionnel ; ce n'est pas un pouvoir délégué.

Nous avons, je le répète, preuve dans la Constitution et dans notre règlement qu'il doit en être ainsi.

Ainsi la Constitution dit, article 90 : « La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et les traduire devant la Cour de cassation qui seule a le droit de les juger. »

Ainsi, la Chambre accuse les ministres, comme elle peut accuser un témoin d'avoir fait un faux serment devant elle, et c'est alors au juge à appliquer la peine.

Nous avons un autre exemple dans notre règlement ; l'article 93, paragraphe 2, qui correspond à l'article 82 du règlement du Sénat, et qui porte : « Toute personne qui trouble l'ordre est sur-le-champ exclue des tribunes. Elle est traduite, s'il y a lieu, devant l'autorité compétente. » Voilà encore une circonstance où le président de la Chambre a pour ainsi dire le droit d'expulser, mais où il n'applique pas la peine. Pourquoi la Chambre ne pourrait-elle pas autoriser la commission à contraindre des témoins à comparaître et à déposer devant elle ?

Je pense donc que la Chambre, ou la commission nommée par la Chambre, n'a aucun droit pour appliquer les peines ; mais je suis assez porté à croire que si l'on édictait des peines, ce règlement deviendrait pour ainsi dire loi et loi constitutionnelle, parce qu'il ne serait pris que dans l'exercice de vos fonctions, dans l'exercice d'une des attributions, que vous avez de par la Constitution.

On pourrait invoquer à cet égard l'article 107 de la Constitution.

Cet article dit : « Les cours et les tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu'autant qu'il seront conformes aux lois. » Eh bien, votre règlement serait conforme à la loi suprême, qui est la Constitution.

Je répète que je ne présente ces observations que pour réserver les droits de la Chambre.

Il n'est pas nécessaire de résoudre cette question, en ce moment. La commission l'a crue assez importante pour faire une réserve dans le préambule.

M. Moncheur. - Ce préambule a été rejeté.

M. E. Vandenpeereboom. - Il a été fait une réserve à cet égard. Ce n'est que pour maintenir cette réserve que j'ai pris la parole.

(page 212) En présentant cette théorie, j'ai eu seulement en vue d'appeler sur cette question l'attention de ceux qui auront à la résoudre. C'est un point de discussion d'autant plus sérieux, qu'en ne reconnaissant pas à la Chambre le droit de régler les enquêtes dans une certaine mesure, ce serait rendre impuissante, dans ses mains, cette arme nécessaire pour maintenir la pureté des élections, et l'action que la Chambre doit avoir dans la délicate question de l'admission de ses membres.

J'aurais hésité à émettre ces présomptions, je n'ose pas dire cette opinion arrêtée, si je n'avais, pour m'abriter, eu l'autorité de la discussion de 1831, et l'avis de notre honorable président qui, en section centrale, allait beaucoup plus loin que moi. Peut-être quelques dispositions insérées au nouveau code pénal, rendraient-elles inutile une loi générale.

Du reste, je voterai la loi, comme répondant aux nécessités du moment, sans que, pour l'avenir, rien soit engagé ou compromis, en ce qui regarde les précieuses prérogatives de la Chambre.

M. le président. - Le bureau a reçu de M. Guillery les amendements suivants :

« Art. 1er. Lorsqu'une enquête parlementaire se fait simultanément par les deux Chambres, la commission (le reste comme au projet de la section centrale). »

« Art. 2. La Chambre qui ordonne l'enquête déclare, en nommant la commission, si les pouvoirs... (le reste comme au projet). »

« Art. 3. Elle décide de même si... (le reste comme au projet). »

« Art. 6. (Substituer le présent au futur). »

M. Wasseige. - Comme vous êtes occupé à lire les amendements, M. le président, j'aurai l'honneur de vous eu communiquer un.

M. le président. - Voici l'amendement de M. Wasseige :

« Après l'article 3 :

« Les sénateurs et les députés de l'arrondissement de Louvain, dont l'élection est contestée, peuvent assister à l'enquête ou s'y faire représenter. Ils ont le droit de faire entendre les témoins qu'ils désigneront et d'adresser à la commission les réquisitions qu'ils croiront utiles pour découvrir la vérité. »

M. Wasseige aura la parole à l'article 3 pour développer cet amendement.

La parole est à M. Guillery pour développer son amendement à l'article premier.

M. Guillery. - Cet amendement ne compliquera pas du tout la discussion. Il satisfait au vœu exprimé par le plus grand nombre des sections, et de plus il évite la difficulté signalée par les honorables MM. Lebeau et Vandenpeereboom ; il ne se prononce pas sur la question très grave de savoir si la Chambre aurait le droit, alors qu'elle ordonne une enquête en vertu de l'article 40 de la Constitution, de comminer des peines contre les témoins non comparants ou contre les faux témoins, en vertu de l'article 46 de la Constitution, qui lui donne le droit de déterminer par son règlement le mode suivant lequel elle exerce ses attributions.

Vous avez entendu, messieurs, l'honorable M. Vandenpeereboom soutenir que ce droit appartient à la Chambre, et vous avez entendu immédiatement au banc ministériel des dénégations ; cela démontre qu'il y a une division. Il est donc important de tourner cette difficulté.

Puisque nous n'avons pas le temps nécessaire pour proposer une loi complète, je ne demande qu'une seule chose, ce n'est pas une loi générale, une loi prévoyant tout ce qui est relatif aux enquêtes administratives, aux enquêtes concernant les élections, je demande simplement qu'on ajoute comme sanction à l'article 40 de la Constitution des peines contre les témoins non comparants et contre les faux témoins. Il n'y aurait là rien de dangereux.

La Chambre, d'après l'article 2, aura le droit, lorsqu'elle ordonne une enquête, de dire si les pouvons accordés par le Code d'instruction criminelle, aux magistrats instructeurs sont accordés, pour la circonstance actuelle, aux membres de la commission d'enquête.

S'il s'agit d'une enquête industrielle, alors il ne sera pas question d'appliquer ces peines et la Chambre décidera qu'il n'y a pas de témoins proprement dits, qu'il n'y a pas de serment, qu'il n'y a pas de faux témoins et qu'il n'y a pas lieu de comminer ces peines. Il y aura peut-être des peines contre les non-comparants, mais il n'y en aura pas contre les faux témoins.

Les Chambres se trouvent avoir, par mon amendement, un complément à l'article 40 de la Constitution. Je ne demande pas autre chose. Pourrait-il y avoir une bonne raison pour lui refuser ce droit, ce droit que, d'après plusieurs jurisconsultes éminents, elle tient de plein droit de cet article 40.

Rappelez-vous, messieurs, que dans l'enquête relative au tunnel de Cumptich, la commission s'est trouvée paralysée, à défaut de pouvoirs nécessaires pour faire comparaître les témoins, comme on peut le faire devant le juge d'instruction ou devant les tribunaux.

Veuillez remarquer, messieurs, que cet amendement n'étend en rien le cercle de la discussion et ne peut pas retarder le vote de la loi, comme on aurait pu me le reprocher si j'avais demandé une loi générale.

M. le ministre de la justice a promis dans la séance d'hier de s'occuper d'un projet de loi concernant les enquêtes parlementaires relatives aux élections, aux vérifierions de pouvoirs, mus il a ajouté qu'il ne pourrait pas prendre l'engagement de présenter un projet de loi sur toutes les enquêtes possibles.

Je comprends parfaitement que c'est là un sujet excessivement grave que les questions à traiter sont de la plus haute importance et qu'il n'est pas possible de s'engager à faire un code sur cette matière.

Il faut donc se borner à prendre ce qu'il y a d'essentiel dans les propositions qui peuvent être faites pour accorder à la Chambre ce qu’elle doit nécessairement avoir sous peine de voir l'article 40 dépourvu de sanction, comme il était dépourvu de sanction en 1831 lorsqu'elle a ordonné une enquête et que cette enquête s'est trouvée paralysée.

Aujourd'hui nous nous trouvons parfaitement d'accord avec le pouvoir exécutif et avec le Sénat, mais si nous ordonnions une enquête contre le pouvoir exécutif, croyez-vous qu'il accorderait facilement, par exemple, le droit de citer toutes personnes comme témoins, de condamner comme faux témoins tous les fonctionnaires publics qui n'auraient pas répondu aux questions qu'on leur aurait posées ?

Les précédents nous permettent d'en douter. Du moment où il y aurait conflit avec le pouvoir exécutif, il ne serait pas possible de faire une loi puisque les trois branches du pouvoir législatif ne se trouveraient pas d'accord.

Il faut donc saisir l'occasion actuelle pour faire non pas une loi qui régisse d'une manière complète les vérifications de pouvoirs, comme celle que M. le ministre de la justice se propose de nous présenter, mais une loi qui, d'un autre côté. soit beaucoup plus générale en ce que pour toutes les enquêtes possibles, alors même qu'il ne s'agit pas de vérification de pouvoirs, la Chambre aura, d'après cet amendement, le droit de comminer des peines, te c'est là ce qu'il est important de lui donner.

Si nous ne saisissons pas cette occasion, nous n'aurons jamais, de la part du pouvoir exécutif, une force positive qui nous mette à même de faire une loi semblable, qui nous permette de donner un pareil droit à la Chambre des représentants et au Sénat. Or, il est très important que nous ayons ce droit, il faut que nous l'ayons sous peine de voir le droit d'enquête paralysé comme il s'est trouvé paralysé en 1831.

Je crois donc, messieurs, que la crainte d'élargir le cercle de la discussion ne doit pas nous retenir.

La crainte de donner à la Chambre des pouvoirs trop étendus ne doit pas nous retenir non plus, puisque la Chambre en nommant la commission pourra toujours donner à la commission les pouvoirs déterminés par les articles 2, 3 et 4 du projet de loi ou les lui refuser.

Je le répète, messieurs, nous devons saisir l'occasion de rendre possible l'exécution de l'un des droits les plus importants des Chambres, le droit d'enquête. Si nous n'y veillons, peut-être jamais n'obtiendrons-nous les droits que concerne mon amendement. L'article 40 de la Constitution sera paralysé à l'époque même où nous aurons le plus d'intérêt à en réclamer les garanties.

M. Moncheur. - Messieurs, dans le sein de la section centrale, ou a soulevé une grave question, celle de savoir si chaque Chambre à le droit de régler elle-même et séparément l'exercice du droit d’enquête que lui confère l'article 40 de la Constitution. Plusieurs membres de la section centrale, ainsi que l'a dit l'honorable M. Vandenpeereboom, ont pensé que chacune des deux Chambres possède en effet le droit de régler elle-même l'exercice du droit d'enquête.

D'autres, au contraire, et j'étais du nombre, ont pensé que le droit d'enquête, qui appartient au Sénat et à la Chambre des représentants, est soumis, comme tous les autres droits, aux principes du droit commun, c'est-à-dire à la stricte observance d'autres articles de la Constitution, lesquels doivent nécessairement être mis en harmonie avec l'article 40 susmentionné.

Je citerai en première ligne l'article 9 de la Constitution qui exige une loi pour qu'une peine puisse être prononcée.

Si donc chaque Chambre a le droit de régler l'exercice du droit d'enquête, cela ne lui donne nullement le pouvoir d'établir seule des peines comme sanction du règlement qu'elle ferait à cet égard. Ainsi la Chambre pourrait très bien, il est vrai, décider par une résolution prise isolément, qu'elle exercera son droit d'enquête de telle ou telle façon, qu'elle composera sa commission d'enquête de tant de membres, que cette commission siégera dans telle ou telle localité, qu'elle fera tels ou tels rapports, etc., etc.

Mais dès l'instant où la Chambre croira devoir établir une peine contre les témoins récalcitrants, elle tombera sous l'application de l'article 9 de la Constitution qui porte que « nulle peine ne peut être établie qu'en vertu de la loi. »

Voilà, messieurs, le motif pour lequel le considérant, proposé par un membre de la section centrale et dont l'honorable M. E. Vandenpeereboom avait commencé à donner lecture, avait été rejeté.

Ce considérant était ainsi conclu :

« Vu les articles 40 et 46 de la Constitution ;

« Considérant que si la Constitution a donné à chaque Chambre le droit d'enquête et le pouvoir d'organiser seule l'exercice de ce droit, la circonstance que l'enquête actuelle doit être simultanée nécessite la présentation d'un projet de loi. »

Vous voyez, messieurs, que ce libellé attribuait d'une manière (page 213) absolue à chaque Chambre le pouvoir d'organiser seule l'exercice de son droit d'enquête, c'est-à-dire de l'organiser d'une manière sérieuse et efficace, par exemple, au moyen de peines prononcées contre les témoins qui ne comparaîtraient pas devant la commission ou qui feraient un faux témoignage.

Mais nous nous sommes arrêtés devant cette difficulté car il a été convenu qu'aucune espèce de préjugé ne pourrait résulter du projet à cet égard.

C'est pourquoi on a simplement visé les articles 40 et 46 de la Constitution, sans rien préjuger au sujet du droit qu'aurait la Chambre d'organiser seule et sans une loi proprement dit l'exercice de son pouvoir d'enquête.

L'honorable M. E. Vandenpeereboom, très convaincu de la nécessité de maintenir les prérogatives de la Chambre, (et nous le sommes tous, je pense,) a objecté que si on n'admettait pas le système qui n'a pas été accueilli par la section centrale, on pourrait en arriver à rendre illusoire le droit d'enquête dévolu tant à la Chambre des représentants qu'au Sénat ; car il pourrait arriver, par exemple, dit-il, que le pouvoir exécutif refuserait sa sanction à toute loi qui armerait l'une ou l'autre de ces assemblées des pouvoirs nécessaires pour faire une enquête contre lui.

Mais, messieurs, il est beaucoup de cas encore où les droits de citoyens ou même des corps de l'Etat ne peuvent être exercés, faute d'une loi organique qui règle cet exercice. Ce sont là certainement des lacunes.

Mais de ce qu'une loi nécessaire n'existe pas, il n'en résulte point qu'on puisse s'en passer. C'est dans des moments de calme entre les partis, dans des moments où il n'existe point de contestation sur les prérogatives des pouvoirs qu'on doit faire une loi qui règle les droits de chacun d'eux.

Je crois notamment que ce serait aujourd'hui l'occasion de faire une loi générale de l'espèce. Mais le temps nous manque pour cela, comme il nous manque du reste pour bien d'autres choses encore, messieurs, car ainsi que l'a constaté l'honorable M. E. Vandenpeereboom, rapporteur du projet de loi de travaux publics, nous ne pouvons même examiner cet objet très important qu'à sa surface ; c'est très déplorable, mais laissons cela !...

Pour en revenir à ce projet en discussion, je déclare d'avance que je ne pourrais en tous cas voter pour le projet en discussion que s'il contient le principe de l'amendement que j'ai proposé dans le sein de la section centrale et qui est reproduit sous une autre forme, par l'honorable M. Wasseige, j'entends parler du droit de la légitime défense qui doit être assuré, par la loi que nous allons faire, aux élus de Louvain.

Messieurs, j'ai pris la parole surtout pour établir que la Chambre n'a pas le droit d'organiser seule l'exercice du droit d’enquête, si cette organisation comprend des peines prononcées contre les témoins, experts ou autres ; qu'ainsi du moment qu'il s'agit de comminer ces peines, il faut une loi, c'est-à-dire le concours des trois branches du pouvoir législatif, et, quant à la condamnation à une peine quelconque, elle ne peut jamais avoir lieu que par le pouvoir judiciaire, et non par la Chambre elle-même.

- M. Vervoort remplace M. Orts au fauteuil.

M. Ch. Lebeau. - Messieurs, la Chambre a le droit de vérifier les pouvoirs de ses membres et de juger les contestations qui s'élèvent à ce sujet. Lorsqu'une élection est contestée, la Chambre peut donc procéder à une enquête. Par conséquent, elle aurait droit, en vertu de l'article 40 de la Constitution, de faire comparaître devant elle des témoins, de les entendre et de tenir note de leurs dépositions.

Ce qu'elle peut faire par elle-même, elle a le droit de le faire par une commission nommée dans son sein. Jusque-là elle ne sort pas des attributions qui lui sont conférées par la Constitution ; elle n'a pas besoin d'une loi. Mais si les témoins ne veulent pas comparaître ou déposer, ou s'ils déposent contrairement à la vérité, pour les premiers, il faut une loi. (Article 9 de la Constitution.)

Or, comme il n'y a aucune loi qui commine une peine contre les témoins appelés à déposer devant une commission émanée de la Chambre, les témoins échappent à toute espèce de pénalité.

C'est pour ce motif qu'il faut faire une loi qui sanctionne par une pénalité les infractions aux opérations de l'enquête.

Les observations que j'ai présentées ont principalement pour but de bien définir le caractère de la commission.

Hier, l'honorable M. Dumortier a soulevé la question de savoir si la commission qui sera nommée pourra opérer après la clôture de la session ?

La Chambre ne pourrait pas présider à l'enquête, si la session était close. Or si la commission qui sera nommée est une commission parlementaire représentant les Chambres, la commission n'a pas plus de pouvoir que la Chambre elle-même.

Pour éviter cet inconvénient, il faudrait décider que la commission à nommer ne sera pas une commission parlementaire.

M. H. de Brouckere. - La commission sera toujours parlementaire.

M. Ch. Lebeau. - Mais en vertu d'une loi, il pourrait y avoir des commissions qui seraient nommées par les Chambres et qui ne seraient pas exclusivement composées de membres de la Chambre. Si, au contraire, la commission est purement parlementaire, cette commission ne pourra siéger après la clôture de la session.

M. Deliége, rapporteur. - Nous sommes d'accord.

M. Ch. Lebeau. - Mais je ferai remarquer qu'il n'est pas bien certain qu'on pourra terminer les opérations de l'enquête avant la clôture de la session, et dans ce cas les opérations seront retardées jusqu'à la session prochaine.

M. de Theux. - Messieurs, la loi que nous discutons est urgente ; car, enfin, il faut mettre un terme à la situation tout à fait anomale de la représentation de l'arrondissement de Louvain dans cette Chambre.

C'est assez dire qu'il ne faut point compliquer la loi de nouvelles dispositions et qu'il convient de s'en tenir strictement au projet de la commission.

On nous dit : Saisissons l'occasion de cette loi pour y introduire des principes d'une législation générale ; quoique incomplète, introduisons-y toujours quelques principes généraux ; ce sera autant de pris. Eh bien, je dis que cette manière de raisonner n'est pas convenable ; c'est-à-dire qu'on voudrait saisir cette occasion pour imposer, soit au gouvernement, soit au Sénat, une loi générale qui ne leur conviendrait pas, à propos d'une loi spéciale qui est nécessaire.

Je dis que cela n'est pas digne de la Chambre ; c'est une manière de procéder que nous ne pouvons pas admettre. La matière est assez grave tour que nous fassions une expérience dans le cas spécial qui nous occupe.

Pius tard, nous aurons à examiner ce qu'il y aurait à faire dans une loi générale. Nous y serons préparés par une proposition de loi ; nous examinerons simultanément cette proposition dans son ensemble ; nous la discuterons à loisir et, de cette manière, nous ne devrons rien improviser, nous ne laisserons rien au hasard.

On a, dans la session dernière, demandé une révision de la loi électorale. Messieurs, à mon avis, une loi relative aux enquêtes parlementaires concernant les élections en général ne devrait être que la conséquence des modifications qu'on pourrait apporter à la loi électorale, ou bien être en harmonie avec le système général de la loi actuelle, si elle n'était pas modifiée. Je pense qu'une enquête parlementaire relative aux élections ns peut porter que sur des faits qui sont punis par nos lois pénales ; car, si on allait jusque-là, si les pouvoirs de la commission d'enquête étaient vagues et indéterminés, si des faits parfaitement licites et qui ne sont défendus par aucune loi pouvaient devenir l'objet d'une enquête parlementaire et amener l'annulation d'une élection, vous donneriez à la Chambre le pouvoir le plus arbitraire qui se puisse imaginer.

Toutes ces questions d'élection pourraient être résolues suivant l'opinion des partis.

Pour ma part, messieurs, je ne veux pas d'un tel système. Je ne m'opposerais pas à ce qu'il y eût une loi d'enquête faite en harmonie avec le système général des élections, en ce sens que l'enquête ne dû porter que sur des faits posés en contravention aux lois.

Dans cet ordre d'idées ou peut admettre une loi générale, mais cette loi, comme je l'ai dit, doit être mûrement méditée et non pas imposée par surprise au Sénat et au gouvernement.

M. Orts. - Dans les paroles que vous venez d'entendre, messieurs, il y a une observation extrêmement sage et que nous ferons bien de mettre à profit. L'honorable M. de Theux a commencé son discours en nous disant que nous serions en face d'une très grosse difficulté si nous voulions étendre le cadre qui avait été tracé à la commission d'enquête par le projet émané de la section centrale. L'honorable M. de Theux est parfaitement dans le vrai.

Si nous voulions faire une loi générale pour toutes les enquêtes, voire même pour toutes les enquêtes se rapportant à des questions de vérification de pouvoirs, nous nous heurterions à des questions de prérogative qu'il sera extrêmement important d'étudier, mais qui seront extrêmement difficiles à résoudre.

Nous risquons, en effet, de compromettre la prérogative d'une des deux Chambres ou la prérogative du pouvoir exécutif.

Nous avons aujourd'hui un cas spécial à résoudre, et pour la solution de ce cas spécial il faut, de l'aveu de tout le monde, un projet de loi. Nous avons à faire non pas une enquête d'après les termes purs de l'article 40 de la Constitution combiné avec l'article 46, mais une enquête simultanée avec l'autre Chambre. Or, comme le faisait très bien remarquer l’honorable M. E. Vandenpeereboom, nous n'avons qu'un moyen constitutionnel de nous mettre officiellement d'accord avec l’autre Chambre pour la poursuite d'un même but ; ce moyen réside dans la présentation du projet de loi qui sera discuté dans l'autre enceinte après avoir été débattu dans celle-ci.

Pourquoi chez nous d'abord ? Non pas parce que nous voudrions nous donner une suprématie qui ne nous appartient pas, les deux Chambres était, à mon avis, sur un pied d'égalité parfaite, mais parce que la nécessité d'un projet de loi a été signalée d'abord dans cette enceinte.

Puisqu'il faut un projet de loi pour ce cas spécial dans toutes les opinions, faisons un projet de loi spécial, ou tout au plus un projet de loi qui puisse être appliqué dans les autres circonstances spéciales, analogues à celle-ci ; c'est-à-dire toutes les fois, ce qui n'arrivera sans doute plus, ou du moins que rarement, toutes les fois que le Sénat se trouvera amené à ordonner une enquête en même temps que la Chambre des représentants.

(page 214) De cette manière, nous ne touchons pas à la grave question de savoir si les articles 40 et 46 de la Constitution permettent à chaque Chambre d'organiser son droit d'enquête, et, pour que l'enquête soit sérieuse, de prescrire des pénalités contre ceux qui voudraient entraver le libre exercice du droit d'enquête.

Cette question, messieurs, est d'une telle importance, qu'elle a fait reculer la Chambre des députés de France dans une circonstance où cette assemblée était amenée à faire simultanément plusieurs enquête en vérification des pouvoirs à l'occasion d'élections, qui en 1842 et 1843 étaient accusées d'être entachées de corruption. On a craint de compromettre par des solutions théoriques pures la prérogative de la Chambre on celle du gouvernement. Eh bien la question a été tenue en suspens.

Ici, messieurs, nous avons le moyen de ne point rencontrer cette difficulté ; et je crois que nous ne devons pas nous hasarder à une solution absolue, qui n'est pas nécessaire pour les besoins du moment.

Quant à moi, il me paraît certain que la nécessité d'un projet de loi pour organiser l'enquête, c'est-à-dire pour donner une sanction aux pouvoirs déférés à la commission d'enquête, tend à rendre complètement nul le droit d'enquête des deux Chambres ou même le droit de mise en accusation des ministres par la Chambre des représentants ; une mise en accusation dans le système de la Constitution doit être précédé, de la part de la Chambre d'une enquête parlementaire, comme dans le monde judiciaire, on ne met pas le moindre citoyen en accusation, avant d'avoir procédé à une instruction préalable contre lui.

C'est, du reste, ainsi que cela s'est pratiqué dans tous les pays où des ministres ont été mis en accusation. C'est ainsi qu'on a procédé, notamment en 1830, contre les ministres de Charles X, mis en accusation par la chambre des députés après juillet. Eh bien, s'il fallait un projet de loi pour organiser les enquêtes en ce cas ; s'il fallait un projet de loi pour mettre les ministres en accusation, le pouvoir exécutif pourrait, quand il le voudrait, paralyser la décision de la Chambre en refusant la sanction, ce qu'un ministère peut faire, même lorsque la majorité lui échappe.

Vous voyez, messieurs, quelles immenses difficultés nous rencontrerons si nous ne si suivons pas le sage conseil de l'honorable M. de Theux. Restons dans la spécialité du cas qui se présente ; la dignité de la Chambre et les égards qui sont dus à l'arrondissement de Louvain commandent impérieusement d'ailleurs d'en finir au plus tôt.

- La discussion sur l'article premier est close.

L'amendement de M. Guillery est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

M. Guillery. - Mes autres amendements tombent par suite de ce vote.

- L'article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Les pouvoirs accordés aux magistrats instructeurs et aux présidents des cours d'assises par le Code d'instruction criminelle, appartiennent à la commission d'enquête et à son président. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Les témoins, les experts et les autres personnes, dont le concours peut être exigé ou requis en matière criminelle, sont soumis, devant la commission d'enquête, aux mêmes obligations que devant les cours d'assises, et passibles des mêmes peines en cas d'infraction ou de refus. »

M. B. Dumortier. - Je voudrais savoir ce que viennent faire les experts dans cette affaire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il peut y avoir des écritures à vérifier.

M. B. Dumortier. - Il s'agit de savoir si l'on a donné des pièces de 5 francs. Veut-on vérifier si ces pièces de 5 francs étaient bonnes ou mauvaises ?

M. Orts. - Je vais donner à l'honorable M. Dumortier une explication très simple et tirée même de l'affaire qui donne lieu de l'enquête. On a argumenté, dans la pétition de Louvain, d'une mention écrite qui se trouvait sur un bulletin électoral, mention par laquelle on indiquait que l'on pouvait aller se faire indemniser des frais de voyage (il s'agit de savoir si ce sont des frais de voyage) chez M. le curé. On a répondu à cela que cette mention pouvait bien avoir été écrite par quelqu'un qui n'était pas du tout de l'opinion politique qui a prévalu. Eh bien, il peut être nécessaire de vérifier l'écriture de cette mention et l'on peut avoir besoin d'experts.

M. Carlier. - Le premier fait qu'il s'agit de vérifier porte sur des écritures.

M. B. Dumortier. - Si l'on veut avoir des experts, je ne m'y oppose pas. Mais je crois que l'observation qui vient d'être faite n'est pas fondée. Je sais bien que dans la pétition pour demander l'enquête, on a dit que l'écriture de la lettre dont on vient de parler était contrefaite. Mais j'ai examiné cette pièce, elle n'est pas du tout contrefaite. Ce qui reste de plus clair, c'est que la lettre dont on vient de parler prouve au contraire qu'il s'agissait de frais de voyage.

- L'article 3 est mis aux voix et adopté.


M. le président. - Vient le paragraphe proposé par M. Wasseige.

Il a la parole pour le développer.

M. Wasseige. - Messieurs, un membre de la section centrale avait proposé un amendement qui était conçu dans ces termes :

« Les personnes à charge de qui sont cités ,dans les dénonciations ou plaintes, les faits donnant lieu aux informations, ont le droit d'assister à celles-ci, et de faire entendre par la commission d'enquête les témoins qu'ils désigneront. »

Cet amendement avait pour but de sauvegarder les droits des personnes qui auraient pu se trouver accusées des faits de corruption ou de subornation. Il a été repoussé par la majorité de la commission.

Elle a déclaré que personne n'était ici en cause, qu'il ne s'agissait pas de juger des individus accusés, que l'élection seule était en litige. Je ne partage pas cette opinion. Je prétends qu'il peut résulter de l'enquête et des suites qui y seront données dans la Chambre, que des personnes se trouveraient accusées sans avoir été entendues ni défendues.

Je ne représente cependant pas cet amendement, mais je constate que d'après l'avis de la commission elle-même, l'enquête est une enquête purement civile, que l'élection seule est en litige.

Eh bien, l'élection étant en litige, quels sont ceux qui sont le plus directement intéressés dans l'enquête qui doit avoir lieu ? Ce sont bien certainement les élus de l'arrondissement de Louvain.

Jusqu'à ce que la Chambre se soit prononcée sur la validité des élections, ils ont bien certainement pour eux la présomption légale qu'ils sont les véritables élus de la majorité du corps électoral de l'arrondissement de Louvain. Ils ont donc un intérêt très direct et très positif à surveiller les travaux de l'enquête, de manière qu'elle soit faite justement, loyalement, que la vérité en ressorte tout entière.

Ils ont d'abord un intérêt qui leur est personnel, parce qu'ils désirent accomplir leur mandat ; ils ont ensuite l'intérêt de défendre la majorité de l'arrondissement de Louvain ; donc il y a présomption, jusqu'à preuve contraire, qu'ils sont les véritables mandataires.

Je pense donc qu'on ne peut leur refuser le droit d'assister à l'enquête, sans commettre à leur égard une suprême injustice.

La section centrale, en repoussant l'amendement dont j'ai parlé tout à l'heure, déclare que la commission qui sera nommée se gardera de méconnaître les principes d'éternelle justice. Eh bien, il est de principe d'éternelle justice que l'on accorde à un accusé le droit de se défendre, d'être entendu, et que celui qui a un intérêt dans une affairé ait le droit de défendre cet intérêt.

Ce principe est d'ailleurs parfaitement reconnu en fait d'enquête, il est de droit commun ; le code de procédure civile le décrète positivement et chaque fois qu'il y a lieu de faire une enquête, il réserve le droit de contre-enquête. C'est l’application du droit commun que je réclame ici pour nos collègues de Louvain. Il me paraît, d'ailleurs que la présence des personnes dont l'élection est contestée, est indispensable pour que la commission puisse voir clair dans cette affaire ; il est impossible qu'elle se contente d'entendre les témoins qui lui seront indiqués par l'accusation, de vérifier les faits qui lui seront signales comme vrais par l'accusation. Il faut qu'elle cherche ses renseignements de toutes parts, qu'elle contrôle, qu'elle vérifie. Or, qui trouvera-t-elle plus à même de lui fournir des éléments d'appréciation que les personnes dont l'élection est en cause ?

Je pense donc que si l'on veut faire une enquête juste, loyale, désintéressée, il faut que les élus de l'arrondissement de Louvain puissent assister à la commission pour lui donner les éléments de preuve contraire, dont elle pourra avoir besoin, pour que l'enquête soit complète.

J'ai regretté que la proposition que j'ai eu l'honneur de vous faire hier ait été repoussée ; je pense que nous eussions pu donner aux élus de Louvain la satisfaction d'examiner encore une fois la valeur des griefs articulés contre leur élection, et qu'un retard de vingt-quatre heures n'eût pas été de trop dans cette affaire. J'ai cependant une foi robuste, et malgré cet échec, j'ai la conviction que la commission examinera d'une manière impartiale les faits qui se produiront devant elle et que la Chambre n'a d'autre but que de découvrir la vérité dans cette affaire. C'est pourquoi j'espère que mon amendement, qui n'a pas non plus d'autre but, sera adopté. Si j'étais trompé de nouveau dans mon attente, si mon amendement était rejeté, j'avoue que ma foi dans l'impartialité de la loi que nous examinons serait beaucoup diminuée et qu'il me serait impossible de lui accorder mon suffrage.

M. Deliége, rapporteur. - L'honorable M. Wasseige vient de comparer l'enquête parlementaire à une enquête civile. Je crois qu'il y a une différence du tout au tout.

En matière civile, il y a une personne en cause, une personne à qui des droits sont déniés. Ici il n'en est pas de même. Evidemment, si les faits dont on se plaint existent, ils ont été posés, j'en suis certain, en dehors de l'action des élus. Dans tout ce qui s'est passé et au Sénat et dans la commission de vérification des pouvoirs et dans cette Chambre, l'honneur des élus de Louvain est resté parfaitement intact ; il n'a été nullement attaqué.

Ordinairement que se passe-t-il dans les élections ? Ce ne sont pas les élus qui pratiquent les faits de la nature de ceux dont il s'agit, ce sont de mauvais amis, il est vrai, mais des amis des élus.

Il est évident, dès lors, que nous ne devons pas faire ici ce qu'on n’a jamais fait nulle part. Car, remarquez-le, vous avez annulé, il n'y (page 215) pas très longtemps, une élection. Avez-vous entendu celui qui était en cause ?

M. Wasseige. - Oui !

M. Deliége. - Nullement. L'avez-vous appelé à la barre de cette Chambre ? Vous ne l'avez pas fait. Dans les autres pays constitutionnels, en France et ailleurs, entend-on ceux qui sont intéressés ! Cela ne se fait nulle part.

- M. Orts remonte au fauteuil.

M. De Fré. - Messieurs, je ne comprends pas l'amendement de l'honorable M. Wasseige. L'honorable membre fait à ses amis une position excessivement humiliante. Vous les mettez sur la même ligne que des prévenus qui sont obligés de se défendre, de venir donner des explications et d'indiquer des témoins pour leur défense. Mais ne savez-vous pas que vous amoindrissez leur position ?

De quoi s'agit-il ?

Aucun fait n'a été articulé contre les représentants de Louvain ; ils ne sont pas en cause. Leur moralité n'a pas été attaquée. Mais la Chambre a décidé, en présence des faits graves qui étaient articulés et qui étaient pertinents, qu'il y avait lieu, dans l'intérêt de sa dignité, de faire une instruction.

Si l'enquête prouve l'existence de ces faits, l'élection de Louvain sera annulée, mais la moralité des représentants ne sera pas atteinte ; et ils pourront, comme auparavant, se présenter devant le corps électoral.

Il ne s'agit pas d'un débat entre deux parties. La Chambre vient, comme un pouvoir neutre, comme un pouvoir respectable, examiner les faits qui se sont passés à Louvain, et quand la commission aura fait son rapport, ici, dans cette enceinte, on défendra les représentants de Louvain ; il y aura un débat contradictoire, mais le débat contradictoire n'est pas possible devant la commission, pas plus qu'un débat contradictoire n'est possible devant le juge d'instruction, qui aussi se borne à recueillir les faits.

Ceci, messieurs, est élémentaire. Des faits sont dénoncés. On entend des témoins à l'effet de savoir si les faits sont vrais. Le juge d'instruction ne juge pas, la commission que la Chambre nommera ne juge pas. Elle recueille les faits et c'est ici que le débat contradictoire aura lieu. C'est ici que la défense réciproque se fera. Mais devant la commission cela n'est pas possible.

Je combats donc l'amendement de l'honorable M. Wasseige, d'abord comme inutile, et ensuite comme humiliant pour les représentants de l'arrondissement de Louvain,

M. H. de Brouckere. - Je ne veux présenter à la Chambre qu'une seule observation.

Je crois que l'amendement de l'honorable M. Wasseige a un mauvais côté quant aux élus de Louvain. Je crois que c'est leur faire jouer un rôle qui ne leur convient pas.

Ils n'ont été accusés de rien ; ils n'ont jamais été mis en cause par nous et il ne faut pas que nous paraissions les rendre solidaires de ceux qui auraient commis des fautes dans l'élection. Mais d'un autre côté, l'amendement est complètement inutile, parce qu'il tombe sous le sens que la commission d'enquête aura égard à tous les renseignements que les élus de Louvain voudront lui donner et qu'elle entendra tous les témoins qu'on lui indiquera.

M. Deliége. - Cela est dit dans le rapport.

M. H. de Brouckere. - Cela ne serait pas dans le rapport que le bon sens le dit. La commission d'enquête ne va pas être créée dans des idées d'hostilité contre les élus de Louvain ; elle n'est créée que dans le seul but d'arriver à connaître la vérité. Eh bien, si les élus de Louvain ont des témoins à désigner, s'ils ont des renseignements à fournir, il est évident que la commission d'enquête fera tout ce que les élus de Louvain pourront lui demander de faire. Sous ce rapport, je crois que l'amendement est complètement inutile et qu'il a un mauvais côté.

M. Wasseige. - Je n'ai jamais prétendu que l'honneur des élus de Louvain eût été mis en cause et que mon amendement, qui tend à leur permettre d'assister aux travaux de la commission d'enquête, eût pour but de leur fournir les moyens de défendre leur honneur. Je sais que personne dans cette Chambre n'a mis cet honneur en suspicion ; je rends justice, sous ce rapport, à toutes les opinions et je répéterai ici ce qui est dit dans le rapport : Personne n'a suspecté l'honneur des représentants de Louvain.

Mais ce qui est bien certainement en cause, c'est l'élection elle-même, et les élus de Louvain ont à défendre non leur honneur, mais leurs droits, ce qui est bien différent.

Je dis que jusqu'à preuve du contraire ils ont le droit de se prétendre les représentants de la majorité de l'arrondissement de Louvain ; ils ont donc le droit de surveiller une enquête qui a pour but de leur faire perdre cette position.

Ils ont à défendre, là, non seulement leurs droits, mais les droits de ceux qui les ont envoyés dans cette enceinte.

Cette position n'a rien d'humiliant. Elle n'a d'autre but que de faire que l'enquête soit contrôlée et que la vérité puisse se faire jour. C'est un devoir à remplir, et il n'est jamais humiliant de remplir son devoir.

On vous a dit que le débat contradictoire aurait lieu dans cette Chambre. Mais si les élus de Louvain n'ont pas été mis à même de contrôler l'enquête elle-même, vous aurez un rapport où les éléments du débat contradictoire manqueront, où nous pourrons croire tout au moins qu'ils auront manqué. Nous aurons le droit de dire que si les représentants de Louvain avaient été admis à la commission, l’enquête eût été plus complète, nous aurions eu des éléments de preuve qui nous manquent ; que nous jugeons sur une enquête imparfaite, incomplète et si j'étais partisan de l'enquête je ne voudrais pas accepter cette position-là.

On nous a dit encore, messieurs, que la commission d'enquête n'est qu'un juge d'instruction ; mais il n'y a pas le moindre rapport entre les pouvoirs d'un juge d'instruction et ceux de la commission d'enquête ; le juge d'instruction entend des témoins, prépare l'affaire et la renvoie à la chambre du conseil ou à la chambre des mises en accusation, où le prévenu a le droit de présenter sa défense ; l'affaire se présente ensuite devant les tribunaux, où les débats sont publics, sur les seuls témoignages entendus à l’audience et où tous les moyens de défense sont réservés aux intéressés. Sera-ce là la position des représentants de Louvain ? Nullement ; il n'y a pas dans cette position la moindre analogie.

Le juge d'instruction communique d'ailleurs au prévenu les charges qui se produisent contre lui, pour le mettre à même de se défendre devant ses véritables juges. La commission d'enquête ne le fera pas.

On nous a dit, messieurs, que ce n'est pas ainsi que la Chambre a agi dans une autre circonstance ; que la Chambre a cassé des élections sans admettre les prévenus à sa barre ; c'est une erreur complète. Je n'ai pas l'intention non plus de faire venir à la barre de la Chambre les élus de Louvain, mais dans la commission chargée de vérifier les pouvoirs d'un représentant du Luxembourg, et dont j’avais l'honneur de faire partie, on a prié M. Orban-Francotte de venir donner toutes les explications qu'il croirait utiles à ses intérêts. Nous ne jugions d'ailleurs pas sur les dispositions de témoins, nous jugions sur pièces, nous avions devant les yeux plus de 100 bulletins marqués.

D'aideurs, je le répète, nous avons admis M. Orban-Francotte au sein de la commission et il a pu s'y défendre. Je demande pour nos honorables amis de Louvain la même prérogative, et je ne venais là rien d'humiliant pour eux, et j'insiste sur ce point. Il n'est pas ici question de défendre l'honneur des individus, il n'est suspecté par personne, il n'est question que de contrôler les opérations de la commission n'enquête, ou plutôt d'éclairer la commission d'enquête et de contrôler les témoignages produits devant elle par les dénonciateurs.

On a dit tout à l'heure que la commission d'enquête est une commission neutre ; je dis que la commission entendra les dénonciations et que, si elle ne permet pas à ceux dont l'élection est contestée de défendre leurs droits, de discuter les charges produites contre eux, elles n'est plus neutre.

M. Magherman. - Messieurs, après ce que vient de dire l'honorable M. Wasseige, je n'aurai que très peu d'observations à présenter.

Pourquoi la Chambre ordonne-t-elle une enquête ?

Evidemment pour que le jour se fasse ; or, comment veut-on que le jour se fasse quand on n'entend que l'une des parties ? Il faut évidemment qu'on entende les deux parties.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On les entendra.

M. Wasseige. - Mettez-le dans la loi.

M. Magherman. - Messieurs, il est de droit commun que quand une personne a des intérêts essentiels, elle est entendue ; cela est consacré par toutes les dispositions de nos codes et ce que vient de dire l'honorable M. De Fré que la commission sera uniquement un juge d'instruction, cette observation n'est pas du tout satisfaisante.

Après que le juge d'instruction a indagué, la cause se présente devant les assises ou devant le tribunal correctionnel où l'accusé a le droit de faire entendre de nombreux témoins ; en sera-t-il de même ici ? Les honorables représentants de Louvain pourront-ils faire entendre des témoins devant la Chambre si l'instruction ne présente pas tous les caractères d'impartialité qu'on a le droit d'en attendre ? Evidemment non.

Il faut donc que les éléments de l'instruction soient complets et pour cela il faut que les élus puissent intervenir dans l’enquête afin de poser des questions aux témoins, et d'en citer au besoin. La question étant présentée de cette manière, je crois, messieurs, qu'il nous est impossible de ne pas admettre l'amendement dé M. Wasseige.

M. Muller. - Messieurs, on a dit tantôt avec raison que l'amendement de M. Wasseige placerait les membres récemment nommés par l'arrondissement de Louvain, dans une position excessivement fâcheuse et humiliante ; je me permets d'ajouter que l'amendement de l'honorable M. Wasseige est un acte de défiance inconcevable envers la commission parlementaire, envers une commission qui sera nommée par la Chambre des représentants et par le Sénat, commission au sein de laquelle siégeront naturellement des membres appartenant à l'une et à l'autre fraction des deux assemblées.

M. Thibaut. Est-ce que les séances seront publiques ?

M. Muller. - Elles ne seront pas plus publiques probablement que toutes les séances dans lesquelles on procède à des enquêtes. Avez-vous vu non seulement des enquêtes parlementaires mais des enquêtes quelconques se faire en séances publiques ? Evidemment non. Ce sont là des exigences qui rendraient toute enquête impossible.

(page 216) Il ne s'agit pins, messieurs, d'accusés, on a renoncé à cette comparaison, mais il s'agit maintenant de parties en cause.

On oublie ce qui a été décidé hier, on objecte que la Chambre ne pourra avoir égard qu'aux plaintes énoncées dans la première pétition et hier vous avez renvoyé à la commission d'enquête l'examen des justifications qui sont renfermées dans la contre-pétition.

Les deux opinions auront toutes les garanties désirables d'impartialité, et comprend-on que les membres de cette Chambre, qui accepteront une mission semblable, puissent venir se présenter ici après l'avoir accomplie d'une manière partiale, pussent venir affronter au sein de cette assemblée le reproche d'avoir refusé d'entendre tels ou tels témoins dont la déposition aurait pu détruite ou amoindrir les accusations, alos qu'ils auraient entendu les témoins accusateurs ? Cela n'est pas possible.

Messieurs, il est de la dignité de la Chambre que l'amendement de l'honorable M. Wasseige soit repoussé, non pas que la commission d'enquête parlementaire ne s'empresse de rechercher tous les éléments de nature à justifier (puisse-t-il en être ainsi !) les élections de Louvain, mais parce que l'adoption d'une telle proposition serait un acte de défiance envers la commission.

Je m'adresse donc à toute la Chambre pour l'engager à voter l'article de la commission tel qu'il a été rédigé, sans admettre un amendement qui me semble aussi défavorable aux représentants de Louvain qu'aux membres de la Chambre qui consentiront à faire partie de la commission d'enquête.

M. B. Dumortier. - Je m'adresse à la loyauté de la Chambre entière pour demander l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Wasseige.

D'après le système de l'honorable préopinant, on arriverait à faire dépendre dans telle ou telle circonstance le résultat de l'enquête du bon vouloir de la commission.

En effet, messieurs, l'honorable membre vient nous dire que la proposition de l'honorable M. Wasseige est un acte de défiance envers la commission. Mais, messieurs, de semblables dispositions ne se trouvent-elles pas dans toutes les lois relatives aux tribunaux, et les tribunaux se trouvent-ils offensés de ce que les parties ont le droit de se défendre et de citer des témoins ?

C'est uniquement un acte de sévère justice, c'est le droit de légitime défense qui est sacré par tout et qui doit l'être en Belgique comme partout ailleurs.

Il n'y a pas là une question de défiance inconcevable ; ce qui est une défiance inconcevable, c'est de vouloir repousser l'amendement ; car il est évident que si l'on veut une enquête parfaitement sincère et loyale, on ne doit pas craindre d'avoir à côté de la commission un ami de nos honorables collègues qui vienne y prendre leur défense dans toutes les questions qui peuvent être posées dans la commission.

Tous ceux d'entre vous qui ont l'honneur d'être avocats, sont occupés, chaque jour, d'enquêtes judiciaires ; ne sont-ils pas très souvent dans le cas d'entendre poser les questions d'une manière plus ou moins lucide pour les témoins ? Et vous ne voulez pas que la même garantie existe vis-à-vis de vos collègues. En vérité, c'est un déni de justice.

On dit que personne ici n'est en cause. Ah ! personne ici n'est en cause. Voilà une étrange subtilité. Comment ! personne ici n'est en cause. Pourquoi donc faites-vous une enquête ? Si personne ici n'était en cause, nous ne ferions pas une enquête à l'occasion des élections de Louvain.

Si vous faisiez une enquête pour tout le pays, alors tout le monde serait en cause, et quand tout le monde est en cause, personne n'est en cause. Mais ici il y a quelqu'un en cause : ce sont les députés dont le mandat est contesté, mandat qu'ils ont intérêt à défendre.

Vous ne pouvez donc pas les empêcher de venir prendre dans la commission d'enquête la position qu'ils auraient devant tout tribunal où leur affaire serait renvoyée. Supposons cette affaire renvoyée devant un tribunal ; ils auraient sans doute le droit d'avoir un défenseur ; pourquoi donc leur refuser un défenseur devant la commission d'enquête ?

Mais, dit l'honorable membre, c'est contraire à la dignité de la Chambre. Savez-vous ce qui serait contraire à la dignité de la Chambre ? Ce serait de faire un déni de justice, en refusant aux personnes en cause d'avoir un défenseur dans la commission. En Angleterre, où certes le parlement entend très bien la dignité parlementaire, il n'y a pas d'enquêtes en pareilles matières où les personnes en cause n'aient pas le droit de se faire représenter par un de leurs amis.

En Angleterre, dans ce pays où l'on comprend si bien la dignité parlementaire, on n'agit jamais autrement.

C'est généralement un avocat qui vient assister à l'enquête, comme il assisterait à une audience de tribunal. On conçoit que les députés n'y viennent pas eux-mêmes, mais ils ont un avocat qui est là pour prendre la défense de leurs intérêts.

Et réellement il est nécessaire que les personnes en cause soient représentées dans la commission. Voilà, par exemple, un témoin qu'on a fait venir. Ce témoin fait un faux témoignage ; eh bien, si les personnes en cause ne sont pas représentées dans la commission, comment pourront-elles faire prouver la fausseté du témoignage ? Elles seules savent que le témoignage est faux ; la commission ne le saura pas : elle prend le témoignage tel qu'il est fait.

Si vous faites l'enquête de cette manière, vous n'avez pas de contrôle.

Le système de l'honorable membre consiste en deux choses : pas de publicité, par de contrôle.

Une pareille mesure ressemblerait singulièrement à un acte violent. Certes, ce ne peut être l'intention de l'honorable membre. Je fais un appel à sa loyauté.

Si l'on ne met pas les intéressés à même de récuser dans la commission un faux témoignage par un mandataire, si on leur refuse cela, l'enquête ne signifiera rien, car nous qui serons appelés à juger l'enquête, nous devrons ajouter foi aux faux témoignages, comme aux vrais témoignages. On argumentera des uns, comme des autres. Si au contraire les personnes en cause peuvent, comme en Angleterre, se faire représenter dans la commission par un avocat, alors vous arriverez à la vérité des faits.

Il ne s'agit pas de se faire représenter dans la commission, lorsque celle-ci délibère ; il s'agit de s'y faire représenter lorsqu'elle procède à l'audition des témoins ; dans ce cas, les intéressés ont le droit d'être présents par leurs mandataires, et c'est aussi le seul moyen de mettre en lumière la vérité. Autrement nous serions exposés à nous tromper gravement, lorsque nous aurons à statuer sur l'enquête : il nous serait impossible de distinguer le vrai du faux.

La commission ne soupçonnerait pas qu'un témoignage est faux ; elle se bornerait à l'inscrire, et lorsqu'il serait inscrit, les intéressés n'auraient pas connaissance du faux témoignage. En ce cas, supprimez dans le projet de loi les dispositions relatives au faux témoignage, car il ne sera jamais possible de prouver qu'il y aura eu faux témoignage, si quelqu'un n'a pas été dans la commission pour établir qu'il y a eu faux témoignage.

Je le répète, jamais on n'agit en Angleterre, en pareille matière, sans qu'un avocat soit présent. C'est absolument l'inverse des comités de salut public, et c'est pour cela aussi que des comités de ce genre sont des comités révolutionnaires.

Messieurs, depuis l'origine de la révolution, je suis grand partisan de droit d'enquête ; mais je ne veux pas qu’il dégénère en un véritable abus, et qu'il puisse devenir une calamité publique. Or, il en serait ainsi, si vous n'entouriez pas l'exercice du droit d'enquête de cette garantie qui existe en Angleterre et qui permet aux personnes en cause de se faire représenter, lors de l'audition des témoins.

M. Ch. Lebeau. - Messieurs, il n'y a rien dans l'enquête qui soit personnel aux élus de l'arrondissement de Louvain. La section centrale a eu soin de le constater dans son rapport ; et cela a été également bien entendu dans toutes les sections.

S'il y avait dans l'enquête quelque chose de personnel, si les élus étaient réellement en cause, s'ils étaient une des parties, comme on l'a dit tout à l’heure, il faudrait admettre la partie adverse à l'enquête.

Si vous dites que l'enquête doit être traitée comme une enquête civile, vous devriez mettre en cause ceux qui ont protesté contre la validité des élections de Louvain ; nous devrions également mettre en cause les concurrents des élus.

Quel serait le rôle de la commission ? Elle devrait entendre successivement toutes les parties adverses. Je ne pense pas que ce soit la mission que vous donnez à la commission.

Vous devez donner à la commission la mission de constater les faits qui ont été signalés ; ils sont vrais ou faux. Eh bien, on doit avoir assez de confiance dans l'impartialité des membres qui composeront la commission, pour être convaincu d'avance qu'ils ne se laisseraient guider que par l'intérêt de la vérité, abstraction faite de toute espèce d’esprit de parti.

Du reste, la commission sera choisie sans doute partie dans la droite, partie dans la gauche. Je pense que cela doit être, et que cela sera ainsi.

Si on devait entendre successivement les deux parties, il faudrait les prévenir à chaque séance et je crois que ce serait entraver singulièrement toutes les opérations de l'enquête.

Quant aux dépositions des témoins, rien ne sera plus facile : on les consignera dans un procès-verbal et on fera signer les dépositions par leurs auteurs. Rieu n'empêcherait même d'introduire un article spécial, à cet effet, dans la loi.

Je pense, du reste, qu'il est entendu que les témoins signeront leurs dépositions, bien que cela ne serait pas dit.

Il est évident que la commission aura le droit d'entendre toute personne et par conséquent les élus s'ils ont des observations à présenter, de même qu'elle aura le droit d'entendre les pétitionnaires et leurs contradicteurs. Or, il me semble que cela devrait suffire pour sauvegarder tous les intérêts.

M. de Theux. - Il est évident qu'il y a une lacune dans le projet de la commission, en ce qui concerne le mode de procéder de la commission d'enquête. Quelle que soit l'opinion qu'on puisse avoir sur l'amendement présenté, et jusqu'à présent je n'ai pas entendu proposer la substitution d'un autre système, il y a évidemment une lacune dans le projet de la commission. Il est, en effet, un principe incontestable et invariablement appliqué ; c'est que toute enquête dont le caractère est défini, doit se faire contradictoirement et, en beaucoup de matières, publiquement.

(page 271) Je sais, messieurs, qu'en matière criminelle et correctionnelle, les premiers éléments d'instruction ne se recueillent pas contradictoirement ni en public ; mais les tribunaux ne prononcent pas sur les premiers éléments ; ils ne se prononcent que sur les dépositions faites publiquement et contradictoirement.

En matière civile, il n'y a pas deux degrés d’instruction ; mais les organes de chacune des parties en cause se présentent et ils font valoir contradictoirement leurs moyens.

Maintenant, qu'on ne dise pas que c'est un acte de défiance envers la commission parlementaire ; nous ne connaissons pas même les membres qui la composeront. Des mesures de ce genre sont prises dans tous les gouvernements constitutionnels.

Notre Constitution a proclamé cette défiance vis-à-vis des deux Chambres ; elle a voulu que ces discussions et ces votes fussent publics.

Les débats judiciaires doivent être publics, les jugements doivent être rendus publiquement. Tout en un mot, dans notre organisation politique, est marqué au coin de la défiance. Et, messieurs, bien loin que cette précaution soit injurieuse pour les autorités envers lesquelles elle est prise, elle devient, au contraire, leur plus sûre garantie et la meilleure justification des actes posés par elles.

Ainsi, messieurs, écartons ces mots de défiance et d'inconvenance ; ils sont tout à fait sans application dans le cas actuel.

On nous objecte qu'il y aura dans la commission des membres appartenant aux deux opinions qui divisent la Chambre. Mais, messieurs, cela ne suffît pas : il est bien certain que la manière de poser les questions peut influer beaucoup sur les réponses qui y sont faites. Quand il y a un contradicteur, ce contradicteur peut demander qu'une autre question soit posée pour bien éclaircir le point douteux ou pour arriver à la découverte de quelque circonstance de nature à modifier l'opinion des juges. Il y a donc quelque chose qui manque à ce projet ; il s'y trouve une lacune considérable, et la Chambre doit la combler.

Quant à moi, jusqu'à ce qu'on ait présenté un meilleur système, je voterai le premier amendement de l'honorable M. Wasseige, me réservant de donner la préférence, lors du second vote, à tout autre système que l'on proposerait et que je trouverais meilleur que celui-là.

M. le président. - M. Hymans vient de déposer un nouvel amendement, ainsi conçu :

« Les membres de la Chambre sont admis à assister aux séances de la commission d'enquête. «

Il faudrait dire : « les membres des deux Chambres », puisque la commission est (erratum, page 251) mixte.

M. Hymans. - Je suis obligé de reconnaître que ce que propose l'honorable M. Wasseige existe dans le pays qu'on a cité et qu'on a pris pour modèle, notamment en ce qui concerne les enquêtes parlementaires. Il est parfaitement vrai qu'en Angleterre, dans les enquêtes parlementaires, les membres mis en cause peuvent être présents et, de plus, s'y faire représenter par un conseil. Mais, d'autre part, il y a une espèce de ministère public qui défend l'opinion favorable à l'annulation.

Il y a, en outre, une distinction qu'il ne faut point perdre de vue, c'est qu'en Angleterre les membres dont les pouvoirs sont soumis à une enquête sont considérés comme représentants jusqu'au jour où il est démontré que leur élection doit être annulée ; tandis qu'en Belgique c'est tout le contraire. D'après le règlement de la Chambre, les membres de cette assemblée dont les pouvoirs ne sont point validés ne peuvent pas prendre part à ses délibérations.

Je ne crois donc pas qu'on pourrait autoriser un membre de la Chambre dont les pouvoirs ne sont pas validés à s'introduire dans une commission parlementaire, à y prendre la parole et même à s'y faire représenter par un conseil.

Mais une chose qu'on ne peut pas refuser, c'est l'autorisation, ce droit pour tout membre effectif de la Chambre d'assister aux réunions d'une commission qui n'est que l'émanation de cette Chambre même. Et en effet, je voudrais bien savoir de quel droit on nous exclurait d'une salle dans laquelle siégerait une commission nommée par nous-mêmes, pour y exercer nos propres pouvoirs. Remarquez bien, messieurs, qu'il ne s'agit pas ici d'une section centrale, il ne s'agit pas d'une commission chargée d'examiner une question industrielle ou commerciale ; il s'agit d'une commission investie de tous les pouvoirs de la Chambre des représentants.

- Un membre. - Pas du tout !

M. Hymans. - L'article 40 de la Constitution dit : « La Chambre a le droit d'enquête. » C'est-à-dire que la Chambre pourrait se constituer tout entière en commission d'enquête, citer des témoins, faire, en un mot, tout ce que vous voulez que fasse une commission spéciale déléguée par elle. Eh bien, croyez-vous que si la Chambre se constituait en commission d'enquête, le huis-clos serait de droit ? Evidemment cela serait contraire à tous les principes.

En Angleterre, les enquêtes sont publiques, quelles qu'elles soient, et surtout, les enquêtes électorales ; les sténographes des journaux, par conséquent, y sont admis et l'on peut lire tous les jours dans les journaux un compte rendu détaillé de toutes les enquêtes.

Eh bien, il est arrivé quelquefois que certains faits assez délicats étant révélés à la commission, on a voulu interdire aux sténographes de les reproduire ; la Chambre était consultée, et parfois elle déclarait par un vote formel qu'il y allait de sa dignité et qu'il était de l'intérêt de ses travaux de ne pas donner de la publicité aux débats.

Mais chaque fois qu'on a essayé d'exclure des séances de l'enquête les membres mêmes de la Chambre, il y a eu des protestations violentes sur tous les bancs de l'assemblée.

Dans une affaire extrêmement grave, en 1810 ou 1811, lorsqu'il s'est agi de faire constater par les médecins si le roi Georges III était ou n'était pas fou, le président crut utile de cacher au public, et même aux membres de la Chambre, la réponse des médecins ; l'affaire arriva devant la Chambre des communes qui s'opposa formellement à ce qu'on interdît à ses membres d'assister aux délibération de la commission d'enquête.

La Chambre, pour que les choses marchent plus rapidement, charge quelques-uns de ses membres de faire l'enquête, mais en réalité ce n'est pas la commission qui fait l'enquête, c'est la Chambre elle-même.

C'est pour ces raisons que j'ai proposé mon article additionnel. Je crois qu'il donne à tous des garanties suffisantes, qu'il permet à M. Wasseige de retirer son amendement et qu'il prévient toute réclamation.

M. de Muelenaere. - Je pense qu'il est évident pour tout le monde, et le rapport de la section centrale l'a d'ailleurs suffisamment constaté, que l'enquête que la Chambre a prescrite en principe n'a rien de commun avec une instruction en matière pénale. Une telle instruction serait contraire à la dignité de la Chambre et ne serait pas compatible avec ses attributions. L'enquête que l'on va faire est une enquête purement civile qui doit porter sur tous les faits qui ont été articulés relativement à l'élection de Louvain.

L'honorable M. Wasseige vous a proposé de déclarer dans la loi, que les représentants et les sénateurs dont l'élection est contestée, auraient le droit d'assister à l'enquête ou de s'y faire représenter. Or, il est un principe élémentaire, c'est que dans toute enquête la preuve contraire est de droit. Si je me trompe, cela résulte formellement d'un article de notre code de procédure civile. Tout se réduit donc à la question de savoir s'il y a une partie en cause, c'est-à-dire, s'il y a des personnes intéressées plus ou moins directement au résultat de l'enquête. A cet égard il n'est pas possible qu'il y ait le moindre doute.

Les élus de Louvain ont en leur faveur un titre authentique, un procès-verbal qui constate qu'ils ont obtenu au-delà de la majorité absolue des suffrages, que toutes les opérations électorales ont été régulièrement faites et que le président du collège électoral les a déclarés respectivement membres de la Chambre et du Sénat. Ce procès-verbal constate en outre que jusqu'au moment de sa clôture, nulle réclamation ne s'est élevée contre l'élection. Les réclamations n'ont été adressées aux Chambres que plusieurs jours après et pendant la vérification des pouvoirs. Et maintenant je demande qu'on me réponde de bonne foi, si ces élus, régulièrement nommés par le collège électoral, n'ont pas un intérêt direct, même à leur point de vue personnel, à ce que leur élection soit maintenue.

S'il est évident qu'ils y ont un intérêt direct, et cela ne peut être révoqué en doute puisque l'enquête roulera exclusivement sur la question de savoir si l'élection sera validée ou annulée, vous ne pouvez donc pas sans injustice leur refuser le droit d'assister à l'enquête et de produire les témoins dont l'audition leur paraîtra indispensable.

Si nous leur refusons ce droit, il me semble qu'aux yeux du pays, nous commettons un acte de partialité. On ne s'expliquera pas qu'on ordonne une enquête sans que la partie adverse ait le droit de se faire entendre. Si vous leur refusez ce droit, qui veillera à leurs intérêts ? Or, les élus ont des intérêts réels et sacrés à sauvegarder, Il s'agit pour eux de savoir s'ils seront privés de leur mandat et exclus de la Chambre. Indépendamment de leur intérêt personnel, ils ont aussi à défendre devant la commission d'enquête l'honneur des membres du corps électoral qui ont bien voulu leur donner leurs suffrages. Ils doivent donc assister aux séances de la commission d'enquête non pas pour influencer cette commission, mais pour l'éclairer sur la moralité des faits articulés et des témoins qui pourront être produits et au besoin pour assigner à leur tour des témoins qui contrediraient les premières dépositions.

Il me semble en conséquence, à moins, comme vous l'a dit M. de Theux, qu'on ne trouve un meilleur moyen d'arriver au même résultat, qu'il est impossible que la Chambre repousse l'amendement de M. Wasseige.

M. Nothomb. - Si j'ai bien compris la proposition de l'honorable M. Hymans, elle donne le droit aux membres de la Chambre d'assister aux délibérations de la commission d'enquête ; je suis peu disposé à accepter cette proposition, précisément par le motif qu'a fait valoir M. Muller. Il y a là en effet un esprit de défiance. Que les membres de la Chambre se défient d'une commission nommée par eux-mêmes, cela ne me paraît pas admissible. Ne serait-il pas étrange que nous missions en doute l'impartialité de ceux auxquels nous allons donner mandat de nous représenter dans cette enquête ? Il est de notre dignité à tous que nous n'allions pas surveiller nos collègues dans les opérations auxquelles ils vont se livrer.

Mais autre chose est l'amendement de l'honorable M. Wasseige. Ici ce n'est plus une question de défiance, c'est une question de lumière.

(page 218) La commission qui sera nommée par la Chambre devra constater les faits, rechercher la vérité avec impartialité. Je suis persuadé que c'est ainsi qu'elle agira, mais encore faut-il qu'elle recueille tous les renseignements d'une manière complète et qu'elle soit à même de contrôler les allégations des diverses personnes qui déposeront devant elle. Qui pourra mieux l'éclairer que les députés élus de l'arrondissement de Louvain ? Ils sont au courant de tout ce qui s'est passé ; ils peuvent donner toutes les indications nécessaires ; ils peuvent rectifier des erreurs commises et enfin, comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, ils peuvent empêcher les faits les plus graves de tous, les faux témoignages. Il est indispensable que les élus de Louvain interviennent pour éclairer et parfois diriger la commission dans la mission que nous avons voulu lui donner, c'est-à-dire dans la recherche de la vérité.

L'honorable M. de Muelenaere vient de produire en faveur de l'amendement de l'honorable M. Wasseige un argument auquel selon moi il n'y a rien à répondre : C'est que les élus de Louvain doivent défendre l'honneur du corps électoral de leur arrondissement ; cet honneur leur est confié, ils en sont les gardiens, car l'arrondissement de Louvain est soupçonné d'avoir cédé à tout ce qu'il y a de plus vil dans le régime parlementaire, à la corruption.

En effet, ce qui s'est passé jusqu'ici ne fait-il pas planer sur une population considérable, sur un grand nombre d'électeurs, la suspicion d'avoir forfait au plus essentiel des devoirs civiques, d'avoir méconnu ce que tout citoyen doit conserver sans souillure, la probité électorale, sans laquelle les institutions libres se perdent bientôt.

C'est donc pour les députés de Louvain un très sérieux intérêt, une très grande obligation de défendre ceux qui leur ont fait l'honneur de les envoyer dans cette Chambre. Rien que ce motif, cette question de dignité de l'arrondissement de Louvain, doit être une raison péremptoire pour qu'il soit permis aux élus de venir devant la commission défendre l'honneur de leurs concitoyens injustement suspectés.

Je suis obligé de le dire, messieurs, j'éprouve une véritable surprise de voir combattre l'amendement de l'honorable M. Wasseige, sur ces bancs de la Chambre, surprise d'autant plus grande qu'au fond nous sommes d'accord. En effet, que voulons-nous tous ? Nous voulons la découverte de la vérité. Il n'entre dans l'esprit de personne d'avoir des défiances injurieuses contre qui que ce soit ; mais nous voulons apprendre la vérité. L'honorable M. de Brouckere nous disait tantôt que la commission accepterait tous les renseignements, qu'elle entendrait ceux qui auront à lui en offrir, qu'elle se mettrait en rapport avec les élus de l'arrondissement de Louvain.

Mais pourquoi dès lors ne pas le dire dans la loi, puisqu'il est dans l'esprit de tout le monde de ne pas juger inaudita parte, pourquoi ne pas le mettre dans la loi ?

Messieurs, soyons de bonne foi : quand une proposition pareille surgit, est-ce que par cela même elle ne devait pas être adoptée ? Il y a de ces positions qui obligent les majorités, et celle-ci est du nombre. Quand il s'agit d'impartialité, de justice et de loyauté, il me semble qu'il doit y avoir un vote unanime, et puisqu'enfin nous sommes d'accord quant au fond, nous devrions l’être quant à la forme.

La majorité s'honorerait en votant avec nous l'amendement de l'honorable M. Wasseige.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je veux soumettre à la Chambre quelques observations sur la question qu'on examine en ce moment.

Je comprends parfaitement que la droite cherche une garantie que l'enquête dans une semblable matière sera réellement impartiale.

Le moyen à l'aide duquel on veut obtenir ce résultat est-il bon ? J'en doute très fort. Est-il même bien constitutionnel ? je suis disposé également à en douter.

Que cette garantie doive exister lorsqu'il s'agit de matières politiques, c'est ce que nous devons tous désirer. On la doit à la minorité ; elle l'aura, parce qu'elle sera représentée dans le sein de la commission d'enquête. C'est là que doit être la garantie. Etant représentée dans le commission d'enquête, elle sera appelée à en surveiller tous les actes ; elle sera appelée à contrôler tous les témoignages qui seront produits. Elle sera écoutée, elle n'aura à craindre aucun déni de justice. Il me parait être véritablement la solution de la difficulté.

Que propose-t-on au lieu de ce moyen qui me semble le plus rationnel ? On propose d'admettre les candidats dont l'élection est contestée à venir ou à se faire représenter dans le sein de la commission. Mais, messieurs, à quel titre les appellerez-vous là ?

M. Wasseige. - Ils sont intéressés.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous les appellerez à titre d'intéressés, dites-vous, parce qu'ils sont élus et que leur élection est contestée. Mais leurs concurrents, pourquoi les excluez-vous ?

M. Wasseige. - Ils n'ont pas de titre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais il soutiennent que le titre que vous reconnaissez, est un titre usurpé, que c'est un titre illégitimement conféré, et vous-même vous avez suspendu et paralysé ce titre. Vous avez d'ailleurs vis-à-vis de vous un ancien collègue, hier encore le mandataire du collège électoral succombant pour quelques voix et qui peut croire qu'il a été injustement éliminé : Pourquoi devriez-vous plus à ceux qui viennent d'être élus et dont le titre est contesté, qu'à celui qui avait hier le mandat et auquel, prétend-on, il a été injustement ravi ? Si vous admettez les uns, pourquoi excluriez-vous les autres ?

Voilà une première considération. C'est à titre d'intéressés, dit-on. Mais prenez-y garde, messieurs, il y a des personnes qui ont un très grand intérêt dans cette affaire, il y a des personnes qui sont gravement engagées dans ces débats.

Ceux qui ont porté les faits à la connaissance de la Chambre, qui, s'ils ont agi consciencieusement, honnêtement, loyalement, comme nous devons le supposer, ont rempli un devoir, sont-ils des accusés ? non, ils ont les mêmes droits de citoyens qui ceux qui sont élus.

Que signifie la position que vous allez leur faire ? L'enquête sera-telle poursuivie contre ceux à qui vous voulez donner en quelque sorte le droit de la diriger ? Ils pourront être inculpés, leur loyauté pourra être engagée dans la question, et ce sont leurs adversaires que vous appelez seuls dans le sein de la commission. Cela est-il juste ?

Vous comprenez parfaitement bien que je n'entends pas dire par cette objection que les élus, dont les pouvoirs sont contestés, ne pourront être entendus, ils ne sont pas exclus, mais vous demandez beaucoup plus. Vous demandez que « les sénateurs et les députés de l'arrondissement de Louvain dont l'élection est contestée puissent assister à l'enquête ou s'y faire représenter. »

Voilà un premier droit ; mais ce n'est pas assez ; vous demandez en outre pour eux le droit de faire entendre les témoins qu'ils désigneront et d'adresser à la commission les réquisitions qu'ils croiront utiles pour découvrir la vérité.

Voilà ce que vous voulez donner aux élus, et à ceux qui attaquent le titre des élus, vous ne donnez rien, vous les excluez. Ceux-là sont en suspicion ! Ce n'est pas ainsi que vous devez traiter les citoyens ; vous devez les placer tous sur la même ligne.

Je dis maintenant que le texte qu'on nous soumet m'inspire les doutes les plus sérieux.

Les sénateurs ou les députés de Louvain, dont l'élection est contestée, peuvent, selon la proposition, assister à l'enquête ou s'y faire représenter. Mais si c'est à titre d'élus, si c'est à titre de la présomption que leur donne leur mandat, comment peut-on conférer aux élus la faculté de se faire représenter dans la commission d'enquête, lorsqu'ils n'auraient pas le pouvoir de se faire représenter dans cette Chambre ? Si la Chambre procédait elle-même à l'enquête, au lieu de le faire par délégation, les élus prendraient-ils part aux actes de la Chambre ? Pourraient-ils se faire représenter ?

On ne peut pas être représenté ici ; on doit exercer par soi-même son mandat. On ne peut pas déléguer, on ne peut pas transférer à un tiers le droit que donne l'élection. Votre proposition sous ce rapport n'est pas admissible.

M. de Muelenaere. - Il ne s'agit pas pour les élus de se faire représenter comme membres de la commission, mais d'avoir un défenseur, un avocat.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si vous les placez sur ce terrain, ce sont de simples citoyens comme les autres ; ce ne sont plus les sénateurs et les députés de l'arrondissement de Louvain, comme on le dit fort erronément dans le texte de la proposition en discussion. Ce sont des particuliers que vous voulez admettre à coopérer aux travaux de vos délégués.

M. B. Dumortier. - Des particuliers élus.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Des particuliers élus, c'est ce qui est en question. Si leur titre est valable, ils seront élus, et ce seront peut-être ceux que vous n'aurez pas admis à se faire représenter dans la commission, qui auraient raison de prétendre à ce titre. Au surplus, on est forcé de reconnaître que ce n'est pas comme sénateurs ou députés quel’on peut les introduire dans la commission ; c'est comme citoyens intéressés dans ce débat, et sous ce rapport, ils ne peuvent avoir seuls le privilège de se trouver associés aux délégués de la Chambre.

Mais, dit l'honorable M. Nothomb, l'honneur des électeurs est en jeu ; les électeurs doivent être défendus. Si c'est sur ce motif que la proposition de l'honorable M. Wasseige est fondée, il faut admettre tous les électeurs à se faire représenter dans la commission, à adresser des réquisitions à la commission, comme on le dit dans le texte de l'amendement ; il faut donner à tous le droit d'obliger les délégués de la Chambre, les élus et les mandataires de la représentation nationale à déférer aux réquisitions que l'on jugera à propos de leur adresser.

La proposition, d'une constitutionnalité équivoque, si elle a eu en vue les sénateurs et les députés de Louvain, est injuste et partiale si, ayant pour objet les intéressés dans l'élection, elle se borne à donner des droits à quelques-uns et à exclure les autres.

Je le répète, la garantie que peut et doit demander la minorité, elle l'obtiendra par une représentation dans le sein de la commission d'enquête. Devant cette garantie, toutes les objections viennent à disparaître.

M. Carlier. - Messieurs, je crois que les deux propositions de M. Wasseige et de M. Hymans présentent au même degré le caractère de défiance que l'honorable M. Nothomb a voulu rencontrer dans la proposition de M. Hymans seulement. En définitive, messieurs, que veut-on ?

(page 219) C'est que la commission d'enquête soit entourée d'un contrôle, c'est que toutes ses investigations, toutes ses opérations soient soumises à une critique constante ; soumises, il faut le reconnaître, à une pression qui pourrait nuire, à certains égards, à la manifestation de la vérité.

Que l'on veuille trouver dans l'enquête toutes les garanties de lumière désirables, que l'on désire voir marcher les opérations avec la plus grande impartialité, je me joins de tout cœur à ceux qui désirent atteindre ce but ; mais quand il ne s'agira que d'arriver à une manifestation de défiance, je combattrai de toutes mes forces des mesures qui conduiraient à ce résultat.

Je crois, messieurs, que les deux propositions pourraient se traduire par une formule beaucoup plus simple ; il suffirait d'écrire en tête de la loi que la commission d'enquête sera impartiale. De cette manière le caractère de défiance serait parfaitement exprimé dans la loi.

Du reste je ne veux nullement dire que cette pensée de défiance soit dans les intentions des honorables auteurs des amendements ; je crois que tous deux comptent et comptent à juste titre sur notre loyauté ; mais c'est une erreur de procédure qu'on veut nous faire commettre. En effet tous les orateurs que nous avons entendus jusqu'ici confondent l’enquête que nous avons votée avec les enquêtes judiciaires. Or, cette assimilation n'a rien de fondé. Nous ne sommes pas appelés à statuer entre les élus de Louvain, à décider si les élus de Louvain ou leurs concurrents entreront dans la Chambre ; nous ne sommes pas appelés à nous prononcer entre deux droits en litige. Il n'y a point de parties dans ce débat, il n'y a point d'intérêts qui viennent s'y rencontrer. Nous sommes dans cette position toute spéciale, que la Chambre, usant d'un droit que lui donne sa Constitution, examine la validité des élections de Louvain et que pour pouvoir statuer à cet égard nous avons besoin de recourir à une enquête.

Or, pas plus que dans les commissions ordinaires de vérification de pouvoirs, nous ne faisons venir les députés sur l'élection desquels nous avons à nous prononcer, pas plus que nous ne les appelons à s'expliquer sur la manière dont ils ont été nommés, pas plus nous ne devons admettre, dans la commission d'enquête, les députés de Louvain à venir justifier leur élection.

Je proposerai, messieurs, pour imprimer aux travaux de la commission d'enquête le caractère d'impartialité le plus complet, que toutes les investigations de cette commission soient rendues publiques par la voie du Moniteur, et qu'un délai soit accordé pour permettre à toute personne qui se croirait intéressée dans la question, de fournir ses observations, ses réquisitions mêmes par l'organe d'un membre de l'une des deux Chambres, observations et réquisitions sur lesquelles la commission aurait ensuite à délibérer.

Je pense, messieurs, que de cette manière on aurait une garantie complète que la commission sera entourée de toutes les lumières propres à lui faire découvrir la vérité.

Je suis convaincu qu'il n'est entré dans la pensée de M. Wasseige ni dans celle de M. Hymans que l'impartialité des membres de la commission d'enquête pût céder à des considérations de parti. Il a été entendu d'ailleurs, que la commission se composerait de membres appartenant à toutes les opinions. Il ne peut donc s'agir exclusivement que des moyens de fournir à la commission toutes les lumières possibles.

Voici, messieurs, comment j'ai formulé ma proposition :

« Tous les témoignages, tous les rapports d'experts et tous les documents recueillis par la commission d'enquête seront simultanément publiés par le Moniteur.

« Dans la huitaine de cette publication toutes les parties intéressées pourront présenter à la commission par l'organe d'un membre des Chambres les observations et réquisitions qu'elles croiront propres à la manifestation de la vérité.

« La commission donnera à ce réquisitoire telle conséquence que de droit. »

Je soumets cet amendement à la Chambre et je crois qu'il est de nature à donner satisfaction à nos honorables adversaires sans blesser l'honneur des membres de la commission d'enquête.

M. B. Dumortier. - Messieurs, je ne puis pas comprendre les garanties que nous indique l'honorable ministre des finances. Il nous dit : La garantie est dans la composition de la commission d'enquête ; elle sera prise dans les différentes opinions. Je ne vois pas là une garantie pour la minorité. Pourquoi ? Parce que c'est la majorité qui nommera la commission d'enquête et qu'il peut très bien se faire que la majorité choisisse dans la minorité un membre dont la nomination ne fasse pas atteindre le but que nous devons avoir en vue. Cette garantie n'existe donc pas. C'est une garantie à la merci de la majorité.

Or, depuis quand une garantie à la merci de la majorité est-elle une garantie sérieuse ?

On dit que le droit, pour les élus de Louvain, de se faire représenter dans la commission d'enquête, serait inconstitutionnel, par le motif qu'ils n'ont pas le droit de se faire représenter dans la Chambre.

Mais l'honorable membre, qui est docteur en droit, doit savoir ce qu'on entend, entérine de droit, par les mots « se faire représenter ». Quand on peut se faire représenter, on ne se fait pas représentant. Je crois que dans les Codes l'expression « se faire représenter » signifie que l'on a le droit d'avoir un avocat pour défendre sa cause. Il ne s'agit pas du tout de se faire représenter dans cette enceinte, ce qui est tout autre chose.

Je ne cesserai de répéter aux adversaires de l'amendement ce qui se passe en Angleterre.

Où avons-nous puisé le droit d'enquête ? Dans la législation anglaise. Or, en Angleterre, comme l'a dit l'honorable M. Hymans, et comme j'ai eu moi-même l'honneur de le dire hier et aujourd'hui, jamais il ne s'est fait une enquête où un membre du parlement fût en cause, sans que le membre du parlement eût le droit de se faire représenter dans la commission. C'est une règle de justice et d'impartialité de tous les temps et de tous les lieux.

La section centrale elle-même le reconnaît dans son rapport ; elle nous dit :

« L'amendement est basé sur ce que personne ne doit être condamné sans être entendu. »

La section centrale ajoute plus loin :

« La commission se gardera de méconnaître le principe d'éternelle justice qu'on invoque. »

Eh bien, l'honorable M. Wasseige demande précisément cela.

M. Deliége, rapporteur. - Bien davantage.

M. B. Dumortier. - Pardon, l'honorable M. Wasseige demande qu'on inscrive dans la loi le principe qui est inscrit dans le rapport de la section centrale.

On disait tout à l'heure que cela se trouvait dans le rapport de la section centrale. Mais ce rapport ne fera pas loi pour la commission d'enquête ; une fois nommée, elle en fera ce qu'elle voudra, tandis que si le principe est inscrit dans la loi, ce principe deviendra loi pour la commission.

C'est la première fois que nous organisons une loi d'enquête, et faites-y attention, les principes que nous consacrerons aujourd'hui réagiront singulièrement sur l'avenir.

Messieurs, il y a un vieil axiome qui dit : Hodie mihi, cras tibi. Que demain, par exemple, un ministre soit mis en accusation, vous lui refuserez donc le droit de se faire défendre devant la commission d'enquête ? Voilà où vous en arriverez en n'adoptant pas l'amendement de l’honorable M. Wasseige.

C'est précisément parce que je suis grand partisan du droit d'enquête que je veux que ce droit soit exercé avec toutes les garanties qui y sont attachées en Angleterre. On nous cite l'Angleterre à chaque instant ; mais quand il s'agit de donner des garanties à la minorité, il semble qu'on oublie alors ce qui se passe en Angleterre.

Eh bien, je ne pense pas qu'on puisse écarter ces garanties sans se mettre en opposition avec tous les principes.

Mais, dit l'honorable M. Frère, il faut, dans ce cas, admettre les pétitionnaires.

Mais l'honorable membre perd de vue que la condition des élus et celle des pétitionnaires sont des choses tout à fait différentes. Comme le disait l’honorable M. de Muelenaere, les élus ont un titre. Ce titre ressort de l'élection. Ils ont été proclamés les élus de l'arrondissement de Louvain ; ils sont députés de Louvain jusqu'à preuve contraire. Vous avez ajourné la vérification de leurs pouvoirs ; mais jusqu'au jour où vous vous serez prononcés sur la validité de leur élection, ils sont les élus du district de Louvain.

Que sont les pétitionnaires ? Ce sont des individus qui réclament contre l'élection. Vous prétendez que ces pétitionnaires seraient mis en suspicion ; il n'en est rien, ce seront les élus de Louvain qui seront en suspicion. En effet la Chambre, en ordonnant une enquête, a mis les députés de Louvain en suspicion et a donné préventivement raison aux pétitionnaires. Les élus ont-ils leurs garanties ? où se trouve pour eux un gage d'impartialité ? Ce gage, vous ne le rencontrez nulle part.

Encore une fois, si un faux témoignage vient à se produire, en un pareil cas ils s'en produit souvent, où sera le contrôle, si les intéressés n'ont pas le droit de se faire représenter dans la commission ?

Messieurs, si vous rejetiez la proposition de l'honorable M. Wasseige et celle de l'honorable M. Hymans que j'appuie également, vous feriez une enquête bien déplorable pour une assemblée législative.

On a ordonné une enquête sur de simples allégations de faits. Depuis, on a prouvé que ces faits n'étaient pas exacts. Hier, vous avez écarté une première proposition de l'honorable M. Wasseige ; aujourd'hui vous écarteriez la seule garantie d'impartialité que la loi puisse offrir aux intéressés, garantie qui n'est jamais absente d'une enquête anglaise. Qu'en résulterait-il ? Que le district de Louvain aurait le droit de dire que votre décision est bien plus un acte de parti qu'un acte de souveraine justice.

On a parlé de la dignité de la Chambre. Or, la dignité des élus du peuple consiste avant tout dans la justice. Or, serait-il juste de condamner quelqu'un sans l'entendre ? Serait-il juste, lorsqu'il s'agit d'une enquête, de ne pas permettre aux personnes en cause de se faire représenter dans la commission pour y contrôler les témoignages ?

M. Hymans. - Messieurs, je n'ai que deux mots à dire.

Je crois que l'honorable M. Carlier se crée une foule de difficultés pour le plaisir de les résoudre. Si vous voulez en réalité mettre en pratique ce que demande l'honorable M. Carlier, il y a un moyen bien simple, inscrivez en tête du projet de loi : L'enquête est publique.

(page 220) Messieurs, je n'admets pas que ma proposition, pas plus que celle de l'honorable M. Wasseige, soit un acte de défiance. Je ne suis point partisan de la proposition de l'honorable membre, et en ne l'approuvant pas, je ne pose pas à son égard un acte de défiance ; j'use d'un droit. Lorsque devant la cour d'assises, l'honorable M. Carlier récuse un juré, fait-il preuve de défiance envers ce juré ? Lorsqu'il s'agira de nommer la commission d'enquête, je voterai probablement plutôt pour l'honorable M. Carlier que pour l’honorable M. Dumortier, et par-là je ne ferai pas preuve de défiance envers ce dernier. Du reste, si la défiance est légitime quelque part, c'est en politique.

Vous avez dans le projet une preuve bien plus flagrante de défiance que toutes celles qui pourraient résulter de mon amendement et de celui de l'honorable M. Wasseige.

Je veux parler de l'article 3 que vous avez voté tout à l'heure, article d'après lequel vous appliquez aux témoins, en matière politique, les peines qui sont appliquées en matières criminelles, c'est à-dire que vous rendez le faux témoignage en matière politique passible des travaux forcés, alors qu'en matière civile et en matière correctionnelle il n'est passible que de la réclusion. C'est là une preuve de défiance bien plus grande qu'en autorisant les membres de la Chambre à procéder à une enquête qu'en réalité ils font faire à leurs collègues par une simple délégation.

Cet article a été voté tout à l'heure pendant que je causais avec un honorable voisin ; sans cela, j'aurais voté contre.

Maintenant l'honorable M. Carlier voudrait voir insérer en tête du projet de loi que la commission sera impartiale. C'est une chose que malheureusement on ne peut pas mettre dans une loi.

Cela me rappelle le programme du jeune libéralisme en 94 articles et qui portait en tête :

« La Chambre sera composée d'hommes éminents. »

J'aime à croire que la commission d'enquête sera impartiale ; mais il faudrait encore ajouter que ses membres seront exempts de passion. Quant à moi, je le déclare, je ne crois pas du tout pouvoir affirmer que, dans toutes les circonstances, je saurais être à l'abri de toute espèce de passion. et j'ajoute que parmi mes honorables collègues qui prétendent le contraire, il en est plus d'un qui se trouve absolument dans le même cas. Il ne servirait donc absolument de rien de dire que la commission sera impartiale, pas plus que de dire qu'elle sera calme ou sans passion.

Mais, M. le ministre des finances a dit tout à l'heure, en répondant à l'honorable M. Wasseige, que sa proposition renfermait quelque chose d'inconstitutionnel. Sur ce point, je suis de son avis. Il a dit que les membres élus ou non élus de Louvain ne pouvaient point faire partie de la commission ; c'est précisément pour cela que je ne veux pas de l'amendement de l'honorable M. Wasseige.

Ces membres, en effet, ne font pas maintenant partie de la Chambre ; ils n'en feront partie que le jour où leurs pouvoirs auront été validés et où ils auront prêté serment.

Mais précisément, parce que, n'étant point membres de la Chambre, ils ne peuvent pas figurer dans la commission d'enquête avec le pouvoir de participer aux actes de cette commission, il faut autoriser leurs collègues à figurer dans l'enceinte où siégera la commission d'enquête ; et c'est pour ce motif qu'il faut donner à chacun des membres de la Chambre le droit d'assister aux réunions de la commission d'enquête. C'est pour cela que j'ai proposé mon amendement ; car s'il est inconstitutionnel d'admettre des membres non élus dans une commission d'enquête parlementaire, il serait encore infiniment plus inconstitutionnel d'exclure d’une commission qui n'est que l'émanation de la Chambre les membres mêmes de cette assemblée.

M. Wasseige. - Je n'ai que deux mots à dire. M. le ministre des finances a reconnu d'abord que la défiance de la part de la minorité était une chose toute naturelle, en matière politique surtout. Mais il a ajouté que dans le cas actuel la minorité trouvait une garantie suffisante de ce fait, qu'elle sera représentée au sein de la commission d'enquête. J'ai déjà dit, messieurs, que ce n'était point un sentiment de défiance qui me guidait principalement et je veux bien admettre que, dans le cas actuel, les droits de la minorité seront, jusqu'à un certain point, garanties, quant au jugement que portera la commission d'enquête, sur les témoignages qui se produiront devant elle. Mais je dis que la présence des élus de l'arrondissement de Louvain aux réunions de la commission d'enquête est indispensable parce qu’ils sont particulièrement à même d'exercer un contrôle salutaire sur les dépositions des témoins qui sont entendus, qu'eux seuls peuvent rendre une instruction complète Voilà, messieurs, ce que j'ai à répondre, sous ce rapport, à M. le ministre des finances.

Quant à l’inconstitutionnalité que M. le ministre des finance et l'honorable M. Hymans reprochent à ma proposition, je dirai qu'il n'est nullement entré dans mes intentions de faire admettre les élus de l’arrondissement de Louvain au sein de la commission, à titre de représentants, ni de les autoriser à prendre part aux travaux de cette commission. Il n'est pas question de cela. Ils ont de graves intérêts en jeu ; et je demande qu'ils soient entendus comme principaux intéressés. Jusqu'à preuve contraire, ils ont la présomption pour eux ; seul ; ils ont été proclamés représentants par le scrutin électoral, il y a d'ailleurs contradiction flagrante dans le raisonnement de ces messieurs.

Ils refusent toute qualité aux élus de Louvain. lorsqu'il s'agit de leur permettre de se défendre devant la commission d'enquête, et ils prétendent qu'ils ne peuvent s'y faire représenter parce que le mandat de représentant ne peut s'exercer par fondé de pouvoirs. C'est dire blanc et noir selon les besoins de la cause. Cela n'est pas possible,

Je ne puis pas me rallier à l'amendement de l'honorable M. Hymans, parce qu’il tend précisément à exclure ceux dont je crois la présence indispensable devant la commission. J'admettrai volontiers que tous les membres de la représentation nationale y soient admis de droit ; mais je ne puis pas admettre que l'exclusion frappe précisément ceux qui ont le plus d'intérêt à ce que la lumière se fasse, à ce que justice leur soit rendue.

Je ne puis pas admettre davantage le système de l'honorable M. Carlier et je dois dire que, selon moi, son amendement part d'une confusion d'idées dont il me sera facile de faire justice.

Il est impossible de prétendre que ceux qui ont avancé des faits de nature à faire invalider les élections auraient le même intérêt que les élus de l'arrondissement de Louvain à suivre les travaux de la commission. Ceux-ci ont un titre que les autres n'ont pas, ils ont leur position à défendre, l'honneur de l'arrondissement de Louvain à faire respecter. Devant les tribunaux, en cas de dénonciation, on juge sur la simple plainte du dénonciateur. Les pétitionnaires contre la validité de l'élection de Louvain ont puisé leurs renseignements où ils l'ont voulu, ils ont pu faire toutes les recherches qu'ils ont cru utiles à leur système, ils ont exercé leur droit de la manière la plus entière, ils n'ont pas à se plaindre ; il n'en est pas de même des députés de Louvain, ils n'ont pas été admis jusqu'à cette heure à se défendre, et s'ils ne peuvent le faire devant la commission d'enquête, cette heure ne viendra jamais.

Il y a donc ici une véritable confusion ; les positions sont complètement différentes.

Cependant, je désire tellement que la lumière se fasse de toute manière, je désire tellement que l'enquête soit impartiale et complète, que je serais disposé à admettre l'amendement de l'honorable membre s'il ne devait pas avoir pour résultat de terminer le débat.

Quand vous aurez, par la voie du Moniteur, fait connaître les dépositions et reçu les réclamations qu'elles pourront provoquer, il est probable que ces réclamations provoqueront à leur tour des réponses, auxquelles on répliquera très probablement encore ; quand et comment ce débat pourra-t-il se clore ? Et en attendant, l'arrondissement de Louvain restera privé de sa représentation au sein des Chambres.

Je pense donc que mon amendement est celui qui offre le plus de garanties d'impartialité et qui répond le mieux à toutes les exigences de l'enquête.

M. Coomans. - Messieurs, on vient de dire avec raison que l'amendement de l'honorable député de Mons est inacceptable parce qu'il prolongerait indéfiniment une anomalie grave qu'il n'est pas de notre intérêt et moins encore de notre droit de perpétuer. Depuis cinq semaines, six membres de la législature attendent l'entrée des deux Chambres ; et à ce propos, je ferai remarquer qu'ils sont bien membres de la législature, car, s'ils ne l'étaient pas, la Constitution serait manifestement violée. La Constitution, en effet, veut que le pays soit représenté par un certain nombre de députés ; si les six élus de l'arrondissement de Louvain n'étaient point députés ou sénateurs, la Constitution serait évidemment violée, et cette violation serait bien autrement grave et évidente que toutes celles dont a parlé tout à l'heure M. le ministre des finances.

On se plaint, messieurs, de ce que nous montrions un peu de défiance à l'égard de la commission d'enquête ; mais, messieurs, n'ai-je pas, n'avons-nous pas le droit de nous défier un peu de vous autres, messieurs, et tout autant que vous vous défiez de nous ; attendu que vous vous réservez certainement la majorité dans la commission d'enquête. (Interruption.)

Vous vous la réservez. La défiance est bien plus juste, plus légitime de la part de la minorité que de la part de la majorité. Si vous ne vous défiiez pas de nous, vous ne vous réserveriez évidemment pas la majorité dans la commission d'enquête. Cela me paraît de toute évidence.

Je termine, messieurs, par une observation tout à fait nouvelle et qui me paraît digne de toute votre attention. M. le ministre des finances vient de dire que nous avons des garanties suffisantes d'impartialité dès que la droite sera représentée dans la commission d'enquête. Mais, messieurs, je ne vois là aucune espèce de garantie décisive ; car, en vous supposant même la plus parfaite loyauté, il dépend de vous de nommer tel membre de la droite qui sera parfaitement inutile dans la commission... (interruption) ; non pas comme capacité, entendons-nous bien, ce n'est pas là ce que je veux dire ; maïs, par exemple, parce qu'il manquerait de la connaissance de la langue flamande. (Nouvelle interruption.)

Vous le savez, et s'il se trouvait des membres de la Chambre qui l'ignorassent, je le leur apprendrai, la majorité des électeurs de Louvain ne sait pas le français.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est entendu que la commission ne sera composée que de membres connaissant la langue flamande.

(page 221) M. Coomans. - Je vois avec plaisir que M. le ministre de l'intérieur m'écoute à présent, puisqu'il m'interrompt.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est que vous faites une observation raisonnable.

M. Coomans. - Je suis encore plus flatté du compliment que je n'ai été mécontent du contraire. Du reste, moi j'écoute toujours M. le ministre, même quand ses observations ne sont pas raisonnables.

Il paraît donc qu'on est d'accord que les membres de la commission sauront tous le flamand. En ce cas, je n'ai plus rien à dire à cet égard.

M. Deliége, rapporteur. - Cela a toujours été entendu ainsi.

M. Dolez. - J'ai demandé à dire quelques mots parce qu'en vérité je serais très embarrassé pour émettre un vote dans les termes où le débat a été posé. Je trouve qu'on demande trop d'un côté, et qu'on n'accorde pas assez de l'autre.

On demander trop, en effet, que de vouloir, comme l'honorable M. Wasseige, que toutes les personnes dont l'élection est contestée puissent être présentes en permanence aux délibérations de la commission. C'est demander trop encore que de vouloir leur accorder le droit d'adresser à la commission toutes les réquisitions qu'elles jugeront utiles à la découverte de la vérité et de faire entendre tous les témoins qu'il leur plaira de désigner.

Je ne pourrai donc pas voter l'amendement de M. Wasseige. D'un autre côté je crois fermement avec cet honorable membre que ceux dont l'élection est contestée ont le droit d'être entendus et que par conséquent il faudra inscrire dans la loi une disposition qui oblige la commission à les entendre, si elle le demande.

Je laisse à la commission à juger du moment où elles pourront être entendues.

De cette façon les travaux de la commission ne seront pas troublés par la présence continuelle de ces personnes et par des interpellations qui en ralentiront la marche.

Toutes les garanties auxquelles elles peuvent prétendre leur seraient en même temps assurées.

Je ne pense pas que nous puissions accorder tout ce qui se trouve dans l'amendement de l'honorable M. Wasseige, parce que je n'admets pas, avec l'honorable M. Coomans, que ceux dont l'élection est contestée soient de véritables représentants. Un article positif de notre règlement marque quelle est la position de ces personnes. C'est l'article 2 : « En cas de renouvellement intégral ou par moitié, six commissions de sept membres sont formées par la voie du sort pour vérifier les pouvoirs. Tous les membres élus prendront part à cette vérification, à l'exception de ceux dont l'admission a été ajournée. » Il y a donc deux époques et deux situations différentes dansées deux époques.

Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur élection, les élus ont en leur faveur un titre présomptif qui leur donne le droit de prendre part à la vérification des pouvoirs. Dès l'instant que leur admission a été ajournée, ce titre disparaît. Je ne dis pas qu'il disparaisse tout entier, je pense au contraire qu'il subsiste une certaine présomption en leur faveur, c'est pourquoi je demande que la loi leur accorde le droit d'être entendus.

J'ai donc l'honneur de déposer un amendement qui réalise les quelques idées que je viens d'exposer à la Chambre et que j'aurais développées plus longuement si l'heure avancée et l'impatience de mes collègues ne m'avaient engagea être bref. Voici cet amendement : « La commission d'enquête entendra les personnes dont l'élection est contestée si elles le demandent. »

M. B. Dumortier. - Elles viendront là comme des prévenus.

M. Dolez. - Elles ne viendront pas comme des prévenus ; elles donneront à la commission tous les renseignements qui seront de nature à éclairer les travaux. La commission, dont l'impartialité ne peut pas être mise en doute par nous en définitive, puisqu'elle sera entièrement composée de députés, acceptera la lumière de quelque côté qu'elle lui vienne, et elle accueillera surtout avec faveur les déclarations d'hommes qui ont pris part un moment à nos travaux, qui ont été à peu près nos collègues et qui le deviendront peut-être demain. C'est pour cela que j'ai proposé mon amendement.

M. Wasseige. - Je regrette de ne pouvoir me rallier à l'amendement de l'honorable M. Dolez. A mon avis cet amendement n'a aucune portée et il ne confère aucun droit aux représentants de Louvain. Le droit d'être entendu devant la commission d'enquête ne pourrait jamais leur être refusé sans la plus révoltante injustice, mais ce droit ne suffit pas ; c'est leur faire prendre d'ailleurs une position d'accusés devant leurs juges, et ce serait le cas de dire ici que cette position serait véritablement humiliante. Leur intérêt n'est pas d'être entendus, mais d'entendre ceux qui contestent leurs droits, de contrôler leurs dires et de les combattre au besoin par d'autres témoignages. Cet amendement n'accorde rien en réalité, tout en paraissant vouloir accorder quelque chose. Mieux vaut l’état de choses actuel, qu'une garantie illusoire qui ne serait propre qu'à induire l'opinion publique en erreur.

M. B. Dumortier. - L'honorable M. Dolez prétend que M. Wasseige demande trop ; mais en reconnaissant qu'on ne nous accorde pas assez, il ne nous accorde rien du tout ; car que veut-il nous donner ? Il veut que les élus de Louvain soient entendus s'ils le demandent. Mais la commission n'est pas capable de la leur refuser. Son amendement est donc complètement inutile.

La question n’est pas de savoir si vous allez organiser l'enquête de telle ou telle façon ; la question est de savoir si vous voulez faire ce qui se fait en Angleterre, ce qui se fait chez nous devant les tribunaux et devant les cours d'appel aux enquêtes desquels la nôtre est constamment assimilée par le projet. C'est la première fois que nous organisons une enquête, et ce qui est demandé dans l'amendement de M. Wasseige est extrêmement sérieux, surtout pour l'avenir ; car, quand plus tard nous ferons une loi générale sur les enquêtes, il faudra tenir compte de cet amendement. Quant à moi, quel que soit le parti qui propose l'enquête, quand ce seraient mes ennemis les plus acharnés qui se trouveraient en cause, je demanderai toujours qu'ils soient entendus, non pas dans un interrogatoire, mais par représentation comme en Angleterre.

Vous faites une loi dont le but est la recherche de la vérité et vous retrancheriez de cette loi la seule garantie de sincérité qui puisse exister !

L'honorable M. de Muelenaere vous l'a dit, en dehors de leur position personnelle, les élus de Louvain ont encore à défendre l'honneur du corps électoral de leur arrondissement. Je crois donc que nous ne devons pas nous arrêter à l'amendement de M. Dolez lequel ne nous donne absolument rien que ce qui existe de droit. Mais vous ne pouvez repousser l'amendement de M. Wasseige sans faire que votre loi ne soit pas une loi de justice, mais une loi de parti.

- La clôture est demandée.

M. Coomans. - L'amendement nouveau n'a pas été discuté. Il ne nous donne rien, puisqu'on vient de dire dix fois que les députés élus seraient entendus dans tous les cas. Qu'est-ce que l'honorable M. Dolez nous donne en plus ? Il n'y a pas de concession, puisque la concession avait déjà été faite dix fois. En réalité, l'amendement n'est pas sérieux. On désire autre chose.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.


M. le président. - Nous sommes en présence de quatre amendements. Celui qui me paraît devoir être mis le premier aux voix est celui de M. Wasseige. (Adhésion.)

- L'appel nominal est demandé.

L'amendement de M. Wasseige est mis aux voix par appel nominal.

72 membres prennent part au vote.

31 votent pour l'amendement.

41 votent contre.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Magherman, Mercier, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Snoy, Tack, Thibaut, Vander Donckt, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Coomans, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier et Janssens.

Ont voté le rejet : MM. Lange, C. Lebeau, J. Lebeau, Loos, Manilius, Nélis, Neyt, Pirmez, V. Pirson, Rogier, Sabatier, Saeyman, Tesch, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel, Van Volxem, Vervoort, Allard, Cartier, Coppieters 't Wallant, David, de Bast, de Boe, H. de Brouckere, De Fré, de Gottal, Deliége, de Renesse, de Rongé, Devaux, Dolez, Frère-Orban, Grosfils, Guillery, Hymans, J. Jouret, M. Jouret, Koeler et Orts.


M. le président. - Je mets aux voix l'article additionnel, proposé par M. Hymans.

- Cet article additionnel est adopté.


M. le président. - Vient l'amendement proposé par M. Carlier.

M. Carlier. - Je déclare retirer mon amendement, parce qu'il se confond avec celui de l'honorable M. Dolez.

M. le président. - Reste l'amendement proposé par M. Dolez.

M. B. Dumortier. - C'est de droit.

M. le président. - La discussion est close. Que ce soit de droit ou pas de droit, il s'agit de voter sur la proposition.

M. Coomans. - Mais je m'abstiens sur cette proposition.

M. le président. - Vous avez le droit de vous lever ou de ne pas vous lever ni pour ni contre, vous vous serez abstenu et vous n'aurez pas la peine de nous donner les motifs de votre abstention.

Articles 4 et 5

« Art. 4. Les indemnités seront réglées par le tarif en vigueur devant les cours d'assises. »

- Adopté.


« Art. 5. L'offense envers les membres de la commission et la subornation de témoins sont punies des peines prévues par les articles 222, 223, 228, 231 et 365 du code pénal. »

- Adopté.

Article 6

(page 222) « Art. 6. Les peines encourues seront appliquées par les tribunaux ordinaires, auxquels la commission renverra les procès-verbaux constatant les délits. »

M. le président. - M. Guillery propose de dire : « sont », au lieu de : « seront ».

M. Guillery. - La section centrale a remplacé partout le futur par le présent. Je crois qu'il doit en être de même dans cet article.

- L'article 6, ainsi modifié, est adopté.

Article 7

« Art. 7. La commission ne peut opérer ou délibérer valablement que lorsque les deux tiers de ses membres au moins sont réunis. »

- Adopté.

Le vote définitif de la loi est fixé à vendredi.

Motion d’ordre

M. le président. - Puisque nous aurons encore à nous occuper vendredi de ce projet, je vous proposerai de fixer à ce jour une mesure complémentaire : Pour qu'après que nous nous serons ajournés et que le Sénat aura voté la loi, nous ne soyons pas obligés de reprendre nos séances, je proposerai de nommer les membres de la commission d'enquête, bien entendu quand le projet aura été adopté par le Sénat. De cette manière on pourrait procéder à l'enquête sans aucun retard.

M. de Theux. - Messieurs, il me semble qu'il n'est dans nos usages de nommer une commission en vertu d'une loi qui n'est pas sanctionnée. Pour obvier à cet inconvénient signalé par M. le président, je demanderai à la Chambre si elle ne croit pas pouvoir déléguer au bureau le droit de nommer la commission.

M. E. Vandenpeereboom. - Que vous disais-je tantôt ? On veut nous laisser un droit, sans formule et sans sanction, même en fait de vérification de pouvoirs.

En effet, on vient, à présent, nous dénier le droit de procéder à la nomination des membres de la commission. Que devient, après des prétentions si contraires à nos prérogatives, notre droit d'enquête ?

D'abord, on disait que nous ne pouvions pas l'exercer sans loi ; maintenant, on va jusqu'à prétendre que nous ne pouvons nommer la commission d'enquête, que quand la loi sera promulguée. Je dis, moi, que, sauf l'application des peines, la Chambre peut exercer son droit d'enquête, comme elle l'entend et quand elle l'entend ; sans cela, en certaines circonstances, vous n'êtes plus armés d'un droit complet, efficace, mais d'une faculté d'agir sans efficacité et sans issue. Est-ce pour un tel non-sens que la Constitution a parlé ?

M. de Muelenaere. - Personne ne conteste à la Chambre le droit de nommer une commission, pour faire une enquête ; ce que l'on conteste, c'est le droit de nommer une commission en vertu d'une loi qui n'est pas encore promulguée. Nous ne pouvons pas exécuter une loi qui n'existe pas encore. Nous devons respecter la prérogative du Sénat et celle du pouvoir exécutif.

M. Pirmez. - Messieurs, une considération bien simple me paraît justifier la proposition de M. le président, c'est que dans toutes les hypothèses nous devons nommer une commission ; si le projet de loi est admis, nos commissaires feront partie de la commission mixte ; dans le cas contraire, ils opéreront seuls. Quel inconvénient peut-il y avoir à désigner dès maintenant des membres qui, dans toutes les éventualités, devront l'être plus tard.

M. B. Dumortier. - Messieurs, je concevrais l'argumentation des honorables préopinants si nous faisions une enquête en vertu d'une loi générale ou si nous faisions une enquête à nous seuls ; mais on a voulu une enquête mixte, une enquête en commun avec le Sénat. Or, nous ne savons pas si le Sénat acceptera le projet, s'il n'y introduira pas d'amendement, si, par exemple, il voudra que la commission soit composée de six membres. Nommer la commission dans un pareil état de choses, ce serait en quelque sorte forcer la main au Sénat.

Je ne crois pas que le Sénat serait fort flatté de voir la Chambre nommer les représentants qui devraient faire partie de la commission, avant qu'il n'ait, lui, approuvé la loi.

Du reste, messieurs, il est une chose que vous admettrez avec moi, c'est que vous n'avancerez en rien les choses en nommant les membres de la commission avant que le Sénat n'ait adopté la loi. Si la commission pouvait commencer ses opérations, je serais le premier à demander qu'on les nommât immédiatement, mais vous aurez fait des commissaires in partibus, des commissaires qui seront sans droit. Il me semble donc qu'il faut attendre le vote de la loi par le Sénat.

Ce n'est pas tout, messieurs ; supposez que le Sénat rejette le projet, vous aurez sans doute le droit de faire une enquête à vous seuls, mais il ne viendra à l'esprit de personne que la commission puisse se composer de trois membres seulement.

Il est donc impossible, messieurs, que vous nommiez les membres de la commission qui doit agir en vertu de la loi, avant que cette loi ne soit promulguée.

M. Coomans. - On dit, messieurs, que nous pouvons procéder seuls à l'enquête sans le concours du Sénat ; mais alors que devient le grand argument qui a été développé par l'honorable M. H. de Brouckere et autres, à savoir que nous faisons une enquête parce que le Sénat a voulu une enquête, et que nous ne pouvons pas nous mettre en opposition avec le Sénat ? Que devient cet argument, en présence de l'énormité qui est échappée à l'honorable député de Charleroi, que les membres de la commission nommés par la Chambre rempliraient leur mission alors même que le Sénat déclarerait que l'enquête est inutile, qu'il n'y a rien à redire à l'élection de ses membres ? Voilà une chose incroyable ; mais ce qui est plus fort encore, c'est la prétention de l'honorable M. Pirmez, de faire et d'exécuter des lois sans l'assentiment et même malgré l’opposition du Sénat. En vertu du projet de loi actuel, l'enquête est mixte ; elle doit donc se faire avec le Sénat. Or, si vous la faites seuls, vous ne la faites plus en vertu de la loi ; nous la ferons alors en vertu de l'opinion de M. Pirmez.

M. Manilius. - En vertu de l'opinion de la Chambre.

M. Coomans. - Si vous faites l'enquête sans le concours du Sénat, il faudra une autre loi que celle que vous allez voter, il faudra prendre d'autres dispositions, et alors disparaît la possibilité de réaliser le vœu émis par notre honorable président, de ne pas être obligé de revenir ici.

Il y a, messieurs, dans tous les arguments qu'on a fait valoir, une telle contradiction, que je n'y comprends plus rien. Il est vrai que je n'ai jamais compris grand-chose à cette affaire.

M. le président. - Je dois dire à M. Coomans que le président ne veut rien du tout. J'ai fait une proposition relative à l'ordre du jour et je l'ai faite parce que j'ai la conviction que si l'on convoquait de nouveau la Chambre lorsqu'elle se sera séparée, il y aurait peu de chance de la voir revenir en nombre, et parce que dès lors l'enquête ne pourrait commencer que dans la prochaine session.

M. Pirmez. - Ce qu'a dit M. Coomans en terminant me fait renoncer à la parole.

M. de Theux. - Messieurs, j'ai soumis une idée à la Chambre : lui convient-il de déléguer au bureau le pouvoir de nommer la commission ? Alors l'inconvénient disparaît : la commission ne serait nommée qu'après la publication de la loi.

On pourrait, messieurs, examiner cette question dans la séance de samedi.

- Plusieurs membres. - C'est cela.

- La séance est levée à cinq heures.