(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)
(page 161) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)
M. Crombez fait l'appel nominal à une heure et un quart.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Crombez présente l'analyse des pétitions suivantes.
« L'administration communale de Courtrai demande que le projet de loi relatif à l'exécution de travaux d'utilité publique comprenne le creusement d'un canal de jonction de la Lys au canal d’Ypres. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des habitants de l'arrondissement de Louvain demandent l'ajournement de la discussion du projet de loi relatif aux travaux publics, jusqu'à ce que la Chambre se soit prononcée sur la validité des élections de cet arrondissement. »
- Même décision.
« Le sieur Fafchamps demande à pouvoir soumettre au gouvernement un système de combinaison d'armes nouvelles et de travaux d'art, pour la défense de places et du territoire, et désire être entendu par. M. le ministre de la guerre, en présence des officiers qu'il voudra bien appeler et que leurs objections et ses réponses soient constatées par des sténographes. »
M. Lesoinne. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre des exemplaires des livraisons 7 à 12 du tome VI des Annales de la commission royale de pomologie belge et étrangère.
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. Savart, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »
- Ce congé est accordé.
M. le président. - La discussion générale continue sur le paragraphe premier de l’article premier, relatif aux fortifications d'Anvers.
M. Guillery. - Messieurs, l'indulgence avec laquelle la Chambre a bien voulu m'écouter hier m'impose d'être excessivement bref. Je lui renouvelle à cet égard les excuses que je lui ai faites en commençant, c'est que je n'ai pas eu le temps d'être moins long.
J'ai essayé de démontrer que la place d'Anvers n'est pas la base naturelle d'une défense nationale. A cet égard, messieurs, ma démonstration a nécessairement été incomplète, car je suis tout à fait au-dessous de ma tâche.
Mais j'espère du moins démontrer qu'il y a, à cet égard, des études sérieuses à faire ; que le système qui consiste, par exemple, à faire de Bruxelles la force de notre système de défense, un autre système qui consiste à placer un camp retranché à Namur, méritent des études sérieuses et approfondies. Sur ce dernier point, je ne crois pas qu'il existe au département de la guerre un seul rapport, qu'il y ait une seule commission qui atteste une étude sérieuse.
Je vous disais, messieurs, que l'on suppose une attaque venant du Midi, évidemment les secours doivent nous venir de l'Est. En conséquence il faut que l'armée belge occupe une position qui facilite l'arrivée de ces secours. Or, en se retirant à Anvers, on se place aussi loin que possible de l'ennemi qu'elle attend.
Lorsqu'on attend un ennemi, il me semble qu'il est naturel de conserver dans le pays une position très forte qu'on ne laisse pas occuper par des adversaires. Au contraire la première chose que feront nos adversaires étant de s'emparer de Bruxelles, en suivant la route qu'ont toujours suivie les invasions françaises, du moins les invasions bien conduises, puis de s'emparer de Namur lorsque arrivera une armée alliée, mais cette armée trouvera là la position forte occupée non pas par nous, mais par nos adversaires. Nous, nous serons à l'extrémité nord-ouest du pays. La position véritablement militaire, nous ne l'occuperons pas.
On me dira : Mais croyez-vous que l'armée va de gaieté de cœur abandonner la Belgique ? Ne savez-vous pas qu'elle ne se retirera à Anvers qu'en cas de défaites successives ? Rappelez-vous ce qui a été dit à cet égard l'année dernière, c'est que si l'on adoptait la grande enceinte, il faudrait une garnison tellement considérable à Anvers, que pour avoir une armée capable de tenir la campagne, il faudrait une augmentation considérable du budget de la guerre.
Eh bien, une armée, comme l'a très bien démontré M. le ministre de la guerre, ne peut pas avoir deux bases d'opération aussi éloignées l'une de l'autre ; si l'on prend Anvers pour base d'opération, on ne peut pas s'appuyer sur Namur. On s'exposerait, en s'appuyant sur cette position, qui du reste n'est pas assez forte dans l'état actuel, de se voir coupé par l'armée envahissante et de n'arriver qu'après elle dans la citadelle d'Anvers.
Si, au contraire, l'attaque vient de l'Est, les secours nous viendront probablement du Midi. Dans ce cas encore, c'est la vallée de la Meuse, c'est la vallée de la Sambre, c'est Namur qui est la clef de la Belgique, que nous devrions occuper pour attendre les secours qui doivent nous arriver.
La position de Namur offre en outre l'avantage de commander la capitale, c'est-à-dire qu'elle menace le flanc d'une armée qui nous envahirait du Midi, exactement comme Alexandrie, qui est la base d'opération du Piémont, menace le flanc d'une armée qui marche sur Turin ; et c'est à cause de cette position d'Alexandrie, dont on a invoqué l'exemple, mais à tort, que le maréchal Crulay n’a pas osé s'avancer sur la capitale du Piémont.
Mais si les Piémontais avaient pris comme base d'opération un point situé à l'extrémité de leur pays, et s'ils avaient pris Gênes, et Gênes n'est pas aussi excentrique encore qu'Anvers, ils auraient été beaucoup trop loin du chemin qui conduit à la capitale pour empêcher la marche des Autrichiens.
Ainsi, si l'on veut citer l'exemple du Piémont, je dirai que ce qu'est Alexandrie pour le Piémont, Namur l'est pour la Belgique.
En fortifiant très faiblement (je cite ici l'autorité d'un de nos généraux les plus distingués), en fortifiant très faiblement la capitale, en ayant seulement quelques forts dans les positions qui commandent la capitale, nous pouvons être à l'abri d'une attaque du Midi, parce qu'il y aura toujours dans ce camp retranché de Namur, dans cette base d'opération, une menace pour l'armée qui voudra s'avancer directement sur Bruxelles, c'est-à-dire qu'une armée envahissante par le Midi ne s'avancera pas par les Flandres, parce que, comme l'a rappelé très bien hier l'honorable M. Orts, c'est une des plus mauvaises manières d'envahir la Belgique (l'invasion qui s'est faite par-là n'a pas réussi et ne pouvait réussir), on ne marche pas entre la mer et l'armée ennemie.
Ce serait une marche semblable à celle qu'auraient faite les troupes françaises, si, au lieu de remonter le Tessin, elles avaient voulu attaquer les Autrichiens par la rive droite du Pô.
Namur se trouve donc commander la capitale, et à la fois protéger l'arrivée de nos secours soit qu'ils nous viennent du Midi, soit qu’ils nous viennent de l'Est.
Cette idée, messieurs, que je défends n'est pas neuve. Je disais hier qu'elle est d'un très grand stratégiste, c'est-à-dire du général Jomini ; ou plutôt je devrais dire qu'elle a été défendue par tous les stratégistes qui ont écrit sur cette question ; M. Thiers, dans son Histoire du consulat. M. Jomini, dans ses différents traités, défendent la même idée. Je citerai, messieurs, quelques passages, qui ne seront pas longs :
« Une base d'opération, dit Jomini, doit reposer sur plusieurs points parce qu'il est difficile et dangereux de réunir tous les approvisionnements d'une armée dans un seul dépôt, et de n'avoir qu'une route pour les transports. » (Jomini. Stratégie, page 13.)
« Je pensais qu'une grande capitale renferme l'élite de la nation ; qu'elle est le centre, le dépôt de tout ; que c'est la plus grande des contradictions de laisser un point aussi important sans défense immédiate. Aux époques de malheur et de grandes calamités, les Etats manquent souvent de soldats, mais jamais d'hommes pour leur défense intérieure. 50,000 gardes nationaux, 2,000 à 3,000 canonniers défendront une capitale fortifiée contre une armée de 300,000 hommes.» (Jomini, Vie de Napoléon, t. 2, page 412.)
Voyez, messieurs, l'opinion de ce grand stratégiste sur la mission que peut remplir la garde civique pour la défense d'une place forte lorsque cette place forte est le cœur du pays, est la capitale :
« 50,000 gardes nationaux, 2,000 ou 3,000 canonniers défendront une capitale fortifiée contre une armée de 300,000 hommes. »
Or, comme nous ne sommes guère menacés d'être envahis par une armée de plus de 300,000 hommes, et comme nous aurons toujours 50,000 hommes pour nous défendre, nous pourrons, en prenant la capitale pour point d'appui, opposer à l'ennemi une résistance très sérieuse.
Napoléon disait, et ses paroles sont rapportées par le même auteur :
« Depuis vingt ans, nos forteresses n'étaient ni réparées, ni munies, parce qu'elles n'avaient point été menacées.
« J'avoue pourtant que j’aurais dû songer, dès l'armistice du mois de juillet 1813, à organiser les gardes nationales ; cela m'eût procuré des garnisons, et préparé, en cas de revers, les moyens de tenir la campagne. » (Jomini, Vie de Napoléon, t. 2, page 370.)
Un autre stratégiste, Rogniat, dans ses Considérations sur l'art de la guerre, s'exprime ainsi :
(page 162) « Que les gardes nationales, au contraire, y soient organisées ; qu'elles aient quelque habitude et quelque instruction militaires ; qu’elles aient surtout un ardent amour de la patrie ; elles défendront pour ainsi dire à elles seules les places avec l'artillerie et le génie. Alors l'armée active, à laquelle il appartient exclusivement de trancher la question de vie et de mort dans une guerre d'invasion, pourra se livrer avec confiance aux combinaisons de la guerre défensive, t (Rogniat, Considérations sur l'art de la guerre, page 252.)
De sorte, messieurs, que d'après ces auteurs, c'est à la garde civique à occuper les places fortes, c'est à elle à défendre la capitale et la capitale fortifiée afin de laisser à l'armée une libre action contre l'ennemi.
Je parlais, messieurs, de la position de Namur, comparée à celle d'Anvers ; voici ce qu'écrivait le général Jomini et ce qui semble écrit tout exprès pour la discussion actuelle :
« Les grandes places situées hors des directions stratégiques, sont un grand malheur pour l'Etat et l'armée. »
Or, je le demande, Anvers est-elle dans une direction stratégique quelconque ?
Je crois qu'Anvers est située hors des directions stratégiques et par conséquent je crois pouvoir dire qu'elle serait un grand malheur pour l'Etat et l'armée.
« Celles, ajoute le même auteur, qui sont sur les rives de la mer ne peuvent avoir d'importance que dans des combinaisons de guerre maritime ou pour des magasins ; elles peuvent devenir désastreuses pour une armée continentale, en lui offrant la perspective trompeuse d'un appui. » (Jomini, Tabl. anal, des combinaisons de la guerre, page 273.)
Si jamais vous pouviez être bercés par les perspectives trompeuses d'un appui, c'est quand vous vous attendriez avoir une flotte anglaise remonter l'Escaut en temps de guerre.
(L'orateur donne lecture d'un autre extrait du général Jomini.)
Voilà l'opinion du général Jomini.
Eh bien, si celui des deux partis qui se rend maître du cours de la Meuse est maître du pays, pouvons-nous adopter un système défensif qui nous rend impossible la défense du cours de la Meuse ?
Messieurs, pardonnez-moi de multiplier les citations ; mais elles me paraissent indispensables dans le cas actuel ; la question que je traite est tellement peu instruite, que c'est seulement à l’aide de citations extraites des écrits d'hommes tout à fait spéciaux et compétents qu'on peut suppléer à une instruction trop incomplète.
« Lafayetle, dit encore le général Jomini, consulté sur l'invasion de la Belgique, l'aurait approuvée au fond, et se serait chargé de l'exécuter avec 50,000 hommes, qu'on eût rassemblés, par une marche concentrique, au confluent de la Sambre et de la Meuse, pour déboucher de Namur vers Liège.
« Ce général fut ainsi le seul qui saisit le point décisif et prouva par cette circonstance, qu'il eût fait la guerre avec distinction. » (Jomini, Guerres, révol., tome I, pages 116 et 117.)
M. Thiers, dans son Histoire de la révolution française, rapporte le même fait :
« Lafayette demanda 50,000 hommes avec lesquels il se proposa de se porter par Namur et la Meuse jusqu'à Liège, d'où il devait être maître des Pays-Bas. Ce plan fort bien entendu fut approuvé par Dumouriez. » (Thiers. Histoire de la révolution française, t. 2, p. 48).
Il semble vraiment, messieurs, que ceci ait été écrit pour la discussion qui nous occupe.
Je crois devoir borner là mes citations pour ne pas abuser de votre bienveillance. Il est établi, je crois, que la base, la meilleure base d'un système de défense est la capitale, la capitale ne fût-elle pas dans une position militaire favorable. Mais il est rare qu'une capitale ne soit pas, militairement parlant, dans une position favorable, parce que c'est toujours à la capitale que viennent aboutir les routes du pays, et ces considérations politiques devront toujours la faire défendre.
Qu'on se rappelle, messieurs, tout ce qui a été dit en 1840 à la chambre des députés de France en faveur des fortifications des capitales.
Qu'on se rappelle les nombreuses autorités qui ont été invoquées et l'on verra que, dans cette discussion, les hommes politiques et les généraux les plus éminents, ont regardé l'influence exercée par la capitale comme supérieure même à une position militaire.
Anvers, messieurs, n'est rien moins que cela.
Je disais hier, que si Napoléon Ier, à qui l'on fait remonter l’honneur et la gloire du projet qui nous est soumis aujourd'hui, avait conçu l'idée de fortifier Anvers, ce n'était pas du tout dans le but de défendre la Belgique.
D'abord, Napoléon Ier avait un projet tout à fait différent de celui qui nous est soumis ; ces deux projets ne se ressemblent sous aucun rapport, et cela pour plusieurs raisons : d'abord parce qu'il y a dans ces travaux projetés, des idées qui n'avaient pas cours alors, ensuite parce que Napoléon avait fait un projet de fortifications pour la Tête de Flandre, où il voulait établir une ville égale à celle d'Anvers. Par conséquent son système de défense était tout à fait différent de celui qu'on nous propose.
On a parlé de communications échangées entre le département de la guerre de France et celui de Belgique ; je serais heureux de pouvoir les consulter si elles existent réellement.
Voici, messieurs, ce que dit un des premiers écrivains de stratégie, M. Thiers, sur la pensée qui inspirait les fortifications d'Anvers ; vous verrez par la lecture de ce passage qu'il n'y a rien de commun entre Anvers, la nationalité et le patriotisme belge.
« Le premier consul, après Boulogne, visita Calais, Dunkerque, O-tende et Anvers. II tenait à voir ce dernier port et à s'assurer par ses propres yeux de ce qu'il y avait de vrai dans les rapports très divers qu'on lui avait adressés. Après avoir examiné l'emplacement de cette ville avec cette promptitude et cette sûreté de coup d'œil qui n'appartenaient qu'à lui, il n'eut aucun doute sur la possibilité de faire d'Anvers un grand arsenal maritime. »
Ce grand arsenal maritime ! La seule chose que nous n'ayons pas le droit de faire d'Anvers d'après les traités.
« Anvers avait, à ses yeux, des propriétés toutes particulières : il était situé sur l'Escaut, vis-à-vis la Tamise ;, il était en communication immédiate avec la Hollande, par la plus belle des navigations intérieures, et par conséquent à portée du plus riche dépôt de matières navales. Il pouvait recevoir sans difficulté, par le Rhin et la Meuse, les bois des Alpes, des Vosges, de la forêt Noire, de la Wettéravie, des Ardennes. Enfin, les ouvriers des Flandres, naturellement attirés par le voisinage, devaient y offrir des milliers de bras pour la construction des vaisseaux.
« Le premier consul résolut donc de créer à Anvers une flotte dont le pavillon flotterait toujours entre l'Escaut et la Tamise. C'était l'un des plus sensibles déplaisirs qu'il pût causer à ses ennemis, désormais irréconciliables, c'est-à-dire aux Anglais. Il fit occuper sur-le-champ les terrains nécessaires à la construction des vastes bassins qui existent encore et qui sont l'orgueil de la ville d'Anvers. Ces bassins, communiquant par une écluse de la plus grande dimension avec l'Escaut, devaient être capables de contenir toute une flotte de guerre, et rester toujours pourvus de trente pieds d'eau, quelle que fût la hauteur du fleuve. Le premier consul voulait faire construire vingt-cinq vaisseaux dans ce nouveau port de la république ; et, en attendant de nouvelles expériences relativement à la navigabilité de 1 Escaut, il ordonna la mise en changer de plusieurs vaisseaux de 74. Il ne renonçait pas à en construire plus tard d'un échantillon supérieur. Il espérait faire d’Anvers un établissement égal à ceux de Brest et de Toulon, mais infiniment mieux placé pour troubler le sommeil de l'Angleterre. »
On sait, messieurs, que l'empereur Napoléon Ier persista toujours dans cette idée, et qu'à la chute de l'empire Anvers était un des premiers arsenaux maritimes de la France.
On me dira peut-être : mais si Anvers est une menace pour l'Angleterre, l'Angleterre seule aurait le droit de se plaindre, et jusqu'à présent il ne paraît pas qu'elle soit très alarmée de l'effet qu'Anvers pourra produire sur la Tamise. Cette position de nos forces militaires en face de la Tamise ne l'effraye pas.
Je dirai à cela, messieurs, que ce n'est pas la crainte d'effrayer l'Angleterre ni qui que ce soit qui me retient ; mais j'ai voulu démontrer qu'Anvers a une importance pour ainsi dire européenne, et qu'il n'y a qu'une seule puissance qui n'ait pas intérêt à voir Anvers fortifié, à voir Anvers devenir une grande place de guerre, c'est la Belgique.
Anvers est une grande place de guerre pour celui qui veut envahir l'Angleterre, et elle est une grande place de guerre pour l'Angleterre dans le cas où elle se trouverait entre les mains de tout autre que la Belgique.
Je dirai donc avec un des membres les plus considérables de la gauche qu'en faisant d'Anvers une place de guerre par excellence, on s'expose à attirer sur Anvers tous les désastres d'une guerre qui aurait alors non pas la Belgique mais Anvers pour but. Car, messieurs, de même que l'on peut se trouver en présence d'une guerre ayant la Belgique pour but et qui passera à côté d'Anvers, nous pouvons nous trouver en présence d'une guerre qui aura Anvers pour but et qui ne s'occupera pas de la Belgique. Ce sont deux hypothèses toutes différentes, et l'on peut parfaitement se placer dans l'une ou dans l’autre.
Si vous supposez une armée allemande envahissant la Belgique pour aller en France, ou si vous supposez une armée française se dirigeant vers le Rhin, dans ces deux hypothèses bien évidemment on ne s'occupera pas d'Anvers et Anvers n'aura aucune action dans ce cas. Mais il se peut qu'Anvers, devienne par lui-même, du moment où il sera ce que Napoléon avait voulu en faire, le but d'une guerre. N'avons-nous pas tous présentes à l'esprit ces paroles de Napoléon à Sainte-Hélène, qui disait qu'Anvers était une des principales causes de sa présence à Sainte-Hélène, qu'Anvers était la place que les plénipotentiaires anglais et les plénipotentiaires français se sont le plus disputée. C’était le point du débat qui les occupait le plus et pour lequel Napoléon a tout sacrifié.
Eh bien, je désire que nous ne possédions pas une place de guerre pour laquelle Napoléon Ier a tout sacrifié. C'est un joyau beaucoup trop précieux ; tâchons de ne pas l'avoir à garder. J'aime beaucoup mieux avoir là une grande et belle place de (page 163) commerce qui ne s'occuperait que de rivaliser avec Hambourg, avec Amsterdam, avec le Havre, avec New-York, avec Odessa, avec tous ces grands ports commerciaux qu'on respecte en cas de guerre. En cas de guerre, les armées, les flottes se dirigent contre les remparts, et aujourd'hui au milieu du XIXème siècle, on n'attaque plus des places de commerce.
Anvers ne sera plus désirable pour aucune puissance militaire du moment où il n'aura plus de fortifications. Car la position d'Anvers n'a rien d'exceptionnel ; toutes les rives de l'Escaut se trouvent dans la même position, sauf qu'il n'y a pas de ville. Mais il n'y a à Anvers même aucun accident de terrain qui le rende plus propre que toute autre place de l'Escaut.
On a invoqué, messieurs, les débats de l'année dernière pour prouver que la Chambre avait en quelque sorte voté d'avance la grande enceinte. J'ai trouvé cet argument dans le rapport de la section centrale et j'avoue qu'il m'a étonné. Car les discussions de l'année dernière sont une protestation tout aussi énergique contre la grande enceinte que contre la petite enceinte ; mais les honorables représentants d'Anvers qui ont pris la parole ont protesté et ont protesté tout d'abord contre toute idée de fortifier Anvers.
Les honorables organes du gouvernement, qu'ont-ils dit ? Nous ne nous opposons pas à la grande enceinte en principe ; nous croyons que les exigences militaires demandent uniquement la petite enceinte, et que la grande enceinte n'est réclamée que dans l'intérêt d'Anvers ; c'est à dire, qu'au moyen de la petite enceinte, nous avons tout ce qu'exige la défense du pays (je crois que je reproduis fidèlement la pensée du gouvernement) et que ce n'est que dans l'intérêt d'Anvers qu'il en faudrait une grande au lieu d'une petite, et dans cet ordre d'idées le ministère refusait les offres d'Anvers qui étaient de dix millions, et cette année, quand uon nous propose la grande enceinte, uniquement dans l'intérêt d'Anvers, cette même offre de 10 millions devient parfaitement satisfaisante et l’on offre même à Anvers, ville commerciale par excellence, l'espoir d'un bénéfice pour le cas où la vente des fortifications excéderait 10 millions. On partagerait le bénéfice de compte à demi avec le gouvernement. Voilà donc des offres qui étaient insuffisantes l'année dernière, qui sont aujourd'hui considérées comme parfaitement satisfaisantes.
Est-ce encore là une des conséquences du vote de l'année dernière ?
L'honorable M. Devaux, dont on a avec raison invoqué l'autorité avant-hier, l'honorable M. Devaux que je regrette de ne pas voir dans cette enceinte pour y défendre aujourd'hui son opinion de l'année dernière, mais qui cependant, m'a-t-on assuré, persiste dans sa conviction, ce qui me permet d'invoquer son autorité, l'honorable M. Devaux constatait que s'il y avait dans cette Chambre de l'opposition contre le projet du gouvernement, ce n'était pas en faveur de la grande enceinte, mais que les députés qui étaient opposés à la petite enceinte seraient à plus forte raison opposés à la grande ; que la Chambre ne trouvait pas qu'on ne fît pas assez pour Anvers, mais qu'elle trouvait qu'on faisait trop pour Anvers. Voici comment s'exprimait l'un de nos vétérans les plus respectables et qui jouit de la plus grande autorité parmi nous, sur la question dont je parlais tout à l'heure, sur la question de fortification de Bruxelles :
« Qui ne sait qu'il y a dans la possession de la capitale d'un pays, une telle force morale que c'est devenu une espèce d'axiome de guerre que dès qu'on le peut, c'est sur la capitale de l'ennemi qu'il faut marcher pour se saisir en quelque sorte du cœur même de son pays ? Abandonner la capitale, ce serait démoraliser le pays au dedans, ce serait lui ôter en même temps sa force morale au dehors. Voulez-vous une preuve frappante de la différence qu'il y a pour le gouvernement entre la possession de la capitale et celle d'une ville de province ? Vous en trouverez une bien éclatante dans les faits contemporains. Rappelez-vous ce qui s'est passé en 1830. Si la révolution s'était bornée à quelques localités de provinces, elle n'aurait été qu'une émeute ; dès qu'elle s'est déclarée à Bruxelles, ç'a été une révolution nationale et de tous côtés on a volé à son secours. Dès qu'elle a eu vaincu les troupes du roi Guillaume à Bruxelles toute la Belgique s'est ralliée à elle.
« Ces troupes étaient à quatre lieues de Bruxelles. N'importe, on a créé un gouvernement provisoire qui a été accueilli partout. Pendant que l'année du roi Guillaume occupait Anvers, on a assemblé un congrès à Bruxelles.
« Ce congrès a fait neuf mois durant une constitution, a érigé un trône, pendant que l'armée hollandaise se trouvait toujours à Anvers. Il a inauguré un roi dans la capitale. Le gouvernement de Bruxelles a négocié avec les puissances étrangères et il a fini par les amener à expulser d'Anvers les troupes du roi Guillaume.
« Je le demande, messieurs, quelque chose de semblable eût-il eu lieu si nous n'eussions été en possession de la capitale ? Renversez un instant les positions. Supposez le roi Guillaume à Bruxelles et la révolution dans une ville de province ; et je vous demande s'il serait venu à personne l'idée de faire une constitution, d'assembler un congrès, d'ériger un trône ; si vous auriez trouvé en Europe un prince pour s'y asseoir, s’il vous eût été permis de négocier avec les puissances étrangères et surtout si vous auriez pu décider une seule d'entre elles à venir expulser le roi Guillaume de Bruxelles.
« Voilà, messieurs, la grande différence entre la force morale d'une capitale et celle d'une ville de province. Si le gouvernement devait quitter Bruxelles, le pays se croirait perdu et on le croirait perdu au-dehors. Aussi longtemps que le gouvernement siégera à Bruxelles, l'enthousiasme national se maintiendra ; de tous côtés on viendra à son secours, comme en 1830 ; il ne lui manquera ni hommes ni argent. Tout ce mouvement patriotique fera place au découragement dès que Bruxelles sera abandonné.
« Voilà, messieurs, ce que j'ai à dire de l'avantage politique que présenté la concentration à Bruxelles ; on n'a rien dit pour le détruire, on n'a rien dit non plus qui diminue l'importance d'un avantage d'un autre ordre.
« Pour investir une place de l'étendue qu'aurait Bruxelles fortifiée, l'ennemi devrait s'étendre sur un cordon d'envahissement de dix ou douze lieues.
« Il est des autorités militaires, et des plus célèbres, qui sont d'avis que des places fortes de cette importance ne peuvent être bloquées ; si elles pouvaient l'être ce ne serait que par une armée de 200,000 à 300,000 hommes. Or, aucune puissance ne peut envahir la Belgique sans une guerre européenne. Est-il, messieurs, une seule puissance, quelque forte que vous la supposiez, qui, ayant une guerre européenne sur les bras, puisse à son début immobiliser 300,000 hommes au siège d'une ville ?
« Il n'en est pas, et dès lors, plutôt que d'assiéger Bruxelles, plutôt que d'envahir la Belgique, on se contenterait de sa neutralité et on ferait la guerre dans de meilleures conditions, sur une autre frontière.
« Voilà comment la capitale de la Belgique convenablement fortifiée peut rendre en quelque sorte l'invasion impossible.
« Que si au contraire vous vous concentrez à Anvers, comme une grande partie de la défense d'Anvers consiste en inondations qui aident elles-mêmes à bloquer la place et ne laissent entre elles qu'un espace d'une lieue et demie, Anvers peut être bloqué avec 30,000 ou 40,000 hommes et pendant ce temps l'ennemi peut rançonner le pays, et établir dans la capitale tel gouvernement qu'il veut. »
Messieurs, si j'ai cité ces paroles, ce n'est pas seulement parce qu'il est toujours heureux de baser son opinion sur une aussi haute autorité ; mais c'est parce que je suis convaincu d'une chose : c'est qu'elle reflète le sentiment public en Belgique ; c'est que ce qui indigne le cœur des Belges, c'est l'idée que la capitale peut être abandonnée, c'est que Bruxelles ne sera pas défendu, c'est que le boulevard de la nationalité, le dernier point que nous devrions disputer à l'ennemi, alors qu'il occuperait le reste du pays, sera abandonné par nous.
Voilà le sentiment que j'ai vu partout. Je ne me suis pas inspiré ici de l'esprit des livres, je me suis inspiré des observations des hommes de toutes les classes ; j'ai cherché des lumières parmi mes concitoyens, et c'est là ce que j'ai vu, c'est là ce que mou devoir m'obligeait de dire dans cette enceinte.
Supposons, permettez-moi de revenir sur ce tableau, mais c'est en définitive la question à décider, supposons l'ennemi envahissant la Belgique : non seulement il n'y a plus de nationalité, non seulement le Roi qui est à Anvers n'est pas plus roi des Belges que ne l'était le roi Guillaume lorsqu'il était à Anvers, mais la Belgique est mise à contribution par l'étranger, mais nos conscrits qui n'auront pas le temps d'arriver à Anvers, puisque vous supposez qu'ils n'auraient pas même le temps d'arriver dans la capitale, on les enlèvera, non pas comme M. le ministre de la guerre a pensé que voulait le dire un autre orateur en se méprenant sur le sens de ses paroles, pour aller attaquer Anvers, les nations civilisées ne font pas cela, mais pour aller dans les colonies pour aller occuper les forteresses des pays ennemis.
Lorsque nous avons eu une invasion au siècle dernier, on ne s'est pas gêné pour établir la conscription dans un pays qui ne la connaissait pas, et nos conscrits, tant sont dures les rigueurs de la conscription, ont bien dû marcher pour défendre une cause qu'ils désapprouvaient. Ainsi nous aurons tous les malheurs en cas d'invasion.
Messieurs, je ne veux pas dénaturer les sentiments de M. le ministre de la guerre ; je ne veux pas dire qu'il abandonnerait immédiatement le pays. J'accorde qu'il pourrait défendre le pays pied à pied ; mais enfin une armée a toujours les yeux sur sa base d'opérations, ce qui doit surtout la préoccuper, c'est de n'être pas coupée de sa base d'opérations.
Si cette base était Anvers, et si l'armée s'aventurait trop loin de cette base, cette marche par les Flandres, qui serait une imprudence dans un autre cas, serait une manœuvre habile, si la supériorité du nombre était du côté des troupes envahissantes. Il faut donc qu'une armée ait une base d'opérations qui ne soit pas trop éloignée ; il faut qu'elle ne soit pas exposée à être coupée.
Nous ne serions pas le moins du monde dans la position de Wellington en Portugal, attendu qu'il n'avait pas à craindre une invasion sur une frontière située à quelques lieues de sa base d'opérations. On ne pouvait entrer partout ; on savait où était l'armée française qui se trouvait toujours eu pays ennemi.
Il y a donc, suivant moi, dans le système du gouvernement un abandon du principe qui seul fait la foire des nations : c'est l'élan national, c'est le courage donné au peuple par le patriotisme.
N'oublions pas ce que dit l'auteur que j’ai cité tout à l'heure, c'est qu'avec 50,000 gardes civiques et 5,000 canonniers, on défend une (page 164) capitale contre une armée envahissant de 300,000 hommes. C'est un militaire qui parle ainsi.
Qu'il me soit permis maintenant, messieurs, de vous dire quelques mots de la garde civique. J'ai entendu avec plaisir M. le ministre de la guerre nous dire qu'il comptait sur cet élément de défense nationale comme complément de son système militaire.
Mais, à cet égard, je me permettrai une critique ; c'est qu'il n'y a pas encore là, pas plus que dans beaucoup d'autres choses que j'ai signalées hier, un plan général. Nous avons une loi d'organisation de l'armée qui date de 1845, qui a été retouchée en 1853, mais enfin c'est la loi de 1845. Depuis 1845 on a changé complétement le système de défense du pays.
En 1845, personne ne pensait à une base d'opérations se trouvant à Anvers. On ne pensait même pas à un système de défense du pays. Il faut rendre cette justice au gouvernement que personne jusqu'en 1847 n'avait pensé à un système de défende du pays.
Je crois que c'est à l'honorable général Chazal que revient l'honneur de s'être occupé le premier du système de défense du pays ; mais jusqu'alors personne ne s'en était occupé ; de manière que quand on a, en 1845, organisé une armée, on a un peu organisé une année de fantaisie. On s'est dit : pour quatre régiments d'artillerie, il faut 7 ou 8 régiments de cavalerie ; mais il n'y a pas une raison militaire, une raison de défense nationale qui ait dicté la répartition de ces forces.
Or, aujourd'hui tout est changé. Nous voilà en présence d'un système nouveau de défense. On ne change pas un iota à la loi de 1845. Ce que je demande, je le répète, c'est un système général. Je demande qu'on nous dise quel sera le maximum de la dépense des fortifications, quel sera, au juste, le budget de la guerre, quel est le parti que l'on compte tirer de la garde civique pour seconder l'armée.
Or, messieurs, avec le système mis en avant, peut-on admettre qu'il faudra encore 4 régiments d'artillerie et deux divisions de cavalerie ?
Est-ce qu'il n'y aura rien de changé dans l'artillerie de siège ? Ne viendra-t-elle pas remplacer en partie l'artillerie légère ? On se réserve sans doute de faire cela plus tard, mais, je le répète, c'est toujours une organisation par pièces et morceaux.
Remarquez, messieurs, que le budget de la guerre qu'on espérait voir réduire en 1851, à 25 millions, c'était notre espérance loyale, consciencieuse, je ne fais pas de reproche à ceux qui n'ont pas pu atteindre le but de nos espérances communes, je crois qu'ils étaient de très bonne foi, mais il n'en est pas moins vrai qu'eux et nous avons été déçus dans nos espérances et que ce budget de la guerre que nous espérions voir réduire à 25 millions, s'est élevé progressivement au chiffre que nous voyons aujourd'hui et que, chaque année, on nous a demandé en moyenne 8 millions de crédits extraordinaires.
En 1851 la dépense de toutes les fortifications d'Anvers était évaluée au maximum à 5,621,800 francs. On n'avait pas compté les centimes, mais à cela près vous voyez que le calcul était bien consciencieux. 5,621,800 fr., pas un franc de plus, pas un franc de moins. Le camp retranché figurait dans ces travaux pour 1,500,000 fr.
En 1852 la défense du camp retranché était déjà portée à 3,276,052 francs. J'ai pris ce chiffre dans les discours de M. le ministre de la guerre de l'année dernière ; cela faisait donc déjà une différence de l,776,052 fr. Il n'avait fallu qu'une année pour cela.
En 1855 on demandait 5,440,000 francs.
En 1856 on proposait une dépense de 8,900,000 fr. pour le camp retranché et de 8,029,000 francs pour les fortifications.
Le total des crédits extraordinaires demandés de 1852 à 1856 s'éleva à 32,152,000 francs, c'est-à-dire que le budget de la guerre, en y comprenant ces crédits, s'élève en moyenne à 41 millions. Les pensions militaires s'élèvent à 3 millions, c'est donc à 44 millions par an que s'élèvent les crédits demandés pour la guerre. (Interruption.)
Je puis me tromper dans mes calculs, le temps m'a manqué.
M. H. de Brouckere. - Ce sont les crédits demandés qui n'ont pas tous été dépensés.
M. Guillery. - Les chiffres que je cite ne doivent pas être loin de la vérité et je suis convaincu que les dépenses réelles ne sont pas beaucoup au-dessous de 44 millions par an.
Je ne fais pas de reproches à cet égard, je sais fort bien que beaucoup de ces crédits extraordinaires ne se reproduiront plus. Ainsi l'artillerie était dans un état déplorable et depuis plusieurs années on a demandé des crédits extraordinaires pour l'améliorer ; mais cela prouve une chose, c'est que les budgets de la guerre qui ont été demandés ont toujours été insuffisants. Cette année-ci qu'à fait le gouvernement ? Il a laissé l'armée sur le pied de paix, sur un bon pied de paix, mais il n'a dépassé en quoi que ce soit l'organisation du pied de paix ; je trouve qu'il a agi très sagement, mais vous avez vu des dépenses extraordinaires et, chaque fois que vous voudrez avoir une armée qui répande aux besoins du pays, qui réponde à ce qu'exige la loi de 1845, vous excéderez les limites du budget ordinaire ; chaque fois qu'il y aura la moindre menace de guerre, il faudra de très grandes dépenses pour l'armement, pour la marine, pour les arsenaux et pour remonter l'artillerie.
Ainsi, messieurs, j'ai le droit de dire que le budget de la guerre, si nous voulons le prendre sérieusement, si nous voulons calculer les crédits extraordinaires, tenir compte, par exemple, des dépenses de l'artillerie et les répartir sur différentes années, je dis que nous arriverons à un budget de la guerre de 40 à 42 millions.
En présence de tant de déceptions, déceptions que nous subissons tous, le gouvernement comme nous, en présence de tant d'illusions détruites, ne sommes-nous pas en droit de demander qu'une bonne fois le gouvernement étudie la question de la défense nationale combinée avec l'organisation de l'armée et nous présente le compte de tout ce qu'il y aura à dépenser de ce chef ?
Je le répète, pour la marine il y a une dépense qui se fera, personne ne peut le contester ; on dit qu'elle se fera dans tous les cas, mais encore faudrait-il savoir ce que nous aurons à dépenser dans tous les cas.
Vient l'organisation de la garde civique, et ici je crois que le gouvernement a toujours méconnu les services qu'il pouvait en tirer. L'organisation de la garde civique n'est pas bonne et l'application qui a été faite de la loi est moins bonne encore. Nous avons vu en 1848 que lorsqu'on fait appel à notre milice citoyenne, lorsqu'on veut, dans la pratique, utiliser son concours, pas un homme ne fait défaut. Sa contenance a beaucoup plus contribué au maintien de l’ordre public que n'auraient pu le faire des armées.
Et cependant elle n'est pas exercée comme ellr devrait l'être, M. le ministre de la guerre a cité avec raison les compagnies spéciales ; eh bien, messieurs, je trouve dans ces compagnies spéciales la preuve du parti que l'on peut tirer de la garde civique.
Je pose en fait, non pas de mon autorité, mais pour le tenir d'autorités militaires très respectables, que certaines compagnies spéciales de la garde civique figureraient avec autant d'honneur sur un champ de bataille, qu'aucune compagnie de l'armée. Pourquoi ? Parce qu'il y a là de l'émulation dont on obtient beaucoup en lui demandant beaucoup.
Il y a donc à organiser la garde civique par une loi d'après laquelle les jeunes gens seraient exercés, par exemple, jusqu'à l'âge de 25 ans, pendant 4 ou 5 ans, avec un peu plus de sévérité. A partir de cet âge, connaissant le maniement des armes, ils n'auraient plus qu'à faire, comme aujourd'hui, un service sédentaire.
Ainsi que cela se fait dans un pays voisin, on pourrait confier une partie du service de la garnison. C'est ainsi qu'on stimule leur zèle. A Paris, la garde nationale fait toujours un service et accepte des postes.
Aussi n'a-t-elle jamais fait défaut quand on a eu besoin d'elle. En 1832, au Cloître-St-Méry, elle a fait des feux croisés avec la troupe ; pendant les journées de juin 1848, elle s'est admirablement conduite.
Je suis convaincu que notre garde civique ne se montrerait pas moins vaillante. Si on lui demandait beaucoup et qu'elle fût organisée convenablement, on en obtiendrait beaucoup, et vous arriverez par-là, d'après les autorités militaires les plus respectables, à créer un système de défense nationale qui rendrait la Belgique excessivement forte.
En effet, si l'on entre dans un système qui fait éventuellement de tout citoyen un soldat, on donne au pays, pour le défendre, une armée très considérable, plus considérable que ne pourrait jamais l'être une armée envahissante, attendu qu'un pays, quelque grand qu'il soit, ne peut jamais disposer, comme une armée envahissante, que d'une très minime fraction de sa population ; qu’il ait la conscription ou qu'il ne l'ait pas, la puissance du gouvernement sera toujours limitée.
Ce principe, je le défends avec d'autant plus d'énergie et de conviction qu'il me semble être très favorable à la liberté des peuples : C'est qu'on soit très fort pour se défendre, ou très faible pour attaquer.
Messieurs, je ne reviendrai pas sur les considérations politiques que j'ai fait valoir hier au sujet de la neutralité de la Belgique. Ce point est très délicat. J'aurais désiré ne pas l'aborder. Mais je crois que c'est un devoir pour les mandataires de la nation de dire à cet égard ce qu'ils pensent, de donner au gouvernement les avertissements qu'ils ont droit de lui donner.
A mon avis, sans mépriser en quoi que ce soit la défense militaire, prêt à faire pour cet objet les plus grands sacrifices, je crois cependant que ce n'est pas là qu'est notre grand système de défense nationale ; je crois que c'est dans l'observation stricte et rigoureuse de notre neutralité. Inspirons de la confiance à l’Europe, et nous serons forts.
Je suis convaincu, et ce n'est pas encore ici ma seule pensée que je reflète, c'est que si en 1839 nous avions eu la confiance de l'Europe, comme nous l’avons depuis dix ans, jamais on ne nous aurait imposé le traité que nous avons dû subir.
Un pays, fût-il vingt fois plus fort que la Belgique, ne vit que par la sympathie dont il est entouré.
Nous avons vu, dans les dernières luttes européennes, la guerre se faire au nom du droit ; nous avons vu l'opinion publique remporter, comme on l'a dit, la dernière victoire.
Dans les dernières guerres, c'est du côté du droit que se sont montrées les sympathies, c'est ce côté qui a triomphé. Eh bien, si c'est l'opinion publique qui doit remporter le dernière victoire, (page 165) demandons-lui notre force et notre appui ; et si une guerre générale devait éclater, ce que je crois impossible dans un siècle de civilisation comme le nôtre, je suis convaincu qu'un pays qui aurait été entièrement neutre, qui ne se serait traîné à la remorque d'aucun autre pays, serait plus fort par le droit qu'il n'aurait pu l'être par la force des armes ; je suis convaincu que la puissance qui commencera la lutte ne déshonorera pas le commencement de la guerre en portant la main sur une nation libre, contre laquelle il n'aura aucun grief. Je ne connais pas d'exemple d'une guerre commencée de cette manière, et je ne crois pas que dans notre siècle, où l'opinion publique a tant d'influence, on voie une pareille guerre pour la première fois.
En résumé, notre force doit être dans notre modération, dans l'observation parfaite de notre neutralité ; c’est sur elle que je compte en première ligne.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, l'honorable M. Guillery a commencé hier sou discours en vous disant qu'il demanderait l'ajournement, parce qu'il n'était pas éclairé sur le système de défense proposé par le gouvernement et qu’il n'avait pas eu le temps de l'étudier.
J'ai trouvé assez extraordinaire que l'on vînt invoquer un défaut de lumières pour demander l'ajournement de la discussion. Si l'on entrait dans cette voie, les questions les plus anciennement à l'ordre du jour ne recevraient jamais de solution, parce que tout membre nouveau dans cette assemblée pourrait venir vous dire : « Je ne connais pas la question ; ajournez-la jusqu'à ce que j'aie eu le temps de l'étudier complétement. »
Après nous avoir dit qu'il n'était pas suffisamment éclairé, l'honorable M. Guillery a traité la question Dieu sait pendant combien de temps ; que feront donc ceux qui la connaissent, quand ils en parleront ?
M. Guillery. - Ils seront plus courts.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - L'honorable M. Guillery a demandé qu'on ne l'interrompit pas : il est beaucoup plus habitué à la parole que moi ; sa profession d'avocat l'oblige à parler souvent, tandis que c'est très exceptionnellement que je discute en public ; je lui demande donc de faire pour moi ce qu'il voulait, hier, que l'on fit pour lui. Je ne l'ai pas interrompu pendant son long discours, qu'il veuille bien faire de même à mon égard.
Je disais donc que quand on avoue n'avoir pas étudié une question, on ne vient pas la traiter ex professo, comme l'a fait l'honorable M. Guillery ; on ne vient pas infirmer toutes les assertions d'un homme qui, après vingt années d'études consciencieuses, s’étaye de l'opinion et de l'autorité des hommes compétents qui ont rédigé le projet.
L'honorable M. Guillery, toujours sous prétexte qu'il n'est pas éclairé, vient reproduire tous les arguments, qui ont été combattus et dont j'ai démontré le défaut de fondement, et bien qu'il se prétende ignorant, il aborde la question sous toutes ses faces, aux points de vue politique, militaire, financier et stratégique. Et lorsqu'il croit avoir renversé le projet au gouvernement, il fait une volte-face et se pose d'une manière toute différente ; il nous dit : « Je crois avoir le droit de traiter ce sujet parce qu'il y a dix ans que je m’en occupe dans la presse. »
Partant de là, l’honorable M. Guillery nous fait des plans stratégiques, des plans de défense qu'il déclare être supérieurs à ceux élaborés par des comités composés de toutes les lumières de l'armée.
Je vais faire comme Jomini, s'écrie-t-il, je vais faire des suppositions stratégiques.
Il nous fait alors plusieurs plans de campagne, combat non seulement notre projet, mais nous présente tout un système nouveau et nous indique deux positions stratégiques supérieures entre lesquelles il hésite.
Est-ce Bruxelles ou Namur qui doit être fortifié ? Il trouve une foule d'avantages à Bruxelles, il en découvre également une foule dans la position de Namur.
Eh bien, pour soutenir ses idées, pour établir ces avantages, l'honorable M. Guillery professe et donne comme des vérités reconnues, les plus grandes hérésies militaires.
Il trouve absurde, dangereux que nous ayons établi notre base de concentration sur nos derrières, et affirme au nom de Jomini que toute concentration doit se faire en avant. S'il s'était donné la peine d'étudier les œuvres de cet écrivain, il aurait appris que rien n'est plus dangereux que d'établir ce point de concentration de son armée à portée de l'ennemi, que c'est s'exposer à une ruine certaine.
Il n'est pas un militaire qui ne connaisse ce principe élémentaire.
Messieurs, j'aurais vraiment fort à faire si je devais suivre l'honorable M. Guillery dans tous ses plans de campagne. Déjà, on a fait beaucoup de stratégie dans les sections ; on m'a opposé des armées arrivant de tous les côtés, attaquant la Belgique par toutes ses frontières à la fois, et on m'a demandé comment, avec notre système, on pourrait faire face à toutes ces attaques.
Eh bien, messieurs, si l'on peut nous présenter un système qui nous mette à l'abri de tous ces dangers, qui préserve la Belgique d'une invasion générale par les quatre points cardinaux, nous n'hésiterons pas un seul instant à l'adopter comme étant supérieur à notre projet.
Mais la commission s'est placée à un autre point de vue ; ne considérant que les hypothèses possibles, n'envisageant que les chances probables d'invasion, elle a cherché les meilleurs moyens de s'en préserver et s'est inspirée des grands principes posés par les plus illustres capitaines, dont les écrits font autorité, tels que le grand Frédéric, l'archiduc Charles, Wellington et Napoléon.
Je me bornerai donc à défendre le projet que je vous présente, projet qui n'émane pas de moi seul, mais de nos officiers les plus distingués, je le répète.
Pour le combattre, on prétend que le ministère n'a fourni aucun document, aucun renseignement, pour éclairer la Chambre. Or je prétends que le ministère a fourni plus de renseignements qu'on n'en a donné dans aucun pays.
Nulle part on n'a mis les plans généraux, les plans de détails, et jusqu'aux devis des fortifications, à la disposition des membres de la législature.
Dans aucune circonstance, dans aucun autre pays, les ministres ne se rendent dans les sections pour donner des explications, et répondre à toutes les questions. Les ministres ne se mettent pas ainsi personnellement en rapport avec les sections ; ils n'ont de relations qu'avec la section centrale.
Pour me mettre à l'abri de toute espèce de reproche, pour ne point m'exposer surtout à celui d'avoir refusé un moyen quelconque d’éclairer la Chambre, je me suis mis simultanément à la disposition de toutes les sections ; toutes m'ont fait l'honneur de m'appeler dans leur sein, et je les en remercie.
Messieurs, si l'on avait lu les documents fournis par le gouvernement, si l'on avait seulement lu le rapport de la section centrale, on y aurait trouvé la réponse à toutes les observations faites par M. Guillery. On y aurait vu que la question de la marine, par exemple, que l'on m'accuse d'avoir laissée dans l'oubli, n'a pas été négligée.
On dit que le gouvernement n'est pas fixé sur cette question.
Cependant on lit dans le travail de l'honorable rapporteur de la section centrale la réponse écrite que j'ai faite à ce sujet. Voici ce que j'ai dit :
« La question de la marine est complétement indépendante de celle des fortifications d'Anvers : la marine est une question à part ; qu'on agrandisse ou non Anvers, la marine sera toujours utile au pays, mais elle sera moins nécessaire pour la défense de l'Escaut lorsque nous aurons exécuté les nouvelles fortifications, qu'elle ne l'est aujourd'hui. Plus les rives du fleuve seront fortifiées, moins il sera indispensable de posséder une marine pour les défendre. »
On a dit aussi que, puisqu'on a mis 200 ans en France pour arrêter un système de défense, nous, qui ne nous occupons que depuis 12 ans de ce sujet, nous pourrions bien ne pas tant nous presser.
On a tout à fait altéré le sens de mes paroles,
J'ai dit que les principes du système de défense des Etats ont demandé 200 ans pour être adoptés, bien que des hommes de génie, devançant leur siècle, eussent cherché à les faire prévaloir depuis longtemps. Mais j'ai ajouté qu'aujourd'hui tout le monde avait reconnu ces principes ; qu'il n'y avait plus d’hésitation de la part de personne, que tous les gouvernements réalisaient leur système de défense d'après des règles positives, et que nous serions impardonnables de ne pas nous mettre au niveau des autres puissances.
On est ensuite venu parler de l'insalubrité du sol ; on vous a dit, en s'appuyant sur l'autorité d'un médecin, que si l'armée était réunie à Anvers, elle serait exposée aux plus graves dangers. On a fait allusion à deux articles qui ont paru dans un journal. Pour démontrer le peu de fondement des assertions qu'ils contiennent, je crois utile, messieurs, de vous donner quelques renseignements sur la salubrité de la position d'Anvers.
On a cité l'exemple d'un régiment que je viens de faire partir de cette ville, le deuxième régiment de chasseurs à pied. Il y avait 7 ans que ce régiment était à Anvers, 7 ans qu'il était caserne à la citadelle et qu'il gardait les forts de l'Escaut.
Permettez-moi de vous donner quelques explications sur la constitution géologique du site d'Anvers.
Le sol n'est pas partout le même.
D'après les géologues, le terrain se divise en trois zones différentes.
Le sol de la rive gauche de l'Escaut est marécageux et tourbeux. Les géologues l'ont appelé terrain moderne ou d'alluvion. Il s'étend de la Zélande jusqu'à la Tête de Flandre.
En passant sur la rive droite, le sol se relève et change de nature ; les terrains de Berchem et de Borgerhout ont le caractère des sables de la Campine ; ce sol est aussi sain que le sol tourbeux de la rive gauche est malsain. Eh bien, que proposons-nous ? Précisément d'englober dans la ville la partie saine du terrain, celle qui est à l'abri des fièvres. C'est une des grandes considérations qui nous ont fait adopter le projet d'agrandissement général, qui nous permet d'établir nos troupes et le camp retranché sur un terrain favorable. C'est également ce qui explique pourquoi la population se porte plutôt de ce côté que vers le nord de la ville.
Il n'est donc pas exact dire que nous ne nous sommes pas préoccupés de l'état sanitaire de l'armée dans le choix que nous avons fait de l'emplacement des troupes.
Anvers, dit-on, est aussi insalubre que l'île de Walcheren. D'un autre côté, on prétend que les Anglais chercheront à s'établir à Anvers pour échapper aux maladies qui, en grande partie, ont fait avorter (page 166) l'expédition de 1809. Comment s'expliquer une aussi étrange contradiction ?
Le médecin dont on invoque l'autorité et qui affirma qu'Anvers est une ville insalubre serait bien embarrassé, je crois, d'expliquer comment une ville aussi malsaine attire autant d'étrangers, et comment elle a pu arriver à un tel degré de prospérité et de développement. Il est évident que si le séjour d'Anvers était aussi dangereux qu'on le prétend, cette ville n'attirerait pas autant d'étrangers et ne s'agrandirait pas tous les jours.
Pour prouver l'insalubrité d'Anvers, on a rappelé que le gouvernement avait créé, il y a quelques années, un corps spécial des forts du bas Escaut, afin de préserver ainsi le reste de l'armée de la fièvre des polders. Ce corps spécial était appelé le bataillon de l'Escaut.
L'auteur de l'article du journal qu'on invoque s'écrie ensuite : « Que sont devenus les bataillons de l’Escaut qu'on s'efforça d'acclimater (au prix de quels sacrifices) ?... Quelle moisson la mort a-t-elle faite dans leurs rangs ? Les carions... j'allais dire les caveaux du ministère de la guerre pourraient seuls répondre à cette question. »
De pareilles exagérations auraient dû faire justice de ces arguments. Si l'on s'était donné la peine de fouiller les cartons du ministère de la guerre, on aurait appris que le bataillon de l'Escaut était composé uniquement de soldats nés sur les rives du fleuve.
Par ce moyen on n'exposait pas les troupes recrutées sur d'autres parties du territoire aux influences atmosphériques reconnues dangereuses pour elles.
Si ce bataillon n'existe plus, c'est qu'on l'a licencié par mesure d'économie. On a trouvé qu'il entraînait à une trop grande dépense, parce que les hommes recevaient une nourriture exceptionnelle et des vêtements plus chauds.
C'est une faute, selon moi. J'ai déjà songé à former de nouveau, pour garder les forts de l'Escaut, un bataillon spécial, composé de miliciens recrutés dans les localités environnantes.
Ces miliciens seraient pris naturellement parmi ceux qui se trouvent dans les autres régiments, afin de ne pas augmenter les dépenses du budget de la guerre.
On a cité ensuite des extraits de rapports de médecins militaires, adressés à l'inspecteur général du service de santé de l'armée et au ministre de la guerre, sur l'état sanitaire des garnisons d'Anvers, le nombre des soldats qui se trouvaient dans les hôpitaux et les causes de leurs maladies. Je me suis fait produire tous ces rapports et j'y ai vu une chose qui m'a frappé : c'est qu'Anvers, quant à la salubrité, est dans le même cas que toutes les autres villes, malgré le désavantage de sa situation sur l'Escaut et malgré sa citadelle, construite sur les mauvais terrains, le terrain marécageux. Je me suis fait adresser à ce sujet par M. l'inspecteur général du service de santé un rapport que je ferai insérer au Moniteur, et un autre par le médecin en chef de l'armée, car j'ai voulu avoir l'opinion de ces deux autorités. Je ferai également insérer au Moniteur des états statistiques indiquant le nombre des fiévreux et le nombre des décès dans les garnisons d'Anvers, de Liège, de Mons et d'Ostende.
(M. le ministre donne lecture de ces états statistiques, et continue en ces termes :)
Il résulte de ces chiffres que le nombre de fiévreux et le chiffre de la mortalité ont été moins considérables à Anvers que dans d'autres villes.
On a dit que les travaux que nous allons faire à Anvers allaient occasionner de grandes fièvres, parce que toutes les fois qu'on remue les terres, surtout dans les endroits marécageux, il en résulte des maladies. Il y a du vrai dans cette observation. Lorsqu'on remue de mauvaises terres, les ouvriers qui y travaillent et les personnes des localités environnantes sont exposés à contracter des fièvres. C'est ce qui s'est présenté lors des travaux au nord d'Anvers et à la Tête de Flandre.
Les ouvriers employés à ces travaux et les officiers qui les surveillaient, ont éte parfois atteints par les fièvres ; mais lorsqu'on a travaillé au camp retranché, sur l'emplacement duquel nous voulons construire la grande enceinte, ni les ouvriers, ni les officiers n'ont été malades pendant les trois ans qu'ont duré les travaux, parce que, comme je vous l'ai dit, le sol est d'une nature toute différente.
J'ai consulté les relations des différents sièges qu'Anvers a soutenus, pour savoir si les garnisons avaient souffert des fièvres, et j'ai trouvé que ce fait n'avait été mentionné par aucun historien. Pendant le siège soutenu en 1585 contre Alexandre Farnèse, et qui a duré treize mois, je ne sache pas que les fièvres aient fait des ravages.
Ce n’est pas la première fois que l'auteur de l'article dont je parle se pose en prophète de malheur pour l'armée. A une autre époque, il annonçait à grand bruit que toute l'armée allait être soumise à un empoisonnement.
Il prédisait les plus grands malheurs, il signalait tous les symptômes du mal sous les couleurs les plus effrayantes. Le gouvernement s'émut. Il fit taire des enquêtes, nomma des commissions, consulta les puissances voisines.
Savez-vous de quoi il s'agissait ? Savez-vous ce qui devait occasionner ce sinistre ? C'était la transformation des fusils à silex en fusils à percussion ! Ce médecin prétendait que la dose imperceptible de mercure qui entre dans te fulminate des capsules, devait produire sur la santé des soldats des effets terribles par ses seules émanations.
Examen fait par des médecins, des chimistes et des militaires, il fut reconnu qu'il n'y avait rien, absolument rien de fondé dans ces craintes et qu'on avait été dupe d'une assertion sans fondement.
Et voilà l'autorité que l'on invoque aujourd'hui pour vous effrayer sur le sort des soldats qui défendront la position d'Auvers.
J'ai souvent entendu invoquer à l'appui de l'opposition qu'on a faite au projet du gouvernement, l'autorité de savants militaires et de généraux, mais jamais on n'a nommé personne. Le gouvernement a fait appel aux lumières de tous les hommes capables de l'éclairer. Ces hommes se sont trouvés d'accord, et l'on nous dit que toutes les questions n'ont pas été examinées, que l'on n'a étudié à fond ni la fortification de Bruxelles, ni celle de Liège, ni celle de Namur.
Tout cela a été examiné sous toutes ses faces et l'a été pendant longtemps.
On dit qu'il n'y a aucun document. Mais il y en a une quantité ; au département de la guerre les documents abondent. Dans aucun pays du monde, on ne publie de pareilles pièces, on ne les confie qu'aux généraux eux-mêmes, quand on croit le pays menacé d'un danger, parce qu'on y trouve toute espèce de renseignements qu'il ne faut pas faire connaître à ceux qui pourraient devenir nos ennemis.
Voilà pourquoi on ne rend pas publique cette partie des archives du département de la guerre. Néanmoins, le gouvernement ne néglige pas de faire étudier par ses meilleurs officiers toutes les questions qui ont besoin d'être approfondies.
Messieurs, on peut être un bon militaire, on peut commander parfaitement un régiment, une brigade, une division, faire à leur tête des actes d'héroïsme, bien mériter du pays, sans avoir pour cela les qualités nécessaires pour décider de questions semblables à celle qui nous occupe.
J'ai aussi invoqué des autorités militaires, mais en les invoquant je les ai nommées ; je vous ai dit quelle était leur opinion et j'en ai fait connaître les motifs ; car je m'étais borné à des citations vagues, si vous auriez pu croire qu'elles n'avaient pas d'importance. Je vous ai analyse les principes de Napoléon sur la défense des Etats, je vous ai montré comment Wellington les avait appliqués.
On a contesté ce que j'avais dit quant à Wellington ; tout à l'heure encore l'honorable M. Guillery m'a dit : Mais Wellington, en établissant sa base d'opération en arrière, n'était pas menacé par d'autres armées sur sa ligne de communication ; il ne pouvait être attaqué que par le nord. Messieurs, c'est une grave erreur : le maréchal Soult était à la tête d'une armée française en Andalousie ; il pouvait venir se placer entre les Anglais et leur base d'opération. Wellington n'a pas divisé ses forces pour cela, et si une armée venait nous attaquer en divisant ses forces, c'est ce qui pourrait arriver de plus heureux pour notre petite armée.
L'honorable M. Guillery a dit qu'il voudrait bien voir les projets de Napoléon sur Anvers. Il n'a dépendu que de lui de les voir. Ils se trouvent au nombre des documents que j’ai mis à la disposition des membres de la Chambre.
Je serais charmé que M. Guillery vînt les voir ; nous lui montrerions non seulement un volume de documents, mais encore les plans ; il verrait que ce que Napoléon a voulu faire pour Anvers, ce n'est pas identiquement ce que nous proposons, car notre plan est beaucoup plus modeste. Napoléon voulait faire un double camp retranché et une double ville, parce qu'il avait besoin de créer sur la rive gauche des chantiers maritimes.
Il voulait faire d'Anvers une position maritime ; nous ne voulons en faire qu'une position défensive pour notre pays.
On dit qu'Anvers ne présente aucun accident de terrain qui justifie le choix qu'on a fait ; qu'Anvers, par sa position, ne peut pas se défendre mieux qu'aucune autre place. C'est là une grave erreur. Anvers jouit de la propriété la plus avantageuse pour la défense d'une place : c'est d'avoir des inondations qui, grâce au flux et au reflux, peuvent être étendues ou saignées à volonté.
On dit aussi qu'on ne sait pas si nous ne serons pas entraînés à de nouvelles dépenses pour une nouvelle organisation de l'armée. J'ai déjà répondu que l'agrandissement d'Anvers ne nécessiterait pas une augmentation de l'armée, et cela se conçoit. L'armée est organisée surtout pour tenir la campagne ; et l'on a dû faire entrer en ligne de compte pour la défense des forteresses, les volontaires qui pourraient être organisés au moment même et la garde civique. Mais où seraient-ils mieux placés qu'à Anvers, dans cette grande position où ils peuvent être tous réunis ? Ne seraient-ils pas mieux là que dans vingt petites forteresses qu'ils n'auraient pas même la chance de défendre !
Je crois donc que ces arguments sont sans valeur. Ils ne peuvent pas être pris en considération par une assemblée aussi éclairée que la vôtre.
Je demande, messieurs, s'il y a une seule bonne raison pour justifier i ajournement qu'on semble vouloir demander ?
On dit : La question n'est pas étudiée. Mais il y a deux ans qu'elle est à l'ordre du jour ; elle a été soumise plusieurs fois à cette assemblée, elle a été traitée dans tout le pays, on a écrit des volumes sur cette question. Que veut-on de plus ? Ceux qui ne sont pas éclairés ne le seront jamais ; c'est qu'ils ne veulent pas l'être.
L'ajournement aurait des inconvénients graves sans présenter aucun avantage.
Les inconvénients, les voici ; c'est qu'ils entraîneraient à une dépense (page 167) beaucoup plus grande, même en supposant que vous remettiez la question à l'ordre du jour lors de la prochaine réunion de la Chambre.
M. le président. - Une proposition vient d'être déposée dans ce sens ; j'en donnerai tout à l'heure connaissance à l'assemblée.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Ainsi, si l'on ajourne, en supposant le projet voté au mois de novembre ou de décembre, nous ne pourrons commencer les travaux d'expropriation que vers le printemps ; par conséquent nous devrons payer les terrains expropriés plus cher que nous ne les payerions maintenant, parce que quand on fait des expropriations de terrains après les semailles, on fait payer ces semailles comme une récolte.
Ensuite nous ne pourrons commencer les travaux de terrassement dans le moment le plus favorable, celui où les journées d'ouvriers coûtent moins, pendant l'hiver et après les travaux de la campagne.
Nous aurions d'autre part l'avantage, en travaillant l'hiver, de pouvoir conduire les matériaux à pied d'œuvre.
Nous gagnerions donc un temps énorme, tandis qu'en ajournant le projet nous perdons une année ; et je demande si la situation de l'Europe est telle que vous puissiez perdre une année entière avec quelque avantage. Mais je crois, messieurs, que la demande d'ajournement, c'est un rejet déguisé, un rejet sans franchise, un rejet sans courage, un rejet qui n'est pas digne de cette Chambre, qui n'est pas digne du pays.
Il faut que ceux qui ne veulent pas le projet, le rejettent franchement. S'il en est qui veulent courber la tête sous le joug de l'étranger... (Interruption ; applaudissements dans les tribunes), je le répète, s'il en est qui veulent passer sous les fourches Caudines de l'étranger, qu'ils le disent. (Nouvelles interruptions et nouveaux applaudissements dans les tribunes.)
M. Goblet. - Je demande la parole pour un rappel à l'ordre.
M. Guillery. - On insulte une partie de la Chambre.
M. Rodenbach. - Je regrette de devoir demander au président le rappel à l'ordre de l'honorable ministre de la guerre. Personne plus que moi, depuis trente ans, ne rend justice à son talent et à son patriotisme, mais cela ne lui assure pas le droit de méconnaître la loyauté et le patriotisme de ses adversaires.
M. Guillery. - J'ai autant de patriotisme que M. le ministre de la guerre et je ne suis pas décidé à courber la tête sous qui que ce soit.
M. Goblet. - J'ai demandé la parole pour un rappel à l'ordre.
M. H. de Brouckere. - M. le président, je crois que la première chose à faire c'est d'entendre les explications de M. le ministre.
M. le président. - Je dois avant tout prévenir les tribunes qu'au moindre signe d'intervention dans les débats de la Chambre, je ferai évacuer. La liberté de nos discussions doit être entière et il est indigne de tout citoyen belge, d'intervenir dans nos débats quand il n'a pas l'honneur de faire partie de la Chambre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande que M. le ministre de la guerre explique sa pensée.
M. le président. - M. Goblet a demandé la parole pour un rappel à l'ordre.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Est-ce qu'il ne me sera pas permis d'expliquer ma pensée ?
M. Goblet. - Je retire volontiers ma demande de rappel à l'ordre si M. le ministre veut expliquer sa pensée.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il me semble que quand on discute des questions comme celle que nous traitons depuis quelques jours, quand on les traite avec le cœur, il me semble qu'un moment d'entraînement est fort excusable, en supposant que j'aie pu blesser quelques membres, ce qui n'était pas dans mon intention.
Je regrette que ce soit l'honorable M. Rodenbach, l'homme de 1830, qui a combattu avec moi pour l'indépendance nationale, qui vienne me reprocher mes paroles.
J'ai souvent été accusé, je ne me suis jamais défendu ; c'est peut-être parce que j'ai dédaigné beaucoup de calomnies, qu'en ce moment on suspecte mes sentiments.
Ce que je veux, c'est remplir mon devoir. Vous m'avez accordé la naturalisation ; enfant de la Belgique, je chercherai à la défendre jusqu'à la dernière extrémité, et c'est ce devoir que je remplis en ce moment. (Applaudissements.)
M. Guillery. - Je commence par déclarer très sincèrement que je suis convaincu que M. le ministre de la guerre n'a voulu blesser aucun membre de la Chambre. Je connais trop sa manière de penser et d'agir pour ne pas l'admettre. Je demande seulement à répondre quelques mots au discours qu'il vient de prononcer.
En commençant son discours, M. le ministre de la guerre s'est proposé une victoire facile : il désirait faire rire à mes dépens, il a parfaitement réussi.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Ce n'a jamais été ma pensée.
M. Guillery. - Il est évident que du moment où il m'accusait de vouloir parler de ce que je ne connaissais pas, du moment où je discutais contre lui en matière militaire et où il voulait se prévaloir de si supériorité, j'étais écrasé, mais j'avais annoncé d'avance que telle était ma position vis-à-vis de lui.
M. le ministre m'a accusé de beaucoup de forfanterie. Il m'a accusé d'avoir dit d'abord que je ne connaissais pas la question et, ensuite, que je traite depuis dix ans les questions militaires. Je n'ai rien dit de semblable. J'ai dit, en rappelant mes souvenirs d'il y a dix ans, qu'à cette époque j'ai défendu le budget de la guerre et que j'ai défendu à cette époque le principe que je défends aujourd'hui, le principe de la discussion, de la discussion large et complète.
M. le ministre a dit que la Chambre a reçu tous les documents nécessaires, que jamais elle n'en a reçu davantage. Eli bien, messieurs, si jamais la Chambre n'a eu plus de documents, il faut avouer qu'elle en a eu bien peu, car cette fois elle n'en a pas eu du tout. Il n'y a pas une seule annexe ni au projet de loi, ni au rapport de la section centrale.
Le premier, j'ai rendu hommage à la parfaite urbanité de M. le ministre, à la complaisance avec laquelle il a donné toutes les explications qu'on lui demandait. Dans tout mon discours, je n'ai cessé de témoigner de l'estime et du respect que je professe pour l'honorable ministre de la guerre, mais j'ai dit que des explications verbales ne suffisent pas en pareille matière, que dans tous les pays, en France, en Piémont, quand on discute de pareilles questions, les Chambres sont mises en possession de tous les documents qui peuvent les mettre à même de se prononcer en connaissance de cause.
Ici, l'année dernière, on a fait imprimer le devis complet de tous les travaux.
Il se trouve dans les Annales parlementaires de la Chambre.
Je comprends parfaitement que les détails des fortifications ne doivent pas être publiés ; je comprends parfaitement que les questions exclusivement militaires ne sont pas du domaine de la publicité, mais les questions de finances, les questions de dépenses, celles-là peuvent être parfaitement connues de tout le monde, et toujours on a donné, sous ce rapport, tous les éclaircissements à la Chambre.
C'est donc avec raison que nous nous plaignons de n'avoir aucun des documents que l'on a ordinairement en pareille circonstance.
Je passe à ce qui est relatif à l'état sanitaire d'Anvers.
Nous venons d'apprendre par la statistique que la ville d'Anvers est la partie du pays où il y a le moins de fièvres, et désormais on se rendra à Anvers comme à Pau et dans d'autres villes du Midi pour refaire une santé délabrée.
Il n'y a rien de tel que la statistique. Anvers n'a compté que 1,000 fiévreux, tandis qu'à Liège, où la garnison est beaucoup moins nombreuse, il y en a eu 1,214. La fièvre des polders s'est réellement transportée à Liège...
On nous a dit ensuite : « Y a-t-il une seule bonne raison pour l'ajournement ? Depuis dix ans on étudie la question. »
Messieurs, depuis dix ans on change annuellement d'opinion sur la question et cela ne constitue pas une étude. J'ai demandé qu'un ministère persistât seulement douze mois dans une proposition avant que la Chambre fût mise en demeure de voter.
M. le ministre me dit : « Vous n'avez pas de connaissances militaires et vous ne craignez pas d'infirmer ce que je dis, moi, chef de l'armée, qui ai réuni tous les hommes compétents. » Tous les hommes compétents ! Permettez, ils n'étaient pas tous réunis dans la commission des 27 officiers, car il y en a évidemment beaucoup plus de 27 qui sont compétents.
Mais cet argument a été employé par tous les ministres de la guerre qui, depuis 1848, nous ont présenté des projets qui étaient démontés par leurs successeurs.
Messieurs, l'honorable ministre de la guerre a cherché à jeter un peu de ridicule sur mes prétentions stratégiques : je n'ai pas de prétentions stratégiques ; les idées que j'ai émises, je les ai puisées chez autrui. Il m'a paru que les autorités, non des autorités anonymes, mais des autorités que j'ai citées par leurs noms, des ouvrages que j'ai cités par la page ; il m'a paru que ces autorités pouvaient avoir quelque influence sur la Chambre ; il m'a paru aussi que le chef du département de la guerre, avec sa longue expérience, avec sa facilité d'élocution, avec sa science profonde, pouvait facilement repousser les arguments qui ne se trouvaient pas seulement dans ma bouche, mais qui se trouvaient sous la plume des stratégistes de la plus haute capacité.
Pas un seul de mes arguments n'a été infirmé.
On a dit seulement : Vous voulez établir la concentration en avant et non pas en arrière.
Il me semble qu'on n'a pas besoin d'être général pour savoir que la concentration sur Namur n'est pas une concentration eunavant, pas plus qu'Alexandrie n'est une concentration en avant. Alexandrie se trouve en avant de la capitale, si vous voulez ; mais elle se trouve être plus près de la frontière que de la capitale.
On ne peut donc pas dire que j'aie demandé un système reconnu vicieux par tous les ministres ; j’ai exposé, au contraire, un système défendu par toutes les autorités militaires, conforme à tons les principes adoptés aujourd'hui par les stratégistes.
(page 168) Messieurs, on n'a pas un projet d'ensemble, un projet complétement étudié, et l'on veut nous faire voter. Je dis qu'il n'y a pas de raison pour ne pas persister dans mon opinion, à savoir que sur un ouvrage qui doit durer plusieurs années, on peut délibérer quelque temps et qu'il n'y a pas lieu de procéder avec cette urgence qu'on n'a jamais demandée pour aucun projet de loi important.
L'ajournement, dit-on, est un rejet déguisé ; je déclare qu'il n'en est rien. Ce qui ne veut pas dire que je m'engage à voter ultérieurement pour le projet, loin de là ; mais je dis que, dans mon intention, ce n'est pas un rejet déguisé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous n'avons pas d'autres projets à présenter. (Interruption de M. Orts.)
M. Guillery. - L'honorable M. Orts, qui m'interrompt, me dit : On a rejeté l'ajournement l'année dernière ; mais l'honorable membre oublie qu'il a flétri la grande enceinte.
M. Orts. - J'ai dit que je préférais la petite enceinte.
M. Guillery. - L'honorable M. Orts a dit qu'il ne voulait pas la grande enceinte, parce que c'était l'inconnu.
« On dira peut-être, disait l'honorable M. Orts, que l'on conservera l'organisation de l'armée ; mais celle illusion est trompeuse, n'y croyez pas. »
Voilà ce qu'on disait l'année dernière ; je n'aurais pas le droit de le dire aujourd’hui, je n'ai pas assez d'autorité pour cela. Mais sans demander au gouvernement de préparer un autre projet, nous pouvons lui demander le temps nécessaire pour examiner longuement et consciencieusement le projet qu'il nous présente.
A m'entendre, dit-on, chaque fois que de nouveaux membres se présenteront dans cette Chambre, il faudra ajourner l'examen des questions les plus anciennement à l'ordre du jour. Mais cette observation ne va pas à mon adresse. La Chambre voit, au contraire, que je me suis exposé à discuter un projet que je connaissais très peu. C'est parce que je désire qu'il y ait une discussion que je demande l'ajournement ; je crois que l'ajournement est dans la nécessité de la situation et que nous tous, membres anciens ou membres nouveaux, nous aurons à y gagner.
M. le président. - Voici la proposition qui a été déposée sur le bureau :
« Nous proposons d'ajourner la discussion sur le projet de loi des travaux publics jusqu'au mois de novembre prochain.
« Signé : Ansiau, Goblet, Guillery. »
- La proposition est appuyée.
M. Jamar. - Nouveau venu dans cette enceinte, je ne comptais prendre part que par mon vote à cette discussion solennelle. Ni mes études, ni mes travaux habituels ne m'ont, d'ailleurs, préparé, comme beaucoup de mes collègues, aux luttes oratoires, et je réclame toute l'indulgence de la Chambre.
Je ne me décide à prendre la parole aujourd'hui que pour protester contre la proposition d'ajournement, formulée de nouveau par l'honorable M. Guillery.
Après ce qui s'est passé l'an dernier dans cette enceinte, l'ajournement de la question produirait des conséquences morales tout aussi fâcheuses que le rejet du projet lui-même, et, pour ma part, je repousse de toutes mes forces une proposition que rien ne justifie.
M. Guillery s'appuie sur la nécessité d'éclairer l'opinion publique hostile, selon quelques orateurs, au projet de fortifier Anvers. Il réclame, en outre, des documents plus complets, des éléments plus étendus, pour étudier cette question et se former une conviction qu'il n'a pas aujourd'hui sur l'utilité ou l'opportunité du projet du gouvernement.
Ces doutes, ces hésitations, ces incertitudes, une seule circonstance peut les expliquer : c'est le malheur cruel qui, en frappant M. Guillery, l'a tenu éloigné des travaux des sections et ne lui a laissé ni le temps ni la liberté d'esprit nécessaires à l'étude de la question qui nous occupe aujourd’hui.
Car je vous le demande, messieurs, à l'exception de notre honorable collègue, est-il un seul membre de cette Chambre, qui, ayant la ferme volonté d'étudier cette question dans tous ses détails, n'en ait eu les moyens, soit par les discussions sérieuses qui ont eu lieu dans les sections, soit par les explications développées avec tant de lucidité par M. le ministre de la guerre, soit enfin en prenant connaissance des nombreux documents mis par le gouvernement à la disposition des membres de la Chambre, documents dont l'impression était impossible ou pouvait entraîner des inconvénients sérieux ?
Pour ma part, messieurs, j'ai éprouvé une émotion bien naturelle en me voyant appelé, dès mon entrée au parlement, à prendre une part de responsabilité dans ce débat solennel. J'ai suivi avec attention les discussions qui ont eu lieu dans la section à laquelle j'appartenais, et celles qui depuis deux jours occupent la Chambre, et j'avoue que j'ai peine à m'expliquer une demande d'ajournement. En effet, quelle lumière peut jaillir encore du débat ? Et, si vous l'ajournez, d'où émanera un nouveau système de défense nationale, qui nous présente des garanties plus sérieuses que celles du projet actuel ?
Ce n'est point d'hier, c'est de 1848 que datent les préoccupations de tous les hommes d'Etat auxquels le pouvoir a été confié en Belgique.
Les projets soumis à la Chambre à diverses époques témoignent de ces préoccupations ; jamais une question n'a été plus débattue, plus étudiée nue cette question, que l'on vous proposait hier de remettre à l'étude.
Le projet du gouvernement est l'œuvre d'une commission composée d'hommes éminents, choisis dans l'armée, et qui s’étaient occupés déjà d'une manière approfondie de la question de la défense nationale.
Les divers systèmes, notamment celui que préconisent les honorables membres, MM. Goblet et Guillery, y ont été examinés avec le plus grand soin ; ces discussions ont eu un résultat décisif, puisque l'unanimité de la commission s'est ralliée au projet qui nous occupe aujourd'hui. Et que l'on ne parle pas de l'influence de la discipline, ce serait chercher en vain à diminuer la valeur d'opinions respectables que de les présenter comme dictées en quelque sorte par l'inspiration de chefs ; le caractère des membres de cette commission ne permet pas d'admettre ces suppositions, et rien d'ailleurs ne les justifie dans une commission de ce génie. Messieurs, ce n'est plus la hiérarchie militaire, c'est la science, c'est le talent, c'est en un mot la valeur individuelle des hommes qui assigne à chacun d'eux sa place et la part d'influence qu'il doit exercer dans les délibérations
Il ne s'agit donc plus de trancher une question d'art militaire, ni de décider, comme l'année dernière, entre deux systèmes de fortifications. Il n'y en a plus qu'un seul qu'on vous propose aujourd'hui à être discuté. La question est ailleurs. Nous reposerons-nous sur la foi des traités ? Ne vaut-il pas mieux employer les 50 millions que l'on nous demande à établir des routes, à creuser des canaux, en un mot à augmenter la fortune publique ? Ou bien faut-il ne point hésiter à créer une vaste place d'armes qui serve de point d'appui, et, en cas d'absolue nécessité, de refuge non seulement à l'armée, mais à toutes nos milices citoyennes, à tous les volontaires, à tous ceux enfin qui, à l'heure du danger, prouveront qu'ils veulent vivre et mourir Belges ?
Voilà la question, messieurs, qu'il importe de résoudre, mais sans hésitation, sans nouvel ajournement. Pour ma part, je ne suspecte le patriotisme de personne, je crois à la sincérité des opinions que chacun de nous cherche à faire prévaloir.
Moi aussi, messieurs, je calcule tout ce qu'il serait possible de réaliser de grand et de généreux au profit de la civilisation et du bien-être de nos populations avec une somme aussi considérable que celle que l'on nous demande.,
Moi aussi, je souhaiterais voir notre heureuse Belgique préoccupée seulement du progrès des arts qui rendent les nations glorieuses, de l'industrie et du commerce qui les font riches et prospères ; mais au-dessus de cette gloire, au-dessus de cette prospérité et de ces richesses, je place l'indépendance de mon pays ; et pour conjurer plus sûrement les périls qui peuvent le menacer, aucun sacrifice ne peut nous paraître trop grand.
L'on nous a dit, messieurs, que la paix venait d'être conclue et que l'horizon politique se rassérénait ; mais qui donc croit à la paix ? Oui ne pressent pas que la guerre seule peut-être pourra dénouer les complications fatales, les nœuds inextricables qu'a formés cette première guerre si courte et cependant si sanglante.
Quelles proportions prendra cette nouvelle lutte ? quels pays y seront entraînés ? quels seront les champs de bataille sur lesquels viendront encore s’entr'égorger d'innombrables soldats ? Nul ne le sait, mais ce qu'il n'est pas possible de nier, c'est que l'avenir est plein de périls.
Vienne le jour du danger, nos traités que l'épée aura déchirés ne seront plus que des documents purement historiques, des titres sans valeur, si vous n'êtes pas en mesure de les faire respecter et bien décidés à sacrifier la fortune publique, s'il le faut, pour conserver notre indépendance.
Voyez, messieurs, ce que, sous un régime de liberté, la Belgique a accompli depuis 1830. Sacrifions donc à la conservation d'un héritage précieux et sacré un peu des biens que nous lui devons et que l'avenir nous rendra avec usure.
On nous a dit encore, messieurs, qu'il eût été préférable que la Belgique fît moins parler d'elle, qu'il était bon que notre pays fût modeste et réservé. Mais notre pays ne subit-il pas en ce moment le contrecoup de l'état d'anxiété où se trouve l'Europe entière ? Puis, pourquoi craindre que l'on s'occupe de la Belgique à propos de la question d'Anvers ?
Il est bon que nos amis, que nos alliés sachent que nous sommes prêts à nous défendre ; il est utile que le pays déclare hautement que, quelle que soit fa frontière menacée, la résistance sera énergique.
Mais, ajoute-t-on, l'opinion publique est hostile à ce projet dont l’impopularité est, dit-on, générale. Messieurs, dans un pays comme le nôtre, comment se manifeste le plus sûrement l'opinion publique, si ce n'est par les deux grandes voix de la tribune et de la presse ?
A la tribune, le projet n'a-t-il point trouvé autant de défenseurs que d'adversaires ? N'en est-il pas de même dans la presse, si ce n'est que dans cette éteinte, messieurs, chacun de nous cherche à faite prévaloir loyalement l'adoption des mesures qu'il croit les plus propres à assurer le bonheur du pays, tandis que, il faut le reconnaître, le débat dans certains journaux a manqué de patriotisme, de loyauté ?
Prévoyant que l'opinion publique serait bientôt éclairée par les (page 169) discussions de la tribune et de la presse, ils n'ont point hésité à dénoncer leur pays aux défiances d'une nation amie, et comprenant quelle force morale le projet de défense nationale empruntait au passé de la plupart des hommes qui sont actuellement au pouvoir, ils n'ont pas même reculé devant le mensonge afin de ternir le souvenir impérissable des services rendus à la Belgique par l'un des hommes qui ont le plus contribué à son indépendance ; mais la conscience publique s'est soulevée contre eux et a stigmatisé leur conduite.
Un mot encore, messieurs, et il ne me restera plus qu'à vous remercier de votre bienveillante attention.
Une des causes, la seule, dirai-je, qui rendait le projet impopulaire était la crainte de voir l'armée se retirer dans les murs d'Anvers en abandonnant eu quelque sorte le pays à lui-même.
J'ai entendu avec un vif sentiment de regret cette assertion reproduite à la tribune malgré les déclarations si formelles, si précises, de l'honorable ministre de la guerre.
Messieurs, l'abandon du pays est-il possible ?
Mais alors même qu'un gouvernement, qu'un ministre, qu'un commandant d'armée osât donner un pareil ordre qui vouerait son nom et sa mémoire à l’exécration de ses contemporains et de la postérité, ii ne serait pas obéi. Tons nos officiers, dont le patriotisme est aussi ardent qu'éclairé, briseraient leur épée pour prendre le mousquet du volontaire afin de défendre leurs foyers menacés.
Non, messieurs, je ne redoute rien de pareil. En votant le projet de loi j'obéis aux inspirations de ma conscience, et soyez convaincus que si, ce qu'à Dieu ne plaise, notre pays était livré aux malheurs de la guerre, quand après avoir traversé les mauvais jours avec le secours de la Providence, quand le droit violé aurait enfin reconquis la place de la force, quand nous déploierons joyeusement les couleurs nationales, le lion belge ne surmontera pas le drapeau vierge d'une armée qui se serait honteusement renfermée dans une place de refuge, il brillera au sommet d'un glorieux trophée troué par la mitraille et qui attestera que dans vingt combats l'armée et la nation ont prodigué leur sang pour défendre et consacrer dans l'avenir les glorieuses conquêtes de 1830.
M. Hymans. - Messieurs, j'avais demandé la parole avant la proposition d'ajournement ; mais comme la proposition d'ajournement n'est qu'un rejet déguisé, je combattrai l'ajournement en appuyant le projet.
Si je voulais apporter une preuve à l'appui de ce que j'avance, je n'aurais qu'à faire remarquer que, sauf l'honorable M. B. Dumortier, les trois membres, signataires de la proposition, sont les trois seuls qui aient combattu le projet.
Maintenant deux mots d'explications personnelles.
Je comptais m'abstenir de prendre la parole dans ce débat, et cela pour plusieurs raisons. D'abord, je n'ai pas la prétention de jeter de bien vives lumières sur la question, après la sagesse et la véritable éloquence avec lesquelles elle a été traitée par l'honorable ministre de la guerre.
J'ai une autre raison, et celle-là est assez délicate. J'ai combattu, l'année dernière, le projet de fortifications d'Anvers et je voterai le projet cette année-ci.
Mais un intérêt plus grave que le soin de ma personnalité me commande aujourd'hui de sortir de ma réserve et de braver les attaques de ceux qui, dans cette enceinte et au-dehors, ne manqueront pas de me reprocher ma conduite comme une éclatante palinodie.
L'honorable M. Guillery a prononcé un discours dont M. le ministre de la guerre a détruit toute l'importance au point de vue stratégique ; mais ce discours n'a pas été, de la part de l'honorable ministre, l'objet d'une réponse complète.
Messieurs, je considère le discours de l'honorable M. Guillery comme un discours extrêmement déplorable, comme un discours qui est de nature à donner au pays une fausse idée de l'opinion de la capitale, comme un discours qui est dangereux, je le démontrerai tout à l'heure, aussi bien au point de vue de l'opinion libérale, dont il fait partie, qu'au point de vue national.
Enfin je considère ce discours, malgré le charme de la forme, malgré la facilité d'élocution de son auteur, je le considère comme contenant plus de contradictions que les Titans n'ont entassé jadis de montagnes pour escalader le ciel. (Interruption.)
Je suis heureux, messieurs, qu'on vienne de nous distribuer les Annales parlementaires ; il me sera permis de cette manière d'appuyer mes allégations de preuves positives et je ne m'exposerai pas au reproche de manquer de mémoire.
L'honorable M. Guillery a fait preuve, en vérité, d'une logique, surprenante de la part d'un esprit aussi éclairé.
II a dit, d'abord, qu'il voulait tout sacrifier, sa personne et ses biens, pour la défense du pays ; l'honorable membre se jettera, lui aussi, comme l'honorable M. Jouret, dans le gouffre de Curtius pour sauver le pays d'une invasion étrangère ; il votera non pas 48 millions qu'on lui demande, mais 200 millions qu'on ne lui demande pas.
Et aussitôt après s'être montré disposé à tant de largesses, que nous dit-il ? Ne faites rien, soyez honnêtes, soyez modestes, restez dans une inaction complète :
« La Belgique étant constituée neutre, n'a, ce me semble, qu'à rester modeste et tranquille et qu'à conserver cette neutralité dans ses actes, qu'elle a si sagement observée depuis 1830, qu'à demeurer neutre en action comme elle l'est en droit. Ce n'est pas en faisant beaucoup parler d'elle qu'elle sera beaucoup protégée. De deux choses l'une : on nous aurons la paix, - je le désire, - ou nous aurons une guerre générale. La violation de notre neutralité ne peut avoir lieu que dans le cas d'une conflagration européenne. Quoi qu'il en soit, nous devons compter sur les traités. »
Donc, en prenant des mesures de défense, en fortifiant Anvers, nous offensons les puissances étrangères. Mais il y a une chose plus remarquable : c'est que, si nous offensons les puissances étrangères en fortifiant Anvers, d'après la logique de l'honorable M. Guillery, nous n'offensons pas les puissances étrangères en fortifiant Namur, en faisant un camp retranché entre la Meuse et la Sambre, ou en fortifiant la capitale. Voilà une seconde contradiction qui me paraît assez curieuse. Il trouve que le projet n'est pas suffisamment justifié, qu'il faut en ajourner la discussion ; il considère l'ajournement comme absolument indispensable, et il constate que si on ajourne le projet, au lieu de 48 millions que le gouvernement nous demande, nous voterons 80 millions l'année prochaine ; c'est-à-dire que l'honorable M. Guillery désire l'ajournement afin, sans doute, d'arriver au moyen de voter ces 200 millions qu'il est disposé à accorder et qu'on ne lui demande pas.
Ce n'est pas tout, l'honorable M. Guillery professe, et ceci est le côté le plus grave et le plus déplorable de son discours, l'honorable membre professe une sainte horreur de tout ce qui peut blesser d'une façon quelconque une nation amie ; et tandis qu'il attribue à la France des intentions bienveillantes, généreuses, charitables..., que personne ne met en doute et moi moins que personne, il se livre contre l'Angleterre, imitant en cela l'honorable M. Dumortier, aux attaques les plus blessantes, les plus inconcevables, les plus injustes.
Messieurs, je l'avoue, j'ai été très vivement ému hier quand j'ai entendu l'honorable M, Guillery se livrer à ces étranges attaques, et c'est à ce moment que je lui ai lancé une interruption que je regrette parce que je ne voulais pas le moins du monde l'embarrasser dans la marche de son discours.
Je regrette ce mouvement, mais, je vous le demande, parce qu'un écrivain anonyme qui, du reste, s'est rétracté plus tard, aura publié dans un journal quelques observations désagréables sur des faits passés en 1831 ; parce qu'un vieux lord octogénaire, excentrique, podagre comme il y en a tant, aura, dans une séance du parlement, à Westminster, à la chambre des lords, où peut-être il n'y avait que dix ou vingt membres présents (car vous savez qu'il n'en faut pas davantage quand il ne s'agit pas d'un débat d'une importance suprême) ; parce que ce vieux lord, dis-je, sera venu débiter quelques paroles blessantes pour les Belges de 1814, et que ces paroles, par hasard, n'auront pas été relevées, faudra-t-il pour cela que nous oubliions les grands principes ; que représente l'Angleterre ? Oublierons-nous qu'en 1830, l'Angleterre aussi bien que la France a contribué à constituer la Belgique indépendante et libre ? Oublierons-nous que jadis et dans toutes les grandes circonstances l'Angleterre a aidé nos vieilles communes dans leurs luttes contre les invasions étrangères et surtout contre le despotisme de la France ? Oublierons-nous enfin que, seule, l'Angleterre partage avec nous la gloire d'avoir inscrit dans sa charte ces grandes libertés politiques que nous citons tous les jours avec orgueil ?
Vous dites après cela que l'Angleterre ne nous connaît pas. Mais la connaissez-vous donc si bien ? Et si vous la connaissez, avez-vous oublié 1851 et l'exposition universelle et les honneurs rendus à nos compatriotes ? J'en appelle à l'honorable M. de Brouckere. Avez-vous oublié ces médailles délivrées à nos industriels et qui certes valent bien la médaille de Ste-Hélène ? Avez-vous oublié tout cela ?
Ah ! messieurs, je comprends que de ce côté de la Chambre, que sur ces bancs de la droite où je siège par hasard (Interruption), je comprends que sur ces bancs on exècre, on abomine, on déteste l'Angleterre. (Bruyante interruption.)
M. Nothomb. - C'est une nouvelle insulte à une partie de la Chambre. (Longue interruption.)
M. Hymans. - L'Angleterre, c'est la grande citadelle du libéralisme en Europe.
M. de Liedekerke. - Et de l'aristocratie aussi.
M. Hymans. - Il y a de l'aristocratie dans tous les pays, mais elle n'a absolument rien à voir dans nos institutions. (Nouvelle interruption.) Il n'y a pas lieu de défendre l'aristocratie dans cette enceinte, je ne l'attaque pas, pourquoi donc toute cette émotion ?
Je répète que l'Angleterre est la citadelle du libéralisme en Europe et que si vous pouvez la renverser, la démolir, c'est Rome qui gouvernerait l'univers. (Longue et bruyante interruption.) Je dis que l'Occident deviendrait le très humble serviteur de la théocratie et j'ajoute que cet événement, s'il était possible, serait accueilli avec joie sur ces bancs de la droite, parce que la chute du régime parlementaire suivra de près la chute du libre examen.
Je demande à mes honorables collègues de la députation de Bruxelles s'ils applaudiraient aussi alors et s'ils partageraient l'opinion de (page 170) M. Dumortier ; et je leur dis : Ne médisez pas de l'Angleterre, car vous ne savez pas ce que vous faites. Médire de la France, dans les circonstances actuelles, cela peut être maladroit, impolitique, inopportun, dangereux, mais médire de l’Angleterre pour vous qui appartenez à l'opinion libérale, c'est une apostasie et une trahison.
Je vous disais donc que j'ai combattu le projet l'année dernière et que je le voterai aujourd'hui. Pour vous expliquer ce changement, je dois vous dire au nom de quel principe j'ai combattu le projet l'année dernière. Je soutenais cette thèse que la Belgique, se trouvant dans la nécessité de se défendre, avait besoin d'un point central sur lequel l'armée pût s'appuyer pour défendre d'une manière efficace la nationalité et le territoire. Je trouvais le point d'Anvers mal choisi pour des raisons politiques, et en cela j'étais d'accord avec l'honorable M. Devaux, l'honorable M. Lebeau et d'autres orateurs éminents dont l'opinion a pour moi beaucoup plus de poids que celle de Jomini, qui ne s'est jamais occupé des forteresses belges qu'an point de vue français. Je préférais les fortifications de Bruxelles.
Je trouvais qu'Anvers ne devait pas être fortifié, pourquoi ? Pour une raison que personne encore n'a fait valoir : parce qu'Anvers n'est pas une défense contre une invasion française et parce que dans l'état de paix profonde où nous nous trouvions, il me paraissait impossible que le gouvernement eût à craindre une autre invasion que celle de nos voisins du Midi. A cause de cette paix même, je craignais que ie projet n'indisposât le cabinet des Tuileries ; mais aujourd'hui la situation a complétement changé, et le projet de cette année ne ressemble en rien à celui de l'année dernière. Je vais vous le démontrer.
L'année dernière, nous étions dans un moment de paix profonde ; la situation actuelle est toute différente. L'Europe est en proie à un profond malaise, personne ne croit à la paix. Et quand je vous dis que le projet de cette année est tout différent de celui de l'année dernière, ce n'est pas que j'en fasse une question de briques et de maçonnerie, ce n'est pas que je me préoccupe de ce que l'on nous propose la grande enceinte après la petite enceinte. Qu'a-t-on proposé l'année dernière ?
L'agrandissement de la ville au nord, c'est-à-dire un agrandissement partiel et justement de la partie insalubre de la ville, un agrandissement qu'Anvers ne demandait pas, qu'Anvers ne voulait pas, et qui n'était en réalité qu'un système de fortifications sous prétexte d'agrandissement.
Ce qu'on nous propose aujourd'hui est tout autre chose, c'est un agrandissement général et civil qui est demandé et réclamé par Anvers, non pas depuis trois ans, dix ans ou cinquante ans, mais depuis trois siècles. Je pourrais vous prouver que cet agrandissement a été proposé en 1580 après le premier siège d'Anvers par le prince de Panne.
Ce qu'on vous demande n'est que le déplacement des fortifications actuelles d'Anvers et n'a pas d'autre importance que n'en aurait à Bruxelles, dans le cas de la réunion des faubourgs, le déplacement du mur d'octroi. Je ne puis considérer autrement le projet qui nous est soumis, et je ne vois plus de prétexte possible aux appréhensions d'un gouvernement étranger. On pourra vous interroger, on pourra vous envoyer des notes plus ou moins ingénieuses, on pourra réclamer ; mais si l'on veut être sérieux, on ne peut voir dans l'agrandissement d'Anvers autre chose que ce que nous voyons dans l'agrandissement de Lille. C'est la ville que vous agrandissez, rien de plus. Pourrait-on en dire autant des fortifications de la capitale ? Le projet de loi est un projet civil, et si vous vouliez, comme M. Goblet, faire fortifier Bruxelles, vous ne le pourriez qu'en excitant l'enthousiasme patriotique, car je vous défie de présenter la fortification de Bruxelles comme une affaire civile.
Or, s'il nous était prouvé qu'il faut fortifier Bruxelles au point de vue politique, ne faut-il pas vous incliner devant l'opinion des hommes compétents qui déclarent la chose impossible au point de vue militaire ?
Bruxelles a été fortifié jadis et a été bombardé deux fois, et je ne crois pas que les ruines amoncelées sur ses places publiques aient préservé le pays de la ruine, de la honte et de l’esclavage.
Maintenant admettrez-vous sérieusement qu'il soit défendu par les traités de fortifier Anvers ? Ce sont là des allégations dont il faut laisser le monopole à M. Granier de Cassagnac et à ces écrivains qui, parlant de la Belgique, placent la mer à Spa ou à Anvers. Un journal russe, publié à Bruxelles, le Nord, contenait ce matin un article sur la question d'Anvers.
Dans cet article, fait au point de vue français, il est dit « que les fortifications d'Anvers doivent se réduire à ce qui est nécessaire à sa sécurité comme port de commerce. »
Or, c'est là précisément ce que je disais tout à l'heure. Il faut faire pour Anvers tout ce que comporte sa sécurité comme port de commerce. Si vous agrandissez la ville, ou bien vous devez étendre le rayon de la forteresse, ou vous devez raser les remparts. Il n'y a pas de milieu. Je ne comprends pas des remparts défendant une ville et situés au milieu de la place. Eh bien, pourquoi raserait-on ces remparts ? Y a-t-il pour cela une raison plausible ? Je répète qu'il n'y a rien dans les traités qui vous y oblige. Le traité des 24 articles n'a pas plus exigé que les traités de 1815, la démolition d'Anvers. Bien mieux que cela, ta convention des forteresses du 14 décembre 1831, à laquelle l'honorable M. Goblet père ne fut pas étranger, nous a imposé la conservation de toutes les forteresses autres que celles de Menin, Ath, Mons, Philippeville et Marienbourg, elle a imposé au Roi des Belges l'obligation de les entretenir en bon état. Je demande si ce serait laisser Anvers en bon état que de laisser sans défense la moitié de notre métropole commerciale. A cette question il n'y a qu'une réponse possible : c'est que c'est là un argument absurde et qui ne se soutient pas.
Anvers doit être conservé ; la convention de 1831 l'a voulu. Et cette convention de 1831, la France l'a considérée comme un triomphe pour elle.
Le roi Louis-Philippe, en 1831, l'a déclaré dès l'ouverture des chambres.
Casimir Perrier considérait comme un triomphe pour sa politique que Philippeville et Marienbourg fussent démantelés. II ne demandait pas même le démantèlement de Charleroi et de Tournai que l'Angleterre ne voulait à aucun prix accorder.
Le cabinet français considérait la destruction des forteresses de Philippeville, de Menin, d'Ath, de Marienbourg, comme un succès pour sa politique ; il acceptait Anvers qui avait été conservé par la Sainte Alliance, alors qu'en Belgique ob maudissait les ministres et les plénipotentiaires qui avaient accepté la convention et qu'on les accusait d'une lâche condescendance envers la France.
Si vous voulez être éclairés à cet égard, lisez le second volume des Mémoires de M. Guizot et vous verrez qu'en 1831, malgré les instances de l'Angleterre, on considérait le maintien d'Anvers contre l'Angleterre, après la démolition des forteresses frontières, comme enlevant à la France toute espèce de prétexte d'invasion, de querelle et comme ne laissant quelque chose à désirer qu'aux fier-à-bras des boulevards. C'est le mot textuel dont se sert M. Guizot dans ses Mémoires.
Maintenant vous êtes-vous demandé, et je m'adresse à mes honorables collègues de la députation de Bruxelles, comment la capitale accueillerait l'idée de se laisser embastiller ? Quant à moi, je n'ai qu'un seul moyen d'apprécier la chose, ce sont les applaudissements qui viennent d'éclater dans les tribunes aux paroles de M. le ministre de la guerre (Interruption.)
M. le président. - J'invite M. Hymans à ne pas tirer un argument d'un fait irrégulier et que le président a dû blâmer.
M. Hymans. - Je n'applaudis pas au fait. M. le président a fait respecter le règlement ; mais il n'en est pas moins vrai qu'on a applaudi. On ne peut nier le fait.
M. Goblet. - Je demande la parole.
M. Hymans. - Vous l'aurez, mais ne m'interrompez pas.
M. Goblet. - Ce n'est pas à vous que je la demande.
M. Hymans. - Je persiste à prier l'honorable M. Goblet de me dire s'il s'est déjà demandé sérieusement, dans le silence du cabinet, comment Bruxelles accueillerait la proposition d'être embastillé comme Paris.
Eh bien, je lui dis, à lui comme à l'honorable M. Guillery : Dieu vous garde, si vous arrivez au pouvoir, et j'espère que vous y arriverez, Dieu vous garde d'avoir jamais à proposer une pareille mesure ! C'est alors que vous aurez à lutter contre l'impopularité et une impopularité bien autrement grande que celle qui vous effraye aujourd'hui, et dont, pour ma part, je lais très bon marché, parce que je me rappelle que cette impopularité a servi de bienvenue à toutes les mesures utiles ; à la loi des chemins de fer, j'en appelle à l'honorable M. Rogier ; à la loi des successions, j'en appelle à l'honorable M. Frère.
M. Goblet. - Et à la loi des couvents.
M. Hymans. - Aussi a-t-elle été rejetée.
M. Coomans. - Non, elle a été votée.
M. Hymans. - Elle a été rejetée par le pays.
Messieurs, je voterai le projet de loi, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire...
M. Wasseige. - C'est bien heureux.
M. Hymans. - Il serait encore beaucoup plus heureux, si vous le votiez, M. Wasseige.
M. Wasseige. - Je ne vous ai pas dit ce que je ferai.
M. Hymans. - Vous n'avez pas le droit de m'interrompre.
Je dis que je voterai le projet de toi, je dis que je l'ai combattu l'année dernière avec conviction et que je le voterai cette année-ci avec résignation.
Je le voterai, parce que je considérerais comme un malheur pour la Belgique que la Chambre rejetât deux fois de suite, à six mois d'intervalle, des mesures que le gouvernement croit nécessaires à la sécurité du pays. Je le voterai, parce qu'il s'agit ici d'une question de confiance et que j'ai confiance dans le cabinet.
Et comment, messieurs, ne voterions-nous pas le projet ? Mais si demain la Belgique se trouvait en péril, si sa sécurité se trouvait compromise et que dans ce moment un gouvernement qui aurait notre confiance vînt nous demander de pleins pouvoirs pour assurer la défense du pays, les lui refuseriez-vous ? Vous ne le feriez pas. Vous les lui accorderiez comme le parlement sarde a accordé des pleins pouvons à M. de Cavour.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
(page 171) M. Coomans. - Ce serait contraire à la Constitution.
M. le président. - On ne peut interrompre l'orateur ; si M. Coomans désire la parole, je l'inscrirai.
M. Coomans. - Oui, M. le président, pour protester contre de pareilles doctrines.
M. Hymans. - Je prends acte de la protestation de l'honorable M. Coomans et de celle de l'honorable M. Goblet ; mais je dis que vous ne refuseriez pas plus ces pleins pouvoirs au gouvernement que la Chambre de 1832 n'a mis en accusation le cabinet dont l'honorable général Goblet faisait partie, quand, en violant la Constitution, il avait autorisé l'armée française à entrer sur le territoire belge.
Messieurs, j'achève. Je dis que dans la situation actuelle de l'Europe, que vous avez le droit de ne pas trouver grave si cela vous convient, mais que pour ma part je trouve excessivement sombre, je ne voudrais pas prendre sur moi la responsabilité du rejet du projet. Je le répète, je fais bon marché du reproche de palinodie qu'on pourra m'adresser ; j'ai eu tort, je m'en repens, et que celui d'entre vous qui n'a jamais péché me jette la première pierre. Je ne veux pas, pour une question d'amour-propre, de vanité personnelle, manquer à une obligation sacrée, et je vous dirai, en empruntant (quelques-uns m'accuseront de le faire avec orgueil, mais je le fais avec ta plus grande simplicité possible) les paroles d'un des plus grands hommes des temps modernes, de sir Robert Peel qui tour à tour combattit et soutint et l'émancipation des catholiques, et la réforme électorale, et le retrait des lois sur les céréales, et la restriction du papier-monnaie ; je dirai :
« Mon excuse est que je suis chargé d'un grand devoir public et que, quels que puissent être mes sentiments particuliers, je ne reculerai pas devant l'accomplissement de ce devoir. Je suis persuadé qu'en agissant ainsi, je mériterai l'estime de mes collègues et des honnêtes gens. »
Encore un mot, messieurs, je ne veux pas terminer mon discours en parlant de moi.
Je vous en supplie au nom de vos intérêts personnels, au nom de vos familles, au nom de l'intérêt public, ne votez pas la proposition d'ajournement qui vous est faite. Le pays nous pardonnerait peut-être d'avoir d'autres idées que lui sur les moyens de défendre le territoire, mais il ne nous pardonnerait jamais un ajournement qui serait un véritable déni de justice.
On disait hier : « Catilina n'est pas à nos portes. »
Catilina n'a absolument rien à voir dans cette affaire ; mais si Catilina n'est pas à nos portes, et s'il m'est permis de continuer à choisir des exemples dans l'histoire ancienne, je dirai que Rome et Carthage se défiaient tous les jours. Je dirai qu'on a prêté quelque part en Europe contre la liberté le serment d'Annibal ; je dirai qu’il y a déjà longtemps que les chefs des légions romaines ont répété le cri du vieux Caton : Delenda Carthago.
Messieurs, la guerre punique n'est pas loin. Dussions-nous en être le prétexte, tout au moins n'en soyons pas volontairement les victimes. N'attendons pas, pour agir, le cri des oies du Capitule. (Interruption.) Messieurs, les oies qui sauvent un pays sont des oies fort respectables. (Interruption.)
Je ne veux pas prolonger ce débat. Je regrette l'hilarité que provoquent mes paroles. Je n'ai jamais eu l'intention de dire des choses qui dussent provoquer les rires de cette assemblée.
Surtout, messieurs, et c'est la grande considération que je crois devoir faire valoir, surtout ne découragez pas votre armée. L'armée souffrira tout pour vaincre ; mais tremblez, législateurs, si d'avance vous la déclarez vaincue.
M. Coomans. - J'avais uniquement demandé la parole pour dire que, ayant juré d'observer la Constitution, je ne consentirais jamais à ce qu'elle fût suspendue.
M. De Fré. - Messieurs, ces débats sont trop importants, trop solennels, pour que je ne vous demande pas la permission de motiver mon vote, non seulement pour vous, mais pour ceux qui m'ont devancé dans cette enceinte.
Jamais question ne m'a tant agité, car si l'on peut être accusé, en votant le projet du gouvernement, de grever lourdement le contribuable, on peut être accusé, en rejetant le projet du gouvernement, de vouloir laisser le pays sans défense.
Comme Belge, comme ami de mon pays, comme un des gardiens de nos institutions libérales, je voterai le projet.
Je le voterai, parce que je veux que la patrie soit assurée contre l'étranger.
Je le voterai, parce que, dans la situation actuelle de l'Europe, il faut que ce petit pays, ce libre pays affirme par des sacrifices sa vie morale et politique.
Je voterai le projet, parce que je ne veux pas que le lendemain de la ruine de la patrie et de la mort de la liberté, on vienne me dire : C'est parce que vous n'avez écouté que les inspirations de votre égoïsme, et non les inspirations de votre cœur, c'est parce que vous n'avez pas voulu que la patrie fût armée, qu'aujourd'hui la patrie est détruite, que la liberté est anéantie ! Je ne veux pas de cette responsabilité.
Il n'y a pas un homme en Belgique, pas un Belge qui, y ayant mûrement réfléchi, veuille accepter cette responsabilité. Je déclare, quant à moi, et j'ai fait de cette affaire un examen attentif, je déclare, quant à moi, que j'aimerais mieux sortir de cette enceinte, résigner mon mandat de député, que d'accepter une pareille responsabilité, que de repousser un projet de loi qu'on nous demande au nom du salut public, au nom de la patrie, au nom de la liberté.
Oui, si je ne votais pas le projet de loi, et si plus tard la patrie était perdue, la liberté anéantie, on me dirait : « Vous êtes un des coupables, » et cela pèserait sur moi, pèserait sur ma famille et lui porterait malheur.
Messieurs, il y a quelques mois, à l'occasion du Code pénal, en votant la liberté de la chaire, je me suis vu séparé de tous les hommes de mon parti, et aujourd'hui, en votant le projet du gouvernement, je me vois séparé de ces amis intimes avec lesquels je marche à la réalisation la plus franche et la plus large des principes libéraux ; mais je dois être absous par les uns et les autres, car en agissant ainsi je ne suis inspiré que par le sentiment de la défense de ce patrimoine commun, la liberté et la patrie.
Je sais bien qu'en ne votant pas toujours avec les mêmes hommes on recueille parfois d'invincibles mélancolies, mais il y a quelque chose qui soutient l'homme politique, qui le console au milieu des plus grandes disgrâces : c'est la conscience d'un grand devoir rempli.
Si l'on examine ce débat, on y trouve deux côtés distincts ; il y a le côté financier et le côté patriotique.
Certes, si l'on examine la question au point de vue financier, on peut regretter ces dépenses excessives si peu en harmonie avec les ressources de ce petit pays ; on peut regretter que ces dépenses excessives ne servent pas à la création de nouveaux instruments de production, à la civilisation et à l'instruction du peuple.
Mais ces considérations, quelque élevées qu'elles soient, sont écartées par des considérations d'un ordre plus élevé encore.
Certes, l'homme aime le bien-être ; mais il y a une chose que l'homme doit aimer par-dessus tout : c'est l'honneur.
On ne naît pas seulement pour soi, pour sa famille ; on naît, on vit aussi pour la pairie dont la gloire se reflète sur chacun de nous. Aussi pour elle nos premiers chants, pour elle nos derniers soupirs, pour elle des sacrifices incessants.
Tous les peuples qui ont, comme la Belgique, des mœurs publiques, une liberté inviolable et incontestée, ont su faire de tout temps les plus grands sacrifices pour affirmer leur foi politique, pour défendre et maintenir leur vie morale et politique.
Lorsque j'ouvre les annales de notre histoire, de cette histoire que l'étranger connaît si peu, je suis frappé de l’héroïsme et de la grandeur de nos pères. Ceux-là, pour maintenir leur indépendance et les vieilles franchises que cette indépendance couvrait, savaient faire les plus grands sacrifices ; ils faisaient le sacrifice de leur fortune, le sacrifice de leur vie.
Ils ont lutté contre les plus grandes puissances de la terre, contre la France, contre l'Espagne, contre l'Autriche, pour maintenir cette indépendance ; ils mouraient aux frontières, ils mouraient en exil, ils mouraient sur l'échafaud.
Personne ici n'a répudié cet héritage d'honneur et de gloire. Ni le développement de l'égoïsme moderne, ni le raffinement des jouissances matérielles n'ont étouffe dans nos âmes ces mâles vertus du sacrifice, de l'abnégation, du dévouement, de l'héroïsme à la patrie.
Messieurs, songez à ceci : Si l'Europe qui vous regarde et envie vos libertés, voit que vous ne voulez pas faire des sacrifices pour les défendre et les maintenir, l'Europe dira que vous n'en êtes pas dignes, que vous ne les aimez pas.
Que dirait-on d'un père de famille qui, voyant la santé de son enfant menacée, ne ferait aucun sacrifice pour l'arracher à la maladie, à la mort ? On dirait qu'il n'aime pas son enfant.
Et que dirait-on d'un peuple qui, après avoir conquis la liberté, ne veut faire aucun sacrifice pour la défendre, et qui, en présence du danger qui menace la patrie, refuse, les mains pleines d'or, de la secourir et de la défendre ? On dirait à ce peuple : « Gardez votre or, gardez vos richesses, mais ne parlez plus de liberté, ne parlez plus de patrie. »
Messieurs, l'année dernière, lorsqu'il s'est agi de la petite enceinte, j'ai voté contre le projet de la petite enceinte, au profit de la grande enceinte ; j'ai adopté en ce sens les conclusions de la section centrale. Après avoir rejeté la petite enceinte au profit de la grande, je suis donc logique, lorsque la grande se produit, de voter la grande enceinte.
Et depuis l'année dernière, la situation politique de l'Europe a bien changé. Je vois aujourd'hui, avec les yeux de mon esprit aussi clairement qu'avec les yeux de mon corps, un immense danger qui menace les gouvernements constitutionnels.
Cette paix si vite conclue, cette tribune anglaise si agitée, si inquiète, ces votes silencieux du parlement britannique pour l'armement et le développement de son armée de terre et de mer ; d'un autre côté, la presse anglaise encourageant le projet, la presse française l'attaquant, tout cela me donne de l'ombrage, et je vois que la destinée des gouvernements constitutionnels est menacée dans son développement, dans sa prospérité. C'est le moment pour eux de s'armer et de se préparer à la lutte.
(page 172) Messieurs, on a parlé de la neutralité. Mais ne voyez-vous pas que les grandes puissances qui oui signé votre neutralité en 139 ne sont plus réunies dans le même faisceau ?
Ce groupe n'existe plus, cette entente n'existe plus. Ne voyez-vous pas que, depuis la guerre de Crimée, la Russie s'est détachée de ce groupe ? Ne voyez-vous pas qu'après la dernière guerre de l’Italie, l'Autriche se détache de ce groupe, de sorte que vous avez aujourd'hui d'un côté la France, de l'autre les gouvernements constitutionnels, la Prusse et l'Angleterre.
Indépendamment des raisons de stratégie et de science militaire qui ont été si bien développées par l'honorable ministre de la guerre, il y a une raison politique pour établir le refuge de l'armée à Anvers plutôt que sur un autre point du pays.
L'Angleterre, retenez bien ceci, l'Angleterre n'a jamais attaqué la Belgique. Parcourez l'histoire de toutes les guerres de la Belgique depuis la conquête de César, jamais l'Angleterre n'a attaqué la. Belgique. Eh bien, d'après ces traditions historiques, vous n'avez rien à craindre de l'Angleterre.
A côté de la preuve historique, il y a la preuve politique.
L'Angleterre a toujours fait en Europe une propagande de gouvernements libres : partout où elle a pu semer (si je puis me servir de cette expression) des gouvernements libres, partout où elle a pu les protéger, elle l'a fait ; témoin la Hollande, la Suisse, la Belgique, la Sardaigne. L'Angleterre comprend parfaitement bien que sa prépondérance eu Europe ne peut se maintenir que pour autant qu'elle ait des succursales politiques.
Eh bien, nous sommes amis de l'Angleterre, nous avons ses institutions et, mieux que cela, nous avons toujours été protégés par elle.
Je n'en veux point dire davantage sur ce point délicat.
Quelle est maintenant la position de la France ? La France a souvent été en guerre avec la Belgique ; la France a toujours été en guerre avec nous, et ce n'est un secret pour personne que la France peut être pour la Belgique une menace, plus même qu'une menace... Encore une fois, je ne veux pas en dire davantage sur ce point délicat ; mais tout ce que je tiens à établir, c'est qu'en plaçant notre refuge à Anvers nous sommes plus près d'un pays véritablement ami qu'en l’établissant ailleurs.
Il est évident que puisque la France lutte par ses institutions politiques contre les institutions politiques de l'Angleterre, c'est plutôt de l'Angleterre que nous devons nous rapprocher, si nous voulons conserver les institutions libérales dont nous jouissons.
Messieurs, je n'ai pas compris hier qu'on ait songé à parler de représailles. On se dit : vous allez faire une forteresse formidable et par-là vous attirerez sur la Belgique la colère des autres pays. D'abord, je réponds que la Belgique a le droit d'agir comme elle l'entend pour la conservation de sa liberté, pour la conservation de toutes ses richesses morales.
Nous ne menaçons personne, mais nous disons à tous ceux qui voudraient attenter à notre neutralité, qui voudraient porter atteinte à notre indépendance : Cette neutralité, cette indépendance, nous les défendrons au prix de notre fortune, au prix de notre existence même. Il faut que telle soit la signification du vote des Chambres belges ; il faut que l'Europe apprenne que cette neutralité et cette indépendance, si on voulait les attaquer, nous saurions les défendre jusqu'à la dernière extrémité, et que c'est pour cela que nous nous prémunissons contre les éventualités de l'avenir.
D'ailleurs, l'objection qu'à ce point de vue on a faite ici au projet de loi, cette objection est contraire à toutes nos traditions nationales.
Comment ! est-ce qu'en 1830 vous avez consulté l'Europe pour faire votre révolution ? Et lorsque, plus tard, vous avez déchiré les traités de Vienne, les traités de 1815, avez-vous consulté l'Europe ? Non, nos concitoyens de 1830 ont agi avec ce courage qui distingue notre race, et notre race n'a point dégénéré.
Messieurs, le projet du gouvernement sert de base à deux grandes choses, à deux choses glorieuses : la nationalité belge et la Constitution belge.
Eh bien, je dirai aux membres de la droite : Vous avez parmi vous des hommes qui, en 1830, conjointement avec les libéraux, ont fondé ces deux grandes choses.
Voulez-vous qu'elles soient immortelles ? Votez le projet du gouvernement. Si vous êtes restés les admirateurs passionnés de la liberté, si vous n'avez pas renié les dieux de votre jeune âge, vous compléterez votre œuvre.
Je ne vous accuse point d'indifférence, je ne vous accuse pas de manquer de patriotisme ; mais je voudrais que ce projet fût voté par toute la Chambre. Non, ceux-là mêmes qui combattent le projet, je ne les accuse pas de manquer de patriotisme ; mais j'invoque le Dieu de la liberté et de la lumière, pour qu'au jour du danger, dans le cœur de chacun de vous, batte tout entière l'âme de la patrie.
M. le président. - La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
- Plusieurs voix. - A demain !
- D'autres voix. - La clôture !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je tiens compte de l'impatience de la Chambre, aussi mon discours ne sera-t-il pas long. Le ministère n'a pas abusé de la parole dans cette discussion, puisque M. le ministre de la guerre a seul été entendu.
M. Rodenbach. - A demain !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais qu'est-ce donc qui vous presse, vous qui voulez ajourner ?
Je demande à dire quelques mots ; il n'est d'ailleurs que 4 heures et demie.
Je voudrais, messieurs, assigner au projet son véritable caractère, sa véritable portée. Ce projet, je le déclare tout de suite, si la Chambre le repousse par un ajournement, ne sera point examiné de nouveau par le cabinet actuel ; le cabinet actuel le maintient et il n'en présentera pas d'autre.
Quel est, messieurs, le véritable caractère de ce projet de loi, quelle en est le but ? Dans cette discussion, il a été parlé des puissances voisines, avec sympathie par les uns, avec moins de sympathie par les autres. Notre projet n'est dirigé contre aucune puissance, nous avons et nous tenons à conserver de bonnes relations avec toutes ; le projet n'est ni anglais, ni français, ni allemand, il est belge ; il n'est inspiré que par l'intérêt belge ; il n'a qu'une portée toute défensive en rapport avec la position que les traités ont faite à la Belgique.
Le principe du projet, messieurs, et je m'étonne qu'on le mette encore en discussion, a été adopté par la Chambre depuis dix années ; trois ou quatre fois depuis dix années la législature a consacré par des votes solennels ce principe qu'Anvers doit demeurer la base de la défense du pays. Trois ou quatre cabinets ont passé par cette question et l'ont envisagée au même point de vue : celui de MM. Greindl, de Decker et Vilain XIIII, comme celui de l'honorable M. Henri de Brouckere, ont suivi les traditions du cabinet du 12 août, qui dès l'année 1847 en avait conçu le projet. On peut le dire, la question a été résolue par la Chambre du jour où des fonds ont été alloués pour établir à Anvers les premiers travaux d'un camp retranché.
Qu'avons-nous fait en arrivant au pouvoir en 1857 ? Nous avons, par continuation du système de nos prédécesseurs, repris les propositions et nous les avons apportées à la Chambre. Qu'a fait la Chambre ? A-t-elle contesté qu'il fallût faire d'Anvers un point de concentration et de refuge ?
Non ; toutes les opinions étaient d'accord que ce qui avait été fait avait été bien fait et qu'il y avait encore quelque chose à faire. Je dis toutes les opinions. Je sais bien que quelques membres s'étaient déclarés partisans des fortifications de Bruxelles ; mais la presque unanimité de la Chambre avait admis et voté le système que nous voulons voir aujourd'hui consacrer d'une manière définitive.
Le projet présenté dans la session dernière n'a pas reçu l'assentiment de la Chambre ; toutefois la Chambre a rejeté l'ajournement comme j'espère qu'elle le rejettera encore cette année-ci. Quel était le débat ? Il portait uniquement sur la question de savoir si au camp retranché, composé de forts isolés et admis en principe, l'on adjoindrait une grande ou une petite enceinte.
Le gouvernement, pour ne pas imposer immédiatement au pays de trop grandes dépenses, proposait la petite enceinte, c'est-à-dire l'agrandissement de la ville au nord, en déclarant qu'il considérait cette petite enceinte comme le commencement de la grande. Une autre opinion, celle qui fut soutenue par les honorables représentants d'Anvers, exigeait immédiatement la grande enceinte.
Nous répondions que nous admettions en principe la grande enceinte, mais que nous pensions qu'elle ne pouvait être que l'œuvre du temps, et que les députés d'Anvers, en demandant tout sur l'heure, s'exposaient à n'avoir rien. Le projet du gouvernement a été repoussé. Mais que disaient tous ceux qui l'ont combattu, notamment l'honorable M. Malou, dont je relisais le discours aujourd'hui même ? Il disait :
« Les organes du gouvernement ne sont pas d'accord. Ses propositions ne sont pas étudiées. Qu'il les soumette à un nouvel examen, qu'il nomme une nouvelle commission ; quand on lui aura fait subir ce travail de révision, qu'on le représente à la Chambre, et quel que soit le ministère, nous le voterons patriotiquement.
C'est ce que nous avons fait. Le projet a été soumis à l'examen d'une nouvelle commission ; je pense que c'était la huitième commission nommée pour cette question. Ceux qui étaient favorables à la grande enceinte comme ceux qui s'étaient déclarés ses adversaires, ceux mêmes qui avaient mis en avant l'idée de fortifier Bruxelles ou quelque autre point du territoire, ont été réunis dans cette commission. Quel a été le résultat de son examen ? M. le ministre de la guerre vous l'a dit : la commission a été unanime quant au système que nous proposons de faire consacrer par la loi.
On a pu différer sur les moyens d'exécution ; mais quant au système qui consiste à établir à Anvers un camp retranché et une grande enceinte, les vingt-sept officiers ont été unanimes pour lui donner leur adhésion, ils l'ont fait en pleine indépendance, en pleine liberté.
C'est, messieurs, cette dernière solution, la dernière de toutes, que nous vous apportons, et je demande ce que nous pourrions vous apporter à la place ?
La situation d'Anvers, telle qu'elle est, ne peut être maintenue.
(page 173) Il ne reste donc plus aucun motif ou prétexte d'ajournement. La situation actuelle ne peut être maintenue, tout le monde le reconnaîtra. Quelle est cette situation ? La ville d'Anvers, grâce à la prospérité de son commerce, grâce au développement de toutes les sources de la fortune publique, étend chaque jour sa population en dehors de sa vieille enceinte. Chaque jour, d'heure en heure pour ainsi dire, il pousse des maisons autour de ses remparts. Quel est le résultat de cette expansion à laquelle nous applaudissons, tout en reconnaissant les inconvénients qu'elle entraîne ? Ces constructions irrésistibles dépriment de jour en jour la valeur défensive des fortifications. Il faut modifier cette situation ; il faut faire à Anvers ce qu'on a fait dans toutes les localités où le même résultat s'est produit, et notamment ce qui vient d'être exécuté à nos portes.
La ville de Lille est aussi une ville industrielle qui voit chaque jour augmenter sa population. Qu'a-t-on fait ? On a remplacé l'enceinte existante par une nouvelle ; on l'a portée beaucoup plus loin. Et que ferons-nous à Auvers ? Nous démolissons la vieille enceinte et nous la reportons à trois quarts de lieue en avant d'Anvers.
Voilà notre point de départ ; voilà la cause déterminante du projet que nous vous apportons. Il n'y a pas là-dedans d'idée hostile, pas de plan agressif contre qui que ce soit.
Nous nous devons à nous-mêmes, nous devons à l'Europe de maintenir la place d'Anvers dans toute sa force, dans toute sa valeur défensive. Aujourd'hui nous ne conservons pas la forteresse d'Anvers ; nous assistons à son affaiblissement successif par suite de l'accroissement des constructions qui en ont rendu la valeur presque nulle.
Est-ce porter ombrage aux gouvernements étrangers que de vouloir conserver dans le pays une forteresse où l'armée puisse se concentrer, où le gouvernement, où les Chambres an besoin, puissent se retirer pour soutenir, car elles en sont le symbole et l'expression, pour soutenir la Belgique et sauver l'honneur de son drapeau ?
Anvers, messieurs, a été de tout temps destinée à être la grande force défensive du pays. Ce n'est pas une œuvre de circonstance, ce n'est pas une innovation que nous vous apportons ; c'est une tradition historique que nous conservons, que nous continuons.
Que fut Anvers au XVIe siècle ? Anvers fut le refuge, dans le danger suprême, des patriotes de l'époque, des ennemis de l’Espagnol. Les patriotes d'alors résistèrent pendant treize mois aux efforts les plus grands que l'Espagne ait jamais déployés peut-être dans ces guerres. Le 18 août, la date est à noter, c'est le 18 août 1585 qu'après treize mois d'une résistance héroïque, Anvers dut se rendre non sans gloire aux Espagnols. Aussi longtemps que Marnix de Ste-Aldegonde a tenu dans Anvers, le drapeau patriotique, la révolution du XVIème siècle n'était pas vaincue en Belgique. Passons à une autre époque.
En 1814, à qui avait-on remis la défense de ce point stratégique si important, de cette forteresse si puissante ? A l'un des premiers hommes de guerre de l'époque, au général Carnot. Il défendit cette place avec l'énergie et le talent qui le caractérisaient. Il y sut maintenir le drapeau impérial, le drapeau tricolore français après l'envahissement de la France, et alors que le drapeau blanc flottait sur les monuments de Paris, la France était encore à Anvers avec le drapeau français. Ce ne fut qu'après de longues négociations qu'on obtint de Carnot qu'il rendît enfin son drapeau au nouveau gouvernement, et voici ce qu'il répondait au ministre de la guerre Dupont, qui lui avait enjoint de rendre la place, par une lettre du 6 avril 1814 :
« Cette place est si importante par son objet, sa force, sa position, sa population, son influence sur toute la Belgique, qu'une fausse démarche de ma part entraînerait infailliblement les plus grands malheurs. C'est à l'empereur Napoléon que nous avons fait notre serment de fidélité. Nous devons le tenir jusqu'à ce qu'il nous soit démontré que son gouvernement a cessé d'être légitime. »
En attendant, messieurs, le drapeau tricolore était maintenu dans Anvers alors que déjà les armées ennemies occupaient la capitale.
Un troisième exemple. Il a été cité, je le citerai à mon tour. Il est aussi une grande leçon.
En 1831, la révolution belge avait triomphé partout ; presque partout les garnisons hollandaises, auxquelles était confiée la garde des viiles belges, avaient abandonné, pour ainsi dire, la partie sans combattre.
Après les journées de Dieghem, du Parc et de Walhem, les Hollandais se retirèrent dans la citadelle d'Anvers. Le Congrès fut convoqué. L'exclusion de l'ancienne famille fut prononcée. Un régent, un roi furent nommés. Mais la Hollande avait planté son drapeau dans la citadelle d'Anvers ; et aussi longtemps que le drapeau hollandais flotta sur la citadelle d’Anvers, il n'est pas vrai de dire que la Belgique fût affranchie. Il a fallu, messieurs, pour être en réalité délivré du joug étranger, il a fallu le concours de l'Europe ; il a fallu l'intervention armée de la France et de l'Angleterre pour forcer enfin un roi opiniâtre et énergique, vigoureusement soutenu par ses lieutenants, à abandonner cette dernière partie de la Belgique.
Avec de pareils exemples sous les yeux, messieurs, ne faut-il pas reconnaître la valeur défensive d'Anvers et la nécessité de conserver dans toute sa fores ce refuge suprême ?
Dans la situation actuelle, remplacer la vieille enceinte par une enceinte nouvelle, c'est encore faire de l'histoire. Depuis le XIIème siècle, de siècle en siècle, l'enceinte de la ville d'Anvers a été successivement reculée ; j'ai là une carte que je puis mettre sous les yeux des amateurs de documents et qui constate l'agrandissement d'Anvers par de nouvelles enceintes successivement créées. Et chose remarquable, dès le XVIème siècle, nous voyons autour d'Anvers un projet de grande enceinte comme celle que nous proposons aujourd'hui. L'idée n'est pas nouvelle.
Mais, dit-on, vous allez au-delà de nos besoins ; au lieu de remplacer l'enceinte actuelle par une autre enceinte, les ministres veulent y ajouter un camp retranché. Oui, nous ajoutons un camp retranche à l'enceinte nouvelle que nous faisons.
Pourquoi ? M. le ministre de la guerre vous l'a parfaitement démontré. Nos forteresses anciennes, que sont-elles devenues ? Par suite de cet épanouissement général du pas, par suite du développement de l'industrie et de l'agriculture, de la population et des voies de communication de tout genre, la plupart de nos forteresses n'ont plus aujourd'hui aucune espèce de valeur. Ces forteresses, qui devraient être une garantie, sont devenues presque un danger.
Voilà pourquoi nous devons trouver dans d'autres travaux une sorte de compensation à ce que nous avons perdu ailleurs.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je finis, messieurs. Je désire que dès aujourd’hui la Chambre se prononce sur l'ajournement. (Interruption.)
Je pense que, partisan ou adversaire de la loi, il est de la franchise de chacun de se prononcer nettement sur cette question. Veut-on la loi, qu'on la vote ; ne la veut-on pas, qu'on la repousse, mais qu'on ne vienne pas proposer un nouvel ajournement qui ne peut aboutir à rien de sérieux, et en présence duquel le gouvernement ne pourrait faire qu'une seule chose : c'est de se croiser les bras, en supposant qu'il subisse ce vote.
Je demande donc que la Chambre statue aujourd'hui sur l'ajournement, toute réserve faite quant au fond de la question.
M. de Naeyer. - Je demande la parole pour la séance de demain.
- Plusieurs membres. - La clôture.
M. B. Dumortier (contre la clôture). - Messieurs, il me semble qu'il est impossible de refuse rla parole à l'honorable M de Naeyer ; ce serait souverainement injuste : cette question a une importance assez grande pour que tous les orateurs puissent se faire entendre.
- Un membre. - Que M. de Naeyer parle maintenant.
M. de Naeyer. - Il est cinq heures, c'est l'heure où la séance se lève ; il ne serait pas sérieux de m'accorder la parole aujourd'hui.
M. H. de Brouckere. - Il me semble que rien n'empêche de mettre aux voix la question d'ajournement ; alors même que la discussion générale serait close, chacun aurait le droit de parler sur l'article premier. Je demande donc que l'on vote aujourd'hui sur la question d'ajournement.
M. Coomans. - Je dois faire observer à la Chambre que plusieurs membres se sont retirés avant et pendant le discours de l'honorable ministre de l'intérieur, avec la certitude qu'il n'y aurait pas de vote aujourd'hui. Ils ont même demandé à plusieurs d'entre nous s'il y aurait un vote, et nous avons dit : « Evidemment non.» Si l'honorable ministre avait commencé son discours par l'invitation de voter aujourd'hui, je n'insisterais certainement pas sur la remise à demain, mais je demande à la Chambre s'il serait juste de profiter de l'absence de plusieurs membres pour clore aujourd'hui.
Quant à moi, je ne puis pas embarrassé du tout pour voter soit aujourd'hui, soit demain, soit après-demain ; mais j'ai cru devoir faire ces observations à la Chambre parce qu'elle est tout à fait conforme à la vérité. Je pourrais citer cinq ou six membres qui viennent de sortir croyant qu'il n'y aurait pas de vote aujourd'hui.
M. Orts. - Je dirai seulement deux mots sur la demande de clôture pour démontrer à l'honorable M. Coomans qu'il ne peut y avoir de surprise pour personne. Il est incontestable qu'avant que M. le ministre de l'intérieur ait pris la parole, beaucoup de membres se sont levés pour demander la clôture, mais on leur a fait observer qu'on ne pouvait pas empêcher un ministre de parler. Tout le monde était donc parfaitement averti.
M. B. Dumortier. - Je ne puis admettre en aucune manière l'interprétation que vient de donner M. Orts. Lorsque l'honorable M. Rogier a commencé à parler, beaucoup de personnes ont demandé la remise à demain, et je dois déclarer qu'un membre de la gauche, qui avait besoin de s'absenter, m'a demandé si l'on voterait aujourd'hui. J'ai répondu : Puisque M. le ministre de l'intérieur vient de prendre la parole, vous comprenez qu’il est impossible de voter aujourd'hui.
La Chambre a l'habitude de lever la séance à 4 1/2 heures ; il est plus de 5 heures ; ce n'est pas un moment pour voter sur une question aussi importante.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je constate que les membres qui s’étaient retirés viennent de rentrer dans la salle.
M. Janssens. - Messieurs, j'ai l'intention de voter l'ajournement ; mais après les accusations injustes lancées contre ceux qui voteraient (page 174) l'ajournement, j'aurais voulu que quelqu'un prît la parole pour démontrer... (Interruption.) Je sais que le ministère est extrêmement pressé, mais je n'en persiste pas moins à croire qu'on ne peut pas clore en ce moment ; on peut au moins ajourner jusqu'à demain.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
La proposition d'ajournement est mise aux voix par appel nominal.
101 membres sont présents.
43 adoptent.
58 rejettent.
En conséquence, l'ajournement n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption : MM. de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, Faignart, Goblet, Grosfils, Guillery, Janssens, Laubry, Magherman, Mercier, Moncheur, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Ansiau, Coomans, Crombez, Dechamps, de Haerne et de Liedekerke.
Ont voté le rejet : MM. Deliége, de Moor, de Paul, de Renesse, de Rongé, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Frison, Grandgagnage, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Koeler, Lange, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Manilius, Moreau, Muller, Orban, Pierre, Pirmez, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Saeyman, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Volxem, Vervoort, Allard, Carlier, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Bast, de Boe, de Breyne, de Bronckart, C. de Brouckere, H. de Brouckere, Dechentinnes, de Decker, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy et Orts.
- La séance est levée à 5 1/2 heures.