(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)
(page 119) (Présidence de M. Orts.)
M. de Boe procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il lit le procès-verbal de la séance du 30 juillet dernier, dont la rédaction est approuvée.
M. de Boe présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Des bateliers et pêcheurs, à Doel, demandent un droit de 50 centimes par hectolitre sur les moules importées sous pavillon hollandais. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Le sieur Bulens demande une loi relative au déguerpissement des petits locataires. «
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Cruybeke réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le remboursement des avances faites à charge du trésor public, par le bureau de bienfaisance de cette commune. »
- Même disposition.
« Des commissionnaires, expéditeurs et agents en douane à Gand réclament contre la concurrence qui leur est faite par l'agence en douane que l'administration du chemin de fer a établie à l'entrepôt de cette ville. »
« Même réclamation des commissionnaires, expéditeurs et agents en douane à Bruxelles et à Verviers. »
- Même disposition.
« Le sieur Seynhave, ouvrier sabotier à Thielt, demande un congé de quelques mois pour son fils unique Isidore, milicien de la levée de 1857. »
- Même disposition.
« Des détenus pour dettes, à Bruxelles, demandent que le mobilier à leur usage dans la prison leur soit fourni gratuitement. »
- Même disposition.
« Le sieur Gailly prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante à ce que son fils Augustin-Ghislain soit libéré du service militaire. »
- Même disposition.
« Des électeurs à Habay-la-Vieille demandent que l’arrêté royal portant nomination du bourgmestre de cette commune soit rapporté. »
- Même disposition.
« Le sieur Raparlier, porteur de contraintes à Maldeghem, demande qu'il lui soit accordé un traitement. »
- Même disposition.
« Le sieur Roulot prie la Chambre de rejeter la demande qui a pour objet la réunion des faubourgs à la capitale. »
- Même disposition.
« Le sieur Winde, congédié pour infirmité contractée au service, demande une pension ou un secours. »
- Même disposition.
« Plusieurs miliciens de la levée de 1855, du régiment du génie, détachés au camp de Beverloo, demandent d'être renvoyés dans leurs foyers. »
- Même disposition.
« Des habitants de Rumbeke demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique à la monnaie d'or de France. »
« Même demande de commerçants à Nivelles. »
M. Rodenbach. - Messieurs, depuis plus de deux ans, il nous a été adressé un grand nombre de pétitions, notamment de la Flandre occidentale et du Hainaut, au sujet de la monnaie d'or de France. Aujourd'hui encore, voici, deux nouvelles pétitions de Rumbeke-lez-Roulers et de Nivelles, qui traitent du même objet. Il est plus que temps, je pense, que cette question reçoive enfin une solution : il est un fait incontestable, c'est que les négociants belges sont gravement froissés dans leurs intérêts, quand il y a perte sur les pièces d'or de 20 fr. Une commission a été nommée par M. le ministre des finances, pour s'occuper des difficultés que fait naître notre système monétaire ; j'aime à croire que cette commission sera bientôt en mesure de nous faire connaître le résultat de ses travaux, car il y a longtemps déjà qu'elle est saisie de la question.
En Belgique on ne bat ni monnaie d'or ni monnaie d'argent, on ne fabrique que des billets de banque qui donnent un bénéfice considérable à l’établissement qui les émet. Je ne veux pas approfondir ce point ; tout ce que je demande, c’est un prompt rapport de la part de la commission instituée par M le ministre des finances, et en attendant, je désire qu'un rapport spécial soit fait promptement aussi sur les pétitions qui viennent d'être analysées et sur celles qui nous sont parvenues récemment.
- La Chambre ordonne le renvoi de ces pétitions à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Le sieur J.-J. Harmans, tailleur à Liège, né à Pirsbeeck (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire.»
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Des négociants en charbons et des propriétaires de bateaux à Bruxelles et à Molenbeek-Saint-Jean demandent une réduction de 75 p. c. sur les péages du canal de Charleroi. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi contenant es péages du canal de Charleroi.
« Les sieurs Van Moorsel-Devis et Dupont frères demandent que dans le projet de loi relatif aux péages du canal de Charleroi, il soit fait en faveur de la chaux une exception au principe d'un droit unique. »
- Même disposition.
« Les membres de l'administration communale de Lierde-Saint-Martin prient la Chambre d'accorder au sieur Boucqueau la concession d'un chemin de fer direct de Braine-le-Comte à Gand. »
- Renvoi à la section centrale changée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de ce chemin de fer.
« Le sieur Bonhomme présente des objections contre le projet de travaux de défense à Anvers. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.
M. le président. - Je dois faire remarquer que les pétitions, relatives aux travaux publics et qui sont parvenues à la Chambre depuis sa séparation ont été examinées par la section centrale et qu'il en sera question dans son rapport.
« Des habitants de Molenbeek-Wersbeek demandent l'ajournement de la discussion du projet de loi relatif aux travaux publics, jusqu'à ce que la Chambre se soit prononcée sur la validité des élections de l'arrondissement de Louvain. »
« Même demande d'habitants de Waenrode, Becquevoort, Schaffen, Caggevinne Assent, Saventhem, Testelt, Louvain, Betecom, Bael, Winghe-St-Georges, Aerschot, Rillaer, Gelrode, Tirlemont, Scherpenheuvel, Diest, Molenstede, du canton de Haecht, Glabbeek et de l'arrondissement de Louvain. »
M. Rodenbach. - Messieurs, il vient d'arriver de l'arrondissement de Louvain de nombreuses pétitions. Dans l'opinion des pétitionnaires, les importants projets de travaux publics dont la Chambre est saisie et principalement celui qui concerne les fortifications d'Anvers ne peuvent pas être votés avant que tous les représentants de la nation puissent assister à la discussion qu'on veut faire ouvrir. Or, il y a deux sénateurs et quatre représentants sur l'élection desquels il doit encore être statué.
Je demande donc qu'on veuille s'occuper, au préalable, de la question de l'enquête : et en attendant je propose de déposer les pétitions sur le bureau pendant la discussion.
M. le président. - Je ferai remarquer qui le rapport de la commission sur l'enquête sera imprimé demain.
- Le dépôt des pétitions sur le bureau pendant la discussion, proposé par M. Rodenbach, est ordonné.
« Plusieurs habitants de Tongres demandent que le projet de loi relatif aux travaux publics comprenne un crédit supplémentaire pour la garantie d'un minimum d'intérêt sur 1,500,000 fr. à ajouter au crédit voté en 1852, pour la construction et l'exploitation d'un chemin de fer reliant la ville de Tongres à Liège ou que le gouvernement soit autorisé à faire construire cet embranchement. »
- Même disposition.
« Le conseil communal de Hasselt proteste contre l'adoption du chemin de fer réclamé par l'administration communale de Tongres et demande l'exécution de la ligne d'Ans à Hasselt par Tongres et Cortessem. »
- Même disposition.
« Les membres du conseil communal de Sivry prient la Chambre d'accorder à la compagnie Delval la concession d'un chemin de fer de Manage à Momignies, en passant par Thuin, Beaumont et Sivry. »
M. de Paul. - Messieurs, le projet de chemin de fer dont il est question est d'un intérêt considérable, immense, dirai-je. En effet, ce chemin de fer non seulement doit fournir une voie de communication à de nombreuses localités qui n'en ont pas eu du tout jusqu'ici ; mais il doit encore et surtout mette le bassin de Charleroi et celui du Centre en relations tout à fait directes avec le nord-est de la France, spécialement avec le département de l'Aisne où il se fait une consommation considérable de charbon.
Je demande donc qu'un prompt rapport soit fait sur cette pétition et sur toutes les autres du même genre, et qu'il soit présenté avant la fin de la discussion du projet de loi des travaux public ; le rapport, par exemple, pourrait être déposé dans la séance de vendredi prochain.
- La proposition de M. de Paul est mise aux voix et adoptée.
(page 120) « La députation permanente du conseil provincial de Namur demande que le projet de loi de travaux publies comprenne la somme nécessaire pour canaliser !a Meuse depuis Chokier jusqu'à la frontière française, et un crédit de 600,000 fr. pour continuer les travaux d'approfondissement de la Sambre depuis Mornimont jusqu'à Namur. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux travaux publics.
« Le conseil communal d'Orgeo demande que le projet de loi de travaux publics comprenne la construction d'une route partant du fond des ardoisières de Herbeumont et passant par les communes d'Orgeo et de Recogne pour aboutir à la station du chemin de fer de Libramont. »
- Même disposition.
« La députation permanente du conseil provincial du Brabant prie le Chambre de comprendre dans le projet de loi de travaux publics l'établissement : 1° d'un embranchement du canal de la Campine au Demer à Diest ; 2° d'un canal reliant le Demer, à Werchter, au canal de Louvain vers le Rupel. »
- Même disposition.
« Les conseils communaux d'Olne et de Nessonvaux demandent que le crédit pour frais de construction d'une route reliant la commune d'Olne à la station du chemin de fer de l'Etat à Nessonvaux soit compris dans la somme à voter au paragraphe 15 de l'article premier du projet de loi de travaux publics. »
- Même disposition.
« Le conseil communal de Tongres demande la construction d'un embranchement de chemin de fer partant du nord de Liège pour être continué par Tongres vers Hilsen. »
M. de Renesse. - Messieurs, le conseil communal de la ville de Tongres vient de nouveau d'adresser une requête à la Chambre, sous la date du 1er de ce mois, il expose que jusqu'ici la ville de Tongres et la plus grande partie de son arrondissement sont encore privées d'une communication ferrée.
Le complet isolement où se trouve cette contrée si importante de la province de Limbourg porte le plus grand préjudice à tous ses intérêts.
Lorsque le nouveau projet de travaux publics a été connu dans le Limbourg, l'on a été très péniblement affecté de ce que l'arrondissement de Tongres était, de ce chef, exclu de toute participation au projet des travaux publics à décréter dans presque toutes nos provinces.
La ville de Tongres est le seul chef-lieu judiciaire du royaume non encore rattaché à un chemin de fer et elle n'a jamais obtenu, non plus que son arrondissement, la moindre part des grands travaux publics exécutés depuis 1853 aux frais du trésor de l'Etat, tandis qu'ils ont constamment contribué dans les charges extraordinaires qui en résultent ; elle réclame donc avec insistance contre l'exclusion dont elle est de nouveau frappée et demande d'obtenir une part équitable dans les nombreux fonds qui vont être votés, afin d'être reliée le plus tôt possible à notre réseau des chemins de fer, par une ligne qui se dirigerait du nord de la ville de Liège par Tongres à Hilsen vers le chemin de fer de Maestricht à Hasselt.
En appuyant la juste réclamation de la ville de Tongres et de son arrondissement, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner le dépôt de cette pétition sur le bureau de la Chambre pendant la discussion du projet de loi de travaux publics, la section centrale ayant déjà pris connaissance de la requête.
- Adopté.
« Des habitants de Beaumont prient la Chambre d'accorder à la compagnie Delval l'autorisation d'établir dans ce canton la grande voie de communication qu'elle propose. »
« Même demande de la chambre de commerce de Courtrai. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, sur la proposition de M. de Paul.
« La chambre de commerce des arrondissements d'Ypres et de Dixmude demande que le projet de loi de travaux publics comprenne la construction d’un canal de jonction de la Lys à l'Yperlée canalisée. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux travaux publics.
« Des industriels à Wandre demandent que le projet de loi de travaux publics comprenne l'exécution des travaux nécessaires pour assurer la navigation régulière de la Meuse depuis Liège jusqu'à la partie néerlandaise. »
- Même disposition.
« Un grand nombre d'habitants de Nieuport appuient la pétition du conseil communal de cette ville, qui réclame une partie des fonds demandés pour l'amélioration des côtes et ports. »
- Même disposition.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent que le projet de loi de travaux publics comprenne la continuation de la canalisation de la Meuse tout au moins jusqu'à Namur. »
- Même disposition.
« L'administration communale de Diest demande la construction d'un canal d'embranchement du Demer au canal de la Campine, l'établissement d'une ligne raccordant cette ville au railway qui procède vers Aerschot, la coupure de Werchter vers le canal de Louvain-Malines et subsidiairement si les concessionnaires d'un chemin de fer de Louvain à Herenthals n'avaient pas rempli toutes leurs conditions, elle prie la Chambre de décréter toute autre voie ferrée qui unirait Diest à Louvain. »
- Même disposition.
« Les membres du conseil communal et des habitants de Rance prient la chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Manage à Momignies par Thuin et Beaumont. »
« Même demande du conseil communal de Thuin. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Des habitants de Sivry demandent la construction d'un chemin de fer de Thuin à Momignies. »
- Même disposition.
« Les membres du conseil communal d'Herzele prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand, sous la condition de faire passer cette ligne entre Sottegem et Herzele où serait établie une station. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à cette concession.
« Les membres du conseil communal et des habitants d'Oosterzeele prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand, par Grammont, Sottegem, Oosterzeele à Melle. »
« Même demande des membres de l'administration communale de Rooborst et de la chambre de commerce d'Alost. »
- Même disposition.
« Par lettre du 5 août, M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire faite par le sieur D. Th. Moll, fondeur à Gosselies. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Par lettre du 10 août, M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur C. Edm. Ragoudet, sergent au 3ème régiment de ligne. »
- Même disposition.
« Par lettre du 25 juillet 1859, M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 116 exemplaires de l'Annuaire de l'industrie, du commerce et de la banque de Belgique, 3ème année. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« Le sieur J. Moreau, ingénieur agronome à Louvain, fait hommage à la Chambre d'un exemplaire d'une brochure qu'il vient de publier sur les fortifications d'Anvers. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Van Leempoel, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé.
- Accordé.
M de Liedekerke, dont les pouvoirs ont été validés dans une séance antérieure, prête serment et est proclamé membre de la Chambre des représentants.
M. le président. - Vous vous rappelez, messieurs, que la Chambre ne s'est plus trouvée en nombre pour voter ce projet de loi, à la séance du 30 juillet dernier. La discussion est close ; il n'y a plus qu'à voter.
- Il est procédé à l'appel nominal.
77 membres y prennent part.
63 adoptent le projet.
7 le rejettent.
3 s'abstiennent.
En conséquence le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.
Ont voté pour : MM. de Florisone, De Fré, de Gottal, de Haerne, de Liedekerke, Deliége, de Montpellier, de Naeyer, de Paul, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Terbecq, de Vrière, Dolez, d'Ursel, Frère-Orban, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Janssens, J. Jouret, Lange, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Magherman, Moncheur, Muller, Neyt, Orban, Pierre, Pirmez, V. Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Saeyman, Tack, Tesch, Vanden Branden de Reeth, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Volxem, Vervoort, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Coppieters 't Wallant, Crombez, Dautrebande, David, de Bast, de Boe, de Bronckart, H. de Brouckere, Dechentinnes et Orts.
(page 121) Ont voté contre : MM. de Mérode-Westerloo, Mercier, Nothomb, Thienpont, Vander Donckt, Verwilghen et Cartier.
Se sont abstenus : MM. de Renesse, de Theux et Wasseige.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. de Renesse. - N'ayant pas assisté à la discussion du projet de loi, j'ai cru devoir m'abstenir, d'autant plus que je pense qu'en strict droit le gouvernement n'est pas légalement tenu du payement d'indemnités pour des dégâts occasionnés par un cas de force majeure.
M. de Theux. - Il y a bien quelques motifs pour adopter le projet de loi. Mais d'autre part j'ai craint de poser un précédent dangereux.
Dès lors, j'ai préféré m'abstenir.
M. Wasseige. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que ceux qui ont été développés par l'honorable comte de Theux.
M. Goblet. - Parmi les nombreux objets à l'ordre du jour, j'ai constaté avec regret que le projet de loi relatif à l'enquête sur les élections de Louvain ne figurait pas. La majorité, en votant l'enquête, a voulu prouver tout le cas qu'elle faisait de sa dignité et qu'elle ne voulait sous aucun prétexte souffrir l'immixtion de la corruption dans le mandat qu'elle tenait du pays.
Mais par cela même que cet acte est grave et solennel, je crois qu'il faut le mettre à l'abri de tout soupçon d'esprit de parti. Je crois donc qu'il faut voter l'enquête le plus promptement possible. Avant de voter un projet de loi tel que le projet de loi sur les travaux publics dont la haute gravité n'est méconnue par personne et qui comporte des conséquentes morales et financières importantes, ce serait un déni de justice que de priver l'arrondissement de Louvain de ses mandataires.
Dans cette circonstance, je viens demander à M. le président si nous pouvons espérer de voir bientôt imprimé le rapport sur le projet d'enquête et s'il est possible d'en aborder immédiatement la discussion.
M. le président. - Je viens de répondre, il y a quelques instants, à une interpellation que m'a faite l'honorable M. Rodenbach que le rapport, sur le projet relatif à l'enquête se a imprimé demain, et distribué aussitôt que l'état de l'impression le permettra. La Chambre sera alors maitresse de régler son ordre du jour comme elle l'entendra.
Si la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi d'enquête, n'a pas été réunie plus tôt, c'est parce qu'un de ses membres, appartenant à la minorité de la Chambre, m'a déclaré ne pouvoir prendre part aux travaux de cette section dans les deux premiers jours qui ont suivi la suspension de nos travaux.
Un autre membre, à raison de circonstances douloureuses, était également dans l'impossibilité d'assister aux réunions de la section ces mêmes deux premiers jours. Voilà pourquoi la préférence a été donnée au projet de loi relatif aux péages sur les canaux et au projet de loi relatif aux travaux publics.
Une fois cet examen entamé, il ne convenait plus aux membres de ces sections centrales de suspendre leurs travaux. Mais aussitôt qu'il a été possible de faire fonctionner simultanément la section centrale pour le projet de loi des travaux publies et la section centrale pour le projet de loi relatif à l'enquête, cela a eu lieu. La section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif aux travaux publics siégeait de dix heures à une heure ; la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'enquête siégeait de une heure à cinq, ce qui était très fatigant pour ceux de vos collègues appartenant aux deux sections centrales et qui ont cependant subi ce régime pendant plusieurs jours, sans s'en plaindre.
- L'incident est clos.
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.
Je propose à la Chambre de faire ce qu'elle a fait l'an dernier pour simplifier l'examen de ce projet de loi : c'est d'aborder d'abord la discussion générale de la partie du projet de loi qui concerne les travaux d'Anvers, et de s'occuper ensuite, comme l’ont fait les sections, des autres travaux publics.
M. Guillery. - Le rapport de l'honorable M. Vandenpeereboom n'est pas fait ; je crois dès lors qu'il serait difficile de discuter aujourd'hui.
M. le président. - C'est pour éviter cet inconvénient que je propose de faire ce qu'on a fait l'année dernière, de s'occuper d'abord de ce qui concerne Anvers.
M. Guillery. - C'est parce qu'on propose cela, que j'attire l'attention de la Chambre sur ce point. Je ne veux pas m'opposer d'une manière absolue à la discussion du projet. Mais je fais remarquer que le projet de loi renferme deux questions distinctes : celle relative à Anvers, et celle relative aux travaux publics. En sections, plusieurs membres ont proposé de disjoindre les dispositions du projet, de discuter d'abord la partie relative aux travaux publics, et de discuter ensuite la question d'Anvers.
Le gouvernement s'y est opposé. Il a dit que ces deux questions étaient indivisibles ; qu'il était impossible de s'occuper de la question d'Anvers, c'est-à dire, de savoir quel est le système de défense que l'on adoptera sans s'occuper en même temps de la question de savoir quels sont ceux des travaux publics qui seront adoptés par la Chambre.
Nous avions de graves motifs pour proposer la disjonction : nous croyons même que la dignité de la Chambre était intéressée à la manière de procéder que nous proposions. Aujourd'hui, on veut faire une disjonction, mais en sens opposé ; c'est-à-dire qu'on veut commencer par discuter la question d'Anvers, et ensuite celle des travaux publics sur laquelle nous n'avons pas de rapport.
Le rapport de l'honorable M. Vandenpeereboom vient seulement d'être adopté par la section centrale et il ne pourra être imprimé que dans deux ou trois jours. C'est alors seulement que nous pourrons examiner l'ensemble du projet de loi.
Remarquez, messieurs, que la partie financière est traitée dans le rapport de l'honorable M. Vandenpeereboom. Elle n'est pas même abordée dans le rapport de l'honorable M. Orts ; de manière que nous allons nous livrer à une discussion générale sur un projet indivisible, un projet de loi sur lequel les voies et moyens doivent, dit-on, être votés ou rejetés par un seul vote, parce que l'emprunt serait impossible, si l'on ne votait pas en même temps les travaux d'Anvers et les travaux publics, et nous n'avons pas de rapport traitant la question financière.
Quelque élevé que soit l'intérêt que nous allons traiter, il faut bien admettre que la question financière est quelque chose et qu'il faut pouvoir, dans une discussion générale, apprécier un projet de loi dans son ensemble.
Je crois, messieurs, que nous pouvons encore attendre deux ou trois jours pour avoir le rapport complet de la section centrale, pour pouvoir étudier avec peu de loisir, mais enfin étudier le projet de loi dans son ensemble et nous prononcer en connaissance de cause.
M. le président, dans la lettre par laquelle il nous a convoqués, nous avait dit : Le rapport sur le projet de loi est fait (c'était une erreur de rédaction). Il nous promettait aussi que le rapport sur l'enquête serait fait ; et quant à moi, j'avais toujours cru que le rapport sur l'enquête serait imprimé avant le rapport sur les travaux publics, parce qu'il s'agissait d'un projet de loi en cinq ou six articles, tandis que le projet de loi sur les travaux publics était beaucoup plus considérable.
Il me semblait aussi que ce projet sur l'enquête devait être discuté le premier. Il y avait pour cela beaucoup de motifs. L'honorable M. Goblet vient de vous en exposer plusieurs. Je n'ai pas besoin, je crois, d'insister sur ce point.
Au lieu de cela, c'est le petit projet de loi sur lequel on ne nous fait pas le rapport, et cependant la section centrale qui l'a examiné avait terminé ses séances avant que la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les travaux publics eût terminé les siennes.
Je crois qu'il est impossible de procéder de cette manière. Je déclare que je suis partisan de la disjonction Mais la disjonction ne peut être discutée qu'après que nous aurons eu le loisir d'examiner complètement le système du gouvernement et celui de la section centrale.
Jusque-là, il nous est impossible de nous prononcer.
Ce qu'on nous propose, je le répète, c'est une disjonction en sens inverse de ce que les sections ont demandé, c'est-à-dire qu'on veut nous faire discuter d'abord la question d'Anvers et ensuite celle des travaux publics, à moins que, si le paragraphe premier est rejeté, on ne vienne nous dire, comme l'année dernière, que tout le projet de loi est retiré, y compris, peut-être, celui relatif aux péages du canal de Charleroi, et que la discussion est close.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous demandons à la Chambre de suivre ses antécédents. L'année dernière, le projet de loi embrassait des travaux publics de diverses catégories, des travaux publics militaires et des travaux publics civils, si je puis m'exprimer ainsi. La Chambre a discuté séparément les deux parties du projet.
Cette année, dans les sections, le même ordre a été suivi. Nous demandons que cet ordre soit maintenu dans la discussion publique. La section centrale a établi cette même division ; elle a nommé un rapporteur spécial pour la première partie du projet et un autre rapporteur pour la seconde partie.
Le rapporteur de la première partie du projet a déposé son travail en temps opportun ; la Chambre a eu trois jours pour l'examiner. Quand la discussion de la première partie sera épuisée, on abordera la seconde partie. Ensuite la Chambre décidera si elle veut émettre un vote séparé sur chacune des parties du projet. Pour le moment nous demandons que l'on suive la marche qui a été suivie l'année dernière et qui a été suivie maintenant encore dans les sections et dans la section centrale.
(page 122) Si la Chambre, qui est convoquée pour cet objet spécial, allait de nouveau l'ajourner, de quels travaux s'occuperait-elle ? On dit qu'il y va de la dignité de la Chambre - je pense qu'on a tort de mettre si souvent la dignité de la Chambre en cause - on dit qu'il y va de la dignité de la Chambre que ce projet important qui est à son ordre du jour ne soit discuté qu'après l'enquête ; mais on ne prend pas garde que le projet de loi relatif à l'enquête doit être soumis au Sénat, lorsque l'a Chambre l'aura adopté. Le Sénat n'est pas réuni. Quand ce projet aura été converti en loi, il faudra procéder à l'enquête ; si on la veut approfondie, elle prendra du temps ; l'enquête terminée, il faudra que la commission d'enquête fasse un rapport à la Chambre, la Chambre aura à délibérer sur les conclusions de ce rapport.
Ce n'est pas tout, en supposant que la Chambre annule les élections, il faut convoquer les électeurs ; or le délai pour convoquer les électeurs est de huit jours au moins. Si donc on voulait subordonner le projet de loi au résultat de l'enquête, ce serait remettre ce projet à la session prochaine ; or il n'a été que trop souvent ajourné, il est temps enfin de la discuter et puisqu'on a parlé de la dignité de la Chambre nous disons qu'il est de la dignité de la Chambre de prendre un parti.
Nous regrettons, messieurs, que quatre de nos collègues ne puissent pas prendre part à la discussion, mais ce n'est pas la faute du cabinet, ce n'est pas la faute du projet de loi, si une enquête doit avoir lieu. Le Sénat a ordonné l'enquête, la Chambre a suivi la même marche ; je constate le fait sans entendre en faire un reproche au Sénat non plus qu'à la Chambre.
Dans tous les cas, il est impossible de subordonner la discussion de cette loi aux résultats d'une enquête qui ne peuvent être obtenus d'une manière pratique que dans plusieurs semaines, quelque hâte qu'on y mette d'ailleurs.
M. Goblet. - Je viens, messieurs, appuyer les observations qu'a présentées l'honorable M Guillery. Je dois dire que, malgré l'assertion de M. le ministre de l'intérieur, on a procédé en sections comme le propose l'honorable préopinant. On a ouvert la discussion générale en y examinant la question financière, et si on a discuté la question d'Anvers, c'est que, d'après la volonté ministérielle, les travaux d'Anvers ne pouvaient pas être détachés du projet de loi qui n'admettait pas de disjonction. Cela est tellement vrai que, dans ma section, j'ai proposé la disjonction, et que, pour combattre cette disjonction, M. le ministre des finances m'a opposé un argument tiré de la nécessité de laisser l'ensemble, la combinaison financière, entièrement intact.
Si l'on a donc commencé dans les sections par discuter les fortifications d'Anvers, c'est que les fortifications d'Anvers formaient l'article premier du projet de loi, et cela sans entendre en aucune façon faire deux discussions générales.
Ainsi, pour pouvoir apprécier l'ensemble de la combina son financière, il faut avoir non seulement le rapport sur la question d'Anvers, mais encore le rapport de l'honorable M. E. Vandenpeereboom sur les travaux publics et sur la question financière.
En sections, M. le ministre des finances a déclaré que si le premier paragraphe de l'article premier était rejeté, il était impossible an ministère de consentir à maintenir les autres parties du projet de loi, parce que la combinaison financière ne pouvait pas convenir au reste du projet.
D'un autre côté, M. le ministre a déclaré aussi que si les autres articles étaient rejetés et si les travaux d'Anvers étaient admis, il trouverait moyen de pourvoir aux besoins de la défense nationale, parce que cette question était bien plus grave et plus urgente que celle des travaux publics.
Je pense qu'en présence de pareilles déclarations, nous pouvons légitimement demander un rapport complet avant la discussion.
Indépendamment de cette considération, il y a encore la question de l'enquête sur les élections de Louvain, qui reste en suspens. M le président a annoncé que le rapport de la commission serait imprimé demain. Cette question doit être, me semble-t-il, vidée avant que la Chambre s'occupe de la discussion d'un projet de loi d'une importance aussi grande que celui des travaux publics et de la défense nationale.
M. Rodenbach. - Messieurs, je partage entièrement l'opinion qui a été émise par les honorables députés de Bruxelles. Je n'ajouterai qu'un mot à ce qu'ils viennent de dire : c'est que l'année dernière, on a imprimé et distribué en même temps un rapport sur la question d'Anvers et un autre rapport sur les travaux publics. Il n'en est pas de même aujourd'hui. Le second rapport n'est pas distribué.
Indépendamment de cette considération, il y a encore la question de l'enquête sur les élections de Louvain qui doit, me semble-t-il, préoccuper la Chambre et au sujet de laquelle M. le président, sur mon interpellation, nous a annoncé l'impression pour demain, du rapport de la commission. Cette question doit recevoir une solution, avant que la Chambre s'occupe de la discussion qui doit imposer tant de millions au trésor public.
C'est un objet d'une gravité extrême, sur lequel il y a divergence d'opinion dans le pays. Je dirai même que la question des fortifications d'Anvers n'est pas très populaire. Tous les membres de la Chambre qui viennent d'arriver de province ne peuvent l'ignorer.
Je le répète, je m'associe entièrement aux sentiments que viennent de vous exprimer les honorables députés de Bruxelles.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M. Goblet a fait tout à l'heure un compte rendu peu exact, incomplet en tout cas de ce qui s'est passé dans la section dont il faisait partie et à laquelle j'avais également l'honneur d'appartenir.
L'honorable M. Goblet a proposé effectivement la disjonction du projet de loi. A par les motifs particuliers qu'il invoquât et qui, seuls, auraient suffi pour nous faire repousser la disjonction, j'ai fait remarquer que la combinaison financière étai le lien qui unissait les diverses parties du projet de loi. Il est impossible qu'on ne le comprenne pas. Si nous proposons l'exécution de 90 millions de travaux de toute nature, nous proposons également une combinaison à l'aide de laquelle ces travaux peuvent être exécutés simultanément et d'une manière très favorable aux intérêts du trésor.
Au moyen d'un emprunt de 45 millions, la Chambre et le pays ont la certitude que les travaux s'achèveront sans aucun embarras pour le trésor. Nous le démontrerons lorsque nous serons appelés à justifier cette partie du projet de loi. Si le premier article que nous proposons, ai-je dit à l’honorable membre, venait à être écarté, il est clair que le reste du projet tomberait nécessairement L'emprunt deviendrait inutile dans cette hypothèse ; il ne faut pas d'emprunt pour exécuter les autres travaux publics ; on n'emprunte pas par plaisir, mais seulement par nécessité ; l'emprunt devenu inutile, il resterait à proposer des travaux publics dans la mesure des ressources dont nous pourrions disposer.
Evidemment le pays ne serait pas privé de tous travaux publics, parce qu'on n'exécuterait pas les travaux d'Anvers. C'est une assez étrange invention qui a eu cours pendant quelque temps dans la presse, mais qui ne devrait pas trouver de l'écho dans cette Chambre.
- Un membre. - Et l'année dernière ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est parfaitement exact que l'année dernière, par suite du rejet des travaux d'Anvers, le projet de loi a été retiré ; mais il était certain dès ce moment, pour le gouvernement, que la question de la défense nationale devait de nouveau être soumise aux Chambres ; et il était par conséquent rationnel de réserver l'ensemble d'un plan uniquement conçu dans le but de faire l'usage le plus large, le plus complet, le plus efficace, le plus économique des ressources dont nous pouvons disposer.
Encore une fois, grâce à ce système, nous pouvons entreprendre en même temps des travaux publics qui s'élèvent à 90millions de francs ; nous donnons immédiatement au pays les satisfactions que, sans cela, il devrait attendre pendant en temps plus ou moins long et nous le faisons en ménageant convenablement les finances de l'Etat. Avec un encaisse de 15 millions, il est permis d'atteindre les excédants des exercices futurs, sauf à préparer ultérieurement d'autres ressources, si les prévisions ne se réalisaient pas ; sans cet encaisse, il serait imprudent d'engager de grandes dépenses qui seraient exclusivement couvertes par des recettes éventuelles.
C'est là le seul motif de l'union des diverses parties du projet de loi.
Nous avons ajouté, il est vrai, que si la première partie du projet de loi était adoptée et que, si par impossible, la seconde était écartée, la loi ainsi mutilée serait sanctionnée. Le motif en est évident et péremptoire. Nous ne subordonnerons à aucune considération l'intérêt national, l'intérêt de la défense du pays. D'accord avec les Chambres, nous serions tenus d'exécuter les travaux d'Anvers même en imposant des sacrifices plus considérables au trésor ; nous emprunterions encore dans cette hypothèse, bien sûr, au surplus, que dans la session suivante des travaux publics seraient présentés et adoptés, et qu'on rétablirait ainsi en fait la mesure financière que renferme aujourd'hui le projet de loi.
Maintenant, de ce que le rapport de l'honorable M. Vandenpeereboom, rapport qui sera déposé probablement demain, n'est pas encore distribué, on conclut qu'il n'y a pas lieu de discuter dès à présent le premier paragraphe de l'article premier du projet de loi.
Je demande si l'on peut soutenir sérieusement cette thèse.
La question que soulevé le premier paragraphe de l'article premier est une question toute spéciale qui absorbera nécessairement un grand nombre de séances, qui doit être examinée et résolue, abstraction faite des autres parties du projet de loi, abstraction faite de la combinaison financière. Lorsque cette question aura été approfondie, les autres questions se présenteront naturellement, et on aura eu le temps d'examiner la seconde partie du rapport qui aura déjà été déposée depuis 5 ou 6 jours. Donc ces motifs sont extrêmement futiles et ne doivent pas arrêter la Chambre.
Quant à l'enquête, M. le ministre e de l'intérieur l'a dit : « Comment subordonner la décision à prendre sur le projet de loi que vous proposez aux lenteurs que subirait nécessairement l'enquête ? » Mais, messieurs, si, au lieu de venir dans une session extraordinaire, ce projet nous avait été soumis dans une session ordinaire, on aurait donc préféré de suspendre les travaux de la Chambre jusqu'à l'examen de la validité des pouvoirs de certains membres ! On ne pourrait plus délibérer, la Chambre ne pourrait plus siéger, et surtout un projet important devrait être tenu en suspens, parce qu’une élection serait contestée ou annulée ?
Pareille prétention a-t-elle jamais été mise en avant dans un pays parlementaire ? Est-ce que récemment, en Angleterre, la Chambre des communes (page 123) a fait trêve à ses plus graves débats parce que quarante ou cinquante élections ont été contestées ?
Et aujourd'hui même que la session est close, ne reste-t-il pas encore douze ou quinze élections soumises à l'examen des comités ?
Il est certainement fâcheux que les pouvoirs de certains membres n'aient pas pu être vérifiés ; mais je ne pense pas que ce soit précisément une raison pour que les pouvoirs de la Chambre soient suspendus.
M. le président. - MM. Guillery et Goblet viennent de faire parvenir au bureau la proposition suivante :
« Les soussignés proposent d'ajourner la discussion du projet de loi de travaux publics jusqu'à ce que le rapport de M Vandenpeereboom soit imprime et distribué. »
M. Goblet. - Messieurs, bien que M. le ministre des finances ait taxé d'inexactitude les paroles que j'ai prononcées tout à l'heure, il vient d'en constater la parfaite justesse par son propre discours. Je n'ai pas dit qu'en sections M. le ministre de finances aurait déclaré que le gouvernement n'exécuterait jamais tous les travaux publics ; j'ai rappelé que M. le ministre nous a dit qu'on exécuterait les fortifications d'Anvers indépendamment des autres travaux publics. M. le ministre a ajouté que pour exécuter les travaux en dehors de ceux d'Anvers on y mettrait dans ce cas plus de temps et qu'ils ne seraient pas exécutés simultanément, comme on le propose aujourd'hui, mais à mesure qu'il serait possible de les entreprendre sur les excédants disponibles.
Voilà les propres paroles que M. le ministre a prononcées en section ; et j’en appelle, au besoin, aux souvenirs de l'honorable M. d'Ursel qui les a provoquées.
Maintenant, puisque l'on invoque incidemment contre ce que j'ai soutenu, à propos de l’enquête, l'exemple de l'Angleterre, je dirai qu'il y a certainement de très bonnes choses à recueillir dans ce pays en fait d'institutions parlementaires ; mais j'ajouterai que je ne voudrais pas pousser l'imitation jusqu'à nous exposer à voir reproduire chez nous des faits analogues à celui rapporté récemment par la presse anglaise d'un membre du parlement anglais qui, accusé de fraude, ne put point conserver son siège parce qu'il n'avait point 100,000 fr. pour faire légalement reconnaître son innocence que personne ne déniait dans le parlement.
Ici aucune question de principe n'est engagée en dehors de la question de fait même. L'enquête sur les élections de Louvain est une affaire qui doit recevoir une solution le plus promptement possible ; car elle repose avant tout sur une question d'équité.
En définitive, si le projet de loi sur les travaux publics n'était approuvé ou rejeté qu'à une majorité de 2 ou 3 voix, n'est-il pas évident qu'un tel vote pourrait donner lieu à de justes critiques, puisqu'il ne serait peut-être dû qu'à l'absence des députés de Louvain.
On pourrait, en cas d'adoption d'un projet important, à une si faible majorité, prétendre que le projet n'est pas sanctionné par la véritable majorité de la Chambre qui doit être aujourd'hui de 59 voix.
- La proposition est mise aux voix et rejetée.
En conséquence, la discussion générale est ouverte sur l'article premier du projet.
- M. Dolez remplace M. Orts au fauteuil de la présidence.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, pour mettre la Chambre à même d'apprécier dans tous ses détails le projet d'agrandissement d'Anvers, que nous avons adopté, je la prie de me permettre de compléter les explications que j'ai données dans les sections excelles qui figurent dans l'exposé des motifs du projet de loi.
Je tâcherai, dans ces explications, d'aller au-devant de toutes les objections que pourraient faire à notre système ceux qui ne le connaissent pas complétement et de mettre par-là tous les membres de la Chambre à même de voter en parfaite connaissance de cause. C'est, je crois, le meilleur moyen d'abréger et d'éclairer la discussion.
Je vous prie donc, messieurs, de m'accorder quelques instants de bienveillante attention.
Je me rappelle, messieurs, que me trouvant, il y a déjà plusieurs années, dans ces tribunes publiques, en simple auditeur de vos débats, j'entendis un membre de cette assemblée, dont tout le monde honore le caractère et le patriotisme et apprécie le talent, s'écrier avec l'accent d'une profonde conviction : « Si j'avais l'honneur d'être ministre de la guerre, un mois ne se passerait pas sans que je misse à l'étude l'importante question de la défense nationale et je n'aurais ni repos ni tranquillité que cette question ne fût décidée.
Il y a bien des années que ces paroles ont été prononcées. Elles firent une profonde impression sur moi parce qu'elles étaient alors comme elles sont encore aujourd'hui, l'expression de ma pensée. Depuis cette époque des membres influents de cette assemblée appartenant à tous les partis, ont demandé à plusieurs reprises, comme l’honorable M. Devaux, que les éléments permanents de la défense nationale fussent constitués d'une manière définitive.
Le gouvernement n'a pu faire droit à cette demande aussitôt qu'il l'eût désiré, parce qu'il est des questions, qui, par leur nature, ne sont pas susceptibles de recevoir d'emblée une solution complète. De ce nombre est la question de la défense des Etats, l'une des plus complexes et des plus délicates que les militaires et les hommes d'Etat puissent avoir à traiter. C'est ce qui explique que des nations constituées depuis des siècles et renommées par leur intelligence et leur initiative militaire n'ont pas encore un système de défense définitivement organisé.
La France ne possède que depuis peu d’années l'importante position de Paris qui forme le complément de son système défensif.
En Prusse, des forteresses considérables sont en cours d'exécution ou simplement à l'état de projet.
En Autriche, en Russie, en Angleterre, en Hollande, dans le Danemark et en Sardaigne, le même fait se présente. Il n'y a peut-être pas un pays en Europe qui n'exécute en ce moment ou ne projette des travaux permanents de défense.
Partout il a fallu de longues et sérieuses études, quelque fois l'expérience de guerres malheureuses, et souvent des discussions qui ont duré des siècles pour fixer les idées à ce sujet.
En France, par exemple, ce n*est que sous Louis XIV qu'un système de défense complet fut proposé par Vauban. Les idées de ce grand homme ne furent pas d'abord comprises par tous les militaires et par la nation. Ou ne réalisa qu'une partie de son système et il a fallu près de deux siècles pour que la France appréciât, comprît, adoptât et réalisât le complément de ce magnifique système qui a doublé de valeur par la fortification de Paris. Il a fallu une invasion pour qu'elle comprît la nécessité de ces fortifications : Puisse la Belgique ouvrir les yeux avant qu'un tel malheur lui arrive !
Il n'est donc pas étonnant que notre pays, qui compte à peine 28 années d'existence indépendante et qui, jusqu'en 1839, s'est trouvé dans une position exceptionnelle, ne possède pas encore un système complet de défense.
Permettez-moi de vous rappeler qu'un de mes premiers actes comme membre du cabinet du 12 août 1847, fut de mettre à l'étude cette difficile question. Je réunis une grande commission militaire pour examiner tout ce qui se rattachait à la défense du pays. Les travaux de cette commission furent interrompus par la révolution de 1848 qui modifia profondément la situation générale de l'Europe.
En présence des éventualités qui pouvaient naître de cette crise imprévue, je jugeai nécessaire de proposer au Roi la construction d'un grand camp retranché appuyé à la place d'Anvers. J'avais soumis cette idée à un comité spécial qui, tenant compte des circonstances où l'on se trouvait alors, s'était prononcé en faveur d'un système d'ouvrages provisoires, mais susceptibles cependant d'être transformés plus tard en ouvrages permanents. Ce système nouveau trouva beaucoup de contradicteurs, je le reconnais ; il faut du temps pour qu'une idée nouvelle fasse son chemin, pour qu'elle soit admise par les masses, lors même qu'elle est partagée, adoptée, soutenue par un grand nombre d'hommes compétents.
Ce système entraînait le renversement de celui qui nous avait été légué par le royaume des Pays-Bas et qui était à peine terminé lorsque la révolution éclata.
On ne se rendait pas compte, généralement, que notre nouvelle situation politique, l'affaiblissement de nos ressources militaires et financières depuis la séparation des deux pays ; et. d'autres causes encore, que j'exposerai plus loin, avaient profondément altéré, pour ne pas dire entièrement détruit, la valeur de ce système, et qu'il fallait l'abandonner résolument.
Je ne vous rappellerai pas, messieurs, toutes les discussions qui ont eu lieu depuis cette époque, toutes les phases par lesquelles a passé cette question. Vos souvenirs sont trop récents pour qu'il soit nécessaire de les raviver.
Mais en examinant les propositions diverses ajournées ou rejetées par la législature, les opinions souvent contradictoires des militaires consultés par le gouvernement, les écrits publiés à ce sujet par des hommes compétents, on est forcé de reconnaître que ces vicissitudes et ces divergences nombreuses, loin d'être étranges ou regrettables, doivent être considérées comme toutes naturelles, comme ayant été utiles même au but qu'il s'agissait d'atteindre. Elles ont, en effet, servi à mettre toutes les faces de la question en lumière et à faire cesser les conflits d'opinion qui s'étaient produits parmi les militaires.
La vérité dans les questions de cette importance ne se fait pas jour immédiatement, je le répète, et tant qu'elle demeure enveloppée d’obscurité, l'accord entre les hommes spéciaux n'est pas possible.
En rentrant au pouvoir cette année, je fus, comme en 1847, préoccupé tout d'abord des besoins de la défense nationale. Je savais que le pays et l'armée s’inquiétaient, à juste titre, de notre situation militaire et comprenaient instinctivement la nécessité d'arriver à la solution prompte et définitive de cette question. Je savais aussi qu'il serait facile de mettre les hommes compétents d'accord lorsqu'on leur fournirait l'occasion de discuter leurs projets et leurs systèmes ; et ; en effet, tout me portait à croire qu'ils n’étaient plus séparés que par de faibles divergences d'opinion, des malentendus qui disparaîtraient dès qu'on ferait un appel à leur patriotisme et qu'on donnerait une bonne direction à leurs débats.
Je pris donc la résolution de soumettre la question de la défense du pays, élucidée depuis longtemps par plusieurs de nos officiers, à un examen définitif basé sur une discussion large, impartiale et complétement libre. Je réunis, à cet effet, 26 officiers qui, à raison de leur position ou de leurs études, et même de leur divergence de vues, étaient naturellement désignés pour concourir à cet examen.
(page 124) Parmi ces officiers se trouvaient tous ceux qui avaient proposé ou soutenu les projets sur lesquels la commission devait se prononcer.
En installant cette commission, j'eus soin de prévenir ses membres que la question de la défense nationale devait être examinée à neuf, sans tenir compte des avis donnés ou des résolutions prises antérieurement. Ces avis et ces résolutions devaient être considérés seulement comme des études préliminaires, utiles à consulter, mais n'engageant personne et laissant au gouvernement toute liberté d'action.
Si l'on se rappelle toutes les discussions auxquelles la fortification de Paris a donné lieu, les avis exprimés par les commissions spéciales, par le comité du génie, plusieurs fois consulté, et par les sommités militaires de la France, on reconnaîtra qu'il s'était manifesté dans cette circonstance plus de divergence dans les idées et plus d'irrésolution dans les actes que n'en ont révélé nos débats sur la fortification d'Anvers. Et cependant le jour se fit, les hommes spéciaux finirent par tomber d'accord, et le gouvernement du roi Louis-Philippe put mener à bonne fin cette œuvre patriotique qui sera l'honneur de son règne.
Pourquoi n'aurions-nous pas abouti au même résultat ?
La discussion sur les idées et les systèmes en présence touchait à sa fin et le moment de prendre une conclusion était arrivé. C'est ce que comprit la commission instituée par le Roi. Elle se mit résolument à l'œuvre et tomba bientôt d'accord sur un système de défense qui, j'en ai la conviction, sera approuvé, par tous les hommes compétents et même par ceux qui, sans avoir fait d'études spéciales, jugeront la question avec les simples lumières du bon sens et du patriotisme.
Je vous exposerai, messieurs, en peu de mots, le résultat des travaux de la commission, mais auparavant, il sera nécessaire que j'entre dans quelques développements et que je vous présente quelques considérations préliminaires.
Le système de défense d'un pays repose, d'une part, sur l'organisation des forces vives de la nation, d'autre part sur une série de places fortes occupant les points stratégiques du territoire et servant de points d'appui ou de base d'opération à l’armée active.
Chaque pays a besoin d'un système de défense spécial. Il y a par conséquent des différences assez importantes entre les divers systèmes, bien que tous doivent satisfaire au même principe. Cela tient à cec que la défense d'un Etat doit être combinée d'après sa situation géographique, sa configuration topographique, ses ressources financières, le caractère et les mœurs de ses habitants.
Chacun comprendra, par exemple, que l'organisation militaire et le système de défense de la Suisse, pays de montagnes, ne ressemble pas à l'organisation militaire et au système de défense de la Hollande, pays de plaines, sillonné de fleuves et de canaux.
Dans un pays de montagnes, un simple fortin, armé de quelques canons et défendu par d'adroits tireurs, peut arrêter une année entière. C'est ainsi que le petit fort de Bard faillit renverser les belles combinaisons du premier consul et arrêter dans son élan l'armée qui, peu de jours après, vainquit à Marengo.
Dans un pays de plaines, accessible de toutes parts, les plus puissantes forteresses ont besoin de l'appui d'une armée pour ne pas être enlevées après quelques jours de tranchée ouverte.
Il est donc tout naturel que le système de défense adopté par le royaume des Pays-Bas ne convienne pas à la Belgique indépendante, qui se trouve dans une position et dans des conditions toutes différentes
Le royaume des Pays-Bas avait adopté, de commun accord avec ses alliés et mis 15 ans à créer un système défensif qui reposait sur des bases et des intérêts détruits par la révolution de 1830.
Il est essentiel que je dise quelques mots de ce système, afin que vous puissiez mieux apprécier celui que nous y avons substitué et les motifs pour lesquels nous abandonnons l'ancien.
Le royaume des Pays-Bas faisait partie de la grande coalition organisée en 1815 contre la France. Les puissances alliées avaient eu soin de lui prescrire un système de défense conforme à ce but avant de signer le traité qui les obligeait à lui fournir un contingent de 60,000 hommes en cas de guerre.
Ce système, uniquement dirigé contre la France, reposait sur quatre séries de places fortes qui avaient chacune un but déterminé.
La première série devait servir de protection à l'intervention de l'Angleterre. Elle se composait des places d'Ostende, Nieuport, Ypres, Menin, Tournai, Audenarde, Gan", Termonde et Anvers. Elle défendait la frontière du Midi depuis la mer jusqu'à l'Escaut et tout le cours de ce fleuve depuis Tournai jusqu'à Anvers. C'était une grande tête de pont qui permettait aux Anglais de débarquer sans obstacle par Anvers ou par Ostende sur cette partie du continent et de s'y réfugier pour reprendre la mer si la fortune leur était contraire.
Cette série de places fortes fomant en quelque sorte tête de pont sur le continent, avait pour réduit la Flandre zélandaise couverte et protégée par les places de Hulst, Axel, l'Ecluse et Flessingue.
La seconde série de forteresses devait servir de protection à l'intervention de l'Allemagne.
Elle comprenait les places de Luxembourg, Bouillon, Philippeville, Mariembourg, Diuant, Namur, Huy, Liège, Maestricht et Venloo.
Ces forteresses, la Meuse et la Sambre couvraient la marche des armées allemandes.
Une troisième série de places fortes fermait la trouée entre l'Escaut et la Meuse et était destinée à favoriser les mouvements de troupes parallèles à la frontière française. Ath, Mons et Charleroi avaient été construits dans ce but. Enfin, une quatrième série de forteresses protégeait et couvrait avec le Wahal et les bouches du Rhin et de la Meuse, les provinces hollandaises que l'on pouvait considérer comme le grand réduit de tout le système.
On voit par cet exposé que le système de défense du royaume des Pays-Bas était combiné de manière à favoriser surtout l'action des puissances alliées contre la France et qu'il reposait sur diverses séries de places fortes qui avaient un but déterminé et qui devaient, au moment de la guerre, être occupées par l'armée des Pays-Bas et ses alliés.
Notre séparation d'avec la Hollande a renversé toutes ces combinaisons. Le traité d’alliance qui obligeait les puissances étrangères à fournir aux Pays-Bas 60,000 hommes pour leur défense, n'exilst plus. Nous ne pouvons plus compter que sur nous-mêmes. Du reste, la neutralité que nous avons acceptée ne nous permet pas de conserver un système de défense dirigé contre une seule puissance.
Le système hollandais, s'il était maintenu, après avoir été mutilé comme il l'a été par la séparation des deux pays, ne nous offrirait aucune garantie même contre la puissance en crainte de laquelle il a été constitué, parce que, livrés à nous-mêmes, nous ne pourrons jamais, quelque efforts que nous fassions, quelques sacrifices que nous nous imposions, réunir assez de force pour garder et détendre efficacement les nombreuses places fortes qu'il nous a léguées. Il reste à remarquer, au surplus, que le complément ou le réduit de ce système, les places fortes de la Hollande, ne sont plus en nos moins ; mais ce n'est pas tout. Aux causes d'affaiblissement que je viens d'énumérer, causes indépendantes de notre volonté et conséquences de la révolution, sont venues s'ajouter des causes qui sont de notre fait et qu'il faut signaler.
De 1815 à 1830, le gouvernement des Pays-Bas n'avait toléré l'établissement d'aucune route, l'ouverture d'aucun passage à travers nos frontières, qui ne fussent commandés par le canon de ses forteresses.
Il n'avait pas laissé construire un seul pont sur les fleuves et rivières considérés comme lignes défensives, et il s'était opposé de tout son pouvoir à l’établissement de tout bâtiment dans le rayon réservé des places fortes.
Depuis 1830, pour ne pas arrêter l'essor de l'industrie, du commerce, de l'agriculture, on a laissé percer toutes les frontières par d'innombrables routes, chemins de fer, canaux, qui conduisent droit au cœur duprays, en tournant toutes les forteresses, et l’on a élevé sur nos fleuves et rivières une foule de ponts sans défense.
C'est ainsi, pour ne citer qu'un exemple, qu'entre Mons et Charleroi, là où il n'y avait ni routes, ni passages, tout est percé à jour par un réseau de grandes routes, de chaussées, de chemins de fe et qu'entre Charleroi et Namur, sur la courte et importante partie du cours de la Sambre, il existe quatorze ponts établis contrairement aux intérêts de la défense du pays, là où il n'y en avait pas un seul. On a été jusqu'à permettre de faire brèche au cœur de nos plus importantes forteresses pour livrer passage aux locomotives, et on a transformé de magnifiques arsenaux en hangars et en magasins.
On est donc forcé de reconnaître que notre ancien système de défense est détruit, qu'il a perdu toute sa valeur et qu'il sera même impossible de le reconstituer, par la raison qu'on ne pourra jamais rétablir les choses dans leur état primitif en détruisant les magnifiques monuments de notre industrie qui sont devenus les sources fécondes de la richesse nationale.
Ces considérations, qui depuis longtemps avaient ému les militaires, ont engagé la commission à examiner quel système de défense on pouvait substituer à celui que les événements politiques de 1830 et les exigences de nos intérêts matériels avaient détruit. Dans cet examen la commission a tenu compte de notre situation politique, de la configuration topographique du pays, de nos ressources financières, de nos intérêts industriels et commerciaux.
Elle a conclu à l'unanimité que le système de défense excentrique qui pouvait convenir au royaume des Pays-Bas, disposant de ressources supérieures aux nôtres, assuré du concours d’une armée alliée de 60,000 hommes, n'était plus en rapport avec nos moyens militaires et pécuniaires et devait être remplacé par un système de défense concentrique, c'est-à-dire, basé sur une grande position stratégique, servant de pivot à l'ensemble de nos forces actives.
Je pourrais me borner à opposer ce témoignage des hommes spéciaux de l'armée, à l'opinion de ceux qui voudraient voir la Belgique persévérer dans le déplorable système de la dissémination des forces défensives. Mais je considère comme un devoir pour moi de chercher à convaincre ces derniers par quelques considérations très simples, d'autant plus utiles à présenter, que les objections faites contre le système de centralisation sont de nature à faire impression sur les masses, dont le jugement, en matière d'art militaire surtout, est souvent faussé par des idées préconçues ou par des erreurs matérielles.
On a prétendu que la démolition d'une partie de des places frontières et la concentration des forces défensives sur un grand pivot stratégique (page 125) aurait pour conséquence de livrer le pays à l'invasion et de faire-jouer à l'année un rôle humiliant.
Je sais que la malveillance et l'ignorance propageant cette idée ont fini par faire croire aux esprits superficiels que concentrer l'armée sur un point, c'est abandonner tous les autres et les livrer sans défense à l'ennemi.
Il est pénible d'avoir à réfuter de pareilles assertions, maïs le crédit qu'elles ont trouvé et la persistance avec laquelle certaines personnes se plaisent à les reproduire me font un devoir de les combattre de toute la force de mes convictions.
Loin de trouver la moindre garantie dans le principe de la dissémination des forces, qu'on cherche à faire prévaloir, je déclare hautement que le pays courrait de grands dangers et que l'honneur de l'armée serait gravement compromis le jour où l'on aurait sanctionné ce déplorable principe que, pour tout sauver, il faut tout garder.
Un pareil principe ne tendrait à rien moins qu'à la restauration des idées qui prévalurent dans les siècles d'anarchie et d'ignorance militaire, où chaque ville et chaque bourg, pour ainsi dire, étaient entourés de fortification.
A mesure que l'art de la guerre fit des progrès, on remarqua les défauts d'un pareil système et l'on a fini par adopter unanimement cette vérité simple, et cependant si longtemps méconnue, que vouloir tout garder, c'est s'exposer à n'être fort nulle part, à perdre tout en peu de temps. Nier cela aujourd'hui, ce serait nier l'évidence.
Il n'est pas nécessaire d'être stratégiste pour comprendre qu'une forte position en avant de laquelle l’armée pourra se concentrer et se maintenir intacte jusqu'au moment où elle jugera utile de prendre l'offensive, soit isolément, soit de concert avec les puissances qui auront intérêt à nous secourir, exercera plus d'influence sur les destinées du pays que plusieurs forteresses exposées à être enlevées l'une après l'autre, en moins de temps qu'il n'en faudra à l'ennemi pour se rendre maître du pivot central. C'est ce que d'illustres capitaines ont établi d'une manière frappante :
Je vous citerai l'opinion des principaux. Le grand Frédéric qui avait devancé son siècle par ses lumières s'exprimait ainsi dans les instructions données à ses généraux :
« La guerre défensive mène aux détachements, car les généraux peu expérimentés veulent conserver tout ; ceux qui sont sages n'envisagent que les points principaux ; ils souffrent patiemment un petit mal pour éviter de grands maux. »
L'archiduc Charles, dans ses écrits qui font autorité émet la même opinion.
« Lorsqu'on a des moyens inférieurs, dit ce prince, il faut bien se garder de les disséminer parce qu'on s'ôterait jusqu'à la faculté de sauver le point décisif qui, seul, mérite de fixer l'attention et tous les efforts. »
Le duc de Wellington jugeait la question absolument de la même manière et il eut l'occasion d'appliquer le système que nous préconisons. Les Français s'étaient emparés du Portugal. Le duc de Wellington fut envoyé avec une armée anglaise pour les expulser de ce pays.
Le général Junot, qui commandât l'armée française, avait disséminé ses forces. Il fut battu à Vimeiro et obligé d'abandonner le Portugal après cette défaite. Que fit alors le duc de Wellington ? Immédiatement il créa une grande base d'opération, un camp retranché beaucoup plus considérable que celui que nous nous proposons de construire à Anvers. Où plaça-t-il ce camp ? Est-ce vers la frontière ? Non, ce fut à une grande distance en arrière, à Torres-Vedras, au sud du Portugal.
Napoléon désigne le plus célèbre de ses généraux, le maréchal Massena pour reconquérir le royaume. Le maréchal arrive avec une puissante armée ; il s'établit à Salamanque et se prépare à attaquer les places d'Ameida, et de Ciudad-Rodrigo qui défendaient l'entrée du pays.
Tout le monde en Portugal, l'armée anglaise elle-même, demandait qu'on envoyât des troupes au secours de ces places défendues seulement par des volontaires espagnols et des milices portugaises. Le duc de Wellington refusa instamment, malgré toutes les réclamations, toutes les clameurs, toutes les injures même qui lui furent prodiguées ; il ne voulut pas distraire un seul de ses bataillons de l'armée active qu'il persista à tenir concentrée. Est-ce à dire qu'il enferma son armée dans son camp ? Pas du tout, il marcha à la rencontre de l'ennemi avec toutes ses forces et défendit le Portugal pied à pied en profitant de toutes les positions favorables. C'est ainsi qu'il livra la bataille de Busaco, à 50 lieues de sa base d'opérations.
Après cette rencontre, il opéra sa retraite en livrant encore quelques combats d'arrière-garde et regagna son camp retranché dans un ordre parfait avec des troupes que cette expédition avait aguerries et remplies de confiance en elles-mêmes.
Il tint ensuite les Français en échec devant ses lignes pendant plusieurs mois, puis, prenant l'offensive, il les expulsa du Portugal.
En présence de ce succès, les clameurs se changèrent en cris de triomphe et tous ceux qui n'avaient pas craint de porter les plus graves accusations contre le duc de Wellington, le proclamèrent le sauveur du pays.
Examinons maintenant comment l'empereur Napoléon jugeait la question de la défense des petits Etals.
J'appelle toute votre attention sur un document très remarquable que je vais vous citer. C'est une lettre écrite par l'empereur à son ministre de la guerre, pour répondre à la demande qui lui avait été faite relativement aux mesures à prendre pour la défense de la Dalmatie qu'il venait de reconquérir.
Ce document est considéré par les historiens et les écrivains militaires comme le plus remarquable exposé des principes de la défense des Etats. Il porte le cachet du génie militaire de l’empereur.
« Vous me demandez combien il faut de places fortes !
« C'est ici qu'on se convainc qu'il en est des places fortes comme des placements de troupes. Prétendez-vous défendre une frontière par un cordon ? Vous êtes faibles partout, car enfui tout ce qui est humain est limité. Artillerie, argent, bons officiers, bons généraux, tout cela n'est pas infini, et si vous êtes obligés de disséminer partout, vous n'êtes forts nulle part.
« Il m'est également impossible d'empêcher une armée plus forte qui déboucherait par la frontière d'Autriche ou de Turquie, d'obtenir des avantages sur mon armée de Dalmatie.
« Mais faut-il que l'armée, que les événements de la politique générale peuvent me porter à tenir en Dalmatie, soit détruite ou sans ressources après quelque combats ? Faut-il que mes munitions, mes hôpitaux et mes magasins, disséminés à l'aventure, tombent et deviennent la proie de l'ennemi, du moment qu'il aurait acquis la supériorité en campagne sur mon armée de Dalmatie ? Non. C'est ce qu'il m'importe de prévoir et d'éviter.
« Je ne puis le faire que par l'établissement d'une grande place, d'une place, d’un dépôt qui soit comme le réduit de toute la défense de la Dalmatie, qui contienne tous mes hôpitaux, mes magasins, mes établissements, où toutes mes troupes de Dalmatie viennent se reformer, se rallier, soit pour s'y renfermer, soit pour reprendre la campagne, si telles sont la nature des événements et la force de l'armée ennemie. Cette place, je l'appelle place centrale. Tant qu'elle existe, mes troupes peuvent avoir perdu des combats, mais n'ont essuyé que les pertes ordinaires de la guerre ; tant qu'elle existe, elles peuvent elles-mêmes, après avoir pris haleine et du repos, ressaisir la victoire ou du moins m'offrir ces deux avantages d'occuper un nombre triple d'elles au siège de cette place et de me donner trois ou quatre mois de temps pour arriver à leur secours, car tant que la place n'est pas prise, le sort de la province n'est pas décidé et l'immense matériel attaché à la défense d'une aussi grande province n'est pas perdu.
« Une place centrale une fois existante, tous les plans de campagne de mes généraux doivent y être relatifs. Une armée supérieure a-t-elle débarqué dans un point quelconque, le soin des généraux doit être de diriger toutes leurs opérations de manière à ce que leur retraite sur la place centrale soit toujours assurée. Une armée attaque-telle par la frontière turque ou autrichienne, le même soin doit diriger toutes les opérations des généraux français. Ne pouvant défendre la province tout entière, ils doivent voir la province dans la place centrale. Tous les magasins de l'armée y seront concentrés ; tous les moyens de défense s'y trouveront prodigués, et un but constant se trouvera donné aux opérations des généraux. .
« Tout devient simple, facile, déterminé, rien n'est vague quand on établit de longue main et par autorité supérieure le point central d'un pays.
« On sent combien de sécurité et de simplicité donne l'existence de ce point central, et combien de contentement elle met dans l'esprit des individus qui composent l'armée.
« Trop d'inquiétude anime l'armée si elle n'a pas pour tous les événements un plan simple et tracé. Ce plan simple et tracé, ce sout les remparts de Zara. Quand, après plusieurs mois de campagne, on a toujours pour pis-aller de s'enfermer dans une ville forte et abondamment approvisionnée, on a plus que la sûreté de la vie, la sûreté de l'honneur.
« Mais s'ensuit-il donc de là que toutes mes troupes doivent être réunies autour de Zara ? Certainement non. Mes troupes doivent occuper les positions que mes généraux jugeront les plus convenables pour un camp destiné à se porter sur tous les points de la frontière. Mais l’emplacement que doivent occuper ces troupes dépend de leur nombre, des circonstances qui changent tous les mois ; on ne peut attacher aucune importance à prévoir ce qu'il convient de faire là-dessus. »
Est-ce la seule fois que Napoléon est prononcé dans ce sens ? Je vous citerai encore l'opinion qu'il émit dans le comité des fortifications, à propos de la défense du Piémont et de la Lombardie.
« Je veux, disait-il, que les fortifications de Turin, de Tortone, de Milan, etc., soient réunies à Alexandrie. »
La guerre qui vient d'avoir lieu a prouvé que les Piémontais ont bien fait de suivre ce conseil en concentrant leurs principaux moyens de défense sur Alexandrie. Elle a prouvé, d'un autre côté, que les places frontières sont insuffisantes pour arrêter en pays de plaines un ennemi entreprenant.
On a vu, en effet, les Autrichiens évacuer leurs places du Tessin, du (page 126) Pô et de l'Adda, dès que l'armée alliée a pris l'offensive. C'est ce qui, en pareil cas, arrivera toujours, contrairement aux prévisions des militaires, de jour en jour moins nombreux, du reste, qui s'imaginent que la crainte de laisser quelques places sans importance sur ses derrières ou sur ses flancs empêchera une armée envahissante de poursuivre ses opérations.
Un petit pays qui ne peut pas avoir plusieurs armées en campagne ressent plus vivement encore qu'un grand pays les défauts de la dispersion des éléments défensifs.. S'il doit occuper un grand nombre de places fortes, son unique armée devient trop faible ou disparaît même complétement.
Mieux vaudrait n'avoir pas de forteresses que d'en avoir un nombre tel, qu'on ne peut les soustraire aux surprises de l'ennemi, ou de les protéger par un noyau suffisant de forces mobiles, eu état de tenir la campagne, car dans ce cas, au lieu de protéger le pays, elles serviraient à consolider la conquête.
Personne dans la commission n'a contesté ces principes, mais personne non plus, en votant pour l'établissement d'une grande position militaire, n'a cru que par ce fait, l'armée serait fatalement liée à son camp retranché, qu'elle perdrait toute liberté d'action, touie influence sur le reste du pays et qu'elle serait, en un mot, condamnée à une défense inerte, stérile et sans gloire. Si la commission avait cru que le projet du gouvernement, basé sur la concentration, devait avoir un tel but, il n'est pas un seul de ses membres qui l'eût adopté, et soyez-en sûrs, messieurs, ce n'est pas moi qui serais venu le présenter et le défendre dans cette enceinte.
Si je ne craignais de vous fatiguer en invoquant l'autorité de faits et de témoignages plus nombreux, il me serait facile de prouver par vingt exemples que les grandes positions stratégiques de la nature de celle qu'il s'agit de créer à Anvers, loin de restreindre l’action offensive d'une armée, rendent cette action plus sûre, plus facile et plus efficace.
Mais il n'est pas nécessaire de faire grand étalage d'érudition militaire pour rendre cette vérité sensible.
Ne semble-t-il pas évident, en effet, qu'une armée qui a sa base d'opération sur une position inexpugnable, où elle pourra se compléter et se réorganiser, aura plus de confiance, plus d'audace et d'initiative, comme le dit Napoléon, dans le document que j'ai cité tout à l'heure qù'une armée, certaine, après un échec, de devoir se disséminer dans plusieurs places, n'étant pas sûre de pouvoir se replier sur aucune et s'exposant par là même à être détruite en détail, comme le fut l'armée prussienne après Iéna et Auerstaedt.
Personne, jë crois, ne pourrait contester une vérité si simple et si frappante.
Dès lors, n'est-il pas évident aussi que l'établissement d'un grand pivot stratégique servant de base d'opération, de base d'approvisionnement et de place de refuge à l'armée belge, augmentera la force impulsive de cette armée, bien loin de la diminuer, et qu'au point de vue militaire, on ne pourra rien faire de plus décisif pour la sûreté du pays ?
S'il était nécessaire d'insister davantage sur ces considérations, je répéterais qu'être éparpillés sur vingt points différents, c'est être faible partout : qu'être réuni au contraire sur un point, ayant derrière soi une bonne base d'opération, un solide point d'appui où seront concentrées toutes nos ressources militaires, tous nos approvisionnements, ïout notre matériel, d'où l'on pourrait déboucher en force pour porter une masse compacte et bien organisée sur le point où son action produira le plus d'effet, c'est être fort sur tous les points, c'est tenir l'ennemi en échec partout où il pourrait se présenter.
Sachez-le bien, messieurs, ce qui causerait la ruine, le déshonneur du pays, ce serait de renfermer, d'éparpiller l'armée dans vingt forteresses qui ont perdu pour la plupart leur importance stratégique, et qui, abandonnées à elles-mêmes, ne pourront opposer à l'ennemi aucun obstacle sérieux.
L'armée dans notre système ne sera pas le seul obstacle que l'ennemi aura à vaincre.
Il saura que derrière elle se trouve une place pourvue d'un armement considérable et qui fournira à l'armée battue le moyen de continuer la lutte dans de meilleures conditions.
Pour faire le siège de cette position, il lui faudra des moyens matériels dont la réunion nécessitera des dépenses inouïes, des efforts très longs et toutes les ressources dont disposent, seules, les puissances militaires de premier ordre.
Voilà la vérité sur les principes défensifs que la commission a adoptés.
Ces principes prévalent partout aujourd'hui et il n'est pas une puissance qui ne cherche à substituer à quelques-unes de ses petites places, de grandes positions défensives pouvant servir de pivot ou de place de refuge à une armée en campagne.
î.es camps retranchés de Hintz, d'Ulm, de Vérone, de Coblentz, d'Alexandrie, de Gênes et de Paris ont été construits dans ce but.
Voilà la vérité sur les principes de la défense des Etats.
Ce sont ces principes que je soutiens et que je défends depuis 15 ans. C'est parce que j'ai toujours été imbu de ces idées, pénétré de ces principes, que dès mon entrée au ministère en 1847, il y a 12 ans, j'ai nommé une commission pour les faire prévaloir, que j'ai fait décréter l'établissement d'un grand camp retranché en avant d'Anvers ; c'est dans le même but, que le premier, et je m'en fais honneur, j'ai fait démolir quelques-unes de nos trop nombreuses places fortes.
Ce sont les principes qui ont toujours dirigé les plus illustres généraux et contre lesquels s'élèveront en vain, je l'espère, l'ignorance et de vulgaires préjugés.
Si ces funestes préjugés devaient l'emporter, voyez quelle serait la position de l'armée.
Elle serait condamnée au plus déplorable et au plus pénible rôle, celui de ne pouvoir défendre efficacement son pays. Et si jamais nous sommes soumis à une grande épreuve, si nous avons à lutter pour notre défense, on nous reprochera peut-être d'avoir manqué de l'intelligence et même du courage nécessaire pour conjurer le danger, et on rendra l'armée responsable des malheurs qu'on rend inévitables !
Et ceux qui lui jetteront les premiers la pierre, seront peut-être ceux qui veulent la réduire à l'impuissance.
Reportez vos regards en arrière de quelques années.
Rappelez-vous 1831. Voyez les résultats du système de la dissémination des forces.
Vous aviez une armée, jeune il est vrai, dont l'organisation laissait à désirer, je le reconnais, mais qui brillait par son ardeur, son patriotisme et son courage ; au lieu de réunir, de concentrer cette armée, de la tenir compacte dans une bonne position, on l'avait disséminée sur plusieurs ponts de la frontière menacée.
Un corps était dans les Flandres, un corps commandé par le général Tiecken de Terhove était à Turnhout, un corps commandé par le général Daine était entre Hasselt et Maeseyck.
Cette dissémination fut cause de notre défaite. Le prince d'Orange n'eut qu'à se jeter entre les deux armées de Tiecken et de Daine avec son armée compacte, concentrée, pour rejeter Daine en désordre sur Liège et forcer Tiecken à la retraite.
Vous ne voudrez pas, messieurs, qu'un pareil désastre puisse se renouveler.
Vous voudrez que l'armée nationale puisse engager et soutenir honorablement la lutte par elle-même.
(page 127) La commission s'étant prononcée à l'unanimité pour l'adoption du système défensif concentrique, il restait à décider quel point serait choisi comme base de la défense nationale. Les opinions étaient partagées sur cette question : Liège, Namur, Bruxelles, Anvers, Ostende, avaient depuis longtemps trouvé des défenseurs dans l'armée et dans le public. Au point de vue stratégique et dans certaines hypothèses politiques, Liège et Namur offraient des avantages, mais ces avantages peu importants étaient loin de compenser les inconvénients attachés au choix de ces positions. Aussi ne furent-elles préconisées par aucun membre de la commission.
L'idée de baser la défense nationale sur Ostende fut également rejetée à l'unanimité, sans discussion.
Restait à examiner les deux points de Bruxelles et d'Anvers et à désigner celui des deux qui offre le plus d'avantages.
La commission, après une discussion longue et approfondie, s'est prononcée pour Anvers. Des considérations puissantes ont déterminé ce choix.
Je vis les exposer sommairement :
En se plaçant au point de vue politique et même au point de vue théorique absolu, on comprend jusqu'à un certain point que l'idée de fortifier Bruxelles ait séduit quelques bons esprits. Mais si l'on envisage la question sous son côté pratique, on reconnaît bientôt l'impossibilité de réaliser cette idée.
Les partisans du système qui consiste à placer la base de la défense nationale à Bruxelles, fortifié, sont surtout frappés de l'importance politique que présente la capitale. Cette importance est réelle, mais il ne faut pas l'exagérer.
Peu de pays ont une centralisation telle, que l'abandon ou la perte de leur capitale entraîne nécessairement la fin de la résistance nationale. Vingt exemples historiques en font foi.
L'influence politique de Bruxelles n'est pas supérieure, du reste, à celle de la plupart des capitales européennes, puisque cette influence est toute récente et que dans les siècles précédents, Liège, Gand, Bruges et Anvers ont joué quelquefois un rôle plus important.
On peut même dire, l'histoire à la main, que la véritable capitale militaire du pays, en temps de guerre, est Anvers. A toutes les époques de son existence, en effet, celle ville a été et devait être la place forte par excellence de nos provinces. C'est l'immuable loi de sa position topographique.
Lorsque en 1568, le duc d'Albe voulut créer à la domination espagnole un refuge inexpugnable, il fortifia Anvers. En 1584, c'est sous les murs d'Anvers, devenu le siège des États Généraux, que Marnix de Sainte-Aldegonde arrêta, pendant treize mois, Alexandre Farnèse, le célèbre lieutenant de Philippe II.
Au commencement de ce siècle, Anvers devenu tout à la fois port commercial et port militaire, fut le principal objectif des ennemis de l'Emi re. L'expédition de1809 en fait foi.
Lorsqu'on examine la question de la fortification des capitales au point de vue militaire, on est amené à faire une distinction qui exclut l'idée de l'application uniforme du même principe à tous les Etats.
Si la capitale d'un grand Etat est située vers le centre du pays, si elle est couverte par une frontière naturelle, une chaîne de montagnes, un grans fleuve dont les débouchés et les passages sont fortifiés, ou par une frontière artificielle composée d'une ou plusieurs lignes de forteresses, il y a souvent avantage à entourer cette capitale de remparts. Alors elle peut être abandonnée à elle-même avec une simple garnison et l'armée active, acquiert ainsi une plus grande indépendance d'action, n'étant plus obligée de subordonner ses manœuvres à l'obligation absolue de la protéger et de la couvrir ; si l'ennemi parvient à forcer la frontière et même à battre l'armée active, il n'a atteint qu'un résultat incomplet parce qu'il est obligé, pour porter le coup décisif, de marcher en force, méthodiquement, pendant de longues étapes, traînant après lui l'immense et pondéreux matériel nécessaire à un long et grand siège ; l'armée nationale, si elle a été battue à la frontière, peut se rallier et se reformer dans ou derrière la capitale. Libre de ses mouvements, elle peut tenir la campagne, manœuvrer sur les flancs, sur les derrières de l'ennemi, intercepter ses communications et le forcer, par cela même, à se créer, de distance en distance, des points d'appui et de soutien qui l'affaiblissent et nécessitent de si formidables moyens, qu'ils sont au-dessus des forces et de la puissance des plus grands Etats militaires de l'Europe.
Si Paris avait été fortifié en 1814, la coalition européenne n'aurait peut-être pas réussi à abattre Napoléon.
Si Vienne, Berlin et Moscou eussent eu des remparts, Napoléon n'aurait pas pu, après un premier succès, voler à tire-d'aile vers ces capitales, de crainte de se heurter contre leurs murs.
Il aurait dû changer ses combinaisons et nous n'aurions probablement pas eu le spectacle de ces grands coups de foudre qui ont étonné le monde. Cela est si vrai qu'au début de sa carrière. Napoléon voulut franchir la frontière naturelle de la Syrie qu'il espérait surprendre par la rapidité de ses mouvements.
Il ne pouvait traîner après lui son matériel de siège à travers le désert qui assure à ce pays la plus forte de toutes les frontières naturelles, et il vint échouer, malgré son génie, sa jeunesse, son ambition, malgré l'héroïsme des Lannes, des Junot, des Murat, des Kléber et de toute cette phalange des plus vigoureux et des plus habiles généraux, commandant aux plus vailllants soldats du monde, il vint échouer devant St Jean-d'Acre, bicoque fortifiée, défendue par un homme de cœur, à la tête de quelques barbares.
Ce sont sans doute ces faits, mal appréciés, mal interprétés, qui ont engagé quelques militaires à formuler le principe, absolu jusqu'à l'exagération, que la capitale d'un Etat doit toujours être fortifiée, sans tenir compte de l’emplacement de cette capitale, de la topographie du pays, de sa puissance militaire, de ses ressources financières, de sa constitution politique.
Lorsque la capitale est très rapprochée des frontières, lorsqu'elle n'en est surtout qu'à deux ou trois marches ; lorsque le pays n'a pas de frontières naturelles et a trop peu de ressources et de moyens militaires pour se créer une frontière artificielle de quelque valeur ; lorsque le pays est petit et n'a, par conséquent, qu'une seule armée, d'une force très limitée, à mettre en ligne ; lorsqu'il est environné de voisins beaucoup plus puissants que lui, la fortification de la capitale ne présente plus aucun des avantages que nous avons reconnus dans le cas précédent ; elle peut même donner lieu à de graves inconvénients si le pays a besoin du concours de l'étranger pour faire une résistance de longue durée, et si la capitale est située de telle sorte qu'elle puisse être tournée, privée des ressources sur lesquelles elle doit compter pour nourrir ses habitants et l'armée, coupée enfin de ses communications avec les pays dont les secours lui sont nécessaires.
Pour défendre le royaume lombardo-vénitien, les Autrichiens ont-ils fortifié Milan, qui n'est, comme Bruxelles, qu'à deux ou trois marches de la frontière la plus menacée ? C'est plus en arrière, c'est à Vérone qu'ils ont placé leur base d'opération ; c'est dans cette grande place, traversée par un fleuve, couverte par une rivière dont les passages sont gardés, qu’ils ont établi leur grand camp retranché, leurs dépôt, leurs magasins, concentré leurs moyens d'action et de défense.
C'est dans cette place qui peut être secourue par les routes du Tyrol, de Bassano, de la Carniole et par deux chemins de fer, dans cette place qui ne peut être cernée ou tournée que très difficilement et avec des moyens immenses et le concours d'une puissante marine qui agirait par l'Adriatique, c'est dans cette place qu'ils ont établi le siège de leur puissance militaire en Italie. Qu'est-il résulté de là ? C'est qu'en 1848, lorsque les Piémontais sont entrés à Ml an après avoir repoussé l'armée autrichienne, celle-ci s'est repliée sur son camp retranché de Vérone, s'y est réorganisée, y a reçu des renforts et a pu bientôt après reprendre l'offensive et reconquérir Milan.
Les Piémontais de leur côté, instruits par les désastres de la campagne de 1849, ont-ils fortifié Turin, ont-ils établi leur base d'opération, le siège de leur puissance militaire dans cette capitale ? Non ; ils ont été mieux inspirés ; ils ont tenu compte de la situation topographique du pays et c'est à Alexandrie qu'ils ont établi la base de leur système comme l'avait fait Napoléon en 1805 quand la Sardaigne était une possession française.
Cette place, située sur le flanc d'une armée qui s'avance du Tessin vers Turin, défend mieux la capitale que les murs dont on aurait pu l'entourer. On vient d'en avoir la preuve, car elle a suffi pour arrêter la marche des Autrichiens dans la campagne actuelle.
Si nous examinons la position particulière de la Belgique, nous voyons qu'elle se trouve dans les conditions les plus défavorables sous tous les rapports pour fortifier la capitale.
La Belgique n'a pas de frontières naturelles. Elle s'était créé en 1815, comme j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure, une frontière artificielle destinée à servir de barrière contre la France et de base d'opération aux alliés qui, en vêtu de traités particuliers, devaient concourir à la défense du royaume des Pays-Bas.
Cette ligne frontière, par les considérations que j'ai exposées plus haut, perdit toute sa valeur défensive quand le démembrement du pays en deux royaumes séparés, la dissolution des traités d'alliance et la neutralité qui nous a été imposée, eurent réduit de plus de motié les forces, les ressources militaires et financières, nécessaires à la garde, a la défense, à l'entretien, à l'armement et aux approvisionnements des nombreuses places de guerre dont elle se composait.
Depuis lors, il est malheureusement vrai que l'armée de toute grande puissance venant nous attaquer, pourra traverser impunément nos frontières sans être arrêtée par nos places fortes annihilées, ou par nos cours d'eau rendus partout guéables. Elle pourrait franchir en quelques étapes l'intervalle qui sépare la frontière de la capitale et commencer aussitôt l'investissement de cette dernière. Elle pourrait en même temps lancer dans le pays, par toutes les ouvertures pratiquées depuis 1830, des colonnes mobiles pour s'opposer à la concentration de l'armée disséminée, fractionnée en petits détachements sur toute l'étendue d'un territoire qui a le désavantage d'être très large et peu profond. Cette configuration du pays rendra très difficile, en présence d'un ennemi actif, la concentration de l'armée sur Bruxelles et plus difficile encore la rentrée à leurs corps des permissionnaires isolés.
(page 128) Pour donner quelque valeur à la capitale fortifiée, il faudrait donc la couvrir d'une frontière qui pût empêcher tout investissement rapide, nous donner le temps de concentrer sous ses murs notre armée active et nos réserves, et de compléter les approvisionnements ; or, chacun reconnaît que cela n'est pas possible.
On dira sans doute : Mais Paris, la plus populeuse des cités, Paris, dix fois plus grand que Bruxelles, est fortifié, et on a bien su trouver le moyen de pourvoir à tous les besoins des habitants, en cas de siège. Pourquoi ne pourrait-on pas faire pour Bruxelles ce qu'on a fait pour Paris ? Par une raison bien simple, c'est qu'il n'y a aucune similitude entre la situation de ces deux villes.
Paris n'est pas à trois journées de marche des frontières. Il ne peut donc jamais être attaqué subitement. Paris est couvert par des frontières faciles à défendre.
Paris est la capitale d'une puissante nation militaire qui dispose de plus d'une armée et qu'on ne pourra pas réduire en une seule campagne. Il a fallu quinze ans de guerre, d'entreprises inouïes pour l'épuiser et amener la coalition européenne sous les murs de Paris.
Paris n'a donc pas besoin d'être approvisionné d'avance et en tout temps. Il ne doit songer à faire ses approvisionnements de guerre que, lorsqu'à la suite de graves revers à la frontière, il prévoira que l'ennemi peut s'avancer jusqu'au cœur de la France.
Paris a un si vaste développement, une si grande circonférence, qu'il ne pourra jamais être cerné ni bloqué. Il conservera toujours des communications avec le dehors.
Paris, traversé par un grand fleuve, en retire d'immenses avantages défensifs et d'immenses facilités d'approvisionnements. L'armée qui viendra l'attaquer, quelque puissante qu'elle soit, ne pourra jamais occuper en force les deux rives de la Seine, et si, par exception, elle était assez forte pour atteindre ce but, elle éprouverait des difficultés insurmontables pour nourrir tant d'hommes et de chevaux accumulés sur un seul point et dans un pays que les approvisionnements de la capitale et l'armée française, en se retirant, auront épuisé.
Bruxelles a-t-il un seul de ces avantages ?
Il peut être attaqué en quelques jours ; il ne reçoit aucune protection de la frontière.
Il peut être, sinon hermétiquement bloqué, au moins privé de ses principales ressources et coupé de ses lignes de communications les plus importantes. L'ennemi, maître de la campagne, enlèvera tous les vivres, et se jettera en force sur les convois venant de l'extérieur.
La Senne, qui traverse Bruxelles, n'est pas assez importante pour favoriser le ravitaillement, contribuer à la défense, diviser les forces de l'ennemi et rendre certaines parties de l'enceinte inattaquables.
Il faut donc que la forteresse qui doit être la sauvegarde d'une natidium, le palladium de son indépendance, soit située de manière à pouvoir conserver des communications avec le dehors.
La commission a mûrement examiné cette question en se plaçant dans toutes les hypothèses d'invasion et elle a reconnu que la position d'Anvers est de beaucoup préférable à la position de Bruxelles dans toutes les éventualités.
Elle a reconnu aussi qu'alors même qu'on fortifierait Bruxelles, la place d'Anvers serait indispensable pour favoriser, dans certaines éventualités, l’arrivée des secours de toute nature qui pourraient nous venir par mer.
Anvers offre encore ces avantages sur Bruxelles qu'il n'a rien d'agressif pour aucune puissance. L'Angleterre seule pourrait considérer cette position comme agressive si nous étions destinés à devenir un jour une puissante nation maritime. Mais il me semble que nous sommes loin de marcher vers ce but, si je considère l'état actuel de notre marine.
Anvers est couvert par une ligne de rivières favorables à une défense successive ; la concentration de l'armée y est assurée ; c'est en outre le seul point où nos permissionnaires, reculant devant l'invasion, de quelque côté qu'elle arrive, pourront, grâce à la configuration du territoire, se porter avec sécurité.
Anvers, principal port de commerce du nord de l’Europe, possède en tout temps.de vastes approvisionnements en grains, riz, denrées coloniales, vins, spiritueux, huiles, cuirs, toiles, fers, bois de construction et tout ce qui est non seulement nécessaire à l'alimentation et à tous les besoins d'une population nombreuse et d'une armée, mais encore aux besoins d'une défense énergique et prolongée.
Anvers est en communication avec la mer et avec la Hollande par l'Escaut et par les polders inondés, et c'est un immense avantage qui milite peut-être plus que tous les autres en faveur de cette ville pour devenir le siège de la défense nationale.
Loin que l'Escaut et les terrains inondés facilitent le blocus de la position, ainsi qu'on l'a prétendur, ils rendront, au contraire, toute opération de ce genre impossible. Ce ne sont pas, en effet, quelques batteries établies sur les digues, en supposant que l'ennemi ait pu s'en emparer, qui empêcheront une flotte de ravitailler la place.
En résumé les considérations que je viens de présenter et beaucoup d'autres qu il est inutile d'invoquer, me font croire que le choix entre Bruxelles et Anvers pour asseoir la base de notre système de défense, ne saurait être douteux et que tous ceux qui examineront sérieusement la question, n'hésiteront pas à se prononcer en faveur d'Anvers.
M. Orts. - La Chambre se souvient que la commission de vérification des pouvoirs des membres élus par l'arrondissement de Liège avait proposé l'ajournement de l'admission de M. Koeler jusqu'à ce qu'il eût produit son acte de naissance. Cet acte de naissance nous est parvenu aujourd'hui ; il en résulte que M. Koeler est parfaitement Belge et qu'il a plus de 25 ans. Nous proposons en conséquence de l'admettre comme membre de la Chambre.
- Ces conclusions sont adoptées.
La séance est levée à 5 heures.