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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 15 juillet 1859

Séance du 15 juillet 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)

(page 17) (Présidence de M. Dautrebande, doyen d'âge

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Gottal fait l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Montpellier lit le procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Vérification des pouvoirs

Discussion du rapport de la commission d’enquête sur les élections législatives de l’arrondissement de Louvain

M. de Theux. - Messieurs, j'ai à vous présenter, sur la pétition et sur le rapport de la commission, une observation préliminaire qui me semble dominer tout le débat.

Les pétitionnaires libéraux semblent avoir pour but de donner à leurs adhérents un permis de moralité et aux nôtres un permis d'immoralité. Ceci nous remet en mémoire la parabole de la poutre et de la paille dune part, et d'autre part à la spirituelle allégorie du, bon Lafontaine dans la fable : Les Animaux malades de la peste. Nous croyons pouvoir faire à nos adversaires, pour légitime défense, l'application directe de cette parabole et de cette fable.

La petite majorité, dit-on, obtenue par nos amis est due à des influences illégales. C'est une assertion dénuée de preuves et nous pourrions à tout aussi bon droit dire que la grande minorité obtenue par nos adversaires est due à des manœuvres illégales.

J'ai été très étonné, non de la part des pétitionnaires, mais de la part de la majorité de la Chambre, de voir alléguer que dans la discussion du mois d'avril dernier sur la réformée électorale,,on avait condamné unanimement comme indignes, comme illégales, les. dépenses électorales. D'abord, messieurs, le fait est complètement inexact, et je le prouverai le Moniteur à la main.

Qu'il me soit permis, messieurs, de vous soumettre une simple réflexion. Si ces dépenses sont immorales, illégales, vous condamnez tous les candidats aux deux Chambres, depuis 1831 jusqu’aujourd’hui, car presque tous ont dû avoir recours à des dépenses électorales, plus ou moins considérables ; vous flétrissez le corps électoral de la Belgique qui a fonctionné depuis plus de 25 ans.

Quel électeur se croirait déshonoré pour avoir accepté le transport gratuit, pour avoir accepté un dîner à la suite d'une élection ? On ne crée pas ainsi l'immoralité arbitrairement ; l'immoralité ne résulte que de la nature, de l’essence des faits ; elle ne résulte pas d'une appréciation politique passionnée.

Mais voyous cette fameuse discussion du mois d'avril.

Je commence par un discours de M. le ministre de l'intérieur. J'y lis ce qui suit :

« Maintenant on parle.de la dépense.

« Il s'est introduit une habitude qui, à ce qu'il paraît, grandit d'année en année dans certains districts et constitue un des abus les plus regrettables. »

(Certes, nous désirons tons que les dépenses électorales puissent être diminuées.)

« C'est celui d'indemniser l'électeur, sinon directement, au moins indirectement nu lui donnant le moyen de se restaurer. Eh bien, cela est un inconvénient. »

(M. le ministre de l'intérieur s'est bien gardé de dire que ce fait constituait une immoralité.)

« Il faudrait chercher à épargner aux candidats, surtout à ceux qui ne sont pas riches, ces frais qui deviendront inabordables, s'ils doivent aller grossissant.

« Mais est-ce que la réforme, considérée, par ce seul côté (et hors de là elle n'a pas de raison d'être), est-ce que la réforme proposée par l’honorable M. Malou et l’honorable M. de Theux, obviera à cet inconvénient ? Est-ce que, quand les électeurs voteront dans vingt localités différentes, ou se croira autorisé à ne plus leur donner à boire et à manger ? »

(M. le ministre de l’intérieur reconnaissait que c'est une obligation qui pèsera sur les candidats à tout état de choses.)

« M. Malou, interrompant. - Certainement.

« M le ministre de l'intérieur. Voici ce qui arrivera. Vous faites un très mauvais cadeau aux candidats ; il n'est pas une ménagère qui ne trouve votre calcul très mauvais. Une ménagère trouve beaucoup plus d'économie à réunir ses convives en un seul dîner qu'à donner vingt dîners différents. Or, voici l’opération que vous faites : au lieu d'avoir un banquet sur un seul point, vous aurez des banquets sur vingt points différents. Je crois qu'en bonne économie domestique, le. remède serait pire que le mal ; que vous entraîneriez le candidat à de nouvelles dépenses, beaucoup plus considérables, que celles d’aujourd'hui et qu'à ce point de vue encore votre réforme ne peut se défendre. »

Ce n'est pas tout, messieurs ; nous avons maintenant le discours de M. Devaux. Voici ce que disait l'honorable membre :

« On soutient, il est vrai, que ce n'est pas là ce qu'on a en vue, on a voulu seulement diminuer les frais de transport. Mais si c'est là le but, il n'est pas besoin d'une réforme électorale, pour l'atteindre.

« Si vous trouvez que le transport coûte trop, il y a à cela un remède fort simple, il n'y a qu'à transporter gratis les électeurs par le chemin de fer ; il n'y a qu'à dire au gouvernement de faire organiser des moyens de transport sur les autres voies partout où les électeurs sont à plus de deux lieues du chef-lieu d'arrondissement. Cela coûtera peut-être 50,000 fr. tous les deux ans. Si c’est là ce que vous voulez, il n’est pas besoin pour cela de remuer de fond en comble les lois électorales et d’ériger en principe leur instabilité perpétuelle. »

Plus loin l'honorable député de Bruges plaisante :

« Mais dit-on, ce ne sont pas seulement les frais de transport, ce sont des dîners. Messieurs, les dîners ont tardé à s’introduire ; si vous fractionnez, vous aurez, non pas des dîners aux chefs-lieux d’arrondissement, mais vous aurez, au bout de quelque temps, des dîners dans vous circonscriptions, quelles qu’elles soient. Ne sommes-nous pas la terre classique des kermesse de village ! Il y aura des « kermesses électorales. »

Voilà l'appréciation morale de M. Devaux. Il continue en ces termes :

« J'ai dit un autre jour à que les proportions pourrait se réduire la dépense des dîners, si les associations électorales, les candidats ou leurs patrons le voulaient fermement. Nous savons tous combien il y a en moyenne d’électeurs pour un représentant : 600 ou 700 votants. Il y a deux concurrents pour une place . Les votants se partagent donc entre deux concurrents, combien cela fait-il pour chacun ? 300 ou 400 électeurs à faire dîner. Est-ce ruineux ?

« Dans beaucoup d'arrondissements les habitants du chef-lieu dînent chez eux. Cela réduit encore les frais. Faire dîner 300 ou 400 électeurs, on peut trouver que c'est une dépense qui ne devrait pas se faire, mais enfin ce n'est pas .une dépense ruineuse, et il n'y auras là de quoi crier à la corruption ou au scandale. Ce n'est pas ce qui éloignera un candidat de la représentation nationale.

« Un membre. Et le Champagne ? »

« M. Devaux. - Si l'on fait davantage, ce n'est pas la faute du système électoral, c'est parce qu'on s'est laissé aller à une espèce d'émulation entre concurrents ; on a eu tort et il faut revenir de cet usage. »

Messieurs, en présence de cette sentence terrible de l'honorable député de Bruges, connu par sa haute moralité, je n'hésite pas à le déclarer dans cette enceinte, que devient le rapport de la commission, que devient la pétition de Louvain ? Elle tombe dans le ridicule. Ce n'est pas là ce qui doit éloigner un candidat pour la représentation nationale.

J'ai aussi traité la question, et je lirai ce que j'en ai dit, car il faut bien répondre par des documents officiels à des citations aussi complètement erronées que celles qu'on nous a lancées à la tête.

« On dit : « Vous vous plaignez des frais, auxquels donnent lieu les élections ; avant 1848, on s'en plaignait moins. »

« Cela est exact ; niais il y a pour cela plusieurs bonnes raisons. La pratique de transporter les électeurs et de les défrayer au chef-lieu a pris des proportions très larges. Depuis 1848, le nombre des électeurs est beaucoup plus grand ; malgré les facilités de communication, les dépenses de transport sont bien plus considérables ; les défrayements sont devenus aussi beaucoup plus dispendieux ; et cela se conçoit aisément : le luxe et l'aisance ont fait des progrès ; les électeurs qui, avant 1848, se contentaient d'un char à bancs, doivent avoir aujourd'hui une voiture suspendue et ceux qui, à cette époque, se montraient satisfaits d'un déjeuner, exigent actuellement de bons dîners. »

(J'aurais pu ajouter, : et au préalable un bon déjeuner.)

« Ce sont là aujourd'hui les mœurs électorales, et ces mœurs vous ne les changerez pas. ; vous ne pourriez pas réduire les électeurs à la mince pitance qu’on leur donnait autrefois !

« Les élections sout devenues plus vives ; les électeurs vous disent :

« Vous tenez à ce que votre candidat réussite ; faites-en la dépense, nous, nous sacrifions notre temps ; nous négligeons nos intérêts ; nous supportons des fatigues, mais nous ne voulons pas dépenser de l’argent. »

« Voilà la vérité dans toute sa simplicité. Toutes vos réflexions morales, philosophiques et économiques no changeront rien à cet état de choses. »

J'avais raison d'apprécier ainsi les faits qu'on incrimine aujourd'hui.

« Mais, dit M. le ministre de l'intérieur, au lieu de donner un dîner collectif dans le chef-lieu d'arrondissement, vous serez obligé d'en donner plusieurs, si les élections sont fractionnées. Peu importe, le nombre d’électeurs, n’est-il pas toujours le même ? qu'on les défraye ensemble au chef-lieu ou séparément dans de petites localités, la dépense ne sera-t-elle pas la même ?

« Mais l'objection n'es pas sérieuse ; elle n'a aucun fondement. Dans le système des bureaux à petite circonscription, vous n’avez aucun frais de transport et de déplacement. »

Mais dit votre commission, on a fait un progrès depuis le mois d'avril, on a donné des pièces de 5 francs pour défrayer les électeurs ; on les a invités à les venir prendre ou où les leur a portés à domicile. Voilà un nouveau danger.

(page 18) Pour moi, je n'hésite pas à dire qu'au point de vue de l'économie c'est un progrès véritable. (Interruption.)

Je vais le prouver... un moment je vous prie et j'aurai les rieurs de mon côté. Le calcul n’est pas difficile à faire.

Je tiens que dans une réunion d'amis un député nouvellement élu appartenant à un petit district qui compte environ 600 électeurs a déclaré publiquement que son élection lui avait coûté 15 mille francs quoiqu'il n'eût pas de conçurent.

Vous le voyez c'est un candidat qui a agi d'une manière bien généreuse ; il a payé sa bienvenue dans le corps législatif. Divisez 15 mille par 600, vous aurez 25 francs par électeur. Si donc on a donné 5 fr. à des électeurs, on peut dire que sur chacun de ceux qui ont reçu cette somme, il y a eu une économie de 20 fr. (Interruption.)

Ce n'est pas tout. J'ai encore un petit argument auquel vous ne vous attendez pas ; le voici. Je pense que vous ignorez que dans l'arrondissement de Louvain, depuis longtemps la pratique des dîners électoraux est abandonnée ; voilà ce qui explique l'offre de petites sommes d'argent faite a des électeurs. Il est incontestable que c'est là un système beaucoup plus économique. Cette nouvelle pratique explique toutes les dénonciations qui vous ont été adressées.

Les faits qu'on vous dénonce sont de notoriété publique et se rencontrent dans les deux partis puisque l'un et l'autre ont supprimé les dîners électoraux. Voilà qui explique tous ces faits qui au premier abord ont frappé l'imagination ; c'est une explication toute simple, messieurs : disons-le sans détour, la pétition est faite dans l’intention de fortifier une opinion aux dépens de l'autre et d'aggraver encore l'inégalité, déjà si choquante et si désespérante, qui existe pour une partie de la population. Si vous admettez la jurisprudence de la commission, si vous voulez supprimer les frais d'élection, vous porterez une grave atteinte à la dignité parlementaire, car les électeurs éloignés feront défaut ; les candidats feront également défaut et alors vous en arriverez à avoir une Chambre composée uniquement des représentants d'une seule opinion.

C’est peut-être là le beau idéal ; mais je vous le demande quelle serait la force morale des lois adoptées par un tel parlement ? Le régime représentatif, qui déjà a tant perdu de sa force dans beaucoup de pays, ne serait-il pas mis à néant en Belgique si une loi électorale frappait d'ostracisme une partie notable des électeurs ?

J'ai toujours vu que dans les vérifications de pouvoirs, une majorité considérable ne devait pas se laisser aller à chicaner les élections de la minorité et ne devait pas admettre de pareilles chicanes alors même qu'on l’en solliciterait.

On a cité la circulaire de M. le notaire A Speculo en faveur des candidats conservateurs. Au bas de certains exemplaires, et au-dessous de la signature il est dit : que c

Je ne m'arrêterai pas après cela, messieurs, à la discussion isolée de chacun des faits. Tout s'explique tant par la circulaire de M. le notaire A Speculo que par ce fait capital que, dans l'arrondissement de Louvain, l’usage des dîners électoraux est supprimé. Tout s'explique pai là, et je ne concevrais pas, après ce double fait que je viens de vous exposer, qu'on pût encore hésiter à valider l’élection de Louvain.

On a parlé de corruption. Mais qu'est-ce que c'est que la corruption ? C'est, à coup sûr, la vente d'un suffrage pour un prix donné. Pour établir le crime de corruption, que faut-il ? L’intention de celui qui donne l'argent et le fait de celui qui l’accepte. Et pour annuler l’élection, que faut-il de plus ? Il faut que le vote ail été donné comme conséquence de ce marché immoral.

Or, messieurs, de bonne foi, quelqu'un peut-il dire que le marché ait existé ? Comment ! on a été signaler l'offre d'une pièce de 5 fr. à un boucher d'une grande ville et ce serait là le prix d'une corruption qu'on aurait tenté de pratiquer sur lui. Mais le bon sens se révolte en présence d'une pareille accusation.

J'espère, messieurs, pour l’honneur de mon pays, qu'il n'est pas un seul électeur en Belgique qui, pour une pièce de 5 ou de 10 fr., voulût vendre son vote. Ce serait une véritable honte pour la Belgique qu'une résolution fût prise sur la supposition que des pièces de 5 fr. ou de 10 fr. ont pu déterminer le vote des électeurs, au lieu d’être simplement un défrayement de la dépense de déplacement, frais de voyage et d’auberge.

On vous dit : Vous avez annulé il y a quelques années l'élection de Marche, parce qu'il y avait des bulletins marques. Là on avait violenté la volonté des électeurs. Oui, messieurs, mais il n'y a pas eu de bulletin marqué à Louvain ; nous devons le supposer, car il n’y a pas eu de réclamation. Le procès-verbal ne fait mention d'aucune réclamation du chef de bulletins marqués. S'il y a eu des bulletins marqués, ces bulletins sont couverts par le silence de l’assemblée électorale, et nous n'avons plus le droit d'y revenir. Nous n’avons pas les pièces du procès pour apprécier ces bulletins.

Donc il serait inique de voter l'annulation ou l'ajournement d'une élection sur la supposition seule qu'il y aurait des bulletins marqués. Et ainsi tombe à néant le bulletin d'un locataire de M. Warnan, huissier, et d'une dame de Bruxelles qui exigeait qu'il votât pour le candidat qu’elle recommandait.

Messieurs, vous aurez beau faire, aucune loi possible n'empêchera le propriétaire de demander à son locataire de voter pour le candidat qu'il adopte, et en cas de désaccord d’opinion politique, vous n’avez aucune loi qui puisse empêcher le propriétaire de changer de locataire. Cela n'est pas possible. Ce serait annuler le droit de propriété ; ce serait annuler la liberté des opinions. Si je choisis un locataire, j'ai le droit de choisir un homme qui partage mon opinion politique.

En Hollande, on va plus loin. La constitution a, de temps immémorial, proclamé la liberté des cultes. Cependant il est d'un usage assez général en Hollande que les coreligionnaires s’approvisionnent chez les marchands appartenant à leur culte.

Jamais on n'a considéré ce procédé comme une atteinte portée à la liberté des cultes.

Mais, la loi électorale a sauvegardé la liberté du locataire vis-à-vis de son propriétaire, la liberté du marchand vis-à-vis de sa pratique et voici comment elle s'y est pris et il n'y avait pas d'autre moyen. La loi électorale a déclaré que le vote devait se faire par bulletin secret, elle a déclaré nul tout bulletin dans lequel l'électeur se ferait connaître.

Voilà les garanties que vous avez, les seules garanties que vous ayez, les seules que vous puissiez avoir. Certes, tout le premier, je désirerais que les garanties puissent être tellement complètes. que jamais il ne fût possible de faire une marque quelconque à un bulletin qui pût faire connaître le votant.

Je me suis très souvent élevé contre les bulletins marqués ; plusieurs fois ils ont été employés contre moi et jamais ils n’ont été employés par moi. Mais autre chose est la pratique libérale d'un propriétaire et autre chose est son strict droit. Vous n'avez le droit d'annuler que les bulletins marqués. Votre droit ne va pas au-delà.

Il faut bien le reconnaître, les élections sont une source de divisions entre parents, entre amis et une cause de rupture de relations entre personnes étrangères l’une à l'autre ; c'est là un mal que nous devons regretter, mais qu'il ne nous appartient pas d'empêcher.

D'autre part, il faut le dire, heureusement il y a aussi une compensation ; les élections sont une source de bons rapports entre amis politiques, de dévouements et de services. A ce tire, il y a, je le répète, des compensations au mal des divisions malheureusement trop profondes que le système électoral amène dans tous les pays soumis à ce régime.

Maintenant, messieurs il y a un autre grief ; les imputations adressées à M. de Luesemans. ! Dans un écrit, on a dit que M. de Luesemans était disposé à voter les fortifications d’Anvers.

Mais le candidat pouvait à cet égard s'expliquer s'il le trouvait à propos, si auprès de certains électeurs ce pouvait être un grief, auprès d'autres électeurs ce pouvait être aussi un titre à leur vote. D'ailleurs, on pouvait à cet égard se prévaloir des votes émis en 1857. Je crois donc que ce grief n'a aucun caractère sérieux.

Un deuxième grief a été impute à M. de Luesemans, bourgmestre de Louvain, c'est de n'avoir pas empêché suffisamment le maraudage dans les campagnes dépendantes du territoire de la ville. Ce fait est vrai ou il ne l'est pas, je l'ignore, je n’ai pas à m'en occuper, mais si le fut est vrai à Louvain, il l'est encore malheureusement dans d'autres localités, dans d'autres villes qui négligent un peu le territoire extra muros ; même dans les communes rurales nous avons souvent été témoins des plaintes de cette nature.

Mais, messieurs, y avait-il là de quoi se révolter, de quoi saisir la police, de quoi faire des visites domiciliaires ? Je ne le pense pas. Je ne pense pas que notre régme politique comporte cela.

On a dit : « M. de Luesemans a été accusé d'être le provocateur de la visite domiciliaire. » Nous n'en savons rien, aucun acte ne le constate, mais il y a eu plainte de M. de Luesemans à l'égard de cet article. Cette plainte pourra avoir son cours ; je n’hésite pas à dire que si pour des articles de cette nature, des visites domiciliaires doivent être faites chez MM. les éditeurs de journaux, quant à moi, je préférerais le régime de la censure préalable ou le régime des avertissements que je trouverais beaucoup plus doux.

Nous avons vu des milliers d'articles de ce genre et bien plus graves, il aurait donc fallu que le domicile des journalistes fût constamment violé, leur famille troublée, que le journaliste fût dans l’impossibilité d'avoir des relations avec qui que ce soit, parce qu'on craindrait que la moindre lettre à eux adressée ne tombât entre les mains de la pol.ee.

El ce serait là le régime libéral que le Congrès aurait voulu instituer ! Une telle pense était certes bien loin du l’esprit de cette honorable assemblée.

Je conçois les descentes judiciaires dans les circonstances graves, quand un crime a été commis ; mais je ne les conçois pas quand il s'agit d’objets de cette nature.

Je n'ai pas à rechercher si la visite était légale, mais je dis que des visites de cette nature sont essentiellement incompatibles avec le régime (page 19) de la publicité et de la liberté de la presse. Si on les pratiquait seulement pendant une année, je crois qu’il n’y a pas un seul membre de la Chambre qui ne demandât la réforme du Code d’instruction criminelle si c’était en vertu de ce Code que ces visites auraient eu lieu.

Enfin, messieurs, on conclut à l’enquête, mais quelle enquête ? Je me le demande, et je ne la comprends pas dans le cas actuel, portant sur des faits de la nature de ceux qui ont été indiqués. L'enquête, dans ces circonstances, serait une enquête essentiellement politique, dépourvue de toute valeur morale.

Je le déclare, d'avance, le résultat de l'enquête m'est indifférent si elle doit avoir un caractère politique, mais le résultat de l'enquête pourrait être de donner le secret des votes, car pour être concluant, il faudra arriver à constater que l'auteur a voté dans le sens de la contrainte morale qu'on prétend avoir été exercée sur lui, que l'électeur a voté pour les candidats à lui recommandés par les personnes qui lui ont donné une pièce de 5 francs, que ce don n'était pas fait pour le défrayer, mais pour acheter son vote.

Vous allez donc interroger l'électeur sur son vote, car s'il n'a tenu aucun compte de la pièce qui lui a été remise, où est le motif d’annuler les élections ?

Ce sont en réalité les frais de déplacement qu'il a reçus, il a voté librement. Il se peut que par égard pour la personne qui lui offrait la pièce de 5 francs il ne l'ait pas refusée, se réservant de le donner à un indigent et de voter librement, sans s'exposer au mauvais vouloir de qui que ce fût.

Enfin, l'ajournement de l'élection de Louvain, conséquence naturelle de l'enquête, sera de priver l'arrondissement de Louvain du droit de prendre part au vote des lois importantes qui doivent nous être soumises.

La vérification des pouvoirs n'a lieu qu'à la session ordinaire, et que l'élection soit annulée, il résulterait de là une seconde conséquence, c'est qu'on arriverait à un second 10 décembre pour la nouvelle élection, avec accompagnement possible d'un ballottage et de toutes les scènes de désordre qui ont accompagné l'élection de 1857.

Messieurs, je termine par une considération que j’aurai souvent l'honneur de rappeler ; je crois qu'il est nécessaire que nous remontions un peu le courant de nos rétroactes, que nous nous inspirions un peu plus de l'esprit du congrès national ; soyons un peu plus larges dans nos discussions et dans nos appréciations ; ne nous arrêtons pas à ce que j'appellerai des débats mesquins ; élevons-nous à la hauteur du congrès national ; nous acquerrons ai si des titres sérieux à l'estime publique et nous aiderons à consolider de plus en plus le régime représentatif.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, j'ai hésité quelque temps à prendre la parole, parce qu'il s’agit de décréter une enquête sur les élections de Louvain, et que je ne suis pas habitué à enfoncer des portes ouvertes. Or, messieurs, il me semble que la porte par laquelle nous devons entrer n'est pas fortement fermée. Hier, on lui a donné, dans une autre enceinte, un coup qui nous en rend l'accès assez facile. D'ailleurs on peut dire : Où passe le Sénat, la Chambre peut passer.

Mais, messieurs, il ne s'agit pas d'avoir la force de faire, il faut avoir le droit de faire : eh bien, nous devons expliquer au pays que nous avons le droit et le devoir de décréter cette enquête.

Si j'ai bien compris l'honorable M. de Theux, il vient de parler de questions de chicane, de questions mesquines.

A mes yeux, la question qui nous est soumise n'est pas une question de chicane, une question mesquine ; c'est une question très importante : elle l'est du moins pour moi. Car je n'ai pas attendu jusqu'à ce jour pour parler des abus qui se commettent dans les élections.

A l'occasion de la proposition concernant l'ordre alphabétique, j'ai déjà signalé d'autres abus ; j'ai dit que, tôt ou tard, ou arriverait à devoir réprimer ces abus par une loi. Et voilà que, quelque temps après, des abus nombreux semblent s'être produits ; et, en ce moment, nous sommes saisis formellement d'une plainte, et il me semble que si jamais plainte a été sérieuse, c’est celle-ci. Elle nous est adressée par des personnes très respectables ; on nous indique des faits précis, on nous cite des témoins. Je ne sais si nous pourrions jamais être saisis d'une plainte plus légitime et plus régulière.

Messieurs, ce n'est pas une affaire de parti, c'est une affaire d'intérêt parlementaire qui nous est soumise, il s’agit de savoir si nous voulons maintenir à nos élections la pureté et la sincérité nécessaires.

Il ne faut pas perdre de vue que nous avons des bases électorales très démocratiques. On peut être élu sans payer aucun cens, et nous appelons à participer aux élections des personnes qui payent un cens très minime : c’est ce qu'on nomme les petits électeurs.

Si les élections deviennent de plus en plus coûteuses, qu'arrivera-t-il ? Avec les abus existants, il faut déjà une clef d'argent à beaucoup de ceux qui entrent dans cette enceinte ; mais si outre ces frais, que j’ai toujours blâmes, il faut encore donner de l'argent sur la main, une clef d'or deviendra nécessaire pour ouvrir la porte du parlement ; et alors, l’élection sera le partage, non du plus méritant, mais du plus riche.

Une autre considération, sur laquelle j'appelle votre attention, c'est que pour les petits électeurs, dont je viens de parler, une modique somme pourrait suffire pour les engager à voter pour tel ou ici candidat, ou à s'abstenir. Dans les faits cités, on nous dit qu'on a donné de l'argent ; mais nous ne savons pas si cet argent a été donné, eu sus des dîners...

M. Rodenbach. - Il n'y a pas de dîners à Louvain.

M. E. Vandenpeereboom. - Il peut y en avoir eu ; et on m'a même dit qu'il y en avait encore.

Je dis donc que de l'argent a été donné sur la main : est-ce de l'argent donné pour ne pas voter, ou pour voter de telle ou telle manière ; est-ce de l’argent donné en sus du dîner ? Ces faits méritent notre attention ; et demandent à être éclaircis.

Messieurs, un autre fait d'une nature toute spéciale, c'est le caractère des personnes qui sont intervenues dans ces manœuvres que je qualifie de mauvaises. Ainsi, on nous cite plusieurs membres du clergé comme ayant fait remise d'argent. Voilà encore une fois le clergé qui se serait mis en scène, d'une manière fâcheuse pour lui et pour la religion.

Le clergé a commencé par intervenir dans nos élections par des mandements ; on ne fait plus de mandements ; on ne fait plus intervenir l'exercice du culte ; du moins on ne le fait plus intervenir aussi directement. Aujourd'hui, on vient avec de l'argent en main ; on en offre aux électeurs. Mais si le clergé, qui obtient si facilement de l'argent, va employer ce nerf de la guerre, il nous faudra renoncer à combattre, puisqu'il y aurait à lutter contre les armes du temple et les armes de la bourse, réunies dans les mêmes mains.

Je lis dans la note de l’honorable M. Dechamps, ou de la minorité de la commission - je dis l’honorable M. Dechamps, parce que je suppose qu'il a pris part à sa rédaction ; je lis que les associations libérales permanentes ont de fortes sommes en caisse et toujours disponibles.

Je dois avouer que je ne sais pas si les caisses libérales ont des fonds disponibles, si jamais elles en ont eu beaucoup : s'il existe de ces caisses, j'estime qu'elles sont souvent remplies de toiles d’araignées, mais j’ai souvenance de la création d'une grande association, qu'on nommait, je crois, association nationale. Cette association était d'une nature tellement permanente, qu'elle a créé des actions qui devaient durer 40 ans ; les unes donnaient un intérêt de 2 ou de 2 1/2 p. c. ; il y en avait d'autres dont on recevait l'intérêt dans l’autre monde.

Il faut bien le dire, les libéraux ont moins d'avantages que leurs adversaires, pour battre monnaie ; ils n'ont que la foi politique, pour exciter la charité politique ; ils invoquent des intérêts civiques, et non pas des intérêts religieux.

Quand quelqu'un prête aux libéraux, c'est à fonds perdu ; il n'espère en tirer aucun intérêt, ni dans ce monde, ni dans l'autre. Si l’honorable M. Dechamps le désire, je m'engage à faire opérer l'échange de l'avoir de toutes les caisses libérales du pays, contre le seul encaisse du trésor de la rue aux Laines.

Messieurs, j'en reviens au caractère des personnages qui sont intervenus.

Nous n'avons rien à voir à la simonie religieuse ; pour nous libéraux, il n y a qu'une manière de l'empêcher, c'est de ne pas acheter les choses saintes qu'on devrait nous donner pour rien et qu'on nous offre à prix d'argent.

Mais ce que nous devons et pouvons empêcher, c'est la simonie politique, c'est-à-dire qu'un prêtre ou tout autre habitant vienne donner de l’argent pour des fails civils, pour des actes de citoyen, pour l'exercice d'un droit politique. Que reste-t-il à faire dans cette position ? En présence des faits articulés, avec preuves à l'appui, je défie la Chambre d’admettre les candidats. Veut-on annuler immédiatement l'élection, ou mieux, puisque des faits graves sont allégués, faire une instruction ?

Mais, dit-on, - c'est encore la note de la minorité qui nous le dit ; - s'il y a des coupables, la justice est là ; l'article 113 du Code pénal est là. Je dois rencontrer ici une objection de M. de Theux ; si une personne a donné de l’argent à un électeur, et que cet électeur n'ait pas voté dans le sens dans lequel on voulait qu'il votât, il n’y aura pas, dit-on, délit ni élection nulle. C’est une erreur, c'est là un fait punissable et ce peut être un cas de nullité. Car c'est toujours un fait punissable aux yeux de la loi.

La loi porte : Tout citoyen qui aura, dans les élections, acheté ou vendu un suffrage à un prix quelconque, sera puni, etc. ; elle ne dit pas « livré », il ne faut pas, pour qu'il y ait délit, qu'il y ait livraison, mais seulement vente et achat.

On dit donc : s'il y a des faits punissables, le procureur du roi est là ; qu'on lui adresse une plainte ; si elle est fondée, une condamnation sera prononcée. Dans ce cas, la justice pourra être satisfais, mais le régime parlementaire ne le sera pas. Une ou plusieurs personnes pourront être interdites des droits de citoyen et de toute fonction ou emploi public, cela n'empêchera pas qu'il y ait une mauvaise élection, dont nous devons nous occuper et nous occuper très sérieusement.

On dit : Vous voulez avoir recours à une enquête parlementaire ; c'est une chose extraordinaire. La Constitution porte à l'article 40 : « Chaque Chambre a le droit d'enquête. » L'objet et la forme de cette enquête ne sont point déterminés ; c'est un droit absolu.

(page 20) Je dois relever ici ce qu'on dit dans la note de la minorité de la commission, à savoir qu'une seule enquête a été ordonnée depuis 1836. C'est une erreur, il y en a en deux.

M. B. Dumortier. - Trois.

M. E. Vandenpeereboom. - Je dis deux. En 1840, il y a eu une enquête commerciale et, en 1845, l'enquête sur le tunnel de Cumptich.

Dans ce dernier cas, il s'agissait du trésor public et de la vie des citoyens.

Il s’agit, maintenant, du trésor parlementaire, de la vie parlementaire ; car le régime représentatif a sa source dans l'élection, et si vous laissez cette source se corrompre, bientôt tout ce qui en découle sera corrompu ; ce résultat arrivera, par une pente fatale. C'est une chose extraordinaire de faire des enquêtes parlementaires sur les élections ! Sans doute, dans notre pays ; mais, en Angleterre, cela se voit à chaque instant. Et moi je dis : Voulez-vous ne pas en avoir fréquemment plus tard ? Ayez en une bonne tout de suite.

M. de Theux se plaint de ce que les membres sur l'élection desquels une enquête serait ordonnée, pourraient être tenus éloignés de cette enceinte. Les enquêtes durent ce qu'elles doivent durer, pour découvrir la vérité : et il est probable que celle-ci serait fort courte. Si l'enquête n'établit pas le fondement des faits qui nous sont dénoncés, ou verra du moins combien nous sommes prêts à réprimer de pareils faits ; et dans le cas où ces faits ne seraient pas prouvés, nos collègues entreraient dans cette enceinte avec la certitude d'être les élus légitimes et réguliers de l'opinion publique.

M. Rodenbach. - Et les billets marqués !

M. E. Vandenpeereboom. - J'en ai parlé avant vous des billets marqués, j'en parlerai encore ; ils sont à l'ordre du jour et ils viendront plus vite que vous ne l'espérer.

L'honorable M. de Theux a parlé des faits qui se sont passés à Louvain, comme étant ce qu'il pouvait y avoir de mieux, au point de vue de l’économie, comme la perfection du genre.

Je me déclare incapable de répondre sérieusement à cette assertion. Je dis que les dépenses faites, même à titre de frais de déplacement, celles surtout pour banquets électoraux, je suis disposé à les poursuivre de toutes mes forces. J'ai la conviction intime que nous arriverons à trouver le moyen de mettre un terme à cet abus, dégradant pour l'élu, dégradant pour l'électeur.

Vous vous récriez, parce que des campagnards ont quatre ou cinq lieues à faire, par des voies qu'ils n'ont jamais eues : mais ils font ce chemin, au moins quatre ou cinq fois par an, par dévotion, pour leurs plaisirs, ou leurs intérêts.

Et ils seraient malheureux parce que, tous les deux ans, ils auraient à faire une excursion, pour exercer leurs droits électoraux.

Vous remarquez que je ne dis pas tous les quatre ans, parce que je veux tenir compte des dissolutions et des élections partielles, et pour qu'on ne me chicane pas.

Apprenons donc à nos concitoyens à vivre de la vie virile d'un peuple libre.

M. B. Dumortier. - N'avez-vous jamais payé ?

M. E. Vandenpeereboom. - J'ai très rarement payé.

M. B. Dumortier. - Alors d'autres ont payé pour vous.

M. E. Vandenpeereboom. - Je ne veux pas parler de faits qui me soient personnels ; je n'ai pas, d'ailleurs, l'intention de faire autorité, ni de servir de modèle.

Je dis que personne ne devrait payer les frais de déplacement et de séjour, et que tout le monde ne les paye pas. Je pourrais citer dix arrondissements où l'on ne paye rien ; à Liège, à Verviers, à Mons, on se considérerait comme insulte par l'offre de quoi que ce soit. (Interruption.)

Il faut que je vous blesse bien fortement, pour vous faire crier comme vous le faites !

Je répète qu’il y a des arrondissements où l'on ne paye pas, si ce n'est pour frais d'impression et de publicité. Dans d'autres, on fait des dépenses, je puis le dire, pour des orgies électorales : c'est un mal ; il faut l'extirper ; travaillez-y avec moi et nous ferons une bonne chose. (Interruption.)

Où paye-t-on le plus ? C'est dans les petits collèges, là où l'on devrait payer le moins.

Faisons comprendre à nos concitoyens que c'est un honneur pour eux d'être investis de droits électoraux et de les remplir.

Disons-leur, hautement et souvent, qu'ils ne doivent pas craindre de faire, à de longs intervalles, pour remplir un devoir de citoyen, ce qu'ils font plusieurs fois dans une année, comme pères de famille, pour aller au marché ; comme chrétiens, pour aller à des pèlerinages.

Nous sommes encore dans notre jeunesse parlementaire ; il est temps de redresser des difformités électorales qui, invétérées, deviendraient peut-être incurables.

Messieurs, je crois fermement que nous devons ordonner une enquête parlementaire, mais je pense qu’il convient d'agir avec prudence, à cause de cette circonstance que nous avons à nous enquérir sur les mêmes faits que le Sénat.

Je ne veux pas entrer dans des détails ; mais il me semble qu'il conviendrait de nommer une commission mixte, composée d'un certain nombre de membres à désigner par chaque corps, en y admettant un membre de la minorité, comme témoignage d'impartialité de notre part. (Interruption.)

Vous refuserez si cela vous convient, mais vous ne pouvez pas nous empêcher de faire ce qui est à faire, avec impartialité.

J'insiste fortement pour qu’une enquête soit décidée et une commission nommée par la Chambre ; j’espère, messieurs, que cette mesure servira, non seulement pour éclairer sur les élections de Louvain, mais aussi pour nous amener bientôt à une réforme électorale plus générale, que je désire et que je soutiendra de tout mon cœur.

M. Nothomb. - Messieurs, dans le rapport de la commission1 de vérification des pouvoirs, ainsi que dans la pétition qui vous a été soumise, le grief auquel on paraît attacher plus particulièrement de l’importance est celui qui se trouve relaté à la page 9 du rapport, où l’on signale comme un élément considérable de fraude, un prétendu placard imprimé, affiché et distribué au dernier moment par un journaliste de Louvain, le sieur Coppin. Cette pièce se trouve imprimée à l'annexe n°4.

D'abord, messieurs, je ne trouve pas qu'il y ait eu ce qu'on peut appeler un placard. Je ne vois pas qu’il y ait eu affiche, qu'il y ait eu un imprimé auquel on pourrait donner ce nom. Je vois seulement que dans le journal du sieur Copain, une pièce de ce genre a été publiée ;'mais c'est un détail insignifiant sur lequel je n'insiste pas.

La commission considère cet acte comme infiniment grave et. le qualifie de manœuvre. A la page 9 je lis, en effet, que cette manœuvre d'un homme payé par un parti a pu déplacer douze voix, ce qui a dû amener un autre résultat.

Voyons donc, messieurs, s'il y a eu manœuvre de la part du journaliste mis en cause.

Pour qu'il y ait manœuvre, il faut qu'il y ait, dans l'acte qu'on incrimine, une intention coupable de fraude, de méchanceté. Eh bien, messieurs, si en examinant de très près, comme nous y sommes forcément amenés, les circonstances qui ont précédé et accompagné la visite domiciliaire opérée, le 13 juin, la veille des élections, chez ce journaliste, nous rencontrons, non pas quelque chose d'illégal (je ne vais pas jusque-là ; je pourrais y aller peut-être), mais au moins quelque chose d'excessivement rigoureux, d'oppressif peut-être. Si cet homme a pu consciencieusement se croire l'objet d'une trop grande sévérité, d'une espèce d'excès de pouvoir, n'a-t-il pas pu, de bonne foi, dire le lendemain dans son journal qu'on avait violé son domicile ?

Examinons ce qu'a été cette visite domiciliaire, quelles circonstances l'ont précédée et comment elle a été pratiquée.

C'est une opération très grave, la Chambre le sait, qu'une visite domiciliaire ; c'est une mesure exorbitante qui ne doit être appliquée que dans les cas les plus graves, les plus exceptionnels. Elle touche à la liberté, à la sécurité, à l'honneur, à la paix du foyer domestique, et à ce titre, quand on parle visite domiciliaire, on est sûr que la Chambre accorde toute son attention.

Il faut, pour bien apprécier la situation, se placer au point de vue où le sieur Coppin a dû se trouver. Car tout est là ; c'est lui qui est incriminé ; c'est lui qu'on accuse d'avoir posé un acte frauduleux, une insinuation fausse, d'avoir commis une manœuvre.

Qu'a dû se demander le sieur Coppin, chez qui l'on venait faire une visite domiciliaire ? Déjà l'honorable comte de Theux vous l'a dit ; le sieur Coppin, journaliste, qu'on qualifie rédacteur en chef d'un journal, a dû se demander si, en matière de presse, on peut aller jusqu'à la visite domiciliaire. Il a dû se poser cette question. C'est une question que beaucoup de bons esprits se posent. On doit se demander si, en présence de la Constitution, qui régit la Belgique depuis 1831, il est permis encore de faire des visites domiciliaires en matière de presse. Remarquez que je ne tranche pas maintenant la question ; je ne la décide pas. Je la soulève.

La législation de 1831, sur la presse, est une législation toute de faveur. Le décret de 1831 est une réaction en faveur de la presse contre le régime qui avait précédé. C'est une législation qui traite la presse et les écrivains d'une manière favorable. Ainsi, par exemple, elle soustrait l'écrivain à l’emprisonnement préventif ; elle le renvoie devant la plus haute expression de la justice nationale, devant le jury ; l'imprimeur couvre souvent le coupable véritable, l'auteur. En un mot, il y a là une législation infiniment favorable, de protection, non de suspicion, une législation qui doit donner à la presse, cette grande gardienne des institutions libres, toute sa force, tout son développement.

Je me demande, messieurs, et très sérieusement, si l’on avait pose en 1831, aux auteurs du décret du 20 juillet, qui est la charte de la liberté de la presse, si on leur avait posé cette question : Entendez-vous maintenir, à propos des poursuites de délits de presse, l'application du régime de la visite domiciliaire, quelle eût été la réponse ? J’ose dire que la majorité (tous, me dit-on, et l’on a peut-être raison) aurait répondu : Non, nous ne sommes pas les tyrans de la presse, nous ne la poursuivons pas, nous l'émancipons.

Telle eût dû être la réponse, car ce décret de 1831 ne date-t-il pas de cette époque de grandes, de généreuses aspirations, où l'idée d'aller fouiller dans le secret des familles ne serait pas venue à ceux, je le répète, qui voulaient protéger la presse ?

(page 21) Mais enfin, messieurs, je veux admettre que cette question puisse être transitée dans le sens que la visite domiciliaire soit légale à propos de la poursuite d'un délit de presse ; je suppose que l'on puisse poser cet acte de la visite domiciliaire, qui cependant est au fond, qu'on veuille bien le remarquer, un acte préventif, véritablement préventif et à coup sûr, qui dit liberté de la presse, exclut par-là même toute mesure préventive.

Voyons dès lors si en effet il y avait lieu de pratiquer, chez le journaliste Coppin, cette visite domiciliaire. Ici cela devient une question d'opportunité ; dans quels moments ces faits se sont-ils produits ? C'est au moment de la fièvre électorale, au moment de la plus grande agitation électorale, dans un moment où tous nous devons nous armer d'indulgence, de modération et je dirai de patience. Le mouvement électoral, c'est la vie des pays libres, c'est leur grandeur, c'est leur honneur.

Et dans l'appréciation des faits qui peuvent se commettre à cette occasion il faut apporter non pas la rigueur ordinaire mais au contraire une extrême indulgence. Il ne faut pas se laisser aller à une trop grande susceptibilité.

Dans cet article du journaliste de Louvain, qu'y avait-il donc de si grave ? Peut-être quelques expressions malsonnantes. Mais on ne peut pas dire qu'il y ait eu là une manœuvre de parti de nature à soulever les passions et à égarer l'opinion publique. Somme toute, un écrit auquel personne n'eût plus pensé le lendemain.

Ne voyons-nous pas passer tous les jours sons nos yeux des articles bien autrement acerbes, et qui ne donnent lieu à aucune plainte ?

Est-il un seul membre de cette Chambre qui n'ait été attaqué d'une façon bien plus grave dans des journaux ou des pamphlets ? Est-ce que ces membres se plaignent, est-ce qu'ils font poursuivre les auteurs de ces attaques ? Non, c'est notre essence, c'est notre régime qui le veut ainsi. Lisez les journaux, les affiches et les placards anglais ; là vous verrez bien autre chose ; vous verrez l'injure, l'outrage, la calomnie contre les candidats des deux partis. Et pourtant, on ne se plaint pas, et l'on ne va pas envahir les domiciles, ouvrir les armoires, troubler les familles. Rien de tout cela. (Interruption.)

Je me résume. Au point de vue du droit strict on pouvait peut-être faire la visite domiciliaire, mais l'opportunité de cette visite n'existait pas.

Cette opération était excessive et celui chez qui elle a été faite a pu avec raison se plaindre d'avoir été la victime d'une trop grande susceptibilité. Je vais maintenant examiner la poursuite sous une face purement juridique. Et d'abord, je demanderai à M. le ministre de la justice s'il a autorisé les poursuites, Il existe au département de la justice des instructions reproduites par tous les ministres, à quelque opinion qu'ils appartiennent, et d'après lesquelles il est interdit aux magistrats de poursuivre en matière politique ou de presse avant d'avoir obtenu l'autorisation du ministre. Je ne sais si M. le ministre, a été consulté, mais je suis tenté de croire que si on lui avait demandé l'autorisation de poursuivre à la veille d'une élection et pour un article aussi futile que celui dont il s'agit, M. le ministre aurait répondu : Non. J'attends sa réponse.

Je suis autorisé par son silence à déclarer que l'autorisation n'a pas été donnée.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Qu'en savez-vous ?

M. Nothomb. - Vous ne me répondez pas et de votre silence je tire une induction.

Comment, on pénètre dans la demeure du sieur Coppin, on la fouille ; lui, qui est persuadé qu'on n'en avait pas le droit, se met en colère on lui reproche sa colère ; il se plaint le lendemain dans son journal des vexations qu'il a subies et l'on y trouve quelque chose à redire ! Je trouve que le sieur Coppin a fait ce que vous tous eussiez fait à sa place.

Remarquez bien, messieurs, qu'en justifiant le sieur Coppin, je n'incrimine en rien la conduite de la magistrature de Louvain, je ne suspecte ni les intentions ni la bonne toi du parquet et du juge d'instruction, je discute des faits et des actes qui sont entrés dans le domaine de la discussion parlementaire.

Ainsi donc, la visite domiciliaire manquait de sa première base : l'autorisation ministérielle. J'ai à signaler encore d'autres irrégularités.

C'est la veille même de l'élection qu'a eu lieu la visite domiciliaire chez le journaliste qui est d'une opinion contraire à ceux qui sont au fond de la réclamation. Je vois au procès-verbal de cette perquisition, qui se trouve annexé au rapport sous le n°3, que le juge d'instruction a délégué pour cette visite deux agents de police qui s'intitulent adjoints du commissaire de police de la ville de Louvain.

Ici se présente une question très importante de droit criminel, celle de savoir si le juge d'instruction a le droit de déléguer ses fonctions pour une visite domiciliaire dans la commune où il réside et c'est ici le cas, à de simples agents de police.

Je ne voudrais pas abuser des moments de la Chambre, mais je dois lui dire que cette question est résolue dans un sens négatif par le plus grand nombre des auteurs, par les auteurs les plus recommandables.

Mangin, dans son remarquable traité, est d'avis que, hors les cas spécialement déterminés par la loi, le juge n'a pas le droit de déléguer ses fonctions. Il enseigne que ces fonctions sont essentiellement limitatives. sont personnelles et qu'elles ne peuvent être déléguées. Carnot, dans son commentaire, avait déjà soutenu la même opinion : et pourtant Carnot est considéré par tout le monde comme l'un de ceux qui sont le plus disposés à étendre les droits de l'autorité. Enfin un dernier auteur M. Faustin Hélie, actuellement conseiller à la cour de cassation de France, professe également que le juge d'instruction ne peut pas déléguer ses fonctions. Son opinion me paraît si formelle et elle est revêtue d'une si grande autorité, que je demande à la Chambre la permission de lui lire quelques passages de son ouvrage. Cette citation est prise de la page 482, volume 5.

« On peut admettre la délégation quand il s'agit d'une audition de témoins, et dans ce cas même nous verrons plus loin qu'on ne doit pas en abuser ; mais quand il s'agit d'un acte d'instruction qui ne consiste pas seulement dans la constatation matérielle d'une déclaration ou d'un fait, mais dans la recherche et la saisie des pièces de conviction, et dans l'emploi d'une véritable contrainte pour arriver à ce résultat, comment admettre que le juge puisse donner commission à un simple officier de police pour remplir ses fonctions ? Est-ce que les droits des tiers dont la saisie compromet les intérêts, est-ce que les citoyens dans le domicile desquels ou s'introduit, trouveront dans la présence de l'officier de police la même protection que dans la présence du juge ? Est-ce donc trop de toute l'autorité de ce magistrat et toute la confiance qu'il commande pour rassurer la liberté du domicile enfreinte ? Quand la pensée de la loi a été une protection du droit, quand elle a considéré l'intervention personnelle du juge, comme une garantie de la légalité de la visite, comme une sauvegarde des intérêts que cette visite peut froisser, pourquoi diminuer et affaiblir cette disposition tutélaire au lieu de la fortifier ? Substituer à la personne du juge celle du commissaire de police, n'est-ce pas substituer à la forme judiciaire la forme administrative et imprimer à une mesure de justice le caractère d'une mesure de police ? »

Je pourrais, messieurs, étendre ces citations, mais je m'arrête ici. Je reconnais, du reste, que la question est controversée, qu'a côté de cet auteur il en est d'autres qui admettent que le magistrat peut déléguer. Tels sont : Legraverend, Diverger, Bourguignon et Dalloz, qui fait cependant une réserve. Dalloz dit, en effet, que le juge d'instruction peut déléguer, mais qu'il ne doit pas le faire quand il s'agit d'opérer dans une localité où lui-même réside, ce qui est ici le cas.

Ainsi, à ce point de vue le sieur Coppin était encore en droit de trouver irrégulière la manière dont s'opérait chez lui la visite domiciliaire.

Je constate enfin une autre forme d'irrégularité ou plutôt, je vais plus loin, une forme où se montre l'illégalité.

En lisant le procès-verbal rédigé par les deux adjoints de police, vous aurez remarqué, messieurs, qu'il ne relate pas qu'ils aient été accompagnés soit du bourgmestre, soit d'un échevin, ni d'un membre du conseil communal.

Eh bien, c'était là une formalité essentielle, la loi veut que lorsqu'il y a une visite domiciliaire, ceux qui la font soient accompagnés du bourgmestre, d'un échevin ou tout au moins d'un membre du conseil communal. C'est la prescription formelle du Code d'instruction criminelle, et certes, messieurs, en présence de cette invasion faite chez lui par deux agents de police non accompagnés d'un membre de l'autorité communale, je comprends très bien que le sieur Coppin se soit plaint, qu'il ait même proféré des paroles que je n'ai aucun désir de justifier, mais enfin qui sont excusables dans un pareil moment.

La prescription du Code s'applique aux magistrats les plus élevés, au procureur du roi, au juge d'instruction et l'on a certes le droit de s'offenser lorsque de simples agents de police ne la respectent pas.

La présence d'un membre de l'autorité locale, c'est la garantie du citoyen ; à défaut de cette garantie, l'homme chez lequel la visite domiciliaire se pratique, peut être livré à des personnes qui sont juges et parties, et c'était le cas ici, car veuillez-le remarquer, il s'agissait de faits reprochés à la police de Louvain, c'est la police de Louvain qui a demandé les poursuites et c'est la police de Louvain qui a fait la visite domiciliaire. C'était donc le cas ou jamais de se faire accompagner, conformément à l'article 42 du Code, soit d'un échevin, puisque le bourgmestre paraît avoir fait la plainte, soit par un membre du conseil communal.

Le sieur Coppin avait si bien compris ce qu'il y avait d'irrégulier dans cette visite domiciliaire ainsi faite, qu'il a déclaré aux agents de police qu'ils ne continueraient plus leurs recherches qu'en présence du procureur du roi. C'est ce que je lis en toutes lettres dans le procès-verbal des agents. « Vous ne continuerez plus vos recherches sans la présence de M. le procureur du roi. »

Si donc, messieurs, il manquait un élément essentiel à la légalité de la visite, il est concevable que le sieur Coppin a pu dire le lendemain dans son journal qu'on était venu faire une visite domiciliaire sans aucun mandat du procureur du roi.

Il a dû croire qu'il en était ainsi puisque le procureur du roi faisait défaut et qu'aucun membre de l'autorité communale n'accompagnait les agents de police.

(page 22) J'ai déjà eu tout à l'heure l'occasion de dire à la Chambre combien, en matière de visites domiciliaires, il faut montrer d'indulgence, de modération et rd patience. Partout, en tout temps dans tous les pays on considère l'accomplissement d'une visite domiciliaire comme une mesure exorbitante, comme la mesure la plus extrême que l'on puisse employer, et partout les criminalistes enseignent qu'il faut la pratiquer avec la plus grande réserve et n'y avoir recours que dans des cas vraiment exceptionnels.

La Chambre voudra bien écouter à cet égard l'opinion d'un homme qui ne sera pas suspect de partialité ; c'est l'opinion d'un procureur du roi français, M. Masabiau, auteur d'un Manuel du procureur du roi, publié en 1838. Voici comment s'exprime ce magistrat :

« Dans tous les cas où il y a lieu de procéder à des visites domiciliaires, et surtout quand il s'agit de délits politiques, il ne faut user qu'avec prudence de ce droit redoutable dont l'usage inconsidéré blesserait nos mœurs et porterait une grave atteinte à la sainteté du foyer domestique. Ces visites ne doivent être faites ou requises que sur des renseignements précis et directs, et la rigueur de cette mesure ne doit jamais être aggravée par des formes acerbes de la part du fonctionnaire qui y procède. En effet, elle remplit d'amertume le cœur de celui qui la subit ; quand cette amertume passe dans ses paroles, il mérite encore d'être écouté avec indulgence ; même quand ces paroles vont jusqu'à l'insulte, la modération est le devoir de l'homme public : il peut verbaliser et ne doit jamais répondre. Aussi est-il prudent aux magistrats de ne point déléguer cette partie délicate de leurs fonctions, ou du moins de veiller à ce que cette délégation soit faite avec discernement et accompagnée de toutes les recommandations convenables, de manière à ce qu'elle ne mette jamais en présence des passions ennemies ou des haines particulières.

« Et même, il vaut mieux que cette délégation ne soit jamais faite à un officier subalterne, et que le tribunal en charge au besoin un des magistrats du siège. »

Je tire de ces considérations, la conclusion suivante : c'est que le sieur Coppin a pu croire qu'il avait été la victime d'une trop grande sévérité ; que de bonne foi il a pu imprimer ce qu'il a imprimé, que loin de voir dans son acte une manœuvre électorale, il faut plutôt le plaindre d'avoir été dans cette occasion l'objet d'une excessive susceptibilité.

M. Carlier. - Messieurs, voici une heure que je me demande si nous discutons l'objet qui est à l'ordre du jour. L'honorable M. de Theux nous a entretenus de kermesses électorales, d'aumônes tombant de la poche des candidats ou de celles de leurs amis dans la main des électeurs ; l'honorable M. Nothomb vient de présenter la défense prématurée de M. Coppin ; mais je n'ai pas entendu un mot sur l'objet à l'ordre du jour.

Revenons, messieurs, à la question et demandons-nous si nous avons à voter oui ou non les conclusions du rapport dont l'honorable M. Deliége nous a donné lecture hier.

Toute la question se réduit à ces termes : Y aurait-il ou n'y aura-t-il pas une enquête pour vérifier l'exactitude des faits qui nous sont dénoncés par 80 électeurs de Louvain ?

Poser cette question, en l'examinant avec l'esprit qui doit dominer toutes les délibérations de cette Chambre, c'est la résoudre.

Toute autre solution qu'une solution affirmative serait, à mon sens, un déni de justice, une forfaiture envers le pays.

Messieurs, l'article 34 de la Constitution nous donne la suprême judicature sur tous les faits qui concernent l'élection des membres de cette Chambre.

Eh bien, en présence de cet article, lorsqu'on vient nous déclarer, comme on le déclare au n°3 de la requête des électeurs de Louvain, que les sieurs Louis Courtois et Denis Vaes ont reçu de l'argent pour voter en faveur des candidats cléricaux, devons-nous oui ou non voter l'enquête, pour constater si ces faits sont exacts ou mensongers ?

J'estime, messieurs, que quelle que soit l'opinion à laquelle nous appartenions, que nous siégions à droite ou à gauche, il est un point de vue très élevé duquel nous avons à considérer ces faits. Eh bien, en vous plaçant à ce point de vue, il est de l'honneur et de la dignité de la Chambre de s'assurer si ces faits existent, et, s'ils existent, d'exercer un acte de justice, d'annuler un mandat électoral donné dans de semblables conditions.

Les quelques arguments que la minorité a fait valoir dans le sein de la commission ne peuvent un seul instant laisser en doute la solution à donner à la seule question qui puisse nous occuper, celle de savoir si nous devons ordonner une enquête pour élucider les faits qui nous sont dénoncés.

On nous dit que ces faits ne sont pas étayés de preuves. Il est évident que si la preuve des faits nous était acquise, la deuxième commission n'aurait pas proposé l'enquête ; elle serait venue d'emblée proposer de valider ou d'annuler l'élection. Dire qu'il n'y a pas de preuves, c'est nous indiquer la résolution que nous devons donner ; c'est nous dire : Faites une enquête qui établisse si des preuves existent ou n'existent pas.

On nous dit encore que certaines tolérances ont habitué en quelque sorte le pays à des faits, sinon de corruption électorale, au moins de quasi-corruption électorale ; on dit qu'il est toléré que le candidat ou ses amis politiques régalent l'électeur, le véhiculent du lieu de son domicile au chef-lieu électoral.

Ce sont là sans doute des abus que nous blâmons énergiquement, et que nous voulons faire disparaître ; mais entre ces abus et les faits qu'on nous dénonce, il y a une énorme différence ; car lorsqu'un électeur consent à prendre place dans un véhicule quelconque pour se rendre du lieu de son domicile au chef-lieu électoral, il ne s’engage pas pour cela à donner son vote à tel ou tel candidat.

Que là où des tables sont ouvertes, prêtes, ainsi que le disait l'honorable M. de Theux, à recevoir un millier de convives, on voie un partisan d'un candidat de la droite ou un partisan d'un candidat de la gauche s'asseoir à ces tables, quelle que soit la personne qui fait les frais de ce dîner, il ne s'ensuit pas encore que le vote de ce convive soit assuré à l'amphitryon. Mais quand on vient dire à l'électeur, comme on l'a dit à Courtois et Vaes : « Voilà 5 francs pour aller, avec le bulletin que voici, voter pour tel candidat ! » c'est bien là, messieurs, la corruption électorale la plus manifeste que nois puissions rencontrer.

M. B. Dumortier. - C'est une allégation sans preuve ; et sur une pareille allégation vous voulez annuler une élection ; on pourra faire ou demander une enquête sur chaque élection.

M. Carlier. - Je conviens que nous ne possédons aucune preuve, mais en présence d'allégations aussi importantes que celles qui sont consignées dans les pièces qui nous sont remises et que je trouve empreintes de présomptions qui me les font considérer comme croyables, je demande qu'on vote, et, pour ma part, je déclare que je voterai pour les conclusions du rapport de M. Deliége, précisément parce que les faits allégués ne sont pas prouvés. S'ils l'étaient, il y aurait une tout autre proposition à faire.

En effet, si l'articulation portée sous le n°5 était prouvée, ce serait un fait de corruption manifeste qui devrait entraîner l'annulation de la nomination des membres envoyés dans cette enceinte par le collège électoral de Louvain.

La différence qui existe entre les abus déjà signalés et celui qui nous est dénoncé maintenant rend l'enquête plus urgente, m'impressionne davantage et me fait souhaiter que cette enquête vienne établir d'une manière positive si les faits dénoncés existent ou non. De deux choses l'une : ou nous aurons à faire justice de ces faits et à prendre une décision en conséquence, ou d'autres auront à faire justice des auteurs de la plainte si elle contient des faits inexacts ou calomnieux.

L'honorable comte qui a pris le premier la parole dans ce débat nous a conviés à nous élever dans une sphère plus haute que celle d'un parti, à nous élever dans la sphère où planait l'esprit du congrès quand il a voté la loi électorale. Je veux m'élever dans cette sphère, je veux m'y reporter, à ce moment où toutes les aspirations généreuses étaient réunies pour doter le pays des meilleures institutions qui se fussent rencontrées dans le monde.

Alors les partis n'étaient pas à rechercher dans le talent d'un premier ministre et d'un ancien ministre de la justice, les moyens d'écarter la lumière ; car nous ne demandons pas autre chose que de porter la lumière sur des faits qui, s(ils étaient vrais, compromettraient l'avenir de l'œuvre du Congrès.

Je veux donc m'élever dans ces sphères où planait l'esprit du Congrès, et c'est au nom de ceux qui ont doté le pays de la Constitution dont il jouit et de la loi électorale qui nous régit que nous demandons une enquête pour faire le jour sur cette affaire, nous la demandons au nom de la dignité du pays, au nom de la dignité de la Chambre.

.M. Dechamps. - S'il ne s'agissait que d'abus à blâmer, à flétrir, et de remèdes efficaces à y opposer, je joindrais ma voix indignée à celle de l'honorable membre qui vient de s'asseoir.

Si des faits précis étaient articulés, s’il y avait un commencement de preuve ou des présomptions pouvant servir de base à une enquête, s'il y avait autre chose que des allégations vagues n'ayant d'autre valeur que des affirmations dont nous avons le droit de suspecter l'impartialité, puisqu'elles ont été formulées le lendemain de la victoire électorale par les vaincus de la bataille, je comprendrais la proposition de la commission.

Mais, pour moi, il s'agit ici de bien autre chose, il s'agit des principes qui doivent servir de règle en matière de vérification de pouvoirs, à la Chambre, à la majorité ; il s'agit de la charte imposée à la bonne foi de la majorité et qui doit servir de sauvegarde à toutes les minorités, principes et charte sans lesquels les minorités seraient livrées sans garantie à l’arbitraire des passions politiques ; quand la Chambre juge une élection, elle ne représente plus un parti, elle est un grand jury froid, calme, impartial. Elle doit se dépouiller de tout intérêt, de tout esprit de parti, dans les décisions qu'elle doit prendre.

La majorité, vient de dire l'honorable préopinant, est omnipotente en matière de vérification de pouvoirs. Oui ; mais à la condition d'être juste et qu'on ne puisse pas soupçonner que l'esprit de parti ait pu dicter sa décision. Mais à cette omnipotence de la majorité parlementaire il y a des limites dont l’honorable préopinant n'a pas parlé ; ce sont les principes de jurisprudence qui ont été admis en matière de vérification d'élection, dans tous les pays constitutionnels qui nous environnent et dans notre pays même.

(page 23) Il y a des principes certains et consacrés qui doivent limiter cette omnipotence, sans cela les majorités seraient une dictature parlementaire ; s'il n'y avait aucune limite assignée à ce pouvoir exorbitant, si nous pouvions décider dans l'intérêt seul d'une opinion possible, sa base même serait ébranlée. Il n'y aurait plus de système représentatif.

Quel est le principe qui a été admis dans les pays constitutionnels, en matière de vérification de pouvoirs ? Le premier, c'est le respect de la volonté du corps électoral exprimée par la majorité.

La décision du corps électoral fait foi, à moins qu'il y ait des faits graves, précis, formulés, qui puissent faire suspecter la sincérité du vœu d'un corps électoral.

Messieurs, quand il y a des réclamations, celles auxquelles la Chambre doit prêter une attention sérieuse, ce sont celles faites au moment de l'élection et qui sont consignées dans les procès-verbaux, parce qu'elles subissent le contrôle du corps électoral lui-même.

Mais quand l'élection est faite, lorsque aucune plainte n'a été formulée et que les procès-verbaux ne contiennent aucune réclamation, il faut n'admettre ces réclamations tardives qu'avec une extrême réserve.

S'il suffisait que quelques électeurs vinssent présenter à la Chambre des réclamations tardives, des allégations vagues, dénonçant sans preuves formelles des faits odieux ou coupables ; si cela suffisait pour qu'une Chambre décrétât une enquête, aucune élection ne serait à l'abri d'une pareille mesure et les enquêtes seraient plus fréquentes même qu'en Angleterre, où l'on en abuse considérablement.

Nous sommes omnipotents en matière de vérification de pouvoirs, nais notre omnipotence même a des bornes : ces bornes sont les principes consacrés par la jurisprudence ; il est impossible de laisser la décision de questions aussi graves à l'arbitraire d'un seul parti. Or, quelles sont les règles établies en matière de vérification des pouvoirs ? Je vous parle de règles qui ont toujours été appliquées en Belgique et en France. Il a toujours été admis que l'on ne pouvait ordonner l'enquête en présence de réclamations de ce genre que lorsque les réclamants apportaient à l'appui de leur plainte des preuves ou tout au moins des présomptions graves et formelles.

Je vais vous citer des faits nombreux qui tous démontreront que l’on doit apporter à l'appui de sa protestation la preuve des faits qui y ont donné lieu.

D'un autre côté, un fait de corruption électorale est un délit ; par conséquent, on ne peut admettre qu'une réclamation relative à des faits de corruption électorale puisse être prise en considération par la Chambre, tant qu'il n'y a pas eu plainte devant la justice et commencement de poursuite. C’est là une règle invariable. Il ne suffit pas qu'une dénonciation ait eu lieu pour que nous nous en préoccupions sérieusement ; la corruption électorale est un délit prévu et frappé à ce titre par les lois pénales, et il est indispensable que les poursuites soient commencées pour que nous puissions nous y arrêter. Je vais le démontrer.

L'autorité de M. Delebecque comme commentateur est grande et nos adversaires ne la contesteront pas. Dans son commentaire sur les lois électorales, voici l'opinion qu'il émet et les faits de jurisprudence qu'il cite et qui confirment tous l'opinion que nous défendons.

« Dans l'élection de M. Chazot, une protestation énonçait des allégations sans fournir aucune preuve, et concluait à une enquête ; le rapporteur du bureau dit que, dans cet état de choses, il n'y avait pas lieu d'instituer une enquête : la Chambre n'eut pas à en délibérer. Hennequin, rapporteur (26 décembre 1837 ; Moniteur du 27, p. 2540). »

Ainsi l'honorable M. Carlier a soutenu tout à l'heure longuement et en bons termes, en tâchant de réfuter le discours de l'honorable M. de Theux, que c'était précisément parce qu'il n'y avait pas de preuve qu'il fallait une enquête. Eh bien ! la Chambre française n'a pas même eu à délibérer. Des dénonciations de ce genre avaient eu lieu ; il n'y avait pas de preuve à l'appui. On n'a pas même délibéré. J'établis par ces faits que, d'après la jurisprudence française, et je se suis pas au bout, on n'a jamais admis l'enquête avant n'avoir eu des faits pertinents et formels pour lui servir de base.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Précis.

.M. Dechamps. - Non, accompagnés de preuves. (Interruption.) Mais est-ce que je ne sais plus lire, ou ne sais-je pas ce que je lis ? Il faut que des preuves mettent sur la voie de l'enquête ; il faut un commencement de preuve, il faut des présomptions formelles, il ne faut pas de simples affirmations.

« L'élection de M. Goupil de Préfeln était attaquée pour de prétendues manœuvres dont le bureau crut inutile de parler à la Chambre, parce qu'elles n'étaient pas justifiées et n'étaient que des allégations sans preuves. «

Maintenant, messieurs, écoutons M. de Cormenin :

« La chambre, dit sagement M. de Cormenin, a raison de ne céder qu'à des preuves démonstratives ; car les haines de parti sont inventives et crédules.

« Il n'y a pas lieu non plus de s'arrêter à une protestation dirigée contre une élection sous prétexte de corruption, si les articulations que renferme cette protestation sont vagues, et renferme cette protestation sont vagues, et si, quoique des noms aient été prononcés à l’appui dans le bureau, les faits ne sont pas suffisamment prouvés. »

Je lis plus loin :

« Des reproches allégués dans une protestation, et fondés sur ce qu'un certain nombre d'électeurs de la campagne auraient été choyés et traites dans des auberges, ne sauraient non plus faire annuler une élection.

« Election de M. Duprat ; M. le général Schneider, rapporteur. (6 avril 1838 ; Moniteur du 7, p. 484.)

« A plus forte raison ne doit pas être pris en considération le fait que des auberges avaient été louées pour loger gratuitement des électeurs, s'il est constaté que ces électeurs ont refusé. »

Voici un fait beaucoup plus péremptoire et plus directement en rapport avec ceux qui nous occupent :

« La chambre, dit M. Delebecque, peut n'avoir pas égard à une protestation alléguant des faits d'offres d'argent à des électeurs pour obtenir ou empêcher leur vote, et de violences exercées pour les empêcher de se rendre au collège, si ces faits, réprimés par les lois pénales, n'ont été l'objet d’aucun débat contradictoire, ni même d'aucune poursuite en justice.

« Election de M. Flourens : M. Prosper de Chasseloup-Laubal, rapporteur (5 mars 1838 ; Moniteur du 4, p. 473). »

Je m'arrête un moment à ce précédent de l'élection de M. Flourens ; il vous frappera, j'espère, au même degré qu'il m'a frappé moi-même :

Je vais, messieurs, vous lire le rapport de M. de Cbasseloup-Laubat, car le fait que je vais signaler est identique pour ainsi dire avec celui dont nous nous occupons.

M. Flourens avait pour concurrent M. Viennet.

M. Flourens avait obtenu 385 suffrages, M. Viennet, 375. C'est-à-dire qu'il n'y avait que 10 voix de majorité. Il y avait plusieurs réclamations ; je laisse parler le rapporteur :

« Toutefois, messieurs, de graves reproches ont été adressés à cette élection ; et comme ils ont été formulés dans différents actes qui ont été communiqués à votre 9ème bureau, je dois vous les faire connaître.

« L'on a prétendu : 1° que des offres considérables d'argent avaient été faites à certains électeurs, s'ils voulaient voter pour M. Flourens. ou s'abstenir du moins d'aller voter pour M. Viennet ; 2° que des violences auraient été exercées contre des électeurs pour les empêcher de se rendre au collège électoral. Pour justifier le premier de ces reproches, messieurs, l'on a produit une déclaration du sieur Merle, qui a attesté devant le maire de la commune de Lespignan que le sieur Isoard, instituteur primaire, lui avait offert 300 francs s'il voulait voter pour M. Flourens, et que sur son refus, il lui avait encore offert une somme de 150 fr. s'il voulait consentir à ne pas se rendre au collège électoral ; on a produit également une lettre de plusieurs électeurs de la commune de Puissergier, qui affirment que les sieurs Amat, notaire, et, Brieussel, huissier, ont proposé à un sieur Fabrié de lui faire obtenir une place, ou de lui compter une somme de 3,000 fr., si Jean Bernard, Joseph Fabrié et Jacques Bernard, tous trois électeurs, et ses parents, voulaient donner leurs suffrages à M. Flourens ; que n'ayant point voulu accepter ces offres, le sieur Fabrié, débiteur d'une somme d'argent pour le remplacement de son fils, reçut le lendemain même un commandement de payer. »

Messieurs, vous voyez combien ces faits étaient graves. Il y avait achat formel de votes ; le fait était attesté par une déclaration faite devant le maire. Les sommes étaient considérables ; les faits précis, les preuves à l'appui. On n'était pas, comme nous le sommes, en présence d'affirmations relatives à quelques pièces de cinq francs remises à des électeurs pour les indemniser des frais électoraux.

Or, quelle fut la décision prise par la Chambre française ? Ecoutez, dit M. de Chasseloup-Laubat :

« Votre neuvième bureau, sans se dissimuler tout ce que ces allégations ont de grave, n'a point cru cependant qu'elles pussent entraîner l'annulation de l'élection de M. Flourens ; sans doute, il importe de ne pas laisser s'introduire un usage honteux que nos mœurs repoussent ; mais il ne faut pas non plus accueillir trop légèrement des assertions qui n'ont point été soumises à l'épreuve d'un débat contradictoire : nos lois renferment de sévères et sages dispositions contre le scandaleux trafic que l’on vous dénonce et contre les moyens illicites qu'on emploierait pour empêcher des citoyens d'exercer leurs droits politiques, et nous aurions peut-être quelque droit de nous étonner, si les faits sont aussi sérieux qu'on le prétend, qu'ils n'aient encore donné naissance à aucune plainte, à aucune poursuite judiciaires.

« C'est en présence de tous ces faits, et lorsqu'aucune preuve réelle ne justifiait les protestations que l'on a présentées contre les opérations du collège de Béziers, que votre bureau, à une très grande majorité, a été d'avis qu'il y avait lieu de déclarer valide l’élection de M. Flourens

« M. le président. - S'il n'y a pas d'observations (profond silence), je vais mettre aux voix l'admission de M. Flourens.

« - L'admission est prononcée. »

(page 24) Ainsi, dans la Chambre de France, il s'agissait d'un candidat important, M. Viennet ; son compétiteur n'avait qu'une majorité de 10 voix. On alléguait les faits les plus graves de corruption, et la Chambre refuse l’enquête, parce que les faits ne sont pas appuyés de preuves suffisantes et parce que des poursuites judiciaires n’avaient pas précédé.

M. Carlier. - La Chambre française avait-elle le droit d'enquête ?

.M. Dechamps. - Certainement elle avait ce droit, et il y a eu une enquête ordonnée en 1842.

Vous le voyez, messieurs, les précédents en France sont formels : pour motiver une enquête électorale, des allégations ne suffisent pas : les faits allégués doivent être précis, les présomptions sérieuses ; il faut des preuves assez formelles pour servir de base à une enquête légitime, pour mettre la Chambre sur la voie directe de l'enquête.

Il faut à l'égard des faits de corruption des plaintes préalables et des poursuites judiciaires. Un fait de corruption est un délit. Comment les pétitionnaires de Louvain n'ont-ils pas porté plainte devant les tribunaux, et, en l'absence de telles plaintes, comment croire que M. le procureur du roi aurait assez oublié ses devoirs pour ne pas poursuivre d'office ?

Mais le lendemain des élections de Louvain, les vaincus étaient décidés d'avance à protester contre leur défaite en demandant l'annulation de l'élection. Le journal le Progrès faisait appel, dès le 19 juin, au nom de l'association libérale, à tous les électeurs, pour rechercher les faits qui pourraient motiver cette annulation.

Ce mot d'ordre était donné ailleurs qu'à Louvain et Namur ; à Dinant et à Charleroy, les journaux libéraux ont annoncé que ces élections seraient invalidées. A Charleroy, si j'en crois la rumeur publique, un commencement d'enquête aurait eu lieu ; on a été à la recherche de faux électeurs. Dans une commune voisine de la localité que j'habite, nos adversaires, m'at-on assuré, avaient fait inscrire un nouvel électeur, leur partisan, sur la liste électorale, et c'est cet électeur qui avait voté contre moi que l'on voulait dénoncer comme faux électeur.

Mais ceci est une digression ; je reviens aux précédents cités par M. Delebecque ; il s'agit ici de précédents belges..

« En général, continue M. Delebecque, les réclamations doivent contenir les preuves à l'appui.

« Lors de la vérification des pouvoirs de M. Jadot, élu à Marche en 1833, les réclamants alléguaient que l'on s'était pourvu en temps utile contre l'inscription de 22 électeurs, et qu'on ignorait si la décision avait été prise par la députation permanente. On ne justifiait pas de cet appel. Le défaut de justification fit repousser l'ajournement proposé par la commission. Le rapport soulevait la discussion du principe de la permanence des listes, mais comme les faits n'étaient pas établis, le rejet de la proposition d'ajournement devait faire admettre M. Jadot. (Monteur du 11 juin 1833.) »

On demandait l'ajournement afin de se renseigner auprès de la députation permanente sur le point de savoir si le fait était exact. Eh bien, la Chambre a passé outre.

Voici, messieurs, un fait plus récent.

Eu 1848,M. Jacques était en même temps candidat à Marche et commissaire d'arrondissement. Il y avait un assez grand nombre de griefs à. la charge de cette élection.

Le premier concernait de faux électeurs ; on prétendait dans des pétitions adressées à la Chambre et signées aussi par de nombreux électeurs, que M. Jacques, commissaire d'arrondissement avait fait rayer sur la réclamation d'office un certain nombre d'électeurs et avait fait maintenir sur la liste des personnes qui n'étaient pas électeurs. Voilà encore des faits excessivement précis. Ce ne sont pas des allégations vagues, ce sont des faits faciles a vérifier.

Le deuxième grief, c'étaient des violences exercées ; le troisième, c'était le secret du vote violé par des billets marqués. Tous ces faits étaient d'autant plus graves que le candidat élu était en même temps fonctionnaire public.

L'honorable M. de Theux demanda une enquête. Vous savez, messieurs, à quelle opinion appartenait, en 1848, la majorité de la Chambre. La discussion s'ouvrit, et voici ce que disait l'honorable M. de Brouckere :

« La protestation n'est basée que sur des faits vagues, sur des faits non prouvés et elle n'est pas de nature à faire déclarer l'élection nulle. »

M. de Luesemans, rapporteur, « déclarait que la commission avait été unanimement d'avis que la requête manquait de précision, qu'elle se maintenait dans des termes vagues et que surtout l'élu n'avait à s'imputer aucun des faits dont on se plaignait. »

M. Julien insistait sur l'agence de plaintes et de poursuites judiciaires, nécessaires selon lui, puisque plusieurs des faits signalés tombaient sous le coup de la loi pénale.

M. Rogier, ministre de l'intérieur, « ne trouve pas dans les griefs articulés une gravité telle, que la Chambre doive procédera une enquête. »

M. Tesch demande la clôture de la discussion. Le pays dit-il, est fatigué de toutes ces discussions qui n'aboutissent à aucun résultat utile et qui en définitive, ne cachent que dus questions de parti.

La proposition d'enquête fut rejetée.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Citez-moi un fait de corruption où l'on ait donné de l'argent.

.M. Dechamps. - Citez-moi un district électoral où les dépenses d'élection soient inconnues. Il s'agissait d'un fait grave, d'un délit, et, comme le disait l'honorable M. Jullien, quand il s'agit d'un délit, il faut une poursuite. Or, les faits qu'on nous signale, on les a dénoncés le lendemain de l'élection de Louvain ; si ces faits avaient eu la gravité qu'on leur attribue, le procureur du roi aurait manqué à son devoir en ne poursuivant pas. Comment ! on dénonce des faits graves, on les articule avec des noms propres en regard, et il n'y a pas de poursuite ? il n'y a aucune plainte ? les procès-verbaux de l'élection sont complètement muets ?

Le principe qui domine les élections, c'est le vœu du corps électoral, qui doit être respecté. Or, ici, on vient vous saisir de réclamations vagues, sans but prévis, ordonnées en quelque sorte d’avance dans des associations électorales ! Je dis que le premier devoir de la Chambre, au point de vue de la moralité politique, c’est de rejeter de pareilles réclamations, c’est de respecter le vœu du corps électoral.

Messieurs, on peut résumer en trois catégories les faits qui vous sont dénoncés. Première catégorie : Argent offert, argent refusé.

C'est là un délit qu'il faut poursuivre. Mais ce fait ne peut exercer aucune influence sur le résultat de l'élection, sur votre décision. Ainsi, au point de vue où la Chambre est placée, comme Chambre vérifiant les pouvoirs de ses membres, le fait de l'argent offert, mais refusé, doit être complètement écarté. Ces faits sont au nombre de six.

Seconde catégorie : Argent offert et accepté, pour voter pour tel candidat.

Ici, il faut faire une distinction.

Un seul fait de ce genre ayant un certain caractère de corruption électorale, est articulé : c'est celui que vient de rappeler l'honorable préopinant ; if figure au n°5 de la plainte : là seulement il s'agit d'argent offert pour influencer les élections, dans tous les autres cas on se borne à dire qu'on a vu donner 5 francs à des électeurs, sans oser affirmer que cet argent n'était pas destiné à rembourser aux électeurs leurs dépenses de transport et de séjour.

Messieurs, veuillez remarquer que les pétitionnaires ne se placent pas au même point de vue où vous êtes places vous-mêmes. Les principes qu'ils proclament en matière d'élection ne sont admis par personne dans cette Chambre. Voici comment ils s'expriment ;

« Nous nous permettons de considérer comme acte de corruption, viciant toute l'élection, le moyen par lequel les candidats ou leurs agents assurent aux électeurs un bénéfice, une faveur, ou une indemnité quelconque, qu'ils font dépendre d'un vote favorable.

« Nous mettons sur la même line toute menace de retirer des faveurs ou des avantages quelconques à l’électeur, dans le cas où il donnerait un vote défavorable à tels candidats désignés.

« En d'autres termes, nous considérons comme une pression illégitime toute manœuvre tendant à entraver par la crainte ou par l’espérance la liberté du vote et l'indépendance de l’électeur.

« Nous n'admettons pas que sons prétexte d'indemnité de route et de séjour, on puisse faire ce qui, pour tout autre motif, serait déclaré criminel par nos lois. »

Voilà les principes au point de vue desquels se placent les réclamants ; mais, de bonne foi, si ces principes sont vrais, et je viens de démontrer qu'ils ne sont admis nulle part, aucune, absolument aucune élection ne pourrait être validée, car il n'est pas possible de faire une élection où l'on n’exerce pas une influence quelconque.

Ainsi, aux yeux des pétitionnaires, l’argent offert aux électeurs pour les indemniser des frais de leur voyage, au chef-lieu électoral, c'est de la corruption. Sur 18 faits, il n'y en a qu'un seul à l’égard duquel les pétitionnaires insinuent que de l'argent aurait été donné pour influencer le vote ; dans les autres cas, il ne s'agit que d'argent offert pour défrayer l’électeur des dépenses électorales.

Or, il faut faire une remarque importante, et j'en appelle à votre loyauté pour l'apprécier : dans le district électoral de Louvain, et cela plaide en faveur de sa moralité, les banquets électoraux, en usage dans d'autres arrondissements, ont été supprimés. Là donc, au lieu de donner à l'électeur une carte pour aller dîner à tel ou tel hôtel, on lui a dit : Voilà 5 fr. pour vos dépenses de transport et d'hôtel.

S'il en avait été autrement, les réclamants, qui étaient sous l'influence de la fièvre électorale, se seraient-ils bornés à dire qu'on avait distribué de l'argent sans oser affirmer la corruption ?

On demande une enquête. Pourquoi ? Est-ce pour vérifier les principes mis en avant par tes pétitionnaires ? Non, vous les repousserez comme moi.

Je suppose un moment que l'enquête soit décrétée et qu’elle établisse l'exactitude des faits qui vous sont dénoncés ; je suppose qu'il soit prouvé que, dans 7 ou 8 cas, on ait donné de l'argent a des électeurs, non pas pour influencer les votes, mais uniquement pour indemniser l'électeur des dépenses électorales ; je suppose donc que l'enquête constate la réalité des faits ; que déciderez-vous ?

(page 25) D'après tous les précédents que j'ai cités, d'après la jurisprudence parlementaire de tous les pays constitutionnels, vous devez prononcer la validité de l'élection. Je suppose que l'enquête constate la réalité de tous les faits tels qu'on vous les présente ; eh bien, quelque blâmables que ces faits puissent être, je dis que, d'après la jurisprudence admise en France et en Belgique, vous ne pourrez pas annuler l'élection. Par conséquent l'enquête est inutile. Nous pouvons dès aujourd'hui apprécier les faits, suivant les principes consacrés.