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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 6 mai 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 1073) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.

M. Vermeire, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« La veuve Bries demande que son fils Charles, milicien de la levée de 1856, soit exempté du service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Menin demandent que la monnaie d'or de France ait cours légal en Belgique. »

- Même décision.

M. Rodenbach. - Les habitants de Menin font les mêmes doléances que les pétitionnaires dont la requête a été analysée hier, au sujet du manque de monnaie légale sur la frontière et sur les difficultés qui en résultent pour les relations commerciales et agricoles. Je demande donc également un rapport sur cette pétition.

M. le président. - Il sera fait droit à cette demande.


« Des habitants d'Oostwinckel prient la Chambre de rejeter la proposition concernant le vote par lettre alphabétique et demandent : 1° le vote à la commune, sauf à réunir les communes rurales contiguës qui n'auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs ; 2_ l'abolition de l'impôt sur le débit des boissons ou du moins de la loi qui admet cet impôt dans le cens électoral. »

« Même demande d'habitants de Sleydinge. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant quelques dispositions de la loi électorale relatives aux élections.


« Le sieur Coppe demande que son fils Emmanuel-Joseph, soldat au 9ème régiment de ligne, soit libéré du service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Des habitants de Saint-Nicolas demandent que leur canton soit représenté au conseil provincial par trois conseillers. »

- Même décision.


« M. De Lexhy, empêché d'assister à la séance, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi instituant plusieurs conseils de prud’hommes

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem présente le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif à l'établissement de divers conseils de prud'hommes.

- Ce rapport sera imprimé et distribué, et le projet de loi mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant une nouvelle rédaction de l’article 84 de la loi communale

Discussion de l’article unique

M. le président. - La parole est à M. de Theux.

M. de Theux. - Messieurs, je me propose de signaler en peu de mots les mauvais caractères du projet de loi qui nous est soumis.

Un principe qui ne sera contesté par personne, c'est que le pouvoir législatif interprétant une loi, est strictement tenu à en déterminer le sens vrai, et ne peut, sous aucun prétexte, lui attribuer un sens arbitraire. Le pouvoir législatif à l'égard de la loi a donc les mêmes devoirs à remplir que les cours de justice.

Le sens que le projet du gouvernement attribue à l'article 84, est-il vrai ? Je ne le crois pas.

Pendant douze années, de 1836 à 1848 il a été appliqué de la même manière par le ministre qui avait concouru à sa confection et par les divers ministres qui lui ont succédé.

Il y avait à cette époque, dans la Chambre, des jurisconsultes éminents, des membres de l'opposition qui ne laissaient passer aucune occasion d'articuler leurs griefs ; des membres appartenant à des administrations de bienfaisance.

Or, peut-on croire que si tous les ministères avaient faussement appliqué l'article premier de la loi communale, il y aurait eu un silence absolu pendant douze années ?

En 1848, à la suite des élections, une politique nouvelle fut chargée de l'administration. M. de Haussy publia une circulaire contenant une nouvelle interprétation de l'article 84 de la loi communale.

A la suite de cette circulaire, il y eu diverses contestations judiciaires. Un premier arrêt de la cour d'appel de Bruxelles a appliqué le principe de la circulaire de 1848 ; mais trois arrêts subséquents ont appliqué le principe contraire mis en panique par le gouvernement depuis 1836 jusqu'à 1848.

Ces arrêts sont ; l'un de la cour de cassation, l'autre de la cour d'appel de Liège et le troisième de la cour d'appel de Bruxelles.

Ces arrêts, messieurs, n'ont été rendus qu'après de longues et mémorables plaidoiries, donc en parfaite connaissance de cause.

N'est-il pas vrai que si nous décidons aujourd'hui en sens contraire de ces arrêts, nous portons une atteinte morale à l'autorité judiciaire et nous posons un acte de défiance vis-à-vis de la cour de Gand qui est encore saisie de l'affaire, de la cour de cassation qui, le cas échéant où l'arrêt de la cour de Gand serait contraire à l'arrêt déjà rendu par la cour de cassation, devrait juger chambres réunies ? Cela me paraît de la dernière évidence.

Aussi, messieurs, je ne pense pas que l'on pourrait citer un seul cas d'une loi interprétative posée dans des circonstances semblables à celle-là.

Autrefois il était permis d'appeler des arrêts qu'on croyait injustes. Mais cette jurisprudence a disparu avec le pouvoir absolu. Ce n'est pas à l'autorité législative que l'on s'est adressé pour avoir le vrai sens des lois, c'est à l'autorité judiciaire.

Le pouvoir législatif ne peut raisonnablement intervenir que dans le cas de nécessité absolue, lorsqu'il n'y a plus d'autre remède pour sortir de l'incertitude et amener une solution du litige.

Je crois que ce principe ne peut être contesté, et en voici deux raisons bien déterminantes.

Je dis que le pouvoir législatif, tel qu'il est composé, est moins apte à interpréter sainement la loi que le pouvoir judiciaire, sous le rapport de la science. Je dis en second lieu qu'il est moins apte à l'interpréter sous le rapport de l'équité.

En effet, messieurs, les Chambres, telles qu'elles sont composées, ne renferment qu'un petit nombre de jurisconsultes. Aujourd'hui les magistrats par suite de la loi sur les incompatibilités, en sont exclus. Les cours judiciaires au contraire sont exclusivement composées de magistrats qui ont fait de l'application des lois une étude de toute leur vie. Leurs arrêts sont précédés de plaidoiries lumineuses des membres les plus distingués du barreau dans toutes les matières importantes. Rendus dans ces circonstances, ces arrêts doivent imposer un grand respect.

Je disais, messieurs, que la politique qui domine ordinairement dans le pouvoir législatif, autorisait tout au moins un soupçon de partialité. Et dans la circonstance présente, de quoi s'agit-il ? De donner raison à la circulaire de M. de Haussy, qui est entrée dans le programme politique du cabinet. Mais le cabinet ne sera-t-il pas soupçonné de partialité pour cette partie de son programme, et la majorité parlementaire ne sera-t-elle pas soupçonnée d'avoir été plus ou moins influencée par la considération de la nécessité d'appuyer le ministère dans une question de cette importance ?

Quoi que l'on fasse, messieurs, on ne pourra pas empêcher dans le pays que ce soupçon n'existe. Il en résultera donc une atteinte morale à l'autorité du pouvoir législatif, et il en résultera aussi une atteinte morale à la considération de l'ordre judiciaire, si vous vous prétendez plus savants, plus légitimes interprètes de la loi, vous qui n'avez point fait la loi de 1836 ; car ceci est tout à fait essentiel à la question : Si c'était une loi rendue par vous et qu'on vous en demandât le sens, il n'y aurait rien de plus naturel ; mais depuis 1836 les Chambres ont été presque entièrement remaniées par les élections. Ce n'est donc pas vous qui avez fait la loi de 1836 et qui en connaissez toute la portée.

Quant au fond, la loi constituera l'abrogation de l'article 84 de la loi communale. A ce point de vue, la loi est-elle heureuse, est-elle utile ? Je ne le crois pas. Elle enlèvera un stimulant puissant aux dons charitables. Elle portera encore une atteinte indirecte à la liberté des cultes car il est à remarquer que depuis la naissance du christianisme, c'est-à-dire depuis l'époque où il a été autorisé par les lois de divers pays, où il a cessé d'être persécuté, les fondations charitables ont été plus ou moins autorisées dans tous les Etats chrétiens sans exception jusqu'à l'époque actuelle où on veut les interdire en Belgique.

Que l'on cherche à améliorer les lois relatives aux fondations charitables, rien de plus naturel ; cela s'est fait à diverses époques ; mais que l'on supprime complétement cette faculté, qu'on ne laisse aucune issue à l'esprit charitable de la religion chrétienne pour se placer à côté des institutions établies par la loi, afin de les aider à accomplir leur mission, cela ne me paraît pas admissible.

En toute occasion nous proclamons qu'il faut, à l'époque actuelle, la concurrence et le progrès, et dans une question aussi éminemment sociale on interdit la concurrence et le progrès.

En toute matière on réclame la liberté, et précisément dans cette matière, qui intéresse si essentiellement les classes souffrantes, on interdit la liberté.

Si la loi passe, la situation de la Belgique sera exceptionnelle dans les Etats chrétiens ; elle ne sera pas même celle qui existe en France, car en France de nombreuses exceptions sont apportées au monopole des administrations légales ; en France, il y a des lois qui ont autorisé (page 1074) constamment le gouvernement à admettre le concours des associations charitables pour soulager l'humanité souffrante ; le concours est établi en France sur une échelle très large. Eh bien, la situation que l'on fera à la Belgique sera toute différente de celle des autres Etats, de celle même de la France dont on invoque ici si strictement les lois.

En résumé, messieurs, le projet de loi, quant au fond, n'est pas en harmonie avec l'esprit de notre Constitution ni avec l'esprit de notre époque. Je voterai donc contre ce projet parce que je ne trouve pas qu'il y ait lieu de faire une loi interprétative, parce que c'est un excès d'attributions, d'autre part parce que la loi, au fond, conduit à l'abrogation pure et simple de l'article 84, ce qui ne convient pas à la situation de pays et ce qui est préjudiciable aux intérêts des indigents.

M. Lelièvre. - L'utilité du projet de loi en discussion ne saurait être méconnue.

Les arrêts en sens divers, en ce qui concerne les administrations spéciales, démontrent la nécessité de régler définitivement cette importante matière, afin qu'il ne puisse plus s'élever aucun doute sur le sort des donations testamentaires ayant pour objets des fondations

Aujourd'hui la jurisprudence est loin d'être fixée. Tandis que certaines cours admettent le système des administrateurs spéciaux, d'autres se refusent à le considérer comme légal. La question peut souvent dépendre du personnel de la cour appelée à statuer en semblable matière.

Or, il est évident que tout doute sérieux qui peut s'élever sur la législation en pareil cas donne lieu à de graves inconvénients. Les testateurs sont dans l'incertitude relativement au sort réservé à leurs dispositions. L'on conçoit donc l'intervention de la loi pour mettre fin à un ordre de choses qui a besoin d'être réglé d'une manière stable et sans présenter à l'avenir le moindre doute.

Et remarquez-le bien, messieurs, l'arrêt qui interviendra à Gand n'a rait, en l'absence d'une loi, force de chose jugée, que relativement à l'espèce du litige. Qu'il s'élève d'autres contestations, elles devront être jugées comme si aucune décision n'avait été portée ; de sorte que la position ne sera pas changée.

On comprend donc combien il est nécessaire d'avoir sur un objet aussi important une législation sur le sens de laquelle il ne puisse s'élever aucune difficulté.

Tel est le but du projet de loi, et sous ce rapport, on ne peut qu'applaudir à la pensée qui l'a dicté.

Quant au projet lui-même, il me semble évident que l'article 84 de la loi communale n'a pas eu et n'a pas pu avoir pour objet de modifier la législation antérieure ni de décréter des dispositions nouvelles en ce qui concerne les fondations.

La loi de 1836 est étrangère à la matière des libéralités par acte testamentaire ou entre-vifs.

Organisant nos institutions communales, elle ne peut être étendue au-delà de son objet.

On conçoit qu'une loi de cette nature décrète des règles mises en rapport avec l'état de choses en vigueur.

Mais bien certainement on ne saurait prétendre avec fondement que ce serait dans semblable disposition que le législateur aurait voulu déposer des prescriptions ayant pour but de régler une matière spéciale, un ordre de choses se rattachant à une législation particulière. Ce serait dénaturer le caractère d'une loi organique.

L'intention du législateur ne saurait donc être révoquée en doute. Appelant le conseil communal à nommer les membres des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance, il devait naturellement faire une exception relativement aux administrations spéciales qui avaient une existence légale.

Sous ce rapport la loi de 1836 ne décrète rien, elle se réfère à l'ordre de choses existant. Par conséquent, la législation reste ce qu'elle était auparavant.

Aussi ne perdez pas de vue les termes de l'article 84.

On énonce qu'il n'est pas dérogé aux lois qui établissent des administrateurs spéciaux. Ce n'est donc pas une disposition nouvelle qu'on sanctionne. C'est une non-dérogation qu'on se borne à énoncer.

Or, quand on déclare qu'on ne déroge pas au régime en vigueur, il est clair qu’on ne décrète pas un nouvel ordre de choses, mais qu'on se borne à maintenir ce qui existe.

En conséquence, on ne maintient que les administrations spéciales pouvant être justifiées par une disposition légale antérieure.

Dire qu'on ne déroge pas à des dispositions légales, c'est proclamer clairement qu’on les laisse telles qu'elles sont sans innovation.

Une prescription nouvelle ne peut d'ailleurs résulter que de termes clairs et précis d'une disposition arrêtant un principe nettement exprimé.

L'interprétation du projet est donc la seule rationnelle, la seule conforme au texte et à l'esprit de l'article 84. Je dis à l'esprit parce qu'il résulte, des discussions qu'effectivement il a été entendu qu'on n'entendait pas déroger à la législation existante et que par conséquent c'est dans cette législation antérieure qu'il faut rechercher les cas dans lesquels les administrations spéciales sont régulièrement instituées

Ce qui prouve qu'il en est ainsi, c'est que tout le monde convient qu’antérieurement à 1836, il existait des administrations spéciales légalement établies.

Il était dès lors essentiel d'énoncer dans la loi organique de 1836 qu'on n'entendait pas déroger à cet état de choses, et tel a été le but de la disposition soumise à notre interprétation.

Du reste, ce qui a donné naissance au système opposé au nôtre, c'est la croyance qu'avaient en 1836 certains orateurs, par exemple M. Dumortier, que la législation alors existante autorisait les administrations spéciales d'une manière générale. Mais cette croyance particulière à certains membres n'a pu tenir lieu de texte de loi.

L'article 84 énonce seulement qu'on ne déroge pas à la législation en vigueur maintenant. Quelle était-elle, cette législation ? C'est ce qui n'a pas été décidé, et par conséquent c'est ce que nous sommes appelés aujourd'hui à constater.

Il suffit que par l'article 84 on n'ait pas voulu innover la législation existante, pour que la question doive être considérée comme entière, et par conséquent c'est sur le terrain de la législation antérieure à 1836 que la discussion doit être placée.

Or, d'après la législation antérieure à 1836, il est incontestable que les administrations spéciales n'étaient autorisées que dans les cas exceptionnels énoncés au projet.

Toutes les fondations charitables avaient été dévolues à la nation.

Les lois de l'an V et de l'an VII, qui ont réglé le nouvel ordre de choses, ont transféré aux administrations officielles la gestion des fondations charitables, sans aucune distinction.

La loi ne reconnaissait plus que les administrations par elle établies.

L'arrêté de fructidor an XI et le décret du 21 juillet 1806 ont créé des exceptions pour certains cas particuliers, mais ces exceptions confirment précisément la règle générale, elles prouvent qu'en principe, les administrations spéciales étaient exclues, puisqu'il a fallu des dispositions spéciales pour les autoriser dans certains cas particuliers.

A mes yeux, il y a un argument décisif.

Les administrations spéciales sont bien certainement venues à cesser en vertu des lois des 28 juin, 8 juillet 1793 et 22 floréal an II. Eh bien, aucune loi subséquente ne les a rétablies et les lois qui sont intervenues ensuite n'ont admis que les administrations officielles.

Nous ne voyons apparaître les administrations spéciales rétablies que pour certains cas particuliers, ce qui prouve que ce sont là des exceptions qui doivent être circonscrites dans les limites tracées par Is dispositions qui les concernent. Si la règle commune avait admis les administrations spéciales, il eût été bien inutile d'énoncer certains cas particuliers dans lesquels on entendait les autoriser.

Le projet de loi me semble donc conforme aux véritables principes.

Quant à sa portée, je dois dire qu'à mes yeux il est parfaitement constitutionnel de déclarer que la disposition préposée est applicable aux faits antérieurs, non parce qu'il s'agit d'une loi interprétative, mais parce qu'il est question d'une mesure d'intérêt général qui s'applique à un ordre de choses soumis essentiellement à l'action de la puissance publique.

Lorsque le gouvernement autorise des administrations spéciales, il ne fait que décréter des dispositions réglementaires qui ne confèrent à personne aucun droit acquis. En conséquence le mode d'administration peut être changé par une disposition postérieure, sans que celle-ci puisse être critiquée du chef de rétroactivité.

Les institutions publiques sont soumises en tout temps à la puissance de la loi, qui peut substituer au mode d'administration établi telle autre organisation qu'elle juge le plus convenable dans l'intérêt de la fondation.

Pourquoi ? Parce que l’établissement d'un règlement quelconque relatif à l'administration des fondations ne donne naissance à aucun droit privé, et il appartient à la puissance publique de décréter les mesures qu'elle considère comme les plus utiles aux intérêts d'institutions qui relèvent directement d'elle.

Le nouveau régime est introduit dans l'intérêt même de la fondation, afin qu'elle soit mieux administrée, et par conséquent les lois qui admettent des changements considérés comme des améliorations, doivent pouvoir s'appliquer à toutes les fondations quelconques, même à celles qui ont vu le jour antérieurement.

Les lois qui ne peuvent rétroagir sur l'état de choses antérieur sont exclusivement celles qui ont conféré à des tiers des droits irrévocables ; mais les dispositions d'ordre public s'appliquant à des institutions soumises par leur nature à l'action du législateur exercent leurs effets au moment de leur publication sur toutes les institutions existantes, dont elles ne font que modifier l'organisation dans un intérêt général et même dans l'intérêt des institutions publiques elles-mêmes.

Je dis donc que si l'on considère le projet de loi comme décrétant un nouvel ordre de choses, il doit pouvoir s'appliquer à toutes les institutions spéciales, même à celles constituées antérieurement.

Il n'est donc pas nécessaire de discuter si le projet de loi doit être considéré comme interprétatif, puisque, en supposant qu'il introduise un nouveau régime, cet ordre de choses devrait pouvoir s'appliquer à toutes les fondations quelconques qui ne seraient pas formellement soustraites à l'empire du nouveau régime.

Du reste, il est bien entendu que si, sous l'empire de la loi ancienne, des droits privés avaient pris naissance, ils ne seraient pas atteints par (page 1075) la loi nouvelle et les particuliers seraient admis à discuter leurs droits devant les tribunaux sans qu'on pût leur opposer le régime nouveau.

D'un autre côté, les administrations spéciales constituées antérieurement en vertu de l'autorisation du chef de l'Etat, ne seraient pas anéanties de plein droit, elles ne pourraient venir à cesser qu'en vertu de dispositions ultérieures du gouvernement, à qui je ne conseille pas de revenir sur des faits consommés.

Je pense donc que le projet de loi ne devrait être appliqué qu'aux dispositions testamentaires ou entre-vifs à l'égard desquelles il n'a pas encore été statué par le gouvernement.

C'est en ce sens que l'équité exige qu'on procède, parce que dans l'exécution des lois il faut prendre garde aux faits existants que l'on ne peut faire disparaître sans de graves motifs.

Je pense donc qu'on peut voter le projet tie loi, sans même examiner s'il doit être considéré comme décrétant des dispositions nouvelles ou comme simplement interprétatif. C'est en ce sens que je crois devoir me prononcer, tout en recommandant au ministère de n'appliquer la loi nouvelle qu'aux dispositions testamentaires ou entre-vifs à l'égard desquelles il n'est pas intervenu d'arrêté contraire, émané du gouvernement.

M. B. Dumortier. - Messieurs, j'aborde cette tribune avec un profond sentiment de douleur, parce que j'espérais que votre sagesse, à vous majorité, n'aurait pas amené une discussion semblable, une discussion d'une portée aussi grande pour les intérêts religieux que vous allez encore immoler à l'esprit de parti, aussi irritante peut-être, dans les circonstances difficiles où l'Europe et la patrie peuvent être placées. Je l'aborde avec douleur, parce que je ne puis m'expliquer comment il est possible que dans des documents officiels et remis à cette Chambre, on ait respecté assez peu la vérité pour avoir présenté les débats de 1834 et de 1836, de manière à leur faire dire tout le contraire de ce qu'ils contiennent.

Jamais rien de semblable à ce qui se passe aujourd'hui ne s'est vu dans aucun gouvernement représentatif. Je conçois, tout en m'en affligeant, qu'on vienne proposer des lois de parti, des lois de réaction et de violence ; cela s'est vu ; mais ce que je crois être de tous les temps, de tous les lieux, c'est de respecter la vérité sur les précédents.

Eh bien, sans respect pour la vérité, on ose venir nous dire dans l'exposé des motifs et dans le rapport, que la loi communale a une pensée diamétralement opposée à celle que nous, membres de la législature de cette époque, nous avons voulu lui donner ; que l'amendement que j'eus l'honneur de présenter et qui fait l'objet de l'article en discussion, a une portée complétement contraire à celle que j'ai entendu lui donner.

Je dis que je ne conçois rien à un pareil état de choses, à ce manque de respect pour la vérité ; j'en suis triste, j'en suis désolé pour mon pays ; parce que j'y vois jusqu'où peut tomber l'esprit de parti lorsqu'il s'appuie sur les mauvaises passions.

Faites des lois de majorité, faites des lois réactionnaires ; nous, minorité, nous ne pouvons pas nous y opposer ; et vous, majorité, vous n'en êtes pas à votre coup d'essai ; mais vous ne resterez pas toujours majorité ; nous redeviendrons majorité, et alors, à votre exemple, nous inscrirons aussi sur notre bannière ces mots : Retrait des lois réactionnaires ; mais il y aura cette différence, que votre phrase de 1846 est restée sans effet, et que nous, nous aurons le courage de remplir cette partie de notre programme, car les lois qui ne sont pas basées sur la justice, mais sur les mauvaises passions, disparaissent avec les majorités qui les ont faites.

Messieurs, il s'agit dans ce moment d'une question qui, il y a deux ans, a singulièrement préoccupé le pays, d'une question qui a eu une issue bien déplorable, issue dont je ne veux pas vous entretenir, eu égard à la situation dans laquelle se trouve l'Europe. (Interruption.)

Vos murmures ne m'empêcheraient pas de m'expliquer avec franchise sur les événements de 1857, s'il n'y avait pas chez moi quelque chose de plus impérieux, l'amour de la patrie qui n'a cessé de battre dans mon cœur et qui me fait taire sur vos actes en ce moment.

Messieurs, nous abordons une question qui a donné de bien longs et pénibles débats ; nous l'abordons sous une autre face. On nous présente une loi qu'on dit interprétative, et pour justifier une loi interprétative, on fait dire à la loi communale tout le contraire de ce que le législateur a voulu lui faire dire. Dans ce but, le ministère se fonde sur deux choses ; que la Chambre de 1834 n'a pas voulu innover, et qu'elle n'a pas voulu stipuler pour l'avenir, deux choses entièrement contraires à la vérité et évidentes pour quiconque voudra lire les débats de cette époque.

Le ministère prétend donc que dans la discussion de la loi communale, la Chambre n'a pas voulu innover, et, au moyen d'un misérable ergotage sur ce mot « innover », il prétend que la Chambre d'alors voulait conserver intactes les lois de l'empire, ces lois que la Chambre de 1834 voulait précisément repousser. Mais, s'il en avait été ainsi, si la Chambre avait voulu rétablir ces lois odieuses, il se serait trouvé dans cette Chambre, lors des deux discussions qui ont eu lieu, il se serait trouvé des membres qui auraient cité, qui auraient invoqué les lois de l'empire auxquelles on n'a pas voulu, dites-vous, innover.

J'en appelle aux membres qui siégeaient alors dans la Chambre, nous sommes encore onze ou douze, y a-t-il eu un seul membre, soit parmi ceux qui combattaient la disposition, soit parmi ceux qui la présentaient, qui ait voulu s’en référer aux lois de l'empire ? Parcourez tous les débats ; ces lois ne sont invoquées nulle part, ni par les uns, ni par les autres. Et pourquoi ? Parce qu'on savait que ces lois étaient annulées par l'effet des règlements des villes et du plat pays et qu’elles n'existaient plus. Il ne s'agit pas d'ergoter sue les mots ; non, la Chambre n'a pas voulu innover ; mais à quoi ? Aux règlements des villes et du plat pays, dont la Chambre avait à régler la corrélation avec la loi communale, qui devait leur succéder. La Chambre n'a pas voulu innover, quant à la force donnée aux testaments par les règlements des villes et du plat pays, parce qu'elle voulait que cette force, que ce principe sacré du respect aux volontés du fondateur, ne tombât pas avec ces règlements. Voilà en quoi la Chambre, n'a pas voulu innover.

Le ministre, dans son exposé des motifs, dit « qu'il est vrai que dans la discussion de 1834, quelques orateurs se sont mépris en supposant, contre toute vérité, que par dérogation aux lois des 16 vendémiaire et 7 frimaire an V, la disposition du règlement des villes avait attribué aux fondateurs le droit d'instituer à l'avenir des administrateurs spéciaux. »

Certes, messieurs, il y a ici de grands jurisconsultes, mais je crois que M. Tesch et M. le rapporteur ne seraient pas offensés si je disais qu'ils sont de la force de MM. Dubus aîné, de Behr, Raikem, Fallon ; de ces hommes éminents qui prirent part à la confection de la loi communale. Nous avions alors ces jurisconsultes éminents dans cette assemblée, nous en avions bien d'autres encore, MM. de Muelenaere, Gendebien, Doignon, Jullien et tant d'autres ; l'élite de la magistrature et du barreau siégeait dans cette enceinte. Dites-le ; croyez-vous que ces hommes ne connaissaient pas les lois de l'empire, qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient ?

L'honorable M. Lelièvre prétend que quand on ne dit qu'on ne voulait pas innover, on entendait parler des lois de l'empire. Certes, je crois que l'honorable membre se trouverait honoré si on lui disait qu'il est de la force d'un Raikem, d'un Dubus, je crois qu'il ne s'en trouverait pas offensé ; pour moi si j'avais l'honneur d'être avocat, je regarderais comme un grand honneur de lui être comparé. M Fallon, et M Gendebien, l'élite du barreau siégeait dans cette enceinte.

Nous avions M. Gendebien, et tant d'autres, M. de Brouckere, M. Liedts. Parmi ceux qui siégeaient dans cette enceinte, se trouvaient des conseillers de cours, des présidents de tribunaux, des juges ; les magistrats et jurisconsultes formaient plus du quart de la Chambre à cette époque. M. Lelièvre pense-t-il que tous fussent assez incapables pour ne pas savoir ce qu'ils faisaient, pour qu'aucun n'eût su qu'il y avait des décrets de l'empire ? Nous savions tous et nous, qui ne sommes pas avocats, nous savions qu'il y avait des décrets de l'empire ; mais nous soutenions tous, nous étions profondément convaincus que ces décrets avaient été abrogés par la présence de la disposition du règlement des villes du roi Guillaume, règlements que nous étions occupés à transformer en loi communale.

En effet, tous les actes du roi Guillaume prouvent à l'évidence l'abrogation de ces décrets.

Je voudrais bien qu'on me dît, si ces lois avaient continué à être en vigueur comme l'indiquent le projet, le rapport et M. Lelièvre, comment il se fait que les membres qui s'opposaient à la disposition n'aient pas invoqué ces lois, que dans les deux discussions sur la matière, pas un membre n'ait mentionné cette prétendue force légale des lois de l'an V. Et l'on ose prétendre que c'est là ce que la Chambre de 1834 a voulu ! Ma pensée se révolte à la vue d'un tel soutènement.

Mais, réfléchissez-y, l'opposition elle-même reconnaissait, par son silence, que ces lois que vous voulez faire revivre n'existaient plus, et nous verrons tout à l'heure que, par ses paroles, elle le reconnaissait bien plus explicitement encore, car elle reconnaissait que le gouvernement n'a pas le droit de refaire ces testaments, comme vous l'avez fait.

Quelle est, messieurs, la portée de l'article des règlements des villes et de l'article des règlements du plat pays, qui sont ici en cause ? Vous le savez, les lois du directoire et de l'empire avaient reçu dans notre pays le plus détestable accueil ; le pays tout entier avait vu avec infiniment de regret disparaître toutes ses anciennes fondations ; et ces lois n'avaient pas même été exécutées en Hollande, à ce qu'on nous dit dans le rapport. Telle était la situation.

Le roi Guillaume arriva, et dès 1817, époque à laquelle remontent les premiers règlements, il déclara que, quant à lui, il respecterait la volonté des fondateurs et qu'il autoriserait les fondations spéciales.

Le roi de cette époque pouvait-il, oui ou non, prendre une pareille mesure ? Je crois qu'il n'est personne dans cette enceinte qui puisse le contester.

L'article 228 de la loi fondamentale était parfaitement explicite à cet égard.

En vertu de cet article, toutes les mesures relatives à la bienfaisance étaient laissées au roi Guillaume, de même qu'en vertu de l'article 226 il avait le droit de prendre toutes les mesures relatives à l'instruction.

La loi fondamentale l'investissait sur ces deux points du pouvoir suprême. Pendant toute la durée du règne du roi Guillaume, toutes les mesures relatives à l'instruction et toutes les mesures relatives à la charité furent abandonnées à son suprême arbitre, sauf l'obligation d'en rendre compte aux états généraux. C'était le régime des décrets de (page 1176) l'empire, moins la faculté laissée au sénat de les abroger par un sénatus-consulte.

Le roi Guillaume prenait donc des arrêtés sur la matière, dans la plénitude de sa puissance, et c'est en vertu de ce pouvoir qu'il inscrivit dans les règlements provinciaux et locaux que la volonté des testateurs serait respectée.

Or, ici encore je me permettrai de faire une seconde observation. C'est que ces règlements étaient portés par le roi Guillaume seul et sans devoir recourir à l'assentiment du corps législatif.

Ces règlements n'étaient point non plus des arrêtés ; ce n'étaient cependant pas des lois ; c'étaient des décrets qui avaient plus que force de loi et qui faisaient partie de la loi fondamentale. Ces règlements provinciaux et communaux, le roi n'y pouvait plus toucher ; les Chambres n'y pouvaient plus toucher.

Il fallait, pour les modifier, assembler les Chambres en nombre double et suivre la même marche que pour un changement à la loi fondamentale. C'étaient donc des arrêtés ayant plus de force même que la loi ; et c'est dans ces arrêtés que se trouvait cette formule que la volonté des testateurs devait être respectée quand ils nommaient des administrateurs spéciaux.

Vous le voyez donc, c'était dans la plénitude de ses droits et en vertu du pouvoir suprême que lui donnait l'article 228 de la loi fondamentale que le roi Guillaume avait rétabli les droits des fondateurs dans les règlements communaux ; et, remarquez-le bien, alors qu'il fit les seconds règlements en 1824, les états généraux n'avaient jamais soulevé aucune réclamation sur cette disposition contenue dans les premiers règlements. Ils les avaient vus fonctionner pendant dix ans, et un seul homme s'est-il trouvé dans les états généraux pour demander le retrait de ces dispositions ? Pas un. Y a-t-il eu une seule note fournie de la part des sections pour en demander le retrait ? Pas une. Le roi Guillaume, en faisant les seconds règlements et en introduisant dans les nouveaux règlements les dispositions relatives aux administrateurs spéciaux qui se trouvaient dans les premiers, agissait, non seulement en vertu de la plénitude de son pouvoir royal et en quelque sorte absolu, mais encore au su, au vu et sans le contrôle des états généraux, où jamais une voix ne s'était élevée et ne s'est élevée depuis pour réclamer l'exécution de ces lois de l'an V, que les règlements abrogeaient et que vous prétendez avoir toujours été en vigueur.

Maintenant, que vient-on nous dire ? On vient nous dire que ces règlements avaient deux portées, une pour la Hollande et une autre pour les provinces méridionales. Je pourrais, messieurs, demander où cela est écrit et je crois qu'on ne le trouverait nulle part. Mais si les règlements avaient deux portées, deux sens, comment se fait-il qu'il n'y avait qu'un seul texte ? Il y avait dans les règlements plusieurs dispositions qui différaient d'une province à l'autre, d'une ville à l'autre, mais celle-là était la même pour les deux pays.

Le ministre vient dire, dans son exposé des motifs, que cet acte avait deux sens, un sens pour la Belgique et un autre sens pour la Hollande ; mais, si cela était, si l'article avait deux sens, le pouvoir qui a créé cet arrêté, en aurait fait deux applications différentes, une pour la Belgique et une pour la Hollande. Voilà ce qu'aurait fait le pouvoir. Eh bien, voyons les fais, voyons les arrêtés qui ont été pris par le roi Guillaume ; nous verrons ensuite s'il est vrai de dire que cette disposition des règlements eût deux sens.

Mon honorable collègue, M. Van Overloop, l'a dit hier, les documents produits à la Chambre établissent qu'il y a eu, de 1816 à 1830, 37 arrêtés de fondation autorisant la création d'administrateurs spéciaux, contrairement aux lois de l’an V et portés par le roi Guillaume, arrêtés qui tous étaient en parfaite harmonie avec le texte des règlements communaux. Voilà l'application du principe dans les provinces méridionales et elle prouve qu'il est faux de dire que les règlements avaient deux sens, l'un pour les provinces septentrionales, l'autre pour les provinces méridionales. Je crois même que ce chiffre n'est pas complet, car parmi les fondations indiquées je n'en trouve pas une notamment qui existait à Tournai, fondation cependant très importante.

Or, comment le roi Guillaume entendait-il les choses ? Je ne vous parlerai que des faits qui se sont passés sous mes yeux dans la ville que j'habite, à Tournai.

Le sieur Pifry lègue ses biens aux pauvres de la paroisse de Saint-Piat, à la condition que la distribution des revenus se fera par le bureau des marguilliers de la paroisse.

Eh bien, que fait le roi Guillaume ? Suit-il les lois de l'an V ? Pas du tout. La disposition pour la collation des biens n'était pas claire ; que fait le roi Guillaume ? Il donne l’administration des biens au bureau de bienfaisance, avec obligation de verser tous les ans, contre quittance, entre les mains du bureau des marguilliers de la paroisse, la totalité des revenus. Voilà comment le roi Guillaume donnait deux sens à la loi, comment il l'appliquait d'une manière différente en Hollande et en Belgique.

M. le doyen Vander Dilft fait une donation, en ordonnant la distribution des revenus par les mains de l'évêque ; même résultat ; et remarquez que l'arrêté qui autorise la fondation de M. Vander Dilft est du 7 janvier 1830.

M. Dequesne, curé de Saint-Brice, fonde une école de filles pauvres en stipulant que cette école sera établie dans sa paroisse.

C'est le doyen de la paroisse qui en aura la gestion ; c'est lui qui en sera le collateur. Eh bien, qu'est-il arrivé ? Le roi Guillaume approuve tout cela. Les fonds de la fondation sont remis à M. le doyen de Saint-Brice pour l'école des pauvres, comme les fonds de la fondation de M. Vander Dilft sont remis à l'évêque pour être distribués suivant son intention. Cet arrêté est du 1er juin 1822.

Voilà la législation de l'époque ; ce n'était pas du tout la législation française ; c'était la législation ancienne, la vieille législation du pays que le roi Guillaume avait renouvelée, qu'il avait rétablie dans son droit souverain en vertu des règlements des villes.

Ces faits que je pourrais multiplier très à mon aise, puisqu'il y a eu trente-sept arrêtés pris sous le roi Guillaume qui tous sont analogues, vous prouvent à la dernière évidence, qu'il est complétement inexact de venir dire qu'ils avaient deux sens ; un sens pour la Hollande, un sens pour la Belgique. Ils prouvent que ces règlements n'avaient qu'un sens unique, celui du respect pour la volonté des fondateurs, et qu'il n'est pas possible de soutenir qu'ils n'étaient pas applicables en Belgique, comme on ose le soutenir aujourd'hui.

C'est, messieurs, en présence de cette situation que nous avons eu à refaire la loi communale. La loi communale, cette seconde charte de nos libertés, prescrite par la Constitution, devait reprendre toutes les dispositions de l'ancienne loi communale des Pays-Bas, ce qu'on appelait les règlements des villes et du plat pays des Pays-Bas.

Nous arrivions donc à l'article destiné à la nomination des administrations de bienfaisance légales, article qui comprenait les dispositions en vertu desquelles le roi Guillaume avait rétabli les administrateurs spéciaux et la liberté laissée aux fondateurs.

J'eus l'honneur, messieurs, d'être nommé rapporteur de cette loi communale. Je crois donc que je puis en parler ici avec connaissance de cause, tant comme rapporteur que par suite de la part que j'ai prise à la discussion de cette loi. Le rapporteur de la loi est ordinairement à même d'en apprécier la portée. Eh bien, je n'invoquerai pas mes souvenirs, mais j'invoquerai ce qui a été écrit à cette époque.

Nous avions à examiner, dans la loi communale, la disposition présentée par l'honorable M. Rogier et qui était formulée ainsi :

« Le conseil nomme les membres des administrations des hospices publics ou des établissements de charité et des administrations générales des pauvres pour autant qu'il n'ait pas été décidé autrement par les actes de fondation. »

Voilà la disposition que nous avions à examiner. La section centrale apporta une très légère modification à cette disposition ; c'était plutôt une modification grammaticale qu'une autre. Elle dit :

« Le conseil nomme les membres des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance, à moins qu'il n'ait été décidé autrement par les actes de fondation. »

Voici maintenant ce que porte à cet égard le rapport de la section centrale, émanation de toutes les sections, non de sections désertées comme on les voit aujourd'hui, mais de sections complètes, comme on les voyait alors, car on travaillait à cette époque, et l'on travaillait beaucoup. (Interruption.)

Je vous conseille, vous qui m'interrompez, de faire le quart en fait de travaux des sections ;

Je dis que les sections étaient très fréquentées alors ; et quand je me rends en section aujourd'hui, j'y trouve deux ou trois membres. Les sections alois étaient complètes.

M. Allard. - Vous n'y allez jamais, n'accusez pas vos collègues.

M. B. Dumortier. - Que dit M. Allard ?

M. Allard. - Je dis que vous accusez à tort vos collègues, que nous allons tous les jours en section.

M. B. Dumortier. - Je ne sais ce que fait M. Allard, mais je dis qu'alors les sections étaient beaucoup plus fréquentées qu'aujourd'hui, qu'aujourd'hui elles sont désertes.

M. Allard. - Vous ne pouvez pas le savoir, vous n'y allez jamais.

M. B. Dumortier. - Messieurs, c'est inexact, c'est une contre-vérité. Il sied bien à M. Allard de me parler de la sorte. Quand il aura fait la millième partie de mes travaux, je lui permettrai de parler.

Le rapport disait donc :

« Le n° 2, relatif aux établissements de charité, a donné lieu aux observations de plusieurs sections. Dans le vague de ses termes, la nomination des membres administrateurs de tous les établissements de charité serait confiée aux conseils communaux. D'accord avec les 4ème, 5ème et 6ème sections, nous avons restreint ce droit aux membres des bureaux de bienfaisance et des hospices, sur les administrations fondées par la loi. »

Puis le rapport ajoute, et c'est ici que j'appelle toute votre attention : « Si dans certains hospices… »

M. Muller. - Hospices !

M. B. Dumortier. - Oui, vous verrez bien. « Si dans certains hospices, la volonté des fondateurs appelle certaines personnes pour les administrer, cette volonté, qui est la loi des établissements, sera toujours respectée comme sacrée. »

Vous voyez qu'il ne s'agissait pas là de voir ce que signifiaient ces grands mots d'innover, de ne pas pouvoir changer. Voilà la portée du (page 1077) rapport de la section centrale, portée qui se trouve dans toute la discussion. Si dans certains hospices la volonté des fondateurs appelle certaines personnes à les administrer, cette volonté, qui est la loi des établissements, sera toujours respectée comme sacrée.

Messieurs, nous ne nous sommes pas bornés à cette disposition, nous en avons encore introduit d'autres. L'honorable M. Muller relève le mot « hospices ». Eh bien, voici ce que la section centrale disait à l'article 79 actuel :

« Indépendamment des administrations des hospices et de bienfaisance, le projet soumet à l'administration communale les budgets des comptes de tous les établissements locaux qui demandent ou reçoivent un secours de la commune. Votre section centrale a pensé que cela allait trop loin ; conséquente avec ce qu'elle a résolu en manière de nominations et d'après les motifs qu'elle a développés à ce sujet, elle a écarté cette proposition en bornant l'article aux établissements dont elle nomme les administrateurs. »

Puis, après avoir posé le principe du respect à la volonté du fondateur quant aux personnes qu'il désigne, la section centrale voulut confirmer ce respect quant aux choses, et à l'article 91 actuel de la loi où l'on introduisait cet amendement que le collège des bourgmestre et échevins devait veiller à ce que les administrations de charité ne s'écartent pas de la volonté des donateurs et des testateurs, le rapport de la section centrale disait :

« Une section a fait remarquer que dans beaucoup de communes, sous prétexte d'améliorations à apporter aux établissements de charité, on a souvent méprisé les volontés des testateurs qui sont la loi des établissements. La section centrale réprouve hautement ce système ; elle pense qu'il faut en écarter la possibilité en établissant les régences gardiennes de la volonté des testateurs. »

Voilà, messieurs, le but de l'amendement ; voilà ce but clairement défini : respect à la volonté des fondateurs, comme les anciens règlements l'avaient voulu, comme le roi Guillaume l'avait exécuté en vertu des anciens règlements.

Voilà la pensée de la section centrale, c'est-à-dire qu'elle repousse complétement le système français pour conserver le système néerlandais qui n'était rien autre chose que l'ancien système belge, système qui avait subi une légère interruption durant le règne du directoire et de l'empire, mais que le roi Guillaume avait rétabli dès son arrivée au trône.

Maintenant nous arrivons aux débats.

On demande ici quel a été le but du législateur. M. le ministre de la justice soutient, dans son rapport que la loi ne s'applique qu’aux fondations qui étaient gérées par des administrations spéciales à l'époque où la loi a été votée, que, par conséquent, elle ne s'applique pas à l'avenir.

L'honorable M. Lelièvre, de soi côté, prétend qu'on n'a pas voulu innover, qu'on voulait simplement maintenir les dispositions existantes à cette époque, lesquelles, dit-il, étaient les lois françaises. Voyons, messieurs, comment les faits se sont passés.

Je voudrais pouvoir vous lire la discussion tout entière ; j'en demandais l'autre jour la distribution, on m'a répondu que tout le monde l'avait, je crois que bien peu de membres l'ont lue, mais je dois dire avec l'honorable avocat général Donny, membre lui-même de cette assemblée à cette époque, que je ne comprends pas que quiconque a lu les débats puisse concevoir le moindre doute sur la portée de la loi.

Dans la discussion, quatre objections furent présentées et pour bien comprendre les débats, je vais présenter d'abord, en groupe, toutes les objections qui ont été faites.

La première objection fut présentée par M. Pollénus. M. Pollénus croit voir dans la rédaction de la loi une faculté laissée au testateur « de nommer un membre de l'administration des hospices, c'est-à-dire d'usurper sur le pouvoir de la commune, de créer une autorité publique ». Voilà la première objection, qui est celle de l'honorable M.P ollénus, et c'est elle qui a donné lieu à l'amendement que j'ai présenté et qui fait aujourd'hui partie de la loi.

La deuxième objection était présentée par l'honorable M. Gendebien. L'honorable M. Gendebien admet la fondation d'établissements complets. Il n'avait pas le moindre doute quant à la fondation d'établissements complets. Lorsqu'il s'agissait d'établissements complets, le roi devait autoriser la création d'administrateurs spéciaux. L'objection de M. Gendebien ne concernait que les autres fondations. Il respectait, par conséquent, la volonté du testateur chaque fois qu'il s'agissait d'un établissement complet. Vous voyez donc qu'il se tenait en dehors des lois françaises.

La troisième objection est celle de l'honorable M. Henri de Brouckere. L'honorable membre ne combattait pas la loi en principe, mais il regardait la disposition comme inutile et comme n'étant pas à sa place. Il déclarait de pas vouloir d'innovation à la législation existante.

Enfin au second vote, une quatrième objection fut présentée par l'honorable M. Jullien. M. Jullien craignait que la loi n'eût un effet rétroactif, qu'elle n'agît sur le passé, et il demande le retrait de la disposition, retrait qu'il a consenti plus tard à ne plus exiger. L'honorable M. Jullien se disait ceci : Les bureaux actuels d'hospices et les bureaux de bienfaisance sont formés de la réunion d'une foule d'administrations spéciales antérieures à la république française ; or, au moyen de la disposition que nous allons voter, ne peut-il pas arriver que tous ces établissements seront reconstitués et que tous les bureaux d’hospices et le bureaux de bienfaisance se trouveront dans l’impossibilité de continuer leurs fonctions ?

Voilà quelle était la crainte de l'honorable membre ; il croyait y voir une pensée d'innovation aux dépens des fondations existantes dans les hospices.

Abordons maintenant chacune de ces quatre objections en particulier.

L'honorable M, Pollénus commence la discussion, dans la séance du 25 novembre 1834, en demandant au rapporteur si au moyen de la rédaction empruntée aux anciens règlements on ne donnera pas aux particuliers le droit de conférer à quelqu'un la qualité de membre d'une administration de bienfaisance, c'est-à-dire une qualité emportant tout un caractère public. Evidemment telle n'était pas la pensée de la commission et ce ne pouvait être la pensée de personne ; cependant la loi hollandaise était mal rédigée et l'objection de M. Pollénus fut reproduite ultérieurement par M. Henri de Brouckere ; c'est alors que j'ai présenté l'amendement qui a été introduit dans la loi.

Mais voyons comment les choses se passèrent.

A l'objection de M. Pollénus que répond le rapporteur de la section centrale ?

« Le but que nous nous sommes proposé avant tout, a été de respecter les intentions du fondateur. Si le fondateur entend que l'établissement soit administré par tel ou tel de ses parents, ou que l'administrateur soit nommé par ses parents, une telle disposition est la loi de l'établissement : elle est la condition sous laquelle le legs a été fait. Vous ne pouvez changer ce que le testateur a fait à cet égard ; sa volonté est une loi à laquelle on ne peut déroger. Je pense donc qu'il y a lieu de maintenir la proposition du gouvernement, afin qu'il n'y ait aucun doute, car il y en aurait si cette disposition n'était pas dans la loi. »

Cette dernière phrase prouvait déjà, messieurs, que nous connaissions bien les lois de l'empire quand nous disions qu'il y aurait doute si la disposition n'était pas dans la loi ; nous savions très bien qu'il y avait eu avant les règlements des dispositions de l'an V et d'autres dont nous ne voulions plus.

M. Pollénus répond: « L'honorable M. Dumortier avait manifesté l'intention de présenter un amendement, s'il ne le faisait pas, j'en proposerais un ainsi conçu : « Il n'est pas dérogé au droit des particuliers de nommer des administrateurs spéciaux par les actes de fondations. »

Si cette disposition, messieurs eût été admise dans la loi communale, on viendrait encore, probablement, prouver qu'elle ne signifie rien ; cependant le droit des testateurs y était formellement inscrit, mais il n'y était inscrit que pour l'avenir, et pour les fondations déjà autorisées, on pouvait en conclure, que le droit était retiré. C'est ce qui donna lieu à l'amendement que j'ai proposé.

Je répondis alors, et ce que je disais renferme le sens de la disposition puisque c'est moi qui en étais l'auteur ; je répondis :

« La proposition de M. Pollénus ne pourrait être admise, car elle ne stipule que pour les fondations qui seront faites à l'avenir. Cependant, les droits sont les mêmes, soit que les fondations soient antérieures ou postérieures à la loi. »

Voici comment je proposerais de rédiger la disposition :

« Il n'est pas dérogé par les dispositions qui précèdent aux actes de fondations qui établissent des administrateurs spéciaux. »

Je crois, messieurs, qu'il serait difficile d'être plus clair. Je n'accepte pas l'amendement de M. Pollénus parce qu'il ne stipule que pour les fondations à venir, et j'ajoute :

« Les droits sont les mêmes, soit que la fondation soit antérieure ou postérieure à la loi. »

Et on vient aujourd'hui nous dire que la loi n'a pas disposé pour l'avenir, lorsque l'auteur de l'amendement déclare à la Chambre que c'est pour l'avenir comme pour le passé qu'il veut faire une disposition !

En vérité c'est incroyable. Il faut qu'on n'ait pas lu les débats pour soutenir une pareille thèse, une pareille contre-vérité.

Que fait M. Pollénus ? « Je me rallie, dit-il, à l'amendement de M. Dumortier. »

Voilà donc M. Pollénus qui voulait une disposition pour l'avenir, qui se rallie à mon amendement dont la portée, nettement exprimée, était pour l'avenir comme pour le passé. Il n'y avait donc aucun doute sur la portée de l'amendement ; toute la discussion en fait foi.

La Chambre savait ce qu'il signifiait, et il faut dénaturer la vérité pour soutenir le contraire. Mais non, il a fallu torturer le sens de quelques phrases extraites de quelques discours, pour faire jaillir un doute de pareils débats. Car jamais discussion dans cette Chambre ne fut aussi claire, aussi précise. Tout le monde savait que ce qui était en jeu, c'était la proposition de l'honorable M Rogier ; et l'honorable M. Rogier ne viendra pas prétendre que lorsqu'il venait proposer sur ce point le maintien de la disposition inscrite dans les règlements du roi Guillaume, identiquement avec la même formule, il avait, en vue de rétablir la législation française ; s'il avait voulu rétablir cette législation, il ne serait pas venu proposer le maintien de la disposition inscrite dans les règlements du roi Guillaume, il aurait présenté toutes les dispositions législatives de l’an V dont vient de parler l'honorable M. Lelièvre.

L'honorable M. Rogier, en proposant les règlements du roi Guillaume, voulait donner une consécration nouvelle à cette formule, formule qui était exclusive et directement opposée aux lois dont parle l'honorable (page 1078) M. Lelièvre et dont il est question dans le rapport de la section centrale et dans l'exposé des motifs.

Maintenant l'objection de l'honorable M. Pollénus vient à disparaître ; au moyen de la nouvelle rédaction, ou ne peut plus conclure que les fondateurs pourront nommer à des fonctions publiques ; voilà donc l'objection mise de côté ; vous verrez plus tard que l'honorable M. Pollénus défend la même thèse et vote également l'amendement.

Vient l'objection de l'honorable M. Gendebien ; examinant la question au point de vue du passé et de l'avenir, l'honorable membre dit :

« Si vous adoptez la disposition qu'on vous propose, vous trouverez des spéculateurs qui feront donner à des hospices ou à des établissements de bienfaisance des legs de 100,000 ou de 10,000 fr., à condition qu'ils seront chargés de les administrer. »

L'honorable M. Gendebien comprenait parfaitement bien que la disposition était pour le passé comme pour le futur, quand il parlait des spéculateurs qui feront donner à condition qu'ils seront chargés ... »

C'était évidemment le futur que l'honorable membre avait en vue.

Je suis au regret, mais on m'y a forcé, d'entrer dans cette discussion en quelque sorte grammaticale ; j’en demande sincèrement pardon à la Chambre.

L'honorable M. Pollénus répond :

« Je crois, pour ma part, qu'il est utile et nécessaire de reconnaître aux particuliers le droit de nommer des administrateurs spéciaux. »

Est-ce là encore une phrase pour le passé ? C’est bien un acte pour l'avenir : reconnaître le droit de nommer, ce n'est pas reconnaître les administrateurs qui seront nommés. C'est le futur.

« D'autant plus, ajoute-t-il, que si on ne reconnaissait pas ce droit, on pourrait dire que la disposition générale non limitée est exclusive du droit que nous reconnaissons aux particuliers de confier la gestion de leur dotation à des administrations particulières. »

Il s'agit donc toujours du futur ; c'est le futur qui est en jeu, et on ose venir prétendre que c'est le passé que nous avons voulu gérer. Heureusement que le Moniteur est là qui vous prouve à la dernière évidence que la disposition était non seulement pour le passé, mais encore pour l'avenir.

Que répond à l'honorable M. Gendebien l'honorable M. Fallon, ancien président de cette Chambre, un des hommes les plus éminents de l'assemblée ?

« L'honorable M. Gendebien a supposé le cas où, par une disposition testamentaire, un nouvel établissement serait érigé et le cas où un legs serait fait en faveur d'un établissement existant. »

S'agit-il là du passé ? Pour le cas où un établissement serait fondé, n'est pas l'avenir.

Et on vient encore nous dire que c'est pour le passé qu'on a fait la loi ! Mais c'est incroyable, c'est à s'y perdre !

« Dans le premier cas, dit l'honorable M. Fallon, il appartient au testateur de régler l'administration de ses biens comme il le juge convenable. »

Et l'honorable membre qui tenait un pareil langage ne siégeait pas sur nos bancs, il siégeait sur les bancs de nos adversaires, dont il était l'un des hommes les plus éminents. C'est qu'à cette époque le libéralisme était large, il voulait la liberté pour tout le monde, et non cette liberté pour soi et l'esclavage pour les autres, comme on le veut aujourd'hui.

L'honorable M. H. de Brouckere, tout en combattant l'amendement qu'il regarde comme inutile, parle dans le même sens, au point de vue des fondations, et démontre que lui non plus ne voulait pas refuser le droit de nommer des fondateurs spéciaux pour l'avenir.

« Mais, dit M. Pollénus, si nous nous taisons, on pourra en induire que nous voulons à l'avenir refuser à tout fondateur le droit de nommer des administrateurs spéciaux. - Oui, ceux qui raisonneront mal tireront cette conséquence ; mais tout homme qui prendra pour base le bon sens ne raisonnera pas comme M. Pollénus. »

Je vous le demande, messieurs, e t-ii possible de voir rien de plus clair que ces débats ?

Maintenant est-on fondé à conclure d'une phrase extraite d'un discours de M. Jullien, qu'on a eu en vue le passé ? L'honorable M. Jullien étant contraire à la disposition, au second vote, c'est le seul membre de la Chambre qui s'y soit opposé.

Depuis quand va-t-on chercher la portée d'une loi dans les discours de celui qui s'y est opposé ? Est-ce là de la logique ?

Voyons, du reste, comment s'est exprimé l'honorable M. Jullien ; voyons s'il comprenait la loi comme s'appliquant uniquement au passé ?

« Si, disait l'honorable M. Jullien au second vote, il est fait un legs ou une donation à un établissement de charité, il ne peut être accepté, d'après le Code civil, sinon en vertu d'une ordonnance royale. Alors si, dans la fondation, il y a une condition qui impose à cette fondation un administrateur autre que celui des hospices, le gouvernement examinera s'il veut ou non accepter cette donation avec cette condition ; s'il pense qu'elle doive déranger l'exécution des lois sur les hospices, il n'acceptera pas. Si, au contraire, le gouvernement trouve que, malgré cette stipulation qui impose à la fondation un administrateur autre que celui des hospices, la donation peut être acceptée, il l’acceptera, en se soumettant à la condition qui l'accompagne. »

S'il est fait un legs, le gouvernement « acceptera ou n'acceptera pas », voilà bien le futur ; et c'est en présence de tous les discours où l'on parle du futur, des donations futures, que l'on prétend que la Chambre a eu uniquement en vue le passé !

Eh, messieurs, il n'y a pas d'expression assez forte pour qualifier une pareille manière d'interpréter une discussion ; si un pareil débat se présentait dans dix ans, quand nous tous, vétérans parlementaires, aurons disparu de la scène politique, on dira que la Chambre a voulu tout l'opposé de ce qu'elle a fait ; dans toutes les discussions toutes les opinions de ceux qui ont voulu la disposition comme de ceux qui la combattaient étaient unanimes sur ce point que la mesure rédigée au présent dans la loi avait pour objet et le passé et l'avenir.

Mais, en notre présence, à nous qui avons fait la loi, voir les nouveaux venus, qui n'étaient pas nés alors, venir soutenir que nous avons voulu le contraire de ce que nous avons dit, de ce que nous avons fait, ce n'est plus une interprétation de loi que vous feriez, mais une violation, oui, une violation de la loi, une réaction violente, impolitique, au profit des plus mauvaises passions.

Mais, dit-on, et ici je reprends le point que j'avais indiqué tout à' l'heure : la Chambre n'a pas voulu innover. Non, messieurs, la Chambre n'a pas voulu innover, mais savez-vous ce qu'elle n'avait pas voulu innover ? Les règlements en vigueur qui allaient être remplacés par la loi communale.

Comme on n'a pas voulu innover en enlevant aux hospices les biens qu'ils possédaient, la disposition de la loi ne se rapportait qu'aux dispositions de ces règlements qui seuls étaient invoqués dans les débats, parce que seuls ils étaient en vigueur ; ceux qui demandaient le retrait de l’amendement, s'ils eussent considéré les lois de l'empire comme étant encore en vigueur, ne seraient-ils pas venus les invoquer ? Croyez-vous qu'ils fussent tellement ignorants, tellement ineptes, qu'ils ne les eussent pas invoqués ? Des hommes comme M. Jullien, M. Dubus, M. Fallon, M. de Behr, M. Raikem, M. Gendebien. M. de Brouckere et M. Pollénus qui connaissaient bien ces lois et tant d'autres hommes éminents ne seraient pas venus les invoquer ?

M. H. de Brouckere. - Vous me faites dire ce que je n'ai pas dit !

M. B. Dumortier. - Je n'ai cité que vos paroles et j'ai dit que vous étiez un homme éminent, que vous connaissiez les décrets de l'empire, que si vous aviez été d'avis qu'ils avaient conservé leur force légale, vous étiez, comme orateur et comme magistrat, capable de venir dire à la Chambre : Mais vous violez les décrets de l'empire.

Voyons donc ce que signifie cette prétendue innovation. Dans le cours de la discussion l'honorable M. Gendebien demande le retrait de la disposition et que répond le rapporteur, celui qui a l'honneur de parler devant vous ?

« Je dois maintenir la disposition du gouvernement, afin qu'il n'y ait aucun doute, car il y en aurait si cette disposition n'était pas dans la loi. »

Vous le voyez, messieurs, nous savions tous que si nous avions retiré la disposition empruntée aux règlements communaux, il y aurait un grand doute sur la question de savoir si cette disposition existait encore, si les décrets de l'empire pouvaient être présentés comme étant en vigueur ; car les décrets de l'empire avaient été abrogés par le passage du roi Guillaume ; il faudrait une loi pour les remettre en vigueur ; c'est ce qu'on fait par la loi qu'on présente ; c’est parce qu'elles sont abrogées de fait par le passage d'un gouvernement différent qu'il faut une loi pour les remettre en vigueur, et c'est ce que nous savions ; de là le doute.

Voyons ce que dit mon honorable ami M. de Theux. « La rédaction est copiée dans le règlement des villes ; or, puisqu'on ne veut pas d'innovation, il n'y a rien de mieux à faire que d'adopter la proposition du gouvernement. Nous resterons ainsi dans les termes où nous nous trouvons aujourd'hui et il n'y aura aucune espèce de doute sur l'application de la loi. »

Voilà un texte bien clair. M. de Theux était ministre de l'intérieur, voyons comment fut appliquée la loi sous son ministère ; il était ministre quand la discussion a eu lieu, c'est lui qui a contresigné la loi après avoir pris une grande part aux débats auxquels elle a donné lieu. Quand il dit qu'il n'y aura plus de doute, on comprend fort bien qu'il entend que les anciens règlements restent en vigueur, que le droit de créer des fondations avec administrations spéciales reste en vigueur, que les lois de l'empire restent abrogées. Les actes de M. ne Theux et de son ministère viennent confirmer cette appréciation.

M de Brouckere avait considéré la disposition comme inutile parce qu'il ne veut aucune innovation. M. Pollénus lui répond :

« Je crois, pour ma part, qu'il est utile et nécessaire de reconnaître aux particuliers le droit de nommer des administrateurs spéciaux, d'autant plus que si on ne reconnaissait pas ce droit, on pourrait dire que la disposition générale non limitée est exclusive du droit que nous reconnaissons aux particuliers de confier la gestion de leurs dotations à des administrations particulières. Je crois qu'il faut mettre à côté de la règle générale, la reconnaissance du droit particulier sur lequel nous sommes tous d'accord. »

Personne en effet ne parlait du droit de fonder avec des administrations spéciales, sur aucun des bancs on ne le contestait.

L'honorable M Dubus examine cette question ; voici comment s'exprime mon honorable ami :

(page 1079) « Je considère cet amendement comme éminemment utile, et je crois qu'il y aurait un grand danger à le supprimer, car on en tirerait la conséquence que nous en sommes revenus à une époque réellement déplorable pour le pays, celle où toutes les fondations ont été dépouillées de leurs administrations particulières. »

L'honorable membre comprenait fort bien le danger de la suppression du paragraphe qui devait amener le résultat qu'on nous annonce la loi nouvelle.

l.'honorable membre ajoute :

« Après l’invasion française, tous les biens des fondations se trouvèrent menacés de spoliation. Une loi avait été jusqu'à réunir au domaine ce qui servait à doter les fondations particulières. Cette loi fut révoquée sans avoir jamais été mise à exécution dans notre pays. En France, toutes les administrations particulières des établissements de charité furent réunies à une administration commune que l'on créa à cet effet.

« On n'y respecta en aucune manière la volonté des fondateurs.

« On la viola et on la foula aux pieds. On détourna les revenus des fondations de leur destination spéciale. Le résultat a été de détourner les particuliers de leurs intentions bienfaisantes dans la persuasion où ils étaient qu'elles ne seraient pas respectées ; ils ont vu en perspective un gouvernement spoliateur qui appliquerait leurs legs à des fins différentes de celles qu'ils auraient eu vue, et en ferait servir les revenus à subvenir aux besoins du trésor public. Aussi pour donner aux fondateurs la garantie que désormais leur volonté serait respectée, dans les règlements qui ont été portés dans ce pays en 1817, et plus tard en 1824, on a ajouté à l'article relatif à la nomination des membres des administrations de charité, ces mots : « Pour autant qu'il n'aurait pas été décidé autrement par les actes de fondation. »

« C'était annoncer au pays que les intentions des fondateurs seraient respectées. Voulez-vous leur annoncer maintenant que vous allez rétrograder vers une époque contre laquelle il n'y a qu'une voix ? Et n’est-ce pas le faire que de passer sous silence la garantie qu'avaient les fondateurs de l'accomplissement de leurs dernières volontés ? »

Voilà, messieurs, ce que disait l'honorable membre ; et c'est ce que nous voyons aujourd’hui, ou veut faire une loi rétrograde, une loi rétrogradant vers une époque contre laquelle il n'y a qu'une voix, une voix d'indignation.

Voyous maintenant ce que disait l'honorable M. Fallon. D'abord l'honorable M. de Brouckere s'adresse à l'auteur de l'amendement.

« Je demanderai, dit-il, à l'honorable rédacteur de l'amendement si son intention est d'introduire une innovation dans la législation sur la matière, car les lois existantes resteront en vigueur jusqu'à ce qu'elles aient été abrogées ; or en ne disant rien, nous n'abrogeons rien... Si c'est une innovation que l'on demande, il faut faire pour cet objet une disposition spéciale. »

L'honorable membre était dans l'erreur, car, par le fait, la loi des attributions communales, la loi des attributions du plat pays et des villes cessaient d'exister.

Que répond M. Fallon ?

« L'intention de M. Dumortier n'est pas d'innover, cela est évident ; il veut conserver les garanties que les règlements en vigueur accordent à certaines fonctions. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Certaines fondations 1

M. B. Dumortier. - Non, pas du tout, certaines fonctions relatives à des fondations créées et à créer.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Continuez la citation.

M. B. Dumortier. - J’abrégeais pour ne pas abuser des moments de la Chambre. (Interruption.)

Mes citations sont exactes et ce n'est pas moi qui vais prendre dans le discours de M. Fallon quelques lambeaux de phrase que l'on torture et que l'on dénature complétement. Voilà votre manière d'expliquer ce qui a eu lieu ; voilà votre manière d'expliquer la loi ; vous l'expliquez en la torturant, mais non en prenant l'esprit large et vraiment libéral dans lequel elle a été conçue ; vous l'expliquez comme ce misérable prouveur qui disait : Donnez-moi deux lignes de l'écriture d'un homme et je le ferai pendre.

La discussion des lois est chose trop sérieuse, messieurs, pour qu'on puisse la faire rouler sur quelques phrases détachées. Ce que je recherche et ce que j'indique ici, c'est la véritable pensée du législateur de 1834, pensée qui ressort de l'ensemble de la discussion et non pas d'un ou deux lambeaux de phrases choisies à dessein, alors que tout le reste du discours dit tout le contraire, comme je vous le prouverai.

Au second vote....

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eh bien, et la suite du discours de M. Fallon ?

M. B. Dumortier. - Soit ; voici M. Fallon.

M. H. de Brouckere. - Voulez-vous me permettre une observation ?

M. B. Dumortier. - Certainement.

M. H. de Brouckere. - Vous invoquez l'opinion de M. Fallon et la mienne à l'appui de la vôtre. Or, M. Fallon et moi nous défendions deux opinions contraires.

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas cité vos opinions à l'appui de la mienne ; je me suis borné à citer la partie de votre discours, où, tout ne regardant l'amendement comme inutile, vous déclariez que ceux qui raisonnent d'après les règles du bon sens ne refuseraient pas à l'avenir les fondations aux administrateurs spéciaux. J'ai rappelé qu'après avoir fait de brillantes études, vous avez été procureur du roi sous le roi Guillaume, magistrat distingué, et j'ai ajouté que, par conséquent, vous connaissiez certainement bien tous les arrêtés qui régissent la matière et que, si, comme on le prétend, on vous avait prêté la pensée qu'il y avait lieu de remettre en vigueur les lois du directoire, vous auriez déclaré que ce n'était pas là ce que vous vouliez, puisque vous disiez que ceux qui raisonneraient comme M. Pollénus n'auraient pas le bon sens.

M. H. de Brouckere. - Ce n'est pas là l'objet du débat.

M. B. Dumortier. - Pardonnez-moi, c'était parfaitement l'objet du débat ; l'unique objet du débat, c'était de savoir quelle était la portée de la phrase du règlement des villes : on demandait s'il s'agissait de l'avenir et vous répondiez à cette question que tout homme qui prendra pour base le bon sens ne refusera pas, à l'avenir, les administrateurs spéciaux.

Je crois que c'est parfaitement clair.

M. H. de Brouckere. - C'est vous qui dites cela.

M. B. Dumortier. - Eh bien, relisons textuellement cette partie de votre discours. (Interruption.)

- Quelques voix. - Assez ! assez !

M. B. Dumortier. - Je laisse à l'honorable membre le soin de relire lui-même son discours entier ; quant à moi, je n'ai besoin que de ce passage pour établir ce que l'honorable membre voulait à l'avenir.

« Mais, a dit un honorable orateur, et c'est de M. Pollénus que je veux parler, si nous nous taisons, on pourra en induire que nous voulons à l'avenir refuser à tout fondateur le droit de nommer des administrateurs spéciaux des biens qu'il voudra léguer à une administration de bienfaisance. Oui, ceux qui raisonneront mal tireront cette conclusion ; mais tout homme qui prendra pour base le bon sens, ne raisonnera pas comme M. Pollénus. Nous ne disons rien, par conséquent nous ne changeons rien. Si nous ne disons rien, on ne pourra pas en inférer que nous ayons voulu dire quelque chose. »

« Mais, continue l'honorable orateur, vous admettez le droit qu'a tout fondateur d'imposer à un legs les conditions qu'il juge convenables. Ce n'est pas ici le lieu d'entamer une discussion à cet égard. Tout ce que la loi admet, je l'admets. Tout ce qu'elle rejette, je le regrette. »

Que faites-vous ? Vous posez un dilemme et maintenant vous, voulez tout rejeter en dehors du dilemme, cela n'est pas possible. Eh bien, on raisonnait avec ou sans bon sens, et, selon vous, ils raisonnaient en dépit du bon sens ceux qui disaient qu'à l'avenir on devrait refuser les fondations avec des administrateurs spéciaux, tandis qu'ils faisaient preuve de bon sens, ceux qui, comme M. Pollénus, pensaient qu'à l'avenir on pourrait créer encore des fondations avec des administrateurs spéciaux.

M. H. de Brouckere. - Conformément aux lois.

M. B. Dumortier. - Bien entendu, mais ces lois, vous savez quelles elles étaient. Vous vous êtes bien gardé de parler d'autres lois que des règlements.

M. Dolez. - Il serait bon de relire le paragraphe tout entier.

M. B. Dumortier. - Je viens de le lire en entier.

M. Dolez. - Rien que la fin du paragraphe.

M. B. Dumortier. Je reviens au discours de l'honorable M. Fallon. Voici ce que dit M. Fallon. (Interruption.) Je vous lirai tout, vous l'avez demandé. (Nouvelle interruption.) Ah ! vous n'en voulez plus ! Il vous faut des phrases détachées et disant le contraire du reste du discours !

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est vous qui procédez ainsi.

M. B. Dumortier. - Pardon, puisque je veux vous lire tout le discours ; quand j'en ai lu le commencement vous m'avez dit de tout lire, et maintenant que je veux le faire, vous vous récriez !

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous n'avez jamais rien cité en entier.

M. B. Dumortier. - Entendez-vous que je vienne lire ici le compte rendu de deux séances de 4 heures chacune ? Il eût été plus simple de faire réimprimer les documents, mais c'était votre éclatante condamnation et vous vous y êtes opposé.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais ils ont été réimprimés !

M. B. Dumortier. - En effet, il y a deux ans, sous la Chambre dissoute et il en reste à peine une dizaine d'exemplaires.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Tout le monde ici le possède.

M. B. Dumortier. - Voici ce que dit M. Fallon : « Je ne puis partager la manière de raisonner de mon honorable ami M. de Brouckere. Il demande à M. le rapporteur de la section centrale si son intention est d'innover. L'intention de M. Dumortier n'est pas d'innover, cela est évident, il veut conserver les garanties que les règlements actuellement en vigueur accordent à certaines fonctions. » Est-ce clair ?

(page 1080) M. Muller. - Et la fin du paragraphe ?

M. B. Dumortier. - Je vais y venir ; laissez-moi continuer.

« Je vais citer un exemple qui montrera combien la disposition est utile. Il s'agit d'un établissement de charité qui a été érigé sous la foi des règlements existants. Jusqu'à ce que ces règlements aient été promulgués, personne ne voulait faire de fondations pour des établissements de bienfaisance ; mais quand l'ancien état de choses eut fait place aux règlements que nous suivons, dans la ville de Namur un hospice complet de maternité a été érigé. Cet hospice a ses administrateurs particuliers ; les autres hospices n'ont rien à y voir. Eh bien, si vous rayez des règlements actuellement en vigueur la garantie sous laquelle cet hospice de maternité a été créé, il est bien clair que les administrateurs des autres hospices se croiront autorisés à prendre part à la gestion de celui que je cite ; cela me paraît évident. (Oui ! oui ! oui !) »

Vous voyez que la pensée de M. Fallon, en se rapportant au passé, prévoit aussi l’avenir.

« Mais quand l'ancien état de choses ( c'est-à-dire, les lois de l'empire) eut fait place aux règlements que nous suivons dans la ville de Namur, un hospice complet a été érigé. » Puis il parle du danger de supprimer quoi ? Les règlements actuellement en vigueur. Eh bien, que prouve cette phrase ? C'est que la Chambre voulait disposer non pour le passé, mais pour l'avenir. M. Fallon veut dire ; quand l'ancien état de choses eut fait place aux règlements que nous suivons, la ville de Namur eut un établissement complet ; c'est à la faveur de ces règlements que nous suivons actuellement, que cet établissement a été fondé et cela ne pouvait pas se faire sous le régime précèdent, sous le régime dont l'honorable M. Fallon ne veut plus ; aussi propose-t-il le maintien de l'amendement que j'ai présenté ; lorsque j'ai déclaré que c'est pour le passé et pour l'avenir que je stipule. Et vous viendrez dire que cet homme éminent ne savait pas ce qu'il faisait, ne savait pas ce qu'il disait !

On m'a beaucoup interrompu. Cela ne m'a pas arrêté ; mais cela m'a fait perdre un peu de temps.

J'arrive au second vote. J'examine toujours ce que c'est que la question d'innovation, ce que la Chambre a voulu faire en innovant, et je prouve que lorsque la Chambre ne voulait pas innover, c'est qu'elle ne voulait pas retourner aux lois de l'empire, innovant sur les anciens règlements, sur le régime des règlements actuellement existants. Et, d'autre part, la crainte de ceux qui redoutaient l'innovation, consistait à demander si au moyen de la disposition on n'aurait pas dépouillé les hospices, crainte, certes, non fondée.

Au second vote, l'honorable M. Jullien avait proposé la suppression du paragraphe comme devant rétroagir sur le passé et enlever aux hospices une grande partie de leurs fondations, et il soutient comme l'honorable M. de Brouckere que le droit actuel suffit. Que répond l'honorable M. de Theux ?

« Le retranchement proposé aurait pour effet, non pas de conserver le droit actuel, mais de frustrer la volonté des fondateurs, contrairement aux dispositions actuellement en vigueur, »

Voilà l'honorable M. de Theux, ministre de l'intérieur de l'époque, qui vient vous dire que la portée de la loi était de conserver la vigueur des dispositions actuelles. Or, quelle était la vigueur actuelle des dispositions sur la matière ? Elle était tracée par les faits qui s'étaient passés sous le roi Guillaume. La valeur des dispositions alors en vigueur, dont parle l'honorable M. de Theux, ce n'était pas la volonté des arrêtés impériaux, c'était la volonté des règlements.

L'honorable M. de Theux vient à son tour soutenir la même thèse et il ajoute que retrancher cette disposition, ce serait là ce qui constituerait une innovation, parce qu'alors on en reviendrait à un régime dont on ne veut plus, à un régime que la Belgique a repoussé, à un régime qui est tombé.

Il est donc évident, messieurs, que ce qu'a voulu l’assemblée, que ce qu'ont voulu tous les orateurs qui ont parlé dans cette discussion, c'était maintenir le régime des arrêtés, des règlements du roi Guillaume.

L'honorable M. Jullien est préoccupé d'un autre ordre de pensée. Il craint que l'amendement que j'avais eu l'honneur de présenter au premier vote, qui avait été admis par l'assemblée et que le gouvernement avait fait sien au second vote, ne fasse rétroagir sur le passé.

Il craint qu'au moyen de cette disposition on enlève aux administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance toutes les fondations anciennes qui avaient eu des administrateurs spéciaux. C'était au fond la crainte de l'honorable. M. Gendebien au premier vote.

« Il ne m'est pas possible, dit-il, de ne pas penser que cette disposition a pour objet de rétroagir sur le passé. Voilà véritablement le danger que je crois devoir signaler à la Chambre. »

L'honorable membre ne veut pas que la loi rétroagisse sur le passé. Et que lui répond l'honorable M. Dubus ? Mon honorable ami s'exprime en ces termes :

« L'honorable membre qui a attaqué la disposition a raisonné comme s'il s'agissait d'innover à la législation actuelle, il nous a dit qu'il ne fallait pas faire une loi qui eût un effet rétroactif. L'honorable auteur de la critique n'a pas réfléchi que ce serait le retranchement de la disposition qui aurait un effet rétroactif, »

En effet, messieurs, la disposition ne ferait que maintenir l'état de choses existant, comme le disait l'honorable M. de Theux, comme je l'avais déclaré dans l'assemblée, en présentant l'amendement, tandis que le retranchement de cette disposition eût eu un véritable effet rétroactif. Mon honorable ami continue :

« La disposition, dit-il, contre laquelle il s'élève, non seulement existe dans les règlements en vigueur, mais faisait partie de l'ancien droit du pays. Ce n'est que pendant le court intervalle de la domination française, qu'il y a eu innovation à l'ancien droit du pays, qu'il y a eu violation des intentions des donateurs, qu'il y a eu effet rétroactif donné à des dispositions du gouvernement français. Je vous prie de ne pas perdre de vue cette considération que de tout temps il a été reconnu que les fondateurs, en créant un établissement de charité, pouvaient déterminer un mode particulier d'administration. Sans doute le souverain se prononçait sur les conditions de la donation, s'il les rejetait, la donation n'existait pas ; s'il l'autorisait, c'était avec les clauses stipulées par le fondateur. Cette autorisation avait presque toujours lieu. L'approbation du souverain était dirigée par cette considération qu'il ne fallait pas mettre trop de propriétés hors du commerce ; mais tant qu'une juste limite n'était pas atteinte, l'approbation était donnée. Mais on a senti qu'on ne pouvait pas empêcher un fondateur de prescrire le mode d'administration de sa fondation, sans amener la conséquence qu'aucune fondation ne serait faite. Je prendrai pour exemple une fondation qui aura pour objet l'éducation des pauvres. Est-ce que le fondateur ne s'inquiétera pas de la manière dont l'établissement sera administré, de l'esprit dans lequel il sera dirigé ? Au contraire, ce sera ce qui fixera particulièrement son attention. S'il n'a pas la certitude que le mode d'administration qu'il désire sera exécuté, il ne fera pas de fondation.

« Sous l'ancien droit du pays, une foule de fondations avaient été faites. Mais lorsque, sous la domination française, les intentions des donateurs furent scandaleusement violées, on ne fit aucune donation ! Depuis que les règlements de Guillaume eurent rétabli l'ancien droit du pays, de nouvelles fondations fort importantes ont été faites.

« Des personnes ont donné tous leurs biens aux pauvres, en établissant des administrations particulières pour les gérer. Et ces donations ont été agréées. »

Vous voyez donc, messieurs, que l'opinion de tous les orateurs de la majorité était toujours la même : Le roi Guillaume avait rétabli l'ancien droit du pays et on voulait éviter de retomber dans la législation française, législation fatale, étrangère au pays et que nous repoussions.

Maintenant, messieurs, y a-t-il dans tout cela un mot, un seul mot dont on puisse conclure que la Chambre ait voulu autoriser le gouvernement à refaire les testaments ?

Y a-t-il un seul mot qui permette de croire que sur aucun banc de cette Chambre personne ait voulu rétablir les lois françaises ? qui ait voulu que lorsqu'une fondation était faite, le gouvernement pût, comme nous l'avons vu, donner le bien à d'autres mains que celles à qui il est destiné par le fondateur ?

Je voudrais, messieurs, pouvoir vous lire tous les débats. Je me bornerai à vous citer l'opinion des membres de l'opposition et vous verrez que tous, bien que repoussant la proposition que j'ai eu l'honneur de faire et qui a été insérée dans la loi, que tous ont protesté de leur respect pour la volonté du fondateur.

Voici comment s'exprimait l'honorable M. Gendebien :

« Si on veut parler de la fondation d’établissements complets, comme celui qui existe à Namur, je comprends très bien qu'on ne puisse pas ôter au fondateur le droit d'établir des administrateurs spéciaux. » Et il ajoutait encore : « Si vous ne voulez appliquer la disposition qu'à des établissements complets, je l'admettrai. »

Aussi l'honorable M. Gendebien admettait la disposition quand elle s'appliquait à des établissements complets. Et, aujourd'hui, on viendra dire que personne n'a voulu admettre cela ! (Interruption.)

Il ne s'agissait pas des termes du décret de 1806. Personne n'en a parlé. Et, encore une fois, comment se fait-il que de tous les jurisconsultes qui siégeaient dans cette assemblée, pas un seul n'ait cité ces décrets de l'empire qu'on invoque aujourd'hui ?

On cite le témoignage de M. Jullien pour prouver que la Chambre a fait tout autre chose que ce qu'elle a fait eu réalité. Eh bien, voici ce que dit M. Jullien :

« S'il est fait un legs ou une donation à un établissement de charité, il ne peut être accepté, d'après le Code civil, sinon en vertu d'une ordonnance royale. Alors, si dans la fondation il y a une condition qui impose à cette fondation un administrateur autre que celui des hospices, le gouvernement examinera s'il veut ou non accepter cette donation avec cette condition. S'il pense qu'elle doive déranger l'exécution des lois sur les hospices, il n'acceptera pas. »

Ainsi le gouvernement ne rompra pas le testament : il n'acceptera pas, M. Jullien ne reconnaît pas au gouvernement le droit de refaire les testaments.

« Si, au contraire, continue-t-il, le gouvernement trouve que malgré cette stipulation qui impose à la fondation un administrateur autre que celui des hospices, la donation peut être acceptée, il l'acceptera en se soumettant aux conditions qui l’accompagnent, parce que la volonté du donateur doit être sacrée. »

(page 1081) Voilà, messieurs, les principes de l'opposition à cette époque : « la volonté du fondateur doit être sacrée. »

L'honorable M. Dubus répond :

« Que résulterait-il de la proposition de l'honorable député de Bruges (qui demandait la suppression de la disposition) ? Que résulterait-il de l'adoption de la proposition de l'honorable député de Bruges ? Qu'on conserverait la donation et qu'on effacerait la condition, que ce seraient d'autre personnes que celles désignées par la fondatrice qui dirigeraient la fondation. Il y aurait violation évidente de la volonté de la fondatrice. Il est manifeste qu'elle a attaché à l'existence de la fondation la condition même qu'elle y a mise. »

A l'instant même M. Jullien se lève pour protester contre la pensée qu'il veuille autoriser de violer la volonté des fondateurs.

« La Chambre, dit-il, aura remarqué que je n'ai pas soutenu qu'on pouvait transgresser la volonté du donateur quand il avait imposé pour l'administration de son legs un autre administrateur que les hospices. J'ai dit au contraire que quand cette disposition se trouvait dans une dotation elle était sacrée, et qu'on ne pouvait pas y déroger, qu'il fallait accepter ou refuser. »

Voilà le véritable libéralisme, les principes que nous avons toujours soutenus.

« J'ai dit au contraire, dit-il, que quand cette disposition se trouvait dans une donation, elle était sacrée et qu'on ne pouvait pas y déroger, qu'il fallait accepter ou refuser ; mais que pour l’avenir, si des donations renfermaient de semblables dispositions le gouvernement était à même d'accepter ou de rejeter. Voilà quelle est ma pensée et ce que j'ai dit textuellement. »

Et c'est en présence de ces faits, d'une déclaration aussi formelle, aussi claire, qu'on vient dans l'exposé des motifs et dans le rapport de la section centrale, soutenir que la Chambre en 1834 et en 1836 a eu en vue de rétablir les dispositions impériales, qu'en ne voulant pas innover, elle a voulu revenir à ces dispositions odieuses au pays.

C'est en présence de ces faits qu'on vient vous dire que l'honorable M. Jullien n'a vu dans la disposition qu'une disposition pour le passé.

Vous avez pris une phrase et avec cette phrase ; vous voulez faire toute la discussion.

M. Jullien dit en effet, immédiatement après :

« Puisque la loi ne peut avoir d'effet rétroactif et qu'elle ne s'appliquera qu'aux donations actuellement gérées par des administrations spéciales et faites sous l'empire des lois qui le permettaient, pour ne pas perdre de temps, je retire ma proposition. »

« Je retire ma proposition. » Que signifie ce langage ? Mais c'est le langage d'un homme qui est battu. Celui qui est bien convaincu de la thèse qu'il soutient ne cède pas à la crainte de faire perdre du temps à la Chambre.

Vous le verrez, messieurs, on me reprochera tout à l'heure de tronquer le débat et on a retranché dans le document distribué les mots : « pour ne pas faire perdre de temps à la Chambre » qui expliquent cette dernière phrase de M. Jullien.

Je ne dis pas qu'on l'a fait avec intention, mais j'espère qu'on ne viendra pas m'accuser d'avoir tronqué le discours de M. Jullien.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Quand on veut tronquer, on tronque des passages qui ont une valeur. Celui-ci n'en a pas.

M. B. Dumortier. - Cette phrase dit tout pour qui veut voir, du reste la pensée de M. Jullien est bien clairement expliquée et je ne conçois pas que la section centrale soit venue nous dire : « Et c'est en présence de ces textes, de ces déclarations (la phrase finale de M. Jullien) que, par une erreur inconcevable, on a prétendu et décidé que l'article 84 dispose dans toutes ses parties pour l'avenir. »

Messieurs, vous venez d'entendre M. Jullien, dans ce qu'il dit, il ne s'agit que de l'avenir ; dans la dernière phrase de son discours, il s'exprime ainsi :

« J'ai dit que quand cette disposition (la fondation d'administrateurs spéciaux) se trouvait dans une donation, elle était sacrée, qu'on ne pouvait pas y déroger, qu'il fallait accepter ou refuser. »

Accepter ou refuser ! Il s'agit bien de donations à faire. En effet, écoutez ces paroles, elles sont claires et irrécusables ; l'honorable M. Jullien ajoute que « pour l'avenir, si les donations renfermaient de semblables dispositions, le gouvernement était à même d'accepter ou de rejeter. Voilà, ajoute-t-il, quelle était ma pensée et ce que j'ai dit textuellement ! »

Et l'on vient vous dire qu'il n'avait en vue que le passé ! Mais c’est faire outrage à sa mémoire. Il disait encore :

« Si, dans la fondation, il y a une condition qui impose à cette fondation un administrateur autre que celui des hospices, le gouvernement examinera s'il veut ou non accepter cette donation avec cette condition. S'il pense qu'elle doive déranger l'exécution des lois sur les hospices, il n'acceptera pas ; si, au contraire, il trouve que malgré cette stipulation qui impose à la fondation un administrateur autre que celui des hospices, la donation peut être acceptée, il l'acceptera, parce que la volonté du fondateur doit être sacrée. »

Ainsi l'honorable M. Jullien, le membre de la Chambre qui seul combattait la disposition au second vote, l’honorable M. Jullien reconnaissait que, pour l'avenir, il fallait respecter la volonté des testateurs, que cette volonté était sacrée ; et c'est en présence de pareils faits que l'on vient prétendre que cet honorable membre n'a voulu parler que du passé. C'est à ne pas y croire, si cela n'était pas écrit.

Messieurs, la pensée de la Chambre, en faisant cette loi, est bien claire. Mon honorable ami, M. Van Overloop, a dit hier qu'une des chambres de la cour d'appel de Bruxelles s'est prononcée seule dans le sens du ministère de 1834.

Une chambre se compose de cinq membres ; il a donc suffi de trois membres de la chambre à laquelle on a fait allusion, pour avoir constitué la majorité. Voilà sur quoi l'on s'appuie. Mais toutes les chambres, à qui le cas a été posé, et la cour de cassation ont déclaré qu'il fallait respecter la volonté des testateurs.

Ce n'est pas tout. En 1849, le gouvernement libéral nomma une commission chargée d'examiner ce qu'il y avait à faire en matière de fondations. Cette commission comptait dans son sein les honorables MM. Orts et Luesemans ; M. Leclercq, jurisconsulte éminent, M. Paquet, M. Tielemans, et d'autres hommes distingués. Or, on voit par les procès-verbaux que, dans la séance du 29 février 1850, la question des administrateurs spéciaux ayant été posée, la disposition suivante a été présentée et adoptée :

« Les fondateurs peuvent déléguer à une commission de trois membres au moins et de cinq au plus les attributions conférées par la loi aux commissions administratives des hospices et aux membres des bureaux de bienfaisance, »

Voilà bien la création d'administrateurs spéciaux, et c'est une commission exclusivement libérale, composée des jurisconsultes les plus éminents de ce parti, qui a adopté cette disposition à l'unanimité

Autre disposition :

« Le receveur nommé par cette commission est assimilé en tous, points au receveur des hospices et des bureaux de bienfaisance. »

Cette disposition a encore été adoptée à l'unanimité.

Voilà donc les hommes les plus éminents du parti libéral, appelés par un ministère libéral à examiner la question des fondations et qui, à l'unanimité, décide que les fondateurs ont le droit de nommer de trois à cinq administrateurs qui se conformeront aux lois et aux règlements qui concernent les hospices. Comment, quand, convoqués par le ministère lui-même, ces hommes éminents du parti libéral sont venus reconnaître ces vérités, comment concevoir que le gouvernement nous saisisse aujourd'hui d'une proposition tout à fait contraire, veuille avoir le droit de refaire le testament, d'attribuer à l'un ce qui revient à l'autre ? Messieurs du libéralisme, mettez-vous donc d'accord, mettez-vous d'accord avec MM. Orts, de Luesemans, Leclercq, Tielemans, etc.

Je conclus de là que la loi qui nous est proposée n'est pas une loi sérieuse ; c'est une loi de chefs de parti à laquelle on veut donner un effet rétroactif et qu'on espère faire voter par la majorité. Je dis que de pareilles lois réactionnaires, contraires à la vérité, contraires à la justice, sont déplorables dans tous les pays et dans toutes les circonstances ; qu'elles sont surtout déplorables quand il s'agit d'intérêts si chers au peuple, quand il s'agit de ces graves intérêts qui touchent au sentiment religieux, à ce sentiment qui a toujours fait la force principale de notre nationalité, et que tous les partis devraient être d'accord pour respecter.

C'est une loi réactionnaire que vous nous proposez au profit de mauvaises passions. On a dit que la session qui est près de son terme, n'était pas riche ; on se trompe : si nous avons fait peu de chose, la session est riche de lois réactionnaires ; on fait des lois réactionnaires depuis le commencement de la session ; loi réactionnaire sur la liberté de la chaire ; loi réactionnaire sur la presse ; loi réactionnaire sur le vote électoral par ordre alphabétique ; et maintenant, loi réactionnaire sur les fondations.

Voilà votre programme. Votre lot, vous aviez mis anciennement sur notre drapeau : « Retrait des lois réactionnaires « ; et avec cela vous avez trompé le pays, car votre programme est resté sans effet. Quand nous redeviendrons majorité, nous inscrirons aussi sur notre bannière : « Retrait des lois réactionnaires. » Et nous, nous ne faillirons pas à la tâche !

Messieurs, il est quelque chose de plus déplorable encore, c'est que de pareils débats, débats qui se résument dans la guerre à l'Eglise et la violation des testaments, aient lieu dans les circonstances où nous nous trouvons. Comment le gouvernement n'a-t-il pas compris que dans la situation actuelle de l'Europe et du pays, il ne fallait pas saisir la Chambre d'une semblable loi, mais l'ajourner ? Ce n'est pas nous qui avons provoqué ce débat ; si la Belgique a lieu d'en gémir un jour, si le sol de la patrie vient à trembler sous vos pas, c’est sur vos têtes que pèsera la responsabilité de cette situation.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable M. B. Dumortier a cru devoir invoquer, à l'appui du système qu'il défend, l’opinion que j'ai émise dans la discussion de 1834. ; mais si l’honorable membre, et je lui rends parfaitement cette justice, n'a pas tronque mes paroles, il leur a donné une toute autre portée que celle qu’elles ont eue réellement.

En effet, j'ai parlé deux fois dans la discussion de 1834, et je me suis exclusivement appliqué à démontrer que la loi communale dont nous nous occupions ne devait rien innover en ce qui concerne les (page 1082) fondations charitables, je voulais qu'on maintînt en vigueur la législation qui existait. J'ai répété cela sur tous les tons. Voici quelques-unes de mes phrases :

« Nous ne disons rien, par conséquent, nous ne changeons rien. Si nous ne disons rien, on ne pourra pas en inférer que nous ayons voulu dire quelque chose. »

Et plus loin :

« Je ne veux aucune innovation. Nous ne traitons même pas la matière dont on veut que nous nous occupions, nous ne traitons pas la question de savoir quels biens seront placés sous la régie des administrations de charité. Nous ne réglons que le mode de nomination de ces administrations. »

Je pourrais citer d'autres phrases encore.

L'honorable M. Dumortier dit :

« Toute la Chambre était de mon avis à l'exception de l'honorable M. Jullien qui seul faisait de l'opposition. »

C'est là une erreur. Il y avait dans la Chambre des opinions très marquées. Je rappellerai même un fait qui ressort des citations qu'a faites l'honorable M. Dumortier : c'est que mon honorable ami, M. Fallon et moi, nous ne nous entendions pas du tout ; je vais vous expliquer cette divergence d'opinion :

L'honorable M. Fallon, en appuyant l'honorable M. Dumortier, voulait donner force de loi à de simples réglementa qui n'avaient pas du tout le caractère de lois ; il voulait en quelque sorte faire une législation nouvelle, en invoquant de simples règlements : et je lui répondais, avec ceux qui partageaient mon opinion ; « Nous n'entendons pas donner force de loi à des règlements ; nous maintenons en vigueur les lois qui existent. »

Voilà sur quoi portait la discussion ; cela est aussi clair que le jour. Je le répète donc, c'est en donnant à mes paroles une portée autre que celle qu'elles avaient, que l'honorable membre a cru un instant pouvoir les invoquer ; mon opinion ne pourrait jamais être invoquée à l'appui du système de M. Dumortier.

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas eu un instant l'intention de présenter les paroles de l'honorable membre, il le reconnaît d'ailleurs, d'une manière contraire au sens qu'il a voulu leur donner ; si je me suis trompé dans mon appréciation, je le regrette profondément. L'honorable H. de Brouckere a prétendu que nous ne devions pas innover ; je l'ai déclaré moi-même ; ce n'est pas à ce propos que j'ai cité son opinion ; il a voulu maintenir les lois existantes. Au surplus il était de la minorité et ce n'est pas l'opinion de la minorité qui donne la portée d'une loi. Je n'ai cité une phrase prononcée par lui que dans un seul but. L'honorable membre, en combattant M. Pollénus, qui prétendait que pour maintenir les administrations spéciales, il fallait adopter la disposition proposée, reconnaissait lui-même que le droit d'en établir existait ; ce n'est qu'en cela que j'ai cité son opinion, il ne contestera pas l'exactitude de ma citation.

M. H. de Brouckere. - Vous venez d'entendre M. Dumortier qui disait que la Chambre était unanime, sauf M. Jullien.

M. B. Dumortier. - J'ai dit au second vote.

M. H. de Brouckere. - Il vient de vous dire ensuite que j'étais dans la minorité.

M. B. Dumortier. - Au premier vote !

M. H. de Brouckere. - Je suis resté au second vote ce que j'étais au premier, c'est pour cela que l'honorable membre a eu tort d'invoquer mon opinion à l'appui de la sienne ; il a eu tort puisqu'il reconnaît que je n'étais pas d'accord avec ceux, qu'il disait composer la majorité.

Je tiens à ce qu'on ne se trompe pas sur la valeur de la discussion qui a eu lieu à cette époque.

Mon honorable ami M. Fallon s'expliquait catégoriquement, il voulait donner force de loi à des règlements, voici comment il s'expliquait :

Il y a à Namur un hospice de maternité qui a été fondé en vertu de règlements qui, à l'époque où cette fondation a eu lieu était en vigueur ; je ne veux pas qu'on puisse détruire cette fondation en disant que les règlements ne sont plus en vigueur.

Je répondais : Nous ne l'entendons pas ainsi, nous entendons maintenir la législation, mais nous n'entendons pas donner force et vigueur à des règlements.

- Plusieurs voix : A demain ! à demain !

- La discussion est continuée à demain.

M. le président. - Il y a plusieurs sections centrales ; demain elles seront convoquées pour dix heures.

- La séance est levée à 5 heures.