(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 1041) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. Vermeire fait l'appel nominal à 3 heures et un quart, et lit le procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est adoptée.
M. de Boe présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des meuniers dans les deux Flandres demandent que la loi leur permette de faire usage de balances romaines. »
M. Tack. - Je proposerai Je renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Des habitants d'une commune non dénommée prient la Chambre de rejeter la proposition relative au vote par lettre alphabétique et d'examiner quelle circonscription électorale il y aurait lieu d'établir, afin de faciliter le vote des électeurs des communes rurales. »
« Même demande d'habitants de Bruxelles. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant quelques dispositions de la loi électorale.
* Des habitants de Melsbroeck prient la Chambre de rejeter la proposition concernant le vote par lettre alphabétique et demandent 1° le vote à la commune, sauf à réunir les communes rurales contiguës qui n'auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs ; 2° l'abolition de l'impôt sur le débit des boissons ou du moins de la loi qui admet cet impôt dans le cens électoral. »
« Même demande d'habitants de Vlesenbeke, Woluwe-Saint-Etienne, Woluwe-Saint-Pierre. »
- Même décision.
« Des habitants d'Eecloo demandent la liberté de la charité et de la chaire, le rejet de la proposition relative à l'appel des électeurs par ordre alphabétique et le vote à la commune. »
« Même demande d'habitants d'Adegem. »
- Même décision.
« Des habitants de Merxem demandent que le gouvernement prenne les mesures nécessaires pour faire exécuter les travaux de réparation de la route de communication entre la station du chemin de fer de l'Etat à Anvers et la partie nord de la province vers les cantons d'Eeckeren, de Brecht et vers la Hollande. »
« Même demande d'habitants d'Anvers. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Minne, pharmacien à Pont-à-Celles, prie la Chambre d'adopter les modifications au projet de loi sur la police et la discipline médicales, qui sont proposées par l'association générale pharmaceutique de Belgique. »
« Même demande des pharmaciens à Fleurus. »
M. Lelièvre. - Je demande le renvoi de la pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la police médicale.
- Adopté.
« Le sieur Norbert Peeters, maréchal des logis chef au dépôt du 3ème régiment d'artillerie, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger. »
- Renvoi au ministre de la justice.
Les sections de mai se sont constituées comme suit :
Première section :
Président : M. Allard
Vice-président : M. Lelièvre
Secrétaire : M. de Bronckart
Rapporteur de pétitions : M. Verwilghen
Deuxième section :
Président : M. Godin
Vice-président : M. de Moor
Secrétaire : M. Nélis
Rapporteur de pétitions : M. Laubry
Troisième section :
Président : M. Loos
Vice-président : M. Pirson
Secrétaire : M. Orban
Rapporteur de pétitions : M. Notelteirs
Quatrième section :
Président : M. Deliége
Vice-président : M. de Luesemans
Secrétaire : M. J. Jouret
Rapporteur de pétitions : M. De Fré
Cinquième section :
Président : M. le Bailly de Tilleghem
Vice-président : M. de Renesse
Secrétaire : M. Wala
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Sixième section :
Président : M. Muller
Vice-président : M. Sabatier
Secrétaire : M. Dechentinnes
Rapporteur de pétitions : M. de Paul
M. Lelièvre (pour une motion d’ordre). - Une erreur s'est glissée dans les Annales parlementaires relatant ce qui s'est passé dans la séance d'hier.
On me fait par erreur appuyer la pétition du conseil communal de Lillo demandant le vote par lettre alphabétique, tandis que j'ai appuyé la pétition des habitants de Villers-lez-Heest, réclamant la séparation de ce hameau d'avec les communes de Warisoux. Il y a donc eu transposition erronée ; mes paroles ne s'appliquent qu'à la pétition des habitants de Villers-lez-Heest, je demande que cette erreur soit rectifiée.
M. le président. - La rectification aura lieu par l'insertion aux Annales des paroles que vous venez de prononcer.
M. le Bailly de Tilleghem. - Dans la séance d'hier, la Chambre a renvoyé à la commission des pétitions une pétition de la dame supérieure et directrice de l'établissement charitable et de l'école dentellière de la commune de Pitthem, pour obtenir la décharge d'un droit de patente qui lui est imposé.
Je réclamerai la permission de la Chambre pour proposer qu'elle veuille accorder le renvoi avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
M. de Renesse dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des finances pour l'exercice de 1860.
M. de Luesemans dépose le rapport supplémentaire de la section centrale qui a examiné l'amendement proposé par M. le ministre des finances et ayant pour objet de porter à 9 millions le crédit extraordinaire de 5 millions demandé pour le département de la guerre.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et en met la discussion à la suite de l'ordre du jour.
Demande en grande naturalisation du sieur Jonathan-Raphaëm Bischoffshiem
85 membres prennent part au scrutin.
Boules blanches, 61.
Boules noires, 24.
En conséquence la demande est prise en considération.
M. De Fré. - Messieurs, je désire interpeller M. le ministre des finances sur l'exécution de la loi du 15 novembre 1847.
L'article 16 porte :
« Avant la fin du premier trimestre de chaque année, le ministre des finances fait aux Chambres, après avoir entendu la commission de surveillance, un rapport sur l'administration et la situation matérielle des deux caisses (caisse d’amortissement et caisse des dépôts et consignations) au 31 décembre de l'année précédente.
« Ce rapport est inséré au Moniteur. »
L'arrêté organique du 2 novembre 1848, article 44, s'énonce ainsi :
« Le rapport prescrit par l'article 16 de la loi doit présenter, outre la situation matérielle des deux caisses, les détails sur l'ensemble des opérations, la marche de l'administration, les résultats obtenus, et les améliorations qu'il serait jugé utile d'introduire. On y joindra les pièces justificatives et les observations de la commission. L’insertion au Moniteur du rapport seul est obligatoire. »
Je demanderai à M. le ministre des finances s'il compte, dans peu de temps, déposer ce rapport qui aurait dû être déposé à la fin du mois de mars et quel est le motif pour lequel le rapport n'a pas été présenté.
(page 1042) Je demanderai aussi à l'honorable ministre, si la commission de surveillance a été convoquée, aux termes des dispositions précitées ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'objet dont l'honorable membre vient d'entretenir la Chambre est purement administratif ; je ne puis pas lui dire d'une manière précise si le rapport dont il parle n'a pas déjà été déposé. La commission a-t-elle été convoquée on non ? C'est ce que j'ignore. Je vérifierai ces petits faits. Si l'honorable membre avait voulu m'avertir, conformément à l'usage, il aurait obtenu aujourd'hui une réponse plus satisfaisante.
M. De Fré. - Je demanderai maintenant à M. le ministre des finances s'il est vrai qu'il ait fait vendre à la bourse d'Anvers des fonds appartenant à la caisse des consignations, pour une somme considérable, sans que la commission de surveillance ait été entendue. Je serais très heureux d'entendre M. le ministre démentir ce bruit, car ce bruit a couru à la bourse d'Anvers.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, aux termes de la'loi, le gouvernement a sous sa responsabilité l'administration de la caisse des dépôts et consignations ; seulement une commission de surveillance lui est adjointe ; il doit prendre son avis sans être tenu de le suivre. Le gouvernement vend ou achète des fonds pour la caisse des dépôts et consignations ; il substitue à des fonds d'une nature des fonds d'une autre nature.
Il possède à une époque, par exemple, du 2 1/2 ou du 3 p. c ; il le remplace par du 4 ou du 4 ly2 p. c. Ce sont là des opérations fort ordinaires que l'intérêt de la caisse explique suffisamment. Le gouvernement a pensé qu'il serait utile, dans les circonstances actuelles, de convertir des titres de la dette que la caisse possède, en bons du trésor. Il aurait retiré de la circulation des valeurs à courte échéance, pour les remplacer par des obligations à long terme.
C'était son droit, il peut convertir les fonds en telles valeurs qu'il juge bon pour les remplacer par d'autres valeurs. Je regrette que, sans avoir averti le gouvernement, l'honorable membre ait fait cette interpellation ; il aurait pu recevoir de moi des éclaircissements qui l’auraient pleinement satisfait.
La conversion que j'avais l'intention d'opérer ne l'a pas été, sauf pour deux millions, représentés par une somme égale en bons du trésor.
Des indiscrétions ayant été commises, il y avait lieu de craindre que les fonds viendraient à fléchir de telle sorte qu'il eût été impossible d'atteindre, sans trop grand préjudice, le but qu'on se proposait.
C'est donc un projet, à peine suivi d'un commencement d'exécution et qui ne saurait plus s'exécuter, je n'ai pas besoin de le dire, qui a été révélé à l'honorable membre et qui lui aura paru un assez gros méfait pour croire nécessaire d'en entretenir la Chambre.
M. De Fré. - Le rapport exigé par la loi de 1847 n'a pas été déposé ; la commission de surveillance n'a pas été convoquée, et pour la vente de 2 millions de 4 1/2, M. le ministre n'a pas consulté la commission de surveillance. J'aurais désiré recevoir une réponse plus heureuse que celle que vient de faire M. le ministre. Il est certain que la commission n'ayant pas été consultée, la loi n'a pas été exécutée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La réponse est heureuse, parce qu'elle est vraie, parce qu'elle est franche, parce qu'elle est loyale.
Certainement ce que je voulais faire dans l'intérêt du pays, je l'aurais accompli sous ma responsabilité.
Je suis prêt à répondre de ce que j'ai fait devant la Chambre... (Interruption.)
Est-ce une accusation que l'honorable membre veut formuler sur un bruit qu'il a ramassé je ne sais où et qui a précisément empêché de faire une opération utile au pays ? Je suis prêt à l'accepter.
Je regrette de n'avoir pas pu accomplir l'opération que j'avais projetée.
J'aurais trouvé un excellent placement pour les bons du trésor et j'aurais eu ainsi, aux meilleures conditions, des sommes assez importantes pour faire face aux besoins du pays.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sans aucun danger pour les dépositaires.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute ; l'Etat est débiteur dans tous les cas ; il doit des espèces ; qu'elles soient représentées par des bons du trésor ou des titres 4 1/2, c'est la même chose. Mais des mesures de ce genre seraient impossibles s'il fallait préalablement mettre dans la confidence un grand nombre de personnes. Je dois agir sous ma responsabilité, sauf à faire connaître les aces à la commission et à la Chambre.
M. De Fré. - Sans doute, le ministre a le droit de disposer des fonds déposés à la caisse des dépôts et consignations ; il ne s'agit pas de formuler une accusation parce que M. le ministre a fait vendre pour 2 millions de 4 1/2 ; mais ce que je lui reproche, c'est de n'avoir pas convoqué la commission de surveillance que la loi lui prescrivait de convoquer.
Voici ce que porte l'article 37 de l'arrêté organique :
« Lorsqu'il sera jugé nécessaire de réaliser des valeurs appartenant à la caisse, la commission sera entendue.
« Le produit de ces valeurs est versé dans la caisse de l'Etat.
« Les récépissés de ces versements sont transmis, accompagnés de bordereau en double à l'administration du trésor public, qui en accuse réception. »
Or, il résulte des déclarations faites par M. le ministre que cette commission n'a pas été entendue et que partant la loi a été méconnue ; c'est tout ce que je voulais faire constater.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quand j'aurai à prendre, dans l'intérêt du pays, quelque mesure financière qui ne peut réussir que par la prudence et la discrétion, il me faudra, sans doute, pour satisfaire aux désirs de l'honorable membre, mettre beaucoup de personnes dans la confidence, si ce n'est même faire connaître mes intentions par voie d'annonces insérées dans les journaux. Les opérations financières, grâce à ce procédé, réussiraient assurément très bien !
M. De Fré). - Il s'agit de l'exécution de la loi.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Courtrai le 20 mars 1859, des cabaretiers de Courtrai demandent l'abolition de la loi du 1er décembre 1849 relative au droit de patente sur les débitants de boissons alcooliques.
Même demande de débitants de boissons distillées, à Iseghem.
Les pétitionnaires font valoir que la contribution qu'ils sont obligés de payer pour la vente en détail des boissons alcooliques est telle, qu'elle dépasse et souvent de beaucoup le bénéfice qu'ils retirent de ce commerce. Cependant, ils sont dans la nécessité, disent-ils, de vendre des liqueurs en même temps que de la bière, sous peine de perdre leur clientèle.
Ils ajoutent encore que, sous le rapport moral, la loi n'a nullement atteint le résultat que le gouvernement et les Chambres ont eu en vue.
La commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M le ministre des finances.
M. H. Dumortier. - La demande des pétitionnaires, en tant qu'elle a pour objet de solliciter une diminution sur le droit de patente des cabaretiers, me semble digne de l'attention du gouvernement.
Il est évident que, du chef de leur double patente de cabaretiers et de débitants de boissons alcooliques, les pétitionnaires payent un impôt qui est quelquefois plus élevé que celui que payent les commerçants et les artisans pour exercer un négoce ou une profession beaucoup plus importante.
La loi de 1838, qui a imposé les débits de boissons alcooliques avait deux buts, un but moral, diminuer la consommation des liqueurs fortes ; un but fiscal, l'accroissement des ressources du trésor.
Le premier de ces buts n'a certainement pas été atteint ; je n'en veux pas d'autre preuve que l'exposé des motifs de la loi de 1849, qui a déterminé une nouvelle classification des cabaretiers pour le payement du droit de patente, exposé dans lequel ce fait a été reconnu ; il a, d'ailleurs, été constaté par la plupart des orateurs, dans le cours de la discussion.
Ce n'est pas par un impôt qui, en définitive, ne revient pas à un centime par verre de genièvre, qu'on empêchera l'excès des liqueurs fortes. L'expérience qui a été faite dans beaucoup d'autres pays et notamment en Allemagne et en Angleterre, prouve que ce moyen est complétement impuissant à diminuer l'usage des boissons alcooliques.
Il est d'autres moyens : l'instruction et l'éducation populaire bien dirigées, qui, bien plus que les accroissements d'impôts, réaliseraient le but moral que l'on a eu en vue. C'est, d'ailleurs, aussi une question de salaires.
La loi de 1849 a établi sept catégories distinctes de taxes sur les débits de boissons alcooliques. Le taux de la patente varie de 60 francs à 12 francs. Il est évident pour moi que le taux de cette patente, pour ce qui concerne les catégories inférieures, est trop élevé, et je dois dire que la section centrale, en 1849, avait elle-même demandé un taux moins élevé.
Lorsqu'on impose dans des proportions trop fortes en pareil cas, on ne fait qu'augmenter les débits clandestins.
Cet impôt, d'ailleurs, messieurs, est irrégulièrement réparti, et la première condition pour un impôt, c'est qu'il soit justement réparti.
En effet, les bases qui sont admises sont d'un côté les quantités vendues, et de l'autre côté la population du lieu où se fait le débit. Or, je ne sais trop jusqu'à quel point la population doit être prise ici en considération pour fixer la quotité de l'impôt. Car, peu importe que le débitant demeure dans une localité populeuse ou dans un petit village, il s'agit de savoir le bénéfice qu'il réalise en vendant du genièvre, puisque la patente est un prélèvement que fait le gouvernement sur le bénéfice présumé de celui qui vend.
Voyez, messieurs, quelle différence il y a entre ce droit de patente et celui qui est établi par la loi de 1849, pour le débit de liqueurs autres que le genièvre. J'ai sous les yeux la loi de 1849 et je constate que la patente pour le débit de liqueurs autres que le genièvre n'est que de 1 fr. 75 c. à 3 fr. 67 c.
Il y a quelques années, on a diminué la patente de certaines catégories de petits artisans. J'ai trouvé cette mesure excessivement juste. (page 1043) Je suis de ceux qui défendront toujours dans cette enceinte, au point de vue de l'impôt surtout, les petits et les faibles ; et ce qu'on a fait en 1848 pour les petits artisans, on devrait, pour être conséquent, le faire pour les petits cabaretiers.
Voici ce que disait, en 1848, le rapport de la section centrale, lorsqu'on a accordé une diminution sur la patente des petits artisans : « Aujourd'hui certaine classe peu aisée de la société est impose au droit de patente alors que l'équité exigerait qu'elle en fût affranchie, tandis qu'une autre classe de contribuables également peu aisée paye un droit de patente hors de proportion avec les minimes bénéfices qu'elle peut réaliser.”
Ce sont là des vérités, messieurs, don’t il me semble que M. le ministre des finances devrait tenir compte.
D'ailleurs la position des pétitionnaires est très dure à certains autres points de vue. Ainsi au point de vue de l'impôt personnel, pour les portes et fenêtres, les cabaretiers, les hôteliers doivent payer comme les propriétaires.
Or, il est évident que les cabaretiers, que les hôteliers ne devraient pas payer de ce chef autant que propriétaires, puisque c'est là leur industrie, leur instrument de travail.
Il résulte, me semble-t-il, de l'ensemble de ces considérations que je ne veux pas développer davantage, en ce moment, que la demande des pétitionnaires et parfaitement équitable, et je prie M. le ministre des finances de vouloir prendre cette pétition en sérieuse considération.
-Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptees.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 31 mars 1859, le sieur Vauden Broeck demande une loi qui assure le sort des employés de toutes les catégories.
Dans cette requête, le pétitionnaire demande que la Chambre veuille doter le pays d'une loi qui assure désormais le sort des employés de toutes les catégories en les soustrayant, eux et leurs familles, aux conséquences fatales du despotisme et du bon plaisir. Messieurs, votre commission ne s'est pas dissimulé la difficulté qu'il y a pour le gouvernement de porter une loi ou de prendre des dispositions réglementaires à l'égard des employés ; toutefois la majorité a cru pouvoir conclure au renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre de l'intérieur.
M. De Fré. - Messieurs, lorsque la pétition dont s'agit a été présentée à la Chambre, j'ai demandé un prompt rapport. Je crois donc devoir appuyer la demande du pétitionnaire. Je ne veux mêler à cette discussion, qui sera très courte, du reste, aucun débat personnel ; il ne peut s'agir ni de la personne du ministre ni de la personne du fonctionnaire destitué qui réclame devant la Chambre, une loi réglant la position des fonctionnaires vis-à-vis de l'Etat.
D'après moi, il est nécessaire qu'une pareille loi intervienne, il faut que l'homme qui occupe des fonctions publiques, et dont la liberté n'est pas illimitée, sache d'avance jusqu'où va son droit, il faut que sa liberté soit limitée par une règle fixe et non par l'arbitraire ministériel.
En Belgique, messieurs, les fonctionnaires sont dans une position toute spéciale ; si vous prenez 20 écrivains, vous trouverez 19 fonctionnaires. Prenez, par exemple, l'Académie des sciences et belles-lettres, elle est exclusivement composée de fonctionnaires et c’est ce qui faisait dire à l'honorable M. Devaux, en 1850 ces remarquables paroles.
« C'est parmi les professeurs des universités qu'en tout pays la science trouve ses organes les plus illustres. Otez aux sciences modernes les travaux des professeurs de l'enseignement supérieur, et vous abaisserez considérablement le niveau de la civilisation scientifique et littéraire. Otez à l'Allemagne les livres et l'indépendance de ses professeurs d'universités, que devient la civilisation de l'Allemagne ? Croyez-vous qu'il en soit bien autrement en Belgique ? Nous n'avons pas en Belgique la carrière de savant, d'homme de lettres proprement dite. Quels hommes en Belgique approfondissent les sciences ? Je n'en connais que de trois classes : Des professeurs, des fonctionnaires publics, et quelques prêtres. Le reste est presque imperceptible.
« Ainsi, par exemple, à l'Académie de Belgique, la classe des lettres se compose de 30 membres. Si de ces 30 membres vous ôtez les professeurs, les fonctionnaires publics et un petit nombre de prêtres, il ne reste en dehors de ces 3 catégories que 2 ou 3 personnes. Qu'est-ce à dire ? Cela signifie que, dans notre pays plus encore qu'ailleurs, la carrière d'homme de lettres, de savant, n'est pas une véritable carrière ; qu'en Belgique, il faut joindre à l'étude des lettres ou des sciences une autre position, que les publications des professeurs y sont plus indispensables encore qu'ailleurs, et que vouloir priver ces publications de leur indépendance, c'est vouloir enchaîner et par conséquent énerver la partie la plus élevée de notre civilisation. C'est réellement vouloir empêcher le pays de prendre son rang dans la science à côté des nations les plus éclairées de l'Europe. Si la Belgique a pris en Europe une place très élevée en politique, en industrie, en administration et dans les arts, il lui reste quelques pas à faire dans ces hautes régions de la civilisation où les productions des professeurs des universités peuvent être les plus utiles ; un grand intérêt national commande donc d'encourager ces travaux. Il y a une espèce de crime à les dégrader, à les entraver par d'indignes obstacles. »
Si on fait une statistique de tout ce qu'il y a en Belgique d'écrivains, vous trouvez que les quatre cinquièmes sont fonctionnaires ; il est donc vrai de dire qu'en Belgique, presque toute la vie morale se trouve concentrée parmi ce qu'on appelle les fonctionnaires publics ; chez nous il ! y a peu de gens qui écrivent, qui se dévouent à la culture des sciences et des lettres, lorsqu'ils sont dans l'aisance.
Qu'arrive-t-il en Belgique ? L'homme qui se sent une vocation soit littéraire, soit artistique, soit scientifique, comme cette vocation n'est pas, de nature à lui donner l'indépendance, à lui donner de quoi vivre, de quoi faire subsister sa famille, cet homme est obligé de demander à l'Etat ou à une administration communale, une fonction dont le traitement lui permette de vivre.
Il peut ainsi librement, en dehors de ses heures de bureau, réaliser ses rêves d'avenir ; s'il a une ambition noble, s'il veut illustrer sou pays par des chefs-d'œuvre, il le fait en dehors de ses heures de bureau.
Voilà, messieurs, la position spéciale de beaucoup de fonctionnaires en Belgique.
Il faut donc qu'en Belgique, les fonctionnaires soient à l'abri de l'arbitraire ministériel. Lorsqu'il s'agit d'opinions exprimées par le fonctionnaire en dehors de l'exercice de ses fonctions, il doit être libre parce qu'il n'y a pas d'œuvres de l'esprit sans liberté.
Ce qu'il faut surtout, c'est que le fonctionnaire sache d'avance à quoi il s'expose en exprimant sa pensée. Les ministères changent et les opinions de ceux qui gouvernent ne sont pas toujours les mêmes ; il faut donc que le fonctionnaire soit mis à l'abri, par la loi même, contre tout accès de mauvaise humeur de ses supérieurs ; il faut qu'il soit mis à l'abri, par une loi, contre tout acte du pouvoir qui ne serait pas dicté par le sentiment de la dignité du gouvernement et par le sentiment de la dignité du fonctionnaire lui-même.
Je ne fais ici, messieurs, allusion à aucun fait ; je n'attaque personne, je défends un principe que je crois juste, un principe qui est d'accord avec mon désir de voir en Belgique les publications de nos écrivains continuer à se produire. Or, cela n'est pas possible si le fonctionnaire qui publie des ouvrages, peut être destitué, peut être privé de son patrimoine.
Car une fonction qu'un homme a remplie pendant des années, qu'il a conquise par son travail et son talent, cette position est un véritable patrimoine que la loi seule peut lui enlever.
Pour ce qui concerne les fonctionnaires de l'ordre militaire, il y a une loi ; le ministre de la guerre ne peut destituer un officier sans avoir convoqué un jury, sans avoir nommé une commission qui donne son avis ; pourquoi donc cette mesure si sage ne pourrait-elle pas être admise pour les fonctionnaires civils ?
Je ne pense pas qu'il est rationnel qu'un ministre soit juge de son offense ; lorsqu'il se prétend injurié il ne peut pas juger de la valeur de cette injure sans être accusé de vouloir se venger. Dans tous les cas aussi, on ne devrait pas pouvoir destituer un fonctionnaire sans l'avoir averti.
Messieurs, depuis quelque temps, le gouvernement a cru devoir prendre, toujours sous sa responsabilité, certaines mesures à l'égard des fonctionnaires.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.
M. De Fré. - L'honorable M. Rogier a admis un système qui est très sage, c'est d'avertir les gens avant de les frapper. L'honorable ministre des finances n'a pas suivi la même méthode. Et ce qui prouve, messieurs, combien il faut une règle fixe, c’est que nous avons vu un fonctionnaire averti pour avoir prononcé un discours en public, et un autre fonctionnaire destitué, également pour avoir prononcé un discours en public.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous vous trompez très fort, personne n'a été destitué pour avoir prononcé un discours en public ; mais on a destitué un agent du gouvernement, pour avoir injurié et outragé les membres du cabinet en public.
M. De Fré. - Je vous prie de ne pas m'interrompre, vous me répondrez plus tard.
Je n'examine pas les faits en eux-mêmes, je ne veux aujourd'hui ni justifier le fonctionnaire, ni critiquer le ministre. C'est une vieille histoire, je ne veux pas revenir là-dessus ; cela n'aurait aucun résultat, ce sont des faits accomplis. Mais il y a l'avenir qui doit être réservé.
Eh bien, ce qui prouve qu'il faut une règle fixe, c'est que, dans le gouvernement, on n'est pas d'accord sur la question de savoir quand un employé de l'Etat doit être averti et quand il doit être destitué. Il est certain que si un ministre se borne à avertir pour le même fait qui produit une destitution de la part d'un de ses collègues, il n'y a plus la moindre garantie pour les fonctionnaires, et les fonctionnaires sont livrés exclusivement à l'arbitraire et à la mauvaise humeur des ministres.
Cela ne doit pas être. Il y a en Belgique un grand nombre de fonctionnaires, et, comme je le disais tout à l'heure, il y a parmi eux des hommes excessivement honorables et très capables, plus capables que dans d'autres pays, et il importe que la Chambre s'inquiète de la position de ces citoyens ; il y en a beaucoup qui remplissent leurs mandats dans des conditions très pénibles, et aucun membre du cabinet ne me démentira, en ce sens qu'il y en a beaucoup qui vivent de privations. Or si, à ceux-là qui trouvent dans le produit de leurs œuvres qui (page 1044) illustrent le pays, quelques ressources pour vivre, si à ceux qui, par leurs œuvres, font connaître le nom belge à l'étranger, vous ôtez la liberté s'ils sont livrés à l'arbitraire ministériel, il est certain que vous risquez de tuer toute vie morale chez ces fonctionnaires.
Messieurs, voici ce que disait un orateur que vous connaissez, M. Vivien, dans ses Etudes administratives :
« Il y a une école politique aux yeux de laquelle le fonctionnaire, humble vassal, est étroitement lié au système ministériel. Il ne peut parler, écrire, se prononcer contre ce système. On l'oblige à se mêler aux élections pour soutenir les candidats du ministère. Electeur, il leur doit son suffrage. Pair ou député, on lui concédera par grâce de voter avec l'opposition ; mais qu'il se garde de s'en porter l'organe à la tribune ; qu'il ne l'appuie point surtout dans les questions qui touchent au fond même de la politique : une destitution inévitable l’atteindrait. On n'avoue pas toutes ces théories, mais elles sont au fond des pensées, et plusieurs ont été professées publiquement et mises en pratique.
« Si le fonctionnaire appartient à la personne des ministres, tout est dit. Il se doit à ses maîtres : qu'il soit donc chassé, s'il n'est pas leur servile admirateur ; mais telle n'est point sa condition : il n'est l'homme de personne, il est le serviteur de l'Etat. Il prête serment de fidélité à la Charte et au Roi, non au cabinet du 11 octobre ou du 22 février. Quand les ministres sont chargés de pourvoir aux emplois, est-ce pour se faire des créatures ? Nullement ; la loi a cru qu’ils étaient le mieux placés pour choisir les hommes les plus capables, les plus propres à chaque service. Sous un régime administratif bien constitué, les emplois sont donnés à la capacité, aux travaux éprouvés et non point au dévouement ministériel. Laissez donc à ceux qui les occupent à moins que le caractère de l'emploi ne soit exclusivement politique, la liberté de leur opinion. Qu'ils puissent être de l'opposition si tel est leur sentiment. » (Etudes administratives, page 148, Paris, 1845.)
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il y n d'autres passages du même auteur, relatifs aux obligations, aux devoirs des fonctionnaires ; 1 serait bon aussi d'en donner lecture.
M. De Fré. - Je n'ai rien supprimé ; je vous passerai le volume, si vous voulez ; vous en lirez ce qui vous convient.
Eh bien, messieurs, vous le voyez, M. Vivien, membre du conseil d'Etat, qui a longtemps siégé dans le parlement en France, M. Vivien veut que le fonctionnaire non politique, en dehors de sa fonction, jouisse de la plus entière liberté.
Quant au fonctionnaire politique, je comprends qu'il ne puisse pas contrarier le gouvernement, que même en dehors de sa fonction politique, il soit tenu à plus de réserve que les autres citoyens ; cela est incontestable. Pour ce qui concerne le fonctionnaire non politique, c'est un mandataire ; il faut qu'il remplisse son mandat.
Il est, si je puis m'exprimer ainsi, un rouage dans cette grande machine administrative, dont le ministre est la tête. Si un rouage ne veut pas marcher, il empêche toute la machine de marcher. Il faut alors le remplacer par un rouage qui marche mieux. Mais les fonctionnaires non politiques, en dehors de leur mandat, lorsque la besogne qui leur est donnée par le ministre est finie, ces fonctionnaires doivent jouir de toute la liberté des autres citoyens.
Seulement j'admets qu'ils ne peuvent pas dans une réunion publique attaquer d'une façon injurieuse le chef du cabinet sous lequel ils servent....
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous sommes d'accord.
M. De Fré. - Mais si cela arrive, si un membre d'un cabinet quelconque se croit injurié par les paroles qui ont été prononcées par un de ses subordonnés dans une réunion publique, je pense qu’un avertissement peut lui être donné, mais qu'on ne peut pas le destituer sans l'avoir averti et avant de le destituer, après l'avoir averti, prendre l'avis d'une commission, ainsi que cela se fait pour l'armée.
Messieurs, je n'ai pas voulu rappeler les faits qui se sont passés ; je me suis borné à appuyer la pétition dont il s'agit, à appuyer surtout les conclusions de la commission ; j'ai voulu recommander au gouvernement l'examen de cette importante question ; je crois qu'il est utile de régler d'une manière définitive les limites tracées à la liberté des fonctionnaires.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je constate par la conclusion de l'honorable représentant de Bruxelles que nous sommes près d'être d'accord sur la question de principe.
L'honorable membre veut bien accorder au gouvernement la faculté de destituer un fonctionnaire qui l'aura injurié dans une réunion publique.
M. De Fré. - Non !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Seulement, vous voulez qu'on l'avertisse ; mais l'avertissement donné, vous admettez qu'on le destitue. (Interruption.) Vous n'accordez pas cela ? Il me semblait que vous l'aviez accordé.
M. De Fré. - J'ai eu l'honneur de dire à la Chambre que le fonctionnaire qui en public injurie le chef du cabinet sous lequel il sert, pouvait être averti mais destitué, jamais. J'ai soutenu qu'on ne pouvait enlever le patrimoine d'un citoyen qu'après qu'il aurait été jugé par une commission ou un jury déterminé par une loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'honorable membre vient un jour occuper le banc ministériel, je l'attends an dépôt d'un projet de loi réglant le principe qu'il vient d'émettre. Quant à moi, tant que je serai ministre, jamais je ne déposerai un pareil projet de loi et tant que je serai membre d'une Chambre sous un régime constitutionnel, jamais je ne voterai un projet semblable.
On parle d'arbitraire ministériel, de fonctionnaires dépouillés de leur patrimoine.
Je demande à la Chambre, je demande à tous les partis, dans quel pays les fonctionnaires publics jouissent-ils d'une liberté aussi grande que chez nous ? Dans quel pays les ministres agissent-ils envers leurs subordonnés avec plus de modération, je pourrais dire plus de faiblesse ?
J'ai souvent entendu reprocher aux ministres de tous les partis d'user d'une modération exagérée vis-à-vis de leurs subordonnés. Maps quant à l'arbitraire ministériel, à des destitutions brutales provoquées par le caprice ou l'amour-propre froissé d'un ministre, je ne vois pas que depuis trente ans environ de pareils excès aient existé.
Pour en venir à une loi, il faut que des abus la rendent nécessaire ; or, ces abus je les cherche et je ne les trouve pas.
Quoi qu'on ait dit qu'on ne voulait pas revenir sur les faits passés, il fuit en parler encore, puisque ce sont des faits qui provoquent l'étrange proposition de l'honorable député de Bruxelles.
Que s'est-il passé ? Au ministère de l'intérieur un fonctionnaire subalterne a écrit une brochure sur un établissement de l'Etat ; le ministre s'est permis de l'avertir.
Un autre fonctionnaire dans une réunion publique s'est livré contre les ministres à des attaques très véhémentes : il a reçu un avertissement.
Le ministre a exposé les faits à la Chambre, et la Chambre a paru donner raison au ministre, qui avait averti ; ce fonctionnaire a cru sa dignité offensée, il a donné sa démission d'une des deux fonctions salariées qu'il occupe. Il y a encore un troisième fonctionnaire qui s'est livré à des attaques très offensantes envers les membres du cabinet ; c'est le cas pour lequel l'honorable membre admet avec certaines réserves la destitution. Ce fonctionnaire a été averti et il a été destitué.
Est-il bien exact de dire que l'avertissement est dans tous les cas une mesure préalable indispensable ? Il est des faits d'une telle gravité qu’un ministre ferait preuve d'une véritable lâcheté s'il ne faisait pas suivre d'une répression immédiate des attaques aussi graves.
Je suppose qu'un fonctionnaire ne se borne pas à reprocher aux ministres d'être des hommes rétrogrades, des transfuges, des ambitieux, mais qu’il lui plaise de dire qu'un ministre est un voleur, est-ce que le ministre devra l'avertir avant de le frapper de destitution ?
Est-ce que M. De Fré ministre supporterait une minute qu'on vînt l'accuser d'être un voleur ? Trouverait-il opportun d'avertir le fonctionnaire qui lui infligerait une pareille imputation ?
Dans des cas pareils le ministre aurait grand tort de donner un avertissement pour peu qu'il ait le sentiment de sa dignité.
Il y a ici un étrange renversement d'idées. Il paraîtrait que l'agent du ministre responsable doit jouir de toute espèce de liberté vis-à-vis de son chef responsable ; quant au chef, on ne lui donne aucune espèce de garantie ; il est permis aux fonctionnaires sous ses ordres de l'insulter et il ne sera pas permis au ministre de se séparer de ce fonctionnaire !
Et c'est dans un gouvernement responsable où les ministres acceptent et pratiquent franchement le principe de la responsabilité, qu'on émet de pareilles idées ? Est-ce soutenable ? Tout le monde sera libre d'insulter le ministre, de paralyser son action, de le frapper d'impuissance en le couvrant de ridicule, tout le monde pourra faire cela dans l'administration ; le ministre seul sera privé de liberté.
Dans votre projet, honorable M. De Fré, songez un peu aux ministres pour leur donner des garanties contre les attaques de leurs subordonnés.
Il faut, dit-on, que le fonctionnaire qui s'engage dans l'administration sache à quoi s'en tenir, que sa ligne de conduite soit tracée par la loi. Je défie de faire une loi semblable ; ce n'est pas la loi qui doit tracer la conduite du fonctionnaire, c'est sa conscience, c'est son respect des convenances, c'est le sentiment de son devoir.
Voilà la véritable loi qui doit régler la conduite du fonctionnaire ; s'il s'en écarte, personne ne doit trouver mauvais que le gouvernement se sépare de lui,
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'établir des garanties contre l'arbitraire ministériel. Je concevrais que dans un pays soumis à un régime despotique, où il n'y a de garantie pour personne, où il n'y a ni publicité ni chambres, où les ministres ne sont pas responsables, je concevrais qu'on assurât à celui qui s'engage dans les fonctions publiques certaines garanties ; mais nous sommes sous un régime de responsabilité et de publicité.
Un régime dans lequel le ministre est obligé, à toute heure, en tout temps, de venir rendre compte des moindres actes de son administration (page 1045) (et ce qui se passe aujourd'hui en est une nouvelle preuve), n'est-ce pas là, messieurs, que réside la plus sérieuse garantie pour les fonctionnaires publics ?
On nous dit, messieurs, qu'avec le système actuel, beaucoup d'hommes de mérite, littérateurs de premier ordre, sont obligés d'exercer des fonctions subalternes, ce qu'ils vont se voir exposés à encourir les dépits ou les colères ministérielles, si leur plume, au lieu de prodiguer l'éloge, vient à déverser le blâme.
D'abord, en fait, je ne sache pas d'écrivains qui aient été destitués à raison de critiques à l'égard du gouvernement.
Je vois des fonctionnaires publics, écrivains ou autres, qui ont été avertis, frappés de disgrâce pour avoir injurié leur ministre dans des assemblées publiques ; mais je .n'en connais aucun qui ait été destitué pour s'être permis quelque critique dans des livres. Il y a, sous ce rapport, liberté complète pour le fonctionnaire écrivain. Nous l'avons déjà dit, la liberté d'opinion est garantie à tous les fonctionnaires publics en Belgique ; il en est de même de la liberté du vote.
La seule restriction que nous y mettions, en matière d'élection, ce que nous demandons au fonctionnaire public, c'est de ne pas poser d'actes ouvertement hostiles à l'administration. Hors de là, nous lui laissons la liberté la plus absolue quant à l’émission de son vote.
En ce qui concerne les autres matières, nous exigeons du fonctionnaire qu'il remplisse fidèlement, rigoureusement ses devoirs ; nous lui disons : Assistez, si vous le voulez, à toutes les associations quelles qu'elles soient, assistez tous les meetings ; parlez-y si bon vous semble, mais n'insultez pas les agents du pouvoir : si vous le faites malgré nos avertissements, nous vous frapperons. Voilà ce que nous avons fait ; voilà ce que nous continuerons de faire.
M. Allard. - Et vous aurez raison.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne pense pas qu'il y ait un seul homme sérieux qui puisse soutenir une thèse contraire.
On vous a cité l'exemple de l’armée ; mais, messieurs, je serais bien curieux de savoir s'il est un seul fonctionnaire civil qui voulût échanger sa position contre celle d'un officier de l'année ; je parle au point de vue de la discipline. Ne savez-vous donc pas que les officiers n'ont pas la permission de publier dans les journaux des articles d'opposition portant leur signature, et je crois que c’est avec raison. Voilà pour la liberté d'écrire.
Maintenant si un officier allait dans un meeting accuser son ministre de trahison, de lâcheté, croyez-vous qu'il se trouvât bien de cette manière d'user de la liberté d'opinion ? Mais, au moindre mot trouvé mauvais, le colonel a le droit d'envoyer un officier aux arrêts, à la prison de ville, sans avoir besoin de l'avertir et sans recourir à cette commission protectrice inventée par l'honorable M. De Fré.
Encore une fois, je le demande, les fonctionnaires civils ont-ils quelque chose à envier, sous ce rapport, aux officiers de l'armée et auraient-ils lieu d'être reconnaissants à l'honorable membre s'il parvenait à leur faire appliquer le régime sous lequel vivent aujourd'hui les fonctionnaires militaires ?
Messieurs, si j'étais sur les bancs de l'opposition, au lieu de soutenir et de propager cette doctrine énervante, cette doctrine anarchique, je me ferais un devoir de fortifier, de renforcer l'action du gouvernement.
Que peut-on reprocher à l'administration sous notre régime constitutionnel ? N'est-ce pas de manquer quelquefois de cette énergie qui serait nécessaire pour entretenir l'esprit de discipline dans l'administration, pour forcer chaque employé à remplir rigoureusement ses devoirs.
Nos administrations sont souvent affaiblies, énervées, je le répète, à cause de leur tolérance ; et les ministres devraient être encouragés à user souvent de plus de rigueur envers leurs subordonnés. Au lieu de cela que voyons-nous ? C'est que si ministre a un acte de sévère justice à poser, il est souvent entouré de toute espèce d'objections pour épargner le fonctionnaire qui a manqué à ses devoirs. Voilà ce qui arrive.
Je ne parle pas de tout ce qu'on reproche aux ministres à l'égard des plus humbles fonctionnaires municipaux ; et cependant ceux-là mêmes qui nous accusent d'arbitraire parce que nous avons donné des avertissements à des subordonnés qui nous avaient insultés publiquement sont venus nous accuser de faiblesse, de trahison même parce que nous nous étions refusés à déplacer un modeste échevin de la plus modeste commune.
Je pense, messieurs, que les fonctionnaires belges n'ont pas besoin de loi pour être protégés contre ce prétendu arbitraire ministériel qui n'est qu'un rêve ; je crois que la plupart d'entre eux sont parfaitement tranquilles dans leur conscience comme dans leur existence et qu'ils sont bien assurés de n'avoir jamais rien à redouter de l'arbitraire ministériel lorsqu'ils remplissent consciencieusement leurs devoirs. Voilà la position de l'immense majorité des fonctionnaires publics belges ; ils savent fort bien qu'ils n’ont absolument rien à craindre de l'arbitraire ministériel.
Quant aux autres, je fais encore une fois appel au simple sentiment des convenances.
Nous ne demandons qu'une chose, c'est que les fonctionnaires publics soient assez pénétrés de leur devoir, de ce qu'ils doivent à leur position et aux convenances pour ne pas amener le gouvernement à cette dure extrémité d'avoir à les frapper dans leurs moyens d'existence. C'est là un parti auquel un gouvernement quelconque dans notre pays ne s'est jamais résigné qu'à la dernière extrémité. Si, par malheur, les opinions qui ont été émises pouvaient trouver accès dans cette Chambre ; si, messieurs, la Chambre en venait à demander au gouvernement une loi dans le sens qu'on a indiqué, savez-vous ce que ferait la Chambre ? Elle ne garantirait en aucune manière la position des fonctionnaires, mais, très probablement, elle introduirait dans notre administration un germe d'anarchie perpétuelle ; elle frapperait de paralysie le gouvernement et je doute fort qu'elle pût rencontrer encore, dans quelques rangs que ce fût, un seul ministre qui consentît à accepter la position qui lui serait faite par une pareille loi. Quant à nous, nous ne serions jamais de ces ministres-là.
Pour conclure, je m'oppose au renvoi de la pétition au département de l'intérieur, surtout avec la portée que voudrait y donner l'honorable M. De Fré ; et j'en demande le dépôt pur et simple au bureau des renseignements.
M. B. Dumortier. - Messieurs le système de violence contre les personnes n'a jamais eu mon approbation.
Il est contraire à tous les précédents de ce pays ; il est contraire à nos mœurs et jamais je ne pourrai donner mon assentiment à toute mesure qui semble prise sous l'empire de ce sentiment.
Je reconnais bien volontiers cependant, avec M. le ministre de l'intérieur qui vient de parier, qu'il est des circonstances dans lesquelles un ministre a des obligations à remplir, et ces circonstances je les définis bien vite : c'est lorsque la responsabilité ministérielle est engagée.
Evidemment si vous voulez du grand principe de la responsabilité ministérielle, il faut bien comprendre la position du ministre responsable quant aux actes qu'il pose par lui-même ou qu'il fait poser par ses agents ou qu'il tolère par ses agents. Si un agent, par un acte quelconque, engage la responsabilité ministérielle, il est évident que le ministre est dans toute la plénitude de son droit pour prendre des mesures.
Mais, messieurs, veuillez le remarquer, les faits qui sont plus forts que les raisonnements et qui sont passés en quelque sorte en force de chose jugée, ont établi en Belgique deux ordres de fonctionnaires : les fonctionnaires politiques et les fonctionnaires non politiques.
Les fonctionnaires publics sont ceux qui peuvent engager le gouvernement, et Dieu merci, le gouvernement n'est pas en reste à leur égard. Car si ma mémoire n'est pas infidèle, quand le ministère du 12 août s'est formé, il a commencé pur faire une razzia complète des fonctionnaires politiques.
Maintenant viennent les fonctionnaircs non politiques. Evidemment ceux-là n'engagent pas la responsabilité ministérielle. Mais, dit M. le ministre de l'Intérieur, ils peuvent se permettre des actes que l'honneur, que la probité désapprouvent. Ainsi, un fonctionnaire public viendra, dans un meeting, dire que le ministre est un voleur. Eh bien ! qu'aura fait ce fonctionnaire ? Il se sera permis une calomnie, un crime puni par la loi, et c'est là un cas tout à fait exceptionnel.
Or, puisqu'on fait allusion aux faits, je demanderai si rien de semblable s'est passé dans les avertissements dont nous avons été témoins et dans la destitution à laquelle il a été fait allusion. Car enfin il faut bien parler de cettle destitution.
Est-ce que la personne qui a écrit que l'école d'Anvers laissait à désirer…
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Est-ce que cela regarde la Chambre ? Comment ! je ne serai plus libre de donner un avertissement à un de mes subalternes dans l'intérieur de mes bureaux ! La Chambre n'a pas à s’'occuper de cela.
M. B. Dumortier. - Vous en avez parlé vous-même, ce qui prouve que vous supposiez que la Chambre avait à s'en occuper. D'ailleurs tous les actes posés par les ministres sont du ressort de la responsabilité ministérielle et la Chambre peut les examiner.
Je dis donc : un fonctionnaire a écrit une brochure sur l'école d'Anvers ; a-t-il commis un crime vis-à-vis du ministre ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je me suis permis de lui écrire qu'il avait tort.
M. B. Dumortier. - Eh bien, on lui donne un avertissement, car nous en sommes aussi arrivés au régime des avertissements.
Un honorable fonctionnaire du département de la justice publie un ouvrage sur la question de la charité. On lui donne un avertissement.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Certainement.
M. B. Dumortier. - Pourquoi ? Parce qu'il a fait un chef-d'œuvre, et qu'on trouve que la meilleure de toutes les réponses est de lui lancer un avertissement.
Un autre prononce un discours ; on lui donne un avertissement encore.
Voilà bien des gens avertis. Voilà le public averti qu'il faut se tenir très calme, très modéré ; que le ministère n'entend pas plaisanter sur ce point.
Un autre fonctionnaire public se permet un discours dans lequel il n'approuve pas le système du gouvernement. On le destitue.
(page 1046) Mais qu'est-il d'abord cet homme que vous destituez ? Comment ! vous le destituez à titre de fonctionnaire et vous lui déniez la qualité de fonctionnaire ! Commencez par être logique : de deux choses l'une, ou il est fonctionnaire ou il ne l'est pas. S'il n'est pas fonctionnaire, de quel droit le destituez-vous, et s'il est fonctionnaire, pourquoi lui déniez-vous sa qualité ? Je voudrais bien qu'on répondit à ce dilemme.
Quel est ce fonctionnaire ? C'est le chimiste essayeur de la Monnaie. Il faut convenir que ce ne sont pas là des fonctions fortement compromettantes pour l'ordre public.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'était pas essayeur à la Monnaie.
M. B. Dumortier. - Il était chimiste de la Monnaie.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'était pas chimiste de la Monnaie.
M. B. Dumortier. - Qu'était-il donc ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il était chargé de surveiller les opérations d'affinage à la Monnaie dans l'intérêt de l'hygiène.
M. B. Dumortier. - Eh bien, c'était donc le chimiste de la Monnaie. C'est là une fonction bien importante ! L'affaire était bien grosse de dangers ! On pouvait mettre le feu aux poudres en Belgique et compromettre le cabinet ! Mais c'est là une fonction semblable à celle des professeurs de chimie dans les universités, c'est une fonction scientifique qui n'a rien de commun avec la politique. De quel droit entendez-vous l'empêcher de parler ? Parce qu'il fait de la chimie ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est parce qu'il distillait des injures.
M. B. Dumortier. - C'est une singulière distillation que celle-là. Mais je crois que M. le ministre des finances aurait dû avoir un bien fort alambic et une bien grosse cornue pour découvrir les injures dont il parle. Voici du reste les grandes injures prononcées par M. Vanden Broeck. Vous allez juger s'il y a là des attaques offensantes pour le ministère.
M. Vanden Broeck parle dans une réunion qui, je dois le dire, n'a pas mes sympathies ; c'est la réunion des libre-échangistes, et vous savez que leurs principes ne sont pas les miens.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous savons l'histoire de Tournai.
M. B. Dumortier. - Mais leur droit, je le défends.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas toujours: excepté à' Tournai.
M. B. Dumortier. Voici donc les grosses injures de M. Vanden Broeck :
« Je veux également aujourd'hui m'occuper d'une liberté non moins précieuse : du libre échange des idées entre tous les citoyens belges ! c'est-à-dire entre tous ceux que la Constitution a proclamés égaux devant la loi ! Entre tous ceux au profit desquels le Congrès national a voté ce mémorable article : la censure ne pourra jamais être établie. »
Je ne crois pas qu'il y ait là d'injure contre les ministres.
J'espère que cela est fort sanglant pour le ministère.
« Messieurs, nous ne sommes plus, heureusement, à l'époque oh le pont des châteaux-forts se levait derrière l'écrivain ! Mais sommes-nous bien loin de celle oh on ne rencontrait que des citoyens à qui l'éloge seul était permis ? Ne nous approchons-nous pas à grand pas de cette époque néfaste où l'on ne voyait que de petits hommes redoutant les petits écrits ?
« En vérité, c'est une étrange situation que la nôtre, où toutes les appréhensions semblent permises, où tous les doutes paraissent légitimes ! Singulière phase de notre vie politique où, malgré l'empreinte libérale dont paraît estampillé le pouvoir, on craint de respirer dans l'air le souffle de toutes les intolérances ! En vain, me dit-on que la liberté court les rues et que son règne est arrivé ! Mon instinct proteste contre ma raison ! Je vois la grimace sous le sourire, je sens la contrainte sous la liberté !!!
« Tenez, le sentiment que j'éprouve est tel, que je m'en défie et que j'acclame les occasions que je rencontre de me condamner moi-même ! Eh bien, je viens aujourd'hui demander à 200 ou 300 de mes concitoyens si mes sentiments sont d'accord avec les leurs :
« Il y a quelque temps déjà, un homme dont je m'honore d'être l'ami, bien qu'il n'appartienne pas à la phalange aujourd'hui victorieuse et assoupie du libéralisme satisfait ; un homme initié par l'expérience aux mystères des coulisses gouvernementales, cet homme, dis-je, mû par l'intérêt bienveillant qu'il me porte et qui le lie à ma famille, cet homme me disait : Ne craignez-vous pas que ces doctrines économiques que vous avez pu défendre avec tant de franchise et de liberté sous le ministère précédent, ne craignez-vous pas qu'elles ne vous suscitent aujourd'hui l'inimitié de ceux que le succès politique endort ? Ne redoutez-vous pas, vous qui remplissez des fonctions rémunérées par l'Etat, de vous trouver un jour, sans vous en douter, après avoir usé d'un droit que la Constitution vous confère, après avoir usé de ce droit avec modération, avec convenance, sans calomnie, sans injure, sans outrage ; ne craignez-vous pas de vous trouver un beau jour sous le coup d'un avertissement, voire même d'une destitution ?
« Je ne saurais dépeindre le sentiment que j'éprouvai à l'audition de cette menace éventuelle ! Mais je crois pouvoir le dire à mon honneur, ce premier sentiment ne fut pas celui du père de famille qui se voit menacé dans les intérêts de tous ceux qu'il aime ! Non, ce sentiment fut la protestation du citoyen contre l'injure faite à la liberté ! Aussi ne fut-ce pas sans amertume que je répondis à mon interlocuteur :
« Eh quoi ! la passion politique vous égare à ce point que vous osiez attribuer à vos adversaires d'aussi mesquines idées de vengeance et d'oppression !
« Mais songez donc aux noms et aux antécédents de ceux que vous calomniez ainsi. Songez que ce sont les piliers du libéralisme, de ce parti qui se prétend le soutien de toutes les libertés, le défenseur de toutes les émancipations, l'inventeur du libre-examen qu'il applique à toutes choses : à l'histoire, à la morale, à la politique, à la science, à la religion même !! Songez aussi aux hommes d'Etat qui disent représenter le libéralisme au pouvoir.
« Comment ! ces enfants de la publicité, ces nourrissons de la presse, ces hommes dont les plus importants, je le dis à leur honneur, n'ont pas été bercés sur les genoux de la puissance, ces pionniers infatigables qui ont taillé une à une dans le granit de l'opposition les marches de leur puissance politiques, ces hommes répudieraient leur passé ! Enfants ingrats de la liberté qui les a faits ce qu'ils sont, ils auraient le triste courage d'insulter à la fécondité de leur mère, de meurtrir le flanc qui les a portés ! C'est impossible.
« J'admets leur assoupissement ; je constate et je déplore leurs défaillances, mais je nie leur indignité !! Je la nie, non parce que les hommes au pouvoir appartiennent au libéralisme et qu'ils s'appellent de noms qui m'importent peu en définitive ! Je la nie par respect pour tous les partis honnêtes, pour tous les hommes d'Etat honorables ! Je la nie', au nom de l'honneur et de la dignité du pays !
« Il ne faut pas se le dissimuler, la question de l'indépendance des fonctionnaires publics, bien entendu des fonctionnaires non politiques et des autres, en dehors du cercle de leurs attributions spéciales, est une des questions les plus importantes qui puissent se résoudre daun un pays libre. Le jour où le fonctionnaire, au lieu d'être le serviteur de l'Etat, deviendra le complaisant ou le muet d'un ministère ; le jour où le fonctionnaire public, au lieu de porter noblement les couleurs du pays, endossera honteusement la livrée du pouvoir, de ce jour la Constitution sera méconnue et la liberté menacée ; car, de ce jour, commenceront à se répandre dans l'air de notre libre Belgique, ces miasmes serviles et corrupteurs que fuyait M. de Montalembert. »
Vous voyez, messieurs, qu'il n'y a pas là un mot d'injurieux. Pour moi, je déclare franchement que si de pareilles phrases doivent amener une destitution, je n'y comprends plus rien. Je crois que cette destitution a une autre signification, c'est qu'on voulait faire un exemple afin de rendre les fonctionnaires publics modérés à l'endroit du gouvernement. Je ne veux pas avoir des fonctionnaires publics en rébellion contre le pouvoir, mais il faut des bornes à tout, et quand je vois destituer un fonctionnaire, un père de famille, un homme honorable, pour des phrases aussi inoffensives que celles que je viens de citer, je ne saurais assez protester contre de pareils actes.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Faites une proposition.
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas besoin de faire une proposition, l'article 139 de la Constitution nous ordonne de faire dans le plus bref délai une loi sur la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir. Je demande que cette prescription de la Constitution soit enfin exécutée.
L'honorable M. Rogier vient de dire qu'il ne présentera pas cette loi, et que si elle était présentée il la combattrait.,
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas parlé d'une loi sur la responsabilité des ministres.
M. B. Dumortier. - La Constitution ne parle pas seulement de la responsabilité des ministres, elle ajoute : « Et autres agents du pouvoir ». Je dis que M. De Fré a parfaitement raison de demander que cette loi soit présentée ; il demande simplement qu'on exécute la Constitution.
II me semble, messieurs, qu'une telle loi est surtout urgente lorsqu'on se conduit comme on l'a fait envers un homme d'une grande intelligence et justement considéré comme M. Vanden Broeck.
Ainsi hier il nous est arrivé une pétition que, pour mon compte, je ne défendrai point, mais qui nous signale un fait excessivement grave. Le Moniteur a publié un article contre M. Vanden Broeck ; celui-ci était parfaitement en droit, aux termes de la loi, de faire insérer sa réponse ; eh bien, le croiriez-vous ? on refuse cette insertion. Eu vérité, messieurs, de pareilles persécutions sont intolérables. On destitue un fonctionnaire, on l'attaque dans le Moniteur et on l'empêche de se défendre !
Et sur quoi se base-t-on pour agir ainsi ? On dit que le ministre étant responsable, M. Vanden Broeck ne peut pas l'attaquer devant les tribunaux pour faire insérer sa réponse au Moniteur.
Je dis qu'il est inouï d'agir de la sorte envers un homme honorable, un honnête homme, un homme qui honore le pays.
- Le dépôt au bureau des renseignements, proposé par M. le ministre de l'intérieur, est mis aux voix et prononcé.
M. Van Iseghem dépose le rapport de la commission qui a examiné la convention ayant pour objet de proroger le traité de commerce avec la France.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen) présente un projet de loi ayant pour objet d'introduire quelques modifications dans le cahier des charges de la compagnie du chemin de fer de Namur à Liège, relativement à l'exécution de la ligne de Namur à Givet par Dinant.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen des sections.
- La séance est levée à 5 heures et un quart.