Séance du 15 avril 1859
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 985 (Présidence de M. Verhaegen.)
M. de Boe, secrétaire, fait l'appel nominal à 2 heures et demie, et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
Il présente ensuite l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Hombeek demandent le rejet de la proposition concernant le vote alphabétique, l'abolition de l'impôt sur le débit des boissons distillées, et le vote à la commune, sauf à réunir les électeurs des communes rurales contiguës qui n'auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant quelques dispositions de la loi électorale, relative aux élections.
« Des habitants de Saint-Genois prient la Chambre de rejeter la proposition relative au vote par lettre alphabétique, de faciliter l'exercice du droit électoral et d'abolir la loi qui admet dans le cens électoral l'impôt sur le débit des boissons distillées. »
« Même demande d'habitants de Moorseele, St-Denis, Courtrai, Aelbeke, Wevelghem. »
- Même décision.
« Des habitants de Mainvault prient la Chambre de rejeter la proposition concernant le vote par ordre alphabétique et d'examiner quelle circonscription électorale il y aurait lieu d'établir, afin de faciliter le vote des électeurs des communes rurales. »
« Même demande d'habitants de Warnant-Dreye, Natoye, Ermeton-sur-Bierf, Bruxelles, Putte, Puers, Nylen, Molenbeek-Saint-Jean, Kessel, Roulers, Houttave, Hemixem, Wulveringhem, Bourteigne-Vieille, Ardoye et du canton de Diest. »
- Même décision.
« Des habitants de Melin demandent : 1° le rejet de la proposition concernant le vote par lettre alphabétique ; 2° le vote à la commune, sauf à réunir les communes rurales continués qui n'auraient qu'un petit nombre d'électeurs ; 3° l'abolition de l'impôt sur le débit des boissons ou du moins de la loi qui admet cet impôt dans le cens électoral ; 4° le rétablissement du cens différentiel tel qu'il existait avant 1848. »
- Même décision.
« Des habitants de Bisseghem prient la Chambre d'adopter la proposition concernant le vote par lettre alphabétique. »
« Même demande d'habitants de Roulers. »
- Même décision.
« Des habitants de Moerkerke demandent le rejet de la proposition relative à l'appel des électeurs par ordre alphabétique et le vote à la commune ou du moins au chef-lieu du canton. »
- Même décision.
« Des habitants de Ligny prient la Chambre de rejeter la proposition concernant le vote par lettre alphabétique et demandent : 1° le vole à la commune, sauf à réunir les électeurs des communes rurales contiguës qui n'auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs ; 2° l'abolition de l’impôt sur le débit des boissons ou du moins de la loi qui admet cet impôt dans le cens électoral. »
« Même demande d'habitants de St-George, Aeltre, Woesten, Berlaer, St-André, Rolleghem-Capelle, St-Amand, Rumbeke, Puers, Lichtervelde, Leke Geluvelt, Kuekelbergh, Sysseele, Noordschote, Attenrode-Wever, Familleureux, Cits, Dudzeele, Wyneghem, Langhemarck, Vladsloo. Becquevoort, Herenthals, Molenstede, Oostkerke, Ingelmunster, St-Jacques-Capelle, Waerschoot, Bixschote, Hooghlede, Thourout, Wavreille, Nethen, Lahamaide, Hamois. »
- Marne décision.
« Des habitants d'Anvers prient la Chambre de rejeter le projet de loi concernant le vote par lettre alphabétique. »
- Même décision.
« Des propriétaires à Bruxelles demandent la révision de la loi sur le déguerpissement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Lelièvre. - L’objet énoncé en la pétition est urgent, je demande que la réclamation soit renvoyée à la commission qui sera invitée à faire un prompt rapport.
« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, une demande en obtention de la naturalisation ordinaire faite par le sieur Meyer (Germain-Louis), capitaine de navire, demeurant à Anvers. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Il est fait hommage à la Chambre par M. Leborgne de 108 exemplaires d'un mémoire à l'appui d'un projet de réseau de chemin de fer, à construire dans la province de Luxembourg et dont il sollicite la concession. »
- Distribution aux membres et mention au procès-verbal.
M. de Luesemans. - J'ai l'honneur, messieurs, de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi allouant un crédit de 5 millions au département de la guerre.
Ce rapport ne pourra pas être imprimé avant demain soir. Je ne sais pas quelles sont les intentions de la Chambre ; mais si elle était disposée à s'ajourner aujourd'hui ou demain, je demanderais à être autorisé à faire imprimer le rapport pendant les vacances et à le faire distribuer à domicile.
- Cette proposition est adoptée.
M. De Fré. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné la proposition de loi tendante à allouer une pension aux sieurs Bonne et fils et J.-B. Geens.
- Ce rapport sera imprimé et distribué, et la proposition de loi sera mise à la suite de l'ordre du jour.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de présenter à la Chambre un projet de loi sur la propriété littéraire et artistique.
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.
M. Muller. - A entendre les deux orateurs de la droite qui ont pris la parole dans la séance d'hier, il semblerait vraiment que la section centrale, qui n'a été que l'organe de la majorité de toutes les sections, ait soumis à la Chambre un projet de nature à émouvoir vivement les esprits, à ébranler la société jusque dans ses fondements.
Jamais, messieurs, en aucune autre circonstance, le langage des honorables MM de Decker et de Theux n'avait été empreint d'autant de passion se révélant, soit dans la forme, soit au fond de leurs reproches. Ces honorables membres, qui tiennent un rang considérable dans la droite, se sont écartés, cette fois, de leurs précédents ; ils ont emprunté à certains organes de leur parti un genre d'argumentation et des termes qui n'auraient pas dû trouver accès dans cette enceinte.
On a calomnié nos intentions, on les a travesties ; et ce qui est étrange, c'est que l'honorable M. de Decker faisait en même temps, par habitude, appel à l'union et à la conciliation. Lui qui n'abandonne pas ce thème, qui ne désespère pas d'aboutir à un résultat impossible, qui rêve la conciliation de principes diamétralement opposés, il s'est à son insu laissé entraîner à préconiser des mesures qu'à bon droit nous pourrions, nous, qualifier de reactionnaires.de révolutionnaires même. Et c'est notre opinion qu'il accuse de violence !
Mais en quoi consiste donc notre projet ? A répartir les électeurs de l'arrondissement administratif par ordre alphabétique dans les bureaux. Touchons-nous à aucune des bases essentielles de notre système électoral ? Evidemment non. Il s'agit simplement de soustraire ceux qui sont appelés à exercer leurs droits, à des influences, à des pressions illégitimes.
Au contraire, qu'est-ce que la droite, prenant pour prétexte cette amélioration à la loi électorale, que nous avons présentée comme ne pouvant provoquer de plainte sérieuse, comme s'appuyant sur la moralité, vient vous proposer ?
D'abord, dans l'amendement de M. Malou, un fractionnement à l'infini des bureaux électoraux. On n'a pu réussir à étayer d'une manière quelque peu spécieuse le vote à la commune, parce qu'on ne trouvait pas là des bureaux électoraux en nombre suffisant et aussi parce que les bureaux électoraux auraient souvent été plus nombreux que la fraction du corps électoral ainsi réunie. Voilà pourquoi, après avoir réfléchi, on vous demande de créer de petits détachements de communes pour les instituer en bureaux.
Mais, renchérissant sur ces propositions, M. de Theux a essayé de faire admettre devant la Chambre comme mise au rôle des questions à résoudre, un autre fractionnement, celui des collèges électoraux eux-mêmes.
On voudrait qu'il y eût autant de collèges électoraux qu'il y a de (page 986) représentants à élire. Cela livrerait carrière à toutes les menées, à toutes les ambitions et séductions électorales.
M. Malou. - Personne n'a demandé cela.
M. Muller. - L'honorable M. de Theux ne l'a pas réclamé formellement, mais il a fait l'éloge de ce système, et il a cité comme exemple, à suivre sans doute, ce qui avait lieu dans d'autres pays. Or, comme votre proposition n'est qu'une inscription au rôle, il nous a découvert, à son tour, toute votre pensée commune.
On a cité la France, on a cité l'Angleterre, on a cité la Hollande. Et ce sont les hommes qui ont à tous moments dans la bouche l'expression de traditions nationales, qui vont puiser dans les pays étrangers des arguments pour combattre nos institutions !
Messieurs, qu'ont amené ces petits collèges électoraux, par exemple, en France ? Ils ont développé la corruption électorale par suite de la facilité de se rendre maître d'une majorité à l'aide de moyens illicites, de promesses, de menaces ; ils ont en partie provoqué les bouleversements périodiques dont la France a été victime
Ce que je dis des petits collèges électoraux s'applique pareillement à vos petits bureaux électoraux. Voilà, en résumé, le système que vous ne défendez que partiellement d'une manière expresse, formelle, mais qui perce suffisamment en entier dans les discours que nous avons en tendus hier.
Pour en faire justice à un autre point de vue, reportons-nous à l'origine du mandat parlementaire. De qui, messieurs, l'homme investi des fonctions législatives, est-il, en définitive, le mandataire ? Est-ce d'une commune ? Est-ce d'une agglomération de quelques communes ? Est-ce même d'un arrondissement ? Ou bien, n'est-ce pas de tout le pays ? Evidemment, c'est de la nation tout entière, qui est censée le conférer, et votre Constitution le signifie d'une manière expresse.
Si tous les électeurs de la Belgique ne concourent pas à la nomination de tous les représentants, c'est qu'il y a d'abord impossibilité matérielle de les convoquer ensemble ; c'est ensuite qu'il y a, pour eux, impossibilité d'appréciation morale des titres d’une foule innombrable de candidats.
Mais, autant que possible, il faut se rapprocher de la réalisation du principe inscrit dans la Constitution. Et c'est ce qu'avait parfaitement compris l'honorable M. de Theux lorsque, rapporteur du projet de loi électoral, il expliquait d'une manière précise et concluante la nécessité du vote au chef-lieu d'arrondissement en même temps que la répartition du nombre des représentants et sénateurs par grands arrondissements électoraux.
Aujourd'hui l'honorable chef de la droite a fait un retour sur lui-même.
Il semble se repentir de l'opinion qu'il avait émise en 1831, comme organe de la section centrale du Congrès. Il semble se frapper la poitrine tout en alléguant à titre d'excuse qu'à cette époque déjà ancienne, les électeurs se réunissaient la veille de l’élection pour combiner entre eux leurs choix.
Eh bien, messieurs, je n'ai ni l'expérience ni l'âge de l'honorable comte de Theux, mais je me rappelle fort bien qu'en 1830 et en 1831, il n'y avait, pas plus qu'aujourd'hui, deux sortes de réunions officielles d'électeurs ; qu'on n'a jamais été convoqué la veille pour voter le lendemain.
Seulement il y avait, comme il y a encore, des associations libres ; mais de convocation au nom de l'autorité, aucune. Je m'étonne, au surplus, que l'honorable M. de Theux, qui aurait été mû à cette époque par la considération puissante des heureux résultats du concert préalable des électeurs entre eux, n'ait pas songé alors aux frais, à la gêne de déplacements considérables qu'un tel système devait imposer aux électeurs des campagnes.
On se plaint aujourd'hui qu'ils aient quelques lieues à faire ; on se plaint qu'il soit parfois difficile aux électeurs des campagnes, vu leur éloignement, de participer aux ballottages, et M. de Theux, qui l'a préconisé et fait adopter en 1831, était persuadé qu'à cette époque les électeurs des campagnes devaient découcher et ne retourner chez eux qu'après avoir dépensé passablement d'argent et perdu un temps dont la durée approchait de deux fois 24 heures.
Je pense, messieurs, qu'à cet égard l'honorable comte de Theux n'est point parvenu à expliquer d'une manière satisfaisante son revirement d'opinion qui paraît être profond et général en ce qui concerne le système électoral du congrès.
En effet, qu'est-il échappé à sa franchise ? Nous ne l'avons pas entendu seulement faire le procès à la loi qui admet le droit sur les boissons distillées comme impôt direct, parc que ce droit n'a pas en réalité d'autre caractère, et pour le dire en passant, on a oublié de mentionner aussi le débit des tabacs.
Il ne s'est pas non plus contenté d'accuser la réforme électorale de 1848, qui est basée sur un principe d'égalité, le payement du même chiffre d'impôt ; non, il a été plus large, plus absolu dans son jugement : il est une expression que j'ai entendue avec peine sortir de sa bouche, il a flétri l'ensemble du système électoral en vigueur en Belgique, et cependant il avait largement contribué à l'introduire. Sur qui donc retomberait une semblable flétrissure ?
Si l'on examine maintenant notre modeste projet, on verra qu'il concorde parfaitement avec toutes les base, toutes les garanties, de notre régime représentatif, et c'est à nous que l'on impute des velléités de réaction, c'est contre la section centrale que sont dirigées d'injustes récriminations. Et pourquoi ? parce qu'interprète d'une pensée que doivent avoir tous ceux qui ont des sentiments loyaux et honnêtes, usant de son droit d'amendement, elle a été d'avis qu'il y a lieu d'apporter à la loi en vigueur des modifications, ne portant pas la plus légère atteinte à l'exercice du droit électoral, assurant au contraire la liberté et l'indépendance de cet exercice.
On s'est écrié que c'était une inspiration de parti, qu'il y avait là une humiliation, un outrage pour les électeurs des campagnes ? que c'était les exposer aux violences, même physiques, des citadins, pour les empêcher définitivement de faire acte de présence dans les comices électoraux.
Qu'il me soit permis de faire remarquer, en me répétant, que des récusations aussi blessantes et qui s'en prennent à la droiture des intentions, ne devraient pas retentir dans le sein de l'assemblée législative. On ne devrait pas, davantage, y pousser en quelque sorte à la scission d'intérêts et de vues entre les villes et les campagnes. N'est-ce pas reconnaître qu'à bout de moyens qui peuvent être avoués, ou n'a d'autre planche de salut que dans le ravivement, dans l'excitation des haines de classes, de catégories et de localités !
Que sont donc, en définitive, les cités et les campagnes ? Ne sommes-nous pas tous les membres d'un même corps ? Si l'un de ces membres est souffrante, pensez-vous que l'autre n'en ressente par le contre-coup ? L'industrie et le commerce ne se sont-ils pas étendus au sein des communes rurales ? et, d'autre part, des citadins ne possèdent-ils pas une partie notable du sol consacré à l'agriculture ?
Les habitants des champs, ceux des villes sont-ils inconnus les uns aux autres ? N'ont-ils pas des relations, des échanges mutuels ?
Puisque j'en suis à combattre cette malheureuse démarcation politique, à laquelle on donne le caractère d'une sorte d'antagonisme social, je ferai remarquer qu'il y a un grand nombre de villes, surtout celles d'une population faible, dont les électeurs sont rangés parmi les citadins pesant prétendument par leur nombre sur les votes des campagnards, à en croire nos adversaires, et dont cependant les habitants n’ont d'autre intérêt que celui de l'agriculture.
Arrière donc toute cette fantasmagorie de doléances et de plaidoyers accusateurs !
L'humiliation des campagnes, l'outrage à leur intelligence, mais qui donc ici s'en rend coupable ? Est-ce la gauche ou la droite ?
L'honorable M. E. Vandenpeereboom vous l'a dit : Qu'y a-t-il d'humiliant pour les campagnes dans un projet qui doit être applicable à tout le monde, qui doit favoriser la libre et consciencieuse manifestation de chacun, des électeurs ruraux comme des électeurs citadins ?
Les campagnards seront livrés aux menaces, aux violences physiques des citadins ! C'est par trop fort, MM. de la droite, vous considérez les habitants des villes comme étant probablement des brutes, des rustres, comme des gens n'ayant pas d'éducation, manquant à toute convenance, à tous égards !
Permettez-moi de les mettre au moins sur la même ligne en fait de procédés et de modération que ceux dont vous vous targuez d'être les protecteurs. Il y a, d'ailleurs, dans les villes, et vous le savez bien, une police nombreuse, bien organisée, active ; les rixes, les violences illicites y seraient mieux réprimées que partout ailleurs, et elles y sont aussi rares qu'elles pourraient l'être dans les communes rurales.
Mais ce n'est pas tout ce que nous à réfuter sur ce chapitre. Comme complément, après probablement que les électeurs des villes auront usé de moyens de voies de fait, malgré la faiblesse et l'infériorité de leurs forces physiques, car généralement ils ne sont pas d'une constitution aussi robuste que les habitants des campagnes ; quand, dis-je, les électeurs des villes se seront livrés à des attaques brutales contre les campagnards, on imagine autre chose, c'est que ces derniers seront dégoûtés de se rendre au scrutin ; ils n'y paraîtront qu'une seule fois, et c'est là, sinon le but qu'on veut atteindre, du moins le résultat qu'on obtiendra par Je projet de loi.
De tels raisonnements, de telles objections ne méritent pas l'honneur d'une réputation sérieuse, elles tombent devant le sens commun et la réflexion des gens impartiaux.
Quand donc avons-nous vu des luttes physiques dans les élections ? Pourrait-on citer des actes fréquents de sévices commis, je ne dis pas entre les électeurs des villes et ceux des-campagnes, mais entre électeurs quelconques ?
Il peut y avoir eu des cas, mais ils ont dû être extrêmement rares, et vous n'avez pas le droit de les imputer plutôt à une catégorie d'électeurs qu'à une autre.
Quoi qu'il en soit, il y a peut-être une autre raison pour laquelle on s'imagine que les électeurs des campagnes ne viendraient plus exercer leurs droits de citoyen, c'est qu'ils n'auraient plus la chance, comme maintenant, d'être conduits jusqu'à l'urne, bien et dûment forcés, sous l’'empire de la contrainte comme des moutons, enfin, et il leur répugnerait de s'y rendre désormais librement ou de s'abstenir tout aussi librement.
Voilà bien la position que notre projet de loi leur ferait ; seulement nous ne supposons pas que le campagnard se laisse intimider plus d'une façon que de l'autre, pas même par l'épouvantail de ces prédictions menaçantes pour eux que vous faite résonner ici, pour qu'elles soient transmises jusqu'au dernier hameau.
(page 987) En vérité, il semblerait que l'ordre alphabétique proposé par la section centrale serait une mesure exclusivement applicable aux campagnes ; tandis qu'il est établi pour la liberté de tous les votants. Croyez-vous donc que nous ne sachions pas que la pression s'exerce, non seulement sur les électeurs ruraux, mais encore sur certains électeurs des villes ?
Interrogez des hommes désintéressés de certains arrondissements, et ils vous diront que, dans telles villes, on met en quelque sorte en interdit des catégories de petits négociants et de boutiquiers s'ils ne votent pas comme on leur enjoint de le faire.
Ce n'est donc pas, messieurs, une mesure dirigée contre les campagnes et devant tourner au profit des villes, c'est une mesure à prendre exclusivement en faveur de la moralité publique. Il s'agit s'affranchir d'une véritable servitude, illégitime, dégradante, tous les électeurs sans distinction, qu'ils appartiennent aux villes ou qu'ils fassent partie des campagnes.
En vérité, messieurs, ne dirait-on pas, à en juger par l'attitude de nos adversaires, que de l'adoption ou du rejet de notre ordre alphabétique dépend le maintien ou le bouleversement de l'ordre social ? L'ordre social sera ébranlé, parce qu'un maître quelconque, prêtre ou laïque, ne pourra plus suivre de l'œil jusqu'au dernier moment, l'identité du bulletin qu'il aura enjoint à un électeur de déposer ! De bonne foi, qui, des partisans ou des adversaires de l'ordre alphabétique, fait ici injure à la dignité de l'électeur ?
Ou a objecté que cette mesure ne serait pas un obstacle à l'émission de bulletins marqués, de bulletins portant des signes reconnaissables.
C'est vrai, messieurs, l'obstacle ne sera pas absolu, une partie des abus actuels appellent peut-être d'autres remèdes. Aussi, ce moyen que la section centrale vous a proposé, elle ne vous l'a point annoncé comme une panacée, comme étant la seule loi possible à décréter.
Elle vous a dit : voilà une première mesure efficace, qui détruira en grande partie les abus criants dont se plaint l'opinion publique, ces abus qui la soulèvent d'indignation quand ils arrivent à sa connaissance, parce qu'on ne fait pas tout à la fois, vous vous retranchez sur ce qu'en tout cas la mesure serait incomplète !
Nous admettons, nous, qu'il en faudra d'autres encore pour empêcher les scandales électoraux de toute nature, et nous vous appuierons quand vous ne nous parlerez plus au nom de l'esprit de parti, mais au nom de la moralité publique.
Au surplus, messieurs, cette mesure ne sera pas si inefficace qu’on le prétend ; elle a une grande portée pratique : lorsque les électeurs d'une même commune seront répartis dans des bureaux différents par ordre alphabétique, il ne pourra pas y avoir dans chacun de ces bureaux et pour chaque catégorie d'électeurs des surveillants et des contrôleurs en nombre suffisant, comme cela peut se faire aujourd'hui.
Evidemment, l'électeur sentira qu'il a récupéré une grande liberté, et il en usera, parce que sa conscience et son intérêt personnel ne seront plus en lutte.
Enfin, messieurs, dois-je relever un argument qui prouve surabondamment la pauvreté de tout ce qu'on vous oppose ? dois-je réfuter l'allégation que l'électeur des campagnes aura de la peine à découvrir son bureau et à s'y rendre ? Non, sans doute ; car on fait ici trop bon marché du discernement du campagnard, de son intelligence, qui ne nous est jamais apparu tel que ces messieurs de la droite veulent bien le dépeindre.
Le campagnard est doué de bon sens, comme le citadin ; il sait, tout aussi bien que lui, questionner et se renseigner au besoin, et vous ne l'égarerez ni de son chemin, ni du lieu qu'il veut atteindre.
On a parlé de la gêne, des difficultés, des vexations que lui préparerait le projet de loi. Il ira, a-t-on dit, voter au milieu d'étrangers, pêle-mêle avec gens qu'il ne connaîtra pas, et remarquez qu'on suppose en même temps que ces derniers, par un prestige subit, exerceront une immense influence sur lui ; ces inconnus s'empareront immédiatement de sa personne et lui donneront un bulletin qu'il acceptera aveuglément.
Est-ce possible, est-ce croyable, messieurs, et ce qu'on a dit de la tyrannie que pourrait exercer le citadin sur le campagnard, n'est-il pas complétement en dehors de la raison ? Les campagnards ne seront plus ensemble, c'est vrai ; mais la position sera égale pour tous et quand il s'agit d'exercer un droit civique, quand on prend sa part de la souveraineté nationale, quand on le fait avec conscience et dignité, on ne se préoccupe pas du point de savoir si pendant le quart d'heure qu'on a à passer dans la salle du scrutin, on est à côté d'amis, de voisins ou de personnes étrangères
Comme dernière considération, je rappellerai que pour éviter toute espèce de reproche ayant une apparence de fondement, la section centrale s'est attachée à n'apporter aucune aggravation dans le rang de faveur accordé jusqu'ici pour les votes aux électeurs éloignés du chef-lieu. C'est pour leur maintenir cette facilité qu'après avoir établi un ordre alphabétique général pour la répartition dans les bureaux, elle appelle les habitants des communes les plus éloignées à voter en dernier lieu au premier scrutin et en premier lieu en cas de ballottage.
On a beaucoup parlé hier contre la position pénible faite aux électeurs éloignés pour le cas de ballottage, et comme je l'ai fait remarquer dans mon premier discours, pour corriger cet inconvénient l'honorable M. Malou propose, par son amendement, de remettre le ballottage à un autre jour ; c'est-à-dire, que les électeurs auront à faire deux corvées au lieu d'une. Voilà comme l’on se montre conséquent dans le système de nos adversaires. Dans le nôtre, au contraire, en cas de ballottage, l'électeur des campagnes sera beaucoup plus favorisé qu'il ne l'est aujourd'hui sous le rapport du temps qu'il devra rester au chef-lieu. Vous allez le comprendre.
Actuellement les électeurs votent généralement par cantons dans les bureaux. Je citerai l'exemple du canton de Louveignée, dans l'arrondissement de Liège. C'est l'un des plus éloignés, et cependant l'électeur qui en fait partie, si sa localité est celle du canton la plus rapprochée de la ville, devra attendre plus longtemps, avant de pouvoir déposer son suffrage qu'un très grand nombre de citadins qui votent dans leurs bureaux respectif. Or, dans le système de la section centrale, il n'en sera plus ainsi. Dans tous les bureaux, les électeurs de la ville voteront les derniers au ballottage, et il y aura ainsi pour les campagnards moins de retard et plus de temps à leur disposition pour regagner leurs communes.
Voilà, messieurs, ce qui est incontestable.
Quant à l'ordre alphabétique général que nous avons combiné avec l'ordre d'appel par commune, nous ne pensons pas, messieurs, avoir fait une découverte ni surtout une innovation qui aurait un caractère révolutionnaire. Lorsque l'année dernière, vous avez adopté la loi sur les prud'hommes, comment avez-vous réglé les élections ? Avez-vous dit que la votation commencerait par les communes les plus éloignées ? Non, vous avez établi le vote par ordre alphabétique général.
Et remarquez que, dans ce moment même, nous sommes saisis d'un projet d'institution de conseil de prud'hommes à Verviers dont le ressort comprendra 32 communes. Est-ce que les ouvriers, les maîtres qui vont arriver au scrutin ne pourraient pas vous dire aussi : Mais vous nous empêchez de nous concerter ; pour les uns et pour les autres il pourra y avoir séparation des électeurs d'une même commune, si le nombre total exige une répartition dans plusieurs bureaux !
Cependant, aucune objection ne s'est produite, et il s'agissait de régler le choix de magistrats, d'hommes auxquels on confie un pouvoir judiciaire, comme on confie le mandat législatif aux candidats dans les élections générales.
En résumé, messieurs, je crois qu'on ne peut plus sérieusement contester que la pensée qui a présidé au projet de loi que la section centrale vous a soumis est irréprochable et a été mûrie. Aussi j'ai vu avec satisfaction que le gouvernement se ralliait complétement à notre principe. Il importe donc de la consacrer d'une manière formelle.
Nous ne déclarons pas que les dispositions qui vous sont soumises ne peuvent subir des modifications, des améliorations. Nous sommes prêts à accepter, en faisant taire toute question d'amour-propre, tout ce qui sera jugé utile comme correctif. Mais ayant la conviction profonde que la répartition des électeurs en sections par ordre alphabétique, atteindra un but éminemment désirable et mord, et qu’en pareil cas vouloir c'est pouvoir, nous espérons que la Chambre adoptera cette mesure, sans que plus qu'à nous elle ait l'arrière-pensée de faire une loi de circonstance.
Que les organes du parti qui se dit le représentant de la religion, de la conservation de l'ordre social, de tous les bons principes, enfin, continuent à révoquer en doute la loyauté de nos vues, nous dédaignons ces insinuations injurieuses. Ayant la conscience de notre loyauté, nous appuyant sur des sentiments d'équité et de morale, nous attendrons avec calme et sérénité le jugement de la Chambre et celui du pays.
M. B. Dumortier. - Messieurs, j'ai longtemps hésité à prendre part à ces débats. Mais je dois le dire, il m'est impossible d'entendre en silence proclamer dans cette enceinte que le corps électoral ou une partie du corps électoral de Belgique est dans un état de servitude dégradante dont il faut l'affranchir.
Je proteste de toute l'énergie de mes convictions contre les paroles que vient de prononcer un membre de la gauche. Comment ! le corps électoral serait dans une servitude dégradante ! Mais c'est un outrage que vous faites au pays et je proteste contre cet outrage.
Maintenant, que dit l'honorable préopinant ? Il veut, dit-il, restituer aux élections la liberté, la sincérité, l'indépendance. Ainsi il est admis, puisqu'il faut leur restituer, que les élections actuelles se font aujourd'hui sans sincérité.
Mais qui êtes-vous donc qui parlez de la sorte ? Vous êtes la majorité qui est sortie des élections ; vous faites donc l'aveu que vous ne représentez pas la sincérité nationale. Voilà l'aveu qui est sorti de la bouche d'un membre important de la majorité, et ce qui prouve que cet aveu est fondé, c'est que vous n'êtes pas contents des lois actuelles, qu'elles ne vous suffisent plus, et que vous voulez les modifier pour vous maintenir.
La parole, a dit Talleyrand, a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. C'est ici que je ferais volontiers l'application de ce principe. Comment les élections se font sans sincérité ! Et en présence de quelle majorité nous trouvons-nous donc ? Ah ! c'est parce que vous sentez qu'il y a eu un moment de surprise et que le flot populaire se retire de vous, que vous voulez modifier la loi.
La sincérité des élections ! sans doute, messieurs, il y a toujours eu, il y aura toujours des abus en pareille matière. Il y en a peut-être quelques-uns individuels de la part de certains membres du clergé. Mais encore une fois mettre la main sur votre conscience ; votre virginité si pudibonde ne sera pas offensée, je pense, si l'on trouve de votre côté un (page 988) bien plus grand nombre d'abus que du côté de vos adversaires. Des abus en matière'd’élections ! Mais je n'en connais pas de plus grands que ceux qui se produisent dans vos rangs. Voulez-vous les connaître ? Vous n'avez pas besoin de sortir de cette Chambre. Montez au greffe, allez voir les réclamations qui nous ont été adressées à propos des élections et jugez quels sont les abus qui se passent. Nous avons été saisis depuis vingt ans d'une foule de pétitions qui vous indiquent quels sont ces abus. Ainsi on est venu vous dire que telle opinion s'était emparée des bureaux électoraux et défendait à qui que ce fût de venir vérifier les votes !
N'est-ce pas là un abus, un abus scandaleux ? Un abus que vous devriez empêcher si vous vouliez, comme vous le dites, garantir la sincérité des élections !
A chaque élection il se trouve dans vos rangs des centaines de personnes qui ont recours à des moyens honteux, à la ruse, à la tromperie, à la violence, qui enlèvent aux électeurs leurs bulletins, expression de leur conscience, pour leur en donner d'autres. Et vous viendrez invoquer la liberté du vote, nous accuser de violer la sincérité des élections !
Mais, messieurs, je dirai que le but essentiel qu'on a en vue, dans cette affaire, c'est de favoriser ces odieux tripotages.
Oui, il y a des influences dans le pays, il y a des influences légitimes, mais il y a aussi des influences illégitimes : ce sont celles qu'on exerce par la fraude, par la tromperie, par l'escamotage au moment du vote. Ces influences sont odieuses ce sont précisément celles que la loi aurait pour effet de favoriser et d'organiser.
Quel serait le résultat de l'ordre alphabétique ? Il est bien clair. C'est une loi portée, a dit l’honorable M. Rogier, contre l'influence du clergé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Contre l'influence illégitime du clergé.
M. B. Dumortier. - Que se passera-t-il, messieurs ? L'électeur campagnard arrive à Bruxelles, par exemple, où il y a 24 bureaux électoraux, et chaque bureau est placé dans le voisinage du lieu où les électeurs doivent arriver.
L'électeur sait donc où il doit se rendre pour déposer son vote.
S'il y en a quelques-uns dans le nombre qui ne connaissent pas les rues de la capitale, ils vont avec leurs compagnons et arrivent à leur bureau sans la moindre difficulté. Au contraire, au moyen d l'ordre alphabétique, s'il y a 20 électeurs dans une commune, vous allez les disséminer dans 15 ou 20 bureaux. Comment chacun de ces électeurs trouvera-t-il son bureau dans une grande ville ? Demanderont-ils des renseignements ?
Mais on trouvera le moyen de les égarer, on les entraînera au cabaret, on leur indiquera des bureaux qui ne sont pas les leurs, en un mot on trouvera le moyen de les empêcher de voter. Et c'est là la sincérité que vous préconisez ! (Interruption.) Quand on vient se targuer de sincérité, il faut dire comment les choses se passeront.
Maintenant vous ne voulez pas que dans les bureaux on puisse voir la personne qui va voter, qu'on puisse lui donner un bulletin plus ou moins coloré, qu'on puisse, en un mot violer le secret du vote.
Eh bien ! je suis parfaitement d'accord avec vous ; présentez des mesures pour maintenir le secret du vote, et je m'empresserai de les appuyer.
Les bulletins méconnaissables sont un des plus grands vices de notre système électoral, puisqu'il constitue un infâme marché, où l'acheteur et le vendeur se connaissent ; mieux vaudrait cent fois le vote à haute voix avec sa responsabilité.
Mais rappelez-vous, messieurs, qu'un jour la Chambre a annulé une élection parce qu'il y avait eu un grand nombre de ces bulletins ! Et où siégeait celui dont l'élection a été annulée ? Mais c'était sur vos bancs ! Ne venez donc pas nous parler de ces fraudes électorales lorsque la Chambre, par son vote, a fait voir que c’était de votre côté qu'elles ont été commises. Qu'est-ce que c'est que vos accusations contre nous, lorsque vos bancs accusateurs ont seuls été proclamés coupables ?
Il y a des abus, messieurs, abus reconnus par tous, abus qu'il importe au plus haut degré de faire disparaître. Voulez-vous présenter des mesures dans ce but, je le répète, je serai le premier à les appuyer et le vote de la droite ne vous fera pas défaut. Mais ne venez pas, sous prétexte d'abus, faire une loi de parti dans votre intérêt, une loi dont le résultat sera de favoriser les fraudes électorales.
Vous parlez toujours de la concentration des électeurs, de la nécessité de leur permettre de se concerter ; mais vous savez bien qu'au bureau électoral, il faut garder le silence, qu'on ne peut ni s'y parler, ni s'y concerter. Ainsi, ce ne sont là que des paroles débitées sans raison et pour justifier un acte injustifiable.
Voulez-vous des mesures pour empêcher qu'on n'exerce dans les bureaux électoraux une pression directe ou indirecte, présentez-les et nous y donnerons notre assentiment, nous les accepterons des deux mains. Mais ce que nous ne voulons pas, c'est de favoriser d'indignes manœuvres, d'indignes tripotages, l'escamotage des bulletins électoraux ; nous ne voulons pas qu'on escamote les bulletins, qu'on substitue des bulletins à d'autres, soit dans les bureaux, soit en exploitant les électeurs qui s’y rendent.
Une chose, messieurs, qui nous frappe dans le projet de loi, c'est qu'on donne aux commissaires d'arrondissement le droit de faire les listes électorales. En vérité, je ne comprends pas comment le parti qui se dit libéral peut présenter une pareille mesure.
Dans l'ordre de nos institutions populaires, tout ce qui tient à l'élection émane de l'élément populaire. C'est l'électeur qui doit juger le pouvoir, le pouvoir ne doit donc pas intervenir dans l'élection.
Aujourd'hui les listes électorales sont arrêtées par les conseils communaux après que toutes les réclamations ont été faites, après que toutes les rectifications ont eu lieu, c'est le conseil communal qui arrête définitivement et qui clôt la liste.
- Plusieurs membres. - Il en sera encore ainsi.
M. B. Dumortier. - C'est sur cette liste dressée par l'autorité populaire que se fait l'appel nominal. (Interruption.)
Elles sont copiées, mais on ne peut rien y changer, et un double des listes originales est déposé sur le bureau. Maintenant ce sera l'autorité administrative, ce sera le pouvoir qui fera les listes des électeurs, des électeurs qui doivent le juger, et si le commissaire d'arrondissement, soit volontairement, soit involontairement, omet de vous porter sur la liste, vous, M. Muller, vous ne pourrez plus voter. Et vous appelez cela une mesure libérale ? Confier la formation des listes électorales aux agents du gouvernement, mais c'est une mesure liberticide !
Je me souviens parfaitement de la discussion de 1843 Alors la gauche s'était plainte de l'introduction dans les listes d'électeurs indus ; on demandait simplement pour le commissaire d'arrondissement le droit d'examiner si personne n'était porté indûment sur la liste, et il devait, le cas échéant, soumettre ses observations à la députation permanente.
Eh bien, messieurs, cette proposition donna lieu à une discussion des plus vives, et la gauche, qui veut aujourd'hui faire du commissaire d'arrondissement le grand électeur du district, toute la gauche repoussa avec la dernière vigueur l’intervention du commissaire d'arrondissement en disant qu'il n'était pas convenable qu'un agent du gouvernement portât la main sur les listes électorales ; et aujourd'hui, c'est à ce même agent du gouvernement dont vous repoussiez l'intervention avec tant d'énergie, c'est à lui que vous confiez le soin de faire la liste, et vous ne saurez pas même si votre nom y figure ou s'il n’y figure pas.
Mais, messieurs, pourquoi le Congrès a-t-il voulu que les listes électorales se fissent par commune ? Mais le motif en est bien simple. C'est pour que l'on puisse constater l'identité des votants. L'identité des votants, messieurs, c'est la base de toutes les opérations électorales ; il faut que celui qui vote soit réellement électeur.
Déjà aujourd'hui, messieurs, malgré toutes les précautions prises, il n'y a eu que trop d'abus au point de vue de l'identité des votants. N'a-t-on pas signalé, il y a quelques années, un mort qui est venu voter ? Le mort était pourtant bien mort, mais il s'est trouvé un faux électeur qui est venu voter à sa place.
Ce cas ne s'est présenté pas une fois, il s'est présenté deux fois, à ma souvenance ; deux fois un mort a voté dans un bureau électoral. Qu'est-ce que cela prouve ? C'est que malgré toutes les précautions dont le Congrès a entouré la formation des listes électorales, malgré le contrôle naturel que les électeurs votant par commune exercent les uns sur les autres, des abus se commettent encore. Qu'arrivera-t-il quand vous aurez confondu toutes les villes, tous les villages d'un district dans un ordre alphabétique général ? Ici, je vous le demande, comment constatera-t-on l'identité des votants, cette identité sans laquelle l'élection n'est qu'un mensonge ?
Si un parti ne recule pas devant tous ces moyens, que fera-t-il ? il saura, par exemple, que tel électeur est malade, il enverra quelqu'un pour voter à sa place ; il saura que tel électeur est retenu chez lui pour toute autre cause, il enverra un autre pour voter à sa place. Quand les électeurs d'une même commune votent dans le même bureau électoral, cette fraude n'est pas possible ; les électeurs se connaissent tous, et ils sont là pour dire que tel électeur frauduleux n'est pas celui qui est appelé.
Mais quand ces électeurs seront éparpillés dans les divers bureaux, vous pourrez avoir des votes indus, et vous aurez la fraude électorale organisée en vertu de la loi !
Encore une fois, la base de l'opération, c'est la question d'identité, et avec votre loi, vous allez entourer la constatation d'identité d'une véritable impossibilité, et les électeurs ne se connaissant plus, quiconque se présentera, électeur ou non, sera admis à voter.
En effet, dans une masse d'électeurs, à Bruxelles, par exemple, où le corps électoral comprend 12,000 citoyens, l'identité ne peut être constatée que par les voisins qui se connaissent, par les bourgmestres, par les conseillers communaux, par les électeurs de la même localité ; mais dans la formation d'une liste alphabétique générale les électeurs ne se connaissent pas les uns les autres.
Il n'y a plus moyen de constater l'identité lors de l'appel nominal, tel qu'on veut l'introduire. C'est donc l'ouverture faite à la fraude, c'est l'organisation de la fraude, en vertu de la loi.
Maintenant voyez comment les faits vont se passer. Au premier tour de scrutin, on votera par voie d'un appel nominal g »néral, au second tour sur une autre liste, vous aurez donc deux listes d'appel.
M. E. Vandenpeereboom. - Voulez-vous me permettre un mot ?
M. B. Dumortier. - Je le veux bien.
(page 989) M. E. Vandenpeereboom. - Lisez les propositions de la section centrale ; elle tient compte de l'éloignement des électeurs. C'est pourquoi on a prescrit la seconde liste, dressée d'après les distances.
M. B. Dumortier. - C'est ce que je viens de dire ; c'est de l'ordre alphabétique sans l'ordre alphabétique ; ce n'est plus de l'ordre, c'est un véritable désordre.
Messieurs, j'ai démontré que le projet de loi aurait pour résultat de favoriser les manœuvres scandaleuses, de livrer les électeurs ruraux à des agents électeurs ou non électeurs, de les exposer à leurs violences, à l'escamotage des bulletins ; j'ai démontré que quand vous parlez de sincérité, vous dites la chose qui n'est pas ; car la conséquence de cette prémisse, c'est que la Chambre actuelle ne sera pas le résultat d'élections sincères et loyales.
J'ai démontré que, dans ce système, la constatation de l'identité des électeurs devient impossible, et que, par conséquent, vous ouvrez les portes du collège électoral à des électeurs frauduleux, aux abus les plus scandaleux.
Ce n'est pas tout : lorsqu'un électeur frauduleux aura, en place d'un véritable électeur, déposé un bulletin dans l’urne au premier vote, si, au second vote, le véritable électeur se présente pour exercer son droit, que fera-t-on ?
On lui dir3a: « Vous avez déjà voté ! » Et il sera passible des peines comminées par la loi, à cause qu'un électeur frauduleux sera venu prendre sa place.
Messieurs, jf dis qu'en présence de ces faits, il est déplorable d'entendre l'honorable préopinant dire, en finissant son discours, que les vues de la droite sont empreintes de passion et d'exagération. Non messieurs, il n'en est rien ; ce que veut la droite, c'est un système qui ne consacre pas de semblables abus, de pareilles injustices ; ce qu'elle repousse, c'est votre système, système de parti qui n'a qu'un seul but, celui de vous conserver la majorité qui vous échappe.
En maintenant faut-il s'étonner des nombreuses pétitions qui sont arrivées dans cette enceinte ? Faut-il s'étonner des réclamations qui s'élèvent de toutes parts ? Faut-il s'étonner du mécontentement qu'une pareille loi excite dans les communes ?
En effet, ces électeurs ruraux qui sont dignes de votre sollicitude comment donc les traitez-vous ? Comme une matière corvéable et taillable à volonté, comme des hommes que vous voulez exploiter, après que vous aurez voté votre loi ? N'ont-ils pas mille fois raison de se roidir contre votre système ? Ce qui les soulève contre la loi, c'est le cri de la conscience outragée, de la conscience indignée de bons citoyens.
Messieurs, il y a certainement des abus qui résultent de l'exercice du droit électoral en Belgique.
Ces abus, personne ne peut les nier ; ils sont de plusieurs sortes. Vous avez d'abord les abus qui résultent des hommes. Partout où il y aura des hommes, il y aura des abus. Vous voteriez une loi parfaite en matière d'élections, vous ne parviendriez pas à prévenir les abus, alors que les passions politiques sont soulevées au plus haut degré.
Il y a d’autres abus que la Chambre peut empêcher et auxquels elle devrait pourvoir. Un de ces abus vous a déjà été signalé plusieurs fois : c'est la violation du secret du vote dont je vous parlais tout à l'heure. Puis, c'est l'abus des dépenses électorales. Pour mon compte, je ne puis assez déplorer cette fatalité qui transforme complétement le caractère de cette Chambre, qui fait table rase des institutions démocratiques conquises en 1830, pour y substituer un régime aristocratique, basé sur l'argent.
L'année dernière, au mois de juin, le parlement anglais a fait faire un rapport sur les dépenses électorales ; ces dépenses sont énormes en Angleterre ; eh bien, une chose m'a frappé, c'est que grâce aux révélations qui ont été faites dans certains procès, les frais d'élection, même à Londres, ne sont pas supérieurs aux frais de certaines élections eu Belgique.
M. Orts. - Ce qui prouve que plus le collège est nombreux, moins la corruption agit.
M. B. Dumortier. - Vous allez voir tout le contraire.
Ainsi l'élection de lord John Russell dans la Cité a coûté 80,000 fr. Mais ce chiffre est exceptionnel ; celle de M. de Rothschild 32 mille francs ; de M Crawford, 24 mille francs ; de M. Duncombe, dix mille francs ; de Serjant Perry, 18 mille francs.
Eh bien, messieurs, il en est dans cette Chambre qui pourraient mettre la main sur leur conscience et dire qu'ils ont payé davantage que la plupart de ces chiffres.
Or, si de pareils abus se passent dans les districts qu'on appellerait comtés en Angleterre mis en comparaison avec ce qui se passe à Londres, je demande s'il ne serait pas de la dignité de la Chambre de chercher un moyen de faire cesser ces scandaleux abus.
Si ou ne le fait pas, nous arriverons à un résultat fatal qui écartera de cette Chambre tous les jeunes gens, cette pépinière qui désire arriver aux affaires publiques ; nous arriverons à cet autre résultat déplorable que l'accès du parlement ne sera permis qu'aux personnes fortunées ; nous arriverons à n'avoir plus qu'une assemblée de vieillards, une assemblée qui manquera de cette vigueur, de cette virilité qui convient à l'assemblée législative d'un peuple libre.
Pour moi, je désire que la Chambre représente tontes les classes de la société, que cette jeunesse qui a donné tant de preuves d'indépendance et de patriotisme depuis 25 ans ait accès au parlement. Pour cela il n'y a qu'un moyen, c'est de faire disparaître ces dépenses effrayantes qu'entraînent les élections.
Je me suis beaucoup occupé de cette question ; je n'ai trouvé qu'un moyen. Je sais que si je l'énonce, vous allez jeter les hauts cris ; mais je dirai ma pensée également.
J'ai, dis-je, beaucoup examiné la question, et je n'ai trouvé qu'un seul moyen, c’est l'élection à la commune ; parce qu'elle a pour résultat naturel de faire disparaître les frais électoraux, chaque électeur retournant chez soi après le vote.
Le jour où vous aurez établi le vote à la commune, vous aurez ouvert les portes du parlement à toutes les fortunes, à la jeunesse.
Comment ! le Congrès n'a pas exigé de cens d'éligibilité pour la Chambre des représentants parce qu'il a voulu en ouvrir les portes à tous les citoyens, et il se trouve qu'aujourd'hui vous avez un cens d'éligibilité affreux, dégradant, puisque l'élu doit payer pour héberger les électeurs pour des gueuletons électoraux.
C'est dégradant ! Il faut de toute nécessité y porter remède.
Que chacun indique le sien ; s'il s'en trouve un plus efficace que celui que je propose, j'y donnerai les mains. Mais pour moi le seul moyen est le vote à la commune qui s'applique en Hollande sans réclamation ; je ne le propose pas ; mais j'indique ce remède comme le plus efficace, à mon avis. L'électeur qui ne sera pas soumis à un déplacement retournera chez lui, comme chaque fois que nous avons des élections communales.
Je sais qu'il y a une objection à ce système, c'est la nomination du bourgmestre ; vous avez enlevé la nomination du bourgmestre au peuple ; le bourgmestre est l'agent du gouvernement, il sera nécessairement le président de droit de ces sections ; c'est une grave objection ; mais qu'on me propose un système plus efficace, je me hâterai d'y donner les mains.
- Un membre à gauche. - Et le curé ?
M. B. Dumortier. - Le curé ! le curé vous fait bien peur ; c'est une race bien affreuse, bien hideuse, on ne vous en entend parler que comme d'hommes qu'il faille traquer, comme si ces hommes étaient les plus pervers, les plus pervertis du pays.
Ah ! ce n'est pas ainsi qu'on en parlait en 1830. Je sais qu'en 1831 l'honorable M. Rogier n'était pas du tout fâché d'avoir pour lui les cures.
Je suis convaincu qu'il en a gardé un bon souvenir et qu'au fond de son âme il est satisfait d'avoir été leur ami.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je les aime beaucoup quand ils ne se mêlent pas de politique.
M. B. Dumortier. - M. Rogier n'a pas toujours parlé ainsi ; en 1830…
- Un membre. - On était en révolution !
M. B. Dumortier. - ... On désirait qu'ils s'en mêlassent ; en 1832, lors de la dissolution, on écrivait des lettres aux évêques pour les engager à s'occuper d'élections.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qui adressait ces lettres ?
M. B. Dumortier. - Le ministère d'alors.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si c'est de moi que vous voulez parler, je vous donne un démenti formel.
M. J. Lebeau. - Et moi aussi.
M. B. Dumortier. - C’était très simple ; on n'aimait pas à voir arriver des orangistes dans cette enceinte.
- Un membre. - Il y a des moments !
M. B. Dumortier. - Ces moments ! C'était bien quand ils étaient avec vous, c'est mal quand ils ne le sont plus. Pouvons-nous faire des lois pour admettre l'action des curés dans les élections quand ils sont avec M. Rogier et des lois qui l’interdisent quand ils ne le sont plus ? L'honorable membre ne le voudrait pas !
Je dis que le clergé a le droit d'exercer son influence comme le dernier des citoyens.
En Irlande, lors de ce grand mouvement de réforme qui avait pour but de faire siéger les catholiques dans le parlement, quand les curés se mêlaient au mouvement électoral, l'Europe entière applaudissait !
Aujourd'hui vous criez contre les curés, parce que les curés ne sont pas pour vous.
Laissez donc les curés voter et exercer leur influence. Nous ne demandons pas qu'on empêche les francs-maçons de voter et de faire leurs circulaires ; permettez donc l'influence du curé comme nous permettons celle du franc-maçon. Voilà comment je comprends la liberté, je veux qu'en Belgique on puisse aussi aller à la messe.
Vous voudriez les empêcher d'exercer leurs droits électoraux comme vous leur avez enlevé la liberté de la parole !
Qu'est-ce que le gouvernement constitutionnel ? C'est le régime des influences et votre devoir est d'en accepter les effets. Qu'il puisse y avoir des abus, je l'admets, mais ne tuez pas les principes pour réprimer les abus. Vous êtes en lutte, vous voulez lui faire la guerre, vous lui enlevez la liberté de la parole, vous prétendez étouffer la liberté (page 990) d'instruction sons le poids du trésor, vous lui interdisez de faire un acte de charité comme il l'entend, vous allez jusqu'à violer les tombeaux en voulant inhumer dans un cimetière béni des personnes qui, si elles étaient vivantes, ne voudraient pas y aller. C'est la persécution contre l'Eglise, et le curé ne fait qu'user de son droit en se défendant contre vous.
Tout individu a le droit de se défendre. Vous criez contre les curés, et il n'est pas un avocat parmi vous qui ne plaidât la cause d'un curé s'il venait lui demander de la plaider devant les tribunaux.
Pourquoi donc trouverez-vous si mauvais que les curés exercent leurs droits comme tous les autres ? Cessez cette guerre incessante, cette persécution ; commencez par ne plus rien faire contre eux, et ils ne se mêleront plus d’élections Ce qui les rend actifs dans les élections, ce qui les oblige à jouer un rôle militant dans les élections, c'est ce système de persécution contre l'Eglise ; voilà ce qui rend les curés actifs, ils se défendent, rien de plus Et vous voudriez non seulement les empêcher de parler en chaire, vous voudriez encore les empêcher s’exercer leurs droits électoraux ! C'est le régime de la violence et la preuve de votre faiblesse.
Ce ne sont pas là, messieurs, les grands principes de 1830. Laissons à chacun la liberté, cette liberté que nous avons conquise par le fer et par le sang, et tâchons de conserver une Belgique libre et indépendante afin qu'il y ait encore, en Europe, un pays où règne la véritable liberté»
M. le président. - La parole est à M. Malou.
M. Malou. - N'y a-t-il aucun orateur inscrit en faveur de la proposition ?
M. le président. - Il n'y a plus personne inscrit.
M. Malou. - Je regrette, messieurs, la situation qui nous est faite : jusqu'à présent nous n'avons entendu, en faveur du projet de la section centrale, que les membres mêmes de cette section ; ils ont peut-être cédé à un excès de tendresse paternelle. Je m'attendais, la discussion continuant, à ce que d'autres membres de la majorité viendraient défendre ce projet: mais, puisque personne ne se présente, je vais encore soumettre à la Chambre quelques rapides observations à ce sujet.
Je mets d'abord hors de cause, et je me conforme en cela à une très vieille habitude, les intentions des membres de la section centrale. Je ne les ai jamais attaquées, je ne les attaquerai pas encore ; mais notre droit est de qualifier le fait et les résultats du fait que pose la section centrale.
Dans ma conviction profonde, d'après l'expérience acquise du régime électoral tel qu'il fonctionne aujourd'hui, quelque pures, quelque loyales que soient les intentions de la section centrale, le résultat inévitable de la loi, si, par impossible elle passait dans notre législation, serait que la plus grande partiie des électeurs ruraux viendraient encore une fois, à la première fois qu'on les convoquerait ; mais qu'à la seconde convocation, vous ne les verriez plus.
Je dis qu'ils viendraient la première fois, parce qu'ils ne feraient attention qu'à leur arrivée au chef-lieu d'arrondissement ; s'ils avaient été séparés, si on avait rompu l'unité de la famille administrative, ils n'y viendraient plus désormais parce que toutes les dispositions proposées se combinent de manière à rendre impossible, et je pourrais ajouter quelquefois dangereux l'exercice du droit électoral. La loi, telle qu'elle est rédigée, pourra se traduire ainsi : désormais les élections se feront en Belgique par les électeurs des villes exclusivement ou pour mieux dire par les électeurs des chefs-lieux d'arrondissements.
M. le ministre de l'intérieur nous disait hier qu'il aimait les paysans, mais alors pourquoi donc les mystifier par la loi qu'on nous propose ? Je dis qu'on les mystifie, vous présentez une loi où vous dites que vous voulez que les électeurs ruraux puissent se concerter et, sous prétexte de leur en donner le moyen vous les dispersez. Je dis que jamais plaisanterie législative n'a été d'aussi mauvais goût.
Ainsi, par exemple, dans la commune que j'habite l'été, il y a 13 électeurs qui vont voter à Bruxelles où il y a 20 à 25 bureaux. Eh bien, au lieu que ces électeurs puissent se concerter, se soutenir même au moment du vote, ils vont être disséminés sur tous les points de la capitale, et vous dites que vous voulez leur donner le moyen de s'éclairer mutuellement.
Mou honorable ami M. Dumortier disait tout à l'heure qu'on dispose généralement les bureaux électoraux de manière qu'ils soient le plus rapprochés des communes dont les électeurs viennent pour voter. Comment donc se fait-il que, lors des élections de décembre 1857, les électeurs des communes du canton de Saint-Josse-ten-Noode aient été invités à aller v ter dans une rue écartée du quartier des Marolles. J'habite Bruxelles depuis 29 ans et j'ai été obligé de demander mon chemin pour savoir où était mon bureau d'élection. (Interruption.)
La seule chose dont je me souviens encore, c'est que c'était dans la cinquième ou la sixième rue à droite aboutissant à la rue Haute ; mais quant au nom de la rue, je l'ignore parfaitement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les électeurs de Saint-Josse-ten-Noode votent à l'Athénée.
M. Malou. - Je parle des électeurs des autres communes du canton.
Il est sans exemple dans la législation d'aucun pays qu'on ait pour un acte politique ainsi démembré la commune, la famille administrative. Je demande qu'on me cite une seule loi électorale, une loi politique ou administrative, en Belgique ou ailleurs, où l'on n'ait pas pris pour point de départ de semblables lois la commune, la véritable unité politique et administrative.
Et cela, messieurs, a une raison d'être, une raison intime, politique et administrative, nous ne voulons exciter aucune haine, aucune rivalité, nous demandons simplement l'égalité pour tous dans la mesure du possible. Ne peut-il pas arriver que, dans de petits collèges électoraux, il y ait, dans un moment d'élection, un grand intérêt pour les électeurs d'une commune à n'être pas divisés, à voler ensemble ?
Ainsi, en cas de ballottage, comment les électeurs pourront-ils se concerter ?
Autre fait, d'après la loi que nous venons de voter, Bruxelles aura à élire 11 représentants et 6 sénateurs ; voilà 17 noms, et c'est sérieusement que vous venez nous dire que les électeurs pourront se concerter pour savoir comment ils devront composer leur bulletin, toute une litanie de 17 noms !
Je comprendrais le concert, la discussion, si les collèges étaient fractionnés, mais quand il s'agit de dresser une liste de 17 noms, cela est matériellement impossible ; cela ne se fait point.
L'honorable M. Muller suppose que, dans notre proposition, perce le système du fractionnement des collèges, je lui emprunte ses propres expressions.
Eh bien, messieurs, je vais vous dire toute ma pensée à cet égard : je crois qu'il y a beaucoup à dire au point de vue politique contre le système des grands collèges dépassant certaines limites ; mais je crois aussi qu'il y a beaucoup à dire en Belgique contre le système du fractionnement par 40,000 habitants, car il peut en résulter que nous ayons ce qu'on a appelé dans un autre pays un certain nombre de bourgs pourris, ce dont je ne veux pas.
Mais de ce qu'il y a des inconvénients dans les deux systèmes, s'ensuit-il que, en ce qui concerne la répartition des députés, nous voulions préconiser le système des collèges élisant chacun leur représentant ? Nous ne préjugeons rien à cet égard.
M. Muller. - Cela résultait de votre discours d'hier ; je n'ai pas fait allusion à votre amendement.
M. Malou. - L'honorable M. de Theux a fait remarquer, comme je l’ai fait moi-même que, dans certains pays, fonctionne le système des collèges n'élisant chacun qu'un représentant ; c'est là un fait incontestable ; mais depuis quand donc l'indication d'un fait d'une législation étrangère prouve-t-il qu’on veuille l'introduire en Belgique ?
L'esprit de l'honorable M. Muller cette fois a été trop subtil, Messieurs, les objections pratiques ne viennent pas seulement du gouvernement, d'une difficulté, d'une impossibilité d'exécuter le système en un temps donné. Mais la section centrale a été tellement pressée de faire des réformes, qu'elle n'a pas même fait attention au système de la loi électorale. Chose assez nouvelle, une section centrale, se disant l'organe de la majorité des sections, sans nous dire combien il y avait de membres dans les sections ; car c'est encore une réticence de plus.
M. Moreau, rapporteur. - Il y en avait 40.
M. Malou. - 40 ! C'est la minorité.
La section centrale était tellement pressée, qu'elle ne s'est pas aperçue que tout se liait dans la loi électorale. Ainsi j'ai eu l'honneur d'être rapporteur de la loi de 1843, qui n'a pas été improvisée, mais précédée d'une enquête provoquée par l'opposition de ce temps, et on a alors coordonné entre elles toutes les dispositions de la loi électorale. Ainsi, par exemple, la discussion qui a porté sur les listes a été très longue, très approfondie.
Il s'agissait de savoir quels seraient les éléments qu'on introduirait dans ces listes.
On a discuté s'il fallait ajouter la nature des contributions.
On a discuté comment il fallait classer les électeurs, comment on les désignerait, comment on assurerait non seulement les inscriptions, mais aussi les radiations ; comment on assurerait l'instruction de la procédure, quand les listes donnent lieu à des réclamations ; et après avoir discuté minutieusement tous ces points, on a décidé que les listes ainsi formées seraient le titre de l'électeur, que nul ne serait admis à voter s'il n'était porté sur ces listes, faites de cette façon. Et pourquoi. Messieurs ? Parce qu'une erreur administrative dont personne ne serait responsable, une omission, la fausse désignation d'un prénom ne peut pas enlever le droit électoral. Or, d'après le système de la section centrale, on s'expose à supprimer le droit électoral.
Ainsi il dépendra de l'erreur d'un copiste, dans un bureau, à l'insu de tout le monde, de me rayer des listes électorales ! Mais changez donc toutes les premières dispositions de la loi. Ne laissez pas subsister comme une dérision les garanties que vous donnez aux électeurs dans les cas où ils seraient omis, où ils seraient indûment rayés des listes, dans le cas où ils auraient une instance à introduire. Tout cela devient inutile.
Il suffit que l'expéditionnaire d'un commissaire d'arrondissement commette une erreur pour que les droits de l'électeur soient supprimés.
Messieurs, tout cela est d'une très grande importance dans notre pays. J'espère que la Chambre y fera attention. Nous avons eu des luttes électorales très vives, où la majorité numérique de tout le corps (page 991) électoral a été relativement très faible. Dans le grand mouvement électoral que la dissolution de 1857 a provoqué, que fallait-il, dans certains collèges. Le déplacement d'une voix. Que fallait-il dans l'ensemble du pays pour que la majorité qui est là sur ces bancs n'y fût pas ? Très peu de chose.
Un certain nombre d'erreurs commises par l'expéditionnaire d'un commissaire d'arrondissement, et la majorité est déplacée. C'est la politique du pays, c'est le droit des citoyens, c'est l'avenir de nos institutions qui sont livrés au hasard de l'habileté, de l'exactitude d'un copiste. C'est le contraire de ce que vous avez voulu en 1843. C'est le contraire de ce que le Congrès a établi, de ce que toute législature sage et patriotique maintiendra.
Vous n'avez pas fait attention à un point essentiel. Nous avons modifié, en 1843, la loi électorale, après une étude sérieuse et approfondie, abstraction faite de tout esprit de parti, et vous l'avez prouvé vous-même. Car lorsque vous avez été au pouvoir, vous avez fait table rase de tout ce qui vous déplaisait et vous avez laissé subsister complète la loi électorale que vous aviez combattue. C'est le plus bel hommage que vous pouviez rendre à la majorité politique de I843.
Nous avons modifié profondément la loi électorale de 1831 en ce qui concerne la composition des bureaux.
Et pourquoi, messieurs ? Ce n'est pas assez de garantir les droits des électeurs pour rester sur les listes, pour ne pas en être indûment rayés, il faut avoir la garantie que celui qui se présente est bien réellement l'ayant droit et la garantie que le dépouillement est sincèrement, loyalement fait.
Dans la loi de 831, le bourgmestre, les conseillers communaux, les éléments électifs appartenant à la section électorale elle-même ne figuraient pour ainsi dire qu'incidemment.
Nous avons laborieusement organisé les bureaux et nous les avons organisés de telle sorte que les fraudes électorales par substitution de noms, par substitution de personnes, l'usurpation du droit électoral fussent impossibles. Encore une garantie qui, par votre réforme, disparaît complétement. Vous l'avez reconnu vous-mêmes. S'il n'en était pas ainsi, pourquoi auriez-vous cru nécessaire d'introduire dans la loi une pénalité nouvelle ? pénalité qui est inexécutable, qui est impossible, qui est un non-sens. Car enfin, quand les deux scrutateurs auront inscrit comme votant M. un te1, qui pourra prouver que ce dernier n'a pas voté lui-même ? Qui pourra indiquer la personne qui a voté pour lui ?
Dans l'hypothèse que faisait tout à l'heure l'honorable M. Dumortier, on aura la moitié du délit, lorsqu'il s'agira du nom d'une personne décédée. Mais qui aura usurpé son nom ? Le connaîtrez-vous ? Pourrez-vous le connaître ?
Aujourd’hui, lorsque tous les électeurs d'une commune forment une section électorale, présidée par des bourgmestres et conseillers de ces communes, vous avez la certitude que les électeurs se connaissent. S'il se présente une personne qui n'est pas électeur, chacun a le droit de lui dire : Vous ne voterez pas. Mais à l'avenir vous ne saurez plus rien ; l'incertitude complète est introduite comme élément futur de la politique. J'ose à peine le dire ; mais comme on promet l'immortalité à la majorité actuelle, il paraît qu'elle a besoin de cette incertitude pour l'acquérir.
Messieurs, les moyens que propose la section centrale me paraissent être à côté du but. On l'a déjà dit, cette proposition n'aura d'effet que dans les très grands collèges électoraux, et cependant on dit que c'est contre les influences illégitimes exercées surtout par des membres du clergé que la loi serait dirigée. On veut donner le dernier quart d'heure à l'électeur au moment où il va voter. Mais, messieurs, mon honorable ami M. Dumortier vous le disait tout à l'heure, les influences morales, les influentes de persuasion, et ce sont les seules que nous entendions légitimer (nous blâmons l'abus de quelque part qu'il vienne) ; ces influences ne s'exercent pas au bureau électoral ; les mauvaises influences s'y exercent. C'est contre celles-ci qu'il faut surtout prémunir les électeurs et c'est à elles que vous les livrez plus que jamais.
Messieurs, le véritable vice, selon moi, de notre législation électorale est la violation du secret du vote. Je ne me flatte pas que, par aucune loi, on parvienne à avoir un régime électoral exempt d'abus ; partout où il y a des institutions et des hommes qui les appliquent, il y a des abus. En Angleterre, on a le vote public et on demande le vote secret. Nous avons le vote secret et, par des combinaisons très habiles, on est parvenu à éluder le secret du vote. Mais je demande ce que peut faire l'ordre alphabétique contre les billets marqués ?
Je voudrais qu'on me l'expliquât. Il y a vingt bureaux à Bruxelles, des billets marqués ont été distribués, on a donné le signal à vingt agents répartis dans les vingt bureaux, qu'importe dès lors que tel électeur vote à la porte de Hal ou à la porte de Flandre ? le contrôle des billets marqués s'exercera partout absolument comme il peut s'exercer aujourd'hui. L'ordre alphabétique n'empêchera pas un seul billet marqué, n'empêchera pas une seule fois de violer le secret du vote.
Messieurs, les dépenses électorales, j'ai entendu dire quelquefois que c'était là le petit côté de la question, je suis d'un avis diamétralement opposé.
Je crois que l'exagération toujours croissante des dépenses électorales est un des plus grands maux, un des vices les plus grands du système électoral tel qu'il fonctionne aujourd'hui.
On vous l'a déjà dit, si le développement de ces dépenses continuait, il n'y aurait bientôt plus que les personnes riches qui pourraient se présenter. Dès à présent, dans un grand nombre de collèges, tonte candidature est impossible pour ceux qui ne peuvent pas mettre au service de leur candidature 10,000, 20,000 ou 30,000 fr. Ce n'est point là le petit côté de la question, car cela dénature complétement nos institutions telles que le Congrès les a voulues, telles que nous devons les maintenir.
Messieurs, je n'insiste pas plus longtemps au sujet de la proposition de la section centrale. Et en effet, messieurs, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, ses auteurs seuls l'ont défendue avec beaucoup d'habileté, mais seuls enfin.
M. Orts. - Je demande la parole.
M. Malou. - D'un autre côté la déclaration de M. le ministre de l'intérieur me fait croire que ce n'est pas une mesure d'application actuelle et que cela sera remis d'une manière quelconque à d'autres temps.
J'en viens donc à l'examen de notre proposition. L'honorable ministre de l'intérieur nous disait hier que notre but était de placer à tout jamais l'électeur sous la dépendance, sous la tutelle, sous la domination du curé. Le mot n'est pas très parlementaire. Notre but n'est nullement celui-là. Notre but, nous l'avons défini et nous allons le définir de nouveau.
Notre but est d'exonérer les deux tiers du corps électoral d'une corvée inutile, vexatoire qu'on leur fait subir aujourd'hui. S'il était nécessaire pour avoir des garanties de la sincérité du vote, que cette corvée fût faite nous dirions : Résignons-nous ; mais lorsque nous trouvons qu'elle est inutile nous demandons qu'elle soit supprimée.
Notre but est d'empêcher qu'on ne fasse faire aux électeurs 10 lieues, et parfois plus lorsqu'ils peuvent, avec toutes les garanties que chaque opinion a le droit de réclamer, éviter cette corvée, cette dépense et faire disparaître ce motif d'abstention.
La mesure que nous proposons profiterait non seulement aux électeurs des communes rurales, mais à un grand nombre d'électeurs des villes. Il y a 46 localités qualifiées de villes et qui ne sont pas chefs-lieux d'arrondissements.
Nous n'excitons donc pas des haines de classes, nous ne supposons pas des rivalités, mais nous posons devant la Chambre et devant le pays cette question : Quel est le motif légitime pour lequel on oblige 60,000 électeurs sur 90,000 à faire ces corvées ? Qu'on nous donne une bonne raison, je suis très sensible aux bonnes raisons, je les attends très patiemment, mais jusqu'ici je ne les ai pas vues surgir.
Quand on a demandé le vote à la commune, l'honorable M. Devaux et d'autres membres disaient : C'est remettre l'élection aux mains du curé ; maintenant quand nous demandons une agglomération de communes sous la présidence d'un juge ou d'un juge de paix, avec un bureau composé des bourgmestres de ces communes ou de conseillers communaux, et en donnant en même temps la garantie que les sections ne seront pas réduites à un nombre tel, qu'il y eût absence de garanties pour les deux opinions, que nous dit-on encore et toujours ?
Le curé ! Et pourquoi pas le curé à Bruxelles ? Pourquoi pas le curé dans d'autres localités ? Nous maintenons toutes les garanties qui existent.
Je répète encore une fois ma question : pourquoi forcer les électeurs à faire 10 lieues ou plus inutilement ?
Est-ce un jeu ? dit l'honorable ministre de l'intérieur. Vous ne pouvez réussir. Mais il arrive très souvent dans les pays parlementaires (et l'honorable ministre nous en a donné plus d'un exemple) que l'opposition présente des amendements dont elle ne croit pas l’adoption immediate possible.
Mais dans un pays que nous citons très souvent, c'est l'honneur de plus d’une carrière politique d’avoir lutté pendant un grand nombre d’années pour faire triompher une réforme.
La réforme de 1832 a été précédée de 30 ou 40 ans de lutte et elle a suffi pour assurer la gloire des hommes d'Etat qui l'ont réalisée. Il faut toujours en appeler, comme on l'a dit, à l'opinion qui donne, en définitive, la dernière victoire. Lorsque nous défendons cette proposition, c'est à l'opinion que nous confions le soin de faire faire son chemin à l'idée.
Par d'étranges préoccupations, quand on parle de l'influence illégitime du clergé et quand il s'agit des dépenses électorales, on perd de vue ce qui se passe sous nos yeux et on se lance dans les hypothèses. En effet, messieurs, nous avons en Belgique des élections à tous les degrés, des élections communales et provinciales. Ces élections n’offrent-elles pas à toutes les opinions des garanties complètes ? Ne sont-elles pas contrôlées ?
Ne sommes-nous pas arrivés à cet état de choses qu'il y a bien peu de communes en Belgique où il n'existe qu'une seule opinion ! Fait-on des dépenses électorales pour les élections communales ?
En fait-on pour les élections provinciales ? Très exceptionnellement, très rarement ; cependant ce sont là les deux objections fondamentales que l'on invoque contre notre projet. Contre des hypothèses j'invoque et je cite des faits. Les dépenses électorales, arrêtons-nous-y un moment encore. Depuis quand ont-elles acquis cette grande proportion ? C'est depuis qu'on a étendu le droit électoral, sans en faciliter l'exercice, c'est depuis 1848.
(page 992) Mais en 1848, nous n'avons pas réclamé, parce que nous étions aussi ministériels et plus ministériels que les ministres, par esprit patriotique.
Mais ceux mêmes qui proposaient la réforme comprirent eux-mêmes que c'en était la conséquence, ils disaient : Prenons garde que ceci ne crée un préjugé en faveur d'un vote plus loyal.
Et aussitôt on s'est empressé de déclarer qu'on entendait bien ne plus rien changer. On nous oppose cette déclaration, comme on nous oppose l'œuvre du Congrès de 1831.
Mais, messieurs, nous sommes à mille lieues de l'œuvre du Congrès. L'œuvre du Congrès, c'était une œuvre d'ordre, de conciliation ; l'œuvre du Congrès, en matière de lois d'élection, c'était d'assurer une représentation, aussi égale que possible, aux différentes classes de la population ; nous ne sommes pas à trente années, mais à mille années de l'œuvre du Congrès.
Les dépenses électorales, augmentées dans une proportion si considérable depuis 1848, viennent des dispositions de la loi : c'est que l'électeur rural doit aller à une grande distance pour exercer son droit et se tenir éloigné assez longtemps de sa commune, car il doit rester dans le chef-lieu pour le ballottage, s'il y en a un.
Otez ces deux causes, et l'effet doit disparaître. Je vous le demande, messieurs, si lorsqu'une élection est à faire, les électeurs ruraux peuvent émettre leur vote entre 9 et 10 heures du matin et s’en retourner immédiatement chez eux, y aurait-il une cause ou même seulement un prétexte pour faire des dépenses électorales ?
Vous avez dans le Code pénal une disposition qui commine des peines contre des faits de corruption électorale. Je vous défie de l'aire aujourd'hui l'application de cette disposition, parce que, avec le système électoral actuel, la violation du Code pénal est en quelque sorte un acte de nécessité ; c'est vous qui avez créé cette nécessité, en obligeant les électeurs ruraux à des déplacements lointains, et en les tenant longtemps éloignés de leurs communes. C'est vous qui avez décrété la violation permanente du Code pénal.
Eh bien, nous voulons supprimer les causes de cet abus, et nous croyons que, quand vous étudierez à fond cette question, vous serez d'accord avec nous pour faire disparaître un abus que les élus qui doivent le payer, comme le disait hier l'honorable M. Lelièvre, sont les premiers à déplorer.
M. Lelièvre. - Je n'ai pas parlé de question d'argent. C'est vous qui avez placé la question sur ce terrain. J'ai parlé des motifs d'honneur et de dignité, qui engagent les élus à regretter le système des dépenses. Voilà ce que j'ai dit. Ne dénaturez pas mes paroles.
M. Malou. - L'honorable M. Lelièvre a grand tort de se fâcher ; je n'ai rien voulu lui dire de désobligeant ; au contraire, j'abonde dans son sens
Je disais, messieurs, que nous étions unanimes dans cette Chambre pour déplorer, non pas comme une question d'argent, mais comme un abus de nature à fausse l'esprit de nos institutions, la fatale nécessité créée par la loi de 1848 et par des habitudes invétérées ; mais j'ajoutais, quand l'honorable M. Lelièvre m'a interrompu, que le seul remède efficace, selon moi, était la diminution des distances à parcourir et du temps à rester pour l'exercice du droit électoral.
Messieurs, dans d'autres discussions on nous a dit que les électeurs de la campagne venaient, malgré la distance., et on nous a cité notamment les élections du 10 décembre 185.
Messieurs, il est très vrai qu'en 1857, il est venu en moyenne, des campagnes, 83 électeurs et une fraction sur 100, et 85, des villes ; mais lorsque nous considérons chaque district en particulier, lorsque vous voyez certaines élections qui ont été validées par la Chambre, qui out été contestées et où les voix se sont partagées à peu près d'une manière égale des deux côtés, vous devez reconnaître que l'on aurait eu peut-être un autre résultat, si les électeurs ruraux avaient eu plus de facilité pour voter.
Par exemple, à Namur, à Dinant et à Louvain, c'est-à dire dans trois villes où la lutte a été très chaude, il y a eu une notable différence entre la proportion des votants de la campagne et des votants urbains, différence qui suffit et bien au-delà pour expliquer un changement dans la majorité du collège électoral.
Comme je le disais, lorsque j'ai présenté les développements de notre proposition, certaines élections sont dues ou peuvent être dues à des abstentions qu'amène nécessairement le système électoral actuel, et non pas un vote positif ; on peut avoir une majorité, issue de l'abstention, au lieu d'une majorité issue de l'action positive du corps électoral.
Plus nos luttes seront vives dans l'avenir, plus les inconvénients du système actuel seront flagrants, et plus aussi l'injustice en sera généralement sentie.
Messieurs, on disait hier : « Un électeur de Bruxelles se plaint de la réforme qui lui est contraire, parce qu'il devra aller dans un autre quartier. » On écoute les condoléances de cet électeur ; eh bien, nous demandons que l'on écoute les doléances de 60,000.électeurs qui ont à faire, non pas un kilomètre, mais 8 à 10 lieues, pour exercer leur droit.
Je n'insiste pas davantage sur ces considérations et je répète en terminant : Je crains bien que la majorité n'adopte pas notre proposition ; mais j'espère que dans l'avenir elle aura un meilleur succès.
M. Orts. - Messieurs, l'honorable M. Malou s'est étonné fort que l'œuvre de la section centrale fût exclusivement défendue par les membres de cette section. J'avoue, pour ma part, que je ne trouve pas étrange que ceux qui prennent l'initiative d'une proposition, la défendent seuls devant la Chambre ; s'est-on jamais étonné de voir des ministres défendre seuls des projets de loi qu'ils avaient présentés ?
D'ailleurs, les honorables membres de la section centrale n'avaient pas à défendre leur proposition, mais seulement à l'expliquer devant la Chambre, car l'assentiment de toutes les sections devait lui faire croire qu'il rencontrerait peu d'adversaires, surtout parmi les membres qui siègent sur nos bancs. Cela explique pourquoi les honorables membres de la section ont suffi et parfaitement suffi à la tâche qu'ils ont remplie.
Si donc je prends la parole, ce n'est pas que j'espère convertir au projet de loi ceux que les explications des membres de la section centrale n'auraient pas convaincus ; mais je veux, pour satisfaire un simple intérêt de curiosité, prouver à l'honorable M. Malou que les auteurs de la proposition ne sont pas seuls ici pour la défendre.
Messieurs, je n’entrerai pas dans l'examen des considérations de haute politique qu'ont cru devoir aborder successivement les deux défenseurs de l'amendement, dont la paternité revient à l'honorable M. Malou. Je relèverai seulement un mot dans le discours de l'honorable M. Dumortier, et je rappellerai un souvenir qui répondra aux considérations présentées par l'honorable M. Malou.
L'honorable M. Dumortier voit, dans le projet de loi de la section centrale, un effort désespéré de la majorité que les dernières élections générales ont amenée à la Chambre ; c'est, d'après lui, l'instinct de la conservation qui fait demander à la majorité une modification à la loi électorale, modification sans laquelle elle serait destinée à succomber. L'honorable M. Dumortier, empruntant à l'histoire parlementaire de l'honorable M. Malou, une phrase prononcée en 1846, ajoutait ; « Le flot populaire vous a amenés, le flot populaire se retire de vous. »
L'honorable M. Malou adressait ces mêmes paroles en 1846 à la gauche alors minorité ; et l'honorable M. Castiau s'est levé immédiatement pour répondre à l'honorable M. Malou : « Vous parlez du flot populaire, vous dites qu'il se retire du libéralisme, vous vous trompez !... le flot populaire monte et monte toujours ; le flot populaire vous aura bientôt balayés, vous, votre ministère, votre majorité et vos iniquités réactionnaires. »
Deux ans après où était le flot populaire ? Qui donc le flot populaire a-t-il balayé ?
Ces sortes de prédictions portent malheur aux hommes de la droite.
L'honorable M. Malou, lorsque nous lui reprochons l'oubli des principes déposés par le Congrès national en 1831 dans la première loi électorale, pour s'excuser s'écrie : Nous sommes loin, à mille lieues des principes qui guidaient le législateur de 1831 ! Le législateur de 1831, le Congres, s'inspirait d'idées de modération, d'idées conciliatrices et de pondération d'influences, quand il a créé le système électoral belge ; nous sommes aujourd'hui à mille lieues de ce qu'a fait le Congrès en matière d'élections. Nous vivons au milieu des luttes et des partis divisés.
Mais qui donc nous a conduits si loin de la pensée qui animait le Coures ; qui donc a le premier porté la main sur l'œuvre du Congrès, quelle est l'opinion qui a modifié, bouleversé la première et dès 1843 notre régime électoral ; à quelle opinion appartenait le rapporteur de la section centrale proposant à la Chambre ces premières modifications ?
C'était l'honorable M. Malou ! Si nous sommes aujourd'hui en matière électorale à mille lieues du Congrès national, j'ai nommé le pilote qui dirigeait la barque sur laquelle nous avons dérivé.
J'arrive au projet en discussion.
Quelle a été la pensée de la modification proposée par la section centrale ? Cette pensée a été celle-ci : rendre l'élection plus pure en donnant à l'électeur le moyen d'exercer son droit avec plus d'indépendance qu'il n'en a aujourd'hui.
Pensée d'indépendance, de liberté, pensée éminemment morale, on ne peut le contester. Mais on objecte que le but est manqué, que le moyen ne permet pas de l'atteindre ; qu'en substituant le vote par ordre alphabétique à l'ordre suivi actuellement, au lieu d'assurer l’indépendance de l'électeur, vous le placez sous le régime d'influences mauvaises auxquelles il pourra plus difficilement échapper. Voyons quel serait le meilleur moyen d'assurer l'indépendance complète de l'électeur ? Chacun a proposé le sien ; permettez-moi d'indiquer aussi le mien.
A mon avis, ce n'est ni le vote au chef-lieu d'arrondissement, ni le vote au chef-lieu de canton, ni le vote à la commune qui donnerait à l’électeur une complète indépendance pour l'émission de son vote ; un seul système pourrait assurer cela d'une façon absolue c'est le vote dans la chambre à coucher. Si l'électeur pouvait émettre son vote au coin de son feu, ce serait le beau idéal ; l’électeur serait seul, personne ne pourrait exercer d'influence sur lui, ni contrôler son vote. !
- Un membre. - Et sa femme !
M. Orts. - Il se mettrait sous clef ; je n'excepte personne ; l'électeur alors voterait en secret, libre de toute influence, nui ne saurait comment ; ce serait le système le plus parfait qui se puisse imaginer.
Mon système, j'en conviens, n'est pas pratique ; j'en fais, à ce point de vue, bon marché et je ne le proposerai jamais ; mais si, pour assurer l'indépendance à l'électeur, on ne peut arriver à le faire voter (page 993) isolément, à le cacher de manière qu'on ne le voie pas du tout, que s'est dit le législateur ? Il a cherché d'autres moyens. Il s'est dit : L'électeur sera d'autant moins connu que la masse des votants sera plus grande ; en perdant l'individu dans la masse, il sera plus difficile de le trouver pour exercer de l'influence sur lui, de rechercher son vote pour le contrôler d'une manière immorale ; pour s'assurer s'il a obéi à la pression.
Voilà le motif du vote par grands collèges, par collèges nombreux, par conséquent le vote au chef-lieu de I arrondissement. Cependant, comme dans le vote au chef-lieu d’arrondissement, on procède parfois par catégorie, on vote par commune, s’il s'agit d’électeurs ruraux, au lieu de laisser tous les électeurs confondus dans le grand nombre comme cela se fait dans les villes, nous disons : Faisons pour les communes rurales ce qui se fait dans les grands collèges ; substituons l'ordre alphabétique à cet ordre hybride, qui permet de suivre l'électeur, alors que le législateur veut qu'il soit perdu, pour être plus libre. Voilà tout le secret du projet de la section centrale. On a voulu confondre l'électeur rural dans la masse comme l'électeur urbain est confondu, et restituer la même indépendance à tous les électeurs.
Vous avez parlé de corruption électorale ? Qui ne sait qu'elle agît plus efficacement et avec des dépenses moindres et avec plus de facilité dans les petits collèges que dans les grands ? Plus les collèges sont petits plus il y a de corruption ; il est plus facile et moins cher d'acheter 25 électeurs que 2,500. La corruption du petit nombre de corrompus est à la portée d'un plus grand nombre de corrupteurs.
Il en est de mente de l'intrigue. Que disait M. de Theux pour justifier le vote au chef-lieu ? Qu'il le proposait parce que là l'électeur est soustrait aux influences locales. Là est le motif important, grave, qui pour beaucoup sans doute détermina le choix que le législateur a fait de la circonscription électorale adoptée en 1831.
Le législateur a pensé que les petites circonscriptions, que les petits collèges donnaient plus de facilité aux intrigues de toute espèce ; fait reconnu par tous les législateurs qui se sont occupés de l'organisation de systèmes d'élection.
Permettez-moi de vous citer deux mots empruntés à une autorité qui ne peut vous être suspecte, à un publiciste d'un haut mérite ; voici ce qu'il disait des petits collèges comme ceux que veut organiser M. Malou par son amendement :
« L'intrigue et la corruption électorales tiennent moins au nombre des électeurs qu'au nombre des assemblées. Plus il y aura d'assemblées, plus il y aura d'intrigues et de cabales. »
M. Malou. - Je propose le même nombre d'assemblées, c'est la même chose.
M. Orts. - Pas du tout ; quand les électeurs votent dans une même localité quoique divisés en bureau, la masse des électeurs se trouve réunie, le mouvement concentré dans un seul lieu, toute la masse des électeurs se sent, se touche tout entière.
Qu'allez-vous faire par votre amendement ? Vous découpez cette masse d'électeurs en petits morceaux et vous les éparpillez ensuite en bureaux de deux cents votants au maximum qui agissent à dix kilomètres les uns des autres pour arriver à la manifestation d'une pensée commune.
Le reproche tombe donc en plein sur votre système.
Et maintenant voulez-vous savoir l'homme qui a écrit les paroles que je viens de me permettre de citer ? Ce n'est pas quelque abominable libéral écrivant pour les besoins de la cause. C'est M. de Bonnald, écrivain catholique, à la bonne foi, au talent et à la perspicacité duquel tout le monde rendra hommage sur tous les bancs de cette Chambre. Ainsi donc gardons les grands collèges parce que la corruption y est moins facile et qu'ils présentent des garanties d'indépendance et de secret du vote qu'on ne trouve pas dans les petits.
L'honorable M. Malou nous disait : Donnez-moi donc une raison qui exige le maintien de ces corvées, de ces déplacements que je considère comme inutiles. Je l'attends en vain. Messieurs, je viens de rappeler le motif donné en 1831 par l'honorable M. de Theux, la nécessité de soustraire l'électeur aux influences de localité ; l'honorable M. Malou avait donc depuis 1831 la réponse qu'il sollicite, elle lui a été donnée de la part de quelqu'un en qui il a, je pense, une foi complète.
On a parlé des dépenses électorales, trop parlé même. Je crois qu'ayant besoin de trouver là un argument, on a singulièrement exagéré ces dépenses, je veux le croire pour l'honneur de mon pays.
Pour ma part, j'ai l'honneur n'appartenir à une localité où ce moyen de succès n'est pas connu. La preuve, c'est que si j'avais dû dépenser cent vingt-cinq mille francs comme John Russell, dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Dumortier, pour représenter la capitale dans cette enceinte, chaque fois que j'ai été appelé à cet honneur, depuis longtemps ce plaisir m'eût été interdit, si tant est que je l'eusse jamais pu goûter.
Mais les dépenses électorales où se font-elles ? Dans les petites localités beaucoup, très peu dans les grandes ; j'en trouve une preuve même à l'étranger, dans ce que nous disait tout à l’heure l'honorable M. Dumortier de l'Angleterre ; il en coûte moins pour se faire élire à Londres, paraît-il, que dans un modeste arrondissement belge. D'où je conclus que la corruption se développe en raison inverse du nombre d'individus sur lesquels elle doit s'exercer.
Dans mon système, ajoute l'honorable M. Malou, ces dépenses électorales disparaîtront presque complétement, si pas tout à fait, puisque les électeurs ne seront pas tenus à des déplacements considérables.
Au surplus, messieurs, soyez-en bien convaincus, les hommes qui ont assez peu le sentiment de leur dignité pour vendre leur suffrage contre une bouteille de vin et un dîner continueront à y mettre le même prix à l'avenir.
En voulez-vous une preuve ? Dans les localités où s'exerce ce genre de corruption, on y a recours pour les élections provinciales ou communales ; mieux encore, pour obtenir un simple grade de caporal dans la garde civique. Encore une fois, ceux qui sont accessibles à la corruption trouveront toujours le moyen, le prétexte de vendre leur vote au plus offrant même lorsque le prétexte de la distance aura disparu. Ce qu'il faut, messieurs, pour faire disparaître ce honteux abus, c'en reconstituer l'esprit moral du pays ; il faut faire rougir de honte et de remords, corrupteurs et corrompus.
Et, messieurs, si l'on voulait sérieusement arriver par un moyen législatif à supprimer complétement les dépenses électorales dont on se plaint à si juste titre, voici ce que je proposerais : tout représentant nouvellement élu sera tenu, le jour de son entrée dans cette enceinte, d'affirmer sous serment, en face de ses collègues, qu'il n'a pas dépensé un centime en frais de cette espèce pour obtenir son mandat. (Interruption.) Eh bien, je désire, moi, que ceux qui ne pourraient pas faire un tel serment fussent repoussés de cette enceinte,
- Un membre. - Et s'ils y sont contraints ?
M. Orts. - Je n'admets pas une semblable contrainte ; ceux qui payent le veulent bien. Cela est tellement vrai qu'on a parfois poursuivi un candidat en payement de dépenses de cette espèce après qu'il avait réussi, et qu'il n'a pas été possible de l'y contraindre judiciairement. Ceux qui m'interrompent doivent le savoir.
Maintenant, je dois deux mots de réponse aux reproches que l'honorable M. Malou a adressés au système de la section centrale. Je parle des reproches sérieux ; des autres je ne dirai rien.
Ces reproches séreux se réduisent, selon moi, à deux ; je ne compte pas les critiques de détail ; je répondrai, toutefois, un mot aussi à celle de ces critiques qui s'applique à la formation des listes électorales.
Les reproches sérieux les voici : Le concert entre les électeurs d'une même localité deviendra difficile et ce concert est cependant très désirable. Si vous prenez les 20 électeurs de la commune que l'honorable M. Malou habite l'été et si au lieu de les laisser voter ensemble dans ce local que l'on a en tant de peine à trouver aux élections dernières (c'est M. Malou qui parle), vous les divisez, ils ne pourront plus se concerter et le but du législateur ne sera plus atteint
Mais l'honorable membre oublie une chose fort essentielle ou plutôt il cède avec ses amis à une étrange préoccupation, il suppose toujours et comme eux qu'il y a antagonisme entre l'électeur de la ville et l'électeur de la campagne, ou semble croire que lorsqu'ils sont réunis ils doivent nécessairement s'entre-dévorer.
Si l'on n'était pas constamment sous l'empire de cette hallucination qui fait voir dans chaque élection une guerre des paysans, on se souviendrait que le concert qu'a voulu le législateur en matière d'élections, ç'a été le concert établi, non pas entre les électeurs de chaque commune prise isolément, mais entre les électeurs de l'arrondissement entier ; la preuve en est encore une fois dans l'excellente raison, donnée par l'honorable M. de Theux en 1831 ; pour justifier le vote au chef-lieu, pourquoi a-t-on voulu que les élections eussent lieu au chef-lieu de l'arrondissement ?
Pour que le concert pût s'établir là entre des électeurs, disait M. de Theux ; on a pensé qu'en les réunissant tous au chef-lieu d'arrondissement, ils pourraient plus aisément se soustraire aux influences de localité ; on a pensé que, mêlés à la foule des électeurs de tout l'arrondissement, ils pourraient se concerter plus utilement.
Donc, avec les autres électeurs de l'arrondissement et non pas entre eux, électeurs de la même commune, comme semble le croire l'honorable M. Malou. Si on l'avait entendu autrement, on les fût fait voter à la commune.
Remarquons maintenant que, pour faciliter ce concert, vœu du législateur ; concert qui doit être un concert général entre tous les électeurs, l'honorable M. Malou propose un bien singulier moyen. Pour assurer ce concert mieux qu'il ne l'est aujourd'hui, il propose de faire une foule de petites circonscriptions d'électeurs votant chacun dans un rayon de 10 kilomètres ; de sorte que l'honorable M. Malou arriverait précisément à rendre impossible ce concert entre tous les électeurs de l'arrondissement qu'a voulu le législateur de 1831 ; il fait plus, il enlève aux électeurs une garantie et un droit précieux qu'ils possèdent aujourd'hui puisqu'ils ne pourront plus surveiller dans les bureaux dont ils ne feront point partie les opérations électorales qui s'y feront.
Donc, ni concert entre les électeurs, ni surveillance sur les opérations électorales.
L'honorable M. Malou a parlé de mauvaise plaisanterie législative : je crois pouvoir lui renvoyer le mot.
L'identité de l'électeur pourra être difficilement constatée. C'est un second reproche que l'on fait à la proposition de la section centrale. Je reconnais que l'identité de l'électeur est une des garanties les plus sérieuses de notre système électoral ; c'est la base de toute bonne élection.
(page 994) Mais je demanderai à l'honorable M. Dumortier si les précautions de la loi actuelle rendent l'abus impossible ; il est convenu lui-même que, malgré toutes les précautions qui sont prises et malgré le mode de cotation par communes dans un même bureau, on n'est pas arrivé encore à avoir une garantie complète et il a dit à l'appui de cette opinion qu'on a vu déjà le cas d'un individu venant voter pour un mort.
M. B. Dumortier. - C'est un cas très rare.
M. Orts. - Ce cas est resté très rare parce que le Code pénal contient certaines dispositions à cet égard.
M. B. Dumortier. - C'est plutôt parce que les électeurs peuvent surveiller les opérations électorales et signaler les fraudes. -
M. Orts. - Je ne conteste pas l'exactitude de ce fait ; mais je suis en position d'affirmer que depuis plusieurs années que je suis appelé à siéger à Bruxelles au bureau principal, je n'ai jamais constaté qu'un étranger fût venu voter à la place de l'électeur appelé. J'ai quelquefois constaté que des électeurs se trompaient de bureau et se faisaient renseigner à cet égard ; mais je n'ai jamais vu qu'un électeur fût venu voter au lieu d'un autre.
Du reste, je n'ai entendu invoquer le fait à l'appui d'une demande d'annulation d'élection devant la Chambre qu'une seule fois. Je crois que c'est à propos de l'élection qui nous avait privés dans cette Chambre de la présence de l'honorable M. Rogier.
Mais l’identité des électeurs peut être assurée par d'autres garanties que celle de la présence de quelques habitants de la commune dans le bureau, Ces garanties, le système de la section centrale vous les donne. Ces garanties sont sérieuses. Lorsque nous serons au vote des articles, en voulez-vous de meilleures ? Proposez-les ; il sera fait droit à vos réclamations. Autant nous défendons fermement le principe, autant nous serons conciliants dans l'application.
L'identité des électeurs s'assure par de bonnes pénalités qui répriment la fraude, et en dehors de cette répression, je ne crois pas que vous puissiez avoir de certitude.
J'arrive eu deux mots à la critique de détail qu'on a adressée à la formation des listes. Car pour moi, c'est un détail ; ce n’est pas le vote par lettre alphabétique qui fait ici l'affaire.
Dans le système de la section centrale, dit-on, c'est le commissaire d'arrondissement qui mène les élections ; c'est le commissaire d'arrondissement qui est le grand électeur, et comme le commissaire d'arrondissement est fonctionnaire de l'Etat, est le représentant du ministre de l'intérieur, le ministre de l'intérieur fera les élections.
Messieurs, si l’on avait lu le projet, on aurait vu que le commissaire d'arrondissement n'est nullement chargé de conférer le droit électoral, qu'il est uniquement chargé de faire la table alphabétique des électeurs, ce qui ne confère de droit à personne ; on aurait vu que d'autre part cette opération est contrôlée par l'élément électif, par la députation permanente.
Vous voyez donc qu'en résumé le projet de la section centrale, qui soulève tant de réclamations et de craintes, auquel ou croit devoir opposer des systèmes contraires qu'on met an rôle, mais que, j'espère, la Chambre fera disparaître du rôle en qualité d'affaire jugée à toute fin, ne mérite ni les appréhensions, ni les colères qu'il suscite. C'est une affaire de ménage qui n'enlève de droits à personne, qui n'a qu'une seule utilité, et non une utilité de parti, celle d'augmenter l’indépendance de l'électeur, quelque soit son parti.
M. le président. - La parole est à M. Lelièvre, pour un fait personnel.
M. Lelièvre. - Depuis quelque temps je m'apercevais que M. Malou prenait à tâche de dénaturer mes paroles pour avoir occasion de les livrer au ridicule. C'est ce qu'il se permit encore dans la séance d'hier. Blâmant les dépenses électorales, j'ai dit que les élus eux-mêmes les déploraient, dans l'intérêt de leur honneur et de leur dignité.
Eh bien, alors que je m'étais exprimé en ce sens, en termes clairs et précis, M. Malou n'a pas craint d'affirmer que j'avais voulu faire allusion à une question d'argent. M. Malou, préoccupé de semblables questions, mesure les autres à son aune.
Eh bien, je lui dirai que, quant à moi, ce sont les questions d'honneur et de dignité qui sont l'objet de mes préoccupations. (Interruption.) Ne m'appelez pas sur un autre terrain.
Je devrais vous dire des choses peu agréables et évoquer des souvenirs qui ne vous plairaient pas.
Je dois donc protester seulement contre les paroles qu'on m'a attribuées. J'ai dit que les élus eux-mêmes regrettaient le système des dépenses que j'ai critiqué parce qu'il blessait leur honneur, parce qu'il était contraire à leur dignité. Ne donnez pas à mes allégations une autre portée, car je devrais vous répondre par une qualification dont je ne peux me servir parlementairement.
M. Malou. - M. le président, je dois déclarer qu'en citant les expressions de l'honorable M. Lelièvre, je n'avais aucune mauvaise intention à son égard. J'énonçais cette idée qu'il était déplorable, au point de vue de la dignité de tout le monde, au point de vue du maintien sincère de notre régime représentatif, que plusieurs d'entre nous, que beaucoup d'entre nous fussent obligés à ces dépenses.
Si j'avais dit quelque chose qui pût déplaire à l'honorable M. Lelièvre, je le retirerais très volontiers. Je n'ai pas eu l'intention de lui faire la moindre peine.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi allouant au département de la justice un crédit supplémentaire d'un million de francs destiné à la continuation du travail dans les prisons.
Une même somme d'un million sera portée au budget des voies et moyens.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi.
La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.
- La séance est levée à cinq heures.