Séance du 24 mars 1859
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 759) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. de Boe procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Boe présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Joncke, ancien militaire, demande un emploi. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Sobry, pharmacien à Ostende, présente des observations sur le projet de loi relatif à l'art de guérir. »
M. Lelièvre. - Je demande le renvoi de la pétition à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à la police médicale. Cette réclamation et celle des médecins de Liège me paraissent renfermer des observations très utiles que je recommande à l'attention particulière de la section.
- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.
« Des docteurs en médecine à Liège présentent des observations sur le projet de loi concernant la police et la discipline médicales.»
M. Muller. - Je demande le même renvoi.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Rigouts adresse à la Chambre 12 exemplaires d'un ouvrage intitulé : Considérations sur la législation pharmaceutique belge, dont il demande la distribution aux membres de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la police et la discipline médicales.
- Distribution aux membres de la section centrale et dépôt à la bibliothèque.
Par dépêche du 23 mars, M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Heinz.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de présenter un projet de loi tendant à allouer au département de l'intérieur un crédit extraordinaire d'un million de francs, pour aider les communes à subvenir aux frais de construction et d'ameublement de maisons d'école.
- Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du budget de la guerre.
M. Coomans. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Nous regrettons certainement tous que l'indisposition de l'honorable ministre de la guerre nous prive du plaisir que nous aurions à l'entendre et à recevoir les explications qu'il a à nous soumettre sur sou budget. J'insiste sur la proposition que j'ai eu l'honneur de faire hier à la Chambre.
Le budget que nous avons à voter est celui de 1860 ; rien ne presse donc. Outre le désir que nous avons d'entendre l'honorable ministre lui-même, c'est, me semble-t-il, un acte de déférence de notre part d'attendre qu'il soit rétabli, pour examiner et voter son budget.
Du reste, il n'entre pas dans ma pensée de vouloir ajourner indéfiniment le budget. Mais j'espère que d'ici à deux ou trois jours l'honorable ministre sera entièrement rétabli, car je suis heureux d'apprendre que son indisposition ne menace pas de se prolonger.
Je pense qu'il est convenable, tant pour la Chambre que pour l'honorable ministre lui-même, que nous attendions qu'il puisse se rendre parmi nous. Si son indisposition durait, par exemple, plus de huit jours, je n'insisterais pas sur cet ajournement. Le désir que j'exprime ici est partagé, je le sais, par beaucoup de mes collègues, qui souhaitent, comme moi, que la discussion du budget de la guerre soit sérieuse, approfondie et digne.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'indisposition de M. le ministre de la guerre dure encore. Je viens de me rendre auprès de lui ; il est incapable de venir à la Chambre.
Je ne puis dire quand M. le ministre de la guerre sera en mesure de s'y présenter. La Chambre a devant elle des ministres responsables tant en ce qui concerne leur département qu'en ce qui concerne le département de la guerre. Toutefois, en l'absence de M. le ministre de la guerre, le gouvernement, considérant comme une chose indispensable d'avoir le plus tôt possible le vote du budget, il se présentera devant vous un ministre chargé par intérim du département de la guerre, afin que la Chambre puisse voter le budget en présence d'un ministre spécialement responsable de ce budget.
J'ajouterai une observation que déjà j'ai présentée dans la séance d’hier. Je ne sais pas si la Chambre se prépare à entamer une grande discussion à propos du budget de la guerre ; il résulte du rapport de la section centrale que très peu d'observations ont été faites par les sections. Il est de ces observations auxquelles je suis à même de répondre.
Si de la discussion générale ou de la discussion des articles il surgissait quelque question difficile à laquelle je ne fusse pas en mesure de répondre, je prendrais des renseignements et je demanderais à répondre dans la séance du lendemain.
Je déclare sincèrement à la Chambre que je ne suis pas préparé à la discussion des articles ; je n'ai pas eu le temps de prendre auprès de mon collègue les renseignements nécessaires.
Mais je pense que la Chambre pourrait aborder dès maintenant la discussion générale, et s'il se présente des questions importantes qui ne puissent pas recevoir une solution séance tenante, nous remettrions la suite de la discussion au lendemain.
Si la Chambre voulait remettre la discussion jusqu'à ce que M. le ministre de la guerre pût être présent, ce ne serait pas à demain qu'il faudrait l'ajourner, car demain pas plus qu'aujourd'hui M. le ministre de la guerre ne sera en état de se présenter devant la Chambre.
M. J. Lebeau. - Il y aura t un moyen bien simple, messieurs, de faire cesser les scrupules de l'honorable M Coomans ; il suffirait d'm arrêté royal conférant l’intérim à un membre du cabinet. (Interruption.) Rien de plus simple, de plus légal. Eh bien, cela étant, votre proposition aurait pour tout résultat un ajournement à demain. Or, des ajournements d'un autre genre, multipliés si fréquemment, ne pourraient que diminuer la considération de la Chambre dans l'opinion publique. Je ne puis pas supposer que c'est cela qu'on veut.
M. H. Dumortier. - Messieurs, j'ai exprimé hier le désir de voir M. le ministre de la guerre assister à la discussion de son budget ; j'exprime de nouveau ce désir aujourd'hui, et j'appuie les considérations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Coomans.
J'exprime ce désir parce que je veux que la discussion du budget de la guerre soit aussi complète que possible. Voilà le troisième budget de 35 à 40 millions que nous discuterions en l'absence du ministre responsable.
Je ne suis pas adversaire du budget de la guerre, bien au contraire, je voterai toujours les mesures favorables à l’armée et dûment justifiées. Mais je crois que nous pouvons demander des explications complètes et une discussion sérieuse. Or, quant aux explications complètes, l'honorable ministre de l'intérieur vient de nous déclarer lui-même qu’il ne saurait pas nous les donner.
Je suis, du reste, charmé d'apprendre que M. le ministre est disposé à répondre d'une manière telle quelle à nos observations ; hier il disait qu'il ne lui plaisait pas de répondre aux observations que je faisais ; c'est toujours un progrès que je constate avec plaisir.
Je ne pense pas, messieurs, que ce soit rapetisser la Chambre de demander une discussion plus complète que celle que nous pourrions avoir en l'absence de M. le ministre de la guerre et je ne puis nullement me ranger de l'avis de l'honorable M. Lebeau, quelle que soit la déférence que j'ai pour son expérience ; et en insistant de la sorte pour ouvrir en ce moment la discussion du budget de la guerre, c'est le ministère lui-même qui se rapetisse.
J'appuie donc les observations de l'honorable M. Coomans.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La Chambre statuera sur la proposition.
Si M. le ministre de la guerre ne peut pas se présenter devant la Chambre, il sera remplacé intérimairement, et je pense que la Chambre ne se refusera à discuter le budget de la guerre devant un ministre intérimaire. C'est sous ce rapport que je désire qu'on ne fixe pas de jour pour la discussion, car si ce ministre intérimaire était nommé aujourd'hui, il demanderait demain la discussion du budget de la guerre.
J'ai maintenant un mot à dire à l'honorable député de Courtrai.
L'honorable membre a bien voulu me féliciter de l'amélioration qui s'est introduite dans mon langage, en ce qui le concerne. Je n'ai rien changé à mon langage d'hier ; mon langage, aussi bien que mon opinion, je ne les désavoue ni ne les renie.
Si je me suis expliqué hier avec une certaine vivacité en m'adressant à l'honorable membre, c'est que lui-même avait pris, et ce n'est pas la première fois, un ton que je trouvais par trop cavalier ; mes honorables collègues ont pu remarquer le langage passablement hautain de l'honorable rapporteur, s'adressant au ministre de l'intérieur, c'est ce langage qui a dicté le mien, et ce langage, je le maintiens.
‘page 760) M. H. Dumortier. - Messieurs, je dois un mot de réponse à l'observation assez acerbe que vient de me faire M. le ministre de l'intérieur ; il prétend que s'il a été vif dans le langage qu'il a tenu hier à mon égard, c'est que j'avais pris l'initiative d'un ton hautain envers lui. Je ne puis pas accepter ce reproche de M. le ministre de l'intérieur. De tous les membres du cabinet, il n'en est pas un seul qui pousse la vivacité de ses sorties aussi loin que lui.
Je n'ai pas au reste de leçons à recevoir de l'honorable ministre. Hier, lorsque je lui ai demandé d'un ton très convenable, s'il lui plaisait d'indiquer l'époque à laquelle pourrait avoir lieu la discussion sur la question de la langue flamande, je suis persuadé que personne, si ce n'est M. le ministre de l'intérieur, n'a vu rien de hautain dans mon langage.
Du reste, je le répète, je n'ai pas de conseils à recevoir de M. le ministre de l'intérieur, de lui moins que de tout autre, en fait de paroles virulentes...
M. H. de Brouckere. - Messieurs, deux choses sont incontestables ; la première, c'est que la discussion du budget de la guerre n'est pas urgente ; la seconde, c’est qu'il est désirable que M. le ministre de la guerre assiste à la discussion. En présence de ces deux vérités, nous ne pouvons pas aborder aujourd'hui le budget de la guerre.
Cependant, puisque M. le ministre de l'intérieur vient de dire qu'il est possible que d'ici à demain un ministre intérimaire soit nommé, je demande tout simplement que la Chambre décide qu'elle n'entamera pas aujourd'hui la discussion du budget de la guerre et que ce budget reste à l'ordre du jour de demain.
- La Chambre consultée décide que le budget de la guerre figurera à l'ordre du jour de demain.
M. de Paul, rapporteur. - Par requête en date du 25 février 1859, le sieur Henri Verbrugghe, ouvrier tisserand, à Moorseele, demande une indemnité de deux mille francs, en faveur de son fils mineur, Charles-Louis, qui a été victime d'une arrestation arbitraire et d'une incorporation illégale dans l'armée belge.
Voici, messieurs, le résumé des faits que l'impétrant invoque à l'appui de sa réclamation :
Le 27 mai 1858, Charles-Louis Verbrugghe fut arrêté et incarcéré, à Menin, comme milicien réfractaire. Après quatre ou cinq jours d'emprisonnement, il fut successivement conduit, par la gendarmerie, à Courtrai, à Bruxelles et à Bruges, où il fut incorporé, malgré toutes ses protestations, dans le 1er régiment de ligne. Après avoir été, dans le mois d'août, condamné à huit jours de prison, pour désertion et vente d'effets militaires, il déserta de nouveau et fut, le 1er octobre 1858, rayé des contrôles, ayant été incorporé abusivement. Cette radiation ne lui fut connue que le 15 décembre suivant.
Verbrugghe fils, n'étant né que le 18 novembre 1839, ne pouvait appartenir qu'à la classe de 1859, il n'avait donc aucune obligation de milice à remplir en 1858, c'est donc par erreur qu'on l'a considéré comme milicien réfractaire. Cette erreur, peu justifiable du reste, provient de ce qu'on l'a confondu avec un premier fils d'Henri Verbrugghe, fils né et mort en janvier 1838, et portant également les prénoms de Charles-Louis. Quoi qu'il en soit, il existe dans l'espèce une arrestation illégale, excusable peut-être au point de vue de la loi pénale, mais pouvant engager la responsabilité du fonctionnaire qui l'a commise ou ordonnée. En conséquence, et vu la gravité des faits dont s'agit, votre commission, à l'unanimité, a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice avec demande d'explications.
M. Tack. - Messieurs, la pétition sur laquelle on vient de présenter un rapport, signale des faits d'une haute gravité. Je crois devoir revenir un instant sur l'exposé que vous en a fait M. de Paul. Les circonstances de cette affaire sont à ma connaissance personnelle, et c'est pourquoi je pense de mon devoir de communiquer quelques détails à la Chambre. Voici de quoi il s'agit :
Le 14 janvier 1838 est né dans la commune de Ledeghem, arrondissement de Roulers, le nommé Charles-Louis Verbrugghe, fils d'Henri Verbrugghe, actuellement domicilié dans la commune de Moorseele, arrondissement de Courtrai ; l'enfant est mort 13 jours après sa naissance c'est à-dire le 27 janvier 1838. L'année suivante, au mois de novembre 1839, est né dans la même commune et des mêmes parents un autre fils qui a reçu également les prénoms de Charles-Louis.
Le premier des enfants de Verbrugghe, s'il avait été en vie, faisait partie de la levée de 1858, devait prendre part au tirage au sort de cette année, le deuxième devait faire partie de la levée de 1859, et par conséquent n'était tenu d'aucune obligation à l'égard de l'Etat dans le courant de l'année 1858.
Cependant le 27 mai 1857, Charls Verbrugghe a été arrêté illégalement au moment où il se trouvait attablé avec ses camarades, par la gendarmerie de Menin et, malgré ses protestations, conduit à la prison de cette ville, où il est resté incarcéré pendant trois jours, de là, transféré à la prison cellulaire de Courtrai où il a passé un jour, dirigé ensuite sur Bruxelles, où il est resté une nuit, et ramené le lendemain par chemin de fer à Bruges pour comparaître devant l'autorité provinciale, qui, malgré ses réclamations et ses protestations, l'a désigné pour le service. Remis entre les mains du commandant militaire, il a été incorporé au 1er de ligne et évacué sur Hasselt ; après 34 jours de présence au corps il a déserté, a vendu une partie de ses habillements pour pouvoir faire route, mais ayant été arrêté avant qu'il fût à destination, il a été condamné comme déserteur par le conseil de guerre à huit jours de détention, peine qu'il a subie dans la prison de Liège.
Ramené ensuite à Hasselt, il y resta pendant 10 jours, fut conduit au camp de Beverloo, y passa plusieurs jours, puis vint rejoindre son régiment à Bruxelles, et bientôt déserta une seconde fois et se réfugia en France pour se mettre à l'abri des poursuites dont il était l'objet.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C’est une erreur qui s'explique très bien.
M. Tack. - Oui, dans l'origine. Au bout de quelque temps, à la fin de septembre, Charles-Louis Verbrugghe fut définitivement rayé des contrôles de l'armée ; l'erreur avait été officiellement reconnue.
Croyez-vous qu'il fût immédiatement rendu à la liberté et qu'il pût rentrer dans ses foyers ? Non, il s'est écoulé encore deux mois et demi avant qu’il ait pu rentrer dans le pays. Au moment de la rentrée des Chambres, au mois de novembre dernier, et à la suite d'une demande qui m'en avait été faite au nom du père Verbrugghe, je me suis adressé à M. le directeur du service de la milice au département de l'intérieur qui m'a donné avec le plus louable empressement tous les renseignements dont je pouvais avoir besoin et m'a indiqué la marche à suivre pour arriver à une prompte solution. D'après ses conseils je me suis mis en rapport avec l’honorable chef du département de la guerre qui a donné immédiatement des ordres pour que Verbrugghe pût rentrer dans ses foyers.
Il n'en est pas moins vrai que Charles-Louis Verbrugghe, ainsi qu'il l'affirme, nonobstant ses réclamations au moment de son arrestation, vis-à-vis de l'autorité provinciale, a subi une incorporation illégale, a passé devant un conseil de guerre et qu'il s'est écoulé six mois et demi avant qu'il ait reconquis sa liberté dans ses foyers. A qui la faute ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - La faute est à l'administration communale.
M. Tack. - Cela est possible. Pour ma part je n'accuse personne, j'aime mieux croire qu'une espèce de fatalité a pesé sur cette affaire. Mais toujours est-il qu'un habitant du pays a été illégalement arrêté, privé de sa liberté pendant six mois et puni pour un délit qu'il n'avait pas pu commettre ; car il n'a pas pu déserter.
Je dirai plus, c'est que dans la position où il se trouve, aux termes des lois existantes, il ne pourra jamais, même pour l'avenir, être appelé sous les drapeaux, car il est exempt du service par le fait d'un frère aîné qui a obtenu son congé définitif.
En présence de ces faits, je prends la confiance de recommander cette pétition à l'attention bienveillante de MM. les ministres de l'intérieur et de la justice et je les prie d'examiner s'il n'y aurait pas lieu d'accorder au pétitionnaire la réparation qu'il demande.
M. Lelièvre. - Sans doute il y a erreur de la part de l'autorité communale, mais c'est une erreur involontaire à laquelle a donné lieu une identité de nom. Toutefois, je pense que l'individu lui-même n'a pas été exempt de faute. En effet, il n'a pas protesté contre son inscription, il n'a formé à cet égard aucun pourvoi vis-à-vis de l'autorité compétente et au lieu de présenter ses moyens de défense, il a préféré déserter. Je pense donc que les désagréments éprouvés par le milicien dont il s'agit lui sont en partie imputables, parce qu'il n’a pas fait valoir sa défense devant les autorités légales et n'a pas déduit les moyens qui devaient le justifier.
M. Rodenbach. - J'appuie entièrement les observations de mon honorable ami M. Tack.
Le sieur Verbrugghe qui, d'après ce que M. Tack nous apprend, est à Ledeghem, dans l'arrondissement que je représente, n'a pas tiré au sort lui-même ; c'est probablement le bourgmestre de sa commune qui a tiré pour lui ; il n'a donc pas eu l'occasion de protester, quoi qu’en dise M. Lelièvre, qui l'ignore.
Voilà dans quelles circonstances le sieur Verbrugghe a cru pouvoir déserter, je trouve qu'il a très bien fait. (Interruption.) Comment ! je serais curieux de savoir ce que vous diriez, si on vous incarcérait injustement, si on vous détenait plusieurs jours en prison et si, après cela, on vous forçait à servir encore plusieurs mois. Quant a moi, messieurs, je persiste à croire que le sieur Verbrugghe a usé d'un droit en agissant comme il l'a fait et je suis d'avis qu'aux termes du Code pénal, article 117, il obtiendrait devant les tribunaux, de qui de droit, 1 indemnité de 25 francs par jour pour toute la durée de sa détention arbitraire et illégale.
J'appuie donc de toutes mes forces le renvoi de la pétition à MM. les ministres de l’intérieur et de la justice, avec demande d’explications.
M. de Paul, rapporteur. - L'absence de tous documents officiels (page 761) au dossier n'a point permis à la commission de se rendre un compte exact des faits et de déterminer, par conséquent, quel est le véritable auteur de l’erreur qui a été commise, car il y a eu évidemment erreur.
Dans cet état de choses, la commission a cru devoir proposer le renvoi du dossier à M. le ministre de l'intérieur, qui est seul à même de parvenir à savoir exactement ce qui s'est passé, puisqu'il s'agit purement et simplement d'une affaire de milice, qui ressortit à son département.
D'un autre côté cependant il est acquis qu'une arrestation illégale a été commise et que cette arrestation a été réitérée jusqu'à deux et trois fois successivement. Ce fait, en supposant qu'il puisse s'expliquer, n'est pas moins répréhensible et semble appeler la vindicte de la loi. C'est pourquoi il nous a paru que l'affaire devait être soumise également à M. le ministre de la justice. Qu'il y ait erreur ou non, les faits sont graves et méritent un sérieux examen. En conséquence, messieurs, la commission vous propose le renvoi à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice avec demande d’explications.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On a parlé tout à l'heure de faute commise par les diverses administrations ; je ne puis croire que l'honorable M. Rodenbach ait voulu comprendre l'administration supérieure dans la généralité de ses reproches.
M. Rodenbach. - Pardon, je n'ai pas du tout attaqué le gouvernement ; je sais parfaitement qu'il n'est pour rien dans cette affaire et qu'il n'a aucun intérêt à être injuste.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En fait, il y a eu erreur manifeste : un individu a été pris pour un autre, mais dans quelles circonstances ? Il portait le même nom, les mêmes prénoms et n'en différait que d'un an sous le rapport de l'âge.
Voilà les circonstances qui expliquent, si elles n'excusent pas complétement, l'erreur commise. Cet individu a été victime d'une erreur ; mais je pense qu'il a eu tort de déserter ; et, je dois le dire, l'honorable M. Rodenbach n'eût pas dû l'approuver.
M. Coomans. - Il a bien fait de déserter.
M. Rodenbach. - Que faire donc quand on vous force injustement à être soldat ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - De tels conseils pourraient être très pernicieux : chacun devenant juge de son droit, chaque milicien se croyant victime de l'arbitraire, pourrait se croire autorisé à déserter.
Or, je crois que dans aucune position il ne convient de dire à un citoyen belge qui porte l'uniforme, qu'il fait bien de déserter.
M. Rodenbach. - Il ne devait pas porter l'uniforme. Il n'a pas déserté ; il n'était pas soldat.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a une justice en Belgique et l'on peut y recourir.
Il est regrettable que cet homme, victime d'une erreur n'ait pas trouvé, à l'époque de son arrestation, un protecteur qui, à défaut d'administrateur, ait signalé l'erreur qui était commise. Il est regrettable que tant de jours se soient passés sans que ce malheureux n'ait pas trouvé un patron quelconque qui ait fait régulariser sa position.
Du reste, que l'on renvoie la pétition aux ministres. Les explications qui seront fournies ressembleront assez à celles que je viens de donner. Mais nous ne refusons pas de donner ces explications. C'est là une pétition dont l'objet mérite certainement de fixer l'attention de la Chambre. Mais je le répète, il n'y a pas eu là d'acte arbitraire commis ; il y a eu une erreur, erreur que je n'excuse pas à tous égards, mais que j'explique.
M. H. Dumortier. - Je ne puis pas me rallier à l'opinion que vient d'émettre M. le ministre de l'intérieur. Il a dit qu'il y a dans cette affaire une erreur excusable.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai dit explicable.
M. H. Dumortier. - Pas du tout. Comment ! pendant six mois un homme est incorporé par violence, sans avoir été assujetti au tirage au sort. Il réclame devant toutes les autorités, devant l'autorité communale, devant l'autorité provinciale, devant l'autorité militaire, et l'honorable ministre de l'intérieur trouve que c'est une erreur excusable.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas dit cela.
M. H. Dumortier. - Je vous demande pardon.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.
M. H. Dumortier. - M. le ministre de l'intérieur a dit que c'était une erreur qui pouvait être excusable.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Excusable à certains égards.
M. H. Dumortier. - Eh bien, je dis que si cette erreur n'avait existé que pendant vingt-quatre heures, je crois, comme M. le ministre, que ce fait pourrait être excusable. Mais lorsque le pétitionnaire est incorporé et que, malgré ses réclamations et ses protestations, on le conserve pendant six mois sous les drapeaux, je dis qu'il n'y a pas là une erreur excusable, mais qu'il y a une erreur très répréhensible.
M. le ministre de l'intérieur dit : L'un ou l'autre habitant de la commune pouvait faire connaître les circonstances et venir au secours de ce malheureux. Mais quand vous avez des autorités communales, des autorités provinciales, une députation permanente, un gouverneur, des autorités militaires qui tous doivent connaître la loi et la connaissent, il n'était nullement nécessaire que des habitants de la commune vinssent, à titre d'amis, au secours du sieur Verbrugge. Je dis qu'il n'y a pas là une erreur excusable, et sans prétendre cependant que cet homme ait légalement droit à toute l'indemnité qu'il réclame, je crois devoir combattre les observations de M. le ministre de l'intérieur, parce qu'il fait la partie par trop belle aux autorités qui ont été ici en défaut.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne sais pas quel besoin pousse l'honorable préopinant et pourquoi il ne veut pas me comprendre.
Je n'ai pas dit que j'excusais cette erreur, j'ai dit qu'elle était à certains points excusable et je maintiens ce que j'ai dit.
M. H. Dumortier. - J'en appelle à la Chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'en appelle aussi à la Chambre ; elle décidera entre nous. J'ai expliqué les faits et j'ai dit qu'ils étaient excusables à certain point de vue. Il s'agit de deux frères portant le même nom, le même prénom, ayant à peu près le même âge. On a pris l'un pour l'autre et je m'étonne que si l'individu a réclamé, il n'ait pu obtenir justice.
Voilà le seul fait qui soit à ma connaissance ; les autres faits, je les ignore.
Je ne sais pas à qui il s'est adressé pour obtenir réparation du mal fait, et je m'abstiens d'accuser qui que ce soit.
M. Tack. - Je suis d'accord avec M. le ministre de l'intérieur qu'il a pu y avoir une erreur excusable à l'origine des choses ; je ne tranche pas la question.
En appelant l'attention de la Chambre et du gouvernement sur cette pétition, je n'ai d’ailleurs entendu en rien blâmer les fonctionnaires du département de la guerre ; je l'ai dit tantôt ; j'ai reçu partout le meilleur accueil de ces fonctionnaires, et l'honorable ministre de la guerre de son côté a usé de tous les moyens à sa disposition pour faire cesser la position anomale dans laquelle se trouvait le sieur Verbrugghe.
Il a été convenu entre M. le ministre de la guerre et moi que les ordres seraient donnés pour faire cesser immédiatement les poursuites, car après que la radiation des contrôles de l'armée avait déjà eu lieu, Verbrugghe, qui était de France, était toujours menacé d'arrestation.
Il a donc été convenu que des ordres immédiats seraient donnés pour que les poursuites vinssent à cesser. Il a été convenu, en outre, qu'on restituerait immédiatement à Verbrugghe ses vêlements ; qu'on lui ferait obtenir le livret d'ouvrier dont il était porteur au moment de son arrestation et que la gendarmerie avait saisi sur lui ; qu'en outre, on lui délivrerait un certificat constatant sa radiation des contrôles et qui devait lui servir de sauf-conduit.
Le père d Verbrugghe avait réclamé auprès du département de la guerre depuis le 6 octobre, alors que son fils était déjà rayé des contrôles.
Le 28 octobre il n'avait pas reçu de réponse, il a rappelé sa première réclamation. Le département de la guerre n'était pas resté inactif dans l'intervalle ; il avait donné des ordres pour faire cesser les poursuites ; mais il n'en est pas moins vrai qu'au mois de novembre et même après les démarches que j'avais faites personnellement, malgré la diligence et les soins qu'y a mis l'honorable ministre de la guerre, Verbrugghe n'a pu rentrer dans ses foyers qu'après un certain temps. Car au moment même où la gendarmerie remettait au père de Verbrugghe le livret d'ouvrier, elle déclarait que s'il rentrait dans sa commune il serait arrêté, parce que l'ordre d'arrestation n'avait pas été levé. Je suis allé me plaindre vivement au ministère de la guerre de ces nouvelles lenteurs et aussitôt de nouveaux ordres ont été donnés ; finalement le 13 décembre Verbrugghe a pu rentrer chez lui. Le père avait enfin reçu la notification officielle que son fils était biffé des contrôles.
Voilà les faits tels qu'ils se sont passés.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Verbrugghe avait-il été considéré comme réfractaire ou avait-il tiré au sort ?
M. Tack. - Je crois qu'il avait été considéré comme réfractaire et je demeure convaincu que tout le mal provient de la malheureuse homonymie entre lui et son frère.
On comprend que dans la position où se trouvait Verbrugghe, après trois mois d'angoisses et de tortures, il ait été tenté de déserter, puisque bien réellement il n'avait aucun devoir à remplir envers l'Etat.
M. Muller. - J'ai quelques observations à présenter sur ce débat.
II ne faut pas que des autorités électives qui n'ont pas été jusqu'ici entendues, passent légèrement pour avoir commis des illégalités ; et s'il y a une de ces autorités qui ait agi avec irréflexion, il faut que les autres soient à l'abri de soupçons sous ce rapport. Ainsi, je demanderai à l'honorable ministre de l'intérieur, de vouloir bien demander des explications, tant aux administrations communales qu'à l'administration provinciale.
(page 762) On dit, messieurs, que l'erreur n'était pas possible, et d'après les renseignements que je viens de recueillir dans la Chambre, je trouve que cette erreur peut très bien s'expliquer ou s'excuser, ne disputons pas sur ces mots. C'étaient deux frères ; il est probable que l'un devait être milicien et que l'autre ne devait pas l'être.
- Un membre. - Il est mort.
M. Muller. - Je comprends difficilement, messieurs, que l'individu étant amené devant la réputation permanente, qui devait décider s'il était, oui ou non, réfractaire, la chose ne se soit pas expliquée. Evidemment la députation permanente a dû l'entendre, et si une erreur aussi grave lut avait été signalée elle aurait pris des renseignements.
Je demande, messieurs, que si la Chambre demande des renseignements, on ne les donne qu'après avoir pris l'avis des autorités dont la conduite peut être plus ou moins incriminée.
M. H. Dumortier. - Je me borne à dire que si l'honorable ministre de l'intérieur s'était exprimé la première fois, comme il l'a fait la deuxième, je n'aurais pas demandé la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si vous aviez bien voulu me comprendre, vous auriez pu vous dispenser de demander la parole.
- Le renvoi à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice est mis aux voix et adopté.
M. de Paul, rapporteur. - Par pétition en date du 24 février 1859, le sieur Nicolas Lemaire, propriétaire et meunier à Verviers, demande qu'il lui soit fait remise du droit d'enregistrement auquel se trouve assujettie la naturalisation ordinaire qui lui a été accordée le 27 décembre 1858.
L'impétrant ne se trouvant dans aucun des cas spécialement déterminés par la loi pour jouir de l'exemption du droit dont s'agit, votre commission, à l'unanimité, a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. le président. - J'ai l'honneur de faire part à la Chambre que samedi le Code pénal pourra figurer en première ligne à l'ordre du jour.
- La séance est levée à 4 heures et un quart.