(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 704) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. de Boe procède à l’appel nominal à 3 heures et un quart, et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
Il présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Des directrices d'écoles dentellières à Rupelmonde réclament l'intervention de la Chambre pour rester affranchies de tout droit de patente. »
- Sur la proposition de M. Rodenbach, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Des habitants de Ninove se plaignent d'une inhumation faite par ordre du collège échevinal dans la partie bénite du cimetière de cette ville, et demandent qu'il soit pris des mesures pour empêcher le renouvellement des faits de ce genre- »
M. de Ruddere de Te Lokeren. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
M. Lelièvre. - J'appuie la demande d'un prompt rapport. Il est important que les questions relatives aux inhumations soient résolues dans un bref délai
- La proposition de M. de Ruddere est adoptée.
« Le sieur Laurent demande de pouvoir faire rentier en Belgique, sous la dénomination de chicorée en liqueur, et adresser à l'entrepôt des douanes, à Bruxelles, des barils d'un produit industriel, appelé brutolicolor, qui n'est pas encore admis dans le tarif des douanes. »
M. de Moor. - Cette pétition présente un certain degré d'urgence. Je prie la Chambre de la renvoyer à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Des cultivateurs à Mylebeke demandent le libre échange pour le houblon ou l'établissement d'un droit d'entrée égal au droit qui frappe le houblon de Belgique à l'étranger. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« II est fait hommage à la Chambre par M. Pirson, directeur de la Banque de Belgique, de 120 exemplaires du compte rendu des opérations de cet établissement, pendant l'exercice 1858. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« M. Thienpont demande un congé de quelques jours. »
- Ce congé est accordé.
M. Lelièvre. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet relatif au crédit de 31,326 francs ouvert au département de la guerre, destiné à payer des créances arriérées.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. le président. - Le rapport sera distribué ce soir. Je propose de le mettre à l'ordre du jour de demain.
- Cette proposition est adoptée.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Ninove, le 17 décembre 1858, les époux de Wit se plaignent de l'expropriation d'une maison, sise à Ninove, qui était leur propriété.
La commission conclut à l'ordre du jour.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 20 décembre 1858, le sieur de Munter se plaint de ce que, dans une succession collatérale, on n'a pas admis la représentation.
La commission conclut à l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Nismes, le 16 décembre 1858, le sieur Lambert, prépose des douanes, combattant de la révolution, demande à jouir de la pension qui est accordée à quelques décorés de la croix de Fer.
La commission conclut au dépôt au bureau des renseignements.
-- Adopté.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Termonde, le 20 décembre 1858, plusieurs commissaires de police de l'arrondissement judiciaire de Termonde demandent une augmentation de traitement pour les fonctions d'officier du ministère public qu'ils remplissent près le tribunal de simple police.
La commission conclut au renvoi à M. le ministre de la justice.
M. Lelièvre. - J'ai souvent appuyé semblables pétitions qui me paraissent fondées sur les motifs les plus sérieux. Il est de toute justice d'accorder, dans l'état des choses, une augmentation de traitement aux commissaires de police dont la besogne s'est accrue notablement et qui, de ce chef, méritent d'obtenir une rémunération.
M. de Terbecq. - Je voulais présenter les mêmes observations que l'honorable M. Lelièvre. Je désire que M. le ministre de la justice prenne en sérieuse considération la demande des commissaires de police et que la position de ces fonctionnaires puisse être améliorée.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Woumen, le 17 décembre 1858, l'administration communale de Woumen demande que les frais d'entretien d'un individu de cette commune, qui a été placé dans l'établissement des aliénés à Bruges, après avoir été gracié d'une condamnation aux travaux forcés, soient supportés par l'Etat.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la justice.
- Adopté.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 27 décembre 1858, le sieur Birkenthal demande à n'être conduit qu'en Angleterre, s'il venait à être expulsé de la Belgique.
Conclusion : Ordre du jour.
- Adopté.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Chiny, le 8 janvier 1859, le sieur Blaise, ancien instituteur à l'école moyenne de Visé, demande un secours.
Conclusion : Ordre du jour.
- Adopté.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition sans date, des cultivateurs à la Hulpe demandent une indemnité pour les ravages faits dans leurs récoltes par le gibier qui se conserve dans la forêt de Soignes.
Même demande des cultivateurs à Rhode-Saint-Genèse et à la grande Espinette.
Conclusion : Dépôt au bureau des renseignements.
- Adopté.
M. Mascart. - Messieurs, je considère cette conclusion comme trop sévère. Les pétitionnaires, après avoir vu leurs récoltes dévorées par les lapins, verraient leur pétition dévorée par les vers au bureau des renseignements.
Je sais, messieurs, que la loi sur la chasse accorde aux propriétaires des champs le droit d'obienir des indemnités, mais comprend-on qu'un simple cultivateur s'avise de poursuivre l'Etat devant les tribunaux ? Ce serait à une cause de ruine en ajouter une autre. Je demande que la pétition soit renvoyée à M. le ministre des finances.
M. Wala, rapporteur. - Messieurs, votre commission n'a pas cru se montrer trop sévère ; si les pétitions qu'elle avait à examiner avaient été seules, elle aurait été, je pense, disposée à prendre les conclusions que vient de réclamer l'honorable membre, mais déjà des pétitions de ce genre ont été renvoyées au gouvernement, une enquête a été ordonnée et a amené le résultat que j'ai eu l'honneur d'indiquer à la Chambre. Quel serait maintenant l'objet d'un nouveau renvoi ?
La commission croit donc, messieurs, devoir persister dans ses conclusions.
M. Lelièvre. - Je pense que le renvoi au ministre des finances doit être ordonné, parce que, la forêt de Soignes appartenant à l'Etat, celui-ci peut être exposé à une action en indemnité de la part des propriétaires des terrains voisins, s'il ne détruit pas le gibier cause du préjudice dont on se plaint.
J'estime donc que M. le ministre doit prendre les précautions nécessaires pour sauvegarder les intérêts de l'Etat et mettre celui-ci à l'abri des actions en indemnité qui pourraient être exercées par les pétitionnaires, si les faits allégués par eux sont exacts. J'appuie en conséquence le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable préopinant est, je crois, dans l'erreur : la forêt dont on s'occupe appartient au domaine ; mais la chasse est réservée au Roi par la loi. Par conséquent, les actions relatives à la chasse doivent être exercées contre la liste civile et non pas contre le domaine de l'Etat.
- La proposition de M. Mascart est mise aux voix et adoptée.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition sans date, des habitants de Rochefort, Hamerenne et Han-sur-Lesse demandent que la dernière section de la route de Rochefort à Gribelle soit exécutée conformément au tracé fixé par arrêté royal du 5 octobre 1853, et que le gouvernement fasse mettre lés travaux en adjudication.
La commission propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Mons, le 21 janvier 1859, le sieur Colson, sous-directeur à l'hôpital militaire de Mons, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir soit une pension, soit sa mise en non-activité, soit des congés à demi-solde ou sans solde, et demande que, si l'une ou l'autre de ces positions ne peut lui être accordée, il lui soit donné une gratification ou une indemnité qui le couvre des dépenses qu'il a faites (page 705) pour l'amélioration alimentaire et pour des publications d'utilité publique.
Le pétitionnaire s'étend longuement sur les services qu'il prétend avoir rendus au pays ; il se signale comme combattant blessé de la révolution, comme officier, directeur d'un hôpital militaire ; il invoque la publication d'ouvrages qu'il aurait composés, ainsi que l'invention de certains procédés ayant pour objet d'améliorer la panification. Mais je dois dire qu'aucune pièce justificative n'est produite par le pétitionnaire. Le gouvernement est seul en mesure d'apprécier le mérite de la réclamation du sieur Colson. En cet état de choses, la commission propose le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre.
- Adopté.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Zele, le 20 janvier 1859, le sieur Poppé demande que son fils Adolphe, milicien de 1858, soit exempté du service militaire.
La commission propose l'ordre du jour.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Molenbeek-Saint-Jean, le 22 janvier 1859, le sieur Arts, ancien instituteur, demande un emploi.
La commission propose l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Rochefort, le 25 janvier 1859, plusieurs habitants de Rochefort et d'Eprave demandent que la route de Rochefort à Gribelle passe par le Tiers des Falises.
La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Gand, le 19 janvier 1859, des négociants en dentelles, à Gand, réclament l'intervention de la Chambre pour qu'il ne soit pas fait application du droit de patente aux écoles dentellières établies dans certaines communautés religieuses.
Les pétitionnaires exposent que les communautés religieuses enseignent gratuitement, qu'elles sont simplement les intermédiaires officieux entre l'apprenti et le négociant ; que la somme remise à chaque enfant n'est pas un salaire, mais le prix intégral de la vente du coupon de dentelle ; qu'il n'y a pas lieu dès lors à l'impôt de patente.
Vous le voyez, messieurs, il s'agit de l’appréciation de faits et de l'application à ces faits de la loi sur les patentes, qui décide quels sont les ateliers qui sont soumis à ce droit.
En pareille circonstance, la commission pense que c'est au ministre à apprécier le mérite de la réclamation ; en conséquence elle vous propose de la lui renvoyer purement et simplement, sans rien préjuger.
M. Rodenbach. - Je viens appuyer la requête des négociants en dentelles de Gand. Je l'appuie d'autant plus qu'il est à ma connaissance que plusieurs centaines d'écoles dentellières sont dirigées par des sœurs de charité qui ne reçoivent de ce chef aucun traitement et donnent l'instruction gratuitement aux jeunes ouvrières.
Voici en peu de mots comment ce commerce se pratique. Des marchands de dentelles, qui payent patente, envoient dans les écoles dentellières dirigées par les sœurs de charité le fil de coton pour être transformé en dentelle, ces marchands paient pour la confection de ces dentelles entre les mains des sœurs de charité ; je sais pertinemment que les religieuses ne reçoivent rien du tout sur ce prix, elles le distribuent en salaire aux enfants qui travaillent ; ces enfants reçoivent un salaire proportionné à ce qu'ils ont fait, c'est même aux pauvres parents que l'argent est remis ; c'est un soutien très important pour ces nécessiteux, à ce point que si je m'en rapporte aux statistiques, il y a 40 mille petites filles qui apprennent ce métier de dentellière dans les 374 écoles dirigées par les sœurs de charité.
Je dois rendre justice au ministre del’ intérieur qui a puissamment contribué à adoucir la misère des Flandres. En maintes occasions je l'ai proclamé ici.
Quand le filage à la main est tombé, la misère fut grande dans les Flandres et fut remplacée par la fabrication de la dentelle. La fabrication qui se fait dans les établissements de bienfaisance doit aujourd'hui rapporter environ 3,800,000 francs par an ; les deux Flandres seules y figurent pour trois millions et demi ; c'est autant que le revenu des bureaux de bienfaisance de ces deux provinces.
Je le répète, les sœurs de charité ne reçoivent aucun salaire sur le produit de cette fabrication.
Je crois que l'interprétation donnée à la loi sur les patentes depuis son origine, qui date du 21 mai 1819, sous tous les ministères, n'a jamais été jusqu'à faire payer le droit de patente aux sœurs de charité.
Pour être soumis au droit de patente, il faut vendre, acheter ou recevoir un salaire.
Je dois déclarer qu'il existe des écoles organisées par spéculation, mais ce ne sont pas celles qui sont dirigés par les sœurs de charité ; dans celles-là on ne donne pas l'instruction ; elles ne sont instituées que dans un but de lucre, celles-là doivent payer patente ; quand le ministre aura mûrement examiné la question, il verra que dans les écoles qui réclament on ne fait qu'apprendre un état aux jeunes filles comme dans les ateliers d'apprentissage. Pourrait-on demander un droit de patente aux ateliers d'apprentissage ?
Mais non, messieurs, c'est au contraire pour adoucir le malheur, c'est pour diminuer la misère, qui, fort heureusement, a déjà beaucoup diminué dans les deux Flandres.
Eh bien, je persiste à croire que M. le ministre des finances lui-même, quand il aura réuni tous les éléments nécessaires à l'appréciation de la question, n'interprétera pas la loi autrement que ne l'ont fait les 13 ou 14 ministères que j'ai vus se succéder depuis que j'ai l'honneur de faire partie de cette assemblée.
M. Tack. - Je crois devoir appuyer les observations que vient de présenter l'honorable M. Rodenbach.
Une circulaire émanée de M. le ministre des finances a produit une certaine émotion au sein des populations des écoles dentellières. Cette circulaire est interprétée en ce sens que les seules écoles dentellières qui auraient droit à l'exemption en matière de patentes, sont les établissements officiels ou qui ont une personnification civile. Cette interprétation est, je crois, trop restreinte ; il me semble qu'il y a d'autres établissements qui ont droit, à un titre différent, à l'exemption inscrite dans la loi.
Ainsi il est établi que dans les écoles auxquelles je fais allusion, les directrices n'exercent aucun commerce, ne font aucune fabrication pour leur compte à leurs risques et périls, ne réalisent aucun bénéfice, aucun lucre, et ne font que percevoir, comme cela se pratique dans les écoles laïques et dans quelques institutions de bienfaisance, un simple droit d'écolage, droit fixe, et qui n'a aucun rapport avec les salaires distribués aux dentellières.
S'il est établi, en outre, que le fabricat, la dentelle, le produit du travail est la propriété exclusive de l'ouvrière, et que le prix en provenant e.t remis intégralement à l'ouvrière, dans ce cas, l'exemption doit être également acquise à ces sortes d'écoles.
La question qui s'est présentée est double.
Il y a une question de fait et une question de droit à examiner ; la question de fait, je viens de l'indiquer. Au point de vue du droit, comme l'a dit l'honorable M. Rodenbach, pour qu'il y ait lieu au payement de la patente, il faut évidemment que le patentable exerce un commerce, dans un but de lucre, en vue de réaliser un bénéfice. La patente, en définitive, est un impôt prélevé sur les profits que réalise le négociant, le fabricant.
L'exactitude de cette définition ne saurait être contestée, elle se trouve dans l'article premier de la loi du 21 mai 1819, corroboré par l'exposé des motifs qui l'accompagnait.
D'après ces considérations, d'après les principes généraux qui régissent la matière, il est évident que, dans l'hypothèse où je me suis placé, les écoles dentellières ne peuvent être assujetties au droit de patente.
J'ai pris, pour ma part, des renseignements dans l'arrondissement que j'ai l'honneur rie représenter dans cette enceinte et particulièrement dans la ville de Courtrai.
Je les ai puisés à bonne source. A Courtrai, il y a deux espèces d'écoles dentellières : il y a des écoles dentellères dirigées par des maîtresses laïques et des écoles dentellières dirigées par des religieuses.
Maintenant voici quelle est l'organisation de ces écoles. Dans les écoles dirigées par des maîtresses laïques, l'enfant est reçu vers l'âge de 7 ans et y reste jusqu'à l'âge de 16 à 17 ans. La durée du travail par jour est de 6 à 7 heures pour les jeunes dentellières et de 10 à 12 heures pour celles qui ont dépassé l'âge de 10 ans.
Les élèves payent, dans les écoles dirigées par les maîtresses laïques un écolage de I fr. 20 par mois. Le prix de la dentelle est en général remis intégralement à l'ouvrière. La dentelle, le fabricat est sa propriété exclusive. Dans beaucoup de ces écoles, les parents vendent parfois eux-mêmes directement la dentelle fabriquée par les enfants.
Le régime est à peu près le même dans les écoles dirigées par les religieuses, sauf cette différence que dans ces écoles la durée du travail est moins longue parce que les enfants sont astreints à apprendre à lire, à écrire et à calculer pendant une heure par jour. Dans ces mêmes écoles les enfants consacrent un demi-jour par semaine à des ouvrages manuels, au tricot, à la couture, etc.
Dans les écoles dirigées à Courtrai pas des religieuses, les enfants ne payent même aucun droit d'écolage ; le tout se borne dans quelques écoles à une rétribution de 5 francs, que l'enfant paye à son entrée, uniquement pour défrayer l’établissement des dépenses qu'il doit faire pour indemniser une maîtresse laïque qui est ordinairement chargée de l'apprentissage des jeunes enfants.
Il est cependant dans l'arrondissement de Courtrai des écoles dirigées par des religieuses où les enfants payent un écolage égal à celui qu'ils payent dans les écoles dirigées par des laïques ; mais cet écolage est fixe, et rien n'est prélevé sur le prix de la dentelle. Que les enfants gagnent peu ou beaucoup, le salaire leur est remis intégralement.
Pour les écoles qui sont dans ce cas, il me semble que l'exemption dnii être accordée aussi bien qu'à celles qui om un caractère public et où la fabrication se fait au profit de la fondation.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois devoir donner à la Chambre quelques explications sur les pétitions dont on vient de parler.
Cette affaire, messieurs, a donné lieu, comme vous le savez, à une polémique, je ne dirai pas des plus vives, mais des plus violentes et des plus injurieuses contre le gouvernement. Certains journaux nous ont représentés comme introduisant un régime nouveau de mesures vexatoires exclusivement dirigées contre des établissements religieux. C'est la haine antireligieuse du ministère de l'émeute, soutenu (page 703) par la Chambre de l'émeute, qui inspirait ces horribles vexations ! Cela n'était pas étonnant, disait-on, car une Chambre païenne ne pouvait qu'applaudir à de pareils excès.
M. Rodenbach. - Qui est-ce qui a dit cela ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qui a dit cela ? Vous le savez bien.
« La Belgique, dit l'un de ces journaux (la Patrie, de Bruges) est le pays le plus catholique de l'Europe, et son gouvernement est le plus anticatholique de ceux qui l'entourent. Ces populations pleines de foi et de sentiments chrétiens hautement avoués, sont représentées par une Chambre dont la très grande majorité est l'expression la plus prononcée de ce paganisme moderne, né du rationalisme politique et religieux que le protestantisme a couvé. »
Je ne cite que les choses qui peuvent être décemment dites dans une assemblée que l'on respecte. Pour ce qui me regarde, et à l'occasion de cette affaire si grave et si importante, comme vous le verrez dans un instant, voici ce dont on m'accuse : « Je suis animé par une haine sauvage contre l'élément religieux. »
« Je veux inaugurer un despotisme pire que celui du roi Guillaume. »
« Je suis un arrogant tribun qui dénature les lois selon ses odieuses passions antilibérales... »
Nous verrons tout à l'heure en quelle bonne compagnie j'ai dénaturé les lois dont on parle.
J'ai écouté très patiemment toutes ces injures, attendant que quelqu'un, dans la Chambre, voulût bien me traduire à la barre de l'assemblée et me demander compte de pareilles énormités.
Au moment de nous séparer, aux vacances de Noël, l'honorable M le Bailly de Tillegbem me fit l'honneur de m'écrire qu'il avait eu l'intention de m'interpeller et il me demandait de lui donner quelques renseignements sur une circulaire relative aux écoles dentellières. L’honorable M. le Bailly de Thillegem a publié sa lettre, mais il n'a pas publié ma réponse. Voici, messieurs, ce que j'écrivais à cet honorable membre :
« Bruxelles, le 14 janvier 1859.
« Monsieur le représentant,
« Une absence que j'ai faite ne m'a pas permis de répondre immédiatement à la lettre que vous m'avez adressée pour me faire connaître que vous aviez eu le dessein de me demander des explications, dans la séance du 25 décembre dernier, au sujet de l’intention que l'on prête au gouvernement de prélever un impôt de patente sur les écoles dentellières, impôt dont ces institutions ont toujours été exemptes.
« Vous ajoutiez, M. le représentant, que la clôture de la séance et l'ajournement de la Chambre n'ayant pas permis de réaliser votre projet vous désiriez connaître quelles étaient à cet égard les résolutions du gouvernement.
« A mon retour, j'ai trouvé, dans les journaux la 1ettre que vous m'avez fait l’honneur de m'écrire. Cette publicité était destinée, sans doute, à remplacer l'interpellation que vous aviez eu l'intention de faire ; mais ne croyant pas convenable d'engager sur cette matière une polémique dans la presse avec un membre de la Chambre, persuadé d'ailleurs que vous saisirez la première occasion pour porter vos plaintes à la tribune, j'ai pensé, M. le représentant, que je devais réserver pour ce moment les explications que vous croyez utile de réclamer du gouvernement
« Je me permets seulement de faire remarquer que le gouvernement n'a pas le pouvoir de prélever ou de ne pas prélever un impôt, selon son gré. L’impôt est établi par la loi, et aux termes de la Constitution, nulle exemption, nulle modération d'impôt ne peut avoir leu qu'en vertu d'une loi.
« Des réclamations ont été adressées aux Chambres par des personnes qui prétendent que certaines fabriques de dentelles jouissent indûment du privilège de ne point payer l'impôt et font ainsi, à d'autres fabriques, une concurrence dans des conditions inégales que la législation n'admet point. Ces pétitions ont été renvoyées au gouvernement qui a été mis en demeure par là de faire vérifier les faits dont on se plaint.
« Les établissements dont vous parlez, M. le représentant, jouissent d'une exception ou bien par suite d'un abus, ou en vertu de la loi. S'il y a abus, le gouvernemen, doit-il violer la Constitution, en tolérant, en consacrant l'illégalité ? Si la loi a prononcé l'exemption, comment le gouvernement pourrait-il ne pas la respecter ? Le gouvernement ne statue pas souverainement dans ces sortes de matières. Tout particulier qui se croit lésé a un recours ouvert devant la députation permanente, et au besoin devaut la cour de cassation, si la loi a été violée ou faussement appliquée. Ce sont là des garanties tellement sérieuses et puissantes qu'il est impossible de redouter l'arbitraire de l'administration.
« Agréez, etc.
« (Signé) Frère-Orban. »
M. le Bailly de Tilleghem. - Je prie M. le ministre de me permettre une observation.
Je n'ai pas cru pouvoir publier la réponse que vous avez bien voulu me faire, parce que j'ai cru comprendre par votre lettre que votre intention n'était pas d'occuper la presse de cette affaire. Mais j'ai envoyé copie de votre lettre à plusieurs administrations locales et à des établissements qui ont un intérêt dans la question.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai donné lecture de cette lettre pour faire remarquer que j'avais attendu jusqu'à présent l'interpellation annoncée ; l'interpellation n'est point venue, et je voulais en remercier l'honorable membre ; je pensais que son silence et celui de ses amis était une improbation des excès auxquels on s'est livré dans une certaine presse à propos de la mesure qui nous occupe.
Messieurs, on vient de nous dire que c'était une mesure nouvelle qui avait été prise par moi, que sous tous les régimes, sous les nombreux ministères qu'a vus passer l'honorable M. Rodenbach, on a toujours admis que les écoles dentellières (je m'expliquerai tout à l'heure sur ce qu'il faut entendre par cette expression) devaient être exemptes de la patente ; on a prétendu que dès l'apparition de la loi de 1819 sur les patentes, ce même principe avait été admis: on a invoqué enfin une décision de 1825 qui aurait été portée à ce sujet.
Or, messieurs, voici tout ce qui contient cette décision ; elle porte la date du 24 mars 1825 :
« Le conscilier d'Etat, administrateur des contributions directes, des droits d'entrée, de sortie et des accises, vu le rescrit du 17 courant n°59, par lequel S. M. fait connaître ses intentions au sujet de l'application de la loi sur les patentes aux brodeuses sur tulles bobin, a fait connaître à MM. les gouverneurs :
« A. Que d'après la décision prérappelée de S. M. l'exemption accordée par l'article 3, littéra B. de la loi du 21 mai 1819, aux ouvriers en dentelles travaillants seuls ou assistés seulement de leur famille, peut sans inconvénient être appliquée aux brodeuses sur tulles bobin qui se trouveraient dans la même catégorie.
« B. Que dans le cas où les ouvrières dont s'agit seraient, comme cela se pratique dans quelques endroits en faveur de la classe indigente, réunies dans un même atelier, il ne sera dû aucun droit, pourvu toutefois que la direction et la surveillance de ces établssements se fasse gratuitement et que les commissionnaires, s'il en existe, ne jouissent d'aucun profit sur le travail des brodeuses, mais se contentent de la remise ordinaire des commissionnaires. »
Cette décision on le voit, ne peut pas même recevoir d'application dans le cas qui nous occupe. Il ne s'agissait pas alors des dentellières, parce qu'à cette époque cette industrie des dentelles était presque complétement abandonnée.
C'est plus tard seulement qu'ele a repris de l'importance, et, du moment où cette importance a été reconnue, la question qui nous occupe s'est présentée. En 1845, un droit de patente avait été réclamé d'un établissement religieux où l'on fabriquait de la dentelle ; le gouverneur du Hainaut soumit, pour la première fois, la question au ministre des finances, et voici quelle fut la résolution de l'honorable M. Mercier. Vous allez voir, messieurs, jusqu'à quel point elle concorde avec l'opinion exprimée par l'honorable M. Rodenbach :
« Bruxelles, le 30 juillet 1845.
« Monsieur le gouverneur,
« Par votre lettre du 27 juin dernier, n° 6507, en m'indiquant l'existence à Everbecq d’une institution de bienfaisance où les filles pauvres apprennent la fabrication de la dentelle et reçoivent l'instruction primaire et religieuse, vous soumettez la question de savoir s'il n'y a pas eu abus de la part de l'administration des contributions en imposant la supérieure de cet établissement au droit de patente : d'abord comme institutrice, ensuite comme fabricante de dentelles.
« En réponse, j'ai l'honneur de vous faire connaître, M. le gouverneur, qu'en ce qui concerne le droit de patente l'exemption accordée par l'article 3, parageaphe 6, de la loi du 21 mai 1819, n'est applicable qu'aux seuls instituteurs salariés comme tels par l'Etat, la province ou la commune, ce qui n'étant pas le cas dans lequel se trouve l'établissement dont il s'agit, le chef doit nécessairement en être assujetti à la patente, si comme j'en suis informé l'on y admet des élèves payants, alors même que d'autres élèves recevraient l'instruction gratuite dans ledit établissement.
« Quant à la fabrication de la dentelle, je ferai remarquer que l'exemption stipulée à l'article 3, paragraphe R, de la loi précitée est restreinte aux personnes travaillant seules ou assistées seulement de leur famille ou domestiques à demeure, les autres étant réputées fabricants et imposées comme telles suivant le nombre des travailleurs. Le paragraphe J. du même article 3 établit toutefois une exception à cette règle, en faveur des fondations publiques de charité destinées à enseigner des métiers à la jeunesse, mais cette exception n'est nullement applicable à d'autres étabi ssements créés dans un but analogue par des particuliers ou des associations quelconques.
« Ces explications satisferont, je pense, monsieur le gouverneur, à l'objet de votre lettre précitée, et vous démontreront que les fonctionnaires locaux n'ont fait que se conformer aux prescriptions de la loi, en ce qui regarde la cotisation au droit de patente relative à l'établissement d'Everbecq.
« Le ministre des finances,
« (Signé) Mercier. »
C'est exactement, c'est pour ainsi dire textuellement ce que j'ai dit, et pourtant on n'a pas accablé l'honorable M. Mercier des injures qui m'ont été adressées.
Deux ans après, quelques doutes s'étant élevés dans la pratique sur l'application des principes de cette circulaire, on soumit de nouveau la ()page 707) question au gouvernement, et voici ce que le ministre de l'époque repondit. Sa dépêche porte la date du 4 août 1847 ; elle est adressée aux directeurs des contributions. Elle s'exprime ainsi :
« Des doutes ayant été manifestés sur l'application du droit de patente à des établissements où l’on s'occupe de la fabrication des dentelles, il m'a paru utile de vous faire connaître la solution donnée aux questions qui m'ont été soumises à ce sujet.
« On m'a demandé :
« 1° S'il y a lieu de considérer comme fabrique imposable an droit de patente, un é'ablissement où l'on enseigne à des jeunes filles le métier de dentellière ;
« 2° Si dans l'affirmative on doit comprendre indistinctement les ouvrières non salariées et celles recevant un salaire dans le nombre des travailleuses servant de base à la cotisation.
« L'exemption stipulée à l'article 3, paragraphe R, de la loi du 21 mai 1819, est restreinte aux personnes travaillant seules ou assistées seulement de leur famille ou de leurs domestiques à demeure, les autres sont réputées fabricants et imposées comme telles suivant le nombre des travailleurs. Le paragraphe J du même article 3 établit, toutefois, une exemption à cette règle en faveur des fondations publiques de charité où l'on enseigne des métiers à la jeunesse ; mais cette exception n'est nullement applicable à d'autres établissements créés dans un but analogue par des particuliers ou des associations quelconques.
« Relativement aux ouvriers dont le nombre doit servir de base à la cotisation, la loi ne fait aucune distinction entre les travailleurs salariés et ceux qui ne le sont pas. Le paragraphe premier du tableau n°1 est formel à cet égard ; on ne peut, conséquemment, en excepter aucun, pas même les apprentis, et il devait en être ainsi, sous peine de fournir un moyen trop facile d'atténuer, sinon d'éluder l'impôt.
« On ne doit, au surplus, pas perdre de vue que l'impôt n'atteint pas les ouvriers, mais bien celui qui les emploie, et que le nombre des travailleurs occupés dans chaque fabrique a été pris pour base du droit de patente, parce que le législateur l'a considéré à juste titre comme le meilleur signe représentatif de l'importance de la fabrication.
« Vous voudrez bien, monsieur le directeur, communiquer le contenu de la présente aux divers agents sous vos ordres que la chose concerne, et tenir la main à ce que chacun s'y conforme.
« Le ministre des finances,
« J. Malou. »
Je partage entièrement l'opinion de l'honorable M. Malou. Il est vrai que quelques jours après, il y eut, à ce qu'il semble, à ce que je dois présumer, une certaine émotion à l'occasion des principes si conformes à ceux de la circulaire de 1845, qui venaient d'être exprimée par l'honorable ministre des finances, et, spontanément, le 10 août 1847, une nouvelle circulaire fut adressée aux directeurs ; elle n'a pas pour objet, vous le comprenez bien, c'était impossible à 6 jours d'intervalle, elle n'a pas pour objet d'infirmer les principes qui se trouvent dans la circulaire du 4 août. Ces principes étaient d'ailleurs inattaquables ; mais on donna quelques explications que je vais mettre sous les yeux de la Chambre.
« D'après des renseignements que je viens de recevoir, porte cette nouvelle circulaire du 10 août 1847, il paraîtrait que les explications données sur l'application du droit de patente par ma circulaire du 4 de ce mois, n° 9836, n'ont pas été assez explicites et qu'on en pouvait faire dans certaines localités une application trop étendue.
« Mon unique but en vous donnant ces explications a été de faire disparaître des anomalies qui m'avaient été signalées et de rappeler les dispositions si précises du paragraphe premier du tableau n°1, annexé à la loi de 1819, mais il n'est pas entré dans ma pensée d'atteindre les établissements de charité publique où l'on enseigne des métiers à la jeunesse, puisque la loi les exempte formellement de la patente (article 3, littéra 7).
« Le doute peut provenir de l'interprétation des mots : Openbaere inrigtingen van weldadigheid, traduits dans le texte français par « les fondations de charité publique. » Le sens de ces expressions me paraît être l'exemption des institutions de charité publique.
« Il est évident que les induitriels soumis à un droit de patente d'après le nombre de leurs ouvriers, ne peuvent établir de distinction entre les ouvriers proprement dits et salariés, et les apprentis sans gages ; mais les ateliers ouverts uniquement pour apprendre un métier à des enfants pauvres dans un but de bienfaisance et non de spéculation, lorsque les bénéfices sont appliqués à faire prospérer l'institution ou à procurer à un enfant des moyens d'existence, ne sont pas des établissements industriels proprement dits ; si ceux qui reunissent ces apprentis dans un atelier pour leur venir en aide, en retirent un bénéfice, ce bénéfice est si léger qu'il doit être assimilé à la remise des commissionnaires, circonstance qui les exempte de l'impôt d'après la décision royale du 17 mai 1825, R. n°52.
« Il y a plus même ; il est porté annuellement au budget une somme fixe destinée à subsidier de semblables établissements ; il serait donc peu rationnel de soumettre à la patente les personnes qui ouvrent des ateliers de charité alors que le gouvernement s'impose des sacrifices pour les encourager.
« En résumé, d'après ma circulare du 4 de ce mois ci-dessus rappelée, les personnes qui s'établissent fabricants de dentelles, de broderies, etc., dans le but principal d'en retirer des bénéfices, doivent être soumises à la patente d’après le nombre de leurs ouvriers et apprentis salariés ou non ; mais les particuliers ou sociétés qui ouvrent des ateliers de travail dans le but de venir en aide à la classe nécessiteuse et pour donner un état à des enfants pauvres, et non pour exercer la profession de fabricant, ne sont pas soumis à la patente en vertu de l'article 3, littéra. I précité, tandis que ceux de ces ouvriers qui y reçoivent un salaire jouissent de l'exemption en vertu du littéra R du même article et doivent être envisagés comme étant réunis dans un atelier, ainsi que l'a expliqué la décision royale de 1825 rappelée ci-dessus. »
A mon tour, messieurs, sollicité par le renvoi de pétitions qui avait été ordonné par la Chambre à mon département, j'ai, rappelé, le 25 octobre 1858, les principes qui devaient recevoir leur application dans l'occurrence ; j'ai fait connaître que je n'admettais pas entièrement l'opinion exprimée par mon honorable prédécesseur dans sa circulaire du 10 août 1847, et que l'exemption, accordée par la loi aux fondations publiques de charité, ne pouvait être étendue à des établissements privés.
Je crois avoir établi d'une manière évidente que le texte de la loi ne peut pas se prêter à une pareille interprétation. Que la Chambre me permette de lui donner lecture de ma circulaire du 25 octobre dernier :
« Pendait le cours de sa dernière session, la Chambre des représentants a reçu et renvoyé à mon département une pétition signée de plusieurs dentellières de Bruxelles se plaignant de la concurrence qui leur est faite par certains établissements non soumis comme elles au payement d'uu droit de patente.
« L'importance des intérêts engagés en cause, le privilège que les dentellières prétendent voir dans l'exemption dont jouissent ces établissements, commandent un nouvel examen d'une question déjà souvent débattue et qui a donné lieu aux résolutions et circulaires successives du 24 mars 1825, A R., 52, des 4 et 10 août 1847, n°9836 et 10121. D'un autre côté, l'instruction générale sur les patentes du 17 avril 1856, n°R., 552, qui a amené la suppression des dispositions antérieures relatives à la matière, insérées aux divers recueils, étant muette sur ce point, il devient indispensable, en présence surtout de la pétition adresssée aux Chambres, de préciser définitivement le sens et l'application de la loi à cet égard.
« Aux termes de l'article premier de la loi du 21 mai 1819, personne ne peut exercer une industrie, ni une profession, etc., sans être muni d'une patente, à moins d'en être expressément exempté.
« Les fabricants de dentelles, loin d'être exemptés de la patente, y sont nominativement soumis par le n°14 de la 2ème section du tableau n°1 ; et le droit doit être calculé, ainsi que le porte le paragraphe premier du même tableau, d'après le nombre d'ouvriers, sans distinction de sexe ni d'âge, sans distinguer davantahe s'ils sont compagnons ou apprentis, etc., s'ils sont salariés ou s'ils ne le sont pas.
« A la vérité, l'article 3 littera R consacre une exemption en faveur des cette industrie, mais cette exemption s'applique exclusivement aux ouvriers qui, pour en jouir, doivent même travailler seuls ou assistés uniquement de leur famille ou de leurs domestiques à demeure, et il est évident qu'elle ne peut en aucun cas être invoquée par les fabricants que la loi a expressément imposés.
« Cependant il est une autre disposition de ce même article 3 qui, faute d'avoir été bien comprise, a paru justifier l'exemption en faveur de certains établissements particuliers ; il s'agit du littéra I dont il importe ainsi de bien déterminer le sens et la portée afin d'éviter à l'avenir les inconvénients auxquels semblent avoir donné lieu les explications peu concordantes des résolutions et circulaires que je viens de rappeler.
« Cet article 3, littéra I, est ainsi conçu :
« Sont exempts :
« (…) Les fondations de charité publique destinées à enseigner des métiers à la jeunesse, pour autant que les bénéfices résultant du travail des élèves tournent au profit desdites fondations ; les établissements publics destinés à fournir de l'ouvrage aux pauvres, etc. »
« Le texte hollandais ne diffère en rien de celui-ci :
« Openbare inrigtingen van weldadigheid voor het onderwijs der jeugd... voor zoo veel de winsten daaruit spruitende ten voordeele van de gestichten zelve komen ; alsmede de zulke door welke aan armen... arbeid verschaft wordt. »
« Les deux textes présentent le même sens ; l'un corrobore l'autre. Ils ont en vue les fondations de charité. Or, toute fondation de ce genre est, par essence, une institution publique. C'est aux institutions publiques seules que l'exemption est applicable. Là, seulement, l'autorité peut s'assurer que les conditions imposées par le législateur pour jouir de l'exemption, sont réellement remplies, car toute fondation est soumise au contrôle, à la surveillance de l'autorité. Il n'en est pas de même d'un établissement privé. La distinction que l'on a essayé de faire entre les fondations de charité publique et les fondations publiques de charité est inadmissible. Outre que le texte de la loi la repousse, que le sens grammatical la condamne, il est hors de doute, que l'on ne peut induire de l'une ou l'autre expression que le bénéfice de l'exemption d'impôt soit applicable, à des institutions privées.
(page 708) « La condition première pour qu un établissement jouisse de l'exemption, c'est son caractère public, et ceia est si vrai que, pour éviter de laisser un doute à ce sujet, le législateur a accumulé à plaisir dans ce littéra I de l'article 3, les qualifications des établissements dont il s'occupait ; on y lit en effet, indépendamment des fondations publiques, les hospices publics, les établissements publics et les monts-de-piété tenus pour le compte des communes, c'est à-dire publics.
« Et ceci devient palpable surtout quand on recherche les conditions auxquelles le législateur a subordonné la jouissance de l'exemption, conditions auxquelles je viens de faire allusion et qu’il a expressément stipulées en ces termes :
« Pour autant que les bénéfices résultant du travail des élèves tournent au profit desdites fondations.
« Le législateur, en effet, ne pouvait avoir la pensée de consacrer un privilège véritable en matière d'impôt ; il ne pouvait, d'une part, soumettre à la patente les fabricants de dentelles d'après le nombre total de leurs ouvriers sans distinction d'âge, de sexe, de gratuité du travail, etc., et, d'une autre part, vouloir en même temps affranchir de la patente des particuliers réunis en société pour réaliser des bénéfices, prélevés sur le travail d'ouvriers expérimentés ou non.
« Désirant toutefois favoriser l'enseignement de métiers à la jeunesse, le législateur a concilié les divers intérêts en limitant l'exemption, en la subordonnant à des conditions qui ôtassent à l'industrie tout caractère de spéculation ; c'est ainsi qu'il ne l'a accordée qu'aux seuls établissements publtcs, aux seules fondations publiques, soumise par cela même à un contrôle et à l'égard desquels on peut seul ainsi acquérir la certitude que les bénéfices résultant du travail e s élèves tournent au profit desdites fondations.
« Or, dans tout établissement autre qu'un établissement public, la destination des produits de la vente ne pouvant jamais être connue, il est impossible de savoir si la condition mise à l'exemption est ou n'est pas remplie, et c'est par cette considération que cette exemption lui a été refusée par le législateur.
« En matière d'exemptions tout est d'interprétation stricte, et il résulte ainsi à toute évidence des explications qui précèdent que, d'après les termes et l'esprit de la loi du 21 mai 1819, les établissements privés où l’on enseigne des métiers à la jeunesse ne sont pas exempts de patente.
< En conséquence vous voudrez bien, M. le directeur, etc. »
Messieurs, une très vive émotion s'est manifestée à cette occasion. On a supposé que la mesure était dirigée contre les associations religieuses qui s'occupent de la fabrication des dentelles ; on a supposé que le monopole de cette fabrication était en quelque sorte aux mains des corporations religieuses.
Mais, messieurs, il y a plus d'établissements laïques que d'établissements religieux qui s'occupent de la fabrication des dentelles. Dans le seul district de Thielt que je cite de préférence, parce que l'honorable M. le Bailly de Tilleghem le connaît particulièrement, il y a 41 fabriques de dentelles occupant 3,058 ouvriers ; cinq de ces fabriques appartiennent à des curés ; 14 à des corporations religieuses et 24 à des particuliers ; ainsi plus de la moitié de ces ateliers appartiennent à des laïques. Il est vrai qu'en général les établissements appartenant à des laïques n'ont pas la même importance que les autres, mais les chiffres que je viens de donner n'en ont pas moins leur signification.
Nous avons donc, messieurs, des établissements laïques et des établissements religieux s'occupant de la fabrication des dentelles ; or, je le demande, comment la loi devra-t-elle être appliquée ? Les établissements laïques payeront-ils l'impôt ? Les établissements religieux ne le payeront-ils pas ? Cela est-il soutenable ? Il arrive cependant que certains d'entre eux soumis à l'impôt se plaignent de ce qu'on fait jouir illégalement d'autres établissements de l'exemption de l'impôt.
Il s'agit donc de savoir à quel signe on reconnaîtra ceux qu'il faut exempter et ceux qui ne peuvent l'être. S'il est une règle autre que celle exposée dans ma circulaire, qu'on me la dise ; s'il faut faire des distinctions, qu'on les signale ! Mais on serait impuissant à le faire.
Messieurs, il faut absolument s'en tenir au principe de la loi. Ce principe est simple, clair, rationnel. Tout établissement qui fabrique des dentelles et qui en fait commerce est soumis à la patente. S'agit-il, au contraire, d'un établissement laïque ou religieux, où l'on se borne à apprendre la fabrication, oh l'apprenti arrive avec la matière première et d'où il sort avec la matière fabriquée, c'est une école, et cette école n'est pas patentable. (Interruption.)
La loi, messieurs, décide formellement que les écoles dans lesquelles on apprend un métier à la jeunesse, ne sont pas soumises à la patente comme fabriques.
C'est donc une question de fait et non de droit.
Il s'agit de s'enquérir de la nature des établissements ; il en est qui ne doivent pas être patentés ; d'autres, au contraire, doivent l'être et je dis que c'est de beaucoup le plus grand nombre.
Le fisc, messieurs, n'a pas, comme on l'a dit, un grand intérêt dans cette affaire ; l'honorable M. Rodenbach se trompe à cet égard ; il aura cru sur parole les déclamations qui ont traîné dans certains journaux. Le gouvernement allait en quelqne sorte ruiner tous ces établissements qui devaient être d'un si grand secours à la classe ouvrière.
Savez-vous, messieurs, de quoi il s'agit ici ? La fabrication des dentelles, vous le savez, a une très grande importance ; sans doute, il est assez difficile de l'évaluer...
M. Rodenbach. - Huit à dix millions, d'après la statistique officielle.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il u'y a pas de statistique officielle ; mais c'est beaucoup plus, et je vais à l'instant vous en donner la preuve.
Voici un fait : la seule exportation eu France de dentelles belges accusée par la douane, et Dieu sait si c'est une matière qui peut se frauder, cette exportation, dis-je, est évaluée à 5,849,000 fr. par les statistiques françaises. Ajoutez à cela la consommation intérieure et tout ce qui s'exporte dans les autres pays et' tout ce qui sort clandestinement, et vous ne pourrez pas évaluer la fabrication des dentelles, à moins de 20 ou 25 millions de francs.
Or, savez-vous maintenant, messieurs, quelle est l'importance du droit de patente, en supposant que tous les établissements ayant nom d'écoles y fussent soumis ? (Interruption.) Cent mille francs ! dit M. Rodenbach.
Je me contente du quart. Oui, messieurs, si toutes les écoles de dentelles du pays sans distinction payaient l'impôt, elles acquitteraient ensemble l'énorme somme de 26,000 francs !
Voilà ce qui a provoqué ce dévergondage de langage que vous avez vu jusqu'à présent se produire dans une certaine presse.
C'est dans trois de nos provinces surtout que l'on trouve des établissements de ce genre : le Brabant et les deux Flandres ; partout ailleurs ils sont rares.
M. de Haerne. - Et dans la province d'Anvers.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y en a peu.
Dans le Brabant en 1857, on comptait 71 fabriques, elles payèrent 2.405 fr. 92 c. de droit de patente, c'est-à-dire une moyenne de 33 88 c. En 1859, il y aura 6 établissements de plus qui payeraient ensemble 219 fr., c'est-à-dire 36 fr. 55 c. chacun en moyenne. Dans la Flandre occidentale en 1857, il y avait (erratum, page 715) 265 établissements qui payaient ensemble 2,427 francs 82 centimes de droit de patente, soit 9 fr. 16 cent. par établissement ; mais c'est là que se rencontre le plus grand nombre d'ateliers qui n'ont pas jusqu'ici acquitté le droit de patente. C'est ainsi que l'on y compte jusqu'à 218 établissements privés qui devraient payer 13 mille francs, ce qui, à raison du nombre des apprentis, fait en moyenne 63 francs par atelier.
Enfin, dans la Flandre orientale, il y avait en 1857,1 4 établissemente payant ensemble 301 fr. 77 c, tandis qu'en 1859 il y aurait en plus 63 établissements privés payant 6,772 fr., soit en moyenne 41 fr. 54 c. par atelier.
Voilà, messieurs, l'énorme importance de cette affaire à laquelle on a voulu donner des proportions ridicules.
Le gouvernement a ordonné une enquête afin de constater, atelier par atelier, ce qui se fait ; comment les choses se pratiquent, afin de reconnaître si ce sont de véritables fabriques, quel que soit le nom dont on les décore, qui doivent acquitter cette énorme somme de 30 à 40 francs de droit de patente, ou si ce sont de simples écoles où l'apprenti apporte la matière première et d'où il emporte la matière fabriquée pour en disposer au gré de ses parents. Ceux-ci évidemment doivent être exemptés de l'impôt ; la loi le veut expressément.
Mais quant aux autres établissements dirigés par des religieuses ou par des laïques qui fournissent la matière première et vendent le produit fabriqué tout en répartissant des salaires, il y a lieu de les soumettre au droit de patente sans en excepter un seul de ceux qui se trouvent dans les mêmes conditions. Que si on ne voulait pas procéder de la sorte, la justice commanderait de faire autre chose : ce serait de supprimer le droit de patente pour les fabricants de dentelles, pour tous, car on ne peut exiger des uns ce que l'on ne demande pas aux autres ; la loi ne le permet pas, et la Constitution défend de consentir aucune exemption d'impôt sans l'assentiment du législateur.
- M. Rodenbach. - Je demande la parole.
- Plusieurs voix : A demain ! Il est cinq heures.
- M. de Haerne. - Je demande la parole.
- Plusieurs voix : A demain ! à demain !
- La discussion est renvoyée à demain à 3 heures.
M. le président. - Une proposition de loi a été déposée, elle sera examinée par les sections. Les sections se réuniront à midi.
- La séance est levée à 5 heures.