(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 303) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. Vermeire, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 1/2 heure et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est adoptée.
M. Vander Stichelen, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Michel Donnen, postillon, attaché au relais de Martelange, né à Luxembourg, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Clément Schonfeld, ouvrier gantier à Bruxelles, né à Varsovie, demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Même décision.
« M. Meynders, ancien curé aumônier, fait hommage à la Chambre de deux exemplaires d'un almanach à l'usage des écoles supérieures. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le président - L'ordre du jour appelle la continuation du titre IV du Code pénal. La parole est continuée à M. De Fré.
M. De Fré. - M. le ministre de la justice n'est pas présent.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Le budget des affaires étrangères est à l'ordre du jour de la Chambre depuis quelque temps déjà. Je viens d'avoir une conférence avec l'honorable président du Sénat qui m'a témoigné les craintes les plus vives de ne pas voir cette assemblée en nombre suffisant après les fêtes de Noël. Il m'a déclaré que si cela était possible, il serait extrêmement désirable que le budget des affaires étrangères fût soumis au Sénat avant ces fêtes. Puisque M. le ministre de la justice n'est pas présent, je demande à la Chambre si elle ne jugerait pas convenable d'aborder maintenant la discussion de ce budget.
- M. le ministre de la justice entre en ce moment dans la salle.
- Un membre. - Voilà M. le ministre de la justice ; nous pouvons continuer la discussion du Code pénal.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je ne persiste pas moins dans ma demande.
M. le président. - M. le ministre des affaires étrangères demande que la Chambre s'occupe en première ligne du budget de son département.
- Plusieurs voix : Non ! non !
M. le président. - Il paraît qu'on est d'accord pour continuer la discussion du Code pénal. (Oui ! oui !)
M. De Fré. - Messieurs, je dois remercier mes honorables collègues des deux côtés de cette assemblée, d'abord de m'avoir écouté hier avec une attention si bienveillante. La Chambre comprend que quand un homme se défend, il y a quelque chose qui est au-dessus des passions politiques : c'est le sentiment de la justice.
Je dois remercier aussi la Chambre de m'avoir permis de remettre à ce jour la continuation de mes observations ou plutôt de la réponse que je voulais faire à l'honorable ministre de la justice.
Les paroles de M. le ministre de la justice avaient produit sur moi une impression si vive, que je craignais qu'en continuant hier, il ne m'échappât une parole que j'aurais pu regretter.
Je voulais, mieux que M. le ministre de la justice, rester maître de moi ; car, messieurs, en entrant dans cette assemblée, j'ai pris l'engagement d'avoir de la déférence pourront le monde, d'être courtois pour tout le monde, même pour mes adversaires. J'apprendrai de vous, messieurs, ce langage élevé de la politique qui unit la concision de la forme à la grandeur de la pensée. J'apprendrai de vous, en suivant vos séances avec assiduité, comment, au milieu des discussions les plus vives et les plus passionnées, on peut conserver le calme et la sérénité de son intelligence, comment on évite les pièges de ses adversaires, comment on répond à des agressions injustes.
Si j'ai parlé, messieurs, avant d'avoir acquis cette expérience, c'est que je mettrai toujours ce que je considère comme l'accomplissement d'un devoir au-dessus de ma commodité personnelle. Si j'ai parlé dans des conditions excessivement difficiles pour moi, répondant à un discours longuement préparé, c'est que je voyais le moment où la discussion allait se fermer. Déjà l'honorable président avait jusqu'à deux reprises demandé si personne ne réclamait la parole. C'est dans cette circonstance que j'ai posé cet acte de courage. Car un homme politique doit, malgré le danger qu'il court, et vous avez vu que j'en ai couru de très grands, doit toujours remplir son devoir
Maintenant, je reprends la discussion au point où je l’ai laissée hier.
J'ai démontré hier que si, en 1810, on avait puni les outrages aux objets du culte de peines sévères, c'est parce que la France se trouvait alors dans des conditions extraordinaires ; c'est parce que, pendant de longues années, des outrages aux objets du culte avaient eu lieu et qu'on voulait les prévenir désormais par la menace de peines sévère.
Lorsqu'on révisait le Code de 1810, il fallait faire disparaître de la loi ces articles qui incriminent les outrages par paroles à des objets d'un culte, parce qu'en Belgique les mœurs sont autres qu'elles ne l'étaient en France en 1810 ; en Belgique quel que soit l'esprit politique, quelles que soient les passions politiques, il y a toujours eu dans les mœurs de la déférence, de la tolérance et jamais aucun de ces scandales, de ces actes d'impiété qui se sont produits en France à l'époque où le Code pénal de 1810 a été rédigé.
Messieurs est-ce que je veux que les outrages ne soient pas punis lorsqu'il y a une cérémonie religieuse dans la rue ?
Je n'ai jamais soutenu cette thèse. J'ai soutenu que des outrages par paroles à un objet du culte lorsque la cérémonie n'est pas troublée, lorsque l'exercice du culte n'est pas entravé, ne constituent que la manifestation de la pensée, que l'expression de la conscience, que vous ne pouvez pas punir sans violer la Constitution.
Ainsi je suppose (car il faut quelquefois des exemples pour faire comprendre sa pensée), je suppose que dans une procession se trouve l'image de la Vierge de l'immaculée conception. Des écrivains très sérieux ont soutenu que le dogme de l'immaculée conception est contraire aux principes catholiques.
Je suppose qu'un de ces écrivains se trouve dans la rue et qu'on lui dise : Voilà la Vierge de l'immaculée conception qui passe ; il reproduit alors, par la parole, la pensée qu'il a émise dans une brochure ; il dit qu'iln'existe pas de Vierge de l'immaculée conception. C'est un outrage à un objet du culte.
M. Muller. - Non !
M. De Fré. - Comment, non ? Permettez, M. Muller, ce sera un outrage à l'objet d'un culte ; un outrage par paroles. Eh bien, je dis que si ces paroles ne troublent pas la cérémonie, si la procession continue, si la voie publique n'est pas obstruée, et si vous punissez cet homme, vous punissez la libre expression de la pensée, la libre expression de la conscience. Savez-vous ce que vous faites, société laïque ? Vous sortez de votre domaine et vous préférez l'un culte à l'autre. Vous prenez parti pour un dogme et vous ne pouvez pas le faire. Car le jour où vous prendrez parti pour un dogme en punissant le citoyen qui, par paroles, aura outragé un objet du culte, la statue de l'immaculée conception, vous entrez dans une voie fatale et dangereuse ; ce jour il faudra punir la brochure qui aura attaqué le dogme de l'immaculée conception ; il faudra punir le blasphème, il faudra punir l'hérésie, il faudra tuer la libre pensée, le libre examen qui est la base de la société laïque et sans laquelle elle ne peut vivre.
Il faut concilier ici deux choses : la sécurité publique, la tranquillité dans les rues et le droit du citoyen. Si la cérémonie est troublée par des paroles outrageantes, il faut réprimer ; il faut punir, parce que vous devez garantir à tout le monde le libre exercice de son culte ; quand l’autorité civile, par tolérance, permet que des processions circulent dans les rues, le croyant exerce son culte dans la rue ; s'il est troublé dans l'exercice de ce culte, droit constitutionnel, vous devez le protéger ; vous devez punir celui qui vient le troubler. Mais, si vous punissez une parole dite sur le trottoir, au moment où la procession passe, parole qui attaque un dogme, parole qui a pu être écrite en vertu de la liberté de la presse, vous portez atteinte à la liberté de conscience.
M. H. de Brouckere. - On ne la punira pas.
M. De Fré. - On ne la punira pas ! Hier je vous ai démontré par un fait juridique, par une décision définitive que, sans qu'on eût constaté l'intention méchante, un cabaretier avait été condamné pour avoir avili la religion (c'est autrement pervers qu'attaquer par paroles un objet du culte) en affichant une image dans son cabaret.
J'arrive à l'examen des articles 295 et 296 qui punissent le prêtre pour avoir censuré ou critiqué le gouvernement par discours ou par écrits.
D'après le projet du gouvernement (je n'ai jamais déclaré que ce projet lût l'œuvre de l'honorable ministre ; c'est l'œuvre d'une commission ; mais M. le ministre de la justice l'a adoptée et défendue, il l'a faite sienne) ; eh bien, d'après le projet, qu'est-ce qu'on punit ? On punit la critique d'une loi, d'un arrêté royal ou de tout autre acte de l'autorité publique.
(page 304) Une disposition semblable existait sous le roi Guillaume ; il l'appliquait et vous savez comme il a chèrement payé cette audace ; mais depuis 1830 elle n'a jamais été appliquée par le pouvoir ; depuis la révolution, lorsque dans la chaire on a censuré la politique du gouvernement, le gouvernement n’a jamais poursuivi ; savez-vous pourquoi ? Parce que le clergé crierait à la persécution, parce que des poursuites de ce genre ne sont pas dans nos mœurs, dans nos traditions.
En France, où existe l'appel comme d'abus, où il y a un conseil d'Etat qui juge le clergé, le clergé est dans une tout autre position.
Mais en Belgique, où le gouvernement n'intervient pas dans les nominations ecclésiastiques, où le curé correspond librement avec Rome, en Belgique où le clergé est affranchi de la tutelle de l'Etat, le prêtre doit jouir de toute la liberté dont jouit le citoyen.
Je vous le demande, messieurs, lorsqu'un professeur, un représentant de l'Etat censure les actes du gouvernement, est-ce qu'il y a pour lui une loi spéciale qui le punisse d'une peine spéciale ; vous pouvez le destituer, parce que vous le nommez ; mais vous ne pouvez pas le punir.
Il faut que les représentants de la société religieuse jouissent de la même liberté que les représentants de la société laïque ; ne privilégiez pas le culte catholique et laissez la liberté à ses ministres. Voilà ce que je demande, voilà ce qui est dans nos traditions ; voilà ce qui est conforme à nos principes politiques.
J'avais dit que le gouvernement n'avait jamais osé poursuivre le clergé pour critiques et censures dites du haut de la chaire, et pour triompher de moi, l'honorable ministre de la justice me cite l'affaire du curé de Boitsfort.
Savez-vous, messieurs, de quoi il s'agissait dans ce procès ? De la censure des actes du gouvernement ? Nullement. Le curé de Boisfort accusait les membres du conseil communal d'avoir détourné les fonds du pauvre ; c'était non seulement un outrage, mais une calomnie, qui exposait ces membres, hommes honorables, à la haine et au mépris de leurs concitoyens.
Mais la censure des actes de l'autorité par les ministres du culte, c'est tout différent ; je n'engage pas le gouvernement à commencer des poursuites de ce genre, et le gouvernement ne le fera pas.
Voilà les motifs pour lesquels l'article 295 qui est le corollaire de l'article 150 doit disparaître, comme doit être modifié l'article 150 en ce sens qu'il n'y ait de puni que l'outrage qui troublerait la paix publique.
Vous voulez que la liberté de censurer les actes du gouvernement ne soit pas laissée aux évêques. Je ne sache pas que l'opinion libérale ait eu à se plaindre des mandements des évêques ; elle leur doit en grande partie le retour aux affaires du cabinet libéral. Les hommes qui sont assis au banc ministériel doivent des actions de grâce aux évêques.
Savez-vous ce que vous devez faire pour combattre les excès du clergé ? Affranchir l'esprit par le rayonnement de l'instruction qu'il faut répandre à pleines mains et partout, afin que tout le monde comprenne que Dieu a donné à chacun la raison pour juger et apprécier même le prêtre dans sa chaire et pour le condamner, lorsqu'il sort, dans son église, de la sphère religieuse.
Messieurs, pour ce qui concerne l'article 132 et les suivants, sur la presse, je n'y comprends vraiment rien. En 1847 au nom des principes de liberté, on a combattu l'aggravation de la peine proposée par l'honorable M. d'Anethan.
L'opinion libérale, à cette époque, a vaillamment combattu ; elle s'en fit un titre de gloire ; les membres qui siègent au côté gauche de la Chambre ont alors repoussé cette aggravation.
Voir ce que M. Delfosse disait :
« Je crois rêver, lorsque j'assiste à cette discussion ; à entendre MM. les. ministres et leurs adhérents, les membres de la famille royale, neveux ou nièces, cousins ou cousines, seraient perdus s'ils n'avaient pour se défendre que la loi commune, la loi qui protège les citoyens les plus faibles et les plus humbles ; on ne se doutait guère, en 1830, que nous descendrions en 1847 à ce degré de flatterie et d'adulation. Si la Chambre n'était pressée d'en finir, je serais tenté de proposer le renvoi de cette disposition et des amendements à la commission qui sera chargée d'examiner si la tête de Sa Majesté doit être placée à droite ou à gaucho, sur les pièces d'or. »
Voilà, messieurs, dans quel langage, qui joint l'ironie au bon sens, comment l'honorable M. Delfosse attaquait ce projet du ministère catholique. A cette époque, messieurs, quelle a été l'attitude de la droite ? Les membres de la droite ont défendu le projet du gouvernement et ils ont dit, ou du moins telle a été leur pensée : Nous n'irons pas plus loin nous ne voulons pas aller plus loin. Et aujourd'hui on augmente de deux à cinq années le maximum de la peine fixée en I847 !
Et pourquoi ? quels sont les faits qui justifient cette aggravation ? En 1847, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire, un fait grave s'était produit : il y avait eu un acquittement qui avait causé beaucoup de bruit, beaucoup de scandale ; et c'est en présence de cet acquittement que le ministère d'alors crut pouvoir aggraver la peine en matière de presse.
Qu'arriva-t-il ? Est-ce depuis que l'on voit se produire encore des attaques, des offenses contre la famille royale, contre les membres de la Chambre ? Non, messieurs ; et mieux que personne vous savez tous jusqu'à quel point, depuis 1847, le Roi a été entouré de l'estime et de la sympathie de la nation tout entière.
En 1847, on avait proposé la surveillance de la police, et en 1847 la surveillance de la police a été rejetée. Voici, messieurs, ce que disait à ce propos l'honorable M. d'Elhoungne :
« Messieurs, la mise sous la surveillance de la police consiste maintenant à pouvoir interdire à celui qui est placé sous une surveillance, de résider dans tel ou tel lieu déterminé. Par conséquent, si on admettait la mise sous la surveillance de la police pour un individu condamné du chef d'un des délits prévus par la loi, le juge pourrait, il devrait même éloigner de son journal l'écrivain condamné ; on tuerait ainsi le journal dans plusieurs cas. C'est ce que la section centrale n'a' point voulu admettre ; c'est ce que la Chambre, je l'espère, n'admettra pas non plus.
« D'un autre côté, c'est une très grande aggravation de peine que de pouvoir intimer l'ordre au condamné de quitter le lieu où sont ses intérêts, ses affaires, où il a toujours eu sa résidence.
Je demanderai donc qu'on veuille bien opérer la division et mettre aux voix séparément la proposition de M. le ministre de la justice relative à la surveillance.
Lorsqu'on passa au vote, le principe de la surveillance de la police fut repoussé par 47 voix contre29. Et savez-vous quels furent les opposants ? Permettez-moi de vous rappeler leurs noms ; ils sont significatifs. Ce furent MM. Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Meester, de Mérode, de Renesse, de Saegher, Desmaisières, de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Eloy de Burdinne, Fleussu, Goblet, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sigart, Verhaegen, Veydt, Anspach, Biebuyck, Cans, Castiau, de Baillet, de Bonne, de Breyne et Vilain XIIII.
Ainsi, des deux côtés de la Chambre on se réunissait, on se groupait afin de faire disparaître du projet de loi cette peine humiliante de la surveillance de la police qui, comme on l'a déjà dit, assimile l'écrivain au faux monnayeur.
Messieurs, la question de la surveillance de la police n'a pas été bien comprise, m'a-t-il paru, par les membres de la commission.
La surveillance de la police n'existait pas en Belgique sous l'ancien régime ; et savez-vous pourquoi elle a été introduite.eu France ? Ou l'a créée précisément par des motifs qui auraient dû la faire disparaître du projet du nouveau Code pour la Belgique. Voici ce que disait l'Exposé des motifs du Code pénal de 1810 :
« Enfin, en nous occupant des voies de répression, nous n'avons pas négligé les moyens de prévenir le mal ; les condamnés, après avoir subi leur peine, demeureront, dans les cas prévus par la loi, sous la surveillance de la haute police.
« Dans un petit Etat tout le monde est surveillé, parce qu'on est pour ainsi dire réuni sur un même point, et que personne ne peut se soustraire à l'œil vigilant de ses concitoyens ; dans un empire immense, il est nécessaire qu'une institution sage et active remplace cette surveillante respective qui ne peut pas y exister ; il faut que les hommes pervers ne soient jamais perdus de vue ; or, quelle dénonciation plus pressante que celle que résulte d'un arrêt de condamnation ? »
Eh bien, la France était un grand empire ; vous savez jusqu'où la Fiance s'étendait en 1810. Sur un territoire aussi vaste un homme pouvait facilement échapper à l'attention et on s'est dit qu'il importait, à raison de cette circonstance, que la police eût le droit d'interner, d'avoir sur le condamné libéré un œil toujours ouvert. Or, je le demande, n'est-ce pas ce motif même qui aurait dû engager la commission de la chambre à faire disparaître la surveillance de la police ?
Je dis, messieurs, et ceci ne s'adresse pas M. le ministre de la justice mais aux honorables membres de la commission, je dis que la méthode que l'on a suivie pour rédiger un Code pénal ne me paraît pas rationnelle ; je ne l'approuve pas complétement ; selon moi, il ne fallait pas prendre tout ce qui est dans le Code pénal de 1810 sans savoir pourquoi chaque disposition y a été introduite, pourquoi chaque peine a été établie.
Il fallait faire un examen nouveau, et s'inspirer, comme je le disais tout à l'heure, non seulement de l'histoire de notre pays, mais encore de nos mœurs, de nos traditions.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Voulez-vous me permettre de dire un mot ?
M. De Fré. - Je permets.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La surveillance de la haute police a été abolie en 1830, et il a fallu la rétablir en 1836 dans le petit pays qui s'appelle la Belgique.
M. De Fré. - La réponse n'est pas sérieuse.
Voici votre article 137 :
« Dans les cas prévus par les cinq articles précédents, les coupables pourront, en outre, être placés sous la surveillance de la police. »
Or, que ce soit la haute police ou la basse police, cela m'est parfaitement égal. (Interruption.)
Dans un cas comme dans l'autre il n'y a pas moins surveillance, et quelle qu'elle soit, je n'en veux pas pour les écrivains.
Eh bien, je disais que, d'après l'exposé même des motifs du Code pénal de 1810, on ne doit pas dans un petit pays établir la surveillance de la police, parce que dans un pays restreint, tous les citoyens sont à même de se surveiller mutuellement. Ainsi s'exprimait Treilhard.
Je ne comprends donc pas cette aggravation de peine. Au lieu de (page 305) rester belge, on veut mettre notre législation en harmonie avec celle d'autres pays auxquels je ne veux pas que nous ressemblions.
Lorsqu'on a fait la loi communale, est-ce qu'on a pris pour modèle la loi municipale de la France ? Sont-ce les mêmes traditions ? Sont-ce les mêmes principes ? Est-ce que cet instinct de liberté, ces luttes communales qui ont illustré nos annales, ont existé en France avec le même caractère de grandeur ? Avez-vous eu en France cette énergie du peuple luttant sans cesse et luttant toujours pour maintenir ses franchises et ses droits ? Non ! En 1835, on est allé s'inspirer à nos sources nationales, à ces sources toujours pures et salutaires de l'histoire et l'on n'a pas fait fausse route, comme on le fait aujourd'hui.
Il est vrai que l'époque d'alors valait mieux que celle d'aujourd'hui. En 1835, la situation de l'Europe était plus favorable à la liberté. Les principes politiques qui dominaient alors n'étaient pas les mêmes que ceux qui dominent aujourd'hui. Eh bien, j'engage tous ceux qui, en Belgique, ont une parole qu'on écoute et ceux surtout qui dirigent les affaires du pays, je les engage à se soustraire à ce courant. Certes, il faut mettre de la circonspection dans nos relations avec l'étranger. Mais, lorsqu'il s'agit de ces choses qui ne sont pas internationales, qui ne touchent pas à l'équilibre européen, j'engage nos hommes d'Etat à s'efforcer à rester eux-mêmes, à rester Belges.
Je n'engagerai personne à commettre des imprudences. Je sais qu'il y a des positions difficiles. Je sais que vous ne pourriez pas, si vous le vouliez, changer la forme de votre gouvernement, parce que c'est une question européenne. Mais il y a des choses que l'Europe ne peut pas empêcher de faire. Tout ce qui concerne l'organisation de la justice, l'organisation communale, l'organisation de la charité, soulève des questions que vous pouvez résoudre d'après les principes politiques de votre pays. L'Europe n'a rien à y voir.
Messieurs, permettez-moi un dernier mot.
Je ne comprends pas le dédain avec lequel on a traité ce qu'on appelle le journalisme. Je comprends que lorsqu'une loi aggrave la position des hommes de la presse, lorsqu'elle traite les hommes de l'avenir, qui portent dans leurs mains le flambeau de la discussion et qui nous éclairent, je comprends, lorsque ces hommes usant de leur droit de citoyen, se livrent à des critiques, ces critiques blessent, et que le ministre s'en sente offensé. Mais qu'on n'attaque pas ici le journalisme.
N'est pas journaliste qui veut, et c'est ici un hommage que je veux rendre à la liberté de la presse et que rendraient mieux que moi, s'ils voulaient demander la parole, les hommes illustres qui siègent dans cette Chambre.
Tous les hommes politiques qui ont marqué depuis 1830 et qui ont attaché leur nom à nos institutions, sont sortis de la presse.
La presse est leur mère ; c'est la presse qui les a engendrés à la vie politique. Il faut que cette presse, dans une Chambre où il y a tant de journalistes, soit toujours traitée avec courtoisie.
M. le ministre de la justice s'est permis hier une violente agression contre moi. Je dois presque l'en remercier. J'ai eu moi un si vif sentiment de la justice que chaque fois que ce sentiment vient à être froissé, il m'arrive comme une sève nouvelle pour la lutte.
J'ai lutté contre plus fort que vous, M. le ministre de la justice, j'ai lutté contre des hommes qui avaient la foi, qui avaient des principes, un fanatisme ardent et une logique implacable ; j'ai été quelquefois attaqué, mais chaque fois que j'ai été attaqué injustement, chaque fois que je sentais en moi froissé, le sentiment de la justice, j'en ai éprouvé un redoublement.de force.
Je remercie M. le ministre de la justice, parce que, grâce à lui, je pourrai, avec le temps, et inspiré par vos exemples, messieurs, devenir pour l'honorable ministre de la justice un adversaire un peu plus sérieux.
M. Devaux. - Messieurs, comme d'autres honorables membres qui ont parlé dans cette discussion, je n'ai pas assisté aux premières séances de la session actuelle et je n'ai pas pris part aux votes des dispositions qui ont soulevé des réclamations en dehors de cette enceinte.
Si je prends la parole aujourd'hui, ce n'est pas pour blâmer mes honorables collègues de ce qu'ils ont fait en mon absence ; mais c’est plutôt pour déclarer que je n'éprouverais aucune répugnance à prendre ma part de responsabilité de ce qui s'est fait.
Je ne suis nullement touché des objections qu'on a élevées contre l'article 150. Ou il faut interdire les cérémonies du culte en dehors des temples ou il faut les protéger contre le désordre et contre des outrages dont le désordre doit être la conséquence inévitable. On a parlé à ce sujet de la loi de la restauration française contre les sacrilèges. Je rougirais, messieurs, de faire partie d'une majorité qui pourrait songer seulement à voter des dispositions qui mériteraient d'être rapprochées d'uue pareille loi.
On a oublié sans doute ce qu'était la loi du sacrilège. Elle déclarait sacrilège la profanation des vases sacrés et des hosties consacrées. Commis publiquement, le sacrilège était puni de mort. Il l'était des travaux forcés à perpétuité, alors même qu'il n'avait pas eu de publicité. C'était une loi d'intolérance, où le législateur, prenant parti pour le dogme, punissait le péché et non le délit, et proportionnait la peine à la gravité que le fait devait avoir non aux yeux de la loi, mais aux yeux de la religion.
La disposition que vous avez votée au contraire, est une loi de tolérance qui n'a d'autre but que d'empêcher les citoyens d'être troublés dans l'exercice de leur culte quel qu'il, soit de leur prescrire la tolérance mutuelle et les égards qu'ils se doivent les uns aux autres dans la pratique de leurs libertés.
J'approuve également les dispositions qui font une différence entre les délits des particuliers et ceux que les ministres des cultes peuvent commettre dans l'exercice de leurs fonctions ; et en cela je n'établis pas de règle particulière aux ministres des cultes. J'adopte une règle générale qui existe dans toutes les législations pénales ; c'est-à-dire que les abus d’autorité sont punis et d'autant plus punis que l'autorité qu'on exerce est plus grande.
C'est ainsi que le maître d'école est puni lorsqu'il abuse de son autorité envers ses élèves, pour leur faire commettre certains délits ; c'est ainsi que les maîtres sont punis lorsqu'ils abusent de leur autorité envers leurs domestiques ; c'est ainsi que les fabricants sont punis, quand ils excitent leurs ouvriers à commettre des délits, que le père lui-même est puni de l'usage coupable qu'il peut faire de son autorité sur ses enfants. Ce sont là des règles communes, une législation normale et non extraordinaire.
Au reste, messieurs, les principes qui concernent les délits des ministres des cultes et toute cette partie de notre législation pénale, nous pourrons y revenir d'une manière plus précise, lorsque nous en serons arrivés à ce chapitre du titre que nous venons d'aborder, qui traite des délits des ministres des cultes dans l'exercice de leurs fonctions.
J'en viens aux dispositions déjà votées, qui concernent la presse.
Il me semble que les critiques s'adressent particulièrement à une seule d'entre elles. J'ai cru, en effet, que s'il s'agissait seulement de punir les attaques contre les pouvoirs constitutionnels des Chambres, contre les pouvoirs constitutionnels du Roi et de sa dynastie, contre la force obligatoire des lois, on ne trouverait pas exagérée la peine de cinq ans d'emprisonnement qui est prononcée par le projet.
Mais ce qu'on blâme particulièrement, c'est le maximum auquel peut atteindre la peine qui punit le délit envers le Roi.
Messieurs, je ne dis pas que tout ce qui a été voté fût d'une nécessité absolue, je ne dis pas qu'il soit prouvé mathématiquement qu'il fallût un maximum de 5 années d'emprisonnement, plutôt que 4, plutôt que 6.
Je conçois parfaitement la divergence des opinions sur de pareilles questions, mais je dois ajouter que je ne conçois aucun article du Code pénal qui soit à l'abri de semblables observations.
Je ne pense pas que, pour aucun des articles déjà votés, il soit déterminé d'une manière absolue, certaine, qu'il faille, pour tel crime, 3 ans d'emprisonnement plutôt que 4, 4 plutôt que 5.
Mais ce que j'affirme, c'est que ce qu'on a voté n'a rien d'exorbitant, rien d'énorme, rien qui doive exciter des alarmes ni mériter des reproches à ceux qui l'ont adopté.
Je dis d'abord que la liberté de la presse est hors de cause, et j'entends par liberté de la presse la liberté vraie, la liberté utile, non pas une liberté factieuse, hostile aux bases de nos institutions, comme à celles de la société.
Quelle est l'utilité pratique de la presse ? C'est le contrôle des actes de tous les pouvoirs responsables. Or, aucun des faits qu'atteignent les articles déjà votés ne rentre dans ce contrôle.
Je demande en quoi le contrôle des actes du pouvoir sera entravé parce qu'il ne sera pas permis d'offenser le Roi, d'attaquer la force obligatoire des lois, d'attaquer les pouvoirs constitutionnels du Roi et de sa dynastie, d'attaquer les pouvoirs constitutionnels des Chambres. C'est là une sphère toute différente de celle dans laquelle la presse se meut légitimement et utilement et au sein de laquelle son action doit être libre.
Me dira-t-on que la loi peut être mal appliquée ; qu'on pourra l'étendre à des faits que vous n'avez pas voulu atteindre ?
Si vous supposez la loi mal appliquée, alors ne vous plaignez pas seulement des articles votés ; repoussez toute espèce de législation pénale pour la presse, car il ne faut certainement pas un maximum de 5 ans d'emprisonnement, il ne faut pas la surveillance de la police et l'interdiction pour tuer la presse.
La peine de trois ans d'emprisonnement y suffirait bien ; avec moins que cela, avec deux années de prison ou même une année appliquée à tort et à travers, on arriverait au même résultat.
De deux choses l'une : ou vous avez confiance dans vos tribunaux, et certes il n'en est pas en Europe qui méritent plus la confiance publique, et alors les dispositions que vous avez votées n'auront d'effet qu'en dehors de la sphère utile de la liberté de la presse, ou bien vous n'avez pas confiance dans vos tribunaux et alors ce n'est pas contre la loi actuelle qu'il faut réclamer, mais contre toute espèce de pénalité.
On a parlé encore aujourd'hui des lois françaises, qu'on désignait sous le nom de lois de septembre. Ces lois, en effet, ont rencontré une vive opposition en France ; mais qu'ont-elles de commun avec celle dont il s'agit en ce moment ?
Les lois de septembre admettaient un emprisonnement de 20 années, avec la dégradation civique, et nous en sommes à un maximum de cinq ans ! Pouvez-vous comparer deux pénalités, dont l'une est quatre fois plus sévère que l'autre ?
Si vous voulez rapprocher les dispositions adoptées par la Chambre, d'une loi étrangère, c'est avec la loi française de 4832 qu'il faut la mettre en parallèle, car la disposition qu'en blâme se retrouve tout entière (page 306) et presque littéralement dans cette loi qui est le nouveau Code pénal révisé de France. Une disposition de ce Code dit, en effet, que toute offense publique envers le Roi est punie d'un emprisonnement dont le minimum n'est pas de trois mois comme chez nous, mais de 6 mois, et le maximum de 5 ans avec une amende qui s'élève jusqu'à 10,000 francs, interdiction de tout ou partie des droits civiques, et en vertu d'une autre disposition du même Code, renvoi, non pas facultatif comme chez nous, mais obligé, sons la surveillance de la police.
Cette disposition ne faisait pas partie originairement du projet de loi présenté par le gouvernement français. Ce fut la chambre des pairs qui l'introduisit, sur le rapport de sa commission. Pas un seul pair ne s'y opposa. Et quand les modifications introduites par la chambre des pairs retournèrent à la chambre des députés ; le rapport fait par M. Dumon approuva formellement cette disposition, et pas une seule voix ne s'éleva dans cette chambre polir la combattre ; les modifications introduites par la chambre des pairs dans le Code tout entier furent adoptées par 252 voix contre 4.
Messieurs, à cette époque, on en était, en France, au lendemain d'une révolution, faite en quelque sorte pour la liberté de la presse et dans laquelle les écrivains eux-mêmes avaient joué un grand rôle. Dans cette chambre de 1832 siégeaient toutes les illustrations de la presse politique, tous ces écrivains éminents, qui avaient si énergiquement défendu depuis tant d'années les libertés publiques de la France et surtout la liberté d'écrire. Et en présence de cette même disposition que vous appelez draconienne, dans laquelle vous voyez la mort de la presse libre, toutes ces bouches se turent, pas un de ces esprits si distingués ne reconnut le danger, tous vinrent porter à l'urne leur boule blanche. A elle seule messieurs, une semblable autorité ne suffit-elle pas pour convaincre d'une incroyable exagération les critiques que nous avons entendues depuis quelque temps ?
Mais, dit-on, nous avions notre législation sur la presse, pourquoi la changer ? Messieurs, je ferais la même question, si le gouvernement dans une intention politique était venu nous présenter une loi spéciale pour changer la législation sur la presse.
Mais ce n'est pas un caprice du gouvernement, c'est la Constitution elle-même qui nous impose l'obligation de réviser le Code pénal. Si nous faisons un nouveau Code des délits et des peines, ne faut-il pas y comprendre les délits de la presse et les peines qu'ils encourent, et si nous introduisons cette partie de la législation dans le Code, ne sommes-nous pas obligés de la mettre en harmonie avec les dispositions qui figurent à côté d'elle ? Ne faut-il pas que nous la soumettions aux exigences d'un travail législatif de ce genre ?
Quand on fait une loi spéciale, une loi de circonstance, elle peut se défaire aussi facilement qu'elle se fait, car elle n'a pas de lieu avec les autres lois. Mais quand vous faites un Code, toutes les parties en doivent être en rapport les unes avec les autres ; un Code ne se défait pas comme une loi isolée. Il est fait pour durer 50 ans, un siècle et davantage. Une loi temporaire peut ne se préoccuper que des besoins actuels. Un Code doit porter la prévoyance plus loin et ne pas regarder comme impossibles des circonstances fort différentes de celles où l'on se trouve. C'est pourquoi alors surtout qu'il s'agit de la politique, dont les éléments sont mobiles, si vous transportez nue loi temporaire dans un Code, il faudra prévoir les circonstances qui réclameront ou une plus grande indulgence ou une plus grande sévérité que le temps actuel.
On disait hier : Nous avons passé par tontes les phases difficiles, nous avons traversé 1848 et la loi a prouvé qu'elle suffisait à tous les temps. Non, messieurs, nous n'avons pas tout traversé. Il reste encore bien des épreuves que nous n'avons pas subies. Connaissons-nous par exemple celle de la guerre civile, avons-nous vu l'ennemi en armes sur notre frontière ou envahissant l'intérieur du pays ?
Nous nous trouvons heureusement dans un pays où grâce à la confiance que méritent le jury et les tribunaux, on peut leur laisser assez de latitude pour parer à tous les besoins ; nous le pouvons surtout en matière de presse, car remarquez-le bien, ce maximum de 5 ans dont on a effrayé est si peu à redouter que depuis 27 ans les tribunaux n'ont pas ait une seule fois usage du maximum de 3 ans.
La codification des lois a d'autres nécessités encore, c'est d'établir une harmonie plus rigoureuse, des proportions plus exactes qu'il n'en existe entre des lois séparées. Il ne faut pas entreprendre un code, si c'est pour que les délits plus graves y soient moins punis que d'autres, qui attestent un degré de perversité plus grand ou qui sont plus funestes à la société. Ne croyez pas que cette nécessité de graduer les peines, d'établir une corrélation entre les diverses parties d'un Code n'exercera pas une faible influence sur la détermination de certaines pénalités.
Très souvent dans une législation pénale, la pénalité appliquée à un délit dépend de celle qui atteint un délit plus grave ou moins grave de la même catégorie.
Aussi lorsque vous isolez un crime ou un délit, est-ce une question très embarrassante que celle de savoir quel est le point précis où la peine doit s'arrêter.
Prenez une espèce de vol qui sera punie de trois années d’emprisonnement au maximum détachez-la de tout autre délit du même genre. Comment déciderez-vous si on a raison de fixer ce maximum à trois ans plutôt qu’à deux ou à quatre ? Il pourra y avoir là-dessus des avis fort différents, mais dont l'un ne sera pas plus rigoureusement fondé que l'autre. Comment le législateur arrive-t-il à résoudre ces questions ? C'est en comparant les divers délits qui ont des rapports entre eux, en les classant d'après leur gravité et en y appliquant une échelle pénale qui en suive la proportion.
On établira d'abord une peine suffisante pour le vol qui doit être le moins puni et de degré en degré on s'élèvera jusqu'à celui qui doit l'être le plus.
Isolez un anneau de cette chaîne, séparez un seul délit des autres et il vous est impossible de dire pourquoi on le punit d'un maximum de deux ans plutôt que de 18 mois, ou de 18 mois plutôt que d'un an.
Comme le disait avec raison M. le ministre de la justice, la question du maximum que doit atteindre la peine des délits de la presse est une question de système, vous ne pouvez la juger qu'en embrassant le système complet de la commission. Je ne sais pas si les honorables MM. Savart et De Fré s'en doutent, mais toutes les objections qu'ils font contre les cinq années d'emprisonnement, on peut les faire contre les 3 années de la loi de 1831. Si quelqu'un se levait dans cette enceinte pour soutenir qu'il ne faut pas aller au-delà de deux ans, il pourrait également traiter de draconiens et de barbares ceux qui en veulent trois.
Pourquoi, dirait-il, maintenir une pénalité d'une rigueur inutile, puisqu'elle n'a jamais été appliquée depuis 28 ans ? N'avons-nous pas traversé 1848 sans qu'on en ait fait usage ? Ne suffit-il pas de deux ans de prison cellulaire, de 2 ans de tombeau anticipé, pour étouffer les facultés intellectuelles de nos écrivains ? Et si l'on objectait qu'on s'en tient à la peine de trois ans parce qu'elle existe, on répondrait que nous révisons précisément nos lois pénales dans ce moment pour adoucir les lois trop rigoureuses et non pour maintenir leurs défauts par respect pour leur ancienneté.
Trois années d'emprisonnement pas plus que cinq ne peuvent donc ici se justifier que par l'ensemble de l'échelle pénale appliquée aux divers délits de la presse.
Or quel est l'ensemble de ce système dans le travail de la commission qui s'est occupée depuis tant d'années de la révision de nos lois pénales ? De quelle maniée a-t-elle gradué les divers délits de la presse dont il s'agit ici, et y a-t-elle proportionné des peines !
Pour retrouver son échelle pénale dans son entier, il faut examiner des parties de son projet de Code que nous n'avons pas encore discutés. C'est dans les articles qui ont rapport à l'injure et à la calomnie combinés avec les dispositions dont nous nous sommes déjà occupés qu'on en retrouve les divers éléments. En voici pour ainsi dire les différents échelons ; le maximum de la peine d'emprisonnement pour l'injure envers les particuliers par la voie de la presse est de 6 mois ; pour l'injure envers les fonctionnaires et les corps constitués, elle est d'un an. Pour la calomnie envers les particuliers, 2 ans ; pour la calomnie envers les fonctionnaires et les corps constitués, 3 ans.
Arrivé là, et ayant à punir l'offense, qui comprend à la fois l'injure la calomnie, envers celui dont l'inviolabilité est protégée d'une manière tonte particulière par la Constitution et forme en quelque sorte une des principales bases de notre régime constitutionnel, car la responsabilité ministérielle en est le corollaire, est-il étonnant que la commission soit sortie du maximum de 3 ans et n'est-il pas indispensable que le Roi, que la Constitution couvre d'une protection toute particulière, soit garanti dans son inviolabilité plus que ne l'est le plus humble agent de l'administration ?
Evidemment, si vous admettez l'échelle de la commission, vous ne pouvez pas tester dans le maximum fixé par la loi de 1831. L'inviolabilité du roi doit avoir dans la loi une garantie plus forte que celle des fonctionnaires dont il est permis et utile de contrôler les actes.
Cela vous démontre, messieurs, comme l'a dit M. le ministre de la justice, que la justification des mesures adoptées se trouve dans l'ensemble d'un système, et que ce n'est pas une intention politique qui a dicté ce changement.
Voilà pourquoi vous ne trouvez pas de motif politique dans cette partie du rapport de la commission de révision.
On a été guidé par des règles générales en vertu desquelles des délits plus graves doivent entraîner plus de rigueur dans la peine.
Maintenant, messieurs, et cette observation a de quoi satisfaire tout le monde, nous n'avons jusqu'à présent adopté qu'un échelon du système, il nous reste à examiner encore tous les autres.
Il est évident pour moi, que si vous admettez l'échelle de pénalité proposée par la commission dans les degrés inférieurs, vous ne pouvez pas vous arrêter, pour protéger l'inviolabilité royale, au maximum fixé par la loi de 1831. Reste donc à examiner si l'échelle proposée dans les degrés inférieurs peut être admise ; c'est un point sujet à controverse ; moi-même je ne veux pas enchaîner mon opinion sons ce rapport, mais si vous pensez que l'échelle proposée par la commission doive être abaissée dans les degrés inférieurs, alors il y aura à examiner, par une conséquence naturelle, si cet abaissement ne doit pas entraîner aussi celui de l'échelon supérieur qui nous a seul occupés jusqu'à présent. C'est une question que notre règlement nous permet d’aborder au second vote, puisqu’il est permis de changer même les articles qui n’ont pas été amendés au premier, lorsque ce changement est motivé par les amendements introduits.
(page 307) M. De Fré. - Ce serait sage !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela prouve que les critiques ne sont pas fondées.
M. Savart. - Je demande la parole.
M. Devaux. - Mais, je le répète, si vous admettez comme point de départ, les premiers degrés de l'échelle proposée par la commission, il est impossible de méconnaître qu'il fallait sortir du maximum fixé par la loi de 1831.
En résumé, donc, je pense qu'il n'y a rien, dans ce qui a été voté, qui menace réellement la liberté de la presse. Dire que la liberté de la presse est perdue si ces dispositions sont mises en vigueur, c'est le dernier degré de l'exagération.
Alors même qu'on appliquerait la loi dans toute sa rigueur, la condition de la presse serait la même qu'aujourd'hui. Mais je dis aussi que nous aurons à vérifier ultérieurement si nous admettons le système de la commission dans toutes ses parties ou s'il faut le modifier dans certaines de ses dispositions. Et dans ce dernier cas, il restera à examiner quelle doit être, au second vote, l'influence de ces modifications nouvelles sur d'autres dispositions.
En Belgique, souvent les choses dont on fait beaucoup de bruit se terminent fort simplement ; il pourra encore en être ainsi cette fois, car les réclamations justes sont toujours sûres de se faire écouler ; mais il est bon que celles qui sont irréfléchies ou exagérées soient combattues aussi. C'est ce que j'ai tâché de faire en ce moment.
M. Savart. - La Chambre étant déjà fatiguée de cette longue discussion, je ne répondrai que peu de mots à l'honorable M. Devaux.
Pourquoi sont édictées les peines ?
Pour arrêter les délits. Du moment que la crainte du châtiment arrête les délits, le but est atteint. Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin.
Une échelle des peines, calculée avec une précision mathématique, es4 une considération secondaire.
M. Devaux nous a placé sous les yeux l'échelle par lui imaginée.
Quand on calomnie un particulier, dit-il, nous avons prononcé deux ans d'emprisonnement ; quand on calomnie un fonctionnaire, trois. Lorsqu'il s'agit du chef de l'Etat, on doit monter d'un degré, il faut prononcer cinq années.
Je répondrai à l'honorable M. Devaux : Cette échelle à laquelle vous tenez tant n'est pas brisée en laissant le maximum de l'article 132 à trois années puisqu'il s'y joint d'autres peines qui aggraveront ce châtiment.
M. Devaux prétend que peut-être la loi de 1847, lois péciale, aurait été insuffisante dans des moments difficiles.
Qu'elle n'a pas subi foutes les épreuves.
Que nous n'avons pas eu une armée menaçante à nos frontières.
Que nous n'avons pas eu la guerre civile.
C'est une erreur de fait.
Nous avons eu plus qu'une armée à nos frontières.
Nous avons eu l'ennemi à l'intérieur ; il a fallu le chasser par la force des armes.
Nous avons eu la guerre civile puisque des Belges ont été condamnés du chef d'avoir excité la guerre civile dans le pays.
Il serait difficile d’imaginer une position plus pleine de périls que celle qui nous fut faite par les événements de 1848, et il est permis de penser qu'une loi qui a été suffisante à cette époque le sera toujours.
M. Devaux allègue qu'on pourrait demander la réduction du maximum de deux ans à un an. Nous aurions alors à répondre que l'épreuve du maximum de trois ans a été faite.
Que nous y tenons parce que les résultats sont connus.
La réduction à un an n'a pas été expérimentée, et il serait peut-être imprudent de se hasarder dans l'inconnu.
Retournant contre M. Devaux son argument, je lui dirai qu'on pourrait aussi soutenir que par le maximum de cinq ans, les proportions de l'échelle des peines ne sont pas conservées.
Le chef de l'Etat, peut-on dire, est placé si haut au-dessus d'un simple fonctionnaire, que deux ans de prison de plus lorsqu'il s'agit d'un personnage auguste, sont en disproportion avec la gravité du délit. Mettez donc trente ans.
Reléguons donc au second rang cette idée d'avoir dans l'échelle des peines une précision irréprochable.
Parvenons à empêcher les délits.
Du moment que les moyens employés ont réussi, n'en cherchons pas d'autres.
Arrêtons-nous au résultat pratique.
M. Dolez. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de présider la commission spéciale chargée par la Chambre d'examiner le projet de Code pénal qui fait, en ce moment, l'objet de vos délibérations. Je dois, à ce titre, remercier M. le ministre de la justice et l'honorable M. Devaux d'avoir défendu le travail du gouvernement et celui de la commission contre les accusations passionnées dont il a été depuis quelque temps l'objet. J'ai la ferme conviction qu'un jour viendra où justice sera rendue pleine et entière à cet important travail ; qu'un jour viendra où il sera proclamé comme l'honneur de la législature qui l'aura édicté. Alors, messieurs, il me sera permis de reporter sur les savants magistrats, sur les savants professeurs, sur le gouvernement qui ont préparé ce projet, sur mes honorables collègues qui ont rempli d'une manière si distinguée les fonctions de rapporteur, les éloges qui s'adresseront à notre œuvre.
Aujourd'hui qu'il ne s'agit que des critiques et des accusations, j'éprouve le besoin de revendiquer ma part de responsabilité. Cette responsabilité, je l'accepte tout entière. Je ne veux pas en décliner ni en atténuer la moindre part sous n'importe quelle cause, sous n'importe quel prétexte. Je n'ai d'ailleurs pas grand mérite à eu, agir ainsi, car cette responsabilité est, pour ma conscience, essentiellement légère.
Pour la rassurer, il me suffit de rappeler les sentiments qui animaient tous les membres de la commission, au moment où ils se livraient à ce travail si sérieux, si important, si difficile. Pendant les nombreuses séances que nous lui avons consacrées, j'aime à le dire à l'honneur de tous mes collègues, il ne s'est pas élevé, au milieu de nous, une seule pensée politique. L'intérêt social que nous avions à régler nous a seul inspirés, nous a seul servi de guide.
Est-ce que maintenant, dans la recherche de ce qu'il importait de faire, nous sommes toujours parvenus à atteindre cette perfection qui formait l'objet des vœux de l'honorable M. Savart dans les paroles qu'il frasait entendre hier ? Je n’ai ni pour mes honorables collègues, ni pour moi, l'outrecuidance de le prétendre. Je crois, au contraire, qu'un travail aussi difficile, aussi long, composé d'éléments divers, entre lesquels il faut maintenir une juste harmonie, ne peut pas être parfait à un premier examen, d'un premier jet ; et c'est ce qui faisait que naguère encore j'exprimais à mes collègues, au sein de la commission, l'opinion qu'il importait que la commission qui est encore en ce moment saisie de l'ensemble du projet, qui, par suite de renvois d'articles prononcés par vous, a à revoir différentes parties du projet, et qui, par conséquent, aura à en harmoniser l'ensemble, se considérât comme étant encore saisie du projet tout entier.
Telle est ma conviction profonde. Aussi dans ce débat, soyez-en bien convaincus, ne me passionnant ni pour une doctrine ni pour une autre, ma sollicitude, mon attention ont-elles toujours été portées vers la recherche de ce qu'il importait de faire, de ce qu'il était utile d'établir d'une manière définitive dans l'intérêt de notre pays, pour le doter d'un Code pénal en harmonie avec ses mœurs, avec sa profonde moralité.
Quel sera le résultat des délibérations ultérieures de la commission ? Il ne m'appartient pas de le préjuger. Mais ce qu'il m'appartient de dire, c'est que j'ai la ferme conviction que si, dans cet examen ultérieur, nous reconnaissons qu'il y a lieu de faire à la chambre quelque proposition nouvelle, même relativement à des articles déjà votés par elle, la commission viendrait vous présenter ces modifications ; elle le ferait, sans croire pour cela porter atteinte à sa dignité ni à la dignité de la Chambre. Dans un travail aussi important, aussi grave, nous ne devons apporter ni amour-propre personnel ni esprit de parti. Il y a là un intérêt beaucoup plus élevé que celui de l'esprit de parti.
Que les esprits qui auraient conçu quelque crainte se rassurent donc, Qu'ils soient convaincus que la commission, que la Chambre entière veille et qu'elle veillera jusqu'au bout à tous les intérêts qui sont dignes d'être sauvegardés.
Je crois donc que la Chambre agirait sagement en continuant l'examen de la partie du Code qui n'a pas fait l'objet de ses délibérations et en s'en remettant à la prudence de la commission pour les propositions qu'elle aurait à lui faire, propositions sur lesquelles la Chambre avisera dans sa sagesse.
- Plusieurs membres. - Très bien ! très bien !
M. B. Dumortier. - Messieurs, depuis plusieurs jours que la discussion est engagée sur la révision du Code pénal, j'ai beaucoup médité sur les discours qui ont été prononcés et sur les faits qui ont été révélés dans cette Chambre.
Or, il est un fait qui m'a frappé ; c'est que, dans la rédaction primitive du Code pénal (je mets ici les personnes en dehors) on ne s'est pas assez pénétré des libertés constitutionnelles et des prescriptions de la Constitution. Je crois qu'on s'est laissé beaucoup trop entraîner vers le Code pénal de 1810, vers les lois étrangères, sans tenir compte des nécessités du pays et de nos mœurs nationales, sans tenir compte des libertés constitutionnelles telles que le Congrès les avait établies.
On vous a parlé, messieurs, des dispositions relatives à la presse, je n'insiste pas sur ce qui a été dit. J'étais précisément hors de Bruxelles, lorsque ces dispositions ont été votées. Mais je dois, le dire, je suis un de ceux qui ont soutenu le plus énergiquement la loi présentée en 1847. Cette loi, je l'ai appuyée de ma parole, je l'ai soutenue de mon vote.
Aujourd'hui j'entends s'élever de vives réclamations contre les nouvelles dispositions que vous avez votées ; je n'ai pas à examiner si ces réclamations sont fondées ou non ; mais il me semble, avec l'honorable M. Savart, et sauf meilleur avis que, puisque la loi de 1847 avait été efficace, on aurait dû se maintenir dans les limites de cette loi.
Au surplus je le répète, je ne veux pas examiner cette question. Je me suis principalement occupé de la question soulevée pour les articles 14 et 16 de la Constitution, celle des dispositions pénales au sujet des ministres des cultes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La discussion reviendra à propos des articles. Le Sénat attend le budget des affaires étrangères.
(page 308) M. B. Dumortier. - Je ne tiendrai pas longtemps la Chambre ; je veux seulement, au nom de mes amis, faire quelques réserves. Si l'honorable M. Moncheur, qui appartient aux mêmes bancs que moi, vous le savez, n'avait pas pris la défense des propositions qui vous sont soumises, j'aurais attendu la discussion ; mais je dois le dire, il m'est impossible de laisser passer les doctrines qu'il vous a exposées sans faire quelques réserves, afin que le pays ne se trompe pas sur nos intentions.
L'honorable M. Moncheur est venu prétendre vous donner l'esprit du Congrès dans les citations qu'il a faites au sujet des articles 14 et 16 de la Constitution. Je me suis empressé de revoir toute la discussion du Congrès sur ces articles et j'y ai trouvé tout le contraire de ce que l'honorable M. Moncheur a prétendu y trouver. J'ai ici un long extrait que je ne lirai pas pour le présent à l'assemblée, et cet extrait prouve tout le contraire de ce qu'a soutenu l'honorable membre. Divisé sur la question du culte extérieur, le Congrès était unanime pour laisser la liberté illimitée dans l'intérieur des temples, sans autre restriction que celle du droit commun, des lois ordinaires.
J'ai entendu l'honorable M. Devaux assimiler la liberté des cultes à la liberté de la presse. C'est ainsi que cela s'est présenté dans toutes les séances du Congrès où il a été question des deux libertés, et les souvenirs de l'honorable M. Devaux me paraissent fidèles. On disait unanimement au Congrès que les trois libertés de la pensée, liberté de la presse, liberté des ciiftes, liberté d'instruction, devaient être mises sur la même ligne, sans mesures préventives, sans lois d'exception.
Eh bien, je demande donc comment il est possible d'établir ici des lois d'exception contre les ministres des cultes, alors qu'on se rbien d'en établir contre la presse ?
Je ne pense pas que nous ayons le droit d'établir des lois d'exception ; je crois que ce fait serait absolument inconstitutionnel. Sans doute, vous avez le droit de punir les ministres des cultes, lorsqu'ils commettent des délits ; vous pouvez même appliquer des circonstances aggravantes à raison des fonctions et du lieu, mais ce que vous n'avez pas le droit de faire, c'est de créer des délits à volonté ; vous ne pouvez pas ériger en délit ce qui est autorisé par les lois chez tous les citoyens ; vous ne pouvez pas surtout faire un délit de ce qui est un droit constilutionne1. Ainsi la liberté de critiquer les actes du gouvernement est de l'essence de notre gouvernement, c'est la base du gouvernement représentatif.
Or, quand je vois le projet de Code péual ériger cette liberté en crime et comminer un emprisonnement de trois mois à un au contre le ministre des cultes qui, dans l'exercice de son ministère et en assemblée publique, aura critiqué, censuré ou attaqué le gouvernement ou tout acte de l'autorité publique ; quand je vois ce projet établir un emprisonnement d'un an à cinq ans contre un évêque qui, dans une instruction pastorale aura critiqué, censuré ou attaqué le gouvernement ou tout acte de l'autorité publique, je dis qu'il érige en délit ce qui est permis à tous les citoyens, ce qui est l'exercice d'un droit constitutionnel que nous n'avons le pouvoir d'interdire à qui que ce soit, et que c'est là un attentat à la Constitution. Et ici je dirai, avec l'honorable M. De Fré, que ce n'est pas en France que nous devons chercher nos modèles de législation : ce n'est pas surtout en France, sous le régime impérial.
A l'époque de la promulgation du Code pénal de 1810, la France était sous le régime de l'absolutisme. Alors Napoléon pouvait dire : L'Etat, c'est moi ! et le gouvernement était l'émanation de sa puissance ; le gouvernement, c'était l'empereur. Mais, grâce à Dieu, nous ne vivons pas sous un semblable régime ; nous vivons sous un gouvernement représentatif.
Or, dans un gouvernement représentatif, le ministère, qui constitue le gouvernement, est responsable devant la nation ; il ne peut plus dire : L'Etat c'est moi. Tout citoyen peut critiquer, censurer, attaquer ses actes, sauf la répression ordinaire Donc, les dispositions du Code impérial ne sont plus applicables à notre état actuel, parce que notre gouvernement ne représente plus le gouvernement de 1810.
M. Vander Stichelen. - Il y a eu, en France, une révision du Code en 1852.
M. B. Dumortier. - Nous ne sommes pas en France ; nous sommes en Belgique ; le mutisme n'existe pas chez nous et on ne peut l'y établir.
En Belgique, nous vivons sous un régime constitutionnel, c'est-à-dire la responsabilité ministérielle devant les Chambres et devant le pays. Je demande si, en présence de ce régime constitutionnel qui repose sur la responsabilité ministérielle, la libre discussion, le libre examen, la liberté pour chacun de dire ce qu'il pense, en toute circonstance, sur les actes du gouvernement, je demande s'il est permis de faire une catégorie à part d'une classe de citoyens, de lui interdire l'exercice d'un droit constitutionnel et de dire à cette classe de citoyens : Vous serez passibles de six mois à trois ans de prison si vous dites ce que vous pensez du gouvernement.
- Une voix. - C'est en chaire.
M. B. Dumortier. - Eh bien, en chaire, soit. Mais il n'y a pas seulement les ministres du culte qui parlent en chaire, il y en a d'autres qui parlent eu chaire, et avec l'autorité que leur donne leur position. Les professeurs comme les ministres du culte sont en chaire.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Là, la discussion est permise.
M. B. Dumortier. - La discussion permise ! Mais votre appariteur mettrait joliment à la porte celui qui se permettrait de contredire le professeur. Il ferait exactement comme le bedeau de la paroisse. La position est done identique.
Or, je suppose que le Code pénal présente un article ainsi formulé :
« Les professeurs qui dans des discours prononcés dans l'exercice de leurs fonctions et en chaire auront attaqué le gouvernement ou tout acte de l'autorité publique, seront condamnés à trois ans de prison. »
Je vous le demande, messieurs, y aurait-il un homme sensé qui voulût voter cela ? Vous diriez : C'est une loi de mutisme, c'est une violation de l'article 14 de la Constitution.
Cependant beaucoup de professeurs sont rétribués par l'Etat ; ils sont fonctionnaires publics, ils parlent ex cathedra et de plus ils sont nommés par le gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qui peut les destituer.
M. B. Dumortier. - Oui, il peut les destituer, mais la destitution n'entraîne pas la prison, heureusement pour ceux qui en sont l'objet.
Eh bien, messieurs, je vous le demande, si une pareille mesure vous était proposée contre les professeurs, que diriez-vous ? Mais il n'y aurait pas une voix dans cette enceinte pour accepter un tel système.
M. le ministre des finances vient de dire que les professeurs peuvent être destitués ; mais il est un ordre de fonctionnaires que la destitution ne peut atteindre, la magistrature judiciaire. On a souvent dit que la magistrature est un sacerdoce ; en effet, de même que le sacerdoce religieux est établi pour faire régner par la persuasion les lois éternelles de la vérité et de la justice, de même la magistrature les fait régner par la force légale. Or, je suppose qu'on applique votre loi à la magistrature et qu'on dise :
« Les magistrats qui prononceront dans l'exercice de leurs fonctions et en assemblée publique des arrêts contenant la critique ou la censure du gouvernement ou tout acte de l'autorité publique, seront condamnés à un emprisonnement d'un à cinq ans. »
Voilà les dispositions du Code pénal contre le sacerdoce religieux appliquées au sacerdoce judiciaire. Maintenant, messieurs, je vous le demande, si une pareille disposition vous était présentée, que dirait la magistrature, que diriez-vous ? Vous n'auriez pas assez de sifflets pour huer une disposition aussi despotique, aussi attentatoire à la liberté du sacerdoce judiciaire, et vous auriez raison. Mais poursuivons les exemples ; ils rendront sensible l'inconstitutionnalité du projet du Code pénal.
L'honorable M. Devaux disait tout à l'heure : La liberté de la presse et la liberté des cultes sont deux sœurs ; nous voulons appliquer aux mandements des évêques ce que nous appliquons à la presse. Eh bien, pour prouver l'erreur de l'honorable membre, je suppose qu'on vienne présenter dans le Code pénal contre la presse un article dans les mêmes termes que celui qui s'y trouve contre les mandements et conçu en ces termes :
« Les journalistes qui, dans leurs écrits, en quelque forme que ce soit, auront critiqué, censuré ou attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l'autorité publique, seront condamnés à un emprisonnement d'un an à cinq ans, et de plus à une amende de 200 francs à 1,000 francs. »
Si une telle disposition vous était présentée, que diriez-vous ? Ce que vous diriez, c'est que ce serait une loi de mutisme, une loi indigne d'un peuple libre. Je vous le demande, y a-t-il une seule personne qui voulût voter une pareille disposition ? Et pourtant dans les mandements comme dans la presse, il s'agit de la libre expression de la pensée, de la liberté des opinions en toute matière que la Constitution a rattachée à la liberté des cultes.
Vous le voyez donc, messieurs, c'est une loi d'exception que l'on vous propose ; c'est une loi qui n'est applicable qu'à une catégorie de citoyens et à celle-là même à laquelle la Constitution a rattaché la liberté des opinions en toutes matières.
J'appelle sérieusement, très sérieusement l'attention du gouvernement sur ce point.
Il est évident que la pensée du Congrès n'a pas été de permettre que l'on fît des lois d'exception. Dans la pensée du Congrès, la loi doit être commune à tous, et cette vérité a été proclamée par l'honorable M. Devaux, par l'honorable M. Lebeau, par l'honorable M. de Muelenaere, par l'honorable M. de Theux et par beaucoup d'autres membres du Congrès.
Loin de moi la pensée de vouloir accorder l'impunité aux ministres des cultes. Si les ministres des cultes, dans l'exercice de leurs fonctions, se permettent des délits prévus par les lois ordinaires, il faut les punir et les punir d'autant plus sévèrement que leur caractère est plus élevé, car vous avez le droit d'échelonner les peines suivant l'importance des personnes qui commettent les délits ; mais ce que vous n'avez pas le droit de faire, c'est d'ériger en délits, pour une certaine classe de citoyens, des faits qui ne sont pas un délit pour les autres citoyens, et non seulement qui ne sont pas un délit, mais qui sont l'exercice d'un droit constitutionnel, vous ne pouvez pas, sans violer d'une manière scandaleuse la Constitution, ériger en délit l'exercice d'un droit constitutionnel.
J'appelle sur ce point toute l'attention de la commission et de MM. les ministres.
(page 309) Je ne prolongerai pas davantage ce débat, mais j'ai cru devoir dire, en peu de mots, pour répondre, au nom d'un grand nombre de mes amis, aux observations de l'honorable M. Moncheur, afin que le pays ne puisse pas croire que nous les partageons quand il soit du droit commun.
Je me réserve, du reste, de développer plus amplement mon opinion quand nous en serons à la discussion des articles. Mais il est bon que le pays sache que nous repoussons ces lois de mutisme du régime impérial, lois auxquelles la libre Belgique ne se soumettra jamais.
M. Moncheur, rapporteur. - Messieurs, la Chambre étant pressée de clore cette discussion, je ne dirai qu'un mot. L'honorable M. Dumortier, avec qui je suis fâché de n'être pas tout à fait d'accord en cette circonstance, avait annoncé qu'il avait trouvé dans les discussions du Congrès tout le contraire de ce que je vous en ai rapporté ; mais je suis encore à en attendre la démonstration. J'espère qu'elle viendra.
M. B. Dumortier. - Certainement.
M. Moncheur. - En attendant, je maintiens, moi, que j'ai été parfaitement exact dans mes appréciations et dans toutes mes citations. Je crois avoir prouvé clairement que les discussions qui ont eu lieu au Congrès ont eu pour objet principal la question de savoir si la liberté de l'exercice même publicdu culte serait un droit constitutionnel ou bien, si une loi ordinaire pourrait, par la suite et pour des motifs d'ordre et de tranquillité publique, restreindre, en certains cas, ce droit, c'est-à-dire la publicité des exercices des cultes.
C'est là le véritable objet des discussions du Congrès sur cet article, qui consacre de la manière la plus large la liberté des cultes et celle de leur exercice public ; mais tout le monde a été d'accord sur la réserve que contient cet article même, à savoir que la loi réprimerait les délits qui pourraient être commis à l'occasion de l'usage de ces libertés.
Sans doute, l'usage légitime d'un droit constitutionnel ne peut donner lieu à la création d'un délit, mais la question est précisément de savoir jusqu'où peut aller l'usage légitime de ce droit par chacun, sans blesser les droits de tous.
. Quant à moi, en présence des inquiétudes que je voyais être nées à l’occasion du projet, en ce qui concerne la responsabilité des ministres des cultes, j'ai cru devoir dire, comme rapporteur de la commission, quelle est sa pensée sur cet objet.
J'ai donc dit que, selon son système et son projet, les ministres des cultes avaient dans l'exercice de leur ministère et prononçant des discours publiquement, en chaire, une complète liberté d'exprimer leur pensée tout entière sur tout ce qui faisait l'objet de l’enseignement moral et religieux, et sur tous les sujets auxquels les intérêts moraux et religieux étaient véritablement liés ; que sous ce rapport ils sont dans leur sphère naturelle et ne peuvent être gênés en rien dans le libre accomplissement de leurs devoirs ; mais j'ai ajouté qu'il entrait dans l'esprit du projet de loi que s'ils quittent le terrain des choses morales et religieuses et s'ils attaquent méchamment les lois, les autorités constituées ou leurs actes, ils peuvent alors tomber sous l'application de l'article 195.
Voilà, messieurs, le système de la loi.
Vous verrez si vous devez aller au-delà. Quant à moi, je ne le pense pas, et j'ai cru remplir mon devoir en exposant ce système en peu de mots.
J'espère, du reste, que quand nous serons à la discussion des articles, nous nous trouverons beaucoup plus rapprochés que nous ne le croyons.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai eu tort d'interrompre l'honorable M. Dumortier, d'autant plus que l'honorable membre a mal compris mon interruption. Il soutenait que le prêtre a le droit d'user de la liberté de la parole comme tout autre individu, et je disais qu'il a ce droit hors de l'église parce que là on peut lui répondre, parce que là on peut se défendre.
L'honorable membre m'a répondu par une plaisanterie qui a eu quelque succès, mais voici la question que je voulais lui poser :
Il peut arriver (cela s'est vu) que, revêtu de l'autorité religieuse le prêtre, du haut de la chaire, interpelle un magistrat qui se trouve dans l'église et lui dise : « Le bourgmestre un tel est un mauvais sujet » ; admettez-vous une peine spéciale pour un tel délit ?
M. B. Dumortier. - Une aggravation de peine.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous reconnaissez donc que le prêtre n'a pas un droit aussi absolu que vous semblez le croire. Eh bien, voilà la loi. (Interruption.) Et voici la question que je pose à l’honorable M. Dumortier :~ Dans le cas où un prêtre eu chaire dit au bourgmestre : « Vous êtes un mauvais sujet, un ivrogne ! » je. demande si, en vertu du même droit, le bourgmestre ne peut pas répondre au curé : « C'est vous, M. le curé, qui êtes un mauvais sujet, un ivrogne. »
Quant à moi, je pense que si le prêtre a le droit absolu d'insulter un magistrat dans l'église, ce magistrat, à son tour, a le droit de répondre au piètre sans encourir une autre peine.
M. H. Dumortier. - Vous vous escrimez contre des moulins à vent, nous sommes tous d'accord sur ce point.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous verrons cela quand viendra la discussion des articles, et quand nous en serons à la critique des actes de l'autorité.
M. B. Dumortier. - Messieurs, ma réponse à M. le ministre de l'intérieur sera très facile.
Si un prêtre, dans l'exercice de ses fonctions, commet un délit prévu par les lois ordinaires, le délit doit être puni, parce que le cas est prévu par le Code et qu'il est de législation ordinaire, que vous ne créez pas une législation exceptionnelle et que vous restez dans le droit commun. Vous avez même un droit plus grand encore, droit que je considère comme un devoir, c'est de tenir compte de la gravité des fonctions de la personne qui commet le délit ; vous avez donc ce droit, et j'approuve qu'on en use ; mais, je le répète, vous n'avez pas le droit d'ériger en crime, en délit, ce qui est un droit constitutionnel pour tous, ce qui n'est ni crime, ni délit pour personne, le droit d'exprimer ses opinions en toute matière garanti par la Constitution ; et je crois que sur ce terrain, il nous sera plus facile de nous entendre que ne semble le penser l'honorable M. Rogier.
- La discussion générale est close.
M. le président. - Il a été convenu que la discussion des articles serait postposée à la discussion et au vote du budget des affaires étrangères.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi ouvrant au département de l'intérieur un crédit de deux millions de francs pour mesures relatives à l'amélioration de la voirie vicinale et de l'hygiène publique.
- Impression, distribution et renvoi aux sections.
M. Allard. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif au contingent de l'armée.
- Impression et distribution.
M. Allard. - Je demande qu'on mette ce projet de loi à l'ordre du jour après la discussion du budget des affaires étrangères.
- Adopté.
M. Coppieters ’t Wallant. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi, tendant à autoriser le gouvernement à opérer un échange d'une parcelle appartenant à l'Etat contre une autre parcelle appartenant à la ville de Bruges.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - La parole est à M. J. Lebeau.
M. J. Lebeau. - M. le président, je n'ai pas pensé qu'on terminerait aujourd'hui la discussion qui était à l'ordre du jour ; je n'ai pas mes notes par devers moi ; je me réserve de prendre la parole demain, soit dans la discussion générale, si elle n'est pas close aujourd'hui, soit dans la discussion des articles.
M. Lelièvre. - Je prie M. le ministre des affaires étrangères de vouloir donner à la Chambre quelques explications sur certains objets, ressortissant à son département, qui me paraissent dignes de l'attention spéciale de la législature.
Le ministère précédent avait institué une commission chargée de la révision du Code de commerce actuellement en vigueur. Je désire savoir si les travaux de cette commission se poursuivent et si l'on peut espérer d'en voir les résultats soumis dans un bref délai à l'examen des Chambres législatives.
Je prie aussi M. le ministre de vouloir nous dire s'il se propose de s'occuper de régler, par des tarifs internationaux, l'exécution des contrats et des jugements rendus en Belgique et à l'étranger, question sur laquelle j'ai souvent appelé l'attention du gouvernement.
Il existe sous ce rapport une lacune regrettable dans la législation.
Les relations internationales sont entrées depuis quelques années dans une phase nouvelle.
Ci-devant les nations étrangères et leurs gouvernements étaient traités en ennemis, les peuples s'isolaient dans un égoïsme déplorable.
Aujourd'hui des relations bienveillantes se sont formées entre les différents gouvernements. Tous se prêtent un mutuel appui dans un intérêt commun.
C'est ainsi qu'au point de vue des intérêts commerciaux la politique ancienne a changé presque complétement de face, la liberté commerciale a fait des progrès qui ont dépassé toutes les espérances.
Le droit d'aubaine a été aboli et les étrangers ont été placés sur la même ligne que les régnicoles relativement au droit de succéder.
Les gouvernements étrangers ont été protégés d'une manière spéciale dans l'intérêt des relations amicales qu'il nous importe de conserver avec eux.
Une politique de bienveillance et de conciliation a succédé à une politique égoïste, et ses fruits sont généralement appréciés. Cet état de choses appelle des modifications profondes en ce qui (page 310) concerne l'exécution des actes notariés et des jugements rendus tant chez nous qu'à l'étranger.
Tous ces actes et jugements doivent, moyennant certaines formalités, avoir force exécutoire sans distinction de frontières, et l'arrêté du 9 septembre 1814 n'a plus rien de commun avec les institutions nouvelles.
Déjà la Belgique a donné l'exemple de cette politique libérale dans la loi hypothécaire du 16 décembre 1851.
Nous espérons qu'il sera suivi par les gouvernements voisins, et j'engage M. le ministre des affaires étrangères à ne rien négliger pour arriver à des résultats vivement désirables, qui doivent favoriser à un haut degré les intérêts publics et privés, qui sont l'objet de toute notre sollicitude.
Il s'agit de détruire les derniers vestiges d'anciens préjugés que la sagesse des peuples et des gouvernements doit à jamais faire disparaître.
M. Coomans. - Messieurs, je motiverai eu deux mots le vote que j'émettrai sur le budget des affaires étrangères. Ce vote sera défavorable, à cause des augmentations notables de traitement que l’on propose en faveur de fonctionnaires d'un ordre supérieur, tandis qu'on ne fait rien ou presque rien en faveur d'une foule d'employés inférieurs qui ont reçu cependant la promesse formelle d'une amélioration de leur sort. Lorsqu'il s'est agi de la réforme postale, on a fait grand bruit et non sans raison des engagements pris par la Chambre et par le gouvernement, il y a une dizaine d'années.
Or, il y a des engagements formels pris envers les fonctionnaires inférieurs de l'Etat. Deux sections centrales dont j'ai eu l'honneur de faire partie et de rédiger les rapports ont déclaré, à l'unanimité, qu'il y avait lieu d'ajourner l'augmentation définitive et régulière des traitements des petits employés de l'Etat jusqu'à ce que la situation du trésor permît de remplir cette espèce de devoir.
Mais il fut bien entendu avec l'assentiment de la Chambre que les appointements des fonctionnaires supérieurs ne recevraient aucune augmentation jusque-là. Ces conclusions formelles des deux sections centrales ont été approuvées par la Chambre et par le gouvernement à cette époque ; les notes officielles remises aux sections centrales l'attestent : le gouvernement a formellement adhéré à cette espèce de système formulé par les sections centrales.
C'est alors que la Chambre s'est bornée à augmenter provisoirement les traitements de certaines catégories de fonctionnaires de l'Etat.
Aujourd'hui que fait-on ? On ne se borne pas à donner un démenti formel à la législature de 1848 et de 1849 qui a réduit pour des raisons très plausibles, selon moi, les traitements des membres du corps diplomatique ; on ne se borne pas à revenir sur des décisions formellement prises avec l'assentiment de la Belgique entière ; on revient sur une décision prise il y a deux ans par la Chambre d'accord avec le gouvernement, on revient sur cette décision, on la méprise en augmentant les appointements supérieurs, alors que les appointements inférieurs restent les mêmes. Ces appointements inférieurs sont insuffisants ; les appointements supérieurs n'offrent pas ce caractère selon moi. Que de citations je pourrais faire d'après le Moniteur, pour justifier mes assertions !
Il m'est de toute impossibilité de voter pour ces articles du budget des affaires étrangères, et mon opposition est telle, qu'elle entraîne un vote défavorable sur l'ensemble.
M. H. de Brouckere. - M. le ministre des affaires étrangères a bien voulu annoncer pour l'époque de la discussion de son budget, quelques explications sur une motion que j'ai faite dans une précédente séance. Je demanderai à M. le ministre s'il est à même de nous donner ces explications en ce moment.
(page 328) M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Messieurs, un honorable député de Namur a demandé des renseignements sur la marche des travaux de la commission qui est chargée de la révision du Code de commerce. Cette commission a été constituée, il y a assez longtemps, par le précédent ministre de la justice, d'accord avec le département des affaires étrangères ; elle s'est réunie dernièrement et j'espère qu'elle achèvera bientôt la besogne importante qui lui a été confiée.
Pour satisfaire complétement à la demande de l'honorable représentant, je dois ajouter que des pourparlers ont eu lieu entre le gouvernement belge et le gouvernement français au sujet de la conclusion d'une convention relative à l'exécution des jugements.
Un contre-projet a été remis par M. le ministre de France à Bruxelles ; ce contre-projet a soulevé de notre part des observations auxquelles il n'a pas encore été répondu. Les changements survenus dans le personnel de la légation de France ont amené une suspension dans les négociations.
(page 310) L'honorable M. de Brouckere a appelé l'attention du gouvernement sur les événements qui se sont accomplis en Chine, et dans quelques contrées voisines de cet empire, et il a demandé s'il n'y aurait pas lieu d'établir une légation d'un certain rang dans ces contrées pour y faire tout ce qui peut être utile au commerce belge. Je crois, avec l'honorable M. de Brouckere, que toute notre attention doit être dirigée de ce côté ; nous avons gagné du terrain aux Etats-Unis, dans l'Amérique centrale, à la Havane, au Brésil, au Chili, nos affaires avec l'Inde anglaise ont pris dans ces dernières années quelque développement, mais avec l'Indo-Chine, les Philippines, le Japon et la Chine nous ne faisons rien ou à peu près rien.
Les puissances maritimes n'ont pas reculé devant les sacrifices d'une guerre sérieuse pour, s'ouvrir définitivement les portes de la Chine et des contrées voisines, l'Espagne et la Hollande cherchent également à aplanir de ce côté la voie des relations commerciales.
Nous ne devons pas non plus, messieurs, reculer devant quelques sacrifices pour nous mettre en mesure de participer aux avantages de cet immense marché.
Notre consul général à Singapore doit être en Chine à l'heure qu'il est ; il parviendra, j'espère, à nous assurer par un traité le traitement des nations favorisées, c'est par là que nous devions commencer.
Mais la simple conclusion d'un traité pourrait rester une œuvre stérile, si le gouvernement bornait là son intervention. Il ne servirait à rien de le dissimuler, nos allures commerciales sont timides lorsqu'il s'agit de quitter les voies frayées ; l'esprit d'entreprise n'est pas encore suffisamment développé chez nous en matière de commerce pour qu'il n'ait point besoin d'être vivement et opiniâtrement stimulé.
Il serait donc incontestablement utile, je crois, que nous eussions une mission permanente en Chine, laquelle serait en même temps chargée d'ouvrir des relations avec le Japon, le royaume de Siam, et plis tard la Cochinchine.
Pour que le chef de cette mission eût l'autorité nécessaire, et fût en mesure de faire profiter le pays de toutes les éventualités qui pourraient se présenter, il faudrait qu'il fût revêtu d'un grade diplomatique élevé. Il va sans dire qu'il faudrait être au courant des questions commerciales. On lui adjoindrait un agent qui n'appartiendrait pas à la diplomatie et qui serait spécialement chargé de faire le rapport technique, même de lier des affaires avec la Belgique ; enfin, des jeunes gens de bonne volonté appartenant de préférence à nos grandes maisons commerciales et industrielles seraient admis à faire partie de la mission à titre gratuit, bien entendu.
Lorsqu'un courant d'affaires assez important se serait établi entre notre pays et cette partie du monde, on pourrait probablement supprimer la mission pour en revenir à une représentation consulaire bien organisée.
C'est dans ce sens que je comprends les observations qui ont été faites par l'honorable M. de Brouckere, observations auxquelles je donne ma complète adhésion. Mais la réalisation de cette idée présente certaines difficultés d'exécution sur lesquelles je ne suis pas encore en mesure de me prononcer ; il y a des usages particuliers à ces pays et des précédents dont il faut tenir grand compte. Je me suis mis en devoir de recueillir à l'étranger des renseignements dont il est indispensable que le gouvernement soit entouré avant de prendre un parti.
J'espère, néanmoins, que les difficultés auxquelles je fais allusion ne seront pas insurmontables et que je serai à même de soumettre des propositions aux Chambres pendant le cours de la session.
M. de Muelenaere. - Je prie M. le ministre des affaires étrangères de nous dire où en est la question relative aux courtiers maritimes, soulevée depuis longtemps ; il est temps qu'elle reçoive une solution ; car il se passe dans notre pays une chose fort étrange ; des faits sont réputés licites, du moins sont tolérés par les autorités dans la ville d'Anvers, et à dix lieues de là, à Anvers, ces mêmes faits sont réputés délits et poursuivis comme tels devant les tribunaux.
C'est là une situation anomale et qui ne peut pas durer plus longtemps. Il est évident que pour la dignité du gouvernement et de la justice, il faut que la question des courtiers maritimes soit résolue dans un sens ou dans un autre. Il faut qu'on mette un terme à cette singulière anomalie que le même fait est impuni à Anvers, tandis qu'il est passible de pénalités à Gand.
Je désirerais savoir où en est cette affaire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - L'affaire des courtiers de commerce est effectivement, messieurs, une affaire très sérieuse ; et elle a acquis un haut degré d'importance, non seulement à cause des circonstances que vient d'indiquer l’honorable M.de Muelenaere, mais aussi à cause d'autres circonstances d'un caractère différent. Beaucoup de personnes veulent la suppression de l'institution elle-même ; elles veulent que les fonctions de courtier deviennent complétement libres.
M. Manilius. - C'est ce qu'il y a de mieux à faire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - C'est possible, mais tout le monde n'est pas d'accord sur ce point. J'ai étudié la question et je dois dire que je l'ai trouvée excessivement grave. Je l'ai trouvée d'autant plus grave que, jusqu'à l'heure qu'il est, quoi que, dans d'autres pays, la même opinion se soit produite, quoi qu'il y ait eu à cet égard des controverses nombreuses, on a laissé subsister l’institution telle qu'elle existait, dans certains pays depuis des siècles, dans d'autres depuis un grand nombre d'années.
Jusqu'à présent, le courtage est resté dans la plupart des pays une fonction publique. La liberté est l'exception. La chambre de commerce d'Anvers, consultée sur l'objet, m'a fait parvenir un mémoire dans lequel elle conclut à la liberté complète du courtage ; et elle m'a envoyé, en même temps, un projet de loi par lequel elle a formulé son opinion. Je n'ai pas, messieurs, à examiner ici le projet que m'a soumis la chambre de commerce d'Anvers ; mais je dois dire que je n'y ai pas trouvé la solution de plusieurs des difficultés que j'ai entrevues en étudiant la question.
Ainsi vous comprenez, messieurs, que s'il s'agissait de supprimer le courtage, il faudrait tenir grand compte des intérêts aujourd'hui engagés dans cette institution.
J'ai cru devoir soumettre ce projet à la commission chargée de la révision du Code de commerce, me réservant de continuer à examiner, de mon côté, cette importante question. Il ne me serait pas possible en ce moment de me prononcer sur les différentes opinions qui ont été (page 311) exprimées à cet égard, quel que soit mon désir d'arriver à cette solution que réclame particulièrement l'honorable M. de Muelenaere.
M. Vermeire. - La question des courtiers de commerce a été agitée depuis plusieurs années devant cette assemblée. D'une part, les courtiers veulent s'approprier des attributions qui sont contraires à la loi générale de 1825, en ce sens qu'ils croient avoir le privilège de noliser les navires et d'être seuls, capables de faire les déclarations en gros.
Maintenant, il y a, à côté des courtiers établis par la loi de 1825, des courtiers marrons connus en Hollande sous le nom de corgadoors. Ces courtiers prétendent que les courtiers de navires ne sont en quelque sorte nommés que pour les chartes-parties, c'est-à-dire pour rendre obligatoires les transactions qui interviennent entre parties, mais que, pour toutes les autres formalités à remplir, eux seuls avec les commissionnaires en douane ont reçu qualité de le faire. Il est indispensable, me paraît-il, que cette question reçoive une prompte solution, car ceux qui s'adressent aux courtiers maritimes pour la nolisation des navires, sont obligés de payer des commissions plus fortes que ceux qui se servent seulement du ministère de simples commissionnaires ; et je pense que, puisque nous vivons sous un régime qui tend à multiplier les formalités, il est temps et plus que temps qu'on supprime le privilège auquel je viens de faire allusion.
Je crois, en outre, qu'il n'y a point ici de droit acquis, comme le disait M. le ministre des affaires étrangères.
Nous avons toujours la faculté de changer nos lois, quand il nous paraît nécessaire de le faire ; et les fonctionnaires qui ont été nommés à la faveur d'une loi ancienne n'ont, d'après moi, aucun droit acquis pour continuer leurs fonctions, alors même que celles-ci seraient supprimées.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Non, mais il n'est pas agréable de supprimer.
M. Vermeire. - Cela est possible ; mais ce qui n'est pas non plus agréable au commerce, c'est de devoir se servir d'un instrument inutile et onéreux ; d'un instrument qui n'est plus en rapport avec nos institutions et dont on pourrait dire avec infiniment de raison qu'il n'est que la conséquence d'un abus d'un autre âge.
M. Manilius. - Il y a bien longtemps, messieurs, que la question des courtiers est agitée dans cette Chambre. M. le ministre des affaires étrangères a reçu sur cette question plusieurs pétitions qui lui ont été successivement renvoyées par cette Chambre, et je vois par notre dernier feuilleton de pétitions, qu'il nous en a encore été envoyé une tout récemment. Il serait donc temps d'examiner cette question à fond, et j'engage instamment M. le ministre des affaires étrangères de la soumettre à l'élude d'une commission spéciale.
Ainsi qu'on l'a fait remarquer, nous manquons, sous ce rapport, d'une jurisprudence homogène et il serait vivement à désirer que M. le ministre de la justice voulût bien donner aux différentes cours d'appel des instructions pour qu'une jurisprudence uniforme soit appliquée partout. Je pense que M. le ministre des affaires étrangères ne verra pas d'inconvénient à accueillir la demande que je lui lais de faire examiner cette question, d'une manière approfondie, par une commission spéciale.
M. Vander Donckt. - Ainsi que vient de le dire l'honorable préopinant, plusieurs pétitions nous sont arrivées, notamment des villes de Gand et d'Anvers pour demander la révision de la loi sur le courtage. Cette question n'est pas neuve ; il y a au moins deux ou trois ans que le prédécesseur de M. le ministre actuel des affaires étrangères a institué une commission chargée de l'examiner, et cette commission a même fait un premier rapport. Elle a, de plus, demandé des renseignements au gouvernement et, si je suis bien informé, ce sont ces renseignements que la commission attend pour faire un rapport définitif sur cet objet.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement du personnel des bureaux : fr. 114,491. »
- Adopté.
« Art. 3. Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 2,800. »
- Adopté.
« Art. 4. Secours à des fonctionnaires et employés, à leurs veuves ou enfants, qui, sans avoir droit à la pension, ont des titres à l'obtention d'un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 1,500. »
- Adopté.
« Art. 5. Matériel : fr. 37,600. »
- Adopté.
« Art. 6. Achat de décorations de l'Ordre de Léopold, sans que l'on puisse, augmenter ce chiffre par des imputations sur d'autres articles : fr. 8,000. »
- Adopté.
« Art. 7. Autriche : fr. 48,000. »
M. de Muelenaere. - Messieurs, l'honorable M. Coomans vous a déjà exposé les engagements qui avaient été pris antérieurement par la Chambre, en quelque sorte d'accord avec le gouvernement, vis à-vis des employés inférieurs de l'Etat.
Vous savez tous que la plupart de nos instituteurs ne trouvent pas dans l'exercice de leur profession des ressources suffisantes à leur entretien et à celui de leur famille. La plupart de nos facteurs ruraux sont dans une position très équivoque.
Les secrétaires communaux, dont la moyenne de traitement n'excède pas 300 francs, demandent avec instance que l'Etat intervienne jusqu'à un certain point dans le payement de leur traitement en raison du travail qui leur est imposé par ordre de l'autorité supérieure en dehors du cercle des intérêts communaux.
Une foule d'autres petits fonctionnaires nous adressent à chaque instant des requêtes dans le but d'obtenir une amélioration de sort.
L'honorable M. Coomans vient de vous rappeler un engagement qui aurait été pris, paraît-il, à deux années successives, par la section centrale.
D'après cet engagement, il semblait décidé qu'on s'occuperait avant tout de l'amélioration des fonctions inférieures avant d'accorder aucune augmentation de traitement à des employés d'un ordre plus élevé.
Messieurs, je n'entre pas dans l'examen des considérations qui peuvent militer en faveur des agents du corps diplomatique ; mais quelles que soient ces considérations, je me demande si les circonstances sont opportunes, si c'est dans le moment actuel qu'il faut s'occuper d'établir quelque chose qui ressemble à du luxe en haut, lorsqu'il y a encore tant de privations et de misère en bas. Je crois qu'avant tout il faudrait songer aux employés inférieurs de toutes les catégories.
Il y a quelques jours à peine, sur la proposition du gouvernement, la Chambre a repoussé une mesure qui semblait à tous bonne en elle-même. Elle n'a pas adopté la taxe uniforme des lettres à 10 centimes, d'abord parce qu'elle devait coûter à l'Etat un sacrifice assez considérable, mais surtout, je pense, par la considération qu'a fait valoir M. le ministre des finances, que cette somme pouvait être employée à des dépenses utiles et même indispensables et notamment à l'amélioration de la position des instituteurs primaires.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On a voté pour cela, à mon budget, une augmentation de 400,000 francs. Faut-il faire davantage ? C'est ce que nous verrons plus tard.
M. de Muelenaere. - Je sais qu'on a beaucoup fait ; mais je crois que la position des instituteurs communaux et de plusieurs autres fonctionnaires est encore très précaire.
D'autre part (je ne connais aucun fait positif à cet égard, et j'espère que M. le ministre des finances voudra bien nous éclairer sur ce point), j'apprends que depuis quelque temps on fait des recherches, on se livre à des investigations qui semblent avoir pour but d'imposer un droit de patente à une foule d'établissements qui jusqu'à présent n'avaient pas supporté cette taxe.
Il paraît que l'intention, dit-on, serait de prélever un impôt de patente sur les écoles dentellières du pays. Or, vous savez que ces écoles ont été créées et établies exclusivement en faveur de la classe ouvrière et pauvre. Dans un moment pareil, il me paraît, comme je l'ai dit en commençant, très peu opportun d'augmenter plus ou moins considérablement des traitements qui peut-être ne sont pas trop élevés, mais parmi lesquels il en est qui s'élèvent de 30 à 50 mille francs. Du moins on ne dira pas qu'il y a urgence. Quant à moi, je déclare à regret que, dans la position où se trouve le pays, je ne pourrai pas voter l'augmentation proposée.
M. Coomans. - Messieurs, je crois devoir revenir à la charge. J'adhère aux bonnes observations présentées par l'honorable comte de Muelenaere et j'ajouterai certains faits qui méritent, ce me semble, de fixer toute l'attention de la Chambre.
Une observation générale à faire d'abord, c'est que, depuis dix ans, la Chambre, sous l'impulsion du gouvernement, je le reconnais, a successivement supprimé ou du moins, réduit à peu près toutes les économies introduites dans le budget.
Ces économies furent introduites à une époque où elles pouvaient plus difficilement se faire, selon moi, qu'aujourd'hui. Je fais particulièrement allusion au budget de la guerre et au budget des affaires étrangères. On réduisit, il y a dix ans, le budget de la guerre à 26 millions et quelque cent mille francs, bien que les circonstances fussent excessivement difficiles. On l'a élevé depuis, en pleine paix, à plus de 32 millions et à 42 millions et demi en y comprenant les antres dépenses militaires, matériel, fortifications, etc., sans compter les énormes suppléments que la Chambre a tenus en suspens, en quoi elle a fait très sagement, je l'assure.
Pour le budget des affaires étrangères, on réduisit, il y a dix ans, au milieu de la tourmente européenne, les appointements de nos diplomates alors qu'ils avaient une besogne très sérieuse à l'étranger. Aujourd'hui qu'ils n'ont, grâce à Dieu, presque rien à faire, on propose des augmentations notables. On avait besoin d'eux en 1848, et l'on ne craignit pas (page 312) de les froisser. Aujourd'hui qu'ils ont d'heureux loisirs, on veut les récompenser aux frais des contribuables. Tout cela n'est ni logique ni prudent, ni juste.
Messieurs, s'il y a trop d'argent dans le trésor, on pourrait en faire un meilleur emploi, même au ministère des affaires étrangères, au chapitre des consulats par exemple. Continuerons-nous ainsi à abolir toutes les économies opérées en 1848 !
Chose remarquable, c'est toujours en faveur des appointements supérieurs que nous donnons ce démenti à nos prédécesseurs de 1848. Ainsi rien n'a été fait pour les fonctionnaires inférieurs de la guerre, rien, absolument rien. Il est reconnu par tout le monde que la situation de nos miliciens est devenue intolérable ; qu'il leur est difficile, même impossible d'acquitter leur masse et d'obtenir ainsi un congé longtemps attendu.
Il est reconnu à l'unanimité que le soldat, en arrivant au régiment, est endetté par le fait même de son arrivée et qu'il traîne le boulet de cette dette dans les garnisons où on le place.
Il en est de même pour d'autres fonctionnaires inférieurs : on n'a guère amélioré le sort des gendarmes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On a voté 1,500,000 fr.
M. Coomans. - On a donné 1,500,000 fr. de plus, mais on n'a pas augmenté les traitements ; on a augmenté le personnel de la gendarmerie. (Interruption.) Si l’on a fait quelque chose pour les gendarmes individuellement pris, c'est possible ; je suis heureux de l'apprendre, mais je suis convaincu qu'on ne déploiera pas plus de luxe pour eux que pour les simples miliciens.
Il en est de même des instituteurs communaux, des douaniers, des employés inférieurs de toutes les administrations centrales. On a fait pour eux très peu de chose. On a fait du provisoire pour deux ou trois ans.
Mais la Chambre et le gouvernement sentaient si bien que cette légère augmentation de traitement était insuffisante qu'à cette époque la section centrale à l'unanimité, la Chambre sans opposition aucune et le gouvernement sans opposition aucune, reconnurent qu'il y avait lieu d'augmenter régulièrement les traitements de toutes les catégories de fonctionnaires inférieurs de l'Etat, mais que la situation du trésor nous imposait la fâcheuse nécessité d'ajourner ces améliorations, cette justice à rendre, jusqu'au moment où nos finances seraient en meilleur état. Cependant, il fut formellement stipulé en 1855, en 1856 et en 1857 qu'en attendant cette régularisation des traitements des fonctionnaires inférieurs, il ne serait pas accordé d'augmentation aux employés supérieurs.
Ce fait me semble grave. On ne l'a pas nié, on ne peut pas le nier. Ne nous rétractons pas, messieurs, il y va de la dignité de la Chambre, il y va de quelque chose de supérieur encore, de la justice, et je supplie la Chambre de ne pas donner suite aux propositions du gouvernement, je la supplie de les ajourner tout au moins. Quand il ajourne 10 à 12 mille petits employés à des temps meilleurs, on peut en faire autant de fonctionnaires supérieurs qui, outre de gros traitements, ont l'honneur de représenter la Belgique à l'étranger, et d'éprouver toutes sortes de satisfactions d'amour-propre que les petits fonctionnaires n'obtiennent pas.
Je parle ici avec une conviction ferme ; ce langage, je l'ai tenu sous tous les ministères, et alors que mes amis étaient au pouvoir, il n'était pas moins vif qu'aujourd'hui.
J'aurais cru manquer à un strict devoir en n'insistant pas sur ces observations que j'ai, en toute occasion, renouvelées depuis dix à onze ans, c'est-à-dire depuis mon entrée au parlement.
Je propose formellement la suppression de l'augmentation, en d'autres termes, le maintien du chiffre de l'année dernière. Je le répète, c'est la deuxième fois que nous augmenterions les traitements du corps diplomatique, depuis dix ans. Il est urgent, je n'hésite pas à le dire, de nous arrêter dans les voies ruineuses où nous sommes rentrés.
M. Loos. - Messieurs, j'ai voté les sommes demandées par le gouvernement pour améliorer le sort des employés d'un ordre inférieur, et je continuerai à voter les crédits qui seront demandés en leur faveur ;' ce n'est pas une raison pour que je ne vote pas aussi des augmentations de traitements en faveur d'employés supérieurs alors que la nécessité en sera reconnue. C'est ainsi, messieurs, que je dois reconnaître que le corps diplomatique belge n'est pas suffisamment rétribué.
La manière dont on le rétribue ferme la carrière à un grand nombre de citoyens ; il faut posséder une fortune indépendante pour conserver un poste diplomatique ; ce n'est point là l'esprit de nos institutions, je crois que ces fonctions doivent être accessibles à tous ceux qui ont la capacité requise sans qu'ils soient tenus à des sacrifices que leur position de fortune ne permet pas.
Ce n'est pas seulement en Belgique, c'est dans tous les pays que la vie a, depuis quelques années, singulièrement renchéri.
Ainsi les loyers sont partout à des prix exorbitants. Il faut donc que nos envoyés dans certains pays consentent à sacrifier une partie de leur fortune pour tenir le rang qu'ils doivent avoir. Eh bien, c'est là une position tout à fait anomale.
Je sais combien il est impopulaire de parler en faveur des fonctionnaires d'un ordre supérieur.
On est bien mieux venu à parler de la condition malheureuse des employés inférieurs ; mais je crois que nous devons savoir braver ce que les préjugés de l'opinion publique, contraire sous ce rapport au véritable esprit de nos institutions, et pour moi je voterai les augmentations demandées parce que je les crois justes.
Il est encore d'autres fonctions supérieures qui ne sont pas suffisamment rétribuées et en faveur desquelles je serais disposé à voter des augmentations. Cela ne m'empêchera pas quand viendront des propositions pour les secrétaires communaux, et les instituteurs par exemple, d'être au premier rang de ceux qui voteront pour ces propositions.
Messieurs, puisque j'ai la parole je ne puis que féliciter l'honorable ministre des affaires étrangères, des intentions dont il nous a fait part il y a un instant : toutes les grandes nations commerciales ont cru que les événements qui viennent de se passer dans l'extrême Orient étaient de nature à procurer de grands avantages au commerce et elles se sont empressées de chercher à nouer des relations avec des peuples qui avaient jusqu'à présent refusé toute communication avec l'étranger.
Je verrais donc avec plaisir que M. le ministre pût nous soumettre une proposition quelconque de nature à nous faire obtenir les résultats que je crois possibles sous ce rapport.
Je sais qu'il y a là quelques difficultés et surtout quelques dépenses ; mais si l'on veut attendre le but il faudra bien adopter les moyens.
Quant à moi, je déclare dès à présent que je suis prêt à voter les dépenses que les missions que j'ai en vue pourront nécessiter.
M. de Haerne dépose le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant approbation de la convention littéraire conclue avec la Néerlande.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.
M. Van Iseghem, rapporteur. - Messieurs, je ne répéterai pas toutes les raisons que j'ai fait valoir dans le rapport sur le budget des affaires étrangères et qui ont engagé la section centrale à donner son assentiment aux augmentations que le gouvernement propose à l'article en discussion et qui ne s'élèvent ensemble qu'à 45,000 fr.
En 1848 les Chambres ont réduit d'une manière assez considérable les traitements de nos agents politiques à l'extérieur. Mais il a été entendu en quelque sorte que cette réduction n'aurait qu'un caractère provisoire.
M. le ministre des affaires étrangères de l'époque, l'honorable M. d'Hoffschmidt a déclaré à deux reprises dans la discussion que les propositions de réductions étaient la conséquence de la crise qu'on subissait et qu'une fois cette crise passée, le gouvernement aurait été disposé à faire des propositions, soit à rétablir les anciens traitements, soit au moins à élever ceux de nos agents les plus importants.
Cette déclaration, le ministre l'a faite à la suite des critiques vives que les honorables MM. de Liedekerke, Dechamps, De Pouhon, Schumacher et d'autres, avaient dirigées contre les réductions proposées. (Interruption.) Lisez les Annales parlementaires d'alors et vous serez convaincus de l'exactitude de ce que j'avance.
Si le gouvernement a des mesures à proposer en faveur des employés inférieurs de l'Etat, je les voterai de grand cœur. Ces employés ont toutes mes sympathies.
Déjà, en maintes occasions, les Chambres et le gouvernement ont montré, par des actes, la sollicitude que cette classe de fonctionnaires leur inspire.
On a déjà amélioré une première fois la position pécuniaire des facteurs ruraux ; ils avaient en 1848 200 fr. à 400. Maintenant ils ont tous 600 fr. La loi du 8 avril 1857, dont le crédit s'élève à 1,149,000 fr., est venue améliorer d'une manière générale le sort des employés de l'Etat, dont le traitement était inférieur à 1,600 fr.
Dans le budget de 1859, les Chambres, sur la proposition du gouvernement, ont voté une augmentation considérable en faveur des instituteurs primaires, et elles ont accordé, dans le même budget, une nouvelle amélioration aux membres du corps enseignant des cinquante écoles moyennes de l'Etat, ainsi que des dix athénées. Je le répète, s'il y a d'autres mesures à prendre, nous les adopterons avec empressement.
J'ai la conviction que l'ensemble de ces augmentations qui sont devenues permanentes s'élève à environ 2,000,000 francs.
Je n'ai parlé que des augmentations de traitements et je ne dirai rien des indemnités qu'on a accordées aux employés subalternes pendant la durée de la crise alimentaire.
Mais ne devons-nous rien faire pour notre corps diplomatique ? Dans un pays régi par une constitution aussi libérale que celle de la Belgique, ne faut-il pas que les fonctions diplomatiques ne soient pas un privilège, mais accessibles à tout le monde ? Je ne comprends pas non plus qu'on puisse exiger que nos représentants à l'étranger dépensent leur patrimoine pour soutenir dignement l'honneur de la position qu'ils occupent.
Quand une affaire importante, soit politique ou commerciale, surgit à l'étranger, on demande que nous agents agissent ; mais quand il s'agit de les mettre en état de bien défendre nos besoins, d'acquérir une certaine influence, on voudrait leur en refuser les moyens.
Je crois donc que la Chambre ferait sagement de voter les augmentations proposées par le gouvernement lesquelles ne s'élèvent qu'à 45,000, pour tous nos agents politiques.
(page 313) M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, je ne pourrai pas donner mon adhésion aux augmentations qui vous sont proposées. Je vous en dirai le motif, en peu de mots.
Nous avons, en 1848, réalisé beaucoup d'économies dans les budgets de l'Etat : nous ne l’avons pas fait seulement, sous l'impression de la crise financière ; mais, nous l'avons fait, aussi, sous l'impression du vœu manifeste du pays, qui demandait et voulait de notables réductions des dépenses publiques.
Je vois avec peine que, chaque jour, nous nous éloignons de ces économies une fois obtenues.
Nous sommes bien loin des réductions opérées dans le budget de la guerre : car, depuis ce temps-là, nous n'avons fait qu'augmenter les dépenses de ce budget. Nous sommes encore plus loin de la réforme postale ; et je commence à croire qu'en 1849, nous aurions dû persister dans notre premier vote. C'est par esprit de conciliation, ceux qui siégeaient alors avec moi s'en souviendront, qu'on s'est rallié à l'amendement du Sénat, pour ne pas élever un conflit.
Il en est de cette réforme qui s'éloigne, comme de beaucoup de dépenses non maintenues ; nos économies n'auront servi à rien. Les réformes dérivées n'arrivent pas, et les économies disparaissent.
L'honorable rapporteur de la section centrale dit que les réductions opérées en 1849 n'avaient qu'un caractère provisoire. Oc, pourquoi a-t-on attendu dix ans pour revenir aux anciens chiffres ? Ce qui a duré si longtemps pourrait bien durer encore un peu.
Je ne dis pas que si nous étions dans un état très prospère, que tous ceux qui ont droit à une amélioration de position, l'eussent obtenue ; je ne dis pas qu'on ne pût aussi augmenter les traitements de nos agents politiques à l'étranger.
Mais nous sommes loin de là, et tout le monde ne reçoit pas, à l'intérieur du pays, l'équitable rémunération des services qu'il rend à la chose publique.
Au surplus, il n'est pas possible que nos agents politiques se mettent à la hauteur de ceux des autres puissances ; ils seront toujours dans un état d'infériorité à cet égard. Ils devraient savoir se faire à cette infériorité relative.
Il ne s'agit, dit-on, que d'une augmentation de 45,000 fr.
Je crois que, sans sortir du budget qui nous occupe, vous pourriez trouver, pour cette somme, un emploi plus utile. Vous avez dans le corps diplomatique, deux degrés, vous avez le corps consulaire, et puis les ambassadeurs, les ministres, etc.
Eh bien, si vous pouvez disposer d'une somme de 45,000 fr., consacrez-la à étendre le corps de vos consuls rétribués, et vous ferez chose utile aux intérêts du commerce qui sont ceux du pays.
Je crois fermement que nos consuls ont sérieusement servi ces intérêts.
Je suis le premier à rendre hommage aux services rendus par nos agents politiques, il serait inintelligent et ingrat de les méconnaître.
Mais les services que rendent les consuls sont, chaque jour, aussi, plus importants et, si je puis m'exprimer ainsi, plus sensibles, plus efficaces.
Si le nombre des consuls rétribués pouvait être augmenté, vous feriez une chose plus utile au pays, qu'en augmentant le traitement des titulaires des grandes ambassades. Vous leur donnez 45,000 francs de plus ; vous serez bien plus avancés, quand ils auront un peu plus de luxe et de livrée dans leurs maisons ! Je crois que cette somme aura une destination autrement avantageuse au pays, si vous l'employez à établir des consuls rétribués, dans des localités importantes, où vous n'en avez pas encore. Car vous aurez ouvert ainsi des voies nouvelles à l'exportation des produits de nos nombreuses industries.
C'est pourquoi, non seulement pour rester fidèle aux vœux d'économie que j'ai émis, à toutes les époques, mais aussi, pour assurer aux 45,000 francs un emploi plus utile, je refuserai l'augmentation qui nous est demandée. Que si, au contraire, on veut l'affecter à l'objet que je viens d'indiquer, je suis prêt à la voter.
M. Dolez. - Messieurs, si les propositions d'augmentation des traitements d'une partie du corps diplomatique étaient inspirées par des pensées de luxe, je n'hésite pas à dire que je combattrais énergiquement ces propositions.
Si donc je m'en montre le partisan, la Chambre peut être convaincue que c'est parce que cette proposition est uniquement basée sur l'équité et la justice,
Je n'entends pas dire qu'il faille, comme le supposait tout à l'heure l'honorable M. E. Vandenpeereboom, revenir systématiquement sur les économies qui ont été décrétées en 1848 ; loin de moi une pareille pensée ; mais je ne crois non plus qu'il faille admettre que ce qui a été fait en 1848 ne puisse pas être changé, quand des raisons d'équité et de justice démontrent que ce qui a été décrété en 1848 ne peut être maintenu dix ans plus tard.
Or, quelle est la situation que le gouvernement a constatée ? C'est que les traitements, fixés en 1848, ne répondent plus, pour nos agents à l'étranger, je ne dis pas des exigences de luxe, mais aux exigences les plus rigoureuses de la vie, dans les capitales qu'ils habitent.
La vie est devenue beaucoup plus chère qu'elle ne l'était en 1848 ; les traitements fixés alors pour les membres du corps diplomatique ne sont plus aujourd'hui en rapport avec la position que l'on a voulu leur faire à cette époque. Je ne pense pas qu'il soit digne du pays de vouloir que ses agents à l'étranger ne trouvent pas dans le traitement que le trésor public leur donne, le moyen de vivre modestement et sans luxe là où le pays les appelle à le servir.
Je reconnais qu'il serait ridicule de la part des représentants d'un modeste pays comme le nôtre de vouloir rivaliser de luxe avec les représentants des grandes puissances ; mais d'un autre côté, l'équité commande que nos agents diplomatiques ne soient pas forcés de vivre de leur patrimoine à l'étranger.
El voilà pourtant la situation réelle attestée par les renseignements fournis au gouvernement et que celui-ci a communiqués à la section centrale.
Il est digne de l'honorable M. E. Vandenpeereboom de comprendre la portée qui doit être attribuée à la proposition du gouvernement. Si nous nous attachons trop au système des petits traitements pour les fonctions élevées, nous posons les bases d'une organisation essentiellement aristocratique. L'aristocratie de fortune pourra seule désormais ambitionner les grandes fonctions publiques. Ce ne sera plus à l'aristocratie de l'intelligence qu'appartiendra le droit de la conquérir, ce sera à l'aristocratie de l'argent, de la richesse. Eh bien, nous représentants de la bourgeoisie, nous ne pouvons pas admettre un pareil système et c'est parce que j'ai la conviction que les petits traitements pour les fonctions élevées sont antipathiques à l'idée démocratique ou bourgeoise que je crois qu'il importe de rétribuer d'une manière convenable les hautes fonctions publiques.
Je pense donc que nous devons tous reconnaître qu'il n'y a pas une pensée de luxe dans la proposition que le gouvernement vous soumet, mais une pensée de justice et d'équité.
Du reste, je me joins volontiers à mon honorable ami, M. E. Vandenpeereboom, pour rendre hommage aux services de notre corps consulaire, et toutes les fois que le gouvernement croira qu'il y a quelque chose à faire dans l'intérêt de ces agents si utiles, il peut être à l'avance assuré de mon concours.
M. E. Vandenpeereboom. - Je ne sais si je me suis mal expliqué, mais M. Dolez m'a dit, avec sa bienveillance ordinaire, que ce que j'ai avancé pourrait avoir une portée contraire à l'avènement de la bourgeoisie aux postes diplomatiques. Il faut dire les choses telles qu'elles sont.
Il a pu se faire que, au commencement de la révolution, les postes diplomatiques élevés fussent offerts à des bourgeois comme à d'autres ; mais au point où nous sommes arrivés, une telle offre serait une exception dans le courant des idées et des faits ; nous sommes donc à l'abri de ce danger. Je suis convaincu qu'il faut ouvrir les fonctions les plus élevées à tout le monde ; je pousse cette doctrine bien loin, plus loin peut-être que ceux qui pourraient me contredire en ce moment. Mais c'est parce que les bourgeois qui occupent des postes diplomatiques, depuis dix ans, ont pu remplir convenablement leur mission avec les appointements attachés à leur résidence, que j'en demande le maintien.
Un bourgeois pourra tenir sa place, dans toutes les cours, s'il prend son rôle au sérieux ; s'il se présente, comme le représentant d'un roi modeste, qui s'est contenté d'une liste civile peu élevée ; qui a, pour ainsi dire, donné l'exemple à ses représentants à l'étranger, en acceptant, en se contentant d'une liste civile relativement faible, si on la compare à celles des autres Etats, avec leurs apanages et leurs revenus fonciers afférents à la Couronne.
Que nos représentants à l'étranger se contentent donc de la position qui leur est faite ; qu'ils disent : Nous sommes les représentants d'une petite nation, d'une nation qui aime à se distinguer par des progrès solides, plutôt que par l'éclat du luxe et de la représentation. Il y a, d'ailleurs, d'autres nations qui ont des envoyés, jouissant de traitements modestes. Nous devrions, nous aussi, nous assimiler à la Suisse. La Suisse a des chargés d'affaires dont le traitement est peu élevé.
On a dit que la perfection d'une monarchie serait de réunir la stabilité du pouvoir héréditaire à l'économie d'une république élective. C'est ce que nous avons à faire. Nous ne pouvons pas avoir la prétention d'intervenir dans la politique européenne, puisque nous sommes neutres ; mais bien d'étendre nos relations commerciales en maintenant notre position nationale, peu contestée ; contentons-nous de ce rôle peu éclatant, sans doute ; et cependant, fructueux pour la patrie, si nous savons le comprendre et le pratiquer. Nos établissements consulaires ont besoin d'être développés, vous allez faire des études à cet égard, dites-vous. Et moi, je vous dis : Vous avez 45 mille francs disponibles, puisque vous en proposez l'application aux agents politiques, employez-les tout de suite à la création de consulats nouveaux. Ce ne sont pas les sujets qui vous manquent ; il en est beaucoup, qui se contenteraient des frais de voyage, et de séjour pour aller, au loin, développer, étendre vos relations commerciales ; comme je le disais tout à l'heure, nous n'avons pas de rôle politique à jouer, nous sommes pays neutre : nous pouvons nous défendre quand nous sommes attaqués, c'est ce que nous avons fait jusqu'ici. Depuis dix ans, le corps diplomatique a rempli sa mission avec zèle, avec succès, avec éclat, si l'on veut et en se contentant de son traitement actuel.
Il nous manque des consuls, remplissons les vides, avec les 45 mille francs disponibles. Quand nous serons dans cette situation financière prospère que l'on nous fait prévoir, nous verrons ce que nous pourrons faire pour les agents politiques.
(page 314) Dans ce moment, vous êtes dans cette position, d'avoir à votre disposition 45 mille francs, puisque vous venez proposer d'augmenter d'autant les traitements des agents politiques ; je demande qu'on applique cette somme à l'augmentation du corps consulaire rétribué. C'est dans ce sens que j’ai l'honneur de formuler un amendement.
M. Coomans. - Il est démocratique, dit-on, d'élever le plus possible les appointements des fonctionnaires supérieurs ; c'est là l'éternel sophisme des partisans des gros traitements. Il est plus démocratique, selon moi, de faire aux employés démocrates, à ceux qui sortent du peuple, un sort convenable. Les citoyens sans fortune n'aspirent guère aux emplois élevés. On a dit qu'une place de gouverneur, par exemple, était la ruine de l'homme sans fortune à qui on la donnait ; c'est l'honorable M. Lebeau, je crois, qui a dit spirituellement qu'il n'était pas assez riche pour être gouverneur.
A bien considérer les choses, il n'y a que des sots ambitieux qui, étant dépourvus de fortune, puissent vouloir être ambassadeur-marquis et avoir des pages.
Quoique vous fassiez, messieurs, les fonctions supérieures conviendront toujours mieux aux personnes riches qu'aux autres. Ne parlez donc pas de démocratie pour justifier l'élévation des traitements des hautes fonctions, surtout des fonctions diplomatiques. C'est un sophisme, je le répète, bien qu'il me répugne d'appliquer cette qualification aux paroles de l'honorable M. Dolez. Ce qui est démocratique, c'est d'améliorer le sort des petits employés, c'est-à-dire des quinze mille fonctionnaires inférieurs que nous avons en Belgique.
A l'appui des nouvelles exigences du gouvernement, on vient dire qu'à l'étranger, les hôtels et les vivres ont renchéri ; mais en Belgique donc, est-ce que les vivres, les terres, les maisons, les denrées alimentaires, tout n'a pas renchéri également ? Est-ce que les petits fonctionnaires peuvent aujourd'hui, avec la même somme d'argent, se procurer les choses utiles, nécessaires à la vie qu'ils se procuraient autrefois, il y a vingt-cinq ans, par exemple ? Il n'en est rien, vous le savez, messieurs, cet argument tiré du renchérissement de toutes choses est bien plus favorable à la thèse que je soutiens, qu'à la vôtre.
On n'a pas répondu à cet argument-ci, que vous avez pris, gouvernement et Chambres, l'engagement de ne pas élever les traitements supérieurs tant que les traitements inférieurs n'auraient pas été réglés d'une manière juste et convenable. Cet engagement a été pris. Pourquoi y manquer sans motifs ?
Je répéterai à ce propos un mot qui a été dit l'autre jour dans cette enceinte, c'est qu'il n'est pas bon d'habituer une nation à ne pas compter sur la parole de la représentation nationale et à la voir se rétracter à tort et à travers sans motif sérieux.
L'honorable M. Van Iseghem se met à l'aise, il affirme que les réductions opérées en 1848 ont été provisoires.
Je dois repousser absolument cette allégation. Je me rappelle que M. Van Iseghem a toujours été partisan des gros traitements. Que lui ait dit et cru peut être que les économies de 1848 étaient provisoires, je le conçois, que MM. de Liedekerke et Dechamps l'aient dit aussi, soit encore ; que le ministre des affaires étrangères d'alors, M. d'Hoffschmidt ait eu cette pensée profondément enfouie dans son for intérieur, je l'admets, mais il n'a pas été dit par la Chambre que ces réductions opérées alors étaient provisoires ; nous eussions considéré connue une lâcheté de céder provisoirement à l'opinion publique, de lui donner une satisfaction momentanée et puérile avec l'arrière-pensée de la retirer le lendemain. Je le répète, c'eût été une lâcheté.
La Chambre n'a pas considéré les économies qu'elle opérait comme une chose provisoire, et le peuple belge non plus. Je crois mieux défendre la dignité du parlement par la thèse que je soutiens que vous ne le faites par la vôtre. Ces réductions ont été définitives dans la pensée de la grande majorité de la Chambre ; elles ont été considérées aussi comme définitives par les électeurs et par les contribuables. (Interruption.) Qu'une infime minorité ait eu la pensée de revenir sur les résolutions de 1848, je ne le nie pas, mais ce qui est incontestable, c'est qu'en 1856 et 1857 il y a eu assentiment formel du gouvernement à l'engagement pris par la Chambre de ne pas augmenter les appointements supérieurs avant que les appointements inférieurs n'eussent été améliorés.
Voilà en deux mots ce que j'avais à répondre à mon honorable contradicteur.
M. le président. - M. E. Vandenpeereboom vient de déposer un amendement ayant pour objet de transférer la somme de 45 mille francs du chapitre II, Traitements des agents politiques, à l'article 22, Traitements des membres du corps consulaire.
Cet amendement sera imprimé et distribué.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.