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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 21 décembre 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 293) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Vermeire procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vander Stichelen présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Lambert, préposé des douanes, combattant de la révolution, demande à jouir de la pension qui est accordée à quelques décorés de la croix de Fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par trois pétitions, des habitants de l'arrondissement de Bruxelles prient la Chambre de rejeter l'ensemble du projet de loi de révision du Code pénal. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« La veuve Coppée réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir un congé en faveur de son fils Adolphe, milicien de la classe de 1857. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Beghin, batelier à Saint-Servais, demande l'abaissement des péages sur la Sambre canalisée. »

M. Lelièvre. - J'appuie la pétition qui est fondée sur les motifs les plus sérieux. J'ai souvent, dans cette enceinte, soutenu les réclamations des bateliers qui aujourd'hui ne peuvent plus soutenir la concurrence avec les chemins de fer. Il est indispensable qu'on abaisse les droits de péage sur la Sambre canalisée. Les principes de justice et d'équité justifient cette mesure. Je ne puis donc qu'appeler l'attention spéciale de la commission sur une pétition dont il est impossible de méconnaître le fondement.

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Pirmez, obligé de s'absenter pour affaires, demande un congé. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation entre la Belgique et le Chili

Rapport de la section centrale

M. Pirson. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le traité de commerce et de navigation conclu entre la Belgique et le Chili.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre IV)

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je dois quelques mots de réponse aux observations présentées hier par l'honorable M. De Fré, et je commencerai par ce qu'il y a eu de personnel, pour moi, dans son discours.

L'honorable M. De Fré a dit qu'il rougissait, pour son pays, de me voir invoquer la législation de 1835 pour justifier le projet de Code pénal.

Messieurs, il y a dix ans que je suis dans cette Chambre, et je ne pense pas que j'aie donné lieu à qui que ce soit de rougir soit pour moi, soit pour lui, soit pour son pays, de ce que j'y ai fait.

Je prie donc l'honorable M. De Fré de bien vouloir conserver ses rougeurs pour d'autres circonstances, et je suis très convaincu qu'il en trouvera le placement sans que j'aie besoin d'intervenir le moins du monde.

Du reste, messieurs, je ne vois pas trop pourquoi l'honorable M. De Fré rougissait lorsque je citais la législation de 1835. J'ai cité la législation anglaise, qui est encore beaucoup plus sévère que la législation de 1835 ; l'honorable M. De Fré n'a pas rougi.

J'ai cité la législation qui, de toutes, était la plus draconienne, c'était celle de la première république française. Celle-là punissait de la déportation les cris séditieux ; celle-là-punissait les provocations à la dissolution de la représentation nationale et du directoire, de la peine de mort. Cependant, l'honorable M. De Fré n'a pas rougi, et c'était bien l'occasion ; car, je le répète, c'était, de toutes les législations, la plus sévère.

Je n'ai pas invoqué, messieurs, la loi française de 1835, pour justifier la législation que le gouvernement a proposée. Nous n'avons pas besoin de cette législation pour justifier les mesures qui vous ont été soumises. J'ai cité cette législation, précisément pour prouver quelle différence il y a entre les pénalités édictées à cette époque et celles que nous vous proposons aujourd'hui. J'ai cité toute la législation française et j'ai établi qu'à toutes les époques, et sous le gouvernement de la branche aînée, et sous le gouvernement de la branche cadette, même dès les premiers jours de la révolution de 1830, les lois avaient été plus sévères que celles que nous avons proposées à le Chambre.

Messieurs, il y a encore une autre raison pour laquelle j'ai parlé de la législation de 1835 ; c'est pour prouver qu'il y a, dans la vie des nations, des circonstances qui rendent indispensables des pénalités sévères. La loi de l835, je le reconnais, a été faite dans une de ces circonstances. Mais on oublie qu'un code n'est pas une œuvre qui ne doit durer qu'un jour. Le Code doit être fait pour toutes les circonstances. Le Code actuel, malgré ses imperfections, a duré cinquante ans ; et s’il faut juger de la durée par la perfection de l'œuvre, le Code que vous ferez durera plus longtemps que celui qui nous régit aujourd'hui.

Eh bien, qui peut donc nous répondre que la situation qui existe aujourd'hui, sera la même pendant toute la durée de ce Code ; et la prudence n'exige-t-elle pas que la société soit armée de peines suffisantes pour pouvoir, dans tous les cas, mettre un frein aux attaques que l'on pourrait diriger contre les institutions du pays.

Ce qu'il faut considérer dans une législation, ce n'est pas seulement le maximum de la peine comminée, c'est surtout le minimum. L'honorable M. De Fré nous disait hier que le Code pénal devait être l'expression des sentiments, des mœurs d'un pays. Eh bien, messieurs, j'accepte cette base d'appréciation pour le Code qui vous est soumis et je désire beaucoup que la Belgique, sous le rapport du développement de la liberté, soit jugée sur des dispositions qui établissent que le délit de presse le plus grave qui puisse se commettre chez nous, ne peut jamais être puni que de peines correctionnelles et peut n'être frappé que de peines qui descendent au minimum des peines de simple police. Il n'est pas en Europe, je n'hésite pas à le dire, un seul pays dont la législation puisse être, sous ce rapport, comparée à celle que nous discutons.

L'honorable M. De Fré nous disait aussi hier qu'en Belgique le Roi est parfaitement respecté, universellement honoré ; que l'on comprend pour la France la position que la loi de 1835 avait faite aux écrivains. En France, dit-il, la royauté, la monarchie, le souverain ont toujours été attaqués avec une violence extrême. Mais M. De Fré oublie que la moitié de la presse en Belgique est entre les mains des étrangers. Si l'honorable M. De Fré admet que pour la France il y ait eu lieu de prendre parfois des mesures exceptionnelles, il doit comprendre que nous-mêmes nous ayons à inscrire dans la loi quelques garanties, alors qu'une grande partie des rédacteurs de nos journaux sont des étrangers. Et ce n'est peut-être pas le moindre danger que la Belgique peut courir que l'invasion de l'étranger dans notre presse.

Messieurs, il est encore, quant à la presse, une raison qui doit forcer le législateur à avoir pour certains cas et pour certaines occasions des moyens de répression sérieux. C'est qu'en Belgique, de par la Constitution, l'éditeur et l'imprimeur échappent complétement à toute espèce de répression, lorsque l'auteur du fait est connu ; et de même l'auteur et l'éditeur peuvent faire retomber la responsabilité sur l'imprimeur, en ne se faisant pas connaître.

Vous n'avez pas en Belgique la double et même la triple responsabilité que vous trouvez, dans d'autres pays. En France, par exemple, ce n'est pas seulement fauteur qui est responsable, c'est encore l'éditeur ou l'imprimeur dans certains cas. Or, la responsabilité qui pèse sur l'éditeur ou sur l'imprimeur est une garantie de la circonspection, de la modération de l'auteur, et cette garantie nous fait ici complétement défaut.

Il se peut aussi que l'on s'arrange de manière à faire tomber la responsabilité sur un homme à gages qui n'ait dans l'œuvre imprimée aucune part. Il faut pouvoir sévir contre un semblable métier. Je passe à ce que disait hier l'honorable M. De Fré quant au culte. L'honorable M. De Fré a soutenu qu'on introduisait un délit nouveau...

M. De Fré. - J'ai parlé d'une aggravation.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous avez parlé d'un délit nouveau ; il n'est pas un seul membre de cette Chambre qui ne l'ait entendu.

En quoi ce délit nouveau devait-il consister ? Car remarquez que c'est sur ce point, sur l'article 150 du projet, comparé à l'article 262 du Code actuel, qu'une des discussions les plus vives, s'est élevée ; que l'on a crié à la loi du sacrilège ; que l'on a prétendu que nous avions été puiser nos inspirations dans cette loi.

L'honorable M. De Fré a soutenu hier que jamais en France les outrages par paroles vis-à-vis d'objets d'un culte n'avaient été punis.

Comment l'honorable membre est-il parvenu, je ne dirai pas à justifier, mais à soutenir sa thèse ? En se refusant obstinément à lire l'article 262 du Code pénal, malgré l'invitation que je lui en adressais.

Que porte cet article 262 ?

« Toute personne qui aura par paroles ou gestes outragé les objets (page 29) d'un culte dans les lieux destinés ou servant actuellement à son exercice, sera punie, etc. »

Et cela est tellement ainsi, que pour défendre votre soutènement, vous avez supposé ensuite l'existence d'une conversation entre un juif et son enfant.

Eh bien, le texte de l'article 262 prouve que le projet ne crée pas de délit nouveau ; et que tout ce qui a été dit pour soutenir le contraire manque absolument de fondement.

On a supposé que ces mots qui se trouvent dans l'article 262 : servant actuellement à son exercice, ne s'appliquent pas aux rues et que, par conséquent, le fait d'avoir outragé le culte dans une procession ne tombe pas sous l'application de l'article 262 et que, d’après les nouvelles dispositions, ces faits seront désormais punissables.

J'ai montré hier, les discussions du conseil d'Etat à la main, quel était le sens de l'article 262 ; j'ai prouvé que quand cet article avait été rédigé, discuté, il avait été entendu formellement que là où les processions circulaient, tout outrage par paroles ou gestes adressé aux objets du culte serait considéré comme s'il avait été adressé dans les édifices mêmes consacrés au culte ; c'est ainsi que les mots « ou servant actuellement à son exercice » ont été interprétés par Treilhard, qui a précisément choisi comme exemple les outrages adressés à des objets du culte dans une procession.

L'honorable M. De Fré n'est donc pas parvenu à établir qu'il y a un délit nouveau. Il n'y a pas de jurisconsulte, pas un homme de sens qui puisse prétendre que l'article que nous avons proposé ait une autre signification que l'article 262 du Code pénal.

L'honorable M. De Fré a supposé hier une conversation entre un juif et son fils, au moment du passage d'une procession, dans laquelle le père disait : Tu vois ce Christ, eh bien, ce Christ n'est pas Dieu. >Voilà l'expression d'une conviction qui va tomber sous l'application de la loi, dit l'honorable M. De Fré.

Messieurs, je serais désolé de dire quelque chose de désagréable à l'honorable M. De Fré, mais qu'il me permette de lui dire qu'il discute cette disposition comme l'ont fait certains journalistes, mais non comme devrait le faire un homme initié à la science du droit.

L'honorable M. De Fré n'ignore sans doute pas que pour qu'il y ait outrage il faut qu'il y ait intention méchante ; c'est là, je pense, la condition essentielle pour qu'un fait puisse tomber sous l'application d'une disposition pénale. Si ce juif n'a pas d'autre intention que d'exprimer à son fils une conviction, quoiqu'il eût pu choisir un autre moment pour lui enseigner sa foi, il n'est pas un juge qui le condamnera.

Mais si au lieu de se borner à exprimer une opinion, une conviction, il n'a eu pour but que d'outrager le culte, un objet du culte, s'il cherche, par une conversation tenue à voix haute, à ameuter le public, le juge appréciera les faits et verra si c'est une simple conversation entre un père et son fils ou si c'est un outrage, et il décidera en conséquence.

Je suis convaincu que les juifs qui liront ces explications en seront parfaitement satisfaits et qu'ils trouveraient très mauvais qu'un chrétien, à propos d'un enterrement juif ou de toute autre cérémonie de leur culte, se livrât à des manifestations outrageantes pour leur religion.

Il ne faut pas confondre une simple observation, une simple conversation, des propos échangés entre deux amis, avec un outrage. Le juge est là pour faire la différence. S'il n'y a pas intention méchante, le juge ne condamnera jamais.

L'honorable M. De Fré repousse toutes les dispositions relatives aux cultes, il en condamne du moins la plus grande partie parce que, dit-il, il ne veut ni privilège ni persécution.

Messieurs, je ne veux pas plus que l'honorable M. De Fré, ni de privilège, ni de persécution, et je serais réellement charmé qu'on voulût bien m'apprendre ou est le privilège que nous établissons, où est la persécution que nous organisons. Quant au privilège, comment l'honorable M. De Fré est-il parvenu à justifier son opinion ? En niant qu'un enterrement soit une cérémonie du culte.

M. De Fré. - J'ai parlé d'outrages à un objet du culte ; or, il s'agit de savoir si un corbillard est un objet du culte.

M. H. de Brouckere. - Les tribunaux décideront.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais il n'y a pas toujours que des corbillards ; il arrive que l'on porte une croix dans certains cortèges funèbres, même quand il s'agit de l'enterrement de personnes qui n'appartiennent pas au culte catholique.

M. De Fré. - Mais dans le culte hébraïque cela n'existe pas.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je sais qu'il n'y a pas de croix dans le culte hébraïque, mais n'y en a-t-il pas dans le cortège funèbre des cubes protestants ? On ne pourra pas plus outrager la croix des protestants que celle des catholiques. Il n'y a donc pas de privilège ; nous n'excluons personne de la protection accordée aux cultes, et s'il existe moins de pompe dans un rite que dans un autre, c'est là un fait qui n'altère en rien le principe d'une protection égale assurée à tous les cultes.

Quant à la persécution, messieurs, en quoi consiste-t-elle ? L'honorable M. De Fré nous a dit qu'il ne voulait pas qu'il y eût un commissaire de police derrière le pilier de chaque église. Mais il oublie donc que la disposition qui se trouve reproduite dans le projet existe en Belgique depuis 1810 et qu'elle n'a pas été abolie par la Constitution. Or, y a-t-il eu, je le demande, un commissaire de police derrière chaque pilier d'église depuis cinquante ans ? Et si cela n'a jamais existé, je demande où donc est la persécution que l'on serait autorisé à craindre dans l'avenir ? On dirait vraiment, à entendre l'honorable M. De Fré, qu'il s'agit ici d'une disposition toute nouvelle ; on dirait que nous introduisons dans le Code un délit inconnu ; on dirait que la réserve que nous voulons imposer au prêtre dans l'exercice de ses fonctions est une chose qui n'a jamais existé.

Cependant, je le répète, nous ne demandons que le maintien d'un état de choses qui dure depuis un demi-siècle, et je prie l'honorable M. De Fré de vouloir bien me signaler quels sont les inconvénients qui en sont résultés.

L'honorable M. De Fré nous disait hier que c'était là une disposition qu'on ne pourrait pas appliquer et qui ne l'avait jamais été en Belgique ; l'honorable M. De Fré, était à cet égard dans une erreur complète. Voici, un arrêt rendu par la cour même devant laquelle l'honorable M De Fré a l'honneur de porter la parole. Voici, messieurs, ce que décidait la cour d'appel de Bruxelles, le 14 février 1845 :

« En droit :

« Attendu que le gouvernement provisoire, en accordant par le décret du 16 octobre 1830, à tout citoyen ou à des citoyens associés dans un but religieux ou philosophique, quel qu'il fût, la liberté de professer leurs opinions comme ils l'entendraient et de les répandre par tous les moyens possibles de persuasion et de conviction, a voulu, ainsi qu'il est dit dans le préambule du décret, donner l'essor à l'intelligence et faire cesser les entraves qui avaient jusque-là enchaîné la pensée ;

« Attendu qu'on ne peut, sans lui faire injure, supposer au gouvernement provisoire l'intention d'avoir voulu par ce décret faire disparaître de notre législation les lois répressives des abus qui pourraient naître, dans certains cas, de l'usage de cette liberté si large octroyée aux citoyens et encourager ainsi la licence et le désordre ;

« Attendu que la Constitution belge, qui résume dans son article 14 le principe consacré par le décret du 16 octobre, garantit également la libre manifestation des opinions en toutes matières, ainsi que la liberté des cultes et de leur exercice public, niais avec la restriction que les délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés seraient réprimés ;

« Attendu que cette restriction comprend l'article 201 du Code pénal, de l'application duquel il s'agit dans la cause ;

« Attendu que cette loi, qui contient une mesure indispensable pour la conservation de l'ordre et de la paix publique, n'a été abrogée ni expressément par les articles 2 et 3 du décret du t6 octobre 1830 et par l'article 138 de la Constitution, ni virtuellement, puisqu'elle n'est point contraire au texte sainement apprécié du décret précité et de la Constitution, et qu'elle n'est incompatible avec l'esprit d'aucune de leurs dispositions ;

« Attendu que, s'il fallait admettre que l'article 201 du Code pénal aurait été abrogé par le gouvernement provisoire et par la Constitution, comme constituant une entrave à la liberté de la manifestation des opinions, le même motif militerait pour l'abrogation des articles 202 et 203 du même Code, puisque, dans ces trois articles il s'agit de discours prononcés par des ministres du culte dans l'exercice de leur ministère en assemblée publique, ce qui amène à la conséquence absurde que ces ministres pourraient impunément en chaire prononcer des discours tendants à provoquer directement à la désobéissance aux lois et aux actes de l'autorité publique, à soulever ou armer les citoyens les uns contre les autre, et à excitere nfin des séditions ou des révoltes, ce qui est inadmissible :

« Par ces motifs, confirme, etc. »

Ainsi, messieurs, comme vous le voyez, la loi n'est pas tombée en désuétude, et elle n'est abrogée, ni par le décret du gouvernement provisoire de 1830, ni par la Constitution ; et cet arrêt prouve que ces dispositions ont encore leur utilité, et que la Chambre peut encore les introduire dans la législation nouvelle, sans crainte de blesser la Constitution.

Quelles sont donc les raisons pour lesquelles l'honorable M. De Fré ne veut pas que la loi s'occupe des délits que le prêtre pourrait commettre dans l'exercice de son ministère ? C'est parce qu'il ne veut pas non plus que le prêtre soit dans l'école, parce qu'il ne veut pas de la convention d'Anvers.

Je ne vois, je l'avoue, aucune espèce de rapport entre les dispositions que nous discutons et la convention d'Anvers, ou la loi sur l'enseignement primaire.

Il y a une corrélation manifeste, au contraire, entre les dispositions relatives aux délits qui se commettent par le ministre du culte dans l'exercice de ses fonctions et la protection accordée au culte contre tous troubles et au ministre du culte dans l'exercice de ses fonctions.

Entre ces dispositions il y a un rapport intime et c'est parce que ce (page 295) rapport existe, que je ne saurais admettre la suppression des dispositions que l'honorable M. De Fré voudrait voir disparaître.

En effet par les articles 148, 149 et suivants, que faisons-nous ? Nous garantissons le libre exercice des cultes. Nous accordons au prêtre une protection contre les outrages et contre les voies de fait dont il pourrait être victime dans l'exercice de ses fonctions.

M. B. Dumortier. - C'est au culte et non au prêtre que vous accordez une protection.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est un jeu de mots. Que ce soit en raison du culte que cela est accordé, soit ; mais je dis que la protection profite, s'attache à la personne du prêtre. En raison même de cette protection accordée au prêtre, nous avons le droit de lui imposer une réserve qui évite les conflits, qui prévienne les troubles, les outrages, les voies de fait.

Si le prêtre peut venir en chaire discuter toutes les questions politiques, toutes les questions administratives, s'il peut venir discuter toutes les affaires de la commune, pendant combien de temps pourra-t-on maintenir la défense de troubler l'exercice du culte et empêcher ceux qui se trouveront attaqués de répondre dans l'église même ?

Voilà pourquoi il faut écarter de la chaire tout ce qui est étranger au culte ; voilà pourquoi il faut en proscrire tout ce qui peut devenir une cause de discussion, tout ce qui amènerait des débats qui changeraient l'église en une arène politique.

Il y a donc corrélation intime entre les deux genres de dispositions. On ne peut d'un côté protéger d'une manière absolue l'exercice des cultes et exposer les autorités civiles à subir des accusations, des outrages du haut de la chaire.

Je pense, messieurs, avoir rencontré toutes les objections qui ont été produites hier par l'honorable M. De Fré : j'attendrai la suite de la discussion.

M. Moncheur, rapporteur. - Mon intention n'est pas d'anticiper sur la discussion des articles du projet, je laisse même de côté, pour le moment, tout ce qui touche aux articles du titre III qui ont déjà été adoptés ; mais, messieurs, comme une certaine émotion a dû se répandre dans le pays par suite des critiques nombreuses qui ont été faites des dispositions relatives aux délits qui peuvent être commis par les ministres des cultes, dans l'exercice de leur ministère, je crois devoir, en ma qualité de rapporteur de la commission spéciale, vous exposer, aussi nettement qu'il me sera possible, quels sont l'esprit et la portée des dispositions que la commission vous présente sur cette matière.

Et d'abord, il importe de faire ici une remarque importante, c'est que la plupart des critiques qui ont eu lieu, en ce qui touche les articles 295 et suivants du projet, ont eu pour objet le texte présenté, d'abord, par le gouvernement, tandis que le projet de la commission en diffère essentiellement sur un point fondamental.

En effet, la commission n'a pas admis la disposition qui punit les discours prononcés par les ministres des cultes dans l'exercice de leur ministère, et contenant la critique et la censure des lois, du gouvernement ou des actes de l'autorité publique ; car cette disposition, qui n'était que la reproduction de l'article 201 du Code pénal de 1810, semblait ériger en délit un fait dépourvu de toute intention criminelle : la commission a donc remplacé cette formule par une autre disposition qui ne punit que l’attaque juridique, c'est-à-dire l'attaque méchamment faite des lois du gouvernement ou des actes de l'autorité publique.

Ainsi, d'après l'esprit et selon la lettre même de cette disposition, les ministres des cultes, dans l'exercice de leur ministère et prononçant des discours en assemblée publique ont le droit d'énoncer, avec une complète liberté, leur pensée tout entière sur tous les sujets auxquels les intérêts moraux ou religieux sont liés.

Rien ne peut les gêner dans la liberté complète qu'ils doivent avoir pour l'accomplissement de leur devoir.

Mais si, abandonnant le terrain des choses morales et religieuses, ils se livraient, avec intention coupable, à des attaques contre les lois, les dépositaires de l'autorité publique ou leurs actes, alors seulement, et en raison de la gravité de l'atteinte qu'ils porteraient à l'ordre et à la tranquillité publique, ils tomberaient sous l'application des articles 295 et suivants du projet.

Or, personne, pensons-nous, messieurs, ne revendiquera pour les ministres des cultes le droit d'attaquer méchamment, dans l'exercice de leur ministère et dans les discours qu'ils prononcent publiquement, les lois, les autorités publiques ou leurs actes, ni le droit de provoquer directement à la désobéissance aux lois, fait prévu par l'article 296.

Aucun ministre d'un culte quelconque ne réclamerait non plus ce droit pour lui-même.

On a parlé hier, à propos de ces articles, de la condamnation de Mgr de Broglie, condamnation qui, il y a quelque quarante ans, a révolté la conscience publique en Belgique.

Eh bien, messieurs, jamais Mgr de Broglie n'aurait pu être poursuivi et encore moins condamné, en vertu des dispositions que la commission a admises et d'après l'esprit dans lequel elles les a adoptées.

En effet, quel acte avait posé Mgr de Broglie ? Il s'était adressé, dans l'ordre de ses devoirs, à la conscience des fidèles. Il leur avait donné, dans une circonstance grave, l'enseignement et les conseils qu'il avait le droit et le devoir de leur départir à un point de vue religieux. Dès lors, sous l'empire des précieuses libertés des cultes et de l'expression des opinions que la Constitution garantit, Mgr de Broglie n'avait évidemment fait qu'user de son droit constitutionnel.

Or, l'usage légitime d'un droit ne peut être un délit.

Cet exemple, messieurs, que l'on a cité hier, vient donc parfaitement à propos ici, pour vous faire comprendre le système de la commission, système qui est devenu aussi, je n'en doute pas, celui du gouvernement.

Au surplus, comme l'acte qui était reproché à Mgr de Broglie avait été posé dans un écrit public par lui, il ne serait soumis aujourd'hui qu'au droit commun et à la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication, en vertu de l'article 16 de la Constitution.

Vous le savez, en effet, messieurs, il y a dans le chapitre IX qui traite des infractions qui peuvent être commises par les ministres des cultes dans l'exercice de leur ministère, trois catégories de dispositions pénales bien distinctes.

D'abord celles qui sanctionnent la défense de célébrer le mariage religieux ayant le mariage civil ; ce sont les articles 293 et 294.

Ensuite celles qui punissent les délits qui peuvent être commis par des discours prononcés par les ministres des cultes en assemblée publique et dans l'exercice de leur ministère. Elles se trouvent dans les articles 295, 296 et 297, et cette matière est régie par l'article 14 de la Constitution

Enfin les dispositions qui concernent les délits qui seraient commis par des écrits publiés sous forme d'instructions pastorales, et elles sont reprises sous les articles 298, 299 et 300 du projet.

Or, comme l'article 16 de la Constitution domine entièrement, selon moi, tout ce qui concerne les écrits publiés par les ministres du culte, je pense que ces trois derniers articles du projet doivent être purement et simplement supprimés.

Aussi, comme M. le ministre de la justice vous l'a fait pressentir hier, un rapport supplémentaire vous sera probablement présenté sur cet objet.

Sans rien vouloir préjuger sur les conclusions de la commission j'espère, messieurs, qu'il résultera de tout l'ensemble de la discussion, à laquelle nous nous livrerons ici, que les différentes opinions qui peuvent régner dans cette assemblée ne sont pas, en définitive, aussi en désaccord qu'on le croit peut-être sur l'application qu'il y aura à faire des principes de la Constitution à la loi qui nous occupe.

Quant aux dispositions des articles 295 et suivants qui punissent les délits qui peuvent être commis dans des discours prononcés par les ministres des cultes, dans l'exercice de leur ministère, ces dispositions ont principalement pour but de prévenir les conflits qui surgissent parfois, dans les différentes localités, entre les ministres des cultes et les autorités civiles.

C'est à ce point de vue, surtout, que leur utilité me semble réelle.

Mais leur constitutionnalité a été contestée ! La commission, au contraire, l'a mise hors de doute ; c'est donc là un point très important sur lequel je désire fixer un instant votre attention.

Messieurs, tous les grands principes qui forment la base de l'état social doivent nécessairement avoir leur sanction dans les lois répressives du pays.

Ce serait en vain que les fondateurs d'une nationalité auraient inscrit dans le pacte fondamental tous les droits des citoyens, si ces droits n'étaient point garantis par l'action de la justice contre ceux qui voudraient les enfreindre : ils ne seraient qu'une lettre morte !

Chacun alors devrait chercher à maintenir son droit par la force : on retomberait, eu quelque sorte, dans l'état sauvage.

Or, la liberté des cultes, la liberté de l'exercice public des cultes, la liberté d'exprimer librement ses opinions en toute matière, ces libertés, dis-je, qui constituent le plus grand intérêt social, ont été formellement inscrites dans notre Constitution.

Il était donc nécessaire que des dispositions pénales réprimassent tous les troubles qui peuvent être apportés à la libre et paisible jouissance de ces droits et de ces libertés.

Ces dispositions sont celles qui ont été adoptées sous le titre III du présent projet, et qui ont toujours, du reste, été en vigueur dans le pays. C'est à tort, pour le dire en passant, que l'honorable M. De Fré a blâmé hier plusieurs de ces dispositions.

Mais à côté du grand principe de la liberté des cultes, il en est un autre qui constitue aussi un intérêt social de premier ordre : c'est celui de l'ordre et de la tranquillité publique. C'est là un bien précieux dont chaque citoyen eu particulier et tous les citoyens collectivement ont aussi le droit de jouir paisiblement.

Or, les dispositions des articles 295 et suivants ont pour but de contribuer à sauvegarder, en certains cas donnés, cet intérêt social de premier ordre.

Ainsi, messieurs, chacune de ces deux catégories de dispositions pénales, à savoir : d'une part, celles qui répriment les troubles apportés au culte ou qui protègent les ministres des cultes, et, d'autre part, celles qui punissent les atteintes à l'ordre public commises par les ministres dans l'exercice de leur ministère, chacune de ces deux catégories de pénalités, disons-nous, a sa cause et son but. Elles s'harmonisent, il est vrai, entre elles ; elles forment un ensemble, elles se prêtent un mutuel appui, mais elles ont chacune leur raison d'être.

Or, la raison d'être des articles 295 et suivants, c'est que les ministres des cultes, à raison de leur caractère et de leur position spéciale, position que la loi reconnaît de fait, peuvent, dans l’exercice de leur ministère, (page 296) porter une atteinte plus grave à l'ordre public, que si les mêmes actes que ceux qu'ils commettent étaient posés par tout autre citoyen ou bien l'étaient par eux-mêmes, hors de leur ministère.

C'est à cause de cette gravité plus grande de l'atteinte portée, dans ces cas, à l'ordre public que le législateur a le droit de punir certains faits qui, dans les circonstances ordinaires, pourraient échapper aux lois répressives.

Antérieurement au régime sous lequel nous avons le bonheur de vivre, le pouvoir employait des moyens préventifs contre les dangers qu'il redoutait. Par exemple il se réservait une intervention dans la nomination des ministres des cultes ; il interdisait, parfois, l'exercice public des cultes. Mais, sous notre Constitution, tous ces moyens préventifs sont proscrits.

L'article 14 est formel à cet égard : il consacre la liberté absolue des cultes ; il rend impossible, même par une loi, toute mesure préventive quelconque qui pourrait restreindre le libre exercice public des cultes ; mais, en même temps, il réserve formellement l'action et le droit de la législature, quant aux moyens répressifs.

Cet article est, en effet, conçu comme suit : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l’usage de ces libertés. »

Il est bien évident que, par cette dernière disposition, le pouvoir constituant, tout en se référant aux dispositions pénales qui existaient à l'époque où il faisait la Constitution, a donné, en outre, au législateur futur le droit de définir ce qui, à ses yeux, peut constituer des délits qui seraient commis à l'occasion de l'usage de la liberté des cultes que l'article lui-même consacre.

Donc la législature est compétente pour tracer des règles sur cette matière, au point de vue répressif seulement.

Messieurs, pour mieux vous faire saisir la portée de l'article 14 de la Constitution et pour répondre complétement ainsi au reproche d'inconstitutionnalité que l'on a fait contre les dispositions des articles 295 et suivants du projet du gouvernement, reproche qui pourrait être fondé à l'égard de ce projet, mais qui ne pourrait également atteindre celui de la commission, puisqu'il laisse une part bien plus large à la liberté des ministres des cultes, je crois devoir vous reporter un instant aux discussions qui eurent lieu au Congrès national sur l'article 11 devenu l'article 14 de la Constitution.

Il est à remarquer, messieurs, que la longue et intéressante discussion qui eut lieu au Congrès sur cet article 11, n'a pas eu un instant pour objet la question de savoir si les articles 201 et suivants du Code pénal, qui répondent aux articles 295 et suivants du projet et qui punissent, en certains cas spéciaux, les ministres des cultes, seraient encore ou ne seraient plus applicables. On se bornait, en ce qui concernait la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de la liberté des cultes, à invoquer les dispositions du Code pénal sans restriction, et par conséquent l'article 201 comme les autres articles.

M. B. Dumortier. - Ces articles ont été abrogés.

M. Moncheur, rapporteur. - C'est votre opinion, mais la cour de cassation, la cour d'appel de Bruxelles et les tribunaux ont constamment décidé le contraire.

Mais quel était l'objet de la discussion ? Celle-ci portait sur un point d'une bien plus grande importance encore.

Il s'agissait de savoir si, en vertu de la Constitution, l'exercice public des cultes serait complétement et à jamais affranchi de toute mesure préventive ou bien si, comme le proposait la commission, l'article 11 (aujourd'hui l'article 14) de la Constitution permettrait au législateur futur de restreindre ou d'empêcher cet exercice public dans les cas où il pourrait troubler l'ordre et la tranquillité des citoyens. L'article 11 du projet de Constitution était, en effet, conçu en ces termes :

« L'exercice public d'aucun culte ne peut être empêché qu'en vertu d'une loi, et seulement dans le cas où il trouble l'ordre et la tranquillité publique. »

Une loi ordinaire aurait donc pu, selon le projet de l'article 11, empêcher, en certains cas, l'exercice public des cultes ; et notamment en ce qui concerne la religion catholique, elle aurait pu interdire les processions, le port du saint viatique, etc.

La divergence d'opinions qui existait au sein du Congrès national tombait donc spécialement sur le point de savoir si l'exercice des cultes même en dehors des temples, serait un droit constitutionnel et permanent, ou bien si la législature ordinaire pourrait apporter des restrictions à ce droit, par des mesures préventives. Voilà quel était l'objet de la discussion qui a eu lieu sur l'article 11.

La grande opinion unioniste, qui formait la majorité du Congrès national, lutta vaillamment pour que l'exercice des cultes même public fût dégagé, comme la liberté de la presse, de toute entrave.

Elle combattit fortement la restriction que contenait, à cet égard le projet de l'article 11 et elle fut victorieuse.

Elle décréta donc qu'une loi même ne pourrait jamais empêcher par des mesures préventives le libre exercice même public des cultes.

Messieurs, je vous demande à présent la permission de lire quelques passages de cette discussion mémorable, passages dont ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire vous fera saisir facilement le véritable sens.

M. Ch. de Brouckere, rapporteur de la section centrale, disait :

« L'article 11 a été adopté à l'unanimité dans cette section, et en mettant exercice public, on a entendu l'exercice extérieur. Il est certain, a-t-on ajouté, que les tribunaux ont décidé que les cérémonies dans l'intérieur des temples étaient publiques, mais la section centrale n'a eu en vue que la liberté la plus illimitée et sans restriction. »

M. de Gerlache établit ainsi la distinction fondamentale entre les mesures préventives et les mesures répressives :

« Le grand principe qui prédomine ici tous les autres, puisque nous avons pour but de consacrer la véritable liberté, sans aucune restriction, c'est l'absence de toute mesure préventive. Or, il est évident que l'article 11 renferme une véritable mesure préventive, puisqu'il suppose que le culte peut être empêché, et non simplement réprimé, pour des actes qui auraient troublé l'ordre et la tranquillité publique. Il est évident que les auteurs de ces actes doivent être seuls punis et que le culte ne peut être empêché. »

M. de Muelenaere disait :

« Quant à la religion catholique, treize siècles sont là pour dissiper toutes vos inquiétudes et pour vous convaincre que l'exercice public de ce culte ne saurait jamais, par lui-même, troubler le bon ordre. Si, à l'occasion de l'exercice du culte, des individus, quels qu'ils soient, portent atteinte à la tranquillité publique, les lois ordinaires sont suffisantes pour les atteindre et les punir. A Dieu ne plaise que je veuille soustraire les ministres de la religion à la juste vindicte des lois qu'ils pourraient enfreindre. »

M. l'abbé Van Crombrugghe s'exprimait ainsi :

« Si l'on a uniquement en vue de prévenir les abus qui pourraient se commettre à l'occasion du culte, nous sommes loin de vouloir nous y opposer.

* D'ailleurs, les tribunaux sont toujours là ; qu'ils sévissent contre ceux qui, à l'occasion ou au moyen du culte, oseraient troubler l'ordre public. La Belgique tout entière applaudira à la juste sentence portée contre des auteurs reconnus de désordre. »

Enfin M. de Theux disait :

« L'article 11 du projet est trop vague en ce qu'il permet la loi d'empêcher l'exercice public d'un culte dans le cas où il trouble l'ordre, et la tranquillité publique.

« Supposons, en effet, que les ministres du culte aient, par des processions ou autres actes publics, occasionné du trouble en certains lieux et en certaines circonstances, s'ensuit-il qu'on puisse raisonnablement défendre indéfiniment et même dans tout le royaume les processions ou autres actes publics semblables ? Cependant l'article 11 le permet. Mais c'est une faculté exorbitante et hors des attributions de la législature ordinaire ; de telles mesures ne peuvent être prises que par la législature extraordinaire.

« Il faut pour cela le consentement de la très grande majorité de la nation. Il faut donc suivre alors la forme tracée par la révision de la Constitution. Observons d'ailleurs que la législature ordinaire aura les moyens suffisants pour réprimer les troubles, dans tous les cas possibles.

« Si l'acte du culte est bon en lui-même et que le trouble survenu soit imputable à l'imprudence ou à la témérité du ministre qui l'a exercé, en ce cas, le ministre sera puni pour son imprudence, et il appartiendra au magistrat d'en apprécier les circonstances. C'est sur ce principe que l'imprudence peut aller jusqu'au délit, que sont fondés les articles 319 et 320 du Code pénal... Ainsi la législature ordinaire est évidemment investie de toute l'autorité nécessaire pour réprimer l'imprudence et la témérité, »

L'honorable membre proposa alors d'ajouter à l'amendement de M. Van Meenen aux mots : « la liberté des cultes », les mots : « celle de leur exercice public ».

Il résulte de ces citations, messieurs, qu'aucune mesure préventive, quant au libre exercice public des cultes ne pourrait, constitutionnellement, être décrétée par une loi ; mais il en résulte aussi que la répression des délits commis par les ministres des cultes à l'occasion de l'exercice de leur ministère est restée dans le domaine de la législature.

Aussi, la cour de cassation par un arrêt du 27 novembre 1834, et la cour d'appel de Bruxelles par un arrêt du 14 juin 1845, ont décidé que les dispositions de l'articles 201 du Code pénal qui punissent, en certains cas, les ministres des cultes de peines spéciales sont toujours restées en vigueur.

C'est le point que vient de toucher l'honorable M. Dumortier, lorsqu'il a dit que tontes les dispositions spéciales relatives aux délits qui pouvaient être commis à l'occasion de l'usage de la liberté avaient été abrogées par la Constitution.

M. B. Dumortier. - Non, pas un décret du gouvernement provisoire, à l'époque ou le Congrès national discutait.

M. Moncheur. - Bien ; mais c'est précisément le décret du gouvernement provisoire auquel vous faites allusion et qui est du 16 octobre 1830, qui était opposé à l'action publique. Devant la cour de cassation, on disait que le gouvernement provisoire ayant abrogé toutes lois (page 297) entravant le libre exercice des cultes, avait, par suite et implicitement, abrogé aussi les lois qui établissaient des pénalités pour les délits commis à l'occasion de cet exercice, et c'est ce système qui a été repoussé par la cour de cassation, à une époque qui était très rapprochée de celle où la Constitution a été faite ; sou arrêt est du 27 novembre 1831.

Je ne puis, messieurs, vous lire tout cet arrêt où la question est traitée en principe, Permettez-moi seulement de vous donner lecture de quelques-uns de ses considérants :

« Attendu que l'article 3 de l'arrêté du gouvernement provisoire du 16 octobre 1830 n'abroge point toute loi qui aurait un rapport quelconque avec l'exercice d'un culte, mais qu'il résulte des termes de cet article et du préambule de l'arrêté, qu'il se borne à abroger les lois qui porteraient atteinte à la liberté des cultes ;

• Attendu que la liberté de conscience et la liberté des cultes sont le droit pour chacun de croire et de professer sa foi religieuse sans pouvoir être interdit ni persécuté de ce chef ; d'exercer son culte sans que l'autorité civile puisse, par des considérations tirées de sa nature, de son plus ou moins de vérité, de sa plus ou moins bonne organisation, le prohiber, soit en tout, soit en partie, ou y intervenir pour le régler dans le sens qu'elle jugerait le mieux en rapport avec son but, l'adoration de la divinité, la conservation, la prorogation de ses doctrines et la pratique de sa morale ;

« Attendu que ces libertés ainsi définies n'ont rien d'incompatible avec le pouvoir qui appartient à l'autorité civile de défendre et de punir par l'organe de la loi, et par l'action des magistrats, les actes qu'elle juge contraires à l'ordre public ; qu'en conséquence les dispositions portées à cet effet n'ont point été abrogées par la loi qui proclame la liberté des cultes et la liberté de conscience, en abolissant toute loi qui y porterait atteinte ;

« Que l'article 14 de la Constitution les y renferme en termes clairs et précis par la réserve de la répression des délits commis à l'occasion de ces libertés. »

Voilà donc, messieurs, le régime sous lequel nous vivons depuis 28 ans, du moins par la force de jurisprudence. Mais comme nous l'avons dit plus haut, ce n'est point du tout là le régime que la commission a conservé. Elle y a apporté une grande modification au contraire dans le sens d'une liberté plus large pour les ministres des cultes dans l'exercice de leur ministère. Elle n'incrimine plus la critique ou la censure, mais seulement l'attaque, l'attaque juridique c'est-à-dire celle qui est faite méchamment

La Chambre décidera si on doit aller au-delà de cette limite. Quant à moi, j'estime que l'intérêt même de la religion est loin de l'exiger.

On a dit que ces dispositions violaient le principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi.

Ces dispositions blessent-elles, en effet, le principe de l'égalité des citoyens devant la loi ?

La commission ne le pense pas, messieurs, comme la cour de cassation et la cour d'appel ne l'ont point pensé.

Vous le savez, messieurs, il existe plusieurs cas, dans la législation pénale où la loi incrimine spécialement certains faits, en raison seulement de la qualité de ceux qui les ont posés.

Ainsi le concert de mesures pratiqué contre les lois ou contre l'exécution des lois est un délit, lorsqu'il a été pratiqué par des fonctionnaires publics, tandis que ce même concert pratiqué par des citoyens ordinaires est un fait non qualifié délit, un fait innocent.

Les ministres des cultes n'ont pas, il est vrai, la qualité de fonctionnaires publics ; mais, comme je l'ai dit, lorsqu'ils sont dans l'exercice de leur ministère, lorsqu'ils parlent publiquement aux fidèles et qu'ils sont d'ailleurs, alors, protégés spécialement par la loi, au point de vue de la liberté des cultes, la loi ne peut pas ne pas leur reconnaître, en fait, un caractère à part, une mission spéciale, d'où naissent des droits et des devoirs également spéciaux et une responsabilité spéciale.

C'est ainsi, messieurs, que si le ministre du culte entre dans l'école, (puisque l'honorable M. De Fré a parlé hier de l'école), s'il entre dans l'école pour inspecter l'enseignement religieux, pour donner l’enseignement religieux, ce n'est pas comme fonctionnaire public, comme autorité publique qu'il y entre, mais c'est parce que la loi reconnaît, en fait, au ministre du culte une aptitude spéciale, une qualité spéciale, une mission spéciale pour donner cet enseignement.

La commission, en adoptant le système que je viens d'exposer, mais en le restreignant considérablement, et en rapport avec nos mœurs et notre Constitution, a été fidèle aux véritables principes.

Elle croit avoir fait une chose bonne, une chose juste, une chose utile, tant aux intérêts religieux qu'aux intérêts civils.

Exige-t-elle trop des ministres des cultes, en demandant qu’ils s'abstiennent d'attaquer méchamment les lois, les dépositaires du pouvoir et leurs actes ? Non sans doute.

Ou pourra, du reste, caractériser exactement encore les faits à incriminer, mais nous pouvons espérer que la loi, réduite même à ces termes, restera purement comminatoire.

Craint-on des poursuites inconsidérées, vexatoires, arbitraires de la part du pouvoir exécutif ? Mais ne sait-on pas que semblables poursuites ont toujours été fatales à ceux qui se les sont permises ? Et d'ailleurs, ne viendraient-elles pas toujours échouer, en Belgique, devant la conscience des juges ?

Ceux-ci ne seront-ils point pénétrés de l'esprit de la loi ? Ne prononceront-ils pas dans toute leur indépendance, avec toute la garantie que présente leur inamovibilité ?

Loin de nous, messieurs, la pensée que des juges belges se rendent jamais les instruments aveugles ou coupables d'un pouvoir ombrageux et injuste ! Oui, ayons confiance dans la justice de notre pays.

Va-t-on plus loin encore dans des appréhensions ? Craint-on que la loi elle-même ne devienne injuste, tyrannique, impie ?

Ah ! messieurs, si, ce qu'à Dieu ne plaise, la loi devenait injuste, tyrannique et impie, c'est-à-dire, si la Constitution était foulée aux pieds, si les juges étaient prévaricateurs, oh ! alors les ministres des cultes s'inspireraient de leur loi ; ils ne seraient point des coupables condamnés, ils seraient des confesseurs, ils seraient des martyrs !

M. Lelièvre. - Je partage complétement l'avis de M. le ministre de la justice dans la séance d'hier, et je n'hésite pas à déclarer que les critiques injustes auxquelles ont donné lieu les différents articles du Code pénal révisé ne sont que le résultat de l'irréflexion ou de l'ignorance des principes de la matière.

La principale objection qu'on a faite a été dirigée contre l'art.icle132 qui punit de trois mois à cinq années d'emprisonnement, celui qui soit, par ces discours tenus dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits imprimés, aura attaqué l'autorité constitutionnelle du Roi, l'inviolabilité de sa personne ou les droits constitutionnels de sa dynastie.

Même critique a été dirigée contre l'article 134 qui punit de la même peine l'offense commise publiquement envers la personne du Roi.

Ne perdons pas d'abord de vue que le projet abaisse le minimum de la peine telle qu'elle est édictée par la législation en vigueur.

Or l'on sait que c'est d'après le minimum fixé par la loi que se règle l'état normal des choses.

Le maximum n'est jamais prononcé que dans des circonstances d'une gravité extrême et tout à fait exceptionnelles, on peut à cet égard avoir confiance dans la magistrature belge, ce n'est pas elle qui songera jamais à excéder les limites de la légitime répression ; on a donc évidemment tort de s'alarmer parce qu'il est certain que jamais la peine ne sera même portée à trois années et encore moins à cinq ans, sauf dans des cas extraordinaires qui, à raison de la perversité du coupable, de sa conduite antérieure et d'autres circonstances aggravantes déduites d'un danger imminent pour l'ordre social, nécessiteraient l'application d'une peine très sévère.

Mais, messieurs, la Chambre sera bientôt convaincue que le maximum a dû être porté à cinq années dans l'espèce dont nous nous occupons.

N'oublions pas que nous rédigeons un Code pénal complet qui doit prévoir toutes les éventualités de l'avenir, toutes les circonstances anomales qui pourraient se produire, les moments de trouble où notre régime constitutionnel serait exposé à des périls sérieux.

N'est-il pas de notre devoir de sauvegarder efficacement, dans ces cas peu probables mais possibles, l'existence même de nos institutions et de la dynastie à laquelle elles se lient intimement ?

Mais nous ne pourrions abaisser le maximum dont il s'agit sans introduire dans nos lois des anomalies intolérables.

En effet, n'est-il pas vrai que les délits prévus par les articles 132 et 134 sont les plus graves qu'on puisse commettre sous notre régime constitutionnel ? Pourquoi ? Parce qu'ils sapent la base même de nos institutions ! ils frappent ce qui forme le fondement de l'ordre constitutionnel établi chez nous, ils sont de nature à l'ébranler.

Or, si ce sont les délits les plus graves qui puissent se produire, il est évident que le maximum de la peine à édicter contre eux doit être le maximum des peines correctionnelles.

Nous devons statuer en ce sens sous peine d'être illogiques et inconséquents.

En effet ne punissons-nous pas les voies de fait envers la personne du Roi des peines criminelles les plus graves, tantôt de la mort, tantôt de la peine des travaux forcés à perpétuité ?

Dès lors ne devons-nous pas décréter le maximum des peines correctionnelles comme d'une application possible à celui qui aurait outragé le Roi, à celui qui, dans des circonstances dont la gravité est abandonnée à l'appréciation d'une magistrature sage et indépendante, aurait cherché à ébranler les bases mêmes de notre régime politique.

Quoi ! un simple coup porté à un magistrat ou à un juré à l'audience d'un tribunal pourra être puni d'un emprisonnement qu'il sera permis d'élever à cinq années !

Il en sera de même du délit de rébellion dans le cas prévu par l'article 304.

Et l'on voudrait qu'on ne pût pas prononcer la même peine contre un individu taré, déjà condamné antérieurement pour des faits infamants, pour vol, par exemple, qui dans des circonstances de troubles, au moment où la dynastie et l'ordre constitutionnel seraient exposés à des périls extraordinaires, ferait imprimer et distribuer des écrits incendiaires propres à réaliser ses desseins pervers !

Cela ne serait ni logique ni sensé.

Mais, messieurs, qui oserait prétendre que des injures verbales adressées à la personne même du Roi ne puissent, dans certains cas, justifier l'application du maximum des peines correctionnelles ?

Or, s'il en est ainsi, peut-on prétendre que, dans des cas (page 298) extraordinaires, des écrits imprimés, qui ont une tout autre gravité que de simples paroles ne doivent jamais être frappés d'une peine aussi sévère que di s injures purement verbales ?

Il est une chose que nos contradicteurs semblent perdre de vue, c'est que nous ne faisons pas des lois pour protéger les criminels ; nous rédigeons un Code pénal pour protéger la société, pour protéger nos institutions constitutionnelles contre les attaques des malveillants.

Après tout, de quoi s'agit-il dans les cas dont nous nous occupons ? Mais il s'agit d'individus qui sont déclarés coupables par la justice du pays, par le jury naturel présentant certes toutes les garanties d'impartialité, qui sont reconnus coupables, dis-je, d'un délit dont la portée n'est pas seulement de blesser un intérêt privé, de troubler d'une manière légère l'ordre et la paix publics, mais qui est de nature à renverser notre régime constitutionnel et les bases mêmes de l'ordre social. Eh bien, je maintiens que le Code pénal pour être logique, pour garantir la société contre des éventualités imprévues, doit autoriser le juge à élever la peine au maximum de celle édictée contre les délits les plus graves.

Cette disposition est encore essentielle pour maintenir l'harmonie entre les peines édictées par le Code ; il est impossible de frapper d'une peine moins sévère les délits dont nous nous occupons alors que d'autres ayant moins de gravité sont cependant réprimés par un emprisonnement qui peut être porté au maximum fixé par les dispositions qui font l'objet du débat.

La disposition qui autorise les juges à ordonner que les coupables pourront être mis sous la surveillance de la police a également ému vivement certains esprits en dehors de cette enceinte.

Mais il est à remarquer que c'est encore là une simple faculté réservée pour certains cas d'une extrême gravité à l'égard d'individus que leurs antécédents signaleraient comme dangereux pour la paix publique. Eh bien, nous répétons ici ce que nous avons déjà dit dans le cours de la discussion, le Code pénal devait prononcer la peine facultative dont il s'agit relativement aux délits prévus par les articles 132 et 134, sinon il aurait appliqué la mise en surveillance à des délits moins graves et aurait puni moins sévèrement des méfaits propres à compromettre nos institutions.

C'est ainsi que des individus pour un simple coup porté à des magistrats dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions pourraient être soumis à la surveillance de la police.

Il en est de même pour délits de rébellion, pour attentat aux mœurs et pour d'autres faits de certaine nature prévus par la loi ; et l'on n'autoriserait pas le juge à décréter la même mesure relativement aux faits prévus par les articles 132 et 134 qui présentent pour la société et notre régime politique des dangers bien plus sérieux et qui, à raison même de leur nature et des intérêts importants qu'ils compromettent, appellent des mesures répressives plus énergiques !

Mais, messieurs, savez-vous ce qu'on réclame prétendument au nom de la liberté de la presse ? Ce n'est ni plus ni moins qu'un privilège eu faveur des délits que l'on peut commettre par ce moyen.

Or ce privilège ne se justifie par aucun motif sérieux.

Ce que peut réclamer la presse, c'est le bénéfice du droit commun, mais il est bien évident que celui qui, au lieu d'user de la liberté de la presse, s'en sert pour commettre des délits attaquant notre ordre social même n'a pas droit à une indulgence qu'on refuserait à des individus qui voudraient atteindre le même but par d'autres moyens.

Mais daignez me le dire, quels égards, quelle sollicitude de votre part méritent des hommes qui, au lieu de jouir du bienfait de nos libres institutions, se servent de la presse pour en ébranler les bases ? Il ne s'agit pas ici de libertés, il s'agit de délits d'une licence effrénée et je ne pense pas qu'il existe un droit au délit.

Nous protégeons la liberté, mais nous ne venons pas en aide au criminel, cette enceinte n'est pas destinée à la protéger.

On se plaint de la mise en surveillance, mais qui oserait méconnaître la légitimité de cette mesure dans certains cas exceptionnels, par exemple à 1 égard de celui qui, avec circonstances aggravantes, outragerait le Roi en personne, le qualifierait d'assassin ou d'autres épithètes ignobles ?

Eh bien, si la justice de l'application de cette peine ne saurait être contestée pour des injures verbales, elle ne peut l'être pour des injures écrites qui, par la publicité qu’elles reçoivent, ont un caractère plus grave que l’outrage par paroles ; et puis la mise en surveillance peut-elle raisonnablement être écartée d'une manière absolue pour les délits dont nous nous occupons, alors que le caractère et les antécédents du coupable peuvent le faire considérer comme extrêmement dangereux et, par conséquent, légitimer la mesure qui est une sauvegarde contre la réitération d »autres délits ?

Du reste, messieurs, j'ai confiance dans la sagesse des magistrats je suis convaincu que pénétrés, comme ils le sont de la gravité de leurs devoirs et de leurs fonctions, ils ne prononceront jamais la peine qui fait l’objet de cette discussion que dans des circonstances extraordinaires propres à en justifier l'application.

Je dirai maintenant quelques mots sur les délits concernant les entraves au libre exercice des cultes ; à cet égard les critiques dont l'article 150 au code pénal révisé a été l'objet ne sont pas moins injustes que celles lue nous venons de réfuter.

Le système de la commission qui a été adopté par la Chambre a maintenu les choses telles qu'elles étaient réglées par le Code pénal de 1810, au point de vue de la peine d'emprisonnement et de la définition du délit.

Non seulement la doctrine et la jurisprudence, mais ceux-là mêmes qui ont proposé l'adoption du Code au corps législatif reconnaissaient que les outrages par paroles, gestes ou menaces envers les objets d'un culte, dans les cérémonies publiques de ce culte, doivent être réprimés. C’est ce système que nous avons maintenu sans aggravation et il est d'une vérité que tout homme impartial ne peut méconnaître.

Du moment que l'on autorise les cérémonies publiques d'un culte, les objets de ce culte exposés pendant son exercice ou employés dans son service doivent être protégés par la loi. Pourquoi ? Parce qu'ils sont identifiés avec le culte lui-même, parce qu'ils ne sauraient être l'objet d'outrages par paroles, gestes ou menaces sans que la liberté même du culte reçoive une grave atteinte.

Un culte autorisé à se produire publiquement se compose de deux éléments essentiels : les objets employés dans son exercice et la personne même de ses ministres.

Dès lors protéger les objets d'un culte danus les cérémonies publiques de ce culte, c'est protéger ce qui fait partie essentielle du culte, c'est protéger la liberté même des cultes et rien de plus.

Par conséquent, non seulement l'article 150 ne présente rien d'exorbitant, mais il est la conséquence nécessaire de la liberté des cultes dont l'exercice reçoit dans la loi une juste protection.

Et remarquez-le bien, nous nous bornons à prononcer une peine correctionnelle de quinze jours à six mois d'emprisonnement, parce que nous ne nous occupons des objets du culte que par simple mesure de police, au point de vue de la liberté garantie à tous les cultes sans distinction par nos lois constitutionnelles. Nous ne protégeons les objets du culte que comme s'identifiant avec le culte lui-même et rien de plus, sans prononcer une peine spéciale à raison du mérite des objets eux-mêmes, point qui n'est pas de notre domaine parce qu'il est abandonné à la conscience et à la foi des croyants.

Du reste, messieurs, notre article a même pour but d'assurer l'ordre public en empêchant dans la rue des rixes qui seraient la conséquence nécessaire d'outrages envers les objets d'un culte qui sont vénérés par les fidèles et bien certainement des attentats par des voies de fait contre les objets de vénération seraient même réprimés d'autorité privée, si la loi pouvait méconnaître assez sa mission pour les laisser impunis.

N'exagérons pas les choses ; on ne punit que les outrages par paroles, gestes ou menaces, et ces expressions ont depuis longtemps une signification légale qui exclut tout arbitraire. Les objets d'un culte sont outragés lorsque des paroles injurieuses leur sont adressées publiquement, de manière à troubler le culte lui-même. Ne nous jetons donc pas dans des hypothèses imaginaires qui n'ont rien de commun avec les dispositions pénales que nous édictons.

Il nous reste à émettre notre opinion sur certains délits commis par les ministres des cultes, prévus par les articles 295 et suivants du projet.

Pour moi, messieurs, je maintiens que c'est avec fondement que nous punissons les ministres des cultes qui méchamment, dans des discours prononcés dans l'exercice de leur ministère et en assemblée publique attaquent le gouvernement, une loi ou tout autre acte de l'autorité publique.

En effet, remarquons d'abord que dans ce cas il ne s'agit pas de la liberté des cultes, mais d'un véritable abus qui n'a rien de commun avec elle.

Le ministre du culte, qui ne doit s'occuper que de sa mission spirituelle, en méconnaît les devoirs lorsqu'il s'immisce dans le domaine de l'autorité publique ; il s'ingère dans un ordre de choses qui lui est étranger ; sous ce rapport il commet un véritable abus.

Or, cet abus est propre à troubler l'ordre et la paix publics. La voix d'un ministre revêtu d'un caractère sacré, parlant au nom de la religion, et attaquant le gouvernement, les lois ou l'autorité publique est de nature à produire un désordre social et à amener des troubles réels dans l'Etat.

Il est évident que la loi doit réprimer pareil acte comme contraire à l'ordre public.

Elle a le droit de décréter cette répression, parce qu'il ne s'agit pas de l'exercice du culte, mais bien d'un véritable abus commis dans son exercice, pouvant amener des conséquences dangereuses pour la tranquillité publique.

Le ministre du culte, que la loi protège spécialement lorsqu'il exerce son ministère, est tenu à son tour de devoirs spéciaux envers la société qui le protège.

Sa position et l'influence que lui donne sa mission religieuse impriment aux attaques méchantes qu'il se permettrait un caractère compromettant pour l'ordre social qui justifie l'intervention de la loi pour décréter une légitime répression.

Quant aux instructions pastorales, qui ne sont pas lues dans les temples et qui sont l'objet de simples publications de la part des ministres des cultes, nous pensons qu'elles doivent rester soumises aux règles du droit commun eu matière de presse.

Tel est l'esprit évident de l'article 16 de la Constitution.

(page 299) Si les actes des supérieurs ecclésiastiques, par exemple du souverain pontife, peuvent être publiés sans autre responsabilité que celle en matière de preste et de publication, il est clair que les instructions pastorales en général ne sauraient être soumises à un autre régime ; il y a même motif pour décréter la même disposition applicable à tous les cas quelconques.

On comprend que la publication d'actes émanés du souverain pontife a une importance que l'on ne peut reconnaître à de simples instructions pastorales et que, par conséquent, celles-ci ne sauraient être traitées plus rigoureusement et soumises à un système plus restrictif.

Je crois avoir justifié les dispositions du projet qu'on a, selon moi, critiquées avec si peu de fondement.

Savez-vous ce qui manque à certaines personnes qui, en dehors de cette enceinte, donnent aux actes des Chambrés législatives une portée si étrange ?

Ce sont des connaissances pratiques et juridiques. On peut être un excellent littérateur et ne pas connaître la science du droit.

Cette science exige des études approfondies pendant une vie entière et ce ne sont pas des connaissances superficielles qui peuvent en tenir lieu.

Pour moi, messieurs, je suis heureux de pouvoir en cette occurrence prêter mon appui sincère au cabinet. Ce sera un éternel honneur pour le ministère du 9 novembre d'avoir prouvé par des actes que l'opinion libérale au pouvoir sait sauvegarder les grands principes conservateurs de l'ordre social. Je ne me dissimule pas ce qu'il y a de pénible dans cette mission glorieuse, il est vrai, mais parsemée d'épines et de désagréments de tout genre.

Il faut du cœur pour la remplir et préférer l'accomplissement du devoir à une popularité qui n'est d'ailleurs qu'éphémère parce qu'elle ne repose sur aucune base solide.

Mais quand on a fait chose utile à son pays, quand on a contribué à consolider nos institutions libres en les appuyant sur le juste et sur le vrai, on est satisfait parce qu'on a pour soi le témoignage de sa conscience et l'estime des honnêtes gens.

M. Savart. - Messieurs, puisqu'on fait une revue rétrospective sur ce qui s'est passé en dehors et dans cette enceinte, à propos du nouveau projet de Code pénal, je saisis l'occasion de déclarer que si j'avais été présent à la séance où a été voté l'article 132, cet article n'y aurait pas obtenu mon assentiment.

A mon avis, il n'y a lieu d'aggraver les pénalités prononcées par une loi, que dans les cas où il est irréfragablement prouvé par l'expérience, par des faits géminés que la barrière opposée aux délinquants est impuissante à les arrêter, à les contenir.

En 1847 une loi a comminé des peines contre certain genre de délits, prévus aux articles 131, 132 et suivants du Code pénal en projet.

La loi de 1847 a eu sa raison d'être.

En 1847, la peine était de six mois d'emprisonnement au minimum, de trois ans au maximum ; aujourd’hui le minimum de la peine serait de trois mois, le maximum de cinq ans d'emprisonnement ; à l'emprisonnement se joint une amende de 50 à 3,000 francs, la surveillance de la police pendant cinq à dix ans, puis l'interdiction de tout ou partie des droits politiques ou civils.

Nous avons expérimenté la loi de 1847.

Depuis plus de onze années elle a force et vigueur.

Des délits sans cesse renouvelés, des jugements réitérés attestent-ils l'inefficacité de la loi ? Est-il hors de doute que le peu de rigueur de la peine a été la cause ou une des causes de la multiplicité des délits ?

Y a-t-il eu trouble dans l'Etat ?

L'honorable ministre de la justice a-t-il déroulé sous nos yeux une statistique des accusations et des condamnations, ne reste-t-il plus de doute qu'il faut opposer une double digue au débordement d'imprimés criminels, publiés, vendus, distribués partout ? Nullement.

Le ministre ne produit aucuns documents juridiques, motivant et justifiant l'indispensabilité d'une sévérité plus forte pour les temps futurs que pour les temps écoulés.

Suivant moi, nous n'avions qu'une chose à faire : maintenir prudemment la loi de 1847, puisque les résultats ont répondu à notre attente, et l'intercaler dans le projet de Code.

Pour tâcher de justifier les peines plus terribles dont il menace certaine presse, certaines attaques, M. le ministre a allégué que nous pouvions avoir à traverser des moments difficiles.

Suivant lui, pour ce cas éventuel et exceptionnel, il convient de laisser aux juges une latitude de punir sévèrement ceux qui nous exposeraient a d'immenses dangers.

Voici ma réponse : Les événements de 1848 avaient fait à la Belgique une situation difficile et pleine de dangers. Non seulement un trône s'était écroulé chez un peuple voisin avec lequel nous avons de grandes affinités, mais presque tous les trônes européens étaient ébranlés et vacillaient sur leur base, l'ordre social même semblait prêt à sombrer.

Un souffle de révolte circulait d'un bout à l'autre du continent. 1848 a vu des événements qui se reproduiront rarement dans l'histoire.

Cependant dans ce temps de trouble, de tempêtes, la loi de 1847 a été suffisante.

Tout a été sauvegardé. Pourquoi serait-elle impuissante, insuffisante au présent ou au futur ? Pourquoi serait-elle insuffisante lorsque la paix nous sourit, lorsque nous pouvons espérer qu'elle sera durable, lorsque chaque jour consolide nos institutions, notre nationalité, augmente la popularité de notre gouvernement, et que dans l'avenir brille un beau lendemain ?

Cette loi a suffi jusqu'à l'heure actuelle, pendant les jours de calme, pendant les jours d'orage ; elle suffira au futur dans le calme et dans les orages, si Dieu ne les éloigne pas de nous.

L'expérience est complète, parfaite, nous pouvions tenir ce que nous avions.

L'honorable ministre a puisé des exemples chez les peuples voisins. Il nous a démontré qu'en France et même en Angleterre les peines qu'il sollicite contre la presse sont plus sévères que chez nous. Il a cité les lois françaises de 1819, de 1830, de 1832, de 1835. À ces exemples voici la réponse.

Il n'y a aucune analogie à établir entre la Belgique et les antres pays. Nos institutions sont uniques en Europe.

Certains gouvernements doivent être garantis parce qu'ils ne sont pas assis sur une base large et inébranlable.

Le gouvernement belge ne doit pas être entouré de tant de précautions

Il est fort. Il a poussé de profondes racines dans les cœurs de tous les citoyens.

Il a l'amour de tous. Notre presse livrée des mains étrangères serait impuissante pour étouffer cet amour.

Cette presse se consumerait en efforts superflus, si elle tentait de diminuer notre respect pour le chef de I Etat, pour sa Famille, notre soif d'indépendance, notre foi dans nos institutions.

Elle n'est pas à craindre à tel degré qu'il faille contre elle des mesures extraordinaires et aunes que cèdes qui existent.

Il est un autre motif pour lequel il faut garantir les gouvernements étrangers par un luxe de pénalités que nous pouvons ne pas naturaliser chez nous.

C'est que, s'il y a dans ces gouvernements immuables quelques points attaquables, quelques modifications à opérer, on n'y parvient qu'à l'aide d'une révolution. En Belgique au contraire l'article 131 de la Constitution ouvre la porte à tous changements, à toutes modifications, tout peut se faire légalement avec les précautions et des formes prescrites.

Notre gouvernement est donc l'antithèse de presque tous les gouvernements connus. Nos lois ne doivent pas être modelées sur les lois des autres pays. Enfin, l'honorable ministre nous a annoncé qu'il avait tempéré la loi de 1847 ;

Que si le projet augmente la peine d'un côté, il l'adoucit de l'autre.

Ce n'est pas là un argument sérieux. Voyons quel est l'adoucissement, quelle est l'aggravation. L'adoucissement est de trois mois. L'aggravation de deux années ! L'adoucissement peut toujours être prononcé par le juge, même au-dessous du minimum. La concession faite par M. le ministre n'a donc pas de portée.

Mais ce qui a de la portée, c'est l'emprisonnement, et quel emprisonnement ? C’est le carcer duro, un emprisonnement qui n'existait pas sous la loi de 1847. Voyez votre article 55.

Les condamnés à l'emprisonnement sont enfermés isolément dans une cellule.

La nature de l'emprisonnement est changée.

Sous la loi de 1847 le condamné avait encore la chance d'avoir un compagnon, peut-être un ami.

Les maux qu'on souffre à deux diminuent de moitié.

Après l'adoption du projet, le condamné sera seul, toujours seul. Cette solitude de cinq années, cette anticipation de la tombe n'est-elle pas encore une terrible aggravation de peine ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La durée de l'emprisonnement sera diminuée quand il sera subi en cellule.

M. Savart. - Eh bien, alors mon argument mourra. Maintenant il est vivant. Je prends le texte de votre loi tel qu'il existe.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je déclare que l'argument est déjà mort, puisque la commission s'est occupée de la réduction des peines quand elles seront subies dans une maison cellulaire et que sur ce point une disposition sera soumise à la Chambre.

M. Savart. - Quand cette disposition viendra, nous l'examinerons ; en attendant ce que j'ai dit reste vrai.

En résumé, la diminution du minimum, on pouvait s'en passer. Elle est presque illusoire, l'augmentation du maximum est une triste réalité.

Quant à la surveillance de haute police qu'on s'apprête à faire peser sur des écrivains, elle est loin d'avoir mes sympathies.

(page 300) Cette peine n'est pas appropriée à la nature du délit.

En hasardant ces observations, je n'entends pas faire acte d'hostilité contre le ministère.

Je reconnais qu'il y a dans le projet du nouveau Code pénal de nombreuses améliorations. Mais lorsqu'on voit assis au banc des ministres des hommes comme MM. Frère et Tesch, on devient exigeant, difficile.

On ne se contente pas d'une seconde édition du Code de 1810, considérablement augmentée et autant que possible corrigée.

On veut un Code nouveau qui soit le reflet de nos institutions politiques.

On ne se contente pas de quelques améliorations.

On veut une œuvre presque parfaite.

Une œuvre qui reste pour attester l'intelligence humaine.

On demande beaucoup aux riches.

Or, puisque nos ministres sont riches en savoir, en expérience, en sentiments patriotiques, nous leur disons : Courage !

Présentez-nous une législation qui assure incontestablement à la Belgique le premier rang parmi les nations policées.

Nous désirons que le monument que vous allez élever soit digne de vous, digne de nous, qu'il soit l'honneur et le bonheur de la patrie.

M. Orts. - Je n'ai que peu de chose à dire à la Chambre. Mon intention n'est pas de prolonger une discussion qui, dans l'état actuel des choses, ne peut pas aboutir, au moins aujourd'hui.

Je ne reviendrai donc pas sur la partie des discours que vous avez entendus hier et aujourd'hui, et qui s'occupent d'articles définitivement votés une première fois par la Chambre. Je me bornerai à une seule déclaration que je veux faire complète et franche, parce que je tiens à ce que ma pensée ne soit pas douteuse un seul instant.

Je regrette vivement que l'attention de la Chambre n'ait pas été spécialement attirée au premier vote sur les dispositions des articles 131 à 137 du projet. Je regrette vivement cela, surtout pour ma part. Si mon attention avait été éveillée, je n'aurais certainement pas voté l'augmentation de peine des articles 132 et 137, et la mise sous la surveillance de la police. Je regrette surtout que la commission soit un peu coupable du sommeil de mon attention. Je me suis fié à sa déclaration écrite au rapport sous l'article 136 que les dispositions auxquelles elle donnait son approbation étaient le maintien de la législation actuelle.

La Chambre aura à apprécier plus si tard cette imperfection, que je regrette doit la déterminer à rejeter complétement un projet de loi qui, d'un autre côté, contient des améliorations de la plus haute importance. Pour ma part, j'aviserai.

En ce moment, je crois inutile de prolonger cette partie de la discussion.

J'ai demandé hier la parole au moment où M. le ministre de la justice annonçait à la Chambre qu'une partie du rapport de l'honorable M. Moncheur allait devenir l'objet d'un examen simultané et nouveau, de la part du gouvernement et de la commission, en ce qui concerne les dispositions qui viennent, dans le nouveau Code, remplacer les articles 201 et suivants du Code pénal actuel.

Dans cet ordre d'idées, je suis parfaitement de l'avis de l'honorable M. Lelièvre qui vient de se rasseoir. Je crois qu'il n'y a aucune espèce de raison pour mettre les lettres pastorales en dehors du droit commun en matière d'écrits et de publications. Mais je crois, d'autre part, que les paroles prononcées par les ministres des cultes, dans des assemblées publiques, dans l'exercice des cultes, dans l'accomplissement de leurs fonctions ecclésiastiques, doivent être l'objet d’une appréciation spéciale de la part du législateur et que le droit commun ne suffit plus.

Je demanderai à M. le ministre de la justice et à la commission d'examiner de plus près ces deux points : le caractère purement constitutionnel de la dernière proposition de la commission et l'utilité qu'il y a cependant à ne rien exagérer quant au premier point.

J'appellerai l'attention de M. le ministre de la justice sur une difficulté :

Je comprends parfaitement qu'un évêque publie comme un simple citoyen, des mandements, des lettres pastorales, des bulles et écrits venant de Rome, de la même manière qu'on peut tout publier en Belgique, alors qu'on n'est pas ministre d'un culte quelconque ; sa responsabilité doit être la responsabilité du citoyen.

D'un autre côté, je n'admets pas qu'on vienne parler politique en habits sacerdotaux, à quelque culte qu'on appartienne d'ailleurs. Je vois là un grand et double danger, un danger pour la religion de celui qui se permet un abus et un danger pour la liberté du citoyen. On l'a dit avant moi et avec raison, cette critique des actes de l'autorité de la part d'un ministre d’un culte dans l'exercice de ses fonctions est à la fois funeste pour la religion et pour la liberté du citoyen, parce qu'il est à craindre que la soumission du fidèle ne soit sacrifice à la liberté du citoyen ou que la liberté du citoyen ne soit sacrifiée à la soumission du fidèle.

Une autre raison commande d'être très réservé dans cette matière, la voici. J'admets bien qu'un ministre d'un culte, quel qu'il soit, lorsqu'il n'est pas dans l'exercice de ses fonctions, soit assimilé pour la manifestation de ses opinions, de ses sentiments, à tous les citoyens. Pourquoi ? Parée que la manifestation de ces opinions pourra, si elle blesse, soulever immédiatement des manifestations contraires en réponse. Mais lorsqu'un prêtre, du haut de la chaire, proclame ton opinion sur les questions politiques à l'ordre du jour, et attaque le gouvernement, le paroissien, dans l'église, ne pourra pas demander la parole pour répondre à son curé. Il y a là quelque chose à faire. Si vous voulez une liberté complète pour la chaire, il faudra aussi que le paroissien puisse répondre au ministre en chaire.

Vous avez défendu d'interrompre les cérémonies d'un culte quel qu'il soit ; celui qui assiste à ces cérémonies doit attendre, pour manifester son opinion, qu'il soit sorti de l'église.

De ce régime de protection spéciale nait la nécessité d'une réserve spéciale à imposer à l’individu protégé !

Malgré la difficulté apparente de la matière, je crois que sous ce rapport on est assez près de s'entendre ; la question constitutionnelle n'est pas une difficulté, elle est résolue par la jurisprudence. J'ajouterai que jamais le clergé belge n'a désiré autre chose, à ce point de vue, que ce qui est proposé par la commission.

En effet, l'honorable M. Moncheur rappelait tout à l'heure les faits qui se rapportent à l'époque où l'on discutait la Constitution, où l'on organisait le grand principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat ; à cette époque, le clergé ciaholiqne belge s'est officiellement adressé au congrès pour signaler, dans un document resté présent aux souvenirs de tous, les garanties dont il demandait l'inscription dans la Constitution ; je veux parler de la lettre adressée par M. le prince de Méan au Congrès.

Eh bien, dans ce document où toutes les libertés, toutes les garanties dont le clergé catholique voulait jouir, sont clairement indiquées, j'ai vu demander la libre correspondance du clergé avec les autorités ecclésiastiques qui résident à l'étranger, et mille autres choses que le Congrès n'a pas toutes accordées, je n’ai pas vu demander l'abrogation de l'article 201 du Code pénal qui a pour but de défendre aux ministres des cultes de censurer eu chaire les actes de l'autorité.

Je dis donc que le projet en discussion, surtout avec la substitution du mot « attaquer » aux mots « censurer ou critiquer », a fait sous ce rapport, tout ce qu'il y avait lieu de faire.

Voici maintenant la difficulté ;

Un évêque publie un mandement qui contient une attaque contre les actes de l'autorité, attaque qu'un citoyen peut se permettre dans le monde et qu’on ne peut pourtant pas produite en chaire.

Le curé est dépendant de l'évêque, il reçoit de son évêque l'ordre de lire le mandement au prône. Pourra-t-il le lire ? Pour ma part, je ne le pense pas.

Je demande que cette question soit examinée avec l'entière bonne foi que la Chambre apporte toujours dans les votes, lorsqu'il s'agit de questions difficiles et qu'on l'a rendue attentive aux conséquences. Je suis convaincu que nous arriverons à une solution satisfaisante.

Je dis que, dans mon opinion, l'impunité du mandement n'entraîne pas l’impunité de sa lecture en chaire parce que l'article 16 de la Constitution ne consacre évidemment que le droit commun, en fait de publication, le droit dont peuvent user tous ceux qui veulent manifester leurs opinions ; et comme tous les citoyens ne peuvent pas publier leurs élucubrations au prône, ils s'ensuit que cette publication spéciale et privilégiée est en dehors du droit commun.

Je signale cette difficulté à l'attention de la commission et du gouvernement.

M. De Fré. - J'ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l'honorable ministre de la justice.

Messieurs, lorsqu'un homme qui aime son pays vient dire franchement devant ses adversaires politiques comme devant ses amis politiques quelles sont ses convictions et ses espérances, alors que ses convictions seraient erronées, que ses espérances ne seraient pas légitimes ; cet homme, s'il est de bonne foi, doit être absous par les honnêtes gens de tous les partis.

Avant d'entrer dans cette enceinte, j'avais mon droit de citoyen d'examiner et de critiquer les œuvres du gouvernement, j'en ai usé quelquefois, je n'ai rien abdiqué de ce droit en entrant dans cette assemblée, et j'en userai malgré les paroles amères de l'honorable ministre de la justice, chaque fois que ma conscience de citoyen l'exigera.

M. le ministre de la justice n'a pas été très gracieux à mon égard, l'honorable ministre de la justice s'emparant d'une phrase qui n'était que l'expression d'un sentiment national, a dit : Je prie M. De Fré de porter ses rougeurs ailleurs, il trouvera l'occasion de les placer.

Je croyais, avant d'entrer dans cette enceinte, que le langage de nos hommes d'Etat était un langage beaucoup plus élevé. Je me suis trompé. J'ai dit à l'honorable ministre de la justice, non pas contre le ministre, mais devant l'assemblée, devant le pays : Je rougis de voir invoquer eh Belgique les lois draconiennes de 1835, ces lois françaises de 1835 contre lesquelles l'opposition sous Louis-Philippe s'est heurtée pendant quinze ans, pour justifier les dispositions que vous proposez ! Quel sentiment m'a guidé ? Un sentiment national. Je ne veux rien de l'étranger én matière politique, je ne veux rien de l'étranger en matière de Code pénal, je ne veux rien de l'étranger et surtout de la France. La France n'est pas mon idéal, elle passe tout à coup de l'extrême liberté à l'extrême servitude, mon idéal, c'est l'Angleterre.

Je dis donc que ce sentiment qui me faisait parler est un sentiment (page 301) que chacun, ici, doit approuver, et je le disais surtout à propos de cette idée qui est fondamentale, à savoir que quand on veut faire un Code pénal on ne doit pas invoquer des lois étrangères, il ne faut pas prendre pour modèle la législation d'un pays étranger dont les traditions, les mœurs et les principes politiques ne sont pas conformes à nos mœurs et à nos traditions nationales ; mais il faut prendre pour modèle les traditions et les mœurs du pays qu'on veut gouverner.

C'est pourquoi j'ai vu avec regret que, pour justifier des aggravations de peines en matière de presse on a invoqué les lois françaises.

Quant à ces aggravations l'honorable ministre de la justice, dans la séance de ce jour, n'a pas su justifier la peine inscrite dans le nouveau Code pénal. Sous ce rapport les critiques que j'ai eu l'honneur de présenter à l'assemblée sont restées debout.

En 1847 l'opinion libérale, c'est au nom de l'opinion libérale que je parle, l'opinion libérale avait combattu la loi qui élevait de 3 mois à 5 ans la peine pour offenses au Roi ; je disais que depuis lors aucun fait nouveau ne s'est produit pour justifier l'aggravation de deux aunées qui a été inscrite dans la loi nouvelle. L'honorable ministre de la justice sous ce rapport n'a rien dit pour justifier cette aggravation.

Messieurs, hier j'avais eu l'honneur de citer un exemple pour vous faire comprendre que la libre manifestation de la conscience, garantie par la Constitution, pouvait tomber sous l'application de l'article 150 ; je vous ai dit qu'un juif passant la rue et voyant dans une procession qui passe, pouvait très bien dire à son fils en lui rappelant les persécutions dont les juifs ont été l'objet, « Tu vois qu'on te représente là le Christ comme lef(ils de Dieu ; mais le Christ n'est pas Dieu ».

J'ai ajouté que dans cette circonstance le père ne faisait qu'exprimer le dogme principal de la religion juive. Eh bien, disais-je à l'honorable ministre, ce sera là un outrage par paroles aux objets du culte. M. le ministre m'a répondu : M. de ré raisonne comme un homme qui n'est pas initié à la science du droit. Je vais initier M. le ministre de la justice à la science de la jurisprudence.

Je dirai à l'honorable ministre qu'il n'y a pas longtemps, sans qu'il y ait eu intention méchante, un cabaretier de Malines a été condamné à trois mois de prison pour avoir affiché une image, en vertu d'un arrêté de 1814 aboli par la Constitution, pour avoir avili la religion.

Le cabaretier a interjeté appel, le jugement a été confirmé par la cour, toujours malgré l'absence d'intention méchante et en vertu d'un arrêté abrogé.

Cet homme a présenté aujourd'hui une pétition à la Chambre, pour avoir une indemnité à cause de la peine qu'il a subie. (Interruption.) Mais la question n'est pas là, il ne s'agit pas du cabaretier de Malines, mais de ce fait de jurisprudence que j'ai cité, pour en tirer la conséquence qu'on condamne sans intention méchante. (Interruption.)

M. le ministre, le fait que je cite est péremptoire ; il n'y avait pas la moindre intention méchante ; une image était afïichée dans un cabaret.

Qu'est-ce que cela prouve ? dites-vous ! Cela prouve que le juge peut se tromper ; cela prouve que l'intention méchante n'est pas nécessaire pour avilir la religion ; qu'on peut avilir la religion dans l'esprit du jugement sans intention méchante. S'il est possible qu'un homme ait pu avilir la religion sans intention méchante, on pourra outrager un objet du culte sans intention méchante. C'est clair, et dès lors votre argumentation tombe.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Admettez-vous qu'une jurisprudence constante exige qu’il y ait intention méchante pour que l'outrage tombe sous l'application de la disposition pénale ?

Ou ne l'admettez-vous pas ?

J'attends votre réponse, et je laisserai à tous les jurisconsultes le soin de juger entre votre opinion et la mienne.

M. De Fré. - J'aime mieux faire une bonne loi que de faire une loi qui soit susceptible de recevoir une pareille application. (Interruption.)

Comment ! deux ministres à la fois m'interrompent maintenant ! Hier, les Annales parlementaires le constatent, j'ai été assailli par les interruptions parties des bancs ministériels ; aujourd'hui, M. le ministre des finances vient en aide à son honorable collègue de la justice. Il y a vraiment du luxe et j'avoue que je n'y résisterai pas. Quoi ! il ne vous suffit pas d'être de grands personnages, il faut y joindre encore le talent d'interrupteur !

Tantôt, M. le ministre de la justice nous a dit qu'à cause de la protection accordée au prêtre, le prêtre est tenu à plus de réserve.

Je ne suis pas venu soutenir, messieurs, que le prêtre, dans sa chaire, avait le droit d'attaquer qui il voulait.

J'ai soutenu une doctrine diamétralement opposée à celle qu'a formulée M. le ministre de la justice.

A cause de la protection qui est accordée au prêtre, dit M. le ministre de la justice, le prêtre est tenu à plus de réserve. Moi j'oppose à cette doctrine les principes de la Constitution, le principe de la liberté, le principe de l'égalité de tous les citoyens ; pas de privilège, partant pas de cette protection.

Le prêtre n'est qu'un citoyen aux yeux de la Constitution ; il doit rester dans le droit commun.

Lorsqu'il outrage, le droit commun est là pour le punir ; mais lorsqu'il se borne à exprimer librement sa pensée, je dis qu'il use d'un droit garanti à tous les citoyens.

En un mot, partout où le citoyen agit conformément à la Constitution, le prêtre, comme citoyen, a le droit d'agir de la même manière ; et vous ne pouvez pas le punir pour un fait pour lequel un citoyen n'est pas puni par la loi.

C'est précisément parce que vous avez fait au prêtre une position exceptionnelle que, dans l'administration comme dans la politique, vous rencontrez tant d'obstacles, tant de difficultés. Le prêtre s'arme, à son tour, de cette réserve que vous lui imposez pour réclamer, dans des circonstances importantes, des compensations à cette réserve.

Tous les embarras de la politique proviennent de là. Je veux, moi, que le prêtre soit libre et respecté comme tous les autres citoyens ; je yeux aussi que tous les citoyens soient respectés par le prêtre. Si le prêtre sort du droit commun, il faut qu'il soit puni, mais comme on punit un citoyen qui agirait sans droit.

L'un et l'autre sont égaux devant la loi ; l'un et l'autre doivent, par conséquent, jouir de la même liberté et encourir la même responsabilité à raison des actes qu'ils posent.

Par malheur, messieurs, on est allé chercher dans ce Code pénal de 1810, qu'ont laissé sur notre sol les armées étrangères qui sont venues le fouler, les dispositions qui nous régissent aujourd'hui ; et l'on n'a pas songé que ce Code pénal avait été inspiré à ses auteurs par d'autres traditions, par une autre histoire politique que nos traditions et notre histoire. Ce sont les idées de ce Code pénal, idées qui ne sont pas des idées nationales belges, qui se sont infusées dans l'esprit de nos populations et c'est encore sous l'empire de ces idées que M. le ministre de la justice vient défendre la théorie que le prêtre, à cause de la protection qui lui est accordée, est tenu à plus de réserve.

Messieurs, voici ce qui s'est passé et cela est très important lorsqu'il s'agit du culte. Quand Napoléon a fait son concordat avec le pape, dans quelle situation se trouvait la France ? Les temples auraient été fermés pendant longtemps ; les objets du culte avaient été outragés, non seulement par des paroles mais encore par des voies de fait. La génération nouvelle avait grandi dans des idées anticatholiques, Napoléon est arrivé.

Je ne justifie ni ne critique ; je raconte et j'explique le Code pénal par le côté le plus clair, le plus lumineux, c'est-à-dire par l'histoire. Napoléon a fait un concordat avec le pape ; mais, voulant asseoir son autorité, il a relevé le clergé et rouvert les temples, ces temples où plus tard il faisait chanter ses victoires ; et il s'est efforcé d'inspirer l'amour de la religion à cette génération qui avait été élevée dans le mépris des objets du culte.

L'article 262, et ici M. le ministre de la justice verra à quel point je suis de bonne foi dans cette discussion, l'article 262, je le reconnais sans difficulté, punit les outrages faits, dans la rue, aux objets du culte ; mais cet article n'a jamais été appliqué en Belgique. Du reste, c'est là un point secondaire et que je ne veux pas traiter en ce moment. (Interruption). Je viens, messieurs, de rappeler dans quelles circonstances et pourquoi le clergé en France a été entouré de protections extraordinaires.

Permettez-moi maintenant, de vous indiquer quelques-unes des mesures qui ont été prises en faveur du culte catholique. Voici d'abord la loi du 24 messidor an XII. Napoléon voulait multiplier les cérémonies publiques, les processions, et afin d'entourer le culte de tout le prestige possible, voici ce qu'il décrétait :

Décret du 24 messidor an XII, titre II, article premier.

« Dans les villes où, en exécution de l'article 45 de la loi du 18 germinal an X, les cérémonies religieuses pourront avoir lieu hors des édifices consacrés au culte catholique, lorsque le saint-sacrement passera à la vue d'une garde ou d'un poste, les sous-officiers et soldats prendront les armes, les présenteront, mettront le genou droit en terre, inclineront la tête, porteront la main droite au chapeau, mais resteront couverts ; les tambours battront aux champs ; les officiels se mettront à la tête de leur troupe, salueront de l'épée, porteront la main gauche au chapeau, mais resteront couverts ; le drapeau saluera. Il sera fourni, du premier poste devant lequel passera le saint-sacrement, au moins deux fusiliers pour son escorte. Ces fusiliers seront relevés de poste en poste, marcheront couverts près du saint-sacrement, l'arme dans le bras droit.

« Les gardes de cavalerie monteront à cheval, mettront le sabre à la main ; les trompettes sonneront la marche ; les officiers, les étendards et guidons salueront. »

Je lis dans le Répertoire du Journal du Palais, V° Culte, 748 :

« Observons que sous l'empire, il était recommandé d'inviter les autorités aux processions du saint sacrement. Il en était de même, à plus forte raison, sous la restauration. »

Il fallait nécessairement, à côté de cet esprit qui animait l'empereur, à côté de ce désir de créer une hiérarchie cléricale, l'article 262. Mais cet article 262 n'est plus en rapport avec nos mœurs belges.

A cette époque, en France, il y avait des outrages au culte ; c'est pour cela, c'est parce qu'il fallait relever le culte, qu'on voulait non seulement l'entourer de pompe, mais aussi le protéger par des peines contre ceux qui ne le respectaient pas.

(page 302) Voilà comment s'explique l'article 262.

Mais de même qu'en France on a tenu compte des mœurs, des traditions, de l'esprit public pour faire l'article 262, aujourd'hui que vous faites un nouveau Code, je dis : Regardez autour de vous et voyez si vous avez des temples fermes, des outrages constants au culte, si, lorsque des processions passent dans les rues, vous avez des outrages par paroles ou menaces. Vous n'avez pas cela en Belgique.

Eh bien, l'article 262 reflète l'histoire de la France ; et lorsqu'on allait à l'étranger, après la promulgation de cet article, on disait : Voilà l'histoire de la France ; voilà comment il s'applique. Mais cela n'est pas notre histoire.

Lorsque vous venez me dire que cette disposition que je critique est dans le Code pénal de 1810, je réponds : Si c'est pour laisser le Code pénal de 1810 tel qu'il est, que vous le révisez, il ne faut pas y toucher. Si vous le révisez, mettez-le en harmonie avec l'histoire du pays pour lequel vous faites votre loi, avec nos mœurs, avec nos traditions et surtout avec nos principes politiques.

M. le président, je demande à continuer demain.

- Plusieurs membres. - A demain !

- La Chambre décide qu'elle se réunira demain à une heure.

La séance est levée à 5 heures.