(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 197) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Vermeire, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Le sieur Véfour appelle l'attention de la Chambre sur l'élévation des droits qui sont perçus par des greffiers des tribunaux de commerce. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La veuve Thulliez prie la Chambre de faire accorder un congé illimité à son fils Vincent, milicien de la classe de 1858. »
- Même décision.
« M. J. Roulez, recteur de l'université de Gand, fait hommage à la Chambre de 110 exemplaires d'une brochure contenant le discours et le rapport qu'il a lus dans la séance solennelle de l'ouverture des cours, le 12 octobre dernier. »
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres.
« M. Nélis, obligé de s'absenter pour affaires, demande un congé. »
- Ce congé est accordé.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le . 9 octobre 1858, quelques habitants de Bruxelles demandent que M. le ministre de l'intérieur soit invité à se prononcer sur ses intentions relatives aux réclamations qui ont été adressées en faveur de la langue flamande.
Même demande des sieurs Callebert, Bautens et autres membres de la société littéraire de Vriendschap, à Roulers, d'habitants de Ninove, Louvain, Anvers, Schoore, Saint-Joris, Overyssche, Gand, Hamme, Heverlé, des membres des sociétés littéraires établies à Vracene et Turnhout.
Par pétition datée d'Anvers, le 6 novembre 1858, des habitants d'Anvers demandent qu'il soit fait droit aux réclamations en faveur de la langue flamande, dont il est question dans le rapport de la commission instituée par arrêté royal du 27 juin 1850.
Par pétition sans date, les sieurs Fermon Van Buckelingen et autres membres d'une société littéraire flamande, à Anvers, demandent l'intervention de la Chambre, afin d'obtenir la publication du rapport de la commission qui a été instituée pour déterminer les mesures à prendre au sujet des réclamations en faveur de la langue flamande.
Même demande de membres d'une société littéraire à Hamme et d'habitants de Stabroeck.
Votre commission, messieurs, a examiné toutes ces pétitions qui rappellent une première pétition dont vous avez été saisis dans le cours de votre dernière session. Jusqu'ici, M. le ministre au département duquel cette première pétition a été renvoyée n'a pris aucune mesure au sujet des griefs que les pétitionnaires signalent dans leur réclamation. Par ces motifs, messieurs, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de toutes ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur.
M. Van Overloop. - Je demanderai qu'il plaise à la Chambre d'ordonner le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explication. Les griefs qu'articulent les pétitionnaires datent de longues années. Sous le cabinet précédent, si je ne me trompe, une commission a été nommée pour examiner ces griefs. Cette commission a déposé son rapport ; mais jusqu'à présent personne ne sait ce qu'il contient. Les pétitionnaires usent d'un droit sacré en demandant la liberté de l'usage de leur langue de la manière la plus complète. Je ne sais pas quelles sont les mesures que M. le ministre de l'intérieur se propose de prendre, mais il est de toute justice qu'il donne au moins un mot d'explication à la Chambre et aux pétitionnaires. Je demande donc le renvoi des pétitions à M. le ministre de l'intérieur, avec demande d'explication.
M. de Muelenaere. - Je me joins à l'honorable M. Van Overloop pour appuyer les propositions qu'il a faites ; mais j'insiste surtout en faveur du renvoi de ces pétitions au gouvernement, pour que celui-ci s'explique sur les raisons qui s'opposent à la publication du rapport qui a été rédigé par la commission spéciale. Ce rapport était évidemment destiné à la publicité, sans cela il n'aurait aucune utilité réelle ; je ne pense donc pas que le gouvernement puisse avoir des raisons pour ne pas publier ce travail le plus tôt possible. Et cependant il paraît que depuis longtemps cette publication est assez vivement sollicitée, et elle n'a pas encore eu lieu.
Je demande que le gouvernement veuille s'expliquer et dire s'il y a des raisons suffisantes pour que la publication ne se fasse point.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai assez, je pense, des affaires dont je suis chargé en ce moment, pour ne pas empiéter sur celles de mes collègues.
L'affaire dont il s'agit ne rentre pas dans mes attributions. Je n'ai pas une connaissance particulière de l'objet dont on parle ; je crois me rappeler, cependant, que déjà des interpellations ont été adressées, il y a assez longtemps, au gouvernement sur le point de savoir s'il était disposé à publier le travail de la commission et, si j'ai bon souvenir, mon collègue a répondu que cette publication lui paraissait, au point de vue même des pétitionnaires, présenter certains inconvénients.
Je ne pense pas qu'il y ait des raisons péremptoires de ne pas publier ce document. Le gouvernement accepte volontiers le renvoi avec demande d'explications ; mon collègue, le ministre de l'intérieur, dira s'il y a utilité à publier le rapport.
M. de Muelenaere. - Je prierai M. le ministre de l'intérieur, quand il sera ici, de vouloir bien s'expliquer à ce sujet.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Comme M. le ministre des finances vient de le dire, vous vous rappelez tous que M. le ministre de l'intérieur a donné des explications et qu'il a dit que le rapport est conçu en termes tels, que la publication n'en serait pas favorable à la cause de la langue flamande. C'est pour cela qu'il s'est borné à accepter le renvoi.
Mais il aurait pu renvoyer le rapport à la commission afin de le faire rédiger en termes plus dignes, plus convenables. Les pétitionnaires se plaignent précisément de ce que l'honorable ministre n'a donné aucune suite jusqu'à présent à leurs justes réclamations et ils demandent à la Chambre qu'elle insiste pour que M. le ministre donne suite à ce rapport et redresse les griefs qui y sont signalés.
M. le Bailly de Tilleghem. - M. le ministre de l'intérieur vient de rentrer, il s'empressera sans doute de donner des explications.
M. Coomans. - En ce qui me concerne, messieurs, il ne me suffit pas de savoir si le gouvernement adressera à la Chambre les explications que demandent les nombreux pétitionnaires, mais il m'importe de savoir si la question, au fond, recevra une solution prompte et sûre.
Depuis plusieurs années le mouvement flamand a pris des proportions assez vastes ; on ne doit pas se le dissimuler. Les griefs des pétitionnaires ont été nettement, franchement formulés en diverses circonstances ; ils sont, je pense, reproduits avec certains détails dans le document auquel on vient de faire allusion.
Je ne vois pas, pour moi, quel obstacle sérieux pourrait s'opposer à la publication de ce document. Si l'on prétend que cette publication est de nature à nuire aux intérêts défendus par les pétitionnaires, je ferai remarquer que parmi les auteurs du rapport il y a plusieurs chefs du mouvement flamand et que ces messieurs sont naturellement les juges les plus experts de tout ce qui concerne les graves intérêts dont ils prennent la défense.
En résumé, messieurs, il faut en finir. Je déclare pour ma part que parmi les griefs des Belges flamands, il y en a de très sérieux et que je suis prêt à appuyer de toutes mes forces. Je ne m'explique pas sur tous, mais il y eu a plusieurs qui sout parfaitement fondés. J'en signale un qui est de circonstance : ou persiste, dans certaines localités, où l'usage de la langue flamande est dominant, à rédiger en langue française les billets qui convoquent les électeurs. Quant à moi j'ai vu un de ces billets en langue française entre les mains d'électeurs qui ne savent pas un mot de français.
J'emploie le mot propre ; je dis que cela est absurde. Il y a d'autres griefs du même genre, et il faut en finir, je le répète. La question est étudiée ou à dû l'être depuis longtemps. Un nouveau retard équivaudrait à un déni de justice. N'oublions pas que les pétitionnaires parlent au nom de près de trois millions de Belges, et qu'ils demandent qu'on respecte un droit naturel, à savoir le libre usage de la langue nationale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai déjà eu l'honneur de dire à la Chambre, dans une autre circonstance, que le mémoire de la commission avait été remis au ministère avant mon entrée, et que mon honorable prédécesseur n'avait pas jugé opportune la publication de ce document. J'ai ajouté que la publication présenterait certains inconvénients, au point de vue de l'intérêt qu'on voulait défendre. Mais il n'y a pas, du reste, le moindre obstacle de ma part à ce que ce document soit publié.
Personnellement, je n'ai aucun motif pour tenir caché ce document ; je l'ai remis à l'un de nos collègues qui s'intéresse le plus à cette question, question à laquelle, d'ailleurs, nous nous intéressons tous ; il en a pris la lecture ; il ne m'a pas fait connaître son opinion sur l'opportunité de la publication.
Il y a quelques jours, j'ai fait prier un des membres les plus influents de la commission de passer dans mon cabinet pour conférer avec lui de cet objet Ce membre m'a répondu qu'il se mettrait à ma disposition demain samedi. A la suite de cette conférence, je déposerai, si la Chambre (page 198) le désire, le rapport sur le bureau ; si la Chambre veut aller plus loin, si elle désire que le rapport soit publié, je le publierai aux risques et périls de ses auteurs.
M. Coomans. - On aurait dû commencer par là.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je répète que mon honorable prédécesseur qui, pour plusieurs motifs, devait inspirer peut-être plus de confiance que moi aux intéressés, n'avait pas cru opportune la publication du mémoire ; mais je ne me refuserais pas à cette publication, si la Chambre en témoigne le désir. Je commencerai par déposer le mémoire sur le bureau ; j'en donnerai une traduction à l'usage de nos collègues qui ne savent pas le flamand.
M. Muller. - Cela sera nécessaire.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il s'agit de redresser les griefs qui seraient reconnus fondés de la part des populations flamandes ; eh bien, je dois dire que toutes les administrations n'ont cessé de faire tous leurs efforts pour que la langue flamande soit protégée comme elle doit l'être ; aucun cabinet ne s'est jamais montré hostile à l'égard de la langue flamande ; au contraire, on a toujours voulu respecter ce grand intérêt national. C'est, pour ma part, ce que j'ai tâché de faire et ce que je continuerai de faire. Mais il y a parmi les intéressés des hommes qui vont beaucoup trop loin dans leurs exigences et qui peuvent, par leur exagération, nuire à la cause qu'ils défendent.
M. Van Overloop. - Messieurs, c'est moi qui ai proposé le renvoi des pétitions à M. le ministre de l'intérieur, avec demande d'explications. En présence de l’engagement que vient de prendre M. le ministre, de déposer le rapport sur le bureau, je ne crois pas devoir insister, puisque M. le ministre vient de donner des explications. La Chambre pourrait donc se borner au renvoi pur et simple, puisque c'est surtout le dépôt du rapport que les pétitiounaires demandent actuellement et que ce dépôt vient de nous être promis.
M. Coomans. - J'avoue que M. le ministre vient de donner certaines explications, mais il reconnaîtra qu'elles ne répondent pas au but que j'avais en vue.
Au fond il m'importe peu qu'où publie par extraits ou en entier le rapport dont il s'agit, l'essentiel c'est qu'on fasse justice à qui de droit. Le rapport est une chose secondaire, je constate que depuis longtemps on élève toutes sortes de demandes plus ou moins fondées au point de vue qui nous occupe.
On demande plus de protection et d'égards pour la langue flamande ; on demande que le gouvernement s'abstienne absolument de nommer des fonctionnaires qui ne sachent pas le flamand dans les localités flamandes ; on demande autre chose encore, l'usage du flamand pour les documents administratifs ; tout cela me paraît raisonnable.
Si l'honorable M. Van Overloop se déclare satisfait des explications données par M. le ministre de l'intérieur, je regrette de n'être pas de son avis.
Ce ne sont pas des explications sur les plaintes des pétitionnaires que M. le ministre a données, ce sont des explications sur un minime incident ; ce qu'il me faut ce sont des explications sur les demandes des pétitionnaires. Au gouvernement de donner ses explications ; à la Chambre de les juger ; elles ne se sont fait attendre que trop longtemps.
Je trouve dangereux de laisser se propager longtemps une agitation de ce genre. Elle est réelle ; vous aurez beau repousser les demandes des pétitionnaires en disant, avec raison peut-être, que parmi ces demandes il y en a d'exagérées, vous ne leur imposerez pas silence, vous ne leur rendez pas justice de la sorte ; vous fuyez le débat ; en réalité, c'est une fin de non-recevoir. Le devoir du gouvernement est d'examiner toutes les plaintes sérieuses, d'accueillir celles qui sont fondées et de dire franchement, quant au reste, qu'il n'y adhère pas ; c'est ce qu'on n'a pas fait jusqu'à présent. On a ajourné constamment, on appelle cela en flamand : Op de lange bank schuyven.
Messieurs, il faut en finir. Les pétitionnaires ont raison sur beaucoup de points : qu'on leur fasse justice. C'est leur vœu, c'est le mien, ce doit être le vœu de tous les bons citoyens.
Finissons-en ; soyons tous sincères, j'agirai avec une grande franchise ; quand les Flamands demandent une monnaie flamande avec exergue flamande, je ne suis pas de leur avis, mais quand ils demandent que tout fonctionnaire dans leur contrée sache le flamand, je trouve qu'ils ont raison ; quand ils demandent qu'on s'adresse aux administrés en flamand, ils ont raison ; quand ils demandent qu'on s'adresse aux contribuables en flamand pour obtenir leur argent et leur concours, ils ont raison ; sur d'autres points, trop longs à rappeler, quand ils demandent par exemple que la littérature flamande soit mise devant le budget à peu près sur la même ligne que la littérature française, ils ont certes raison ; quand ils se plaignent d'avoir de la peine à obtenir pour le théâtre flamand, qui est le véritable théâtre national à Anvers et à Gand, le 10e, le 50e, le 100e des subsides prodigués à la scène française, ils ont raison encore. (Interruption.)
Voilà des points sur lesquels ils ont parfaitement raison.
Je n'admets pas comme chose raisonnable qu'une grande ville flamande donne cent mille francs à la scène française et quelques centaines de francs seulement à la scène flamande qui est chez elle la scène populaire.
De deux choses l'une, ou l'on regarde le théâtre comme un objet d'utilité publique, et telle évidemment doit être la pensée des administrations communales puisqu'elles subsidient si largement leurs théâtres et alors c'est plutôt au spectacle flamand qu'elles devraient adresser leurs encouragements, ou bien la scène est, pour elles, un amusement stérile ou dangereux, et alors elles doivent s'abstenir de subsidier les théâtres français et flamands à la fois.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne crois pas avoir à me défendre contre le reproche de manquer de sympathie, d'intérêt, de justice, envers la langue flamande. Particulièrement, puisque la question a été portée sur ce terrain, en ce qui concerne le théâtre flamand, qui est une des grandes manifestations de la langue flamande, un des côtés par lesquels il est le plus grandement utile, selon moi, d'encourager cette langue, eh bien, en ce qui concerne le théâtre flamand, qui a pris de grandes proportions dans le pays, qu'ai-je fait ?...
M. Coomans. - Je n'ai pas parlé de vous ; j'ai parlé en thèse générale
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis, je pense, compris dans tout le monde ; j'ai donc eu ma part du reproche général. Eh bien, qu'ai-je fait sous ce rapport ? J'ai créé un prix tendant à provoquer les productions dramatiques flamandes, et des productions ayant trait à l'histoire et aux mœurs nationales, afin de dégager autant que possible le théâtre flamand des éléments exotiques qui viennent souvent et d'une manière inopportune se mêler aux œuvres qu'on y représente.
Tout récemment encore, je suis entré en relation avec l'administration communale d'Anvers pour créer dans cette ville une classe de diction et de déclamation flamande, parce qu'il a été constaté que les dialectes flamands ne sont pas partout également intelligibles et que les acteurs de certaines localités n'étaient pas toujours, à cause de leur prononciation ou de leur accent, suffisamment compris dans d'autres localités.
M. Coomans. - C'est une erreur. (Interruption.)
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà ce qui m'a été assuré.
M. Coomans. - Cela n'est pas exact.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je répète que, d'après ce qui m'a été assuré, certains acteurs ne parviennent pas à se faire également bien comprendre dans toutes les localités flamandes. Quoi qu'il en soit, il est extrêmement désirable d'arriver à une certaine unité et à plus de perfection sous ce rapport, et je crois qu'une classe spéciale de diction et de déclamation pourra faire beaucoup pour atteindre ce but.
Quant aux griefs que l'on invoque ici au nom de nos provinces flamandes, au moins devrait-on les articuler pour que nous pussions y répondre. On parle des fonctionnaires publics, mais, messieurs, tous les fonctionnaires publics qui ont des rapports directs avec les populations flamandes savent le flamand.
En règle générale, on ne peut pas admettre qu'un ministre envoie dans les localités flamandes des fonctionnaires qui ne sachent pas le flamand, alors que dans leurs relations de tous les jours, ils sont obligés de connaître cette langue. Si cela existe, ce n'est que par exception, et si l'on voulait récriminer à cet égard, on pourrait dire que souvent on envoie dans les provinces wallonnes des fonctionnaires qui ne savent pas très bien le français et pas du tout le wallon.
Mais, messieurs, abstenons-nous de ce genre de récriminations ; admettons qu'il y a eu dans toutes les administrations un désir sincère de concilier deux grands intérêts, de mettre en rapport les deux populations, de les mêler autant que possible et de n'apporter aucun parti pris ; il n'y en aura jamais de notre part dans l'examen et la solution des questions qui s'agitent en ce moment.
Il n'est pas mal qu'on agite ces questions dans cette enceinte, puisqu'elles semblent faire du bruit ailleurs ; mais j'engage les honorables membres qui se posent plus particulièrement comme les défenseurs de la langue flamande, qui d'ailleurs n'est attaquée par personne, de vouloir formuler leurs griefs. Ils en trouveront un certain nombre dans le rapport de la commission spéciale. Ce rapport, nous le discuterons avec le vif désir de concilier toutes les opinions. Qu'on en soit bien convaincu, le premier intérêt du gouvernement est de donner satisfaction à toutes les réclamations légitimes.
M. Muller. - Je tiens, messieurs, à répondre quelques mots à l'honorable M. Coomans. L'honorable membre s'est plaint d'abord de ce que, selon lui, le gouvernement n'encourageait pas d'une manière aussi équitable, aussi large, les productions des écrivains flamands.
M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.
M. Muller. - Vous avez dit, à coup sûr, quelque chose qui ressemble beaucoup à cela
M. Coomans. - J'ai parlé des spectacles.
M. Muller. - Avant de parler des spectacles, vous avez parlé des auteurs.
Eh bien, je dis que les encouragements du gouvernement doivent être répartis en raison des productions qui les méritent, que ces productions soient en langue française ou eu langue flamande, et s'il y a plus de productions remarquables en langue française, ce qui se conçoit actuellement, il est bien juste que le gouvernement les encourage plus que les autres.
L'honorable membre a prononcé tout à l'heure un mot contre lequel, pour mon compte, je dois protester ; il a voulu en quelque sorte résumer (page 199) dans le flamand toute notre nationalité. (Interruption.) Vous avez dit...
M. Coomans. - Dans le pays flamand. (Interruption.) Je demande la parole.
M. Muller. - Vous avez dit que le théâtre flamand est en quelque sorte le seul national. A cela je ne répondrai qu'une chose, c'est qu'il y a des théâtres français qui sont au moins aussi nationaux que les vôtres.
M. Dolez. - Je ne puis, pour mon compte, adresser au gouvernement qu'une seule recommandation à l'occasion du débat qui nous occupe en ce moment, c'est de s'abstenir soigneusement de tout ce qui pourrait tendre à établir un dangereux antagonisme de langage entre les différentes parties de notre pays. Aussi ne puis-je entendre qu'avec un profond regret des paroles de la nature de celles qui ont été proférées tout à l'heure par l'honorable M. Coomans. Il faut agir avec une très grande justice, mais aussi avec une très grande réserve dans les questions de ce genre, et ne pas oublier, d'ailleurs, qu'il est d'autres parties du pays qui ont leur langage particulier, qui n'est ni le français ni le flamand et au nom desquelles nous ne réclamons pas. Nous avons notre littérature montoise, notre littérature liégeoise... (Interruption.)
Oui, messieurs, nous avons aussi cette littérature, modeste sans doute, mais expression du langage habituel de populations très nombreuses et très importantes, et dont vous auriez à subir bientôt les réclamations, si des exigences de la nature de celles que semblait défendre tout à l'heure l'honorable M. Coomans, pouvaient être accueillies.
Je crois, messieurs, qu'su lieu de se montrer partisan excessif de ce mouvement flamand, on ferait mieux de rappeler à la Flandre le langage que faisait entendre, il y a quelques années, dans cette enceinte, un honorable député de la Flandre. Ce qu'il importe surtout aux Flamands, au point de vue de leur prospérité, de leurs progrès, c'est d'apprendre le français, sans, bien entendu, oublier leur langue maternelle, afin qu'une partie de notre population ne soit pas en quelque sorte isolée. L'honorablet M. d'Elhoungne, il y a dix à quinze ans, recommandait au gouvernement d'encourager l'étude du français dans les écoles flamandes ; il faisait cette recommandation dans l'intérêt surtout des Flamands, et il avait grandement raison.
Il faut dans ces sortes de questions, je sens le besoin de le redire, agir avec beaucoup de prudence et je crois qu'il doit nous suffire de la déclaration que vient de faire M. Je ministre de l'intérieur qu'il continuera à porter à cette question une sollicitude attentive. Je pense donc que ce qu'il y aurait de mieux à faire serait de ne pas continuer ce débat. Soyez convaincus, messieurs, qu'il ne peut en sortir rien d'utile pour le pays et qu'il pourrait, au contraire, en résulter de sérieux inconvénients. Il ne faudrait pas, par exemple, qu'il pût servir à propager dans les Flandres cette prétention qu'on peut avec la connaissance du flamand s'assurer le monopole des fonctions publiques.
J’ai vu souvent, pour ma part, une grande propension chez des fonctionnaires supérieurs à admettre cette idée qu'il fallait à peu près partout connaître le flamand pour être habile aux fonctions publiques. Cette idée, messieurs, est dangereuse, et il ne faudrait pas que sous le voile du patriotisme on vînt à la propager. Sans doute, il faut autant que possible avoir dans les provinces flamandes des fonctionnaires sachant parfaitement le flamand....
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est ce qui se fait.
M. Dolez. - Mais n'encourageons pas des idées dangereuses, ne posons pas des principes dont la formule serait introuvable et à la recherche desquels il serait par conséquent dangereux de nous livrer.
Je ne voulais, messieurs, que vous soumettre ces observations toutes de prudence. J'espère que l'honorable M. Coomans lui-même comprendra la pensée patriotique qui me les a inspirées.
M. J. Lebeau. - Messieurs, les observations que vient de présenter l'honorable préopinant m'auraient fait renoncer à prolonger cette discussion, si je n'avais tenu à faire ici une profession de foi complète sur la partie la plus délicate du débat.
Je déclare être partisan très sincère, de la propagation dans toutes nos provinces de la langue française.
Je pourrais en donner beaucoup de raisons ; je ne les exposerai pas, le moment me paraît peu opportun ; mais, autant je tiens à cette propagation, autant je suis convaincu que la première condition du succès des vœux que je puis former à cet égard, c'est la plus entière impartialité je dirai même : une impartialité qui ne peut se démentir que par de la bienveillance pour la langue d'une grande partie de la population, pour la langue flamande.
J'ai le souvenir encore récent du froissement douloureux qu'a produit dans tous les cœurs l'obligation imposée à quelques provinces d'abandonner l'usage du français devant les tribunaux.
L'on a voulu propager dans le royaume des Pays-Bas la langue flamande par des moyens violents, par une véritable persécution à l'égard de certaines provinces qui, quoique réputes flamandes, montraient à cet égard peu de ce zèle, si recommandé, si désiré en haut lieu.
Eh bien, messieurs, je comprends les sentiments qui devraient animer nos frères des provinces flamandes, au seul souvenir des sentiments que nous avons éprouvés sous le gouvernement des Pays-Bas.
Notre désir de voir la langue française se propager dans tout le pays est donc la meilleure garantie du respect que nous aurons toujours pour une autre langue, qui se lie aux plus glorieux souvenirs et à toutes les traditions de famille dans les provinces flamandes.
Si donc je fais des vœux pour la propagation de la langue française, c'est sans manquer de respect pour tout ce qui se rattache aux souvenirs, aux traditions, à la langue des Flamands.
J'en appelle à M. le ministre de l'intérieur, n'ai-je pas agi en ce sens ? Ne lui ai-je pas recommandé plusieurs fois, avec une certaine instance, de venir en aide autant que possible, et sans toucher le moins du monde à la liberté du théâtre, de venir en aide, dis-je, au théâtre flamand à Bruxelles. A plusieurs reprises j'ai réitéré ces recommandations, et je dois déclarer que j'ai rencontré chez M. le ministre de l'intérieur les dispositions les plus impartiales, je dirai les plus bienveillantes.
M. de Haerne. - Je m'associe d'autant plus volontiers aux paroles que vient de prononcer l'honorable préopinant en faveur de la liberté des diverses langues nationales, que j'ai professé les mêmes sentiments à l'époque à laquelle il a fait allusion. J'ai été au nombre des pétitionnaires qui ont adressé ces nombreuses réclamations au gouvernement hollandais, par lesquelles nous avons si vivement insisté sur la liberté de la langue française.
Mais la question n'est pas là ; il ne s'agit pas ici d'imposer à une partie du pays la langue d'une autre partie. Il ne s'agit pas de procéder par voie de violence, il s'agit de savoir comment il faut encourager les langues qui se parlent dans le pays et se montrer juste envers les Flamands comme envers les Wallons.
Je suis grand partisan de la propagation de la langue française dans tout le pays ; mais je ne veux pas qu'on la propage dans les parties flamandes, au détriment de la principale langue de ces parties. Sous ce rapport, plusieurs membres de la Chambre restent dans une grande erreur ; ils s'imaginent que dans une partie des Flandres la langue française est en quelque sorte abandonnée, qu'elle est bannie des écoles.
Eh bien, j'ai l'honneur de déclarer, et je ne serai pas démenti par mes honorables collègues des Flandres, que, si, quelque chose est à reprocher aux écoles des provinces flamandes, c'est précisément le contraire, c'est que, par une espèce de préjugé, qui date de la domination française, on donne souvent dans ces provinces la préférence à la langue française.
Dans l'enseignement moyen le grec et le latin s'enseignent en français, il n'y a pas dans tout le pays un seul établissement d'instruction moyenne, où les langues anciennes s'enseignent en flamand.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans les établissements libres comme dans les autres.
M. de Haerne. - Je n'en excepte aucun, tous les établissements d'instruction moyenne, les établissements de l'Etat comme les établissements libres, dans les Flandres comme dans les autres provinces, tous donnent l’enseignement des langues anciennes au moyen de la langue française.
Il ne s'agit donc pas de dire qu'il y a des r éventions contre la langue française ; c'est tout le contraire qui existe.
Il y a beaucoup à faire en faveur du flamand en matière d'enseignement et pour rendre aux populations flamandes la justice qui leur est due.
La langue flamande, disait-on tout à l'heure, est obligatoire pour les fonctionnaires qui se trouvent dans les contrées flamandes, mais, ajoutait-on, il faudrait aussi que l'inverse existât ; il est fréquemment arrivé que des fonctionnaires étaient envoyés dans les provinces wallonnes sans savoir suffisamment le français.
Il y a ici, messieurs, une distinction à faire.
On doit connaître le français sans doute ; mais quant à la perfection, elle ne peut être généralement exigée. Certains fonctionnaires dans les provinces wallonnes, dit-on, ne savent pas assez bien le français ! Mais ceci deviendrait une question d'examen littéraire. L'essentiel, c'est qu'on possède le français de manière à pouvoir remplir ses devoirs vis-à-vis de ses administrés. Du reste, si l'on veut faire entrer la connaissance des deux langues dans les conditions requises pour exercer des fonctions publiques, je suis le premier à y souscrire, pourvu qu'il y ait égalité entre Flamands et Wallons.
Mais nous n'exigeons pas la connaissance des deux langues chez tous les fonctionnaires. Ce que nous exigeons, c'est que l'on n'impose pas aux populations flamandes des fonctionnaires qui ignorent le flamand. Il est clair que pour la même raison les fonctionnaires doivent posséder le français dans les contrées wallonnes. Quant au degré requis dans la connaissance des langues respectives, c'est une question d'appréciation, c'est une question d'équité administrative. Il faut procéder en cela avec prudence et avec justice.
Permettez-moi, messieurs, d'émettre une considération générale qui doit dominer tout le débat. Il faut éviter, avant tout, autant que possible des divisions fâcheuses en cette matière ; il faut éviter avec soin tout ce qui pourrait faire naître l'antagonisme de provinces à provinces ; il faut s'attacher à unir tout le pays dans un même sentiment national.
Je pense que sous ce rapport il convient d'encourager l'étude de la langue flamande non seulement dans les provinces flamandes, mais aussi dans les provinces wallonnes.
Je dois le dire, le gouvernement a introduit le flamand dans plusieurs établissements d'instruction moyenne des provinces wallonnes, entre autres à l'athénée de Tournai.
Eh bien, je désire que l'on continue à marcher dans cette voie, que (page 200) l'on encourage de plus en plus l'étude du flamand dans les provinces wallonnes, afin que ces provinces comprennent l'importance de la langue flamande, et qu'il n'y ait plus là cette espèce de mépris qu'on rencontre trop souvent aujourd'hui envers les populations flamandes.
D'un autre côté, les Wallons se feront respecter des Flamands, s'ils ne méprisent pas leur langue, et s'ils sont à même de s'en servir dans les fonctions qu'ils seraient appelés à remplir dans les contrées flamandes.
Le danger est dans la répulsion réciproque, à raison de la différence du langage. On a l'air de se faire des reproches, parce qu'on appartient à telle ou telle partie du pays. Il faut faire cesser ces causes de division et d'animosité qui n'existent que trop dans nos provinces.
Un autre moyen d'encourager efficacement l’étude de la langue flamande, c'est de l'élever à sa véritable hauteur linguistique, d'en faire un instrument de comparaison entre toutes les langues du Nord. Nous possédons au sein de nos populations flamandes un véritable trésor, nous possédons la clef de toutes les langues d'origine germanique.
Je voudrais qu'on élevât dans une université de l'Etat ou dans tout autre établissement du gouvernement, l'étude de la langue flamande à la hauteur des autres langues germaniques, et que, par des comparaisons, on fît ressortir la valeur scientifique de la langue flamande. C'est ce qu'on voit dans les universités d'Allemagne et du Danemark. On y donne des cours de linguistique pour les langues du Nord, même pour les langues mortes, telles que l'anglo-saxon. Un cours des diverses langues du Nord, y compris le russe, existe aussi dans certains instituts commerciaux d'Allemagne, dans celui de Lubeck, par exemple. Ces cours sont généralement fréquentés, même par des étrangers, à cause de l'importance des langues qu'on y enseigne et de la valeur scientifique qu'on donne à ces études. Pourquoi n'en ferions-nous pas autant, puisque nous possédons la même ressource que les Allemands ?
Il ne suffit pas d'avoir, dans nos universités, des cours de flamand, il faut des cours de linguistique pour les langues teutoniques. Le flamand devrait servir de base à l'étude comparative de ces langues. C'est ainsi qu'on relèverait notre belle langue aux yeux des Wallons, en lui donnant dans l'enseignement une véritable portée scientifique.
En Belgique, nous avons trois idiomes différents, le français, le flamand et l'allemand ; il en existe trois aussi en Suisse, le français, l'italien et l'allemand ; eh, bien, dans les grandes occasions historiques, n'a-t-on pas vu la Suisse s'unir comme un seul homme pour arriver à un but commun ?
Lorsque le patriotisme parle, les divisions s'effacent ; les hommes parlant des idiomes différents s'unissent pour le bien-être de la patrie. Il importe de cimenter cette union, en faisant comprendre aux populations l'importance des diverses langues usitées dans le pays, et tout le parti qu'on peut en tirer dans un but national.
M. Coomans. - Messieurs, je n'insiste pas, pour le moment, sur les explications du gouvernement qui sont ce qu'elles peuvent être, en attendant mieux ; mais je dois deux mots de réponse aux honorables MM. Dolez et Muller.
En m'associant à la motion de mon honorable ami, M. Van Overloop, je croyais répondre à un vœu presque général qui était de voir s'apaiser le mouvement flamand, d'y voir donner une solution définitive, utile, immédiate. Je recommandais donc avec cet honorable membre une prompte initiative de la part du gouvernement, et, s'il le jugeait convenable, une discussion au sein des Chambres.
Messieurs, en m'exprimant ainsi, je parlais en homme très modéré, car les honorables MM. Muller et Dolez se trompent étrangement, s'ils s'imaginent que je sois ici l'avocat reconnu et très dévoué des chefs du mouvement flamand. N'admettant pas toutes leurs prétentions, j'ai été accusé maintes fois de faiblesse et pour ainsi dire de trahison. Et à ce sujet, permettez-moi, messieurs, pour dégager ma personnalité de ce débat, de vous rappeler un fait.
Un jour, d'honorables amis, et en tête l'honorable M. Van Overloop, ont proposé à la Chambre de forcer tous les aspirants notaires à subir un examen sur la langue flamande. Selon moi, tous les notaires, dans les provinces flamandes, doivent savoir le flamand ; on voulait davantage dans cette Chambre, on exigeait que l'examen de tout candidat notaire portât sur la langue flamande, pour toutes les provinces de la Belgique. (Interruption.)
Si l'on niait le fait, je prierais mon honorable ami, M. Van Overloop, de me dire en quel point nous ne fûmes pas d'accord dans la circonstance dont je parle.
Et bien, je votai, à cette époque, avec les amis de l'honorable M. Muller, avec les députés liégeois, et je fus en dissidence avec mes honorables amis des Flandres. Je ne m'en repens pas. Il me suffit que les fonctionnaires placés dans les provinces flamandes-sachent le flamand. Je ne veux imposer à personne l'étude de la langue flamande. A mon grand regret, j'ai été en dissidence sur ce point avec mes honorables amis, et j'y reste encore.
Que nous demande-t-on maintenant ? De sortir des nuages, de préciser des griefs. J'en ai indiqué trois qui me semblent les plus sérieux.
D'abord, je pense qu'il est juste de ne jamais placer, dans les provinces flamandes, ou même dans les localités où l'usage de la langue flamande est dominant, de n'y jamais placer, dis-je, des fonctionnaires qui ne soient pas au courant de la langue flamande ; je ne demande pas qu'ils soient des littérateurs flamands accomplis, mais il faut que ces fonctionnaires sachent comprendre parfaitement leurs administrés.
Ensuite, je pense, avec les propagateurs du mouvement flamand, qu'il est juste que tous les documents administratifs qu'on emploie dans les localités flamandes soient rédigés en langue flamande. Cela ne se fait pas, ou du moins pas assez généralement.
J'ai indiqué un troisième grief. Je disais que dans nos grandes villes flamandes, c'était le spectacle français qui était énormément privilégié, aux dépens du théâtre flamand.
- Une voix. - C'est l'affaire des villes.
M. Coomans. - Privilégié par les autorités communales : cela va de soi ; j'ai parlé tout à l'heure des autorités en général ; il n'est pas entré un seul moment dans ma pensée de faire un grief au ministère des fonds alloués par certaines villes à certains théâtres.
M. Orts. - Quelles villes ?
M. Coomans. - Je vous citerai notamment les villes de Bruxelles, de Gand et d'Anvers ; dans ces villes, l'administration communale a accordé un subside, niais un subside très léger au théâtre flamand ; mais dans les mêmes villes, ou alloue des sommes énormes pour le théâtre français. (Interruption.)
L'honorable M. Lebeau ne me croit pas assez ignorant des lois belges pour m'attribuer la pensée que c'est le gouvernement belge qui subsidie les spectacles locaux de toute la Belgique.
J'ai donc dit, et je le maintiens, que dans nos grandes villes flamandes, le théâtre national, c'est le théâtre flamand. L'honorable M. Muller s'est trompé étrangement sur le sens de mes paroles qui me paraissaient très claires.
Il m'a reproché d'avoir soutenu que le théâtre national en Belgique est le théâtre flamand. Je n'ai pas exprimé cette pensée ; elle est par trop absurde ; je regrette que l'honorable membre me l'ait attribuée.
Du reste, je pourrais en dire davantage à cet égard. La ville de Liège qui est la ville la plus française de la Belgique (je l'entends dans le sens belge du mot), ne subsidie pas son théâtre.
Il m'est donc permis de demander qu'on accorde au théâtre flamand un dixième seulement des avantages accordés au théâtre français. J'affirme que les principaux propagateurs du mouvement flamand n'en demandent pas davantage sur ce point.
Voilà ce que j'avais à répondre à l'honorable M. Muller. Du reste, je m'associe à la plupart des observations qui ont été présentées par les honorables préopinants. Il est bien entendu qu'il ne s'agit d'imposer à qui que ce soit l'étude privilégiée de la langue française ou de la langue flamande ; ce qu'il faut, c'est être juste, admettre ce qu'il y a de fondé dans les griefs formulés à chaque instant dans la presse et à cette tribune, en finir une fois pour toutes avec ces plaintes. La chose est, d'ailleurs, facile, car je le déclare dès à présent, je n'admets pas toutes les conclusions du rapport dont nous nous occupons depuis une heure, mais quand il n'y en aurait que la moitié qui fussent admissibles, cela me suffirait pour insister une fois avec force pour qu'on aborde cette affaire et qu'on en finisse dans le sens indiqué par MM. de Haerne et Lebeau.
M. de Decker. - Messieurs, je n'étais pas présent à la séance quand M. le ministre a fourni quelques explications à l'occasion du rapport fait par l'honorable M. Vander Donckt sur des pétitions en faveur de la langue flamande
D'après ce qui m'a été dit, M. le ministre de l'intérieur aurait expliqué, justifié le retard apporté jusqu'à présent à la publication du rapport de la commission, par la détermination que je devais avoir prise de ne pas procéder à cette publication.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai dit que vous n'aviez pas jugé la publication opportune.
M. de Decker. - Je tiens à dire exactement ma pensée à la Chambre et à cette partie du pays qui s'occupe de cette question.
Un exposé des faits me paraît nécessaire.
Il y a deux ans la Chambre avait renvoyé au ministre de l'intérieur plusieurs centaines de pétitions venues de différentes communes des provinces flamandes. Dans ces pétitions, on signalait certains griefs des populations flamandes relativement à l'usage de leur langue.
C'était un devoir pour le gouvernement de s'occuper sérieusement de ces réclamations.
Il importait de constater une bonne fois ce qu'il y avait de réel et de dans ces griefs et de rechercher les moyens les plus propres à les faire cesser.
A cet effet, je jugeai prudent d'instituer une commission composée d'hommes compétents par leurs études et modérés de caractère, d'hommes ne voulant pas de brusques innovations dans cette matière délicate, de bouleversements intempestifs dans les diverses administrations du pays, mais aussi bien résolus à poursuivre prudemment le but que se proposent les défenseurs des populations flamandes.
Après avoir mûrement examiné toutes les questions qui se rattachent à l'usage de la langue flamande, la commission me présenta un rapport volumineux, accompagné des procès-verbaux de ses séances.
Ces pièces me furent adressées, si je me souviens bien, le 16 octobre 1857, c'est-à-dire quinze jours avant la crise ministérielle. J'avoue que je n'avais pas eu le temps de lire ce rapport ; j'en avait lu douze ou quinze pages. Je n'avais pas pris connaissance des conclusions pratiques du travail de la commission. Dans les douze ou quinze pages que j'avais lues, j'avais rencontré certaines expressions, certaines phrases qui, à mon avis, étaient de nature à être modifiées par la commission.
(page 201) Je n'avais donc pris ni pu prendre aucune détermination, n'ayant pas lu le rapport en entier ni examiné les conclusions et les propositions de cette commission.
Je crois devoir ajouter que, lorsque cette commission a été réunie et que je lui ai demandé un rapport, ce rapport, dans ma pensée, n'était pas destiné à être publié. Je croyais que le gouvernement était obligé de s'éclairer, eu demandant l'avis d'hommes compétents, comme cela s'est fait souvent pour la solution d'autres questions administratives, mais qu'il n'était nullement tenu de le publier, dans la supposition que cette publicité eût paru offrir certains inconvénients.
C'était donc dans le but d'éclairer le gouvernement et de le diriger dans la conduite à tenir par lui, que j'avais réuni la commission et que je lui avais demandé un rapport. Je m'étais réservé d'examiner s'il y avait, oui ou non, opportunité à le publier ; mais, encore une fois, je n'avais pris, en quittant le ministère, aucune détermination à cet égard.
Je ne puis donc pas être responsable de la détermination qu'a pu prendre, depuis, mon successeur ; il a eu le temps d'examiner.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous venez de dire que, dans les douze pages que vous aviez lues, vous aviez rencontré plusieurs passages que vous jugiez inopportun de publier.
M. de Decker. - Il y a loin de là à un refus de publier.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne récuse pas la responsabilité de ce que j'ai fait ; je me suis borné à rappeler qu'à l'époque où le rapport vous fut remis vous n'avez pas jugé opportun de le publier.
M. de Decker. - Je n'avais pas eu le temps de l'examiner, ni, par conséquent, de prendre une détermination.
Du reste, messieurs, je suis convaincu d'une chose, c'est que tous les ministres qui se succéderont au pouvoir, qu'ils appartiennent aux provinces flamandes comme moi, ou qu'ils appartiennent à d'autres provinces, comprendront la nécessité de se conduire, dans cette question, avec une extrême circonspection.
Il s'agit, d'une part, de ne pas froisser des populations qui ont le droit d'être administrées dans leur propre langue, droit naturel qu'on ne peut leur contester, ni leur ravir.
D'autre part, le gouvernement doit soigneusement éviter que cette question ne devienne un brandon de discorde, une cause de division entre les diverses provinces du pays. C'est à ce double point de vue que je voulais examiner le rapport, c'est à ce point de vue que mon successeur l'examinera sans doute et décidera.
Après cela, je ne veux pas m'étendre sur le fond même des questions soulevées par l'emploi de la langue flamande. Ce sujet a été traité par plusieurs de mes honorables amis que vous venez d'entendre.
Nous sommes tous d'accord qu'en cette matière il ne faut rien précipiter, il faut aller lentement.
Parmi les réformes à opérer, il en est qu'on pourrait immédiatement mettre à exécution ; mais il en est d'autres qu'on ne peut songer à improviser, qui sont destinées à devenir l'œuvre du temps, l'œuvre des circonstances.
Il ne faut pas s'effrayer outre mesure des réformes de ce genre. Beaucoup de gouvernements se trouvent en présence des mêmes difficultés.
En Autriche, en Suisse, en Piémont, en Danemark, les mêmes questions se présentent.
Le gouvernement avait demandé des renseignements ofliciels par voie diplomatique, sur les moyens employés dans ces divers pays, pour améliorer une solution convenable, équitable de ces questions délicates.
La commission s'est souvent inspirée de ces exemples, et elle propose des réformes et des améliorations qui se recommandent à la sollicitude de M. le ministre de l'intérieur.
Il importe cependant de le déclarer hautement : le mal dont on se plaint ne vient pas exclusivement du gouvernement mais, bien plus souvent, des administrations communales et provinciales et des populations mêmes.
Ici encore, on rejette toutes les fautes sur le gouvernement ; il semble que tous les torts viennent de lui seul, alors que c'est de la fermeté des populations et des administrations locales qu'il faudrait attendre la réalisation d'importantes améliorations.
Ainsi, pour l'administration 'des villes et des communes qu'est-ce qui empêche d'employer la langue flamande ? Qu'est ce qui s'oppose à ce que las villes d'Anvers, de Gand, discutent en flamand leurs intérêts communaux ?
Puisqu'on réclame tant pour le respect des droits des populations flamandes, pourquoi les magistrats de ces villes ne donnent-ils pas l'exemple de ce respect ? Pourquoi, dans les tribunaux, les avocats ne plaident-ils pas en flamand, quand l'intérêt de leurs clients semble l'exiger ? Rien n'empêche les avocats, quand ils le jugent convenable, de plaider en flamand, cela se voit quelquefois.
Je sais bien que cela ne serait pas toujours du goût de tout le monde ; je sais que cela serait moins commode pour les personnes qui ont l'habitude de la langue française ; mais je veux établir seulement qu'il n'y a, de par le gouvernement ni de par la loi, aucun obstacle à ce que, dans beaucoup de circonstances, l'on fasse usage du flamand dans les provinces flamandes. Jusque dans nos communes les plus reculées l'administration se fait aujourd'hui en français ; une telle anomalie est souvent parfaitement ridicule. La plupart des bourgmestres et des secrétaires communaux rédigent les actes administratifs et les correspondances avec le gouverneur en langue française, c'est-à-dire dans une langue que ne comprennent point la plupart des conseillers communaux dont toutes les délibérations ont lieu en flamand.
II y a donc, sous ce rapport, des améliorations à introduire par voie de conseils et d'influences gouvernementales ; car, je le répète, il y a, de par le gouvernement et de par la loi, bien moins d'obstacles qu'on ne le croit généralement au développement de l'autorité administrative de la langue flamande.
Il est bon que les populations flamandes le sachent, le sort de leur langue est entre leurs mains.
M. Orts. - J'ai demandé la parole, messieurs, uniquement pour répondre à l'une des observations que vient de présenter l'honorable M. Coomans, observation qui ne concerne pas le gouvernement. L'honorable membre se plaint de ce que le théâtre flamand n'est pas encouragé par les grandes villes de la Belgique, et il a cité entre autres la ville de Bruxelles.
J'ai, comme membre du conseil communal de cette ville, toujours défendu les subsides qui ont été accordés au théâtre flamand de Bruxelles. Souvent j'ai été assez heureux de voir les réclamations que j'ai faites en ce sens couronnées de succès. Je ferai remarquer à l'honorable M. Coomans que le théâtre flamand de Bruxelles voit son subside grandir d'année en armée. Mais la seule objection que l'on fasse au conseil communal contre l'allocation de subsides plus considérables est celle-ci : Il ne faut pas, dit-on, en matière de subside, proportionner celui que la commune donne au théâtre flamand ou français au chiffre de la population qui parle l'une ou l'autre langue ; le subside alloué au théâtre flamand, au chiffre de la population flamande que Bruxelles renferme, mais au public, c'est-à-dire à la partie de cette population qui fréquente le théâtre. Et quand je demandais qu'on augmentât le chiffre du subside, on me répondait : Il y a une nombreuse population flamande à Bruxelles, c'est vrai, mais elle ne va pas au théâtre flamand, elle préfère le théâtre français, et j'ai été obligé de convenir, statistique sous les yeux, que cela est parfaitement vrai ; le public flamand paraît trouver le français plus amusant. Est-ce un tort ? Je l'ignore ; mais nos théâtres français, les petits comme les grands, regorgent le dimanche de spectateurs appartenant à la classe inférieure ; tandis que le théâtre flamand est peu peuplé, et, pour la majeure partie, d'ouvriers qui y trouvent accès au moyen de cartes que leur distribue des souscripteurs, chefs d'ateliers et de manufactures, à titre de récompense.
Je persévérerai cependant, messieurs, dans mes efforts pour obtenir de la ville de Bruxelles des subsides plus considérables en faveur de noire théâtre flamand, chaque fois qu'une véritable utilité justifiera mon intervention. Mais je demanderai à l'honorable M. Coomans qu'il veuille m'aider dans l'accomplissement de la tâche, qu'il veuille bien user aussi de toute son influence sur tous ses amis en faveur du théâtre flamand.
Je lui signalerai notamment un obstacle à leur propagation, contre lequel je l'engagerai à déployer toute son énergie. Dans une foule de localités flamandes où on ne parle pas le français, quelques personnes, appartenant à la partie la plus éclairée de la société, se sont souvent formées en sociétés de littérature, et, comprenant avec M. Coomans combien le théâtre est un instrument puissant de propagande littéraire, elles ont entrepris de donner des représentations dramatiques, rappelant ainsi les grands souvenirs de nos anciennes chambres de rhétorique qui jetèrent autrefois un si brillant, un si vif éclat sur le passé littéraire de notre pays.
Eh bien, ces modernes chambres de rhétorique, bien loin d'obtenir en Flandre les encouragements que l'honorable M. Coomans reproche à nos grandes villes de ne pas donner aux théâtres flamands, ont généralement été représentées comme des éléments corrupteurs introduits au sein des populations des Flandres, tuées sous cette accusation, et certes la langue flamande n'a pas gagné grand-chose à de pareilles critiques.
J'engage donc l'honorable M. Coomans, avant.de blâmer Bruxelles, Gand ou Anvers, à faire encourager par ses amis le goût du théâtre flamand et à joindre son influence à la leur pour soustraire les sociétés qui poursuivent ce but aux accusations injustes auxquelles je viens de faire allusion.
M. B. Dumortier. - Je suis d'avis, avec l'honorable M. Dolez, qu'il faut éviter que la question qui nous occupe devienne une cause de discorde dans le pays ; mais, pour arriver à ce résultat, il est une chose qu'il faut respecter par-dessus toutes, c'est la justice. Quand on ne se laissera plus guider par d'autres sentiments envers la langue flamande, qui est le plus puissant élément de notre nationalité, tout élément de discorde aura bientôt disparu. Or, il n'est point douteux que la justice n'est pas toujours respectée dans cette question relative aux deux langues usitées en Belgique, et qu'en bien des choses une grande partialité a été montrée contre la langue flamande.
Je ne dis pas que ce soit toujours le fait du gouvernement ; on vous l'a dit, avec raison, dans beaucoup de cas c'est le fait des administrations communales qui se sont laissé aller à un entraînement déplorable, mais en fin de compte il n'est pas moins vrai que le justice est loin d'être respectée en matière de langues.
Ainsi, je me souviens parfaitement qu'autrefois dans la ville de Bruxelles, dont on vient de parler, l'indication des rues était donnée dans les deux langues.
(page 202) Or, depuis quelque temps, on a jugé convenable de placer au coin des rues de nouveaux écriteaux qui ne portent plus l'indication des rues en langue flamande. Cela est-il juste ? Je ne le pense pas ; je crois que la population flamande de Bruxelles que la population flamande qui vient dans la capitale avait bien le droit d'avoir l'indication des rues en flamand aussi bien qu'en français. C'est là un acte de partialité regrettable contre la langue nationale. Des faits analogues se sont produits dans diverses autres villes. Dans beaucoup de localités rurales, les administrations communales ont pris à tâche d'adopter exclusivement l'usage de la langue française, alors même que leurs administrés ne comprennent et ne parlent que le flamand. On conçoit parfaitement, dès lors, les réclamations qui ont surgi et ces réclamations sont certainement fondées.
Car si l'usage des langues est facultatif, il l'est bien plus pour l'administré que pour l'administrateur, et il est vraiment étonnant de voir des administrations communales répondre en français a des pétitions rédigées en flamand par des gens qui ne comprennent pas d'autre langue et qui ne savent par conséquent pas ce qu'on leur répond.
La question des langues peut se présenter notamment sous le rapport de la littérature et de l'instruction. Quant à la littérature flamande je crois que le gouvernement ne peut l'encourager que dans la limite du budget. Cette littérature, messieurs, est digne de toute la sollicitude du pays et nous pouvons être fiers de posséder des écrivains tels que MM. Conscience, Van Duyse, Bleick, Cracco et tant d'autres.
Un pays doit être heureux et fier de pouvoir montrer des écrivains d'un tel mérite, et qui, par leurs travaux, honorent la patrie à l'étranger et il leur doit tous les encouragements dont il dispose. Mais si les encouragements du gouvernement eu matière de littérature flamande ne devraient pas être épargnés, il me semble que, dans l'intérêt même des Wallons, il pourrait faire enseigner le flamand dans tous les collèges des provinces wallonnes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est ce qu'on fait.
M. B. Dumortier. - Je crois que cela n'est que facultatif ; tandis que je voudrais que cet enseignement y fût obligatoire. (Interruption.)
J'en parle, messieurs, en homme qui sent profondément le vide de notre instruction en matière de langues vivantes ; j'ai toujours éprouvé un profond regret de ne point connaître la langue flamande ; je l'ai dit et répété maintes fois dans cette enceinte depuis plus de 25 ans. Comment ! nous avons chez nous la clef de toutes les langues du Nord et nous, Wallons, nous nous privons de cet avantage et nous restons, sous ce rapport, dans une position permanente d'infériorité vis-à-vis de nos concitoyens de la Flandre ! Nos collègues des Flandres avec la langue flamande et la langue française peuvent apprendre avec facilité toutes les langues de l'Europe, tandis qu'avec cette dernière langue nous pouvons apprendre facilement l'espagnol et l'italien ; les langues teutoniques sont pour nous une impossibilité, et ce vide dans notre éducation est bien plus grand que serait celui d'apprendre aux élèves à faire de mauvais vers latins ou d'inutiles thèmes grecs.
Voyons les emplois. Un jeune homme qui a fait ses études dans les provinces wallonnes, n'y ayant pas étudié le flamand, se ferme par cela même la carrière dans la moitié du pays, tandis que le flamand qui toujours a étudié le français est propre à remplir des fonctions dans toute l'étendue de la Belgique.
Je dis qu'à ce point de vue il serait très désireux que dans toutes les écoles on enseignât obligatoirement le flamand, afin de mettre tout le monde sur la même ligne. C'est ainsi qu'à l'athénée de Tournai il y a un cours de langue flamande que les élèves sont obligés de suivre, et je regarde cela comme un véritable bienfait pour la population de la ville de Tournai.
Je désire que chaque partie du pays conserve sa langue, mais qu'on y apprenne en même temps la langue de l'autre partie du pays.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous êtes bien député d'un district flamand.
M. B. Dumortier. - Quand on m'a nommé député de Roulers on savait fort bien, dans cette localité, que je ne savais parler le flamand, qui y est fort en honneur, mais les électeurs se sont mis au-dessus de semblables considérations ; ils ont prouvé que les grandes questions de patriotisme les préoccupent avant tout.
Au surplus, la thèse que je soutiens ici, messieurs, je ne la soutiens pas seulement depuis que je suis député de Roulers, je la soutiens depuis plus de vingt ans, je la soutiens depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette Chambre, parce que je sens profondément le vide immense que notre dédain pour la langue flamande laisse dans notre éducation.
Je dis, messieurs, que, sous le rapport des langues, nous sommes dans un état de véritable infériorité à l'égard des Flamands qui ont étudié le français. Tous les jours je regrette de ne pas pouvoir user comme eux des langues germaniques, tous les jours je regrette de ne pas pouvoir parler la langue de mes concitoyens, lorsque je sors de ma province ; cela prouve combien notre éducation a été vicieuse.
M. Tesch. - Et l'allemand !
M. B. Dumortier. - M. Tesch dit : Et l'allemand ! Je ne demande pas qu'on fasse de tous les jeunes gens des polyglottes, mais je dis que c'est un grand bonheur de connaître une langue teutonique ; et le flamand est la plus respectable, la plus éminente de toutes les langues teutoniques, car elle contient beaucoup de sons que votre langue allemande ne contient pas, les sons de toutes les langues de l'Europe, ce qui lui donne une variété et une richesse que l'allemand ne possède pas.
Lorsqu'on a le bonheur de connaître le flamand et le français, on apprend très facilement l'anglais en trois mois, l'allemand en six mois, et en peut, en fort peu de temps, se mettre en état de traverser l'Europe et des manque des mots$ se faire comprendre partout. Je le répète encore, messieurs, nous sommes sous ce rapport dans un véritable état d'infériorité à l'égard de ceux qui savent deux langues, tandis que nous n'en savons qu'une, et je crois que pour porter remède à cet état, il faudrait rendre l'étude de la langue flamande obligatoire dans nos collèges.
Maintenant, messieurs, comme le disait mon honorable ami M. de Haerne. pourquoi n'y a-t-il pas une chaire flamande dans nos universités ? Nous ne sommes pas le seul pays qui possède plusieurs langues ; dans une partie de l'Angleterre ou parle la langue gallique ; eh bien, dans les universités anglaises il y a une chaire gallique.
- Un membre. - Il y a une chaire de flamand dans nos universités.
M. B. Dumortier. - Dans l'une de nos universités, mais pas dans l'autre.
- Un membre. - Il n'y aurait pas d'élèves.
M. Dumortier. - Quand vous aurez un professeur vous aurez des élèves ; mais, il est bien certain que quand vous n'avez pas de professeur vous ne pouvez pas avoir d'élèves.
D'un autre côté, messieurs, le gouvernement doit engager les autorités communales à bien se pénétrer de cette vérité que, lorsqu'elles administrent une localité où l'on ne parle que le flamand, elles doivent entretenir leur correspondance avec leurs administrés dans la langue que parlent ces administrés. Quand on parle deux langues dans une ville, le gouvernement doit dire à l'autorité communale de cette ville de faire mettre les noms des rues dans les deux langues, afin de faire disparaître ce symbole officiel de domination de la langue française.
Il ne faut pas qu'on voie, comme dans la capitale, disparaître la langue flamande de l'indication des noms des rues, au grand scandale de la partie flamande de la population, pour qui cela est une affectation de mépris.
Quant aux emplois, j'ai entendu formuler un reproche et j'ai lieu de croire que le fait est exact : le gouvernement (je ne parle pas du ministère actuel ; la question de savoir quel est le ministère auquel on attribue cet acte, cette question m'est fort indifférente), le gouvernement aurait nommé à des fonctions de juges, de notaires, par exemple, dans les Flandres, des personnes qui ne savaient pas un mot de flamand. Si cela était vrai, ce serait un scandaleux abus, et j'engage le gouvernement à veiller à ce qu'il ne se reproduise plus à l'avenir.
J'examinerai le rapport dont le dépôt nous est annoncé et j'en propose l'impression et la distribution, afin que chacun de nous puisse connaître les remèdes que propose la commission pour mettre un terme aux abus dont se plaignent les pétitionnaires.
M. Coomans. - L'honorable M. Orts m'oblige à prendre encore un instant la parole pour un fait personnel.
Il ne s'agit pas d'examiner la valeur morale et littéraire de l'art scénique français et de l'art scénique flamand Nous ne sommes pas une académie ; nous sommes des législateurs qui devons nous placer au point de vue de la justice et qui devons rendre justice à qui le demande.
L'honorable membre m'invite à procurer des spectateurs à la scène flamande, attendu que les subsides accordés à cette scène ne sont pas ce qu'il voudrait lui-même qu'ils fussent. Ce n'est point là ma mission.
Si j'avais à apprécier la valeur de la scène flamande, j'aurais bien des reproches à lui faire. Je lui reprocherais de ne donner guère que des traductions de pièces françaises. Le défaut de l'art scénique flamand (et c'est peut-être là la cause principale du manque de spectateurs dont parle l'honorable M. Orts), c'est le manque d'originalité. On s'applique trop généralement à traduire des pièces françaises. Pour ma part, je ne m'en soucie aucunement.
J'ai avancé des faits incontestables ; j'ai soutenu que nos grandes villes donnent, pour les grandes scènes françaises, 100 et même 150 fois plus d'argent qu'au théâtre flamand. J'ai demandé si cela était juste.
Ce serait une autre question de savoir si les grandes villes ne feraient pas mieux d'imiter la ville de Liège ; là on laisse l'art libre, et on lui fait subir toutes les conséquences de la concurrence.
Pour moi qui trouve que nos grandes villes ont une tendance beaucoup trop prononcée pour les dépenses, je me garderai bien d'exiger a priori des villes de forts subsides pour n'importe quoi ; mais je demande qu'on apporte une certaine justice distributive dans l'allocation des subsides ; qu'on n'accorde pas d'une main trop avare à la langue flamande ce qu'on accorde avec une extrême prodigalité à la langue française. Tel a été le seul but de mes observations ; elles n'avaient pas du tout la portée que leur a donnée l'honorable M. Orts.
M. Deliége. - Messieurs, comme mon honorable collègue M. de Decker, je crois que nous devons surtout éviter que la question qui nous occupe ne devienne pour le pays un brandon de discorde.
La même question a été soulevée avant 1830. Je faisais alors partie des états provinciaux de Liège ; je sais le parti qu'on en a tiré, l'agitation qu'elle a produite dans le pays.
Je regarde donc comme un devoir, chaque fois qu'on vient avancer, (page 203) dans cette enceinte ou ailleurs, des faits erronés, d'en prouver l'inexactitude.
Ainsi, l'honorable M. Dumortier vient d'avancer un fait qui est certainement erroné. Je suis certain qu'il reconnaîtra avec moi que c'est une erreur.
M. B. Dumortier. - Ce n'est pas une erreur.
M. Deliége. - Il a dit qu'on avait nommé dans les tribunaux des provinces flamandes des magistrats qui ne savaient pas le flamand. Eh bien, c'est le contraire qui a eu lieu.
Je crois que dans les tribunaux de première instance des provinces flamandes, il y a peut-être un seul magistrat qui vienne d'une province wallonne, tandis que, dernièrement encore, dans les dernières nominations qui ont eu lieu dans la province de Liège ( et je me hâte de dire que je suis bien loin de m'en plaindre ), on a nommé au tribunal de Liège un substitut né Flamand et venant d'une province flamande.
A Verviers, on a aussi nommé un procureur du roi qui ne connaît pas la langue dont se servent les témoins.
Je le répète, messieurs, j'énonce ces faits non pour m'en plaindre, bien loin de là, mais pour démontrer que ceux que l'on avance sont loin d'être toujours vrais et qu'on ne doit accueillir ces faits qu'avec beaucoup de circonspection.
M. Muller. - Messieurs, si je prends de nouveau la parole, c'est pour faire remarquer qu'on voudrait pousser le gouvernement dans une voie diamétralement contraire à la liberté communale.
Ainsi, on est venu se plaindre ici de ce que des subsides étaient accordés par des administrations communales flamandes, de préférence au théâtre français et qu'on en refusait au théâtre flamand.
Mais par qui sont nommés les membres des administrations communales ? Par les électeurs. Si c'était un grief sérieux, les électeurs sont là pour faire justice. Mais il ne faut pas que, sous prétexte de langues, on vienne encourager le gouvernement, par exemple, à donner des instructions, fort inutiles, aux administrations communales. Je dis que le remède est dans les corps électoraux Si les administrations communales ne font pas leur correspondance dans la langue comprise par la majorité des habitants, c'est aux électeurs à faire justice de ces administrations ; mais n'engageons pas le gouvernement dans une voie qui pourrait devenir funeste.
M. B. Dumortier. - Messieurs, je ne sais si l'observation de l'honorable préopinant est bien sérieuse ; ignore-t-il que les habitants des petites communes flamandes ne sont presque jamais électeurs et n'ont, par conséquent, pas voix au chapitre ? Nous n'avons pas le suffrage universel en Belgique. Ce sont précisément ceux qui n'ont pas voix au chapitre, qui se plaignent, et ils ont raison.
Je ne puis non plus considérer comme sérieux ce qu'a dit l'honorable M. Deliége. Il faudrait, à son sens, que toute la Belgique parlât le patois de Liège.
Je ne pense pas que, quand la Constitution a parlé de l'usage facultatif des langues, elle ait voulu faire allusion aux divers patois ; il ne peut s'agir là que de la langue française et de la langue flamande. Cela est tellement vrai que bien qu'il y ait eu beaucoup de Liégeois au ministère, jamais il n'est entré dans la pensée de ces messieurs de faire traduire le Bulletin des lois en patois liégeois.
M. Orts. - Messieurs, je n'ai pas été bien compris par 1 honorable M. Coomans ; je n'ai pas demandé que l'honorable membre, comme il semble le croire, use de son influence sur ses amis en faveur des subsides alloués au théâtre flamand de Bruxelles ; j'ai demandé que l'honorable M. Coomans use de cette influence, pour que le théâtre flamand dans les Flandres soit traité avec plus de bienveillance par d'autres que l'autorité. Que le théâtre flamand dans la capitale soit équitablement subsidié, mon influence lui est acquise et j'en fais mon affaire. Je demande à l'honorable M. Coomans son influence près de ses amis pour que le théâtre flamand, en Flandre, ne soit pas excommunié.
- La discussion est close.
L'offre, faite par M. le ministre de l'intérieur de déposer sur le bureau le rapport de la commission, est acceptée par la Chambre.
L'assemblée renvoie purement et simplement au même ministre les pétitions sur lesquelles a roulé le débat qui vient d'être clos.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Deynze, le 4 novembre 1858, des consommateurs et négociants en engrais, charbon et autres matières qui se transportent par eau, demandent que la section du canal de Schipdonck à la Lys soit ouverte à la navigation.
Messieurs, plusieurs pétitions dans le même sens ont été déjà adressées à la Chambre, votre commission en a proposé le renvoi au ministre des travaux publics ; comme celle-ci s'appuie sur les mêmes motifs, la commission se borne à vous proposer le même renvoi.
M. Tack. - Messieurs, déjà plusieurs pétitions conçues dans le même sens que celles sur lesquelles l'honorable M. Vander Donck vient de faire rapport, ont été adressées à la Chambre. Les pétitionnaires demandent que le canal de Deynze à Schipdonck soit ouvert sans retard à la navigation. Cette demande me paraît fondée en équité et en raison. Le canal de Deynze à Schipdonck est à la fois la voie la plus courte, la moins dispendieuse et la plus facile qui relie la Lys au canal de Bruges. Il forme la première section du grand canal de dérivation qui doit conduire les eaux de la Lys directement vers la mer, et ainsi épargner aux riverains du bassin de cette rivière, les désastres auxquels ils sont exposés périodiquement durant la saison d'hiver.
Le canal de Deynze à Schipdonck est donc avant tout un canal de dérivation construit dans le but de procurer un écoulement facile aux eaux surabondantes des Flandres ; mais d'après l'opinion de tous les hommes compétents, ce canal peut dès à présent, sans inconvénient, sans qu'on soit exposé à nuire à la réalisation de son but principal, être utilisé pour la navigation. Les travaux du canal de Schipdonck sont arrivés à ce degré d'avancement qui permet de le livrer à la navigation, sans qu'il en coûte pour le moment une obole à l'Etat. Déjà la navigation se fait par le canal, mais dans la direction de Schipdonck à Deynze. Le gouvernement permet la navigation d'aval en amont et maintient les obstacles quand il s'agit de pratiquer la navigation en sens inverse, d'amont en aval.
Ou tolère que les bateaux venant par le canal de Bruges entrent dans le canal de Schipdonck, tandis qu'on ne permet pas qu'ils arrivent par la Lys. Ce régime entraîne de fâcheuses conséquences. Je citerai un exemple pour les faire mieux saisir : un bateau eu descente de la Lys destiné pour une localité située le long du canal de Schipdonck, se présente au barrage de Deynze ; quelques heures de navigation suffiraient pour qu'il fût rendu à sa destination ; au lieu de lever l'obstacle pour lui livrer passage, ce qui serait chose facile, on l'obligea un transbordement et on le force à faire un circuit, à prendre le bief de Deynze à Gand, à faire la traverse de cette ville où il doit payer des droits d'écluse et de pont et des salaires aux francs haleurs, puis à emprunter le canal de Bruges pour rentrer dans le canal de Schipdonck et revenir en quelque sorte à son point de départ.
Vous comprenez que des réclamations s'élèvent de la part des négociants et de la part des bateliers contre un pareil état de choses. Ces réclamations deviennent de plus en plus pressantes, car il y a d'autres inconvénients encore, surtout depuis la grande pénurie d'eau.
Il est arrivé dans le courant de l'été que des bateaux chargés de charbon venant du couchant de Mons, qui avaient l'habitude de descendre l'Escaut par Tournai, Audenarde, Gand et de remonter la Lys, ont été obligés, faute d'eau de séjourner pendant plusieurs semaines dans le bief qui sépare Deynze de Gand, et n'ont pu se dégager au bout d'un long laps de temps qu'en rompant charge et en recourant aux allèges.
Si le canal de Deynze à Schipdonck avait été ouvert, ils auraient pu éviter le bief de Deynze à Gand en passant par Gand dans le canal de Bruges, de là dans celui de Schipdonck, ensuite dans le bief de la Lys, compris entre la commune de Vive-Saint-Eloi et Deynze.
Par suite de ces entraves et des gros péages les bateaux venant de Mons empruntent maintenant les voies navigables de France, et désertent celles du pays ; au lieu de passer par Gand, ils passent par les canaux français.
Et ceci n'est point une vaine allégation ; qu'on consulte les registres de l'écluse de Comines, on verra qu'il en passe davantage par cette voie que par la voie de Gand ; du moins le nombre de bateaux entrant par Comines en Belgique augmente tandis que le nombre de ceux qui remontent la Lys ne fait que décroître.
Si tout cela est, comment se fait-il qu'on n'ouvre pas le canal de Schipdonck à la navigation ? Y a-t-il des raisons pour ne pas le faire ? Je n'en connais aucune qui soit sérieuse.
On a dit que la loi qui décrète la construction du canal de Deynze à Schipdonck a eu en vue la dérivation des eaux de la Lys et qu’il n'y est pas question de navigation. Mais la preuve que le gouvernement a eu lui-même en vue la navigation aussi bien que la dérivation sur cette section de Deynze à Schipdonck, le canal de Deynze à Schipdonck, c'est que tous les travaux ont les proportions voulues pour en faire un canal de navigation ; s'il n'en était pas ainsi, le gouvernement aurait fait une masse de dépenses inutiles, qui n'ont aucun rapport avec la dérivation.
Mais, messieurs, nous qui demandons que le canal de Deynze à Schipdonck soit ouvert à la navigation, s'il y avait le moindre danger à ce que cette mesure pût nuire à l'écoulement des eaux, nous serions les premiers à nous y opposer, car en cas d'inondation nous serions les premières victimes. C'est parce que nous avons la conviction, conviction partagée par le corps des ponts et chaussées, que le service de navigation peut être combiné avec celui de la dérivation, que nous insistons pour qu'il soit fait à des réclamations qui intéressent la Flandre occidentale tout entière.
Au fond, c'est un scrupule de légalité qu'on élève, mais si la mesure que nous réclamons ne doit nuire en rien au but principal que l'on a eu en vue en construisant le canal, quel mal y aurait-il à l'affecter immédiatement au service de la navigation ? Actuellement le canal ne sert point à l'évacuation des eaux, il ne pourra fonctionner comme voie de dérivation que lorsqu'il sera prolongé jusqu'à la mer. Dans l'intervalle et provisoirement, qu'il serve au moins à quelque chose.
Du reste, le gouvernement autorise, comme je l'ai dit tantôt, la navigation dans la direction de l'aval vers l'amont ; pourquoi, dès lors, ne pourrait-il pas autoriser aussi la navigation en sens inverse ? Je concevrais l'objection s'il s'agissait de modifier en quoi que ce soit le régime actuel des eaux ; mais ce régime, nous le respectons. Nous ne demandons pas que pour le moment il soit fait aucun ouvrage d'art qui puisse entraver, dans l'avenir, l'écoulement des eaux. Si le canal avait été livré à la navigation, depuis sept ans qu'il est construit, il n'en serait évidemment résulté aucun préjudice pour personne, mais, au contraire, de grands bienfaits pour le commerce et pour la batellerie.
(page 204) J'insiste donc auprès de M. le ministre chargé du portefeuille des travaux publics pour qu'il prenne des mesures afin de faire droit dans le plus bref délai à la demande des pétitionnaires.
M. Manilius. - Je ne me chargerai pas de répondre à l'honorable préopinant sur les causes qui peuvent engager le gouvernement à ne pas ouvrir plus promptement à la navigation le canal de dérivation de Deynze à Schipdonck. Seulement je tiens à répondre à l'honorable membre que la ville de Gand n'a aucun intérêt à empêcher cette navigation si cette navigation est possible, s'il y a moyen d'y faire servir le barrage de Deynze.
L'honorable membre a dit que les travaux exécutés avaient modifié les conditions de la navigation ; mais, messieurs, avant l'exécution de ces travaux, il y avait le canal de Nevele et ce canal satisfaisait aux besoins de la navigation pour ses riverains.
Au surplus, messieurs, que l'honorable membre se borne à exprimer le vœu de voir le canal de Deynze à Schipdonck livré à la navigation, je le veux bien, mais qu'il n'accuse pas, du moins, la ville de Gand de s'opposer à ce qu'il soit satisfait à ce vœu. La ville de Gand désire tout autant que lui de voir cette nouvelle voie de communication ouverte à la navigation.
M. de Haerne. - J'entends avec beaucoup de plaisir l'honorable député qui représente plus spécialement le district de la ville de Gand, nous assurer qu'il désire autant que nous que le canal de dérivation de Deynze à Schipdonck soit livré le plus tôt possible à la navigation.
Il a cependant fait une observation que je ne crois pas exacte et à laquelle je dois, par conséquent, répondre quelques mots. L'honorable membre dit que les travaux ne sont pas assez avancés pour qu'on puisse immédiatement lever les poutrelles établies à Deynze et qui seules empêchent aujourd'hui la navigation. C'est là une question technique facile à résoudre ; lors de la première discussion relative à cette question on disait qu'avant de rendre le canal navigable, il fallait qu'il fût achevé d'abord jusqu'à la mer. Aujourd'hui, on fait entendre qu'il faut d'autres travaux. D'après ce que, depuis nombre d'années, j'ai entendu de la part de plusieurs ingénieurs tant de la Flandre occidentale que de la Flandre orientale, je crois que ces allégations ne sont pas fondées ; on sait qu'il y a aujourd'hui un barrage à Nevele, à une lieue de Deynze.
Or, si on levait les poutrelles au barrage de Deynze, le seul inconvénient qui en résulterait c'est qu'on perdrait ainsi une certaine quantité d'eau, mais fort petite en général, puisque le niveau de la Lys et celui du canal ne diffèrent guère d'un pied et s'égalisent pour ainsi dire en temps ordinaire.
Mais comme les eaux peuvent toujours être arrêtées au barrage de Nevele, il en résulte qu'il serait toujours facile d'obvier aux inconvénients dont on parle et dont on ne s'effraye pas le moins du monde sur les bords du canal.
Si l'état des eaux ne permet pas le passage par le canal, on ne laissera pas passer les bateaux de ce côté ; on leur fera prendre la voie qu'ils suivent aujourd'hui.
C'est ce que j'ai déjà eu l'honneur d'alléguer à la Chambre dans les séances du 27 mai et du 20 mars derniers.
J'ai donc raison de dire, messieurs, que l'inconvénient signalé n'a aucune signification ; il n'est pas plus sérieux ici que sur le canal de Terneuzen ; ce canal, construit sous le gouvernement hollandais, avait aussi primitivement pour but l'évacuation des eaux, ce qui n'a pas empêché qu'on en ait fait un magnifique canal de navigation et même un canal maritime dans l'intérêt de la ville de Gand.
Dans la séance du 27 mai dernier, j'ai parlé de l'écluse à sas qu'on a projeté de construire à Deynze.
J'ai dit que, s'il fallait construire aujourd'hui cette écluse, il faudrait qu'un projet de loi nous fût soumis à cet effet. Les fondements sont jetés pour faire l'écluse et on y a dépensé environ 100,000 fr. pour les fondations et pour les ouvrages d'art qui s'y rattachent.
Mais comme nous ne voulons pas demander l'exécution immédiate de ce travail, rien ne doit empêcher, en attendant, que le gouvernement ne fasse droit aux réclamations des pétitionnaires, qui appartiennent à l'arrondissement de Gand. Déjà, nous avons reçu une pétition de la commune de Meygem au sujet de laquelle j'ai pris la parole. Une autre nous est arrivée de Landeghem.
Il y a quelques jours, la commune de Nevele a également réclamé, je n'ai rien dit sur cette dernière pétition, parce qu'elle tendait au même but que les précédentes.
Aujourd'hui, je prends la parole parce que la question vient d'être soulevée devant la Chambre.
Il y a quelques mois, la chambre de commerce de Courtrai s'est adressée directement au gouvernement pour lui présenter la même réclamation et voici, messieurs, un des principaux arguments, une des raisons décisives sur lesquelles elle s'est appuyée pour démontrer l'urgence de la mesure qu'on réclame.
La chambre de commerce s'est basée sur l'état actuel des eaux. Vous savez que les eaux sont très basses et que la navigation sur la Lys, surtout entre Gand et Deynze, est devenue extrêmement difficile ; souvent même elle est tout à fait impossible, de manière que les bateaux, non seulement les bateaux houillers, mais aussi les bateaux chargés de guano ou de denrées coloniales qui viennent d'Anvers, ne peuvent pas passer par cette partie de la Lys et sont obligés de stationner dans ce bief quelquefois pendant plusieurs semaines, et cela au grand détriment des bateliers, des négociants et des consommateurs. Ainsi, je tiens d'un négociant qu'il a perdu, de ce chef, sur un seul bateau, environ 600 francs.
Ce n'est donc pas sans raison, messieurs, que nous faisons valoir nos réclamations. Ces réclamations portent sur un objet d'une extrême urgence ; et ici nous parlons non seulement en faveur des intérêts de nos localités, mais dans l'intérêt des riverains du canal, qui se trouvent dans l’arrondissement de Gand. J'ai compté une centaine de signatures sur les pétitions émanant de diverses communes de l'arrondissement de Gand, des communes de Deynze, de Meygem, de Nevele et Landeghem ; les pétitionnaires demandent que cette navigation soit autorisée le plus tôt possible et qu'on se donne la peine non pas de faire un sacrifice quelconque, mais de lever les poutrelles pour laisser passer les bateaux.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, les réclamations dont nous nous occupons en ce moment reposent, je crois, sur une erreur ; on suppose que, sans motifs, sans aucune espèce de raison, si ce n'est une raison qui ne serait certainement pas avouable à l'époque où nous vivons, on n'ouvre pas à la navigation le canal de dérivation de la Lys, afin de contraindre les bateliers à passer par Gand et à s'y faire rançonner. C'est ainsi qu'il faut comprendre les observations de M. Tack.
M. Tack. - Je n'ai pas attribué cette intention au gouvernement.
M. Dumortier. - On n'a rien dit ni rien supposé de semblable.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne prétends pas cela, je dis que les réclamations reposent sur cette erreur : on croit que le gouvernement s'oppose à ce que le canal soit ouvert à la navigation, et quand on perd de vue les raisons véritables qui ont empêché jusqu'à présent cette mesure, il n'y a plus qu'un seul motif à imaginer, c'est qu'on voudrait contraindre les bateliers à faire un détour par Gand pour y subir des surtaxes comme l'a signalé M. Tack.
Eh bien, messieurs, si la navigation n'a pas lieu quant à présent par le canal de dérivation de la Lys, c'est qu'on reconnaît qu'elle est impossible dans les conditions actuelles.
La demande des pétitionnaires a été instruite par M. l'ingénieur en chef de la Flandre orientale et il a exprimé l'opinion que la navigation ne peut avoir lieu maintenant. Il a déduit tous ses motifs, qui ont été soumis au comité permanent des ponts et chaussées, et ce comité a admis également que dans les conditions actuelles la navigation ne peut pas avoir lieu, qu'on ne peut pas faire servir les barrages aux manœuvres nécessaires au service des eaux et au service de la navigation.
C'est ce que l'on avait prévu lorsque le canal a été décrété. On a prévu que dans les conditions où le canal était demandé, uniquement comme canal de dérivation, il ne pourrait pas être affecté à la navigation. Mais on a également prévu qu'il serait utile de l'affecter à cet usage et, en conséquence, on a fait exécuter des travaux qui sont destinés à être utilisés pour la navigation du canal de Deynze à Schipdonck. Mais pour que l'on puisse faire compléter ces travaux, il faut de nouvelles dépenses, il faut construire des écluses à sas. Ces écluses ne sont pas faites et par conséquent il est impossible, dans l'état des choses, de faire droit à la demande des pétitionnaires.
M. Magherman. - J'engage le gouvernement, avant d'ouvrir le canal de Schipdonck à la navigation, de bien s'assurer que cette navigation ne puisse en aucune manière entraver l'écoulement des eaux.
L'honorable M. de Haerne a cité, sous ce rapport, l'exemple du canal de Gand à Terneuzen ; c'est précisément cet exemple qui m'inspire certaines craintes ; l'existence de ce canal a démontré que chaque fois qu'un canal d'écoulement sert en même temps à la navigation, la navigation entraîne l'écoulement des eaux. Il est arrivé en mainte circonstance que lorsque des navires remontaient le canal une partie des terres riveraines étaient inondées ; ce canal, au lieu de servir à débarrasser la Flandre de ses eaux, était plutôt une entrave à leur écoulement. C'est tellement vrai, qu'on a été obligé de construire le canal de Zelzaete pour donner un écoulement aux mêmes eaux des Flandres, pour lesquelles le canal de Terneuzen avait été ouvert.
Si maintenant il est possible d'ouvrir le canal de Schipdonck à la navigation sans que l'écoulement des eaux soit entravé, je n'ai pas à m'y opposer, mais il faut qu'en cette matière, on soit extrêmement prudent. Nous avons pour nous, je le répète, l'expérience du canal de Terneuzen et je ne puis assez insister pour que le gouvernement recommande à ses agents d'examiner jusqu'à quel point il est possible de faire servir en même temps le canal de Schipdonck à la navigation et à la dérivation des eaux delà Lys.
M. Tack. - Messieurs, je dois répondre un mot à l’honorable ministre des finances et à l'honorable M. Manilius.
Mon intention n'a pas été du tout de dire que le gouvernement refuse d'ouvrir le canal de Deynze à Schipdonck dans le but de rançonner les bateliers à leur passage par Gand. Rien dans les paroles que j'ai prononcées ne justifie une pareille supposition.
J'ai voulu constater un fait ; j'ai dit et je répète que les bateaux qui se présentent devant le barrage de Deynze et qui sont destinés par exemple pour la commune de Nevele, sont obligés de faire un circuit considérable par Gand, alors qu'on peut leur fournir le moyen d'arriver à leur destination par une voie beaucoup plus prompte ; de là de grandes (page 205) dépenses, des droits d'écluse, des salaires aux francs-haleurs, à payer dans la traverse de Gand.
Maintenant la question est de savoir si, oui ou non, avec les éléments qui existent aujourd'hui, il est possible d'ouvrir le canal de Deynze à Schipdonck à la navigation.
Quant à moi j'incline pour l'affirmative ; il se pourrait que la chose fût impossible en hiver lorsque le niveau des eaux est très élevé dans la Lys et diffère sensiblement de celui du canal ; mais en été lorsque le niveau du canal de Schipdonck est le même que celui de la Lys, je ne comprends pas quel serait alors l'obstacle à la navigation et pourquoi la manœuvre à effectuer au barrage actuel ne répondrait pas à tous les besoins.
Je pense que si la question était examinée contradictoirement par le corps des ponts et chaussées des deux Flandres, l'on parviendrait peut-être à s'entendre sur les points en discussion. J'engage donc l'honorable ministre des finances et des travaux publics à provoquer sur tout ceci de nouvelles explications.
M. de Haerne. - Notre intention n'a pas été le moins du monde d'accuser le gouvernement. Je me rappelle même que lorsque j'ai eu l'honneur d'entretenir la Chambre du même sujet à l'occasion d'autres pétitions, M. le ministre d'alors, dont nous regrettons tous la perte, m'a dit que la question devait être examinée et qu'il l'examinerait avec la plus grande bienveillance ; et il nous a fait entendre que la chose n'était pas impossible, seulement il voulait consulter les autorités.
Maintenant, je ne crois pas qu'il suffise de faire examiner la question par les ingénieurs de la Flandre orientale ; puisque c'est un intérêt qui concerne à la fois les provinces des deux Flandres, il faudrait aussi consulter les ingénieurs de la Flandre occidentale. J'avoue qu'il ne nous est pas permis de soupçonner le génie ; mais comme sans doute il ne se croit pas infaillible lui-même, nous désirerions connaître les raisons sur lesquelles il s'appuie.
Nous ne disons nullement que les entraves existent dans le but de faire rançonner les bateliers ; ce ne sont pas du tout les intentions que nous attaquons ; ce sont les faits. Et, à propos de ces faits, il s'agit ici non seulement d'une augmentation considérable des frais de navigation, mais de toute autre chose encore.
Il s'est passé, il n'y a pas bien longtemps, des scènes incroyables ; il existe, entre Gand et Deynze, une ancienne corporation, la corporation qu'on appelle les francs haleurs de Gand ; ces gens prétendent qu'ils se trouvent toujours dans la même position qu'au moyen âge ; ils prétendent exercer un privilège, à tel point que lorsqu'il se présente un pilote ou un haleur libre sur un bateau, ils s'emparent du bateau et le conduisent de force, au prix qu'ils imposent. Il en résulte souvent des voies de fait très graves ; il arrive que des hommes blessés doivent être transportés à l'hôpital.
Des faits semblables sont arrivés, il y a quelques années. Et si aujourd'hui ces exactions sont plus rares, c'est qu'on s'est décidé, de guerre lasse, à subir les conditions arbitraires qu'on impose aux bateliers.
Voilà, messieurs, des faits graves que le législateur doit prévenir non seulement dans l'intérêt de la navigation, mais dans l'intérêt de l'ordre public. Ces faits sont à la connaissance de tous ceux qui se sont occupés de cette question.
On s'est adressé au gouvernement et aux tribunaux, mais jamais il n'en est rien résulté ; les faits dominent ici le droit, et le seul moyen d'obvier au mal c'est de rendre le plus tôt possible la navigation libre, parce qu'alors la corporation ne pourra plus exercer ces vexations à l'égard des bateliers, puisqu'on ne sera plus obligé de passer par le bief situé entre Gand et Deynze.
Alors la navigation deviendra libre. D'après ce qu'on nous assure, la ville de Gand ne s'y oppose pas, elle désire même que cela se fasse. Tout le monde est donc d'accord. Mais, chose étonnante, malgré cet accord, les difficultés continuent à exister.
J'engage M. le ministre des travaux publics à présenter le plus tôt possible un projet de loi à la Chambre à moins que les ingénieurs des deux provinces, ce que je ne pense pas, ne tombent d'accord pour déclarer que la levée des poutrelles à Deynze est une chose impraticable.
Pour ma part, je crois, avec les pétitionnaires, que cela est possible et même très facile, si l'on s'en tient au bon sens. J'avoue que le gouvernement ne peut pas trancher la question contrairement à l'opinion de l'autorité citée par M. le ministre chargé des travaux publics, du moins pour le moment et avant d'avoir bien examiné les faits. Seulement, je prie M. le ministre de vouloir bien s'adresser aussi aux autorités compétentes de la Flandre occidentale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On n'a pas seulement consulté M. l'ingénieur en chef de la Flandre orientale ; on a demandé aussi l'avis du conseil permanent des ponts et chaussés.
- Personne ne demandant plus la parole, les conclusions de la commission des pétitions sont mises aux voies et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Meulebeke, le 20 novembre 1858, le sieur Rasschaert prie la Chambre d'améliorer la position des commissaires de police faisant fonctions du ministère public près les tribunaux de simple police.
Par pétition du 15 novembre 1858, les commissaires de police faisant fonctions d'officier du ministère public près les tribunaux de simple police dans la province de Luxembourg, prient la Chambre de régulariser leur position.
La Chambre a déjà reçu un grand nombre de pétitions tendantes aux mêmes fins.
Les officiers du ministère public dont il s'agit exercent gratuitement leurs fonctions près des tribunaux de paix ; ils demandent que leur position soit régularisée. Le discours du Trône a fait allusion au projet de loi sur l'organisation judiciaire ; c'est même à cette occasion que les pétitionnaires s'adressent à la Chambre, pour que l'attention de M. le ministre de la justice soit attirée sur leur sort, lors de la présentation du nouveau projet. Déjà M. le ministre de la justice nous a appris que ce projet contenait des dispositions à cet égard.
La commission se borne donc à proposer à la Chambre le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de la justice, en les signalant à la bienveillante attention de ce haut fonctionnaire.
M. de Moor. - Messieurs, je viens appuyer les conclusions de la commission. Je prie M. le ministre de la justice de vouloir bien examiner la question soulevée par un grand nombre de citoyens remplissant les fonctions d'officier du ministère public près des tribunaux de simple police et qui rendent de réels services à la société. La loi sur l'organisation judiciaire lui permettra, j'espère, de régulariser définitivement leur position.
J'appelle l'attention bienveillante du gouvernement sur les pétitions en ce moment en discussion, et sur d'autres envoyées de différentes provinces.
- Les conclusions de la commission des pétitions sont mises aux voix et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Calloo, le 7 décembre 1858, des habitants de Calloo se plaignent de ce que le génie militaire se propose de faire exécuter des travaux de fortifications dans cette commune.
Messieurs, les pétitionnaires ont été surpris d'apprendre qu'une adjudication prochaine de travaux aura lieu dans cette localité. Ils croyaient qu'en présence du refus, par la Chambre, des travaux qui avaient été projetés à Anvers, il n'y avait plus de motifs pour exécuter des travaux à Calloo. Les pétitionnaires s'adressent à la Chambre pour demander que ces travaux ne soient pas effectués.
La commission vous propose le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre.
M. Van Overloop. - Messieurs, le fait que signalent les pétitionnaires est assez grave et surtout d'un caractère très urgent. Je propose à la Chambre de renvoyer cette pétition à M. le ministre de la guerre avec demande d'explications.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous sommes d'accord.
- La pétition est renvoyée à M. le ministre de la guerre, avec demande d'explications.
La séance est levée à 41/2 heures.