(Annales parlementaires de Belgique, -chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 105) (Présidence de M. Orts, premier vice-président.)
M. Crombez, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Vander Stichelen, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Crombez, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Patte, négociant à Bruxelles, qui a obtenu la naturalisation ordinaire, prie la Chambre de lui conférer la grande naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Swinnen, notaire à Tirlemont, propose une modification à l'article 242 du Code pénal, dans le but de protéger le fonctionnaire public dans l'exercice de son ministère. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de l'article 242 du Code pénal.
« Le sieur Magette, greffier de la justice de paix à St-Hubert, demande la révision du tarif des frais et dépens du 16 février 1807, en ce qui concerne les juges de paix et leurs greffiers. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs négociants et habitants de Bruxelles demandent l'établissement d'une taxe uniforme de 10 centimes pour le transport des lettres dans toutes les parties du pays. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.
« Il est fait hommage à la Chambre, par M. le secrétaire perpétuel de l'Académie royale des lettres, des sciences et des beaux-arts de Belgique, de 110 exemplaires de la table générale de ses bulletins. »
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres.
« M. le Bailly de Tilleghem, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
M. le président. - Messieurs, avant d'aborder notre ordre du jour, je dois faire connaître à la Chambre qu'elle doit, avant le 15 décembre prochain, procéder à la nomination de son bibliothécaire. Le bibliothécaire est nommé pour six ans et le délai pour lequel a eu lieu la dernière nomination expire le 15 décembre prochain. Quel jour la Chambre entend-elle fixer pour procéder à cette nomination ?
- La Chambre décide que cet objet figurera à son ordre du jour d'après-demain.
Il est procédé au tirage des sections du mois de décembre.
M. Lelièvre. - La discussion qui a eu lieu à la fin de la séance d'hier m'engage à dire quelques mots sur la portée du chapitre V en discussion.
Je pense qu'il doit être bien entendu que le témoin peut, sans encourir aucune peine, se rétracter jusqu'à la clôture des débats. Cette doctrine est consacrée par la jurisprudence, et je pense que nous devons la maintenir dans l'intérêt de la justice et afin d'assurer la sincérité des décisions judiciaires.
D'un autre côté je suis convaincu qu'il ne faut pas étendre nos dispositions au serment prêté sur interrogatoire sur faits et articles, parce que cet interrogatoire ne fait naître aucune preuve en faveur de l'interrogé et qu'en conséquence ce serment n'a aucun caractère de serment décisoire.
Du reste quant au serment référé et prêté devant le juge de paix, il tombe bien certainement sous le coup de l'article 240, par la raison bien simple qu'il est un véritable serment décisoire, mettant fin au litige et produisant les mêmes effets que le serment prêté devant le tribunal.
Je dois pour le surplus faire quelques observations sur quelques dispositions du chapitre V.
Les articles 232 et suivants punissent de peines moindres que le faux témoignage les fausses déclarations des personnes appelées en justice pour donner de simples renseignements.
M. le rapporteur pense que la différence des peines se justifie par le défaut de prestation de serment. Il existe aussi, à mon avis, un autre motif décisif, c'est que de simples renseignements n'ont pas vis-à-vis de la justice la même valeur qu'un témoignage ordinaire.
Sous ce rapport, celui qui émet une fausse déclaration, ne valant que comme renseignement, ne commet pas un fait aussi dangereux, lésant aussi gravement les intérêts de la société et ceux de la cause qu'une déposition sermentelle. A mon avis, on aurait dû avoir égard à ces considérations dans la rédaction des articles 234 et 235 ; enfin le rapport, page 65, émet l'avis sur l'article 235 du projet, que si le faux témoin dépose dans les débats de simple police, où est intervenue une partie civile, il est censé faire un faux serment en matière civile. Je ne partage pas cette opinion.
La partie civile peut intervenir jusqu'à la clôture des débats et même après la déposition du témoin arguée de fausseté. Or bien certainement, ce n'est pas un événement subséquent qui peut réfléchir sur une déposition consommée.
D'autre part, en matière répressive, l'action civile est accessoire à l'action publique. Or, à mon avis, c'est la nature du jugement principal qu'il faut considérer. Il s'agit en réalité d'une contravention de police, et c'est l'exiguïté du fait qui donne lieu à l'atténuation de la peine
Il importe peu que la partie lésée se porte ou non partie civile. C'est là une circonstance accidentelle qui ne peut avoir aucune influence sur la nature du jugement. Le tribunal statue sur une contravention de police, voilà le fond des choses, et c'est la substance des choses qu'il faut toujours envisager.
Il m'est donc impossible de partager l’opinion émise à cet égard par M. le rapporteur.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dois faire remarquer que nous ne sommes plus à la discussion générale. Nous sommes à l'article 230 et, à propos de cet article, on a déjà discuté les articles 232, 235 et 236. Il convient, je pense, de s'en tenir pour le moment à l'article 230. Quand nous arriverons aux articles 232, 235 et 236, nous nous en expliquerons.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'observation de M. le ministre de la justice est exacte ; je dois dire, toutefois, que M. Lelievre n'a fait que répondre aux observations qui ont été faites hier sur ces dispositions. Nous revenons donc à l'article 230.
« Art. 230. Tout faux témoignage en matière criminelle, soit contre l'accusé, soit en sa faveur, sera puni de la réclusion.
« Si l'accusé a été condamné, soit à une détention de plus de dix ans, soit aux travaux forcés, et que cette condamnation ait été mise à exécution, le faux témoin qui aura déposé contre lui subira la peine des travaux forés de dix à quinze ans. »
- Adopté.
« Art. 231. Si l'accusé a été condamné à la peine de mort, le faux témoin qui aura déposé contre lui subira la peine des travaux forcés à perpétuité.
« Il subira la peine de mort, s'il a déposé contre lui dans l'intention de le faire condamner à mort.
« Néanmoins, si cette condamnation n'a pas été mise à exécution, le faux témoin subira :
‘Dans le premier cas du prescrit article, la peine des travaux forcés de quinze à vingt ans ;
« Dans le second cas, la peine des travaux forcés à perpétuité. »
- Adopté.
« Art. 232. Les peines portées par les deux articles précédents seront réduites d'un degré, conformément à l'article 91, lorsque des personnes appelées en justice pour donner de simples renseignements, se seront rendues coupables de fausses déclarations, soit contre l'accusé, soit en sa faveur. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cet article donne lieu à une observation qui a échappé aux différentes commissions qui ont rédigé et formulé cet article, quelque soin qu'elles y aient mis, ainsi qu'au gouvernement.
L'article 232 punit d'une peine moins forte que le faux témoignage les individus qui sont appelés à faire en justice une déclaration à titre de simple renseignement. Si l'on ne pouvait appeler eu justice pour déposer à titre de simple renseignement que des personnes étrangères aux prévenus ou accusés, ou des individus qui ont été privés, par décision judiciaire du droit de déposer sous la loi du serment, il n'y aurait aucune difficulté.
Mais d'après une jurisprudence constante en Belgique, peuvent être appelés à titre de simple renseignement les parents de l'accusé ou du prévenu au degré le plus rapproché ; ainsi le père dans une affaire qui concerne son fils, ainsi le mari contre la femme, la femme contre le mari, le frère contre le frère. Or, messieurs, je ne pense pas que l'on puisse punir les parents qui, appelés à déposer à titre de renseignement, auront altéré la vérité dans une affaire où se trouve impliqué un parent à un degré aussi rapproché que celui de fils, de père, d'époux, de frère.
(page 106) Ce serait là blesser les règles du bon sens et de la morale et porter une grave atteinte aux sentiments de la famille, et cela n'a pu entier dans l'intention de personne. Il faut nécessairement une exception pour toutes les personnes dont l'article 322 du Code d'instruction criminelle donne la nomenclature dans ses cinq premiers numéros.
La commission devra aussi examiner si, comme je le pense, il n'y a pas lieu de faire une exception en faveur des enfants âgés de moins de 15 ans, entendus par forme de déclaration et sans prestation de serment.
Je demande donc que cet article soit renvoyé à la commission. Nous nous mettrons d'accord sur la rédaction à donner à cet article pour que les parents dont je viens de parler ne tombent pas sous son application.
M. Pirmez, rapporteur. - Je crois que les observations que vient de vous soumettre M. le ministre de la justice sont parfaitement exactes. Je me joins donc à lui pour demander que l'article soit renvoyé à la commission.
Je dois un mot de réponse aux observations que vous a présentées l'honorable M. Lelièvre sur cet article.
Le projet de code établit une distinction entre le témoignage fait sous, la foi du serment et la déclaration apportée à la justice sans cette garantie ; une différence de peine existe pour ces deux cas.
Dans le rapport que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, cette différence est justifiée par cette raison que le serment ne doit jamais être prêté sans qu'une peine en garantisse la sainteté. Le législateur doit montrer le premier le respect qu'il a pour le serment et ne pas permettre que le nom de Dieu soit invoqué pour attester l'erreur. Il doit prouver qu'il attache une importance majeure à cette circonstance que Dieu a été pris à témoin de la vérité des faits avancés.
La première raison de la distinction établie est donc une raison de morale avant tout : le respect du serment.
L'honorable M. Lelièvre critique cette manière de voir, il prétend qu'il y a un motif plus déterminant ; c'est que la déposition faite sous la foi du serment doit avoir une plus grande importance que celle qui est faite sans cette garantie.
Quel que soit le mérite de cette raison que je n'ai nul intérêt à contester, je ne puis partager d'une manière absolument générale l'opinion de l'honorable membre.
Le jury forme sa conviction par tous les éléments de preuve versés dans les débats ; la loi ne lui trace aucune règle ; elle a même soin de lui faire savoir qu'il est souverain appréciateur des renseignements recueillis, qu'elle ne lui demande pas comment sa conviction s'est formée. Il est donc impossible de déterminer à l'avance la valeur respective d'un témoignage proprement dit et d'une simple déclaration.
Si une personne très honorable, connue des jurés, à l'abri de tout soupçon, vient déposer devant la cour d'assises, sa déclaration, même faite sans l'invocation de la Divinité, n'inspirera-t-elle pas souvent une plus grande confiance au jury que le témoignage d'un homme suspect, d'une réputation équivoque ? Cela ne fera doute pour personne.
Si cependant en adoptait comme raison déterminante de la distinction légale celle que veut faire prévaloir M. Lelièvre, il en résulterait que souvent elle tomberait complétement à faux, puisque nous aurions une répression plus sévère pour le témoignage sans valeur, quoique fait sous la foi du serment, et une peine moins forte pour la déclaration qui peut déterminer complétement la conviction du jury.
Je crois donc que la véritable raison de la différence est celle que j'ai indiquée : la nécessité de réprimer l'atteinte portée à la sainteté du serment.
A cet égard, permettez-moi une observation qui rentre jusqu'à un certain point dans le débat qui a surgi hier et sur lequel est revenu l'honorable M. Lelièvre.
Je disais tantôt que le législateur ne peut permettre que le serment soit violé sans qu'une répression tombe sur la tête de celui qui s'est rendu coupable de ce fait.
Dans notre législation actuelle, les témoignages donnés devant le juge d'instruction, sous la foi du serment, peuvent être faux sans qu'aucune peine soit appliquée de ce chef ; mais je crois qu'il y a là une anomalie et lorsque nous réviserons les lois d'instruction criminelle, il y aura lien, je pense, de supprimer le serment et de ne considérer l'instruction que comme une recherche, tout à fait préparatoire et les témoignages que comme de simples renseignements. Alors n'existera plus cette contradiction au point de vue où nous nous plaçons d'un serment prêté en vertu des exigences de la loi et dont la violation n'est pas réprimée par une peine.
M. Lelièvre. - Il est impossible de soutenir sérieusement que de simples renseignements ont la valeur d'un témoignage véritable et en veut-on la preuve ? Il suffit de se rappeler quels sont les individus appelés à donner de simples renseignements. Ce sont les enfants âgés de moins de quinze ans, parce qu'ils sont réputés ne pas avoir l'intelligence suffisante pour rendre témoignage à la justice. Ce sont les parents et alliés du prévenu ou de l'accusé, parce que la loi les considère comme suspects au point de vue de l'impartialité. Ce sont encore des individus frappés d'interdiction et qui, à raison d'un méfait qu'ils ont commis, n'ont plus la confiance de la justice.
Il est donc évident que donner de simples renseignements n'est pas aux yeux de la loi un acte aussi important qu'un témoignage rendu sous serment et par conséquent, la différence de la valeur des deux actes doit entraîner une différence, quant à la peine. Les exemples que j'ai cités prouvent, ce qui, du reste, résulte de la nature des choses, que de simples déclarations n'ont pas la valeur d'un témoignage ordinaire.
M. Pirmez, rapporteur. - J'ai un seul mot à répondre à l'honorable membre ; c'est qu'il a oublié que les personnes qui n'ont pas été appelées à déposer dans les délais ou avec les formalités indiquées par la loi, sont entendues en vertu du pouvoir discrétionnaire du président sans prestation de serment. Or, leurs déclarations, dont les débats viennent révéler le nécessité, peuvent être les éléments les plus importants de toute l'instruction.
M. Lelièvre. - Il me sera facile de répondre à l'objection de M. Pirmez qui est loin d'infirmer mon système. Quand des témoins sont entendus pendant le cours des débats, l'accusé n'a pas été mis à même de débattre leur témoignage par des dépositions contraires. Or, pour qu'on ne puisse prendre l'accusé au dépourvu, la loi veut que les dépositions des témoins dont les noms n'ont pas été signifiés en temps utile ne puissent avoir d'autre valeur que celle de simples renseignements.
L'exemple cité par M. Pirmez vient donc confirmer mon système. Il prouve que réellement aux yeux de la loi une simple déclaration n'a pas la portée d'une disposition sermentelle et c'est dans cet esprit qu'est écrite la disposition que m'oppose notre honorable collègue.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dois faire observer, messieurs, que cette discussion est purement théorique et qu'elle ne peut avoir aucune espèce d'influence sur les dispositions soumises en ce moment à la Chambre.
M. Muller. - Je désire que la commission veuille bien examiner le point de savoir s'il y a nécessité absolue d'établir une peine contre ceux qui sont appelés en justice pour donner de simples renseignements. Si je ne me trompe, c'est un nouveau délit qui n'existe pas dans la législation actuelle, et c'est un nouveau délit qu'il s'agirait de créer.
M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, la commission examinera certainement les observations de l'honorable M. Muller.
Je ferai toutefois observer que l'on ne peut dire d'une manière absolue qu'il s'agisse d'une infraction nouvelle. Plusieurs auteurs enseignaient que les fausses déclarations en justice devaient être punies des peines du faux témoignage proprement dit.
Quant à la convenance de maintenir une peine contre les fausses déclarations, elle me paraît incontestable.
Il suffit de remarquer en effet que les personnes condamnées à certaines peines ne peuvent plus être entendues sous la foi du serment.
Il est impossible d'admettre que les mauvais antécédents de ces personnes puissent leur permettre de venir impunément en imposer à la justice, qui a besoin de les interroger et qui en a le droit.
- Le renvoi de l'article 232 à la commission est prononcé.
« Art. 233. L'interprète de l'accusé ou d'un témoin et l'expert coupables de fausses déclarations, soit contre l'accusé, soit en sa faveur, seront punis comme faux témoins, conformément aux articles 230 et 231.
« L'expert, sera puni conformément à l'article 232 s'il a été entendu sans prestation de serment. »
M. Muller. - Il est évident que le dernier paragraphe de cet article pourra être modifié, selon la décision que la Chambre prendra quant à l'article 232.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - En effet, si l'article 232 vient à disparaître, le second paragraphe de l'article 233 devra disparaître également.
- La Chambre, consultée, adopte le premier paragraphe de l'article 233.
Elle tient en suspens le deuxième paragraphe jusqu'à ce qu'elle ait décidé la question que soulève l'article 232.
« Art. 234. Tout coupable de faux témoignage ou de fausses déclarations en madère correctionnelle, soit contre le prévenu, soit en sa faveur, sera puni d'un emprisonnement, d'un an à cinq ans et de l'interdiction conformément à l'article 44. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, d'après le projet du gouvernement, le faux témoignage en matière correctionnelle était puni d'un emprisonnement d'un an à cinq ans, sans distinction si le faux témoignage a été fait contre le prévenu ou en sa faveur. La commission a modifié la disposition proposée par le gouvernement, en ce sens qu'elle a établi une distinction entre le faux témoignage fait contre le prévenu et le faux témoignage fait en faveur du prévenu ; dans le premier cas, elle a élevé le minimum de la peine, elle l'a porté d'un an (terme proposé par le gouvernement) à deux ans ; dans le second cas, elle a diminué le maximum en le fixant à trois ans et elle a réduit le minimum à deux mois.
Je me rallie à la distinction introduite par la commission, je me rallie également au minimum proposé en cas de faux témoignage contre le prévenu, et au maximum qu'elle a fixé, pour le cas où le témoignage est fait en faveur du prévenu ; mais je trouve que le minimum qu'elle établit dans ce dernier cas est beaucoup trop bas ; je crois que le faux témoignage, dans de pareilles circonstances, doit être puni au moins d'un emprisonnement de six mois.
(page 107) A mon avis, un minimum de deux mois, à propos d'un délit dont la fréquence augmente tous les jours, est beaucoup trop bas ; cette peine serait illusoire, sans rapport avec la gravité de l'offense.
Il ne faut pas perdre de vue, d'un autre côté, que la loi a un caractère préventif et que ce caractère disparaîtrait si nous établissions pour des faits semblables, extrêmement graves à mon avis, un minimum aussi peu élevé que deux mois.
Je demande donc que le minimum de la peine pour faux témoignage en matière correctionnelle en faveur d'un individu soit porté à 6 mois et le maximum à trois ans.
M. Muller. - Je dois encore présenter sur cette disposition des remarques analogues à celles que j'ai faites tantôt ; seulement elles seront plus graves. Ainsi, à l'article 234, la simple déclaration est mise sur la même ligne que le témoignage assermenté ; la même peine est comminée contre le faux témoignage ou la fausse déclaration ; on affaiblira ainsi les effets et l'importance d'un acte solennel, en n'établissant pas entre cet acte et un simple mensonge devant la justice, une différence de pénalité.
M. Lelièvre. - L'observation de l'honorable M. Millier est d'autant plus exacte que, dans les dispositions précédentes, ou avait établi une différence entre la fausse déclaration et le faux témoignage. Or cette différence doit être maintenue dans toutes les dispositions, si nous voulons être logiques. Effectivement une fausse déclaration est loin d'avoir la gravité d'un faux témoignage ; pourquoi donc confondre dans une seule et même disposition, frapper d'une peine égale deux faits qui n'ont rien de commun entre eux, au point de vue de leur importance, de leur moralité et des conséquences préjudiciables qu'ils peuvent avoir ? Pourquoi, après avoir établi sous ce rapport une différence en matière criminelle, ne pas maintenir le même principe en matière correctionnelle ?
M. Pirmez, rapporteur. - Je me plais à rendre hommage à la logique des honorables préopinants. Mais je crois qu'il est impossible de la suivre dans la matière dont il s'agit. En voici la raison ; quand on s'occupe d'infraction dont la matière est très grave, les différentes nuances peuvent faire varier le peine depuis un emprisonnement modéré jusqu'aux travaux forcés à perpétuité et même jusqu'à la mort. Ainsi le faux témoignage en matière criminelle est puni de pénalités différentes depuis la réclusion jusqu'à la peine capitale.
Le législateur peut donc établir dans le vaste champ qui lui est ouvert toutes les distinctions que l'analyse lui découvre et réprimer les différents faits par des peines dont les degrés seront séparés par des distances très sensibles.
Quand la matière devient moins importante, la latitude devient moins grande, le maximum s'abaisse, et l'espace manque pour établir encore toutes les distinctions qui avaient été primitivement adoptées. On conçoit dès lors que pour le faux témoignage en matière correctionnelle le projet n'ait pas répété toutes les divisions qu'il avait faites pour la matière criminelle.
C'est ainsi que le chapitre premier du titre que nous discutons a pu, lorsqu'il s'est agi de la contrefaçon et de l'altération des monnaies, faits principaux, adopter une quantité de distinctions qui n'ont pu être suivies pour toutes les infractions moindres auxquelles les monnaies pouvaient donner lieu.
Le maximum de la peine du faux témoignage en matière correctionnelle est de cinq ans ; le projet admet déjà une distinction entre la déposition fausse faite contre le prévenu, et celle qui est faite en sa faveur ; supposons qu'il faille encore établir une division dans chaque membre de celle qui est déjà faite, nous aurons des peines qui ne seront plus suffisamment différentes,
Dans le système de l'honorable M. Muller, nous devrions donc avoir quatre distinctions bien tranchées. Si nous voulions suivre l'inflexible logique qui le dirige, nous devrions établir les mêmes distinctions pour les matières de police. Or, quelle est la peine en matière de police ? Elle est, d'après le projet de la commission, d'un mois à un an. Il faudrait donc établir, dans cette échelle d'un mois à un an, les quatre distinctions que nous avons posées précédemment. Eh bien, messieurs, je crois que si la loi descendait dans de pareils détails, elle ferait une mauvaise chose. Le législateur ne doit pas avoir la prétention de tout faire ; il doit tracer au juge la voie qu'il a à suivre, établir les bornes des grandes catégories d'infractions principales, mais sans vouloir déterminer toutes les nuances de chaque fait. Il doit laisser au juge l'appréciation de ces nuances, lorsque, eu égard à la matière, elles n'entraînent plus des différences de pénalité assez sensibles.
Les tribunaux trouveront d'ailleurs dans ce qui concerne le faux témoignage en matière criminelle, la base des distinctions qu'ils sauront observer dans l'application de l'article que nous discutons.
Je suis convaincu que les honorables préopinants, en essayant d'appliquer leur système aux peines de police, verront que ce système n'y est pas applicable ; s'il en est ainsi, il est impossible de critiquer le projet parce qu'il ne l'a pas étendu aux matières correctionnelles.
M. Muller. - Les observations de l'honorable rapporteur ne m'ont nullement convaincu. J'avais dit que, si vous ne voulez pas ébranler vous-même la foi qu'on doit avoir dans le serment ; si vous ne voulez pas lui enlever son caractère solennel et moral, il est impossible que vous admettiez qu'une fausse déclaration, que ce soit en matière criminelle, correctionnelle ou de simple police, puisse entraîner une conséquence aussi grave contre celui qui l’a faite que s'il avait invoqué le nom de Dieu pour affirmer la véracité de son dire. Ce serait là un principe dangereux que vous laisseriez passer dans la loi ; et ce n'est pas pour échapper à la difficulté d'établir une ou deux distinctions de plus que vous pouvez consacrer ce que je considère comme une véritable énormité.
Il faut toujours que le serment conserve son caractère distinctif aux yeux de la loi, et voilà pourquoi il faut, à quelque degré que ce soit, établir une séparation rationnelle entre les peines. Vous parlez de la latitude laissée au juge ; mais l'article ne dit nullement que le juge calculera l'étendue de la peine, selon qu’il y aura eu ou non prestation de serment, et qu'il ne prendra pas plutôt en considération les circonstances et les faits. Si l'on maintient la peine proposée contre de simples déclarations non assermentées, question qui est jusqu'ici réservée, il est indispensable qu'elles ne soient pas mises sur la même ligne que le serment ; car si vous les confondez dans l'ordre correctionnel, on vous dira que vous pouvez tout aussi bien les confondre dans l'ordre criminel. Ce n'est pas l'importance de l'objet en discussion qui doit être prise en considération, c'est l'importance de l'acte qu'on pose lorsqu'on prête serment.
M. Pirmez, rapporteur. - Si l'honorable membre n'est pas satisfait de certaines dispositions du projet, il me semble qu'il devrait présenter les amendements qu'il juge nécessaires.
M. Muller. - Eh bien, je demande le renvoi de cet article 234 à la commission.
M. Pirmez, rapporteur. - Je ne puis pas, messieurs, accepter ce renvoi. La commission a consacré de nombreuses séances à l'examen du projet de loi et des différentes questions qu'il a soulevées. Ce projet, vous le savez, est le fruit du travail d'une commission extra-parlementaire, qui a fait de ses délibérations l'objet d'un rapport, et de la commission de la Chambre qui, à son tour, a consigné dans un rapport les résultats de son examen.
Si donc de nouvelles dispositions sont jugées nécessaires, il importe que la commission en soit saisie régulièrement ; elle pourra alors comparer ces modifications avec le projet qu'elle vous a soumis et émettre son avis. J'insiste sur ce point, parce que je crois qu'il est tout à fait impossible de rédiger la loi de manière à tenir compte de toutes les distinctions, et je pense que l'honorable M Muller partagera cet avis s'il veut bien en faire l'expérience.
M. Lelièvre. - Il est évident que le renvoi de notre article à la commission doit être prononcé par les mêmes motifs qui, sur la proposition de M. le ministre de la justice, ont dicté semblable mesure en ce qui concerne l'article 232. En effet il est bien certain que notre article a une connexité intime avec l'article 232 ; l'un statue en matière criminelle, l'autre en matière correctionnelle.
Les exceptions dont a parlé M. le ministre doivent aussi, en tous cas, s'appliquer à notre disposition.
On doit certainement ne pas atteindre certains individus qui émettraient de fausses déclarations en faveur de leurs parents ou alliés. Notre article, d'ailleurs, pourra être revu en son entier et subir des changements qui me paraissent indispensables.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je proposerai de tenir en suspens les articles 234, 235 et 236 ; on pourra examiner s'il n'y a pas moyen de formuler un article général pour toutes les fausses déclarations.
M. Muller. - Je ne demande pas autre chose.
- Ces trois articles sont tenus en suspens.
« Art. 237. Dans les cas prévus par les deux articles précédents, le coupable pourra de plus être interdit conformément à l'article 44. »
- Adopté.
« Art. 238. Le coupable de subornation de témoins sera passible des mêmes peines que le faux témoin, selon les distinctions établies par les articles 230 à 237. »
M. Pirmez, rapporteur. - Je propose d'ajouter à cet article les mots « ou d'experts » après le mot « témoins ». C'est une omission qui doit nécessairement être réparée, parce que l'article suivant prévoit le cas de subornation d'experts.
- L'article ainsi rectifié est mis aux voix et adopté.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'article 239 doit être également tenu en suspens.
- Il est fait droit à cette observation.
« Art. 240. Celui à qui le serment aura été déféré ou référé en matière civile, et qui aura fait un faux serment, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à trois ans, d'une amende qui ne sera ni moindre de vingt-six francs ni supérieure à dix mille, et de l'interdiction conformément à l'article 44. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dois renouveler ici une observation que j'ai présentée tout à l'heure à propos du minimum de la peine. Le minimum comminé par le projet du gouvernement était d'un an et le maximum de cinq ans, la commission a fixé le minimum à un mois et le maximum à 3 ans. Je crois que ce minimum n'est pas assez élevé, et je propose de le fixer à six mois. Il est évident que, pour un faux serment, le minimum d'un mois ne serait pas une peine proportionnée à la gravité du délit.
(page 108) M. Lelièvre. - Je pense qu'il doit bien être entendu qu'il ne s'agit, dans l’espèce, que d'un serment décisoire, c'est-à-dire de celui qui tranche irrévocablement une question du procès.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et applicable dans mon opinion au serment déféré devant le juge de paix.
M. Lelièvre. - Je partage complétement cet avis ; le serment prêté devant le juge de paix a les mêmes conséquences légales qu'un serment prêté devant le tribunal. Je disais donc que le serment, pour être décisoire, doit trancher définitivement une question du litige.
M. Van Overloop. - Je crois qu'il doit être bien entendu que l'article s'applique non seulement aux serments litisdécisoires, mais aussi aux serments supplétoires.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Evidemment. Le serment supplétoire est encore un serment décisoire
M. Lelièvre. - Eu conséquence si le point en litige n'était pas décidé irrévocablement, le serment ne pourrait être considéré comme décisoire, et par conséquent notre article deviendrait inapplicable. On n'a voulu punir qu'un serment ayant des conséquences préjudiciables. Par conséquent s'il ne met pas fin à un point du procès, le serment n'a pas le caractère que suppose notre disposition.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Evidemment.
M. Muller. - Messieurs, quant à moi, je trouve qu'en ce qui concerne l'amende on a donné, dans cette décision, une latitude trop grande au juge. Je ne sais pas s'il y a dans notre législation beaucoup d'autres dispositions (s'il y eu a, elles doivent être très exceptionnelles) qui autorisent le juge à prononcer une amende de 26 à 10,000 fr.
M. le rapporteur, dans le travail remarquable auquel il s'est livré, explique que les juges appliqueront ces amendes selon les cas et les circonstances. Mais toujours est-il qu'il ne faut pas qu'on dise avec quelque raison que l'Etat bat monnaie en instituant des peines.
Je concevrais que si une partie de cette somme si indéterminée qu'on pourra exiger des condamnés pouvant revenir à ceux qui ont été spoliés ou lésés, on donnât une marge aussi grande au juge. Mais il n'en est pas ainsi, et dès lors il me semble préférable qu'il n'y ait pas une échelle aussi étendue ; il faudrait donner à la latitude laissée au juge des proportions plus raisonnables, plus en harmonie avec les habitudes du législateur.
M. Pirmez, rapporteur. - Deux raisons ont déterminé la commission à prononcer une amende très élevée pour le fait dont il s'agit.
En général, les délits qui sont commis dans un but de lucre doivent être punis pécuniairement ; c'est un principe constant. L'élévation de l'amende doit être dans un certain rapport avec le bénéfice qui a pu être réalisé.
Qu'est-ce que déférer un serment ? C'est prendre son adversaire pour juge ; c'est lui demander de prononcer lui-même dans sa propre cause. Cet adversaire devient un juge, mais un juge naturellement partial. Il est entre son intérêt et sa conscience, pour que celle-ci triomphe, la loi doit, par la menace d'une rigoureuse condamnation pécuniaire, balancer l'avantage qu'il peut retirer de la sentence inique qu'il rendrait en se parjurant. La violation du serment peut procurer le gain d'un procès important ; il faut qu'une peine de même nature vienne rétablir l'équilibre.
Voilà la première raison qui a déterminé votre commission à ajouter au projet une amende considérable ; si elle n'est pas plus élevée encore, c'est qu'on a voulu qu'elle ne puisse dégénérer en confiscation.
Il y a une autre raison qu'il ne faut pas perdre de vue.
La personne lésée par une infraction peut toujours réclamer des dommages et intérêts à l'auteur de cette infraction. Il n'y a à cette règle qu'une exception, une seule, et cette exception concerne précisément le faux serment décisoire. Quelle en est la cause ? Elle est bien simple. Celui qui défère le serment à son adversaire lui confie transactionnellement le sort du procès, en sorte qu'il est irrévocablement jugé par son serment sans qu'on puisse, ni directement ni indirectement, revenir sur cette décision. Si dans la suite il est établi que le serment prêté est un parjure, que la sentence de la partie est une prévarication, il y aura bien lieu à l'application d'une peine dans l'intérêt social, mais jamais à la réparation civile.
Ainsi, dans la matière spéciale qui nous occupe, la vindicte publique n'est pas aidée par l'action civile dont les fins ont une action répressive incontestable. Mais cette impossibilité de dommages et intérêts ne doit pas être un avantage pour le coupable. La loi a le devoir de parer à cette absence de réparation civile, pour que la société ne soit pas moins bien garantie contre cette infraction que contre les autres. Evidemment le seul moyen de remplacer l'effet de l'action civile est de mettre en main du juge la faculté de prononcer une peine pécuniaire qu'il proportionnera à l'importance du litige.
M. Muller. - J'admets des peines très sévères pour celui qui a prêté un faux serment déféré ou référé en matière civile. Mais vous avez l’emprisonnement, qui est une peine très sévère et vous laissez déjà au juge la faculté de l'appliquer suivant la gravité des faits.
Pourquoi y ajouter une disposition qui l'autorise sans autre limite que son appréciation, à appliquer une amende allant de 26 à 10,000 fr. Je le concevrais, comme je le disais tantôt, si la victime du faux serment se trouvait soulagée de la perte qu'elle a éprouvée ; mais vous versez l’amende dans les caisses de l'Etat ; la personne lésée n'en profite pas. Dès lors je trouve cette échelle de pénalité pécuniaire exorbitante et s'écartant du système généralement adopté en matière de législation.
Quant au point de savoir si l'individu condamné par suite d'un faux serment, a droit ou non à une action en dommages-intérêts, je la laisse dans le doute.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Elle est tranchée par la loi.
M. Muller. - Quant au procès en matière civile, lui-même. Au surplus, je n'examine pas ici ce point.
Il me suffit de faire remarquer que l'individu lésé ne profitera en quoi que ce soit de cette amende et que vous abandonnez une échelle trop grande au juge.
M. Pirmez, rapporteur. - Je n'ai pas prétendu que l'amende dût profiter à la partie lésée ; mais j'ai soutenu qu'une peine pécuniaire élevée, toujours convenable pour réprimer les infractions qui ont leur cause dans le désir d'un lucre illégitime, devait être surtout admise pour l'infraction qui nous occupe, par la raison qu'elle est affranchie des réparations civiles.
Remarquons-le bien, si nous n'admettons pas une amende considérable, le parjure profitera de son délit ; vous le condamnerez à l'emprisonnement, mais il conservera le fruit de son faux serment.
Quand une condamnation de vol intervient, le tribunal ordonne la restitution des objets volés ; le coupable ne retient rien de son infraction : dans toutes les autres infractions l'action civile fait atteindre le même résultat. Mais ici l'amende est le seul moyen de dépouiller celui qui a fait un faux serment du bien qu'il a illégitimement acquis. Il faut en user à peine de voir le coupable convaincu et condamné, conserver, en dépit des lois et du droit, ce que sa mauvaise foi lui a procuré.
Ce serait là un scandale que la loi ne peut tolérer. L'amende mettra le juge à même de l'empêcher, du moins dans la plupart des cas.
M. Lelièvre. - Je fais remarquer que même pour les plus grands crimes une peine pécuniaire aussi élevée que dix mille francs n'est presque jamais prononcée, et cependant il existe des faits qui, même plus que celui dont nous nous occupons, révèlent un caractère profond de perversité ou de cupidité.
En second lieu, une trop grande latitude est laissée au juge ; lui donner la faculté d'opter entre vingt-six francs et la somme de dix mille francs, c'est réellement exorbitant et même insolite dans le Code dont nous nous occupons.
A mon avis, le taux du maximum devrait être moins élevé et le minimum devrait être augmenté.
Ne perdons pas de vue que l'amende prononcée est plus considérable qu'en matière de vol. Elle me semble excéder les justes limites et lus nécessités de la répression.
M. Dolez. - Je ne crois pas, messieurs, que la proposition que nous discutons en ce moment soit une innovation dans la législation pénale. Ainsi, si je ne me trompe, en matière de concussion, les amendes sont proportionnées au lucre que le fonctionnaire coupable s'est procuré. On me rappelait tout à l'heure que la chambre des pairs de France, dans une circonstance importante, a prononcé une amende de 500,000 fr. Si vous passez à la législation sur les poids et mesures, l'amende est proportionnée à l'importance des sommes détournées par le débitant. Il en est de même encore en matière d'escroquerie.
(Rectification insérés dans les Annales parlementaires, page 205 : On a inséré par erreur la phrase suivante dans les observations présentées par M. Dolez à l'appui de l'article 240 du projet de révision du Code pénal : « Si vous passez à la législation sur les poids et mesures, l'amende est proportionnée à l'importance des sommes détournées par le débitant. » C'est à la législation en matière d'usure que l'orateur a fait appel.)
Je crois donc, messieurs, que, loin d'innover, la proposition qui nous est soumise respecte l'esprit de notre législation et s'il est une matière où il faille punir par le côté pécuniaire, c'est évidemment celle où, par le faux serment, on a cherché à obtenir un lucre au détriment de son adversaire. La peine est donc parfaitement assortie à la nature du délit et c'est ce que le législateur doit toujours rechercher. Quand une infraction est commise en vue d'un bénéfice, il est important de frapper pécuniairement le coupable.
Voilà, messieurs, quant au principe d’une amende élevée. Reste, messieurs, à justifier devant vous cette échelle très étendue, qui a pour, point de départ 26 fr., pour aboutir à 10,000 fr. Mais les considérations que je viens de faire valoir pour légitimer l'élévation de l'amende, agissent avec la même force, pour justifier cette échelle étendue.
Si la somme en vue de laquelle le faux serment a été prêté, est peu importante il faut que l'amende soit peu importante ; si, au contraire, la somme est très élevée, l'amende doit être élevée comme la somme.
Je crois donc que la Chambre n'introduira pas dans la législation pénale une innovation et une innovation fâcheuse en adoptant la proposition qui lui est soumise ; elle fera, au contraire, une chose éminemment sage et éminemment logique.
- L'amendement de M. le ministre de la justice est mis aux voix et adopté.
L'article est ensuite adopté avec cet amendement.
« Art. 241. Les témoins et les jurés qui auront allégué une excuse reconnue fausse, seront condamnés, outre les amendes qui sont portées pour la non-comparution, à un emprisonnement de huit jours à un mois et à une amende de cent francs à mille francs ou à l'une de ces deux peines seulement. »
M. Muller. - D'après cet article, un témoin ou un juré sera, en ce qui concerne la peine pécuniaire, condamné à 100 francs d'amende pour (page 109) avoir allégué une excuse fausse, tandis que d'après l'article précédent, celui qui a prêté un faux serment pourra n'être condamné qu'à une amende de 26 francs.
M. Pirmez, rapporteur. - Il s'agit de faits entièrement différents dans les deux articles.
Dans le premier, l'emprisonnement est obligatoire et il est au minimum de 6 mois, tandis que dans le deuxième l'emprisonnement est facultatif pour le juge, de sorte que le faux serment en matière civile est toujours puni d'un emprisonnement de 6 mois et d'une amende ; tandis que l'excuse fausse pourra n'être punie que d'une amende de 100 francs, peine évidemment bien plus légère.
Aucune contradiction n'existe donc entre les deux articles.
M. Muller. - Rien ne s'opposerait, cependant, à l'abaissement du minimum de l'amende. Quand un témoin ou un juré a allégué une excuse fausse, qui n'a peut-être que le caractère d'une légèreté peu préjudiciable, l'amende devrait pouvoir être inférieure à 100 francs.
M. Lelièvre. - Il me semble cependant que certains motifs justifient le minimum de cent francs. Aux termes de la loi, le témoin non comparant peut être condamné à une amende qui peut être portée à cent francs. Si, indépendamment de sa non-comparution, il allègue une excuse fausse, on conçoit que le minimum à prononcer, à ce titre, doive au moins être de cent francs, puisque par le seul fait de la non-comparution, l'amende peut déjà s'élever jusqu'à la même somme.
Je pense donc que des motifs sérieux justifient le minimum de l'amende que prononce notre article.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 242. Quiconque se sera immiscé dans des fonctions publiques, civiles ou militaires, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans. »
M. Lelièvre. - Je pense que nous devons maintenir les mots « sans titre » qui se trouvaient dans le projet du gouvernement. En effet c'est d'abord là le texte du Code pénal en vigueur et je ne vois pas pourquoi on le modifie, sous ce rapport. En second lieu, c'est l'immixtion sans titre ou indue qui caractérise le délit ; pourquoi donc supprimer des mots qui ont leur valeur ? Sans ces expressions, notre disposition est incomplète et en tout cas n'est pas correcte. N'innovons pas sans de justes motifs. C'est ce qui m'engage à déclarer que je préfère la disposition du gouvernement à celle de la commission.
M. Pirmez, rapporteur. - La commission a pensé que les mots « sans titre » formaient pléonasme ; on ne peut pas s'immiscer dans une affaire quand on a qualité pour y intervenir ; les mots « s'immiscer » supposent qu'on se mêle mal à propos d'une chose ; dire « s'immiscer avec titre » serait une contradiction dans les termes, et par conséquent « s'immiscer sans titre » est un pléonasme. Il ne viendra jamais d'ailleurs à l'esprit de personne de croire qu'un fonctionnaire qui prend légalement possession de son emploi, se rend coupable d'une infraction quelconque.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 243. Toute personne qui aura publiquement porté un costume, un uniforme, une décoration ou les insignes d'un ordre qui ne lui appartenait pas, sera punie d'un emprisonnement de huit jours à trois mois. »
- Adopté.
« Art. 244. Le Belge qui aura porté la décoration ou les insignes d'un ordre étranger avant d'en avoir obtenu l'autorisation du Roi, sera puni d'une amende de cinquante francs à deux cents francs. »
- Adopté.
M. Pirmez, rapporteur. - Je crois, messieurs, qu'il faudrait ajouter à cet article le mot « publiquement. » L'article précédent parle des personnes qui portent publiquement un costume, un uniforme, une décoration qui ne leur appartiennent pas.
La même condition de publicité doit être exigée pour le port de décorations étrangères non autorisé par le Roi.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je suis d'accord avec l'honorable rapporteur.
- L'article est mis aux voix et adopté avec l'addition du mot « publiquement ».
« Art. 245. Sera puni d'une amende de deux cents francs à mille francs, le Belge qui se sera publiquement attribué des titres de noblesse qui ne lui auront pas été légalement conférés ou reconnus. »
M. Van Overloop. - Messieurs, l'article 245 présente une lacune ; il punit d'une amende de deux cents francs à 1,000 francs, le Belge qui se sera publiquement attribué des titres de noblesse qui ne lui auront pas été légalement conférés ou reconnus.
Il suit de la teneur de cet article que l'étranger qui se sera publiquement et indûment attribué en Belgique des titres de noblesse, ne tombera pas sous l'application de l'article 245.
Je crois qu'il faudrait remplacer le mot « Belge » par le mot « quiconque ».
Je pense que mon amendement nécessite une nouvelle rédaction de l'article 245 ; si donc il est adopté, l'article pourrait être renvoyé à la commission. Messieurs, vous savez que ceux qui exploitent le plus de titres de noblesse, pour faire des dupes, sont précisément des étrangers. Personne n'ignore les faits graves que les débats des tribunaux nous ont révélés récemment.
M. Pirmez, rapporteur. - Les observations de l'honorable M. Van Overloop sont parfaitement fondées. Toutefois, je ferai remarquer que le rapport, joint à l'exposé des motifs, indique que le mot « Belge » a été mis sciemment, et que l'intention des auteurs du projet de loi a été réellement de punir seulement le Belge qui prend indûment des titres de noblesse. Mais le rapporteur ne donne aucune raison à l'appui de cette restriction.
Je crois donc, sauf à examiner plus mûrement la question d'ici au second vote, que l'amendement de l'honorable membre peut être adopté.
M. Lelièvre. - En ce qui me concerne, je ne puis donner mon adhésion à l'article en discussion ; je pense qu'il n'existe aucun motif sérieux d'introduire des dispositions pénales en semblable matière. Lors de la révision, en France, de la législation pénale en 1832, on a dit à juste titre qu'il fallait laisser au ridicule le soin de faire justice des entreprises de la vanité.
Du reste l'amendement de M. Van Overloop vient prouver de plus en plus les inconvénients de réglementer semblable matière. Les personnes qui s'oublient au point de s'attribuer des titres qui ne leur ont pas été conférés sont suffisamment punies par l'opinion publique, sans que la justice doive intervenir en cette occurrence ; à plus forte raison ne peut-on s'occuper des étrangers, comme le propose M. Van Overloop.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je ne partage pas l'opinion de l'honorable M. Lelièvre, en ce qui concerne les Belges, qui, en Belgique, s'attribuent des titres de noblesse qui ne leur ont pas été légalement conférés ou reconnus. Le droit d'accorder des titres de noblesse a été réservé au Roi par la Constitution. C'est une prérogative que nous devons garantir. Or, du moment qu'il n'existe aucune pénalité contre celui qui s’attribue des titres de noblesse, cette disposition de la Constitution devient complétement illusoire.
D'un autre côté, ce n'est pas une chose indifférente pour le pays, que chacun puisse s'attribuer des titres de noblesse ; ces titres, que l'on prend indûment, finissent par jeter une grande confusion, une grande perturbation dans l'état civil des familles. Il faut donc maintenir une peine contre ce fait qui, du reste, est déjà puni par le Code actuel.
Quant à la modification proposée par l'honorable M. Van Overloop, je demande que l'article et l'amendement soient renvoyés à la commission. Dans une loi de cette importance, je n'oserais pas de prime abord me rallier même à la simple substitution d'un mot à un autre. Les moindres modifications peuvent avoir des conséquences qu'on n'aperçoit pas au premier moment.,
Remarquez qu'il s'agit de punir le fait de s'être attribué des titres qui n'auraient pas été légalement conférés ou reconnus, et que, si nous admettons l'amendement, nous sommes dans le cas de nous constituer en quelque sorte juges en Belgique de la manière dont les titres ont été reconnus ou conférés à l'étranger. C'est là une difficulté qui me frappe et sur laquelle la commission devra nécessairement porter son attention.
M. Van Overloop. - Je me rallie à la proposition de M. le ministre de la justice ; je demande avec lui que l'article 245 et l'amendement soient renvoyés à la commission.
- La Chambre, consultée, renvoie à la commission l'article 245 et l'amendement de M. Van Overloop.
« Art. 246. Quiconque aura publiquement pris un nom qui ne lui appartenait pas, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à trois mois ou d'une amende de vingt-six francs à trois cents francs. »
-Adopté.
M. le président. - Nous sommes arrivés au bout du livre II du titre III du Code pénal.
Il y a des articles réservés et un article nouveau qui ont été renvoyés à la commission.
L'ordre du jour appelle un feuilleton de pétitions.
- Des membres. - A demain.
- La séance est levée à 4 heures et demie.