(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 63) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.
M. Vander Stichelen donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Crombez présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des membres d'une société littéraire établie à Turnhout demandent que M. le ministre de l'intérieur soit invité à se prononcer sur ses intentions relatives aux réclamations qui ont été adressées en faveur de la langue flamande. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des élèves à l'université de Gand demandent qu'à la session de Pâques 1859, il y ait des jurys d'examen pour l'admission à tous les grades académiques. »
« Même demande d'étudiants à l'université de Bruxelles. »
- Renvoi à la même commission.
Il est fait hommage par M. Rapsaet d'un exemplaire de ses Recherches sur la législation relative à la question du rouissage dans la Lys.
- Dépôt à la bibliothèque.
« Art. 42 (projet du gouvernement auquel se rallie la section centrale). Ne pourront être exécutés, en ce qui concerne la contrainte par corps, les jugements rendus en vertu de la loi antérieure, qui auront ordonné l'exécution par corps hors les cas déterminés ci-dessus.
« Les contestations qui s'élèveront à ce sujet seront portées devant le tribunal compétent pour connaître de l'exécution du jugement. Si les débiteurs sont incarcérés, ils pourront demander leur élargissement, conformément à l'article 805 du Code de procédure. »
- Adopté.
« Art. 43 (projet du gouvernement auquel se rallie la section centrale). Un mois après la publication de la présente loi, les débiteurs actuellement détenus pour dettes civiles ou commerciales, ou pour dettes envers le fisc, ainsi que les étrangers incarcérés en vertu de l'article premier de la loi du 10 septembre 1807, jouiront du bénéfice des dispositions du titre V ci-dessus.
« Les étrangers qui seront en état d'arrestation provisoire pourront demander leur mise en liberté, conformément à l'article 10, faute parle créancier de se pourvoir dans la quinzaine à partir du jour où la présente loi sera exécutoire. »
- Adopté.
« Art. 44. Les condamnations à l'amende, prononcées en matière criminelle, correctionnelle et de simple police, sous l'empire de la loi ancienne, pourront être exécutées par corps, de la même manière que les condamnations aux frais envers l'Etat. »
M. de Boe, rapporteur. - Nous proposons de remplacer l'article 44 par la disposition suivante :
« Les condamnations à l'amende et aux frais envers l'Etat prononcées en matière criminelle, correctionnelle ou de simple police, sous l'empire de la loi ancienne, pourront être exécutées par la voie de la contrainte par corps. Le débiteur se pourvoira devant le tribunal civil de son domicile à l'effet d'en faire déterminer la durée dans la limite fixée par l'article 58. »
Voici, messieurs, les motifs de cette nouvelle rédaction. Les individus qui se trouveront condamnés à l'amende à l'époque de la promulgation de la loi nouvelle le seront en vertu de dispositions anciennes qui ne fixent pas de limite à la durée de la contrainte par corps. Ainsi, en matière criminelle, correctionnelle et de simple police, la durée de la contrainte est illimitée. Si, cependant, l'individu justifie de son insolvabilité, la durée de la contrainte cesse, dans le premier cas, au bout d'un an, dans le second cas après six mois, et dans le troisième cas, après quinze jours. Eh bien, l'article 44 renvoie à l'article 58 relatif aux condamnations aux frais envers l'Etat. Mais cet article 58 décide que la durée de la contrainte sera fixée dans la limite de huit jours à un an par le jugement de condamnation.
On pouvait se demander comment il était possible d'appliquer cet article aux contraintes par corps prononcées en vertu de la loi ancienne. Il devenait nécessaire, pour faire profiter le détenu du bénéfice de la loi nouvelle, de l'autoriser à faire fixer la durée de son emprisonnement par un nouveau jugement dans les limites de huit jours à un an. Telle était la difficulté. C'est dans le but de la faire cesser que l'amendement a été proposé.
La même question se présentait pour l'article 45, qui renvoie également à un article donnant au juge la faculté de fixer par le jugement de condamnation, dans la limite de huit jours à un an, la durée de la contrainte par corps.
C'est le résultat de l'amendement adopté dans la séance de samedi à l'article 41 et qui décide que pour les sommes inférieures à 300 fr. le juge fixera la durée de la contrainte par corps dans la limite de 8 jours à un an.
C'est à ce sujet que j'ai cru, samedi, qu'un amendement était nécessaire à l'article 45, et en conférant ce matin avec M. le ministre de la justice, nous avons cru que la disposition qui vient de vous être indiquée à l'article 44 était aussi nécessaire.
- L'article 44, modifié comme le propose la section centrale d'accord avec M. le ministre de la justice, est adopté.
M. le président. - M. le rapporteur vient de vous dire qu'un amendement avait aussi été jugé nécessaire à l'article 45. Voici quelle serait la rédaction nouvelle :
« Art. 45. Les articles 20, 24, 27, 28, 30, 31. 32, 33, 34, 35, 36, 37 et 38 sont applicables, dans les limites de la disposition de l'article 41, aux individus actuellement détenus en exécution de condamnations aux restitutions, dommages-intérêts et frais en matière criminelle, correctionnelle et de simple police.
« Toutefois, si ces condamnations n'excèdent pas 300 fr., les débiteurs pourront se pourvoir devant le tribunal civil de leur domicile, pour faire déterminer la durée de la contrainte par corps, conformément au second paragraphe de l'article 41.
- Cet article est adopté.
« Art. 46. Sont abrogées les lois du 15 germinal an VI, du 10 septembre 1807, et les dispositions du Code civil, du Code de procédure civile et du Code de commerce, relatives à la contrainte par corps.
« Sont également abrogées les dispositions concernant la contrainte par corps contre les débiteurs de l'Etat, des communes et des établissements publics, et celles relatives à l'exécution par corps des condamnations à l'amende, aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de simple police.
« Néanmoins, celles des dispositions précitées qui concernent la procédure en matière d'emprisonnement, les dispositions relatives à la contrainte contre les témoins défaillants, celles des articles 151 et 153 du Code forestier, ainsi que celles qui régissent le bénéfice de cession, sont maintenues et continueront d'être exécutées. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande que le troisième paragraphe soit rédigé de la manière suivante :
« Néanmoins, celles des dispositions précitées qui concernent la procédure en matière d'emprisonnement, les consignations d'aliments pour la nourriture des débiteurs de l'Etat, détenus en prison, etc. »
Il y a, messieurs, relativement à la consignation des aliments pour la nourriture des débiteurs de l'Etat, un décret spécial qui doit rester en vigueur après la publication de la loi nouvelle ; ce décret dispense l'Etat de faire la consignation des aliments pour la nourriture des débiteurs. Si la disposition que je propose n'était pas introduite dans la loi, on pourrait argumenter de l'article 40 pour soutenir que ce décret est aboli, et par conséquent exiger que l'Etat fasse la consignation.
M. de Boe, rapporteur. - Messieurs, l'article 46 renvoie aux dispositions relatives à la cession des biens. Il y a lieu de croire que cet article maintient une législation sérieuse, efficace, applicable. Or depuis 1830 sur environ 2,700 détenus par suite de la contrainte par corps, il y en a 8 qui ont obtenu la cession des biens. Il semble résulter de cette donnée statistique que les dispositions relatives à la cession des biens ne sont pas sérieuses, efficaces, applicables, et qu'il y a lieu d'y apporter des modifications
La cession des biens, messieurs, fut, lors de la rédaction du Code civil, considérée au sein du conseil d'Etat, comme le contre-poids nécessaire des rigueurs de la contrainte par corps contre les débiteurs civils : comment se fait-il qu'elle soit devenue inapplicable en Belgique ? En voici, je pense ; la raison :
L'article 1268 du Code civil dit : « La cession judiciaire est un bénéfice que la loi accorde au débiteur malheureux et de bonne foi auquel il est permis pour avoir la liberté de sa personne, de faire en justice l'abandon de tous ses biens à ses créanciers, nonobstant toute stipulation contraire. »
Et l'article 1270 ajoute :
• Elle opère décharge de la contrainte par corps. >
Ainsi, messieurs, le tribunal est juge du malheur et de la bonne foi. (page 64) Il y a cependant des cas pour lesquels la loi érige la mauvaise foi en présomption. Ainsi les stellionataires, les dépositaires et autres personnes en petit nombre énumérées à l'article 905 du Code de procédure.
Il semble donc que la cession des biens pourrait être d'une application plus fréquente ; car il n'est pas à présumer que les 2,700 individus qui ont subi la contrainte par corps depuis 1830 fussent tous de mauvaise foi. Le peu de cessions de biens admises depuis 1830 vient de la rigueur d'interprétation que les tribunaux ont donnée aux mots : malheureux et de bonne foi. Tous les individus ruinés par leurs fautes, par leur imprudence ou leur légèreté, le défaut d'ordre de leurs affaires, ne sont pas admis au bénéfice de la cession. C'est une chose digne de remarque que cette rigueur d'interprétation des tribunaux en matière de contrainte par corps. En voici, messieurs, quelques exemples :
La loi de germinal an VI limite à 5 ans la durée de la contrainte par corps en matière civile et contre les étrangers ; intervient le code civil qui omet de reproduire cette disposition, et la jurisprudence décide que puisqu'il n'y a pas de limite fixée en matière civile, la contrainte par corps est perpétuelle.
La loi de 1807 règle le sort des étrangers ; elle oublie de fixer un délai dans lequel le créancier devra poursuivre son débiteur étranger et la jurisprudence décide que puisque aucun texte de loi n'impose au créancier le délai dans lequel il devra poursuivre son débiteur en jugement définitif, l'arrestation provisoire est perpétuelle, .comme si ces deux mots : « provisoire » et « perpétuelle » pouvaient se trouver accolés l'un à l'autre dans une même disposition légale.
Eh bien, cette même rigueur, nous la remarquons dans l'interprétation des mots « malheureux et de bonne foi ».
Deux classes d'individus peuvent être soumis à la contrainte par corps : les commerçants et les débiteurs civils, et sous le nom de débiteurs civils, je comprends tous ceux qui doivent en matière civile extraordinaire, ceux qui doivent en matière pénale, les étrangers, ceux qui n'étant pas commerçants sont tenus pour exécution d'engagements relatifs au commerce et à la pêche maritime, enfin les débiteurs civils, signataires de lettres de change, c'est-à-dire la classe d'individus la plus intéressante dont il puisse être question dans la discussion d'une loi concernant la contrainte par corps.
Je ne parlerai pas des débiteurs en matière civile extraordinaire, il y a par an une contrainte exercée de ce chef, ni des débiteurs en matière pénale que leur fraude doit faire exclure du bénéfice de cession.
Mais je parlerai des étrangers et des débiteurs civils en matière de lettres de change, lorsque les débiteurs ne sont pas commerçants ? De quelles garanties jouissent-ils ? Traités sévèrement dans l'intérêt du crédit des lettres de change, ne le sont-ils pas plus que les commerçants.
D'après la loi des faillites :
« Tout commerçant qui cesse ses payements et dont le crédit, est ébranlé est en état de faillite. Il doit se faire la déclaration dans les trois jours au tribunal de commerce. »
La sanction de cette dernière disposition est d'autoriser le dépôt dans une maison d'arrêt ; ce dépôt est une mesure de précaution et n'est pas la contrainte par corps avec laquelle les commerçants le confondent souvent.
Donc le vœu de la loi est que le commerçant qui ne peut satisfaire à ses engagements, qui se trouve sons le coup de la contrainte par corps, soit mis en faillite.
Si le négociant s'est rigoureusement conformé aux prescriptions du Code de commerce, il obtiendra un concordat qui le remettra à la tête de ses affaires, ou il sera déclaré excusable ; et la déclaration d'excusabilité le relève de la contrainte par corps.
On peut donc se demander comment il se fait qu'un commerçant puisse être contraint par corps, car les cas d'inexcusabilité sont extrêmement rares. Presque tous les commerçants dont la faillite a été déclarée, qui n'ont pas été poursuivis en banqueroute, sont déclarés excusables et partant échappent à la contrainte par corps.
Cela vient d'abord de ce que les formalités de la loi sur les faillites sont onéreuses pour les petits commerçants, et que, dans l'intérêt des créanciers, le tribunal ne la prononce pas toujours.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une erreur.
M. de Boe, rapporteur. - Alors je donnerai la seconde raison ou la seule raison : c'est que ces commerçants aiment mieux rester en prison que d'être mis en faillite.
Ils craignent, sans doute, de tomber sous le coup des dispositions de la loi relative à la banqueroute simple ou à la banqueroute frauduleuse.
Quoi qu'il en soit, je dis qu'il y a dans la législation des garanties réelles, sérieuses, efficaces contre la rigueur de la contrainte par corps appliquée aux commerçants. S'ils n'usent pas du bénéfice de la loi sur les faillites, tant pis pour eux.
Les mêmes garanties existent-elles pour les individus civils qui se sont soumis indirectement à la contrainte par corps en signant des lettres de change ? Comme ils ne sont pas commerçants, ils ne jouissent pas de la faveur de la loi commerciale, ils ne peuvent demander le bénéfice de la mise en faillite.
Les garanties de la loi civile ne sont pas plus sérieuses, puisque le bénéfice de la cession des biens, qui fut considéré comme un contrepoids nécessaire à la rigueur de la contrainte par corps, contre eux, n'est plus appliqué.
La statistique que j'ai eue sous les yeux ne me fait pas connaître le nombre des signataires civils de lettres de change contraints par corps en Belgique ; je ne puis consulter à cet égard qu'une ancienne statistique française. En 1829, il résulta d'une enquête très intéressante faite par le duc Decazes dans les prisons de Paris, que sur 100 détenus en matière de commerce, il y en avait 95 non commerçants, qui l'étaient pour des lettres de change signées par eux.
La proportion en Belgique doit être moins grande. Mais ils doivent figurer en grand nombre parmi les détenus pour dettes de commerce. Leur sort me paraît digne de l'attention du gouvernement, comme celui de tous les débiteurs civils.
Cet objet est, depuis un certain nombre d'années, un sujet d'étude pour les hommes politiques de l'Angleterre. Depuis 1838, diverses lois ont été votées dans ce pays sur les insolvables. C'est encore une des plus grandes questions qui aient été agitées dernièrement dans la réunion de l'association pour le progrès des sciences sociales tenue à Liverpool.
A la tête de ce mouvement de réforme de la législation des insolvables se trouve, depuis son origine, lord Brougham.
Les nombreuses lois rendues sur cette matière depuis 1838 admettent sous la foi du serment, au bénéfice de cession, les débiteurs civils et les débiteurs commerçants dont les dettes n'excèdent pas 300 livres. La position des commerçants, dont le passif est plus considérable, est réglée par la loi des banqueroutes. L'admission n'a pas lieu et le débiteur reste soumis à la contrainte par corps, si la dette résulte d'un engagement né de la fraude, ou si le débiteur ne prouve pas qu'à l'époque où il a contracté la dette, il avait la certitude ou l'espoir fondé de payer.
Ce sont là des dispositions que je voudrais voir entrer dans notre législation, en ce qui concerne la cession de biens.
La loi contient assez de garanties à l'égard du débiteur commerçant. Ces garanties ne me paraissent pas suffisantes pour les débiteurs civils.
Voilà le but que je voudrais atteindre, en appelant l'attention de M. le ministre sur les dispositions générales relatives à la cession des biens.
De plus, en renvoyant simplement à ces dispositions, l'article 46 maintient la position exceptionnellement défavorable faite aux étrangers par l'article 905 C. P.
A l'époque où le Code de procédure fut décrété, il y avait un esprit draconien qui présidait aux mesures qui régissaient le sort des étrangers en France ; le même esprit pénétra dans le Code de procédure. Il dicta la loi de 1807 que nous réformons en ce moment.
Je crois qu'il y a quelque chose à faire en faveur des étrangers en matière de contrainte par corps.
II faudrait une autre rédaction. L'article du code de procédure parle des étrangers en général sans faire de distinction entre ceux qui ont leur domicile en Belgique et ceux qui ne l'ont pas. L'étranger sans distinction n'est pas admis à la cession de biens. Or, dans la loi que nous venons de faire, cette distinction existe entre les étrangers domiciliés et ceux qui ne le sont pas ; les premiers sont assimilés aux Belges pour la contrainte par corps ; les seconds sont soumis à une législation spéciale qui fait l'objet du titre IV ; l'exclusion de la cession de biens ne pourrait exister que pour eux, en admettant qu'elle dût exister pour aucune classe d'étrangers, ce que je révoque en doute.
- L'article 46 est mis aux voix et adopté.
M. de Muelenaere. - Messieurs, nous sommes arrivés à la fin du projet de loi, tous les articles viennent d'en être adoptés.
Ce projet, si je ne me trompe, pour la rédaction définitive de quelques dispositions, devra être soumis à des délibérations ultérieures de la section centrale et de M. le ministre de la justice ; je prie des lors la Chambre de vouloir bien me permettre de lui soumettre une observation sur deux articles déjà adoptés.
Je ne propose pas d'amendement, c'est un simple doute que j'émets ; s'il ne paraît pas fondé, je m'en rapporterai à la décision de M. le ministre de la justice à cet égard.
Le titre premier est intitulé : « De la contrainte par corps en matière de commerce », et nous voyons à l'article 2 de ce titre que la contrainte par corps en matière de commerce reste facultative pour le juge, lorsque la dette n'excède pas 600 fr.
Le titre II est intitulé : « De la contrainte par corps en matière civile ».
Il me semble que la loi, en ce qui concerne la contrainte par corps, doit se montrer moins sévère en matière civile qu'en matière commerciale, car c'est au profit du commerce et de l'industrie que ce mode exorbitant d'exécution a été établi.
Or, à l'article 5 du projet, je vois que la contrainte en matière civile pourra être prononcée pour toute somme excédant 300 francs, et qu'elle sera obligatoire pour les tribunaux dans toutes les hypothèses prévues par l'article 3, si la dette est de 300 francs et au-dessus.
Vous voyez donc, messieurs, qu'en matière civile on supprime la faveur qu'à l'article 2 on a établie pour les débiteurs qui ne doivent qu'une somme minime. En matière civile, tout individu qui tombera sous le coup de l'application d'un des numéros de l'article 3, devra être frappé de (page 65) contrainte par corps, même pour une somme inférieure à 600 fr., tandis qu'en matière commerciale les tribunaux conservent la faculté de prononcer ou de ne pas prononcer la contrainte, jusqu'à concurrence de cette dernière somme.
Or, voici un cas qui peut se présenter : un saisi, plus ou moins de bonne foi, croyant que la poursuite qui a eu lieu contre lui n'est pas fondée, et qu'il la fera annuler plus tard par les tribunaux, ce saisi, se considérant encore comme propriétaire de l'immeuble saisi, y commet certaines dégradations ; par exemple, il vend quelques arbres. Il est condamné, de ce chef, à des dommages-intérêts, s'élevant, je suppose, à 400 francs. Aux termes de l'article 3 paragraphe 6 et de l'article 5, le saisi encourra la contrainte par corps pour une dette de 400 francs. Le juge devra la prononcer contre lui, tandis que, en matière commerciale, les tribunaux auraient la faculté, en raison de la modicité de la somme, de la prononcer ou de ne la point prononcer. Il me semble qu'il y a là quelque chose d'illogique.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pas du tout !
M. de Muelenaere. - Je comprends parfaitement qu'on maintienne la contrainte par corps en matière civile, pour des actes qui supposent le dol ou la fraude.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Eh bien, n'est-ce pas un acte frauduleux celui que vous supposez ?
M. de Muelenaere. - Il me semble cependant qu'il peut se présenter fréquemment des cas où l'acte du saisi ne constituera pas un acte de dol ou de fraude. Cela dépendra des circonstances dont l'appréciation semblerait devoir être dévolue aux tribunaux.
Or, dans de pareilles conditions, il me paraît que le saisi devrait être traité au moins avec la même faveur que le débiteur d'une dette commerciale.
Je soumets ces observations à M. le ministre de la justice, pour qu'il en tienne compte, s'il y a lieu, dans la réunion à laquelle on procédera à la révision de quelques articles du projet.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne puis me rallier aux observations de l'honorable comte de Muelenaere. Cet honorable membre ne me semble pas tenir suffisamment compte de la différence des cas dans lesquels la contrainte est admise en matière commerciale, et des cas dans lesquels elle est admise en matière civile.
La contrainte par corps en matière commerciale est obligatoire pour toutes les dettes, sans exception, qui excèdent 600 francs. Pour les dettes qui s'élèvent de 200 à 600 fr., elle est facultative ; mais toutes les dettes commerciales, sans exception aucune, qui excèdent 200 fr., peuvent donner lieu à la contrainte par corps.
Quand la dette excède 600 fr., je viens de le dire, la contrainte par corps est obligatoire. L'on peut donc dire qu'en matière commerciale, l'exécution par la voie de la contrainte par corps est la règle.
En matière civile, au contraire, l'exécution par la voie de la contrainte est l'exception, et une très rare exception.
La contrainte par corps en matière civile n'est obligatoire, ne doit être prononcée par le juge, aux termes de l'article 3 du titre II que :
1° Pour stellionat :
Lorsqu'on vend ou qu'on hypothèque un immeuble dont on sait n'être pas propriétaire ;
Lorsqu'on présente comme libres des biens qu'on sait être hypothéqués, ou lorsqu'on déclare sciemment des hypothèques moindres que celles dont ces biens sont chargés ;
2° Contre les dépositaires nécessaires, les séquestres et gardiens judiciaires, en cas de dol ou de fraude ;
3° Pour la restitution des sommes consignées entre les mains des personnes publiques établies à cet effet ;
4° Contre les officiers publics, pour la représentation de leurs minutes ou d'autres pièces dont ils sont dépositaires, quand elle est ordonnée par le juge ;
5° Contre les notaires, les avoués et les huissiers, pour la représentation des titres et deniers qui leur auront été remis par suite de leurs fonctions ;
6° Contre le saisi, à l'effet d'obtenir le payement des dommages et intérêts qu'il aura encourus pour avoir fait des coupes de bois ou commis des dégradations sur l'immeuble saisi.
Vous remarquerez que ces faits sont tout au moins des quasi-délits, et qu'en raison de leur nature même il y a lieu d'imposer aux juges l'obligation de prononcer la contrainte.
Autre chose est une simple dette commerciale qui n'excède pas six cents francs contractée de bonne foi, que le débiteur a pu espérer être à même de payer à l'échéance, et autre chose est une dette qui prend son origine dans le stellionat ou dans la violation d'un dépôt.
Maintenant, ce qui semble avoir frappé l'honorable comte de Muelenaere, c'est le paragraphe 6 qui prononce la contrainte par corps, contre le saisi, à l'effet d'obtenir le payement des dommages et intérêts qu'il aura encourus pour avoir fait des coupes de bois ou commis des dégradations sur l'immeuble saisi.
Eh bien, je crois qu'il faut maintenir la contrainte obligatoire dans ce cas-là. L'honorable M. de Muelenaere dit : Mais il est possible que cet individu soit de bonne foi. Messieurs, la bonne foi n'est pas admissible, à moins d'admettre qu'on peut ignorer la loi.
L'individu contre lequel il aura été pratiqué une saisie immobilière, aura été condamné par les tribunaux, ou il aura contre lui un titre authentique. Dès que le saisi est notifié, la loi lui apprend quels sont ses devoirs ; il doit les respecter et il ne lui appartient pas d'aller faire des coupes ou de dégrader l'immeuble saisi, de porter ainsi atteinte au gage de ses créanciers, qui, dans ce cas, se trouvent en quelque sorte sous la protection de la justice.
La contrainte par corps me semble donc très légitimement prononcée dans ce cas ; elle est à la fois une garantie pour le créancier et un moyen de faire respecter l'autorité de la justice.
M. le président. - Il nous reste à voter sur l'ensemble de la loi ; à quel jour la Chambre veut-elle fixer le vote définitif ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - A mercredi ou jeudi.
M. le président. - Voici, messieurs, l'état de nos travaux. Nous pouvons avoir demain le rapport sur le premier titre du deuxième livre du Code pénal. Ce premier titre ne présente aucune difficulté. Cependant, nous devons nous occuper du premier titre avant de passer au second, sur lequel le rapport a été déposé et distribué longtemps avant notre séparation.
De sorte que si l'on pouvait mettre à l'ordre du jour de demain le premier titre du deuxième livre du Code pénal, nous fixerions à jeudi le vote définitif du projet de loi sur la contrainte par corps.
- Plusieurs membres. - Appuyé !
- La Chambre met à demain la discussion du titre premier du deuxième livre du Code pénal et à jeudi le vote définitif du projet de loi sur la contrainte par corps.
L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à 3 heures.