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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 19 novembre 1858

(Appel nominal et lecture du procès-verbal)

(page 49) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre</h2

M. Crombez, secrétaire, présente l'analyse des pièces suivantes.

« Plusieurs cultivateurs, à Saint-Nicolas, prient la Chambre d'exempter du droit de barrière les différents transports qu'ils doivent faire du lin vert avant qu'ils puissent le rentrer définitivement dans la ferme et, de les comprendre dans le paragraphe 7 de l'article 7 de la loi du 18 mars 1833. »

« Même demande de plusieurs cultivateurs de Belcele. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des membres d'une société littéraire, établie à Vracene, demandent que M. le ministre de l'intérieur soit invité à se prononcer sur ses intentions relatives aux réclamations qui ont été adressées en faveur de la langue flamande.

« Même demande d'habitants de Louvain. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Ramscappelle demande qu'il soit pris des mesures pour faire disparaître l'eau des fossés qui longent les pâtures dans cette commune. »

- Même renvoi.


« Le sieur Hustin, receveur communal à Graide, demande une augmentation de traitement. »

- Même renvoi.


« Des membres du conseil communal de Bleid prient la Chambre d'ordonner que les archives de la commune soient réintégrées dans la maison communale et de décider que les réunions du conseil doivent s'y tenir. »

- Même renvoi.

Prompts rapports de pétitions

M. Vanden Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Marche, le 28 juillet 1858, des habitants de Marche demandent la construction d'un embranchement de chemin de fer sur cette ville.

Les pétitionnaires présentent plusieurs considérations à l'appui de leur demande. La principale est l'importance de la ville et des nombreux établissements industriels et commerciaux avec lesquels elle est en rapport.

La commission, sans rien préjuger, conclut au renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. Vanden Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Louvain, le 10 novembre 1858, plusieurs étudiants à l'université de Louvain demandent qu'à la session de Pâques 1859, il y ait des jurys d'examen pour l'obtention de tous les grades académiques.

Même demande de plusieurs élèves de l'université de Liège.

Messieurs, les pétitionnaires disent que si, aux vacances de Pâques de l'année actuelle, peu d'élèves ont profité de la faculté qu'ils sollicitent, c'est parce que l’arrêté royal a été pris tardivement et que, par conséquent, ils n'ont pu se mettre en mesure de jouir de l'avantage qu'il leur offrait ; pour les vacances de Pâques 1859, au contraire, les pétitionnaires, qui sont nombreux, se présenteraient en grand nombre, à ce qu'il paraît, aux examens de Pâques.

La commission, messieurs, conclut au renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

M. Lelièvre. - J'appuie les conclusions de la commission et je pensé qu'il y a lieu, de la part du gouvernement, de faire droit, le plus tôt possible, à l'objet de la pétition. L'on doit accorder certaines facilités aux jeunes gens des universités, et la faveur qui, dans l'espèce, est réclamée par eux, ne présente rien d'exorbitant. Il s'agit, d'ailleurs, d'une loi votée seulement en 1857, et sous ce rapport, on peut admettre certains tempéraments équitables.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée d'Espierres, le 12 novembre 1838, les membres du conseil communal et les habitants d'Espierres se plaignant des eaux noires et pestilentielles et des teintures qui viennent de Roubaix et de Tourcoing par le courant de l'Espierres, prient la Chambre de prendre des mesures pour faire cesser cet état de choses.

Vous comprenez, messieurs, qu'il ne dépend pas du gouvernement de prendre des mesures à cet égard autrement qu'en se concertant avec le gouvernement français, car c'est surtout des usines établies eu France que nous viennent les eaux infectes qui corrompent les eaux du ruisseau de l'Espierres et qui sont aujourd'hui, à cause de la sécheresse, dans un était de concentration telle, que l'Escaut dans lequel se jette le courant de l'Espierres, empoisonne tous les poissons du fleuve et même les bestiaux qui boivent de ces eaux infectes.

Dans cet état de choses, messieurs, il nous a paru qu'il n'y avait pas d'autre mesure à prendre que de renvoyer la pétition à M. le ministre de l'intérieur, afin que le gouvernement s'entende avec le gouvernement français pour amener les mesures que réclame la salubrité publique.

- Le renvoi à M. le ministre de l'intérieur est mis aux voix et adopté.

Projet de loi sur la contrainte par corps

Discussion des articles

Titre II. De la contrainte par corps en matière de deniers et d’effets publics

Article 6

M. J. Jouret (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je me proposais, dans la séance d'hier, de répondre quelques mois à l'honorable M. Moncheur qui avait, sous certains rapports, fait la critique de l'amendement que j'ai présenté ; mais j'avais différé de faire cette réponse jusqu'au moment où l'honorable rapporteur de la section centrale aurait déposé le rapport qu'il avait promis de faire sur cet amendement. Comme M. le rapporteur n'est pas encore en mesure de présenter son travail et qu'il a l'intention de ne le présenter qu'entre les deux votes de la loi, je demanderai à la Chambre de répondre immédiatement quelques mots à l'honorable M. Moncheur. (Oui ! oui !)

L'honorable M. Moncheur a dit qu'il n'est pas rare de rencontrer dans nos lois le présent et le futur employés indistinctement ; il a notamment cité certains textes de nos lois pénales. Cela se conçoit sans peine, et principalement dans les lois pénales.

On comprend, par exemple, que dans un article de loi conçu de cette manière : « Celui qui aura été condamné à mort, aura la tête tranchée» , on parle au futur.

Il en est de même dans l'article 28 de la loi en discussion, que l'honorable M. Moncheur a cité hier.

La loi, rédigée de cette manière, contient une sorte de commination pour l'avenir : ce qui demande nécessairement l'emploi du futur.

Il est d'autres cas encore où j'avouerai avec l'honorable M. Moncheur, que dans la rédaction d'un article de loi, il est convenable de faire emploi du futur.

La preuve que je n'ignorais pas qu'il en fût ainsi, c'est que dans mon amendement, je n'ai pas fait mention des articles 40 et 43 de la loi qui rentrent dans la catégorie de ceux qu'indique l'honorable M. Moncheur, comme demandant le futur. L'article 40 est ainsi conçu :

« Art. 40 Les dispositions ci-après du Code pénal adopté par les Chambres législatives seront exécutées à partir du jour où la présente loi sera obligatoire. »

Il est évident que dans un pareil cas la loi s'énonce et doit s'énoncer au futur.

Il en est de même pour l'article 43 qui s'exprime ainsi : « Un mois après la publication de la présente loi les débiteurs actuellement détenus pour dettes civiles ou commerciales, etc., etc., jouiront du bénéfice du titre V. »

C'est tout simple, les dispositions que je viens de citer ne doivent sortir leurs effets que dans un temps futur ; il est évident que dans ces cas, il faut employer le futur.

Mais je persiste à soutenir que dans presque tous les articles mentionnés dans mon amendement, il est préférable de se servir du présent. Je pense que lorsque l'honorable rapporteur aura examiné cet amendement, il sera d'avis qu'il y a lieu de l'adopter.

L'honorable M. Moncheur a dit que la besogne serait bien grande, si l'on devait corriger de cette façon toutes les lois du pays. Evidemment l'honorable M. Moncheur, dans de bonnes intentions, j'en suis convaincu, a prêté des proportions extraordinaires à l'idée que j'avais émise ; il ne peut pas s'agir de réformer sous ce rapport toutes nos lois ; mais quand nous élaborons des lois nouvelles, il est de notre devoir de tâcher de es rédiger de la manière la plus convenable.

Une chose qui est bien certaine, c'est qu'en y faisant attention on doit reconnaître qu'il est impossible de conserver la rédaction de certains articles. Par exemple, l'article premier s'exprime en même temps au présent et au futur. Est-il possible de laisser subsister dans une loi de pareilles disparates ? Les articles 1 et 3 s'expriment au présent ; l'article 4 s'exprime au futur ainsi que l'article 5, tandis que les articles 6, 7 et 8 reprennent le présent.

Est-il possible de laisser subsister ces irrégularités, quelque peu importantes qu'elles puissent être au fond ? Il y a d'autres articles où cela (page 50) est bien plus choquant. A l'art.icle14, dans un paragraphe qui n'est pas long, on se sert à la fois du futur et du présent.

« L'ordonnance du président n'est pas sujette à l'appel, mais le débiteur pourra, etc. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela doit être ainsi, c'est évident.

M. J. Jouret. - Il en est de même à l'article 15 :« L'ordonnance sera réputée non avenue si elle n'est pas exécutée dans le mois de sa date. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La disposition ne peut pas être rédigée autrement.

M. J. Jouret. - A l'article 20, je lis : Les débiteurs seront détenus, etc.... ils auront la faculté de s'y livrer à tout genre d'occupations qui ne sont pas incompatibles avec la rigueur de l'emprisonnement. Tonte dépense de luxe est interdite.

Vous le voyez, messieurs, ici les deux temps sont employés dans la même disposition.

Je persiste à croire qu'après examen on reconnaîtra qu'il convient de rédiger au présent presque tous les articles de la loi.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il est possible qu'il y ait quelques articles qui, dans la rédaction, doivent subir une modification. Ainsi, dans les articles 24 et 25, où l'on dit : La contrainte par corps ne pourra pas être prononcée, on pourra substituer : La contrainte par corps ne peut, parce qu'il s'agit d'un principe que nous proclamons.

Mais souvent il s'agit d'un fait qui doit se produire dans l'avenir, alors c'est le futur qui doit être employé.

Pour prendre un exemple dans l'article premier, on dit très bien : La contrainte par corps a lieu (c'est un principe) contre tout commerçant ; ensuite il dit : « Les billets souscrits par un commerçant seront censés faits pour son commerce », parce qu'il s'agit de faits à poser dans l'avenir. Quand il s'agit de décréter des principes, il faut disposer au présent ; quand il s'agit d'un fait à peser dans l'avenir, c'est du futur qu'on se sert.

C'est d'après cette règle qu'on pourra examiner la rédaction des diverses dispositions de la loi, d'ici an second vote.

M. Moncheur. - Messieurs, les observations que j'avais faites hier viennent d'être corroborées par celles de M. Jouret lui-même, car son amendement avait été présenté en termes tellement positifs et absolus, qu'il semblait en résulter que l'indicatif présent devait être employé partout dans la loi. Il est vrai que son honorable auteur n'avait pas demandé ce mode pour les articles transitoires de la loi ; mais le caractère même de ces articles excluait suffisamment le présent de l'indicatif. Quant à tous les autres articles ou à peu près, en tout cas, quant à l'article 288 que j'ai cité hier, ils devaient, selon l'honorable membre, être rédigés au présent. Je n'ai pas contesté que ce système fût bon, généralement parlant, mais j'ai dit qu'il serait mauvais s'il était appliqué d'une manière absolue, et que souvent le législateur devait s'exprimer au futur ; que même les Codes français, qui certainement ont été rédigés par des hommes qui s'y entendaient, employaient le plus souvent le futur.

En thèse générale, donc, je pense que le positif est préférable quand il s'agit de poser un principe ; mais le futur est plus correct dans d'autres cas très nombreux qui se présentent dans la rédaction des lois.

L'honorable M. Jouret convient lui-même, notamment, que le futur doit être maintenu dans l'article 28 de même que dans tous les autres articles qui prévoient des éventualités ; je vois avec plaisir que l'idée de M. Jouret est moins absolue qu'elle ne le paraissait d'abord, et ainsi nous pourrons tomber d'accord.

L'honorable rapporteur de la section centrale pourra introduire dans le projet, entre les deux votes, les modifications dont il est susceptible à ce point de vue.

- La discussion sur l'art. 6 est close.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je déclare que le gouvernement se rallie à la rédaction proposée par la section centrale pour l'article 6 ainsi que pour l'article 7.

M. le président. - C'est donc l'article 6 de la section centrale que je mets aux voix. Il est ainsi conçu :

« Art. 6 Sont soumis à la contrainte par corps :

« Tous ceux qui à titre de comptables ou autrement ont perçu des deniers publics ou reçu des effets mobiliers appartenant à l'Etat, aux provinces, aux communes, aux établissements de bienfaisance et autres établissements publics, pour représentation ou justification d'emploi desdits effets mobiliers, et pour reliquat de comptes, déficit ou débet constatés à leur charge. »

- Cet article est adopté.

Article 7

« Art. 7 (projet de la section centrale). Sont également soumis à la contrainte par corps tous entrepreneurs, soumissionnaires et traitants qui ont passé êtes marchés ou traités intéressant l'Etat, les provîntes les communes, les établissements de bienfaisance et autres établissements publics, pour le payement des sommes reconnues en débet à leur charge par suite de leurs entreprises. »

M. Moncheur. - Il me semble qu'on devrait maintenir dans l'article 7 la dernière disposition de cet article, telle qu'elle avait été rédigée par le gouvernement et qui concernait les agents des entrepreneurs ou soumissionnaires ou traitants qui ont passé des marchés ou fait des traités intéressant l'Etat, les provinces on les communes.

En effet, messieurs, nous trouvons bien dans le rapport de la section centrale des raisons pour ne point comprendre les cautions au nombre des contraignables par corps quand il s'agit de traités faits avec l'Etat, les communes, les établissements de bienfaisance, etc. Mais nous n'en voyons pas en ce qui concerne les agents de ces soumissionnaires. Or, il me semble qu'il y aurait une inconséquence très grave dans la loi si, dans l'article 6, on soumettait à la contrainte par corps les agents ou les préposés de personnes qui ont manié les deniers de l'Etat ; et si on rendait indemnes de ce moyen de coaction les agents des entrepreneurs, lorsque ces agents ont géré personnellement l'entreprise. Quant à moi, je ne vois pas de motif pour exempter les agents des entrepreneurs soumissionnaires de la contrainte par corps, lorsqu'ils sont, du chef de leur gestion personnelle, débiteurs de l'Etat, tandis qu'on maintient dans les liens de la contrainte par corps les agents de ceux qui ont simplement perçu les deniers publics.

Ainsi, d'après l'article 6, il suffit d'avoir été détenteur de deniers de l'Etat, sans avoir jamais été comptable de l'Etat, pour être soumis à la contrainte par corps pour la restitution de ces deniers ; car l'article 6 porte : tous ceux qui à titre de comptable ou autrement, ont perçu des deniers publics ou reçu des effets mobiliers appartenant à l'Etat, etc., sont soumis à la contrainte par corps.

En outre, le paragraphe 2 de l'article 6 du projet du gouvernement disait positivement que les agents ou préposés des comptables qui ont personnellement géré ou fait la recette étaient contraignables par corps ; or, ce paragraphe a été omis dans la rédaction de la section centrale, mais par la raison seulement que cette dernière rédaction comprenait les agents des comptables, comme les comptables eux-mêmes. Donc, l'article 6 que vous venez de voter soumet à la contrainte par corps les agents ou préposés des comptables, alors qu'eux-mêmes ne sont pas comptables. Eh bien, le projet du gouvernement, par une raison très juste d'analogie, avait soumis les agents des entrepreneurs, des soumissionnaires et des traitants à la contrainte par corps comme les traitants eux-mêmes, quand ils avaient personnellement géré l'entreprise.

Je crois, messieurs, qu'il y a des raisons très plausibles pour qu'il en soit ainsi. En effet, vous le savez, messieurs, très souvent les traitants, surtout lorsqu'il s'agit d'entreprises très considérables, se bornent à signer le contrat fait avec le gouvernement. Ils ne manient pas les fonds, ils ne gèrent pas réellement, personnellement les affaires de l'entreprise. Il y a alors plusieurs autres agents qui personnellement gèrent l'entreprise, or je crois que ceux-là doivent être soumis à la contrainte par corps pour restitution des sommes dont ils peuvent être déclarés redevables envers l'Etat.

Il me semble qu'il y aurait anomalie dans la loi si l'on ne faisait pas figurer les agents dans l'article 7, alors qu'on les a compris dans l'article 6.

M. Lelièvre. - Il y a des motifs sérieux qui ne permettent pas d'appliquer la contrainte par corps aux agents dont parle M. Moncheur. En effet, ces agents n'ont pas traité directement avec l'Etat, les provinces, les communes, etc. ; à ce point de vue, il est impossible de décréter contre eux une mesure rigoureuse, qui doit plutôt être restreinte qu'étendue. Les entrepreneurs, les soumissionnaires, etc., contractent des obligations directes vis-à-vis de l'Etat. On conçoit qu'on ait voulu leur imprimer une sanction spéciale, mais les agents dont nous nous occupons ne se trouvent pas dans la même position. Ils sont obligés principalement vis-à-vis de leurs commettants et par conséquent rien n'autorise à établir à leur égard une disposition exceptionnelle.

S'il pouvait exister entre eux et l'Etat un lien quelconque, il ne pourrait naître que d'un quasi-contrat, obligation civile qui ne doit pas être confondue avec une obligation commerciale.

En tout cas, les agents dont il s'agit n'ont pas vis-à-vis de l'Etat, etc., la même position que les entrepreneurs. A ce point de vue encore, on ne conçoit pas la nécessité d'une sanction aussi sévère.

M. Moncheur. - Le motif que vient de développer l'honorable M. Lelièvre s'applique parfaitement aux agents dont il est fait mention dans l'article 6. En effet l'Etat n'a pas contracté non plus avec les agents des comptables qui ont été chargés de la perception des deniers ou de la garde d'effets mobiliers appartenant à l'Etat, aux provinces ou aux communes. Ce sont des agents dont le gouvernement ignore même généralement le nom, il ne connaît leur nom que lorsqu'il apprend que ces agents out été infidèles et qu'ils doivent restituer des sommes dont ils ont personnellement fait la recette.

La raison qu'allègue l'honorable M. Lelièvre est donc tout à fait sans valeur pour combattre les observations que j'ai présentées.

L'article 6 s'exprime ainsi :

« Sont soumis à la contrainte par corps pour reliquat de comptes, déficit ou débet constatés à leur charge :

« 1° ....

« 2" Les agents ou préposés qui ont personnellement géré ou fait la recette. »

- Un membre. - La section centrale propose la suppression de ce paragraphe.

(page 51) M. Moncheur. - Vous êtes dans l'erreur. La section centrale propose si peu la suppression de ce paragraphe, qu'elle déclare que les agents et préposés dont il est fait mention au n°2° sont compris dans sa rédaction générale.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ils doivent y être compris.

M. Moncheur. - Eh bien, c'est parce qu'ils doivent y être compris, que je dis que les agents qui ont personnellement géré l'entreprise et toutes les personnes déclarées responsables doivent également être compris dans l'article 7. Sinon, il y aurait inconséquence dans la loi.

M. de Boe, rapporteur. - Messieurs, cette question a été soulevée dans la section centrale par l'honorable M. Moreau. Je dois faire observer que la section centrale, pour tous les amendements, a été guidée par un principe, c'est que la contrainte par corps ne doit être accordée que lorsqu'elle est strictement nécessaire. Or, la disposition supprimée de l'article 7, si je ne me trompe, était tout à fait nouvelle ; elle était empruntée à la loi française de 1832 ; il n'en est pas question dans l'article 426 du Code de procédure. Nous avons pensé qu'il n'y avait pas urgence d'étendre ici la contrainte par corps à ce cas nouveau.

Il y a une autre raison, messieurs ; c'est que l'Etat traitant librement, choisissant les personnes avec lesquelles il traite, peut prendre des garanties suffisantes et n'a rien à voir dans les contrats secondaires passés par ceux-ci avec des tiers.

La statistique nous prouve que de 1841 à 1856, il n'y a pas eu de contrainte par corps exercée contre des comptables de deniers publics ni contre des individus qui ont traité directement avec l'Etat. Or, si aucune contrainte par corps n'a été exercée contre ces derniers, il me semble qu'il n'y a aucun danger pour l'Etat, les communes et les établissements publics à ce que nous ne l’accordions pas contre des sous-traitants, puisqu'elle a été à peu près inutile dans l'application contre les traitants principaux et que les agents ne seraient responsables qu'à défaut des premiers.

Je maintiens donc, messieurs, l'amendement qui tend à supprimer le paragraphe ; il ne me semble présenter aucune espèce d'inconvénient.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Voici, messieurs, la raison qui m'a déterminé à me rallier à la rédaction de la section centrale. Lorsqu'un individu touche des deniers appartenant à autrui ou lorsqu'il gère les affaires d'une autre personne, il s'établit un lien, un contrat de gestion d'affaires ; il devient un negotiorum gestor, et l'on peut admettre qu'il soit contraignable par corps ; il y a là un lien direct entre cet homme et celui dont il a touché les deniers, dont il a géré les affaires.

11 n'en est pas de même dans le cas prévu par l'article 7 ; là il ne s'agit plus d'un lien entre le délégué, le gérant et l'Etat, la province, la commune ou l'établissement public qui a adjugé l'entreprise ; il n'y a qu'une convention entre l'entrepreneur et son délégué.

Cette différence dans les positions respectives doit entraîner des dispositions différentes dans la loi.

M. Moncheur. - Je n'insiste pas.

La rédaction delà section centrale est mise aux voix et adoptée.

Article 8

« Art. 8. Les contribuables ne peuvent être contraints par corps au payement dis impôts.

« Sont toutefois maintenues les dispositions des lois spéciales qui dans des cas particuliers autorisent l'exécution par corps en cette matière. »

M. J. Jouret. - Messieurs, je pense que l'article 8 est complétement inutile et que dès lors il doit être supprimé, car il est dangereux d'introduire dans une loi des dispositions inutiles.

Si je comprends bien cet article, messieurs, il signifie ceci : Le contribuable ne peut être contraint par corps à moins que la loi ne le dise.

Eh bien, messieurs, cela ne va-t-il pas de soi ? Cela ne résulte-t-il pas de différentes dispositions de la loi, et dès lors pourquoi cet article ?

L'article 19 porte :

« La contrainte par corps ne pourra jamais être appliquée qu'en vertu d'un jugement qui l'aura prononcée d'une manière formelle. »

Il est clair que ce jugement ne pourra jamais être prononcé qu'en vertu d'une loi qui autorise la contrainte par corps. Cela résulte de l'article 18, qui est tout aussi formel que l'article 19 :

« Seront également nulles les condamnations par corps prononcées hors les cas déterminés par la loi. »

Je ne comprends donc pas, messieurs, l'utilité de l'article 8 et je pense qu’il serait prudent de le faire disparaître.

Je suppose que le rédacteur du projet de loi se sera dit : Nous faisons en quelque sorte la codification de toutes les dispositions sur la matière, éparses en matière commerciale dans la loi du 15 germinal an VI, eu matière civile dans le Code civil et le Code de procédure, à l'égard des étrangers dans la loi du 10 septembre 1807, et en matière d'amendes, de condamnations aux restitutions, dommages-intérêts et frais dans les lois criminelles, correctionnelles et de simple police.

Je pense, messieurs, que c'est pour ce motif que le rédacteur du projet de loi aura tenu à rappeler le principe inscrit dans l'art.icle8, bien que, selon moi, cela fût complétement inutile.

Cet article dit :

« Les contribuables ne peuvent être contraints par corps au payement des impôts. »

« Sont toutefois maintenues les dispositions des lois spéciales qui dans des cas particuliers autorisent l'exécution par corps en cette matière. »

Mais messieurs, ces dispositions des lois spéciales sont très nombreuses tellement nombreuses, que nous lisons dans le rapport de la section centrale :

« Nous avons pensé que la recherche de ces dispositions serait trop laborieuse, que, du reste, cette nomenclature est inutile. »

Il me semble, messieurs, que si la pensée du rédacteur du projet de loi a été telle que je la suppose, de rappeler le principe pour ne rien omettre dans cette matière, il y aurait une meilleure rédaction à formuler et je proposerai la rédaction suivante :

« Les contribuables ne peuvent être contraints par corps au payement des impôts que lorsque les lois spéciales autorisent ce mode d'exécution. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est la même chose.

M. J. Jouret. - Ce n'est pas la même chose ; la rédaction n'a pas la prétention, comme celle du projet, de donner une nouvelle garantie en apparence, taudis qu'au fond rien n'est changé.

L'article, sous ce rapport, est parfaitement inutile. Que l'article 8 soit ou ne soit pas dans la loi, vous ne pourrez jamais contraindre les contribuables par corps, sinon dans les cas spéciaux déterminés par la loi. Les articles 18 et 19 du projet de loi sont suffisants à cet effet.

M. de Boe, rapporteur. - Messieurs, l'article a été adopté par la section centrale, parce que, en matière de loi sur la contrainte par corps, il est essentiel de ne pas laisser de lacunes. Ce sont certaines lacunes qui ont occasionné de grands abus, et de là la nécessité de la loi qui nous est soumise.

Nous sommes donc obligés de dire nettement dans quels cas nous autorisons à prononcer la contrainte par corps. Cela est d'autant plus nécessaire, dans les cas prévus par l'article 8, que l'article 46 abroge notamment les dispositions anciennes, concernant la contrainte par corps contre les débiteurs de l'Etat.

Eh bien, les tribunaux auraient pu croire, en vertu de l'article 46, qu'il n'y avait plus de contrainte par corps possible, dans le cas prévu par le paragraphe 2 de l'article 8.

Nous avons cru devoir maintenir la disposition, afin qu'il y ait un guide certain pour la jurisprudence.

Si nous avons admis la première partie de l'article, c'est qu'il y a eu doute en doctrine sur la question de savoir si le contribuable peut être contraint par corps au payement de l'impôt. Le doute vient à disparaître en présence de la disposition du premier paragraphe.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je pense que l'article doit être maintenu tel qu'il a été proposé par le gouvernement. Ainsi que vient de le dire l'honorable rapporteur, le premier paragraphe de l'article 8 a été introduit dans la loi pour faire disparaître le doute sur la question de savoir si les contribuables peuvent être contraints par corps.

Il est admis, en général, qu'il n'en est pas ainsi, et c'est ce principe que nous avons voulu inscrire dans la loi.

Quant au second paragraphe de l'article, il est devenu nécessaire, comme l’a dit M. le rapporteur, par la disposition générale contenue dans le paragraphe 2 de l'article 46, et aux termes de laquelle toutes les dispositions antérieures concernant la contrainte par corps contre les débiteurs de l'Etat, sont abrogées.

Si le paragraphe 2 de l'article 8 n'avait pas été inséré dans la loi, les articles 286 et 290 de la loi du 26 août 1822 eussent été abrogés. C'est ce qu'il fallait éviter.

La rédaction de l'honorable M. J. Jouret va beaucoup trop loin et ne rend pas la pensée que nous avons voulu exprimer.

Aujourd'hui ce ne sont plus les contribuables de l'Etat proprement dit qui peuvent être contraints par corps ; c'est ce que ferait supposer l'amendement de M. Jouret. Mais il s'agit de véritables débiteurs de l'Etat, d'individus auxquels l'Etat a fait un crédit ; ce sont ceux-là qui aujourd'hui sont contraignables par corps.

Voilà le motif pour lequel il a fallu rédiger l'article tel qu'il est formulé.

M. de Boe, rapporteur. - Messieurs, pour appuyer ce que vient de dire M. le ministre de la justice, permettez-moi de vous donner lecture d'un passage du rapport de la section centrale. Voici ce passage :

« Les contribuables ne peuvent être contraints par corps au payement des impôts. H est cependant des cas où le contribuable a en quelque sorte disparu, pour faire place à un comptable maniant des fonds que l'Etat, les communes, etc., ont provisoirement laissés dans ses mains. Ainsi, l'administration des douanes accorde des crédits pour le payement des droits sur les marchandises, elle ouvre des comptes courants à certaines personnes. Le trésor pouvait percevoir des droits, alors qu'il avait les marchandises, c'est-à-dire la meilleure garantie possible d'une dette, sous la main. Dans l'intérêt du commerce, du crédit, il s'est dessaisi de son gage, il a consenti à donner un délai de payement ; il est juste qu'il puisse user de la mesure la plus énergique du droit civil, si le débiteur manque à ses engagements. »

(page 52) M. J. Jouret. - Je n'insiste pas sur mon amendement.

- L'article 8 est mis aux voix et adopté.

Article 9

« Art. 9. La disposition de l'article 3 de la présente loi est applicable aux cas de contrainte prévus par les trois articles qui précèdent. »

- Adopté.

Titre IV. De la contrainte par corps contre les étrangers

Article 10

« Art. 10 (projet du gouvernement). Tout jugement qui interviendra, an profit d'un Belge ou d'un étranger domicilié en Belgique, contre un étranger non domicilié dans le royaume, prononcera la contrainte par corps, si la dette s'élève en principal à cent cinquante francs et si le débiteur s'est obligé directement envers une personne ayant son domicile dans ce pays. »

- La section centrale propose de substituer 200 fr. à 150 fr.

M. Lelièvre propose de remplacer le mot s'élève par le mot excède.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je me rallie à ces deux amendements.

M. Vervoort. - Messieurs, le texte de l'article est général, et je me suis demandé si nous pouvons y comprendre les Belges qui perdent leur qualité de Belge et qui ont contracté des dettes antérieurement à la perte de cette qualité. Je crois qu'il serait injuste d'attacher le mode d'exécution dont nous nous occupons à une convention conclue entre deux Belges dont l'un n'a pas entendu en contractant se soumettre à la contrainte par corps, et dont l'autre n'a pas compté sur ce mode d'exécution.

Il faut remonter à l'origine de la dette. Lorsque nous accordons l'emploi de la contrainte par corps contre un étranger, c'est à raison de la qualité qu'il possédait au moment de contracter la dette.

Mais cette voie d'exécution ne peut être le résultat d'un fait qui entraîne la perte de la qualité de Belge.

Voyez les graves inconvénients qui peuvent résulter de la généralité du texte. Lorsqu'une femme belge épouse un étranger, elle suit la condition de son mari, et devient étrangère ; les époux adoptant le régime de la communauté des biens, le mari devient débiteur de toutes les dettes ayant date certaine que la femme a contractées avant le mariage.

Voici ce qui est arrivé à Bruxelles : Un étranger fort connu de beaucoup de membres de la Chambre, épousa sans faire de contrat de mariage une femme belge qui avait garanti par acte authentique des dettes de son premier mari. Après le voyage de noces, le mari et la femme furent assignés en payement d'une de ces dettes qui s'élevait à 20,000 francs et l'on demanda contre eux la contrainte par corps.

Le tribunal a dû s'incliner devant la généralité du texte de la loi, et l'un et l'autre ont dû être condamnés par corps à payer cette somme considérable. Nous devons, pour éviter à l'avenir une pareille anomalie, déclarer que l'article 10 de la nouvelle loi n'est pas applicable aux dettes contractées par un Belge antérieurement à la perte de sa qualité de citoyen, si elles n'entraînaient pas la contrainte par corps.

Si la Chambre trouve que l'exception appliquée à tout Belge qui perd sa nationalité est trop générale, elle devra tout au moins décider que la femme belge qui épouse un étranger n'est pas contraignable par corps pour les dettes contractées avant son mariage lorsqu'elles ne pouvaient être poursuivies que par les voies ordinaires. Il est à remarquer que le mari peut forcer sa femme à s'expatrier, et ce serait faire payer trop cher à celle-ci son mariage avec un étranger que d'y attacher la peine éventuelle d'une incarcération.

M. de Boe, rapporteur. - L'amendement de l'honorable M. Vervoort ne peut pas être admis. Je suppose qu'un Belge ayant contracté des dettes civiles ordinaires, non garanties à leur origine par la contrainte par corps, perde sa qualité, mais conserve son domicile ; alors il jouira du droit commun en vertu de l'article 10 ; comme l'étranger qui a son domicile dans le pays, il ne sera pas contraignable par corps ; si au contraire il a perdu son domicile, il ne reste plus dans le pays, il ne présente donc plus à ses créanciers les mêmes garanties et il est juste que le droit spécial des étrangers non domiciliés tourne contre lui puisque, par son fait, il a fait disparaître les garanties qui résultaient auparavant de sa qualité de Belge jointe ou non à la garantie d'un domicile.

Je dis la même chose d'une femme belge qui épouse un étranger : si cette femme avait, antérieurement à son mariage, contracté des dettes qui n'entraînaient pas la contrainte par corps, comme elle devient étrangère par son mariage, les dettes qu'elle a contractées antérieurement ne seront garanties par la contrainte par corps que si elle quitte le pays et perd son domicile en Belgique ; mais si elle y reste, si elle y conserve son domicile, c'est-à-dire, si elle est en réalité étrangère domiciliée, elle reste sous l'empire du droit commun, elle ne tombe pas sous l'application de l'article 10, en tant que débitrice, elle n'est pas contraignante ; mais sa position change, lorsqu'elle ne conserve pas son domicile. Elle ne présente plus alors les mêmes garanties sous la foi desquelles on a contracté avec elle et la disposition rigoureuse de l'article 10, la contrainte par corps lui devient légitimement applicable.

M. Vervoort. - L'argument que vient de m'opposer l'honorable rapporteur, n'a aucune portée. La seule chose qu'il objecte, c'est que le Belge qui perd sa qualité et s'expatrie, ne présente plus les mêmes garanties à ses créanciers ; mais la même chose arrive quand un Belge s'expatrie sans perdre sa qualité de citoyen ; lorsque, par exemple, il va à l'étranger fonder un établissement avec esprit de retour.

Il offre alors moins de garanties à ses créanciers, surtout s'il s'établit dans un pays où un débiteur est difficilement atteint, et cependant vous ne demanderez pas contre lui la contrainte par corps.

Remarquez-le bien, messieurs, il faut remonter à l'origine de la dette pour légitimer la contrainte par corps ; c'est une mesure grave qu'il ne faut accorder qu'en cas de nécessité indispensable.

Or, l'étranger n'est poursuivi par corps que parce qu'il contracte en qualité d'étranger.

Aussi vous dites dans l'article 10 qu'il faut qu'il se soit obligé directement.

Comment, dès lors, pouvez-vous attacher la contrainte par corps à des dettes contractées avant le mariage et faire dériver du mariage d'une femme belge avec un étranger, des conséquences qui ne doivent s'attacher qu'à la qualité de l'étranger lorsqu'il prend l'engagement ?

Le jugement que j'ai rappelé a révolté beaucoup de monde. Les juges ne l'ont rendu qu'à leur corps défendant, forcés d'appliquer une loi qui ne faisait pas la distinction essentielle que je veux établir ici.

M. Lelièvre. - Il m'est impossible de partager l'opinion de l'honorable M. Vervoort, parce que souvent la qualité de Belge ne se perd que par suite de faits répréhensibles, qui certes ne méritent aucune faveur.

Quant à moi, je pense qu'il faut maintenir le principe de l'article 10, parce que celui qui ayant contracté, en qualité de Belge, devient ensuite étranger, porte atteinte à la position du créancier et diminue les garanties sur lesquelles celui-ci avait droit de compter. Or, la modification qu'a subie la situation du créancier justifie les mesures exceptionnelles comme à l'égard de tout étranger. Et remarquez-le bien, messieurs, c'est le fait du débiteur qui est venu changer l'ordre de choses qui formait la garantie du créancier, c'est ce fait qui a altéré les droits de ce dernier ; dès lors il est de toute justice d'autoriser contre le débiteur une voie d'exécution plus rigoureuse, qui est un supplément de garantie devenu nécessaire par suite d'un fait personnel à celui qui a contracté l'obligation.

Du reste, dans l'espèce qui nous occupe, les motifs qui ont dicté la disposition de l'article 10, militent complétement en faveur de la mesure dont il s'agit.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si nous voulons faire des lois pour chaque cas particulier, pour chaque inconvénient qui nous aura frappés, nous ferons de notre législation un dédale dont personne ne sortira ; l'amendement présenté par l'honorable M. Vervoort et les considérations dont il l'appuie me convainquent de plus en plus de cette vérité.

En effet, il présente son amendement particulièrement dans l’intérêt d'une femme belge, mariée à un étranger. Il voudrait que ni la femme, ni le mari ne fussent soumis à la contrainte par corps pour les dettes contractées par la femme avant le mariage.

C'est cet exemple et les motifs invoqués par l'honorable M. Vervoort, qui me le font repousser d'une manière absolue.

D'où naît la difficulté ? Du régime de la communauté sous lequel les époux se marient. Remarquons d'abord que les époux ont un moyen d'éviter l'inconvénient, c'est de se marier sous le régime de la séparation des dettes, ou si l'on veut aller plus loin, sous le régime de la séparation des biens ; voilà ce qu'ils peuvent faire.

Il y a là, pour le mari, un moyen d'éviter les inconvénients signalés, sans porter atteinte aux principes qui règlent la communauté conjugale. On veut que le mari sous le régime de la communauté ne soit pas contraignable par corps pour les dettes contractées par sa femme avant le mariage ; mais dans la communauté il n'entre pas seulement des dettes ; le régime de la communauté embrasse l'actif des époux, les biens meubles, les créances de la femme, tout son actif, en un mot, tombe dans la communauté.

- Un membre. - Alors il peut payer.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais cet étranger peut s'emparer de l'actif, l'emporter, partir et ne point acquitter les dettes ! C'est là ce qu'il faut éviter, c'est pour éviter cet abus que la contrainte par corps doit être maintenue. Il ne faut pas que le mari puisse venir enlever les créances, l'actif ne pas payer les dettes et s'en aller.

Ainsi, l'amendement proposé ouvrirait la porte aux abus, et deviendrait un danger pour tous ceux qui se trouveraient être créanciers de femmes qui épouseraient des étrangers.

En acceptant le régime de la communauté, il faut l'accepter avec ses inconvénients et ses avantages. L'on ne peut permettre que le mari emporte toutes les créances, s'empare de l'actif, sans donner aux créanciers les moyens de faire payer les dettes.

L'honorable M. Vervoort nous dit d'un autre côté qu'il faut remonter à l'origine de la dette. Sans doute, messieurs, mais pour autant que toutes choses restent les mêmes. Dans ce cas, j'admets que les voies d'exécution accordées aux créanciers soient déterminées par l'origine de la dette. Mais lorsque le débiteur aura changé sa position, où donc serait l'injustice à ce que celle du créancier se trouvât changée ?

(page 53) Vous voulez, d'uu côté, maintenir la position du créancier, ne pas augmenter ses garanties quand, par son fait, le débiteur les aura diminuées, et vous prétendez que ce serait là de la justice ! Non, messieurs, la justice veut que si on remonte à l'origine de la dette, les positions respectives n'aient pas changé ; mais la justice veut aussi que quand le débiteur modifie sa position, la loi vienne au secours de celui à qui ce changement de position peut causer un préjudice. Je demande donc le maintien de l'article 10.

M. Orts. - En demandant la parole, je n'ai eu d'autre intention que de motiver le vote négatif que je me propose d'émettre sur l'amendement de l'honorable M. Vervoort. Après ce que vient de dire M. le ministre de la justice, je me bornerai à une seule considération que voici : Quelle est, messieurs, la raison qui a fait établir la contrainte par corps au profit d'un Belge contre un étranger ? C'est la facilité qu'a l'étranger de se soustraire à ses engagements en Belgique.

Par cela même qu'il est étranger, il est vraisemblable que, dégagé de tous liens envers la Belgique, il a, dans son propre pays, le siège de ses intérêts matériels et moraux. Cette raison existe-t-elle vis-à-vis du Belge qui a perdu sa qualité de Belge ? Evidemment ; car pourquoi a-t-il abdiqué sa qualité de Belge si ce n'est parce qu'il a transporté en pays étranger le siège de ses intérêts moraux et matériels ; et, par cela même, il a fait bon marché de sa qualité originaire.

Il me semble donc juste d'accorder des garanties au créancier d'un individu qui se trouve dans de pareilles conditions, attendu qu'il est douteux que cet individu se fasse scrupule de passer la frontière pour se soustraire à ses engagements.

L'étranger, au contraire, qui est établi en Belgique ne doit pas donner lieu aux mêmes précautions que le Belge qui a perdu sa qualité, par la raison que les intérêts du premier l'attachent au pays dont il a fait le siège de ses affaires. Quant à la femme belge ayant épousé un étranger, l'obligation où elle est de suivre son mari pourrait être pour elle une occasion de se soustraire aux engagements contractés avant son mariage. Je crois donc que l'amendement de l'honorable M. Vervoort irait directement à rencontre de l'idée mère de la disposition que nous examinons en ce moment.

L'honorable M. Vervoort se trompe aussi en disant que, dans l'article 10 la contrainte est indiquée comme garantie à raison de l'origine de la dette et de la qualité originaire du créancier et du débiteur ; cela n'est pas parfaitement exact.

C'est du jugement non de l'obligation, qu'il s'agit dans l'article 10, la contrainte par corps est accordée ; d'après cet article, en vertu de tout jugement qui intervient au profit d'un Belge ou d'un étranger domicilié en Belgique contre un étranger non domicilié dans le royaume.

Sans doute il est dit, à la partie finale de cet article, qu'il faut pour que cette disposition soit applicable que le débiteur se soit obligé directement envers une personne ayant son domicile en Belgique. Mais pourquoi a-t-on introduit cette disposition ? Nullement pour déroger au principe que la contrainte dérive du jugement et non de l'obligation même, mais pour éviter les fraudes qui pourraient se commettre au moyen de cessions fictives, simulées, ayant lieu pour faire accorder la contrainte au profit d'un Belge qui ne serait qu'une espèce d'intermédiaire de personne interposée, représentant un intérêt étranger et venant réclamer un bénéfice qui n'appartient pas à l'étranger.

M. Vervoort. - Je veux éviter, messieurs, qu'on n'attache un effet rétroactif à la position nouvelle que crée le mariage d'une femme belge avec un étranger.

Or, c'est là ce qui résulterait de la disposition que nous discutons. Il y a une position acquise entre le créancier et le débiteur au moment où la dette est contractée.

Le créancier n'a pas compte alors sur la contrainte par corps.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il a compté sur votre qualité de Belge.

M. Vervoort. - Soit ! mais il n'a pas compté sur ce moyen d'exécution et cependant vous mettez ce moyen coercitif à sa disposition, en donnant un effet rétroactif à la position nouvelle qui existe entre le créancier et son débiteur.

M. le ministre nous dit, messieurs, que les situations sont changées. Sans doute ; mais elles peuvent se modifier sans qu'il y ait changement de nationalité. Ainsi, le mobilier peut disparaître ; la femme peut enlever son avoir sans épouser un étranger. La fraude est possible dans l'un et l'autre cas. Nous n'avons pas à nous en occuper ; il faut examiner s'il est possible d'attacher rétroactivement à certaines créances un mode d'exécution résultant d'un fait parfaitement légitime et nouveau.

M. le ministre de la justice a fait remarquer que c'était surtout en vue des femmes belges, contractant mariage avec des étrangers que je présentais mon amendement ; c'est exact aussi.

Je demande que tout au moins la disposition de l'article 10 ne soit pas applicable aux dettes contractées par une femme belge antérieurement à son mariage avec un étranger, lorsque du chef de ces dettes elle n'était pas contraignable par corps.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est encore plus dangereux.

M. Orts. - Pour rester conséquent avec nous-même le système de l'honorable M. Vervoort nous forcerait, s'il était admis, d'ajouter à son amendement la disposition que je vais indiquer. Il ne veut pas que quand originairement un Belge a contracté une dette envers un autre Belge, la contrainte par corps puisse être exercée quelque modification que reçoive la personnalité du débiteur originaire. Or, voici une des conséquences naturelles de ce système : un Belge a contracté envers moi une dette ; il meurt laissant trois héritiers français ; je ne pourrais donc pas exercer la contrainte à l'égard de ces héritiers parce qu'à l'origine ma créance n'était pas garantie par la contrainte.

L'honorable M. Vervoort accorderait-il la contrainte dans cet autre cas ? Un étranger est devenu débiteur d'un Belge ; ce Belge, en vertu de son contrat, peut recourir à la contrainte ; mais cet étranger se fait naturaliser ; il ne tombe pas dans l'exception de la loi ; elle ne parle que de l'étranger autorisé à établir son domicile en Belgique.

L'honorable M. Vervoort voudrait-il, comme conséquence de son système, que cet étranger fût soumis à l'exercice de la contrainte ? Evidemment il ne peut pas admettre cela. Ce serait traiter moins bien l'étranger naturalisé que l'étranger autorisé à établir son domicile en Belgique, et pourtant voilà la conséquence nécessaire et logique de son système.

J'ai de très grandes sympathies pour les femmes belges qui épousent des étrangers.

Je suis tout prêt à faire envers elles acte de bon procédé, acte de galanterie même. Mais j'avoue qu'une femme belge qui épouse un étranger, précisément parce que cet étranger peut la contraindre à le suivre au-delà de la frontière à la première réquisition, offre beaucoup moins de garanties que la femme belge résidant en Belgique.

L'honorable M. Vervoort ajoute : Voyez quelle rigueur ! On pourra ainsi atteindre la femme belge qui a épousé un étranger, alors même que son veuvage aura fait cesser sa dépendance. La conséquence n'est pas juridique. Mais je ferai remarquer à l'honorable M. Vervoort que lorsqu'une femme qui a épousé un étranger devient veuve, elle peut immédiatement reprendre sa qualité de Belge. Elle n'a pour cela qu'une chose à faire, une chose fort simple : venir reprendre son domicile en Belgique, et elle échappera ainsi à toutes les conséquences que l'on craint.

M. Lelièvre. - L'honorable M. Vervoort pense, que dans notre système, on donne à la loi un effet rétroactif ; mais qu'il veuille bien remarquer qu'il ne s'agit ici que d'un mode d'exécution qui n'altère en rien la substance de l'obligation primitive. Or, en pareil cas, c'est la loi en vigueur lors de l'exercice du droit qui doit être observée. Le mode d'exécution d'une obligation n'a rien de commun avec le droit lui-même ; il peut différer de celui en vigueur lorsque l'obligation a été contractée. Mais dans l'occurrence il existe des motifs plausibles justifiant des moyens de coaction plus rigoureux parce que c'est le fait du débiteur qui a changé l'état de choses existant lors de l'obligation ; le débiteur ne peut donc se plaindre que le mode d'exécution soit devenu plus rigoureux. Cette mesure n'est que la conséquence de la diminution des garanties, diminution qui est étrangère au créancier et que le débiteur doit s'imputer.

M. de Boe, rapporteur. - L'amendement de l'honorable M. Vervoort, pour être adopté, devrait être complété ; il devrait s'appliquer à l'étranger domicilié en Belgique. Il n'y a pas lieu, en vertu de l'article 10, à la contrainte par corps pour recouvrement des dettes ordinaires de l'étranger domicilié en Belgique.

Si cet étranger vient à perdre son domicile en Belgique, il se trouvera identiquement, au point de vue de ses dettes antérieures, dans le même cas que le Belge qui a perdu la qualité de Belge et son domicile en Belgique.

Il faudrait donc aussi ouvrir le bénéfice de l'amendement à cet individu. M. Vervoort veut-il aller aussi loin ?

La question qui domine tout l'article 10 est une question de garantie que la loi trouve dans la qualité de Belge ou d'étranger domicilié en Belgique. Dès que cette garantie existe ou vient à exister, il n'y a plus lieu à la rigueur de l'article. Par contre dès qu'elle n'existe plus, cette rigueur prend naissance. Ainsi un étranger non domicilié a contracté des dettes garanties par la contrainte par corps ; postérieurement il devient Belge ou acquiert son domicile en Belgique, il n'y aura plus lieu à contrainte par corps pour le recouvrement de ces dettes, auparavant garanties par cette mesure. Le Belge qui perd cette qualité et qui cesse d'être domicilié, condition importante qu'il faut ne pas perdre de vue, de même que l'étranger qui cesse d'être domicilié, ne présente plus ces garanties, et les dispositions rigoureuses de l'article sont applicables.

- La discussion est close.

L'amendement de M. Vervoort est mis aux voix ; il n'est pas adopté. L'article 10 est adopté.

Article 11

« Art. 11. Avant le jugement de condamnation, le président du tribunal de première instance, dans l'arrondissement duquel se trouvera l'étranger non domicilié, pourra, s'il y a des motifs suffisants, ordonner son arrestation provisoire moyennant ou sans caution, sur la requête du créancier domicilié en Belgique, pourvu que la dette soit échue et exigible.

« L'ordonnance énoncera la cause et le montant de la dette à raison de laquelle l'arrestation provisoire est autorisée, et portera que le débiteur sera conduit en référé. »

M. J. Jouret. - Je propose de faire disparaître de cet article les mots : moyennant ou sous caution. Comment en effet dans une matière où, pour être efficace, l'ordre d'arrestation doit rester seul, débattra-t-on la caution ? Ce ne peut être évidemment avant la délivrance de (page 54) l'ordre d'arrestation. Le secret ne serait pas gardé et l'on n'arriverait pas au but que l'on se propose.

Discutera-t-on la solvabilité de la caution après l'arrestation consommée ? Mais je demanderai alors où sera la garantie ? Elle disparaîtra complétement.

Il serait préférable, selon moi, de dire dans un paragraphe nouveau, comme je propose de le faire : « Elle peut (l'ordonnance) imposer au créancier l'obligation de consigner un cautionnement. «

J'emprunte cette mesure à l'article 8 de la loi du 24 mai sur les brevets d'invention.

Cet article est conçu en ces termes : « Le président pourra imposer au breveté l'obligation de consigner un cautionnement. Dans ce cas, l'ordonnance du président ne sera délivrée que sur la preuve de la consignation faite. »

Mais ici il est bien évident que nous ne pouvons pas dire que l'ordonnance du président ne sera délivrée que sur la preuve de la consignation faite, parce que le cas requerra presque toujours célérité et qu'il se pourrait que l'étranger levât le pied avant l'accomplissement de la formalité.

Pour donner à l'étranger toute garantie, je propose d'ajouter à l'article un paragraphe nouveau ainsi conçu : « Si le créancier reste en défaut de consigner le cautionnement, l'ordonnance d'arrestation est réputée non avenue. »

Veuillez remarquer, messieurs, que consigner un cautionnement est une mesure plus simple et beaucoup moins dispendieuse que de faire admettre une caution. A ce titre encore, je crois que la mesure que j'indique est infiniment préférable.

L'article serait donc rédigé de la manière suivante :

Le paragraphe premier tel qu'il est au projet.

Ensuite :

« L'ordonnance énoncera la cause et le montant de la dette, à raison de laquelle l'arrestation provisoire est autorisée et portera que le débiteur sera conduit en référé. Elle peut imposer au débiteur l'obligation de consigner un cautionnement.

« Si le créancier reste en défaut de consigner le cautionnement, l'ordonnance d'arrestation est réputée non avenue. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne pense pas que l'article, tel qu'il est rédigé, présente le moindre inconvénient.

D'après cet article, le président a toute liberté pour apprécier s'il y a lieu ou s'il n'y a pas lieu d'exiger caution et quelle est la nature de la caution qui doit être fournie. Si une personne très solvable se présente et requiert l'arrestation d'un débiteur, le président ne lui demandera pas caution. Si au contraire il a des doutes sur la solvabilité de cette personne, ou s'il a des doutes sur la légitimité de la créance, il ordonnera qu'il soit fourni une caution et déterminera la nature du cautionnement à fournir.

Le président a toute latitude sous ce rapport, et je crois que nous ferions naître précisément les inconvénients que redoute l'honorable M. Jouret, si nous posions des règles absolues dont le président ne pourrait se départir.

Le secret que veut l'honorable M. Jouret et qui doit être maintenu, lorsqu'il s'agit d'une arrestation que les moindres retards peuvent empêcher d'opérer, ce secret serait évidemment trahi, s'il fallait aller verser une somme dans la caisse des consignations, apporter la quittance, etc.

Je crois qu'il faut laisser dans ce cas, précisément en raison de la célérité que la chose exige, toute latitude au président. Quand la personne qui requerra l'arrestation d'un débiteur sera solvable, il ne demandera pas caution ; à l'homme porteur d'une créance qui ne souffre aucune discussion, il ne demandera pas non plus caution ; mais la caution sera exigée, lorsque l'individu ne présentera pas les garanties nécessaires ou lorsqu'il y aura des doutes sur la nature de la créance dont il poursuit la rentrée.

Je crois, messieurs, que cet article ne présente aucun inconvénient et qu'il faut le maintenir tel qu'il est.

- L'amendement de M. Jouret est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article est adopté tel qu'il a été proposé par la section centrale.

Article 12

« Art. 12. L'étranger ne sera considéré comme domicilié en Belgique que lorsqu'il aura été admis par autorisation du Roi à y établir son domicile, qu'il y résidera réellement. »

- Adopté.

Article 13

« Art. 13. L'arrestation provisoire n'aura pas lieu ou cessera si le débiteur justifie qu'il possède sur le territoire belge un établissaient de commerce ou des immeubles, le tout d'une valeur suffisante pour assurer le payement de la dette, ou s'il présente pour caution une personne domiciliée en Belgique et reconnue solvable. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le gouvernement s'est rallié à la substitution, proposée par la section centrale, des mots : « Caution suffisante », à ceux-ci : « pour caution une personne domiciliée en Belgique et reconnue solvable. » Nous voulons laisser à l'autorité judiciaire le soin d'apprécier si la caution est suffisante.

M. Lelièvre. - Je crois devoir proposer d'ajouter la disposition suivante à l'article, tel qu'il est formulé par la section centrale :

« La personne présentée pour caution doit avoir son domicile en Belgique. »

Cette addition est nécessaire parce que si l'on offre une caution personnelle, l'on soutiendrait avec fondement que la caution doit réunir les qualités voulues par les lois générales, notamment par le Code civil. Or, ce Code exige que la caution personnelle ait sa résidence dans le ressort de la cour d'appel ; aussi M. Troplong, commentant la loi française de 1832, fait remarquer que c'est avec fondement que cette disposition législative a énoncé une prescription semblable à celle formulée à l'article 13 par le gouvernement, parce que sans elle on aurait dû se conformer au Code civil en ce qui concerne les cautions personnelles.

L'addition que je propose a donc une véritable utilité, elle donne au débiteur une plus grande facilité de se procurer une caution personnelle et, sous ce rapport, comme le dit M. Troplong, la disposition est plus favorable à la liberté. La Chambre l'accueillera, sans aucun doute.

M. de Boe, rapporteur. - Messieurs, en proposant la modification dont vient de parler M. le ministre de la justice, nous avons eu pour but soit d'autoriser l'étranger à consigner la somme, soit d'autoriser, par exemple, un tiers à donner hypothèque ou un gage quelconque. Nous voulons donner au juge toute latitude possible pour l'appréciation de la valeur de la caution. Ainsi peu importe que la personne présentée comme caution ne soit pas domiciliée dans le ressort de la Cour d'appel, si le juge reconnaît qu'elle offre des garanties suffisantes.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'amendement de M. Lelièvre n'exclut pas ces garanties ; seulement, s'il s'agit d'une caution personnelle, la personne présentée comme caution doit être domiciliée en Belgique.

M. Lelièvre. - Remarquez que la disposition que je propose laisse intacte tout ce qui ne concerne pas les cautions personnelles. Sous ce rapport je n'entends nullement déroger au système de la section centrale ; mais s'il s'agit d'une caution personnelle, je demande que le projet énonce qu'il suffira que la caution ait son domicile en Belgique, afin qu'on ne puisse pas renvoyer le débiteur aux dispositions du Code civil.

M. de Boe, rapporteur. - Alors il faudrait dire : « Si la caution est personnelle, la personne présentée comme caution doit avoir son domicile en Belgique. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On est assez d'accord sur le fond, on n'exclut aucun des moyens que la section centrale admet pour empêcher l'arrestation provisoire, mais on veut que, si c'est une caution personnelle, la personne offerte comme caution soit domiciliée en Belgique.

M. le président. - On pourrait dire :

« Si la caution est personnelle, la personne présentée comme telle doit avoir son domicile en Belgique. »

- Cette rédaction est adoptée.

L'article ainsi modifié est adopté.

Article 14

« Art. 14. L'ordonnance du président n'est pas sujette à l'appel, mais le débiteur pourra demander, par action principale, soit sa mise en liberté, soit la restitution de la caution qu'il a fournie. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, la section centrale, par suite d'une modification introduite à l'article 13, a fait in changement à l'article 14. Après le mot restitution elle ajoute : ou la décharge. Le gouvernement est d'accord avec la section centrale pour admettre cette rédaction.

- L'article, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

Article 15

« Art. 15. L'ordonnance sera réputée non avenue si elle n'est pas exécutée dans le mois de sa date. »

- Adopté.

Article 16

« Art. 16. L'effet de l'ordonnance cessera aussi faute par le créancier de se pourvoir en condamnation dans la huitaine de l'arrestation devant le tribunal du lieu de l'exécution ou devant tout autre tribunal compétent, Dans ce cas, la mise en liberté sera prononcée par ordonnance de référé sur une assignation donnée au créancier par l'huissier commis dans l'ordonnance d'arrestation, ou, à défaut de cet huissier, par tel autre qui sera commis par le président. »

M. Vervoort. - Je pense, messieurs, que nous pourrions réduire à trois jours le délai accordé au créancier. Il doit être en possession des titres qu'il fait valoir contre son débiteur, puisqu'il a dû s'en servir pour obtenir l'ordonnance.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je crois, messieurs, que le délai de huitaine n'est pas trop long. Il est des circonstances où il est impossible de se pourvoir dans les trois jours, plusieurs jours fériés peuvent se succéder, une indisposition peut survenir, d'autres circonstances peuvent se présenter, un délai de trois jours peut donc, dans bien des cas, être insuffisant.

M. Vervoort. - M. le ministre de la justice se place à un point de vue différent du mien. M. le ministre consulte les convenances éventuelles du créancier, et je consulte la position positive du malheureux prisonnier qui, certainement, a droit à des ménagements.

-L'amendement de M. Vervoort est mis aux veux et n'est pas adopté.

L'article 16 est adopté.

Titre V. Dispositions communes aux titres précédents

Article 17

(page 55) « Art. 17. Toutes stipulations de contrainte par corps, quelle qu'en soit la cause, seront nulles et de nulle valeur. La section centrale propose de rédiger l'article 17 comme suit :

« Art. 17. Toute stipulation de contrainte par corps est nulle. »

M. J. Jouret. - Messieurs, dans l'article 17 du projet, les mots « de nulle valeur » font redondance avec le mot « nulles ». Je propose de rédiger l'amendement de la manière suivante : « Toute stipulation ayant pour objet d'accorder la contrainte par corps est nulle. »

- L'amendement de M. Jouret est mis aux voix, et n'est pas adopté.

L'article de la section centrale auquel M. le ministre de la justice se rallie, est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 18

« Art. 18. Seront également nulles les condamnations par corps prononcées hors les cas déterminés par la loi. »

M. Ch. Lebeau propose de substituer à cet article la rédaction suivante :

« Art. 18. Les tribunaux ne peuvent prononcer des condamnations par corps hors les cas déterminés par la loi. »

M. Ch. Lebeau. - Messieurs, la rédaction du projet du gouvernement me paraît vicieuse et contraire aux lois de la procédure. Il est évident que les condamnations par corps prononcées hors les cas prévus par la loi sont nulles, mais qu'arriverait-il, si, par exemple, la condamnation était prononcée par un arrêt après un débat contradictoire ? Là, la condamnation par corps serait également nulle.

Mais si l'arrêt est signifié, si le délai pour le recours en cassation est expiré, pourra-t-on encore provoquer la nullité de la condamnation ? Evidemment non ; or d'après l'article du projet, tel qu'il est conçu, on pourrait toujours remettre en question la validité d'une condamnation.

Je pense qu'il est préférable d'adopter la rédaction que j'ai eu l'honneur de proposer. Si le tribunal prononce une condamnation hors les cas prévus par la loi, le débiteur se pourvoira en appel, et si la condamnation est prononcée en appel, il aura le droit de se pourvoir en cassation. Mais dès l'instant que l'arrêt est signifié et que le délai pour le recours en cassation est expiré, l'arrêt deviendra définitif, et la condamnation ne pourra plus être attaquée.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'article tel qu'il est proposé par le gouvernement, n'a d'autre but que de rendre l'idée que l'honorable M. Ch. Lebeau vient d'exprimer. Au reste, je ne m'oppose pas au renvoi de la nouvelle rédaction à la section centrale qui examinera si cette rédaction est meilleure que celle du projet.

Je le répète, les deux rédactions sont au fond les mêmes. Il est évident que quand une cour aura définitivement jugé, on ne pourra plus dire que la condamnation est prononcée hors les cas déterminés par la loi, parce qu'il y aura un arrêt, passé en force de chose jugée, qui déclarera que la contrainte par corps a été prononcée dans les cas déterminés par la loi.

La rédaction du gouvernement pourrait donc être maintenue sans inconvénient.

Je ne m'oppose pas cependant au renvoi do l'amendement de M. Ch. Lebeau à la section centrale.

M. Orts. - M. le ministre de la justice est d'accord avec l'honorable M. Ch. Lebeau sur l'interprétation de l'article ; à mon avis, la rédaction du projet du gouvernement peut faire naître le doute que soulèvent ces honorables membres, et comme la rédaction nouvelle exclurait ce doute, je la considère comme une amélioration dans la loi.

Je propose, en conséquence, à la Chambre d'admettre provisoirement l'amendement de l'honorable M. Ch. Lebeau ; d'ici au second vote nous examinerons si la rédaction est complétement irréprochable.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Soit !

- L'amendement de M. Ch. Lebeau, qui remplace l'article 18 du projet, est mis aux voix et provisoirement adopté.

Articles 19 et 20

« Art. 19. La contrainte par corps ne pourra jamais être appliquée qu'en vertu d'un jugement qui l'aura prononcée d'une manière formelle.

« Elle pourra être prononcée par jugement arbitral. »


« Art. 20. Lorsque la loi autorise la contrainte par corps pour l'exécution d'une obligation de faire ou de délivrer au créancier un corps certain, elle sera exercée jusqu'à concurrence de la somme que le contraignable aura été condamné à payer, soit une fois, soit pour chaque jour de retard. »

M. J. Lebeau. - Cette rédaction me paraît devoir être changée ; ces expressions : « faire un corps certain » devraient, ce me semble, disparaître.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il y a de faire ou de délivrer un corps certain, on ne peut pas se servir d'autre expression.

M. J. Lebeau. - En rapprochant le régime du verbe faire, il y a dans cette rédaction quelque chose d'un peu drolatique.

M. Coomans. - C'est du style judiciaire.

M. J. Lebeau. - Je n'insiste pas.

- L'article 20 est mis aux voix et adopté.

Article 21

« Art. 21. En prononçant la contrainte par corps, les juges pourront, lorsque cette voie d'exécution est facultative, ordonner, même d'office, qu'il sera sursis à l'exécution de cette partie du jugement.

« Le jugement énoncera les motifs du sursis et en fixera la durée. »

Paragraphe 3, proposé par la section centrale, d'accord avec le gouvernement :

« Le débiteur étranger qui offrira l'une des garanties mentionnées à l'article 13, pourra obtenir cette faveur dans le cas où un Belge serait appelé à en jouir.

« Le sursis sera regardé comme non avenu s'il existe déjà une autre condamnation exécutoire par corps ou si une nouvelle condamnation par corps est prononcée contre le même débiteur au profit d'un autre créancier »

- Cet article, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.

Articles 22 et 23

« Art. 22. Tous jugements statuant sur la contrainte par corps seront rendus en premier ressort quant à la disposition relative à ce mode d'exécution.

« L'appel sera toujours suspensif en ce qui concerne la contrainte par corps, à moins que le jugement n'ait ordonné l'exécution provisoire.

« Le débiteur pourra même appeler dans les trois jours de son incarcération ; il restera en l’état. »

- Adopté.


Art. 2î. L'acquiescement du débiteur au jugement attaquable par la voie de l'appel ou de l'opposition sera sans effet quant à la contrainte par corps. »

- Adopté.

Article 24

« Art. 24. La contrainte par corps ne pourra avoir lieu : 1° entre époux (même séparés de corps ou divorcés) ; 2° entre ascendants et descendants, frètes et sœurs, oncles, tantes, grands-oncles, grand'tantes et neveux, nièces, petits-neveux et petites-nièces (unis par les liens de la parenté légitime, naturelle ou adoptive), ni enfin entre alliés au même degré. En cas d'alliance postérieure au jugement, le débiteur ne pourra être arrêté ; s'il est détenu, il obtiendra son élargissement.

M. Lelièvre. - Je dois persister dans l'observation que j'ai émise lors de la discussion générale.

La loi civile ne reconnaît pas les liens de l'adoption aux degrés énoncés à l'article. L'adopté, sauf ses rapports avec l'adoptant, demeure dans la famille. Il n'existe pas également de lien naturel reconnu par notre législation, si ce n'est entre l'enfant naturel et ses ascendants.

La rédaction de l'article est donc vicieuse ; elle doit, à mon avis, subir un changement complet.

M. de Boe, rapporteur. - S'il n'y a pas de parenté, l'article ne s'appliquera pas ; il s'appliquera au père adoptif et au fils adoptif, au père naturel et au fils naturel ; là où il n'y a pas de lien civil, l'article ne trouvera pas d'application.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On pourra revoir la rédaction ; on est d'accord sur le fond.

- L'article 24 est mis aux voix et adopté.

Articles 25 et 26

« Art. 25. La contrainte par corps ne pourra être prononcée : 1° contre les femmes et les filles si ce n'est pour des faits de leur commerce, lorsqu'elles sont légalement réputées marchandes publiques (articles 4 et 5 du Code de commerce), pour stellionat et lorsqu'elles sont condamnées en vertu des dispositions du titre IV de la présente loi.

« La contrainte par corps pour cause de stellionat pendant le mariage n'a lieu contre les femmes mariées que lorsqu'elles sont séparées de biens ou lorsqu'elles ont des biens dont elles se sont réservé la libre administration et à raison des engagements qui concernent ces biens. Les femmes qui, étant en communauté, se seraient obligées conjointement ou solidairement avec leur marine pourront être réputées stellionataires à raison de ces contrats ;

« 2° Contre les mineurs, si ce n'est pour dettes commerciales lorsqu'ils sont marchands et légalement réputés majeurs pour fait de leur commerce (aricle. 2 du Code de commerce) ;

« 3° Contre les débiteurs qui auront atteint leur soixante et dixième année.

« 4° Contre les héritiers du débiteur contraignable par corps. »

- Adopté.


« Art. 26. Elle cessera de plein droit le jour où le débiteur aura atteint sa soixante et dixième année. »

- Adopté.

Article 27

« Art. 27. Dans aucun cas, la contrainte par corps ne pourra être exercée : 1° contre le mari et la femme simultanément ; 2° contre le veuf ou la veuve ayant des enfants mineurs aux besoins desquels ils pourvoient. »

M. Ch. Lebeau propose de dire : « 2° Contre le veuf ou la veuve ayant un ou plusieurs enfants mineurs aux besoins desquels ils pourvoient par leur travail. »

M. Ch. Lebeau. - Cet article a une certaine importance ; la section centrale et le gouvernement y consacrent deux exceptions à la règle générale, en ce que la contrainte ne pourra pas être exercée : 1° contre le mari et la femme simultanément ; 2° contre le veuf ou la veuve ayant des (page 56) enfants mineurs aux besoins desquels ils pourvoient. Je pense qu'il convient de dire : « Ayant un ou plusieurs enfants mineurs aux besoins desquels ils pourvoient par leur travail. »

Je propose d'abord de dire : « ayant un ou plusieurs enfants mineurs » au lieu de : « ayant des enfants mineurs », quoique dans le langage juridique l’expression « ayant des enfants mineurs » s'applique également au cas où il n'y a qu'un enfant ; mais je veux prévenir ainsi tout doute sur la portée de la disposition.

En second lieu, je propose d’ajouter après les mots : « aux besoins desquels ils pourvoient » ceux-ci : « par leur travail. » C'est une considération d'humanité qui a porté la section centrale à proposer cette exception à la règle générale.

Je crois qu'il ne faut pas étendre cette exception au-delà de ses véritables limites ; car elle pourrait donner lieu à des abus. Aujourd'hui surtout qu'il est extrêmement facile de mobiliser une fortune et de la mettre en portefeuille.

Supposons que l'article proposé par la section centrale soit adopté, voici ce qui pourra arriver : un stellionataire qui aura, par son stellionat, se sera approprié 100,000 ou 200,000 francs, mettra sa fortune en portefeuille et s'il est veuf avec un ou plusieurs enfants mineurs qui n'ont pas de fortune personnelle et aux besoins desquels par conséquent il doit pourvoir, il échappera à l'exercice de la contrainte par corps. Telle ne peut être cependant l'intention du gouvernement ni de la section centrale.

Ce que je propose est, d'ailleurs, conforme à un principe consacré en matière de milice.

Ainsi, l'enfant d'une veuve, qui pourvoit par le travail de ses mains à la subsistance de sa mère, est exempté pour un an ; mais s'il y pourvoit autrement il ne jouit pas de cette exemption. Il me semble donc tout aussi rationnel de dire que l'exercice de la contrainte par corps n'aura pas lieu dans le cas où un veuf ou une veuve, pourvoit par son travail à la subsistance de ses enfants.

- L'amendement est appuyé.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'avais conservé des doutes sur la portée de la disposition proposée par la section centrale et je m'étais réservé d'y revenir au second vote. Par suite des observations que vient de présenter l'honorable M. Lebeau, il serait utile, je pense, de renvoyer cet article à la section centrale.

En France, dans le cas prévu par cet article, les tribunaux sont autorisés à accorder un sursis d'une année. Nous aurons à examiner si une disposition dans ce genre ne devrait pas être adoptée pour tempérer la trop grande extension donnée à la dispense de la contrainte.

Je demande donc le renvoi de cette disposition à la section centrale qui pourrait faire son rapport demain.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi révisant le code pénal (livre IV, titre II)

Rapport de la commission

M. Moncheur. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission spéciale qui a examiné le titre II du livre IV du Code pénal.

- Ce rapport sera imprimé et distribué, ce projet de loi figurera à la suite de l'ordre du jour.

La séance est levée à 4 1/2 heures.