(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)
(page 1281) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. Crombez fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
- La séance est ouverte.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance du 13 juillet dernier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Français Jules Mahant, né à Paris, demeurant à Mons, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le conseil provincial d'Anvers prie la Chambre : 1° de rejeter les plans du gouvernement relatifs aux fortifications d'Anvers et tous ceux qui auront pour conséquence de grever de servitudes militaires des terrains qui n'y sont pas aujourd'hui assujettis ; 2° de dégrever les terrains des servitudes qui les ont frappés à la suite de la construction des nouveaux forts depuis 1850. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.
« Le conseil provincial d'Anvers prie la Chambre de décréter la construction du canal de Turnhout à Anvers par Sint-Job in t Goor et d'occorder au gouvernement le crédit nécessaire à ces travaux. »
- Même décision.
« Les membres du conseil communal de Ghislenghien, Gibecq, Hellebecq et Meslin-l’Evêque demandent la construction d’un chemin de fer direct de Lille à Bruxelles par Tournai, Leuze, Ath, Enghien et Hal. »
- Même décision.
« Les sieurs Dekeyser, ouvriers, réclament l'intervention de la Chambre pour que la succession de l'enfant naturel de leur sœur leur soit dévolue. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vandur demande que le milicien Moers, de la commune d'Ophoven, qui a été réformé, soit soumis à une nouvelle visite. »
- Même renvoi.
« Le sieur Défosses, ancien militaire pensionné, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« La veuve du général Lecharlier demande une pension. »
- Même renvoi.
« Les receveurs communaux de Heyst-op-den-Berg, Boischot et Itegem demandent une loi qui règle les traitements des receveurs communaux, proportionnellement à l'importance de leurs recettes et qui établisse une caisse de retraite en leur faveur. »
- Même renvoi.
« Le sieur Halleur, ancien postillon, demande une pension. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Bastogne réclament l'intervention de la Chambre, pour que la société du Grand-Luxembourg exécute les travaux de l’embranchement du chemin de fer sur Bastogne. »
M. d'Hoffschmidt. - Je proposerai le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport. Comme elle se rattache au projet de loi que nous allons discuter, il serait désirable que te rapport lui présenté vendredi prochain.
- La proposition de M. d Hoffschmidt est adoptée.
Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Perdaens, cultivateur à Hekelgem, demanda que son fils Jean, soldat au 3ème de ligne, puisse obtenir un congé pour la durée des travaux de la moisson. »
« Mêmes demandes en faveur des sieurs J.-B. Ylias, soldat au régiment des grenadiers ; Charles Vandergheylen, Pierre de Ruysschar, aux carabiniers ; Félix Dessy, au 2ème d'artillerie ; Servais Dieudonné, au 4ème d'artillerie ; Jean Kellner, aux grenadiers ; Félix Merenne, au 2ème chasseurs à pied ; François de Hon. au 2ème lanciers ; Pierre Henri au 2ème chasseurs à cheval ; Charles Gérard, au 9ème de ligne. »
- Même renvoi.
« Le sieur Constant, ancien officier volontaire, demande s'il a droit aux dix années de service accordées par la loi du 27 mai 1856. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal d'Anlier se plaint de ce que l'administration veut soumettre au régime forestier des biens de cette commune qui ont toujours été envisagés comme pâtures sarts. »
- Même renvoi.
« Le sieur Thinnès ancien maréchal des logis au régiment des cuirassiers, prie la Chambre de lui faire obtenir un emploi de garde-convoi au chemin de fer de l'État. »
- Même renvoi.
« Des négociants à Gand demandent la révision des lois sur le courtage et prient la Chambre, si elle ne peut s'en occuper avant la clôture de la session, d'inviter le gouvernement à appliquer à la ville de Gand la mesure transitoire qui a été prise, entre autres, pour Anvers et pour Bruxelles. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Roulers demandent que le projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d’utilité publique comprenne l'élargissement et l'approfondissement de la Mandel. »
M. H. Dumortier. - Messieurs, je voulais demander le renvoi de cette requête à la section centrale du projet de loi concernant les travaux d'utilité publique, mais comme elle a terminé ses travaux, je proposerai le dépôt sur le bureau pendant la discussion de ce projet de loi.
- Adopté.
« Les membres du conseil communal d'Ans et Glain demandent la construction d'un chemin de fer de Tongres à Ans. »
- Même décision.
« Le sieur François Melori, propriétaire à Laeken, né à Foligno (Etats Romains), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministère de la justice.
«Le sieur François Gérard-Broerman, fabricant à Bruxelles, né dans cette ville, demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Même renvoi.
« Le sieur Maurice Levy, commis négociant à Bruxelles, né à Riga (Russie), demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
« Des propriétaires et habitants de Morlsel prient la Chambre de rejeter la proportion du gouvernement relative aux fortifications d'Anvers. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.
« Des détenus pour dettes à Bruxelles prient la Chambre de discuter le projet de loi sur la contrainte par corps, avant la clôture de la session. »
- Même dérision.
« Des bateliers de la Meuse naviguant entre Liège et la province et duché de Limbourg, demandent qu'une partie des sommes destinées aux travaux d'utilité publique soit affectée à l'amélioration du lit de la Meuse inférieure. »
M. Lesoinne. - Je proposerai le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Les sieurs Vanden Haut, Spey et autres membres de la confrérie des artisans d’Anvers, prient la Chambre d'adopter les conclusions de la section centrale sur le projet relatif aux fortifications de cette ville. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.
« Les sieurs Cogels-Osy et Nauts, président et secrétaire de la cinquième section et des faubourgs d’Anvers, transmettent à la Chambre copie de leur requête au Roi et présentent des observations contre le projet du gouvernement relatif aux fortifications d'Anvers. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l’exécution de divers travaux d'utilité publique.
« Des propriétaires et habitants de Deurne-lez-Anvers demandent le rejet des propositions qui auraient pour but d’établir de nouvelles fortifications à Anvers. »
« Même demande du conseil communal de Deurne. »
- Même décision.
« La chambre de commerce de Namur adresse à la Chambre quelques exemplaires de son rapport général sur la situation du commerce et de l'industrie de la province en 1857. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. le gouverneur du Hainaut adresse à la Chambre 109 exemplaires du rapport annuel de la députation permanente sur la situation administrative de la province de Hainaut pendant l'année 1857. »
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.
Il est fait hommage à la Chambre par M. Eug. Beaujean, de son ouvrage intitulé : Revue politique et administrative de Liège en 1858. »
- Dépôt à la bibliothèque.
(page 1282) Les sections de juillet se sont constituées comme suit :
Première section
Président : M. Jouret
Vice-président : M. Orban
Secrétaire : M. de Boe
Rapporteur de pétitions : M. H. Dumortier
Deuxième section
Président : M. d’Hoffschmidt
Vice-président : M. Vermeire
Secrétaire : M. Dechentinnes
Rapporteur de pétitions : M. Nélis
Troisième section
Président : M. Savart
Vice-président : M. Lelièvre
Secrétaire : M. Tack
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Quatrième section
Président : M. le Bailly de Tilleghem
Vice-président : M. Van Overloop
Secrétaire : M. Crombez
Rapporteur de pétitions : M. Magherman
Cinquième section
Président : M. de Renesse
Vice-président : M. Godin
Secrétaire : M. Frison
Rapporteur de pétitions : M. de Paul
Sixième section
Président : M. Deliége
Vice-président : M. Lesoinne
Secrétaire : M. Ansiau
Rapporteur de pétitions : M. de Fré
« M. Alphonse Vandenpeereboom demande un congé. »
- Accordé.
« M. le ministre de la guerre communique à la chambre la réponse qu'il a adressée aux bourgmestre et échevins d'Anvers au sujet de nouvelles propositions relatives aux fortifications de cette ville. »
- Impression aux Annales parlementaires.
Il est donné lecture d'un arrêté royal qui charge le général-major Renard de concourir à la défense du paragraphe premier de l’article premier du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.
- Pris pour modification.
M. le président. - Nous avons en première ligne à l'ordre du jour le projet de loi relatif à l’exécution de divers travaux d'utilité publique. Pour éviter toute confusion dans nos travaux, je crois qu’il conviendrait de suivre la marche qui a été suivie par la section centrale, c’est-à-dire d’ouvrir deux discussions séparées, l’une sur les travaux d’Anvers, l’autre sur le reste du projet de loi. On commencerait par les travaux d’Anvers.
- Cette proposition est adoptée.
M. Goblet. - Messieurs, il y a une erreur matérielle à la page 4 du rapport : on a porté à 2,500 mètres la distance entre les nouveaux forts et les anciens.
C'est une erreur trop grossière pour qu'on puisse s'y tromper quand on a eu les plans sous les yeux. La distance n’est que de 1,500 mètres.
D'ailleurs, cette distance de 2,500 mètres n'a servi de fondement à aucune observation dans le rapport de la section centrale ; c’est la distance de 1,500 mètres qui s'applique à toutes les considérations qui y sont exposées.
J'ai cru utile d'indiquer cette rectification, dès le début de la discussion.
M. le président. - Les observations qui viennent d'être présentées par M. Goblet seront nécessairement insérées dans les Annales parlementaires ; par cela même, l'erreur sera rectifiée.
M. le ministre de la guerre (M. Berten). - Messieurs, le rapport, fait, au nom de la section centrale, sur le projet relatif aux fortifications d'Anvers, se divise en trois parties :
La première retrace les phases de l'importante question du camp retranché depuis 1848 jusqu'à ce jour.
La seconde contient le résume des travaux des sections.
La troisième enfin renferme les délibérations de la section centrale.
La première partie, messieurs, contient quelques erreurs, dont la principale a déjà été redressée par mon prédécesseur, et qu'il m’est impassible de passer sous silence.
L’honorable rapporteur énonce que les difficultés et les augmentations de dépenses, auxquelles ont donné lieu les travaux du camp retranché, proviennent de ce qu'on a modifié peu judicieusement le système du comité de défense qui avait été adopte et exécuté.
Je ne puis admettre la critique de la section centrale. Le camp a été établi suivant les principes admis par toutes les autorités militaires. Les retranchements ont été déterminés d’après les règles de la fortification permanente. Il fut décidé que les ouvrages seraient construits en terre, à l’exception des travaux indispensables pour établir les ponts-levis qui en ferment l’entrée. Ce sont des travaux qui furent proposés aux Chambres et approuvés par elle, au mois de mars 1852.
Toutefois, les ouvrages étaient constitués de telle sorte que l’on pouvait en accroître l’importance, soit en les munissant, en tout on en partie, d'escarpes en maçonnerie, soit en y construisant des réduits et des magasins.
C'est là ce qui a été proposé après l'exécution du camp retranché, .le ne renouvellerai pas, messieurs, la discussion qui s'est produite en 1855, sur le mérite des travaux complémentaires qui ont été exécutés. Un débat sur ce point serait sans objet, puisqu’il s’agit de faits accomplis.
Je me bornerai à dire que les difficultés qui se sont présentées et les modifications qu’on propose aujourd’hui ne sont pas la conséquence d’une erreur qu’il s’agirait de redresser ; elles doivent être uniquement attribuées à l’impérieuse nécessité où l’on se trouve de reculer les limites du camp par suite de l’extension toujours croissante des faubourgs d’Anvers.
La partie du rapport dont je viens de m'occuper contient deux erreurs de chiffres qu'il conviant de signaler.
Il est dit, page 3, que la fermeture de la gorge des forts du camp a élevé la dépense de 1,500,000 à 3,740,000 fr. La dépense ne s'est élevée, en réalité, qu'à 3,276,052 fr. fr. 86 . Il y a donc une erreur de plus de 473,000 fr.
Il est dit aussi, page 2. que les dépenses du système d'Anvers qui avaient été estimées, en 1851, à 5,621,800 francs, s'élevaient déjà, en 1853, à 9,900,800 francs : il résulte d'un relevé exact que les dépenses des travaux extraordinaires d'Anvers et de ses dépendances ne s'élevaient, à la fin de 1853, qu'à 5,801,009 fr. 21c. soit 4 millions en moins que le chiffre accuse.
L'honorable rapporteur de la section centrale, revenant sur le projet de loi du 27 avril 1855, relatif à l'achèvement des forts actuels, fait observer que si le gouvernement avait tenu compte des propositions qui lui furent soumises dans le comité secret du 2 juin 1855, il aurait pu concilier les intérêts de la défense avec ceux de la population au moyen d'une dépense totale de 5,900,000 fr.
Les principaux discours qui ont été prononcés dans ce comité ont été communiqués au département de la guerre On n'y a trouvé que des appréciations extrêmement vagues en ce qui concerne les ouvrages à construire en remplacement des forts n°3 et 4, dont on réclamait la démolition et il a été impossible d'en tirer parti pour décomposer le chiffre cité de 5,900,000 fr.
L'honorable rapporteur voudra bien me permettre de lui faire remarquer qu'il se produisit dans la Chambre et au Sénat des déclarations nettement formulées, concluant à la nécessité de reporter le front général du camp aussi avant que possible dans la campagne, afin d’éloigner de la ville les dangers d’un bombardement, et de permettre à la population surabondante de s'étendre librement au dehors.
Le gouvernement a mûrement étudié la question à ce point de vue.
La note que mon honorable prédécesseur a communiquée à la Chambre, le 5 mars 1856, et qui a été imprimée sous le n° 13 des documents parlementaires, développe les idées qui ont présidé à la conception du projet de 1856, dont le projet actuel n'est en quelque sorte que la reproduction.
Je m'en réfère entièrement au contenu de cette note, dont je crois devoir citer quelques passages utiles, pour bien caractériser la divergence qui existe entre les idées de la Section centrale et l'opinion du gouvernement.
« La question des intérêts locaux, dit mon prédécesseur, page 2, de cette note, présentait plus de difficultés. Pour conserver aux remparts de la ville et aux forts du camp retranché, toute leur valeur défensive, on aurait dû maintenir les servitudes existantes, et les étendre à tous les terrains qui entrent dans la zone réservée de ces forts.
« L'adoption de ces mesures eût été rigoureuse pour la ville d'Anvers ; il fallait tenir compte de l'existence de ses faubourgs ; il fallait avoir égard à sa prospérité commerciale et à l'accroissement de la population que cette prospérité entraîne nécessairement après elle.
« Je m'appliquai donc à trouver les moyens d'entraver, le moins possible, le développement des constructions particulières, en évitant de nuire essentiellement à la défense de la position militaire. »
« L’inspecteur général des fortifications que je consultai, m'écrivit en ces termes :
« Si les servitudes sont établies et maintenues comme je l'ai exposé et si le système défensif se complète par l'exécution du projet général que j’ai présenté, la position militaire d'Anvers aura une valeur en rapport avec la grandeur du service qu'elle doit rendre au pays en cas de guerre.
« Si, au contraire, toutes ces conditions ne pouvaient être remplies, il y aurait nécessité, pour conserver au camp retranché sa valeur, de construire 4 nouveaux forts à une distance de 700 à 800 mètres en avant des forts actuels, et sur des points correspondants à leurs intervalles.
« On reporterait ainsi, en avant, sur une campagne plus découverte, les avantages qu'on ne trouverait plus en arrière.
« Dans cette nouvelle disposition, on pourrait renoncer au fort n°4, qui dans le système actuel, a pour objet de diviser l'ensemble du camp, en camps parties de même résistance. »
Aptes avoir pris connaissance de cet avis, mon prédécesseur n'hésita plus à demander à l'inspecteur général des fortifications, un projet pour l’achèvement du camp retranché dans l'hypothèse de la suppression du fort n°4.
(page 1283) Ce projet fut dressé et soumis à un comité. Mon prédécesseur ajoute :
« Le gouvernement doit s'appliquer, avant tout, à compléter le camp retranché de manière à ne pas entraver l'agrandissement futur de la ville. Il n'a pu méconnaître que la ville d'Anvers tend à s'accroître d'une matière irrésistible, et que, dans un avenir peu éloigné, le camp embarrassé de constructions de toute espèce, se trouvera tellement obstrué, qu'il perdra les propriétés tactiques qu'on s'est efforcé de lui donner et qui constituent son mérite et sa force. »
Le rapport de la section centrale énonce que dans le projet de 1856, on établissait à l'avant des forts actuels, à une distance de 2,500 mètres, une nouvelle ligne qui donnait an camp un développement tel, que de l'aveu du gouvernement lui-même, il pouvait soulever des difficultés, si l'armée, retirée sous Anvers, se trouvait affaiblie par des circonstances imprévues.
Je n'ai pas à relever l'erreur de chiffre puisque l'honorable rapporteur l'a rectifiée lui-même au début de la séance.
Quant à l'observation relative au front du camp, elle a été faite par mon honorable prédécesseur pour démontrer l'utilité des forts de seconde ligne. Il suffit néanmoins de prendre connaissance des développements qui l'accompagnent, pour se convaincre qu'elle n'a pas la signification absolue qu'on paraît vouloir lui donner.
L'honorable rapporteur fait observer que le projet actuel étend les servitudes militaires sur une surface de plus de 2,000 hectares, bien que cette surface ne fût que de 500 hectares, auparavant.
L'opposition de ces deux chiffres est significative : mais l’impression qu'elle peut faire naître s'efface devant la véritable appréciation des choses.
En réalité, messieurs, le projet présenté est plus favorable que nuisible aux intérêts de la population malgré l'extension des servitudes légales.
En effet, les nouvelles servitudes ne s'établiront que sur des terrains généralement situés en pleine campagne, tandis que l'existence des deux lignes de forts permettra de tempêter la ligueur des servitudes actuelles dans le voisinage de la place.
Une section propose à l'unanimité de donner au raccordement, qui doit provisoirement relier l'enceinte nouvelle à l’enceinte ancienne, une disposition telle, qu'il y ait derrière l'entrepôt une communication facile entre les nouveaux bassins et la ville actuelle.
Cette question a été examinée avec toute la sollicitude dont elle est digne, et je puis donner l'assurance. aujourd'hui, qu’une large communication, derrière l’entrepôt, reliera la ville avec l’agrandissement Nord.
J'arrive, messieurs, à un passage du rapport sur lequel je crois devoir appeler toute votre attention ; le vo ci :
« En présence de l'état de choses qui résultait de la grande extension donnée au camp retranché, il parut évident à la section centrale de 1856 que par cette extension, l’on inaugurait le système d’une concentration abusive de toutes les forces nationales. »
Toute l'économie du rapport de la section centrale actuelle est fondée sur cette hypothèse gratuite que l'armée se trouvera constamment sous les murs d'Anvers.
La section raisonne comme si le gouvernement avait admis et préconisé ce système. Or, il n’en est rien, messieurs, jamais le gouvernement n’a songé à adopter un semblable système, et, pour ma part, je déclare le repousser de toutes mes forces.
Dans une note, répondant à une demande de la section centrale et insérée pages 15 et 16 du rapport, le gouvernement a indiqué d'une manière succincte les bases principales du système général de défense du pays.
La section centrale n'a pu méconnaître que ces bases sont judicieuses en principe ; mais pour ne pas se trouver dans l’obligation de les admettre, elle prévoit la possibilité d’un cas de guerre tellement exceptionnel, qu’il n’y a aucun système de défense qui puisse y répondre.
La section centrale pose le cas d'une attaque subite, inopinée, et elle prétend que notre réserve ne serait pas en mesure de garnir à temps nos places fortes.
Il importe, messieurs, de faire justice d'une semblable hypothèse qui nous conduirait, si elle était admise, à entretenir constamment 100,000 hommes sur pied ou à n'avoir pas d'armée du tout.
Il n'est pas possible que nous soyons exposés à être attaqués à l'improviste, dans un temps de profonde paix, et au milieu de gouvernements réguliers.
En admettant le cas le plus défavorable, celui d'une crise inopinée, analogue à celle de 1848, la Belgique, avertie par le fait même de cette crise, aurait le temps de mettre son année sur pied d'observation avant qu'on pût l’attaquer.
Il y a toujours des signes précurseurs qui indiquent aux nations vigilantes les dangers qu'elles peuvent courir, et ceux qui veulent fermer les yeux sont les seuls qui puissent les méconnaître. Quel que soit le danger qui se présente, j'ai la ferme conviction, messieurs, que, nous serons en état d’y faire face dans toute l'étendue de nos moyens de défense.
J'aborderai du reste l'objection de front, et je supposerai, un instant, que les circonstances soient devenues tellement pressâmes, que les garnisons des places n'aient pu être relevées par la réserve. En bien, messieurs, je maintiens que cette dernière pourra être rassemblée, organisée, armée et équipée tous la protection d'Anvers et des forteresses voisines, et qu’elle rendra d'excellents services en campagne.
Il faut savoir faire la part de l’imprévu, tirer parti de tout et parer à tout. Le gouvernement qui supposerait bénévolement qu'il est impossible de se défendre parce que ses prévisions du temps de paix ne se réaliseraient pas, serait indigne de la confiance publique.
Avancer, comme le fait le rapport de la section centrale, que l'armée se trouverait, dans un moment critique, réduite à des éléments disproportionnés entre eux et incapables de résistance, c'est commettre à la fois une erreur dangereuse et s'exposer à blesser l’honneur national.
Je ne puis penser un seul moment que notre armée serait incapable de se défende chez elle, parce que sa composition ne serait pas scrupuleusement conforme aux règles établies alors qu'il y a tant d'exemples d'armées décimées et privées de communications avec leur pays qui ont rempli noblement leur devoir.
La section centrale ne parvient à soutenir son argumentation qu'en prêtant au gouvernement des idées qu'il n'a pas et qu'il ne peut pas avoir.
Pour prouver que le pays a trop de forteresses, elle suppose gratuitement que l'armée est destinée à opérer dans un système de concentration, et pour prouver que la place d'Anvers n'a pas besoin d'être fortifiée selon les règles de l'art, elle suppose, tout aussi gratuitement, que l'armée entière sera chargée de la défendre.
Ce système conduirait à la ruine de notre état militaire. En effet, si le rôle de l'armée se réduisait à la défense de la place d'Anvers, non seulement il n'y aurait plus besoin de forteresses ; mais encore on pourrait réduire l'armée elle-même à l'effectif d'une garnison de siège en abandonnant le pays au premier occupant.
L'armée manœuvrera en rase campagne, en s'appuyant sur les places fortes, aussi longtemps qu'elle le pourra, sans s'exposer à un désastre.
Elle s'attachera autant que possible à rester en communication avec Anvers ; mais elle ne devra pas couvrir cette place d'une manière absolue, car une obligation aussi étroite paralyserait ses opérations.
Le gouvernement maintient donc que, dans certains cas. Avers et le camp retranché pourront et devront être abandonnés à eux-mêmes. Il est par conséquent de toute nécessité qu'ils soient bien constitués, sous le rapport défensif, et qu’au moyen de leurs simples garnisons, ils puissent soutenir un siège en règle.
La section a parfaitement compris que telles sont les vues du gouvernement. Mais elle déclare nettement qu’elle ne peut les admettre, et se basant sur l'intérêt du trésor public, elle préfère appuyer un projet qui n'est que l'œuvre d’un entrepreneur agissant naturellement dans un but de spéculation et qui a été rejeté à l'unanimité par toutes les autorités militaires.
Le gouvernement a déclaré que le projet évalué à 45 millions et le projet soumis aux Chambres sont également acceptables, sous le rapport militaire ; mas il n’en faut pas conclure, comme le fait le rapport, que le gouvernement aurait laissé à la section centrale le soin de faire un choix entre les deux projets.
Le gouvernement se fondant également sur l'intérêt du trésor et ne reconnaissant pas la nécessité de l'agrandissement général pour le défense de la position, est d'avis que l'Etat ne peut entreprendre la grande enceinte à ses frais exclusifs.
La section centrale prétend que le développement du front du camp est exagéré, je conteste cette assertion.
C'est une erreur assez commune, du reste, de croire qu'une armée doit toujours être proportionné au front du camp qu'elle est appelée à occuper, et réciproquement. Cela n'est vrai que lorsqu'il s'agit de lignes continues ou de lignes à intervalles attaquables de vive force. Il en est autrement, lorsque le camp est couvert par des forts détachés ayant l'importance de véritables citadelles.
L'armée, dans ce cas, peut n'occuper qu'une partie de son camp, et elle n’a pas à craindre de voir la partie restante tomber aux mains de l’ennemi puisqu'il ne pourrait y séjourner, sans s’exposer à une destruction certaine.
Dans la critique qu'il fait du projet de camp retranché soumis aux Chambres, l'honorable rapporteur raisonne exactement comme si la ligne des forts actuels n'existait pas ou n'avait pas la moindre consistance.
Il prétend que l'artillerie de la place n'aurait pas d'action sur la première zone du camp retranché, comme si cela était absolument nécessaire, alors qu'il n y a pas un seul point de cette zone qui ne soit battu des feux de quatre forts détachés, au moins.
L'honorable rapporteur regarde les forts proposés comme étant peu redoutables par eux-mêmes, et ayant besoin de la protection de la place. Il vous suffira de jeter les yeux sut le simple croquis que j'ai eu l'honneur de vous faire distribuer, pour vous convaincre, messieurs, que ces forts ne sont pas isolés ; chacun d'eux est soutenu à droite et à gauche, par un fort de même valeur, et en arrière par les forts actuellement existants ; ces forts remplissent donc à l’égard des premiers le rôle qui, d'après l'honorable rapporteur, devait appartenir à l'enceinte générale.
Le rôle des forts actuels est tellement méconnu, dans le rapport de la section centrale, qu'on ne leur accorde même pas l'importance de batteries intermédiaires et qu'on ne suppose pas qu'ils pourraient arrêter les troupes qui auraient enlevé ou dépassé les forts de la première ligne.
(page 1284) Ce sont cependant ces mêmes forts, rendus plus solides par la prévoyance du département de la guerre, qui avaient été proposés par le comité de défense comme pouvant raisonnablement couvrir et protéger l'armée.
Les raisons que donne l'honorable rapporteur pour justifier la nécessité de l'agrandissement général sont de deux espèces :
Les unes sont fondées sur les intérêts de la population, et le gouvernement en tient grand compte.
Les autres se basent sur les intérêts de la défense, mais il est reconnu que la grande enceinte n'accroîtrait pas la valeur défensive de la position, et, dès lors, les considérations qu’on fait valoir ne sauraient légitimer l'énorme dépense que l'Etat devrait faite pour l'agrandissement général de la ville.
II n’est pas nécessaire d'agrandir Anvers au sud et à l'est pour y placer les principaux établissements de l'armée, attendu que ces établissements trouveraient place, au besoin, dans la partie agrandie au nord, et dans les forts du camp retranché.
J’ai constaté tout à l'heure que l'honorable rapporteur fait peu de cas de la ligne des forts actuellement existants et il semble même ne considérer l’enceinte actuelle que comme un obstacle secondaire. Une défense sérieuse ne lui paraît pas possible après la prise de la première ligne des forts, et la grande enceinte est le seul remède à une telle situation.
Ce raisonnement serait propre à jeter le découragement dans les esprits, si la nation et l'armée pouvaient l'admettre. Ainsi donc, la place d'Anvers n'aurait, dans son état actuel, qu'une valeur secondaire, et pour lui restituer toute son importance, il faudrait raser ce qui existe et créer à la fois une nouvelle enceinte et un nouveau camp retranché.
Nous pensons, messieurs, que la position, telle que nous proposons de l'établir, présentera une solidité à toute épreuve. Dans l’état actuel des choses, le projet présenté par le gouvernement concilie les intérêts de la défense avec ceux du trésor et de la population.
L'honorable rapporteur prétend que dans la confection du projet d'agrandissement général, on a méconnu le vœu émis par la section centrale en 1856 de voir établir les détails de la grande enceinte sans exagération. Ces vœux n’ont pas été méconnus ; une première estimation faite par le département de la guerre portait la dépense à la somme de 62 millions : un examen nouveau et approfondi a eu pour résultat de ramener ce chiffre à 45 millions.
Je ne parle pas de l'évaluation de 60 millions qui n'était qu'un simple aperçu établi à la hâte dans les bureaux du ministère et dans lequel il entrait des éléments étrangers à la dépense des fortifications et des bâtiments militaires proprement dits.
Les idées de la section centrale, en ce qui concerne la grande enceinte d'Anvers, dérivent du nouveau système de défense générale qu'elle s'efforce de faire prévaloir et qui consiste à démolir les places fortes existantes et à concentrer l'armée sous Anvers.
La section centrale semble croire que l'armée est spécialement destinée à garder et à défendre le camp retranché, tandis que cette forte position n'a été conçue que pour protéger l'armée en cas de retraite ou de revers.
L’honorable rapporteur énonce que l'agrandissement au nord n'a pas de raison d'être au point de vue militaire et que, sous ce rapport, il est plutôt un inconvénient qu'un avantage.
Nous reconnaissions, eu effet, que l'agrandissement nord est fait exclusivement dans l’intérêt du commerce maritime, et c'est la une preuve manifeste de la sollicitude du gouvernement pour le développement de la prospérité de la métropole commerciale du pays.
Le rapport de la section centrale se termine par la comparaison du projet d’agrandissement général évalué à 45 millions et du dernier projet présenté par M Keller.
Je ne suis pas versé dans l'art de l'ingénieur et je ne me hasarderai pas à lutter, sur le terrain de la fortification, avec l'honorable général Goblet.
Il y a cependant des vérités qui n'ont pas besoin des lumières de la science pour être perçues et qui frappent les yeux des moins clair voyants. J'ai fait faire un aperçu des économies que l'on réaliserait en exécutant le dernier projet de M. Keller, au lieu du projet évalué à 45 millions et il résulte de ce travail que la valeur des travaux supprimés représente une somme de 13 à 14 millions.
Or, je me demande comment il est possible qu'une suppression de travaux aussi importante n'apporte pas à la défense de la position un affaiblissement considérable.
Les comités auxquels la question a été déférée ne l'ont pas laissée sans solution. Le projet que repousse la section centrale a été jugé par eux comme satisfaisant à toutes les exigences militaires, tandis que celui qu'elle préconise a été, au contraire, rejeté à l’unanimité des membres militaires, les membres civils s’étant abstenus.
Vous aurez, sans doute, remarqué comme moi, messieurs, que l'argumentation de la section centrale ne l'a conduit à aucune conclusion nettement formulée.
La question de savoir si, dans la situation actuelle, il vaut mieux fortifier Bruxelles qu’Anvers a été résolue affirmativement par 4 voix contre 3 ; mais il est étrange qu’après avoir pris semblable décision, non seulement la section centrale ne présente, à cet égard, aucune conclusion ; mais elle n’a pas même pris le soin de justifier une résolution de cette importance.
La conclusion qui termine le rapport, et que l'on doit considérer comme principale, n'a pas même fait l'objet d'un vote. Voici cette conclusion :
« La section centrale, par toutes les considérations qui précèdent, est d'avis que, si c’est à Anvers que l'on entend concentrer la défense du pays, il est indispensable de démolir l’enceinte actuelle, d'en construire une nouvelle à la hauteur des fortins existants, en supprimait toutefois le n°4, et enfin d'exécuter, en avant de l'enceinte nouvelle, les forts du camp retranché proposés par le gouvernement. »
J'appellerai votre attention sur ces mots : « Si l'on entend concentrer à Anvers la défense du pays » ; ils constituent une restriction au moyen de laquelle la section centrale espère échapper au reproche d'avoir raisonné sur une base contestable, sur une hypothèse inadmissible.
En résumé, messieurs, le rapport de la section centrale ne conclut à rien s'il est vrai que le gouvernement n'entend pas concentrer à Anvers la défense du pays.
Or, je dis, messieurs, qu'un système de concentration absolue derrière les murs d'une forteresse, conduirait à la déconsidération de l'armée, condamnée à rester spectatrice impassible de l’invasion du pays. Une pareille conséquence, je la repousse avec énergie, et j'ai la certitude que la Chambre et le pays s'associeront au sentiment qui m'anime.
M. Loos. - Messieurs, ce n'est pas sans la plus vive émotion que je prends la parole dans cette discussion. C'est qu'il s'agit de l’existence d'une vile importante que j’ai l'honneur d'administrer ; il s'agit aussi d'un projet de loi présenté par un cabinet qui a toutes mes sympathies, mais vous comprendrez que, dans une circonstance aussi grave, je suis obligé de faire taire mes sympathies, pour écouter le cri de mi conscience qui me dit que le projet en discussion est mauvais, nuisible à tous les intérêts du pays.
Messieurs, l'émotion que j'éprouve provient surtout de l'insuffisance que je me reconnais pour traiter une question de l'importance de celle qui est soumise aux délibérations de la Chambre.
Je crains que cette insuffisance ne nuise à la cause. Cela doit me faire regretter d'autant plus que je crains de ne pas entendre pour la défense de la cause que je soutiens, cette voix sympathique, éloquente, plus impartiale que la mienne, qui soutenait autrefois les intérêts que je cherche à défendre aujourd'hui.
On a beaucoup écrit sur la question que la Chambre est appelée à résoudre. Des écrits de toute nature ont été publiés. J'ai vu, pour ma part, traiter dans certains journaux cette question à laquelle j'attache tant d'intérêt, de la manière la plus contraire à tout sentiment patriotique ; j’ai vu dans quelques journaux, habitués, du reste, à faire appel à l'étranger ; j’ai vu, dis-je, discuter la question, de façon à soulever l'animosité des nations voisines et surtout de la nation qui est le plus près de nos frontières.
Je proteste, de toutes mes forces contre de pareils procédés et je n'ai pas attendu jusqu'à ce jour pour faire connaître aux membres du cabinet mes sentiments à cet égard. La question de la défense du pays est une question toute nationale, toute belge, qui n’a pas besoin de l’intervention de l’étranger pour être bien comprise et décidée dans ce pays. Cela dit, j’aborde la discussion.
Ma position personnelle est un grand obstacle à la confiance que pourraient vous inspirer mes paroles si je venais soutenir devant vous que, dans l'intérêt du pays, c’est à Bruxelles plutôt qu'à Anvers que devraient se concentrer tous les moyens de défense en cas de violation de notre territoire. Et pourtant, messieurs, je suis pénétré de la plus profonde conviction à cet égard. Je laisserai donc à d'autres le soin de vous exposer toutes les considérations qui militent en faveur de ce système et de réfuter les arguments qu'on y oppose.
Parmi ces arguments, il en est un cependant, et je crois que c'est le plus important, celui de la dépense, qui ne me paraît pas de nature à pouvoir former un obstacle absolu.
Que devraient coûter les fortifications de Bruxelles pour en faire une place de guerre de l'importance réservée à la place d'Anvers ?
Les fortifications de Paris ont coûté 140 millions et occupent une étendue de 60,000 mètres. Celles de Bruxelles n’occuperaient que 30,000 mètres. Disons donc que les fortifications de notre capitale coûteraient la moitié de ce qu'ont coûté celles de Paris, 70 millions.
Si Anvers pouvait être démantelé, ce n'est pas 20, mais 25 millions que vaudraient les terrains occupés aujourd'hui par les fortifications, et je crois que la ville d’Anvers n'hésiterait pas à garantir cette somme au gouvernement.
Posons donc comme premier contingent 25 millions.
Les terrains militaires des autres forteresses à démolir ne vaudraient pas moins de 15 millions.
Soit 40 millions.
Vous voyez donc, messieurs, qu'en définitive, il n'en coûterait pas au trésor des sommes hors de ses ressources pour fortifier la capitale du pays, au lieu de l’abandonner à l'ennemi pour se réfugier a Anvers. Mais j'abandonne ce point qui, pour être traité avec succès, a besoin d'une voix plus éloquente et surtout plus impartiale que la mienne. J'arrive donc au projet du gouvernement qui concerne Anvers. Chacun de vous reconnaîtra, messieurs, que c'est un grand malheur (page 1285) pour la métropole du commerce de devoir servir en même temps de dernier abri à l'armée, de forteresse imprenable ou que l'on ne finit par prendre qu'après en avoir fait un monceau de mines, comme à Sébastopol.
Si un pareil système est un malheur pour Anvers et, je ne crains pas de le dire, pour le pays, c'est en même temps une monstruosité au point de vue de la civilisation
Oui, messieurs une monstruosité, et je défie qu’on me cite un autre exemple, en Europe, d'une place de commerce du rang d'Anvers qu'on ait convertie en place de guerre. C'est le système contraire qui prévaut et qui se réalise presque partout.
Si Odessa avait été fortifiée comme Sébastopol, croyez-vous qu'elle serait encore la place de commerce la plus importante de la Russie méridionale ?
Le Havre avait conservé des fortifications, on vient de les raser et de consacrer à perfectionner son port et ses établissements maritimes plus de millions que n'en réclame le projet de loi pour fortifier Anvers.
Je citerai plus tard quels sacrifices on impose à la ville du Havre pour contribuer aux frais de cette métamorphose. Partout, messieurs en France, comme ailleurs, les ports commet ceux sont agrandis et débarrassés des obstacles qui gênaient leur prospérité. Il n’est pas jusqu’en Russie où l’on songé à débarrasser Riga de ses fortifications actuelles pour donner à son commerce de l’espace et de la sécurité. Et pourtant la France comme la Russie n’en sont pas réduites à n’avoir qu’un port de commerce. Il n’y a vraiment qu’en Belgique où l’on ne soi en repos qu’on n’ait embastillé le seul port qu’on possède et qu’on ne lui ait enlevé la sécurité indispensable à sa prospérité.
Eh ! nous dit-on, Anvers n'a-t-elle pas toujours été une place de guerre et de quoi vous plaignez-vous si l’on se dispose à lui donner une valeur défensive plus grande et qu'en même temps on éloigne de la ville les dangers de l'attaque- ? C'est là, messieurs, l’argument qu'on oppose à nos paroles. On éloigne les dangers et nous nous plaignons ; on trouve que nous ne sommes pas raisonnables.
S’il est vrai qu'on éloigne les premières lignes de la défense, on n'en laisse pas moins subsister la dernière, la plus terrible, celle qui nous étouffe depuis si longtemps et qui doit, si elle est maintenue, causer un jour la ruine d'Anvers. C'est là le motif de notre opposition.
Qu'on démolisse la vieille enceinte, qu’on la reporte plus loin si elle est indispensable, et quelque fâcheuse que restera toujours la position de la ville, Anvers l'acceptera avec patriotisme si le pays y trouve la sécurité.
Anvers, il est vrai, a toujours été une place de guerre, et, je veux bien le reconnaître, une place de guerre importante. Mais quel était son rôle dans la défense du pays et à quelle destination va-t-elle se trouver condamnée ? C’est ici que sa position s’aggrave. Comme forteresse de premier ordre, elle avait sans doute à courir des dangers, mais elle n’était pas plus exposée que les autres forteresses du pays, que celles placées aux frontières et qui avaient subir les premières hostilités. Située à l’extrémité du pays, elle avait la chance d’échapper aux plus violentes attaques et de n’être investie que quand le sort des armes avait en quelque sorte fait cesser les causes de la guerre.
C'est ainsi qu'en 1814 elle en fut quitte pour un assez long blocus, mais en définitive pour fort peu de dégâts. Anvers n’a véritablement en à souffrir de grand désastre que lorsque la possession de la ville était en quelque sorte le but de la guerre. C’est ainsi qu'en 1584 le duc de Panne assiégea la ville, laissa de côté Bruxelles, Malines, Gand et Termonde occupés par les confédérés et parvint, par la chute d'Anvers, à remettre tout le pays en la possession des Espagnols.
Le rôle qu'on lui impose aujourd’hui n'est-il pas d'être constamment le but de toutes les hostilités qu'on pourra entreprendre contre la Belgique ? Anvers devenant le boulevard de notre nationalité, n’est-ce pas vers cette ville qu’on attirera les attaques de l'ennemi qui voudra attenter à notre indépendance ? C'est donc Anvers qui devient le bouclier de la Belgique. Faites, messieurs, qu'au jour du danger ce bouclier ne protège pas seulement notre nationalité mais qu’il puisse servir aussi à préserver la ville qui l’aura porté avec tant de préjudice et de peine pendant la paix.
Je demande à ceux qui ne voient aucun danger au maintien de nos vieille murailles à quel usage, le cas échéant, ils comptent les faire servir.
La ville, d'après les dispositions du projet de loi, sera défendue par une première ligue de forts, constituant un immense camp retranché, à la défense duquel on appellera toute l’armée belge, hommes et chevaux, et dans lequel on réservera même de la place pour loger une armée étrangère qui serait venue à notre secours.
Si, malgré toute la bravoure de ces troupes, la première ligne de forts est enlevée, on se défendra, je le suppose, avec non moins de courage et d'acharnement dans la seconde ligne des forts. Ma s ceux-ci étant relativement d’une très faible importante, on doit admettre que l’ennemi qui se serait rendu maître de la première ligne ne tarderait pas à avoir raison de la seconde. Alors que devient l’armée ou plutôt les débris de l’armée, si chacun a fait son devoir. Que deviendront les hommes et les chevaux, les habitants des faubourgs enclavés dans le camp ? Ils ne trouveront, messieurs, un dernier abri que derrière nos murs, et la ville, dès aujourd’hui déjà insuffisante pour sa population, recevra dans ce moment suprême un accroissement de cent mille hommes et peut-être de 6,000 chevaux ! Croit-on que tout ce monde parvienne à se mouvoir dans notre enceinte actuelle ? N'est-il pas plus vrai de dire qu'il y aura le plus épouvantable encombrement, que l'ennemi au lieu de faire le siège de ce dernier réduit, profitera de cette affreuse situation pour obtenir sans conditions la reddition de la place, et y provoquera le désordre par les bombes et l’incendie.
Notre armée sans doute fera toujours son devoir et défendra ce dernier asile avec tout l’acharnement du désespoir ; elle fera des efforts héroïques pour y maintenir debout le drapeau de l’indépendance.
Quelque soit l'issue de cette lutte vaillante et patriotique, Anvers sera détruite avec ses faubourgs et le commerce ruiné pour une longue série d'années, peut-être anéanti à tout jamais si après la guerre on relève encore les décombres de ses fortifications.
Voilà, messieurs, la terrible perspective qu'on offre à la métropole du commerce, à cette ville qui renferme aussi les chefs-d'œuvre artistiques de l'école belge, la gloire du pays.
Et qu'on ne dise pas que cette effroyable situation ne se réalisera jamais, que le tableau en soit chargé à plaisir. Je défie qu’on en conteste la réalité, pourvu qu’on admette avec moi que l’armée fera son devoir.
En effet, messieurs, que veut-on que devienne l'armée après avoir succombé dans les forts du camp retranché ? Me dira-t-on qu’alors la lutte sera terminée ? Mais pourquoi dans ce cas conserver nos vieilles fortifications ? On m'a répondu : Pour négocier derrière ses murailles, mais je vous l'ai déjà dit, messieurs, l'ennemi qui connaîtra l'état désespéré de la place, consentira-t-il à accepter des conditions onéreuses, alors qu'il peut si facilement l'obtenir à discrétion en y provoquant le désordre au moyen de l’incendie ?
Messieurs, le tableau que je viens de tracer est vrai. Vous n'avez, en cas d’attaque, qu'un moyen d'empêcher la réalisation des horreurs qu'il vous représente, c'est de faire tomber nos vieilles murailles alors que vous élèverez une nouvelle ceinture de forts et que vous voudrez donner à la place d'Anvers la destination que lui impose le projet de loi.
Le gouvernement l'a déclaré dans les sections de la chambre et répété à la section centrale, il envisage deux systèmes, la grande et la petite enceinte à donner à la ville, comme présentant les mêmes garanties, la même valeur défensive. Mon honorable ami le général Goblet vous a démontré dans son rapport et vous prouvera d'une manière évidente, que sa grande enceinte et indispensable à la défense. J’ajouterai que l'auteur même du plan qui fait l’objet du projet de loi n'a pas hésité à reconnaître que dans l'état actuel des choses, état que l'on veut perpétuer, c'est à la grande enceinte que, dans l’intérêt de la défense, on doit donner la préférence.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur.
M. Loos. - Je l'ai lu. Pourquoi ne pas l'adopter ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur.
M. Loos. - Le cabinet l’a dit, messieurs, les dépenses seules l'arrêtent ; s’il n’en devait pas coûter plus d'argent, il ne sacrifierait pas Anvers, et vous proposerait de lui donner la sécurité relative qu’on réclame. C’est donc une question d’argent que avons à débattre, c’est pour une question d’argent, prenons pour 8 à 10 millions, qu'Anvers sera offerte en holocauste à la sécurité du pays.
N'est-ce pas, messieurs, vous faire injure que ce tenir un pareil langage ! Comment c'est pour 8 ou 10 millions que vous n'osez prendre dans le trésor public, que vous condamnerez Anvers à subir un jour le sort de Sébastopol !
C'est au moment où l'on se propose de faire largesse au reste du pays, en proposant pour 40 millions de travaux publics dont l'utilité en est au moins douteuse, que vous refuserez de dépenser les sommes requises pour la défense de notre nationalité, pour mettre à l'abri de la destruction la ville qui doit lui servir de boulevard.
Je l’ai dit et je ne crains pas de le receler, ce serait là le comble de l'égoïsme et de l’iniquité.
Aussi j’ai hâte d’ajouter que je ne crois pas aux raisons que nous donne le cabinet. On ne veut à aucun paix, démolir nos vieilles fortifications, alors même qu’on aura construit le nouveau camp retranché.
Pourquoi ? Je n'en sais rien et je désire qu'on nous l'explique par de meilleures raisons que celles qu'on nous a données jusqu'à présent.
Je dis, messieurs, que je ne crois pas aux raisons que nous donne le cabinet pour se refuser à la démolition de l’enceinte actuelle de la ville. Voici pour quel motif. En même temps qu'il nous déclarait que la question d’argent l’empêchait seule d'accorder la préférence au plan de la grande enceinte, il donnait à entendre que si la ville d'Anvers pouvait lui venir en aide par un concours efficace, la difficulté devant laquelle il s'était arrêté viendrait à disparaître. Il était donc naturel de croire que le gouvernement aurait provoqué des offres de la part d'Anvers, ou mieux encore qu'il aurait fait connaître à la ville ce qu'il attendait d'elle.
Je suis de ceux qui pensent, messieurs, que ces démarches auraient pu être faites avant la présentation du projet de loi, et qu’ainsi le gouvernement eût su à quoi s’en tenir par rapport au concours qu’il semblait désirer.
Quoi qu'il en soit, messieurs, ni avant, ni après la présentation du projet, aucune démarche ni interpellation n’ont été faites. En présence de cette abstention de la part du gouvernement, c’est la ville d'Anvers qui prit l'initiative d'une offre ; mais sa démarche resta (page 1286) sans réponse. Elle revint à la charge par une nouvelle proposition qui est annexée au rapport de la section centrale et ne reçut, de la part du gouvernement, qu'un accusé de réception suis un mot de plus sur le mérite de ses offres.
J'entends des réclamations au banc ministériel ; qu'on me permette donc de donner quelques explications sur cette interruption.
En 1857, au mois d'avril, M. le ministre de la guerre écrivit à la ville d'Anvers pour lui demander, dans le cas d'adoption du projet de grand agrandissement, quel concours elle serait disposée à prêter au gouvernement. Au moment même où cette lettre fut écrite, la discussion allait s'ouvrir sur le projet. Vous connaissez tous le résultat de cette discussion : elle dura, je pense, une demi-séance et grâce au départ de quelques membres il n'a pas été possible de voter.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) et M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une erreur.
- Un membre. - Nullement ; c'est ainsi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'ajournement a été prononcé avant la fin de la séance dont vous parlez.
M. Loos. - Nous reviendrons sur ce point. Du reste, j'explique simplement dans quelles conditions le gouvernement s'est adressé à la ville d'Anvers et ce qui a empêché celle-ci de donner suite à cette affaire.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La lettre est du 21 avril 1857 et la séance dont vous parlez est du 22 mai 1856.
M. Loos. - Quoi qu'il en soit, ce point est très peu important.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non pas ; non pas !
M. Loos. - Je répète que ce point est sans importance et pour caractériser ce qu’on a fait par le premier mot qui me vient à l'esprit, je dirai que c'est une véritable chicane. (Interruption.) Comment ! vous n'étiez pas ministres alors.
Vous êtes aujourd'hui chargés par le Roi de présenter le projet de loi ; vous dites que c'est le concours seul de la ville d'Anvers qui vous permettrait d'adopter le projet de grand agrandissement de notre métropole commerciale, et vous ne vous donnez pas la peine de demander à Anvers ce qu'elle serait disposée à faire pour obtenir cet agrandissement. Vous vous basez sur une demande faite à une époque où vous n'étiez pas ministres ; à une époque où vous combattiez avec moi le projet que je combats en ce moment ; et vous venez vous prévaloir, comme d'un argument suprême, qu'au mois d’avril 1857 on a demandé à Anvers quel concours elle prêterait au gouvernement pour réaliser le projet de grand agrandissement. (Interruption.)
Pour moi, messieurs, je regrette de devoir le répéter, je ne considère votre réponse que comme une chicane.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, nous expliquerons de qui vient la chicane.
M. Loos. - A la vérité j'ai appris tout à l'heure que le gouvernement vient d'écrire à la ville d'Anvers ; mais il ne doit l’avoir fait qu'hier ou aujourd'hui ; car je n'en ai eu aucune connaissance avant mon départ d'Anvers. On aura probablement réfléchi que, pour les besoins de la cause, il convenait d’écrire à Anvers avant la séance d'aujourd'hui.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La Chambre lira la pièce.
M. Loos. - Que faut-il conclure, messieurs, du silence du cabinet, si ce n’est qu'à aucun prix il ne veut s’engager à démolir l'enceinte actuelle, alors même qu'Anvers, malgré l'impossibilité de ses ressources contre toute esprit d’équité et se chargerait de l'aire elle-même tous les frais de la grande enceinte ? Il y a donc ici un mystère que je ne me charge pas d’expliquer. Objecterait-on ou l’insuffisance des offres produites ? J’ai de la peine à m’en persuader.
Savez-vous, essieurs, à quelles conditions le Havre s’est agrandi et débarrassé de ses fortifications ? Je vais vous le dire. La ville s’est chargée de démolir son enceinte fortifiée, de paver et d’éclairer les rues qui seraient créées et sur cette dépense, qui est évaluée à 2,200,000 francs, on admit le Havre à récupérer 1,500,000 francs sur le produit de la vente des terrains. C’est donc en tout et pour tout 700,000 fracs que la ville du Havre aura dépensés pour obtenir le déplacement de son enceinte, et pour cette somme, le gouvernement lui cède en outre les terrains nécessaires pour construire un nouvel hôtel de ville et une église. En même temps, le gouvernement, allant au-devant du développement de la prospérité commerciale du Havre, consacre 20,000,000 de francs à la construction de docks, cales sèches et autres améliorations à son port. A Anvers, tous ces travaux sont exécutés aux frais de la ville. La convention faite à ce sujet avec la ville du Havre, portée devant le corps législatif, y reçut le meilleur accueil et voici, messieurs, en quels termes s’exprime à son sujet le rapporteur de la commission que nous appelons ici la section centrale :
« Messieurs,
« L'amélioration de nos ports et le développement des cités qui les possèdent intéressent à un trop haut degré l'accroissement de nos relations commerciales, pour que votre commission ait jugé utile de discuter devant vous l'importance qui s'attache à de pareils travaux. C’est, d’ailleurs, sous l’impression de cette importance que vous avez sanctionné par vos votes, il y a peu de jours, plusieurs projets d’utilité publique proposés par le gouvernement en faveur de la ville et du port de Marseille. Les décrets déjà rendus en faveur de la ville du Havre et le projet de loi soumis à vos délibérations, ont été inspirés par la même pensée. »
C'est qu'en France, comme, vous le voyez, messieurs, on apprécie autrement qu'en Belgique l'influence des ports de mer sur la prospérité générale du pays.
Mais pourquoi chercher en France des exemples concernant la participation des villes dans les dépenses que l'autorité centrale consacre à des travaux d'intérêt local ? Et notez bien, messieurs, que les travaux qu'il s'agit d'exécuter à Anvers ne sont pas de cette nature, mais concernent exclusivement la défense nationale.
A Liége, le gouvernement a consacré 16 millions à la construction du canal latéral et à la dérivation de la Meuse. La ville payera 1 million, à la condition d’obtenir des terrains et une station de chemin de fer, qui figure pour 1,300 mille francs dans le projet soumis à nos discussions.
Les Flandres ont obtenu pour l'écoulement de leurs eaux les canaux de Schipdonck et de Zelzaete, qui n'auront pas coûté moins de 16 millions.
Elles n'ont participé pour rien dans ces constructions.
J'ai pour ma part voté toutes ces dépenses, y compris celles du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand, parce que je pense, messieurs, qu'il y a solidarité entre toutes les parties du pays et qu'on ne saurait en avantager une, c'est-à-dire travailler à sa prospérité, sans qu'il en résulte un bien pour toutes.
Quoi que vous puissiez décider, messieurs, cette solidarité n'en existera pas moins et vous ne tarderez pas à en éprouver les effets. Qu'Anvers périsse ou décline et vous verrez décliner ou périr tous les intérêts du pays. Je ne sache pas que la Belgique fût prospère alors qu'Anvers ruinée gémissait sous les honteuses stipulations du traité de Munster.
Quoi qu'il en soit, messieurs, si les offres faites par Anvers pour se sauver d’une ruine certaine, vous paraissent insuffisantes, que le gouvernement le dise, Anvers veut vivre et prospérer. Elle veut se sauver, et quelque injuste que cela soit, fixez vous-même sa rançon !
Mais prenez-y garde, messieurs, si, malgré tous nos efforts, Anvers doit subir un jour les conséquences de la position que vous lui aurez faite, les millions que vous aurez épargnés aujourd'hui, le trésor public les payera au centuple un jour, quand le pays voudra réédifier ce qu'il vous serait facile aujourd'hui de préserver de la destruction.
M. de Renesse. - Messieurs, si l'intérêt d'une meilleure et plus énergique défense nationale, que celle antérieurement indiquée et longtemps préconisée par le gouvernement, semble réclamer actuellement de nouveaux sacrifices au pays, il est de toute nécessité que cette grave question du nouveau système défensif à établir à Anvers, combinée, s'il y a lieu, avec l'agrandissement de cette ville, soit examinée sous tous ses rapports, avec calme, en dehors de tout esprit de parti : le sentiment national doit ici prévaloir sur tout autre considération, et la discussion doit être franche et loyale, pour que l’on puisse connaître quelles sont réellement les dépenses nouvelles que l’Etat aura à supporter de ce chef, non seulement pour les fortifications et la nouvelle enceinte éventuelle à construire, mais aussi pour l’armement, pour le matériel de cette grande place de guerre, et quelle sera, en outre, par après, l’influence de ce nouveau système de défense sur l’organisation future de l’armée, sur les dépenses ultérieures du budget de la guerre.
Il est, toutefois, à regretter que cette grande question de la meilleure défense nationale, n'ait pas plus tôt reçu sa solution. En la traînant en longueur, l’on a déjà perdu beaucoup de temps ; il est donc à désirer, si la législature donne actuellement son adhésion à ce système défensif, que les travaux soient poussés avec la plus grande activité, et terminés dans le plus court délai possible ; car, dans la situation politique actuelle, si tendue de notre continent, il faut tâcher d'être prêt à tout événement extraordinaire et être en état de défendre avec patriotisme et énergie notre nationalité, si elle était sérieusement menacée.
Depuis plusieurs années, déjà, des sommes importantes, en dehors du budget ordinaire de la guerre, ont été allouées, pour les travaux de la défense d'Anvers et des rives de l’Escaut, sans qu'un système bien défini ait été réellement présenté aux Chambres législatives, qui ne sont restées que trop longtemps dans l’incertitude sous ce rapport ; aussi, je crois qu'il peut être utile de faire un court résume des antécédents de cette affaire, pour démontrer que le gouvernement, lui-même n’avait aucun principe bien arrêté sur cette grave question de la défense nationale ; que, s'il y a eu du retard dans la décision à prendre à cet égard, l'on ne pourra l'imputer aux Chambres qui, avant d’accorder de nouveaux fonds, étaient en droit de réclamer tous les renseignements nécessaires, pour pouvoir se former une opinion consciencieuse, sur le nouveau système présenté à leur appréciation.
Les Chambres devaient évidemment avoir une certaine répugnance à voter constamment de nouveaux fonds, lorsque cette grave question de (page 1287) la défense nationale ne leur paraissait pas suffisamment instruite ; le gouvernement ayant eu lui-même une certaine hésitation, sous ce rapport. Déjà, d'après l'annexe A, jointe à l'excellent rapport de l'honorable général Goblet, en date du 17 mai 1856, les crédits extraordinaires alloués et les dépenses faites jusqu'à la date du 30 avril 1856, se montaient à la somme de 6,479,955 fr. 92 c., et avec ceux accordés depuis, à environ 7 millions de francs.
Lorsque, en 1852, le premier crédit fut postulé, il semblait cependant que le ministère de 1847 ne voulait pas donner une si grande importance aux travaux de défense à exécuter au camp retranché à Anvers ; il ne s'agissait alors que de construire quelques petits forts au camp-dit de Borgerhout, et de quelques travaux à la Tête-de-Flandre, qui devaient suffire pour abriter l'armée. Et si l'on avait suivi les plans arrêtés par le comité de défense, la dépense totale ne se serait pas élevée au-delà de 1,500,000 fr., y compris un corps de garde défensif dans chacun des fortins.
Le premier crédit, proposé le 26 mars 1852, avait été fixé à 4,700,000 francs ; il était destiné, en partir, aux dépenses extraordinaires de matériel de l’artillerie, du génie et pour établir le système défensif d'Anvers et des rives de l’Escaut.
Depuis, successivement, le projet de défense a grandi : le 16 novembre 1852, un deuxième crédit extraordinaire de 8,450,000 fr. fut de nouveau postulé.
Les sections et la section centrale de la Chambre, émues de cette nouvelle dépense extraordinaire, réclamèrent, non sans raison, des renseignements plus précis ; l'honorable ministre de la guerre d'alors, M. le général Anoul, répondait que les sommes demandées pour les travaux de la place d'Anvers ont été calculées de manière à pouvoir couvrir exactement les dépenses ; il n'est pas impossible cependant que les difficultés du terrain, notamment de la Tête-de-Flandre, et d'autres circonstances extraordinaires, donnent lieu à des frais imprévus ; on ne pense pas qu'ils s'élèvent à plus de 200,000 à 300,000 fr.
Nous voilà déjà loin, messieurs, de la première évaluation ; aussi, à mesure que le génie militaire étudie cette grave question de la meilleure défense nationale, et que de nouvelles commissions sont nommées pour l'examiner, nous voyons toujours que les dépenses extraordinaires, pour établir le nouveau système défensif, tendent à s'accroître ; nous devons donc nous hâter de terminer une fois sérieusement cette grande question, pour que le pays sache, enfin, quels sont les sacrifices extraordinaires qu'il doit s'imposer, quels sont les meilleurs moyens de défense à adopter dans l'intérêt du maintien et de l'énergique défense de notre nationalité, reconquise, enfin, en 1830, après plusieurs siècles de lutte et de domination étrangère.
Ainsi que je viens de le dire, plus cette grave question a traîné en longueur, plus elle a aussi grandi ; déjà, le 27 avril 1855, un nouveau crédit extraordinaire de 9,400,000 fr. fut postule par l'honorable général Greindl, pour compléter les travaux commencés à la défense d'Anvers : « Il fallait mettre, disait-il, les ouvrages du camp retranché en rapport avec l'importance de leur destination, ajouter aux défenses de l'Escaut des batteries nouvelles, relever le fort Philippe et augmenter la valeur des forts de Lillo et de Sainte-Marie. »
L'honorable ministre déclarait à la fin de l'exposé des motifs du projet de loi « qu'il avait lieu d'espérer que ce nouveau sacrifice demandé au pays, dans l'intérêt de sa propre conservation, permettrait de terminer l'œuvre de noble et chaleureux patriotisme qui avait été inspirée à ses prédécesseurs. »
Malgré l’invocation de ce noble et chaleureux patriotisme, la section centrale, par l’organe de l'honorable M. Coomans, proposa l'ajournement de la partie du crédit affectée au complément du camp retranché devant Anvers, et n'accorda que l’allocation des sommes demandées pour l'artillerie et les fortifications de l'Escaut, se montant ensemble à 3,960,000 fr. ; l’ajournement de la partie de crédit destinée au complément du camp retranche d'Anvers (à 440,000 fr.) fut particulièrement motivé sur ce que les Chambres législatives n’avaient pas été appelées à apprécier d'une manière certaine le nouveau système de défense à établir à Anvers, sous le rapport de sa portée financière ; que ce système était de nature à modifier considérablement notre système militaire. »
C'est alors que, par trois réclamations élevées par notre métropole commerciale, l'on commença à solliciter le déplacement des remparts du côté du Nord afin d’y créer de nouveaux bassins et d’y ménager de l'espace pour les habitations privées ; l’on demandait pareillement la suppression de la batterie projetée à la place Sainte-Walburge, et la diminution des servitudes militaires qui pèsent si lourdement sur la population des importants faubourgs de Borgerhout et de Berchem.
De là est résultée la question de l'agrandissement de la ville d'Anvers, qui, aujourd’hui, a pris une si grande proportion, puisqu’il s'agirait, d’après les nombreuses réclamations de la commission de la cinquième section et des faubourgs de cette ville, de porter les limites d’Anvers à environ six fois la valeur de l'étendue actuelle.
En 1855, le ministère d’alors déclarait « qu'il ne s'opposait pas au projet d'agrandir la ville du côté nord, par le déplacement des fortifications actuelles, pourvu qu'aucune charge n'en résultât pour le trésor ; » cet agrandissement n'était alors évalué qu'à 60 hectares environ.
A la séance du 22 février 1856, la gouvernement présenta un nouveau projet de loi allouant un crédit de 8,900 000 francs, pour l'achèvement du camp retranché sous Anvers, de manière à combiner les intérêts militaires avec ceux de cette ville, et sous ce dernier rapport, un crédit de 8,029,000 francs fut demandé à la séance du 4 avril 1856 pour l’agrandissement d'Anvers vers le nord.
La section centrale, chargée d'examiner ces projets de loi, dans son rapport du 17 mai 1856, avait demandé que les détails d'une grande enceinte fussent établis sans exagération, et qu'il paraîtrait désirable qu'une étude simultanée de cette enceinte et des forts fût faite en considérant ces objets comme ne formant qu'une seule et même combinaison.
Par une note explicative du département de la guerre, en date du 21 avril 1857, il fut répondu à cette demande de la section centrale, dont le rapport ne fut pas discuté ; la Chambre s'était ajournée le 22 mai 1856, ne croyant pas devoir entamer la discussion d'une question si importante, touchant à de si grands intérêts, au moment de sa séparation ; toutefois, d'après ce rapport, il n'était ouvert au département de la guerre, 1° qu'un crédit extraordinaire de 3,000,000 de fr., pour la construction de nouvelles fortifications projetées au nord d'Anvers ;
2° Un crédit de 1,260,006 francs, pour la transformation du fort détaché n°2 ;
Et 3° un crédit de 100,000 francs pour commencer la démolition des fortifications de Mons.
D'après la cote explicative précitée du département de la guerre, l'estimation des dépenses nécessaires pour réaliser le grand agrandissement, étudié en 1856-1857, s'élevait à environ fr. 45,000,000, dont (a) 34,190,089 fr. 80 pour l’enceinte et (b) 10,809,910 fr. 30 pour le camp retranché.
Les valeurs à recouvrer, par suite des terrains militaires disponibles aptes l'agrandissement général, étaient estimées à la somme de 19,000,000 fr.
En défalquant cette somme du chiffre (a) ci-dessus, il se réduirait, pour l'enceinte, à 14,590,089 fr. 80 et pour (b), camp retranché, à 10,809,910 fr. 20/
La dépense totale et réelle serait de 25,400,000 fr.
Voilà, messieurs, l’historique, que je crois exact, des différentes phases qu'a parcourues jusqu’ici, la question du système défensif à établir à Anvers. Si dès le principe elle avait été plus mûrement étudiée sous les différents rapports, tant de la meilleure et plus économique défense nationale, que sous celui de son influence future, sur les modifications à apporter à l'organisation actuelle de l’armée, créée, pour un tout autre système défensif, ainsi que sous le rapport des intérêts du trésor publie, de l'avenir de notre métropole commerciale, et de la neutralité du pays, il est probable que l’on n'aurait pas dépensé alors, des sommes assez considérables, en partie en pure perte, pour la construction de ces quelques petits forts détachés qui paraissent maintenant comme des sentinelles perdues, en arrière de la première ligne défensive, à créer, semblent se cacher de crainte de se trouver en face de l’ennemi, et, que, néanmoins, l'on veut conserver, pour ne pas trop froisser certain amour-propre.
Si l'Etat, dans l'intérêt d'une meilleure et plus sûre défense nationale, doit s'imposer de nouveaux sacrifices ; s'il est démontré que le nouveau système, présenté par le gouvernement, donne à la nation toute la garantie, en cas de guerre, de pouvoir, immédiatement, concentrer la plus forte partie de l'armée dans un grand camp retranché, solidement fortifié, et d'y défendre plutôt avec succès et énergie le drapeau national, qu'en maintenant notre ancien système défensif de forteresses disséminées sur les divers points du pays, avec une force militaire trop faible pour les défendre à outrance, et pouvoir mettre en même temps en campagne une armée solidement constituée, je crois, qu’il est de l'obligation de tout mandataire de la nation, sincèrement attaché à la défense de sa nationalité et à la dynastie que le pays a heureusement choisie de consentir, sous certaines conditions toutefois, aux sacrifices demandés pour l’établissement de cette place de guerre, le boulevard de notre défense nationale.
Mais si nous consentons à imposer des charges considérables au trésor de l’Etat, pour établir, sur une grande échelle, notre nouveau système de défense, nous avons aussi le droit de réclamer, par après, une diminution assez notable dans les dépenses ordinaires et extraordinaires du département de la guerre qui, depuis les dix dernières années, ont été anomales et trop élevées pour les ressources ordinaires.
Lors de la discussion du budget de la guerre de l’année courante, je crois avoir démontré que, depuis 1851 inclus 1858, le budget ordinaire avait été porté, en moyenne, a près de 35,000,000 de francs, sans y comprendre les pensions militaires, se montant pour 1859 à 3,384,000 francs, les dépenses extraordinaires depuis 1848 jusqu’en 1858 de 31,585,386, ce qui fait pendant ces dix années en moyenne une augmentation annuelle de plus de 3,150,000 fr. de dépenses extraordinaires, de sorte que le département de la guerre aura dépensé chaque année, pendant le terme ci-dessus indiqué, plus de 4l,000,000 de francs.
Cet état anomal de choses, cette exagération des dépenses de l’Etat pour un seul service public, a aussi ses dangers qu'il faut ramener a de justes limites, si l'on veut éviter de recourir à de nouvelles charges pour les contribuables ; aussi, depuis plusieurs années, d'honorables (page 1288) collègues, ayant plus spécialement des connaissances militaires, n'ont cessé de réclamer avec moi des modifications essentielles à l'organisation actuelle de l’armée, créée pour une toute autre défense nationale, dont le système primitif va être changé pour la concentration de la plus grande partie de l’armée dans le grand camp retranché à établir à Anvers, il faut, nécessairement, que l’organisation de l’armée soit mise en rapport avec le nouveau moyen de défense puisqu'il ne s’agirait plus probablement, comme auparavant, de pouvoir mettre un armée active en campagne et d’avoir, en outre, un corps d’une certaine importance pour la bonne défense de nos trop nombreuses forteresses, dont quelques-unes doivent encore être démantelées.
Si nous consentions donc à des sacrifices considérables, pour le nouveau système défensif à établir, nous devons aussi obtenir l'assurance du gouvernement, que dans l'organisation et l'administration de l'armée, l'on tâchera d'introduire, dans le futur, des économies assez notables pour pouvoir solder les intérêts et l’amortissement des capitaux nécessaires aux fortifications, à l’armement et à l’agrandissement éventuel d’Anvers ; je ne crois pas que l’on puisse soutenir avec quelque raison qu’il faille encore augmenter notre force militaire permanente, lorsqu’il s’agit au contraire de concentrer notre défense nationale dans une grande place de guerre ; il faudrait plutôt la restreindre ; car nous ne pouvons admettre, par après, aucune augmentation de contributions qui surtout tendent à s'accroître par les charges provinciales et communales ; nous ne cessons de réclamer, au contraire, depuis plusieurs années, une meilleure, une plus équitable répartition des charges publiques.
A en juger par la réponse faite par le gouvernement à la section centrale, il paraîtrait « que l'organisation de l'armée ne peut être mise en question à propos de travaux des défenses projetés à Anvers et que le budget de la guerre doit continuer à être établi, sur des bases déterminées par la loi. »
Ainsi, d’après le gouvernement, bien que l'on change essentiellement le système primitif de la défense nationale, que l'on cherche à grands frais à établir la grande place de guerre à Anvers, il faudra néanmoins maintenir constamment une armée active bien constituée, à laquelle on confierait la défense du pays, et qui aurait les points fortifiés pour pivot et soutiens.
Mais pour que cette armée active puisse rendre des services réels, il faudrait nécessairement que sa réserve fût plus solidement organisée qu'elle ne l'est actuellement ; il faudrait donc encore augmenter les dépenses ordinaires de la guerre.
Déjà, à plusieurs reprises, l’on a démontré à satiété dans cette enceinte que la réserve n'existait que sur le papier, qu’il y aurait la plus grande difficulté d'en former les cadres complet au moment du danger, surtout si la Belgique était subitement attaquée.
Or, comme il est probable que la neutralité de notre pays ne peut plus être mise en question que par une puissance beaucoup plus forte que nous, que nous n'avons rien à craindre d'une puissance moindre, serait-il donc nécessaire que nous dussions constamment maintenir une force militaire active hors de proportion de nos ressources ordinaires pour pouvoir résister par nos propres moyens à l'attaque d'une armée beaucoup plus considérable et peut-être mieux aguerrie que la nôtre ?
Sous ce rapport, je crois sincèrement qu'il y a impossibilité d'exiger d'un petit pays comme la Belgique qu'elle maintienne une année active permanente et assez nombreuse pour pouvoir, avec avantage, repousser l'attaque d'une armée beaucoup supérieure en force, dirigée contre elle par une puissance d'un premier ordre ; qu'il serait plus prudent de ne pas exposer notre armée active à être écrasée, sans lutte honorable possible, par des forces militaires de beaucoup supérieures et que notre défense nationale à outrance devrait se concentrer dans la défense de la grande place de guerre, appuyée sur quelques forteresses, dont le maintien aurait été reconnu indispensable.
L’extension que l’on veut donner à la grande place de guerre à établir, semble même militer pour que toutes les forces nationales soient plutôt employées à concourir à cette défense, qu’à être disséminée sur les divers autres points de notre territoire, ce qui pourrait compromettre la bonne énergique résistance que nous devons opposer à l’invasion de l’étranger, et que nous ne pouvons exécuter qu’en concentrant, autant que possible, nos moyens de défense ; car maintenir, en même temps, une forte armée active toujours prête à entrer en campagne, et une autre pour soutenir et défendre la grande place de guerre et d’autres forteresses, cela n’est guère possible à moins d’imposer de nouvelles charges au pays, dont la grande majorité de la nation ne veut plus d’augmentation.
Si cette grande place de guerre, pour la meilleure défense nationale, pouvait être établie à Bruxelles, la capitale du royaume, je crois, avec d’honorables collègues qui ont émis cette opinion dans les sections, que dans un véritable intérêt national et politique, il eût mieux valu fortifier cette position, dans le centre du pays ; cette situation centrale eût mieux satisfait à notre état de neutralité envers les autres puissances, et à toutes les éventualités qu'elle pourrait occasionner ; d’ailleurs, dans la capitale, siègent le gouvernement et tous les grands corps de l’Etat ; c’est toujours une impression fâcheuse, qui pourrait porter plus ou moins atteinte à l’honneur national, que devoir, en cas de guerre, transférer le gouvernement et les hautes administrations du pays dans une ville située à l'extrême frontière, sans avoir, auparavant, couru les chances des combats ; mais comme il serait fort difficile de fortifier solidement Bruxelles, qui n’a pas de moyens naturels de défense, sans devoir faire des dépenses trop considérables pour les ressources du pays, il faudra bien se résigner à choisir la ville d’Anvers qui, par sa position sur l’Escaut, par la facilité d’y construire des moyens de défense appropriés aux moyens naturels d’inondation, paraît présenter beaucoup moins de difficulté pour y créer le grand camp retranché, fortifié par de solides citadelles qui y offriront une plus grande garantie contre les attaques du dehors.
Si la ville d'Anvers doit subir le triste sort d'être, un jour, le boulevard de notre défende nationale, en cas que notre nationalité soit mise en péril, par l'attaque d’une puissance beaucoup plus forte que nous, il faut, autant que possible, concilier les intérêts de cette ville, notre métropole commerciale, avec ceux d’une bonne défense armée à y établir, et lui accorder l'agrandissement général demandé, de manière que cette ville, et sa nombreuse population extra-muros, puissent être mises à l’abri d'un bombardement désastreux ; déjà, par ceux de 1830, elle a dû subir des pertes assez notables, pour qu'il soit de notre devoir de prendre en sérieuse considération la demande de l'agrandissement général, et d'y faire droit, s'il y a possibilité.
En admettant, dans le projet de loi, le principe de l'agrandissement général, le gouvernement pourrait être autorisé, soit à négocier avec une société particulière pour l’exécution des travaux de défense et d'agrandissement, sous certaines conditions à déterminer, toutefois, pas trop onéreuses pour le pays, soit à faire un arrangement direct avec la ville d’Anvers, pour sa part de concours pécuniaire, que l'on semblait reconnaître formellement en 1854, l'agrandissement général n'étant considère que comme un intérêt local, n'ayant pas un rapport direct avec le système défensif ; car l'agrandissement au nord, adopté en principe, en 1854, par la régence de cette ville, donnait réellement satisfaction au commerce, et paraissait seul alors d'un intérêt général, pour que l'Etat doive y intervenir directement.
Aussi, nous voyons, actuellement, qu’à Lille, en France, où il s'agit de déplacer les fortifications pour agrandir et donner plus d’espace à cette ville, qu'elle doit intervenir pour une somme assez importante, payable en plusieurs années, eu recevant en échange les terrains délaissés par les fortifications démolies.
D'après les diverses considérations que j'ai cru devoir émettre sur cette grave question du système défensif à établir à Anvers, je crois qu'il y aurait utilité d'inscrire dans la loi actuelle en discussion le principe de l’agrandissement général de la ville d’Anvers, tel qu’il est demandé par le conseil communal de cette ville et par la commission de la cinquième section, en donnant l’autorisation au gouvernement, conformément à la proposition faite par le ministère précédent, dans le projet de loi du 4 avril 1856, de conclure des arrangements avantageux au trésor, pour l’exécution des travaux de l’agrandissement général de la ville d’Anvers, et pour la continuation des travaux de la défense, sous la réserve ultérieure de la législature, en ce qui concerne les terrains et autres propriétés à céder en échange des travaux ci-dessus mentionnes et, sauf, le cas échéant, 1'intervention financière de la ville d’Anvers, pour ce qui a rapport à l'agrandissement général.
Cette autorisation conserve au gouvernement toute sa liberté d'action, et témoigne d’un autre côté, à la ville d’Anvers, que la Chambre veut, autant que possible, concilier des intérêts respectables qui paraissent actuellement ne pouvoir se mettre d’accord avec la proposition partielle du gouvernement.
J’ai l’honneur de proposer à la chambre d’ajouter au paragraphe premier l’amendement suivant :
« Dans le cas où le gouvernement recevrait des offres avantageuses au trésor pour l’exécution de l’agrandissement général de la ville d’Anvers, et pour la continuation de travaux de défense, il est autorisé à conclure des arrangements dans ce sens, sauf la réserve de l’approbation ultérieure de la législature, en ce qui concerne les terrains ou autres propriétés, à céder en échange des travaux ci-dessus mentionnés et sauf, le cas échéant, l’intervention financière de la ville d’Anvers, en ec qui a rapport à l’agrandissement général. »
- L'amendement de M. de Renesse est appuyé, et fera partie de la discussion.
M. Thiéfry commence un discours qu'il continuera dans la séance de demain et que nous reproduirons en entier dans le compte rendu de cette séance.
- La séance est levée à cinq heures.