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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 27 avril 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858

(page 841) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Crombez fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des propriétaires et habitants à Peer, Houthaelen et Genck demandent la continuation de la route de Hamont à Peer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des propriétaires, industriels et négociants à Charleroi présentent des observations contre la réduction partielle des péages sur le canal de Charleroi à Bruxelles, demandent que la taxe soit fixée à 1 fr. par tonne de charbon transportée entre ces deux villes et déclarent que si le taux des péages de ce canal était mis en rapport avec ceux des canaux de Mons à Condé et de Pommerœul à Antoing, rien ne s'opposerait, selon eux, à ce que la perception de ces péages eût lieu à raison des distances et par tonne-lieue. »

M. J. Jouret. - Nous demandons que cette pétition soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi que j'ai eu l'honneur de proposer avec plusieurs de mes collègues relativement aux péages sur le canal de Charleroi.

- Cette proposition est adoptée.


M. le ministre de la guerre transmet des explications sur la pétition du lieutenant général honoraire Borremans qui demande la révision de sa pension.

- Dépôt au bureau des renseignements.

Projets de loi de naturalisation ordinaire

Vote sur l’ensemble des projets

M. le président. - L'ordre du jour appelle le vote par appel nominal sur l'ensemble des vingt-cinq projets de loi de naturalisation ordinaire adoptés hier par assis et levé.

- Il est procédé à l'appel nominal qui donne les résultats suivants :

Nombre des votants, 69 ;

Pour les projets, 68 ;

Contre les projets, 1.

En conséquence, les projets sont adoptes ; ils seront transmis au Sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Frison, Godin, Grosfils, Janssens, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, J. Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Magherman, Manilius, Mascart, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, Rogier, Sabatier, Savart, Tack, Thiéfry, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom. E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Stichelen, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Wala, Allard, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Boe, H. de Brouckere, Dechentinnes, de Haerne, de la Coste, Deliége, de Luesemans, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Paul, de Perceval, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, Devaux, de Vrière, H. Dumortier, Frère-Orban et Verhaegen.

A voté le rejet : M. B. Dumortier.

Projet de loi relatif aux conseils de prud’hommes

Rapport complémentaire de la section centrale

M. Vander Stichelen. - Messieurs, conformément aux observations que j'ai eu l'honneur de présenter à la séance d'hier, je viens vous faire, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les conseils de prud'hommes, rapport sur quelques légers changements qu'elle propose encore d'apporter au projet.

J'ai dit que, suivant une modification arrêtée par la section centrale, le président serait nommé par arrêté royal non plus directement, comme le proposait le projet de loi, mais sur une liste de candidats à présenter par le conseil de prud'hommes.

Aujourd’hui, le conseil de prud'hommes choisit directement son président, D'après le projet du gouvernement, celui-ci aurait nommé directement le président, c’est-à-dire que ces deux systèmes se trouvaient à l'extrême opposé l'un de l'autre.

D'après sa modification qui nous a été soumise hier, la section centrale s'est arrêtée à une espèce de système de transaction : le gouvernement resterait investi du droit de nommer le président, mais sur une liste double de candidats à présenter par le conseil de prud'hommes. Rien n'avait été statué quant au vice-président.

La section centrale propose, quant à ce dernier, le même système que pour le président. Voici la rédaction qu'elle a formulé :

« Le président et le vice-président du conseil de prud'hommes sont nommés par arrêté royal, sur une liste double de candidats pris au sein ou en dehors du conseil. La durée de leurs fonctions est de trois ans. Ils peuvent être nommés de nouveau. »

Cette modification du projet du gouvernement tentant à attribuer aux conseils de prud’hommes le droit de présenter des candidats en dehors du conseil et au gouvernement le droit de les nommer, cette modification en nécessite une à l'article 3. Cet article est ainsi conçu :

« Les conseils de prud'hommes sont composés de six membres au moins et de seize au plus, choisis moitié parmi les chefs d'industrie et moitié parmi les ouvriers. »

Il est évident, messieurs, que dès l'instant qu'on admet que le président et même le vice-président peuvent être nommés en dehors du conseil, il arrivera que le conseil comprendra plus de membres que ne le porte l'article 3. Cet article doit donc être modifié, et la section centrale propose de le rédiger comme suit :

« Les conseils de prud'hommes sont composés, non compris le président et le vice-président, s'ils sont nommés en dehors du conseil, de six membres, etc. »


Les articles 27 et 28 s'occupent de la nomination et des attributions do greffier et du commis greffier.

L'article 27 stipule d'abord qu'un greffier sera nommé ; il dit ensuite qu'un commis greffier peut être nommé. L'article 28 dispose que le greffier et le commis greffier sont nommés par arrêté royal, l'un et l'autre sur une liste de candidats. Il a paru plus simple à la section centrale et plus conforme à ce qui se passe pour une juridiction qui a beaucoup de rapports avec les conseils de prud'hommes, la juridiction des justices de paix, il a, dis-je, paru plus simple à la section centrale de ne laisser subsister la nomination par le gouvernement que pour le greffier et d'ajouter que s'il est besoin d'un commis greffier, on agira comme on agit en matière de justice de paix, c'est-à dire qu'un commis greffier sera assumé. Ainsi, pour celui-ci, la nomination par le gouvernement est écartée.

Dans ce système, messieurs, les articles 27 et 28 viennent nécessairement se fondre en un seul, et voici la rédaction proposée par la section centrale pour ces deux articles réunis :

« Un greffier est attaché à chaque conseil de prud'hommes. Il est nommé par arrêté royal sur la présentation d'une liste double de candidats, dressée par le conseil de prud'hommes.

« En cas d'empêchement du greffier, le conseil de prud'hommes assume un commis greffier. »

Ensuite, messieurs, à l'article 29 il faut effacer le mot « commis greffier. » L'article serait ainsi conçu :

« Le greffier, avant d'entrer en fonctions, prête entre les mains du président du conseil, le serment prescrit par l'article 21 ci-dessus. »


L'article 35 du projet du gouvernement qui parle de la compétence des conseils de prud'hommes, présente une lacune importante, que le projet du gouvernement et le projet de la section centrale ont laissée subsister ; ni l'un ni l'autre de ces projets ne fixent la compétence quant au lieu, pour le cas où le fabricant et l'ouvrier résideraient dans des lieux différents.

Ainsi il se peut, et cela se pratique même journellement sur une très grande échelle, dans un établissement de Bruxelles, qu'on emploie des ouvriers dans une localité éloignée, dans une autre province peut-être. La question est de savoir comment, dans ce cas, la compétence, quant au lieu, sera établie. A cet égard, encore une fois, le projet de loi présentait une lacune importante. Voici la manière dont, d'accord avec le gouvernement, la section centrale propose de combler cette lacune :

« La compétence, quant au lieu, est fixée par la situation de la fabrique et, pour les ouvriers travaillant à domicile, par l'endroit où ils exercent leur industrie ou leur métier. »


Enfin rien n'est dit dans la loi quant aux jugements par défaut. La section centrale vous propose donc de reproduite l'article 15 de la loi française de 1855, article qui est ainsi conçu :

« Les jugements par défaut qui n'ont pas été exécutés dans le délai de six mois, sont réputés non avenus. »

Telles sont les modifications que je viens soumettre à la Chambre au nom de la section centrale. Je pense que ce seront les dernières.

Discussion générale

M. H. de Brouckere. - D'après le rapport que vient de faire l'honorable M. Vander Stichelen, la section centrale est d'accord avec le gouvernement pour que la présidence du conseil de prud’hommes puisse être déférée par arrêté royal, soit à un membre du conseil, soit à une personne prise en dehors, sur sa présentation.

J'avais demandé que la présidence fût nécessairement conférée au juge de paix ; je suis assez disposé à me rallier à la proposition de la section centrale, parce que, de cette manière, ceux qui préféreront avoir un prud'homme pour président, auront un prud'homme, tandis que dans les localités où l'on préférera le juge de paix, le gouvernement pourra nommer ce magistrat.

(page 842) Mais je n'ai pas entendu qu'il résulte du rapport de l'honorable M. Vander Stichelen qu'on impose au conseil de prud'hommes l'obligation de ne siéger qu'autant que, non compris le président, il y ait un nombre égal d'ouvriers et de patrons. Or, je maintiens cette partie de ma proposition, et j'ai fait une autre rédaction de l'article 33 ; je développerai cet amendement lorsqu'on en viendra à l'article même. Cette disposition est textuellement copiée de la loi française.

M. le président. - C'est une question que la section centrale se propose d'examiner demain.

M. H. de Brouckere. - Mon amendement vient dès lors à propos. Je prie M. le président de vouloir bien en donner lecture et je propose à la Chambre de le renvoyer à la section centrale.

M. le président. - Voici l’amendement présenté par M. H. de Brouckere :

« Art. 95. Le conseil est composé, indépendamment du président ou du vice-président, d'un nombre égal de prud'hommes patrons et de prud'hommes ouvriers. Ce nombre est au moins de deux prud'hommes patrons et de deux prud'hommes ouvriers, quel que soit celui des membres dont se compose le conseil. »

- Le renvoi de l'amendement à la section centrale est ordonné.

Discussion des articles

Titre premier. De l’institution et de l’organisation des conseils de prud’hommes

Chapitre premier. De l’établissements des conseils de prud’hommes

 

Article premier

« Art. 1er. Les conseils de prud'hommes sont institués dans le but de vider par voie de conciliation, ou, à défaut de conciliation, par voie de jugement, les différends qui s'élèvent, soit entre les chefs d'industrie et les ouvriers, soit entre les ouvriers eux-mêmes, dans les limites et selon les modes tracés par la présente loi.

« Ils exercent, en outre, certaines attributions qui leur sont spécialement conférées par la loi. »

M. le président. - Il y avait une proposition de M. Van Overloop, demandant la suppression de cet article. Mais au sein de la section centrale il a renoncé à cette proposition

Il ne reste plus que l'article proposé par le gouvernement et adopté par la section centrale.

M. Savart. - J'ai demandé la parole, non pour critiquer la disposition dont on vient de vous donner lecture, bien qu'on puisse dire que c'est plutôt un exposé de l'objet qu'un article de la loi ; j'ai demandé la parole pour faire remarquer que non seulement non s’en est bien trouvé chez nous, mais chez nos voisins, de l'institution des prud'hommes. En Prusse, où l'on n'aimait pas les institutions françaises, on a conservé les conseils de prud'hommes qui avaient été établis dans une dizaine de villes par décrets impériaux en 1811.

Le roi Frédéric les a de nouveau conservés par une loi de 1846. En France, 74 conseils fonctionnent. De 1830 à 1842 ils ont eu 184, 514 affaires portées devant eux, ni dans ce grand nombre d'affaires, 5,178 seulement ont fait l'objet d’un jugement ; de manière qu'ils ont eu là un résultat plus favorable encore qu'en Belgique.

Près de 97 1/2 p. c. des affaires ont été conciliées. Je dois ajouter qu'en moyenne toutes ces affaires n'ont coûté que 30 centimes de frais, de sorte que le but a été parfaitement atteint, à savoir de rendre la justice à bref délai et à peu de frais.

Je crois que ces chiffres parlent si haut, qu'en leur présence il ne peut plus y avoir en principe d'ennemis de l'institution. Ces chiffres contribueront à convertir M. Julliot lui-même, si toutefois il peut être converti.

M. Manilius. - Messieurs, avant d'entrer plus avant dans la discussion des articles de la loi, je tiens à constater que je suis également ami de l’institution des conseils de prud'hommes. Je crois qu'avec les modifications introduites dans le projet, il sortira de concert avec l'esprit public compétent qui ne l'avait pas bien accueilli d'abord.

Je commencerai donc par voter pour l'article premier. Si j'ai saisi cette occasion de prendre la parole, c'est pour recommander au ministère et particulièrement au ministre de l'intérieur qui déjà a donné des preuves de son bon vouloir à s'occuper de cette classe intéressante de la société, la classe ouvrière, de continuer à le faire avec le même zèle et à fixer son attention sur la nécessité d'instruire la jeune génération ouvrière qui doit nécessairement -dans un temps donné contribuer pour une part à l'exécution de la loi.

Il est certain que, pour avoir des conseils de prud'hommes ouvriers, vous devez former des hommes qui sachent comprendre la loi, outre les us et coutumes qu'ils apprennent par la pratique.

Je crois pouvoir borner là mes observations et mes recommandations, parce que je suis convaincu que le gouvernement les comprend. C'est de l'instruction des ouvriers qua dépendront le succès, la durabilité de la loi que nous faisons maintenant.

M. Muller. - Je tiens seulement, messieurs, à vous soumettre une observation ; c'est qu'il doit être entendu que le second paragraphe de l’article premier que nous discutons en ce moment ne doit pas entraîner l'adoption de l'article 37. Cet article, étend la juridiction des conseils de prud'hommes, d'une manière extrêmement large, et si cet article n'était pas adopté par l'assemblée, il en résulterait que le second paragraphe de l’article premier n'aurait plus de raison d’être. Je crois donc qu'on devrait tenir le second paragraphe en suspens jusqu'après le vote de l'article 37.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - C’est, je pense, une erreur de croire que le rejet de l'article 37 dût motiver la suppression du second paragraphe de l’article premier. En effet, les conseils de prud'hommes ont des attributions spéciales en ce qui concerne les mesures conservatoires de la propriété industrielle ; l'article 37 a trait à un ordre d’idées tout différent et ne devrait, par conséquent, pas entraîner la suppression du paragraphe 2 de l’article premier s'il n'était pas adopté lui-même.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je crois avec d'honorables préopinants, que la loi, telle qu'elle se présente aujourd'hui aux délibérations de la Chambre, ne peut plus y rencontrer d'opposition. Mais je pense aussi que le projet n'en a pas été vu avec déplaisir par l'opinion publique, comme l'a dit l'honorable représentant de Gan 1.

Je crois au contraire que le projet a été accueilli avec faveur ; et j'en ai même une preuve en quelque sorte matérielle : c'est que, depuis la présentation du projet et avant même les modifierions qu’il a subies, plusieurs localités sont en instance près du gouvernement pour obtenir l'établissements de conseils de prud'hommes, dans les conditions où ces conseils devaient être organisés d'après le projet de loi. Ce fait seul prouve suffisamment que l’honorable député de Gand se trompe quant à l’accueil qu’a reçu le projet de loi.

M. Manilius. - J'ai entendu parler de l'opinion publique compétente.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C’est donc l’opinion des patrons et des ouvriers. En bien, je crois que cette opinion aussi a reçu le projet avec faveur. Au surplus, le projet de loi sera amélioré par la discussion. Nous ne mettons aucun amour-propre à maintenir nos propositions quand elles sont susceptibles d'amélioration, nous nous sommes déjà mis d'accord avec la section centrale pour y apporter diverses modifications et c'est encore ainsi que nous comptons agir dans la suite de la discussion.

Sous ce rapport je pense que nos discussions ne pourront que gagner en rapidité lorsqu'elles ne porteront que sur des articles arrêtés, rédigés de commun accord entre la section centrale, le gouvernement et les auteurs des amendements eux-mêmes. La section centrale a, sous ce rapport, travaillé avec le plus grand zèle, et son rapporteur, je pense, a droit aux remerciements particuliers de la Chambre, et, dans tous les cas, il a droit aux remerciements particuliers du ministre.

Messieurs, ce n'est pas parce que l'institution existe dans d'autres pays que nous devons l'introduire chez nous. L'institution est ancienne dans le pays ; elle remonte à des siècles antérieurs. Notre pays s'est à toutes les époques distingué par les institutions où l'ouvrier, le travailleur jouait un rôle important et avait certaines garanties qu'il n'obtenait pas dans d'autres pays.

Ainsi on peut dire que l'institution des prud'hommes est une institution toute nationale et particulière à la Belgique. Il a été fait allusion à l’existence de cette institution dans les siècles antérieurs. Il en a été dit quelques mots dans l’exposé des motifs. Je ne veux pas entrer ici dans des considérations historiques. Je me borne à rappeler ce fait.

L’honorable représentant de Gand a soulevé à cette occasion une question du plus haut intérêt. Il a eu, bon et fidèle représentant d’un ville industrielle, appelé l’attention du pouvoir sur la situation des enfants et des jeunes gens attachés aux manufactures.

Il a exprimé le vœu que des mesures fussent prises pour tâcher de répandre l'instruction autant que possible parmi ces classes qui en sont déshéritées. Il a pris pour point de départ de ses observations le projet actuel, et avec raison, car ce projet a pour but et aura pour effet de relever l'ouvrier à ses propres yeux, de l'investie de la qualité de juge, de juré, de le faire siéger côte à côte sur un pied d'égalité avec les patrons, de l'appeler à désigner les juges qui doivent décider de ses contestations avec ses maîtres. Il y a, messieurs, dans cette institution non seulement des résultats utiles pour la solution de ces difficultés qui s’élèvent entre les maîtres et les ouvriers, mais il y a aussi des conséquences morales du plus haut intérêt en ce qu'elle relève l'ouvrier à ses propres yeux.

Elle lui donne des attributions qui le placent dans certains moments, à la hauteur du patron ; tout en conservant les distances qui toujours existeront entre celui qui travaille et, celui qui paie le travail. Mais enfin cette institution a pour résultat moral de relever l'ouvrier, à ses propres yeux, de le moraliser.

Eh bien, pour que l'ouvrier soit digne de cette position que la loi lui attribue, il faut qu'il soit éclairé ; il faut qu'il sache au moins lire et écrire, et c'est une des conditions aussi que la loi renferme. Mais pour que l'ouvrier puisse lire et écrire, il faut aussi qu'en bonne justice on lui en facilite les moyens.

Or, il va de soi que si un jeune enfant entre dans les fabriques, dès l'âge de 8 ou 9 ans. et que toute la journée il est occupé au travail, il ne lui reste plus aucun moment pour s’initier à ces connaissances élémentaires que je voudrais voir répandre dans tout le pays et dont je voudrais voir doté le moindre des citoyens.

Reste le côté pratique de la question. Comment amener cette obligation, pour le fabricant, d’envoyer les enfants à l’école ? Cette obligation a été imposée aux fabricants en France ; ils doivent, aux termes de la loi, envoyer leurs enfants à l'école. Le système administratif de la France comporte des inspecteurs. Ces inspecteurs se rendent de temps à autre dans les fabriques ; ils constatent si les enfants vont à l'école ; ils arrivent à des heures désignées pour l'école, et si les enfants sont au métier, ils dressent des procès-verbaux et poursuivent les fabricants devant les juges de paix.

Je ne sais pas si une pareille législation pourrait être introduite en (page 845) Belgique. Je ne sais pas si la liberté constitutionnelle, si la liberté individuelle comporterait une loi de cette rigidité. Je ne le décide pas, quant à moi ; je veux seulement dire que je fais des vœux avec l'honorable membre, et que dans la mesure de ce qui est légalement constitutionnellement, administrativement possible, je ferai mes efforts pour répandre de plus en plus dans les classes populaires les moyens de s'instruire.

Le. projet n'étant d'ailleurs attaqué en aucune manière dans ses dispositions essentielles, ces dispositions essentielles ayant été maintenues par la section centrale, toutes les modifications introduites ayant été consenties par le gouvernement et par la section centrale et rédigées d« commun accord, un très grand nombre de séances ayant déjà été consacrées au développement des amendements et à la discussion générale, j'ose espérer que nos discussions vont maintenant marcher d'un pas un peu plus rapide et que nous pourrons arriver bientôt à la fin de cette loi. Pourtant cela ne veut pas dire que je veuille exclure en aucune manière de nouveaux amendements, s'il en est d'utiles qui doivent surgir. J'engage seulement les honorables collègues à en être aussi sobres que possible.

- La discussion est close.

L'article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

M. le président. - L'article 2 était primitivement ainsi conçu :

« Art. 2. Un conseil de prud'hommes peut être établi, par arrêté royal, dans toute localité où cette institution est jugée nécessaire.

« L'arrêté détermine le nombre odes membres, la composition et le ressort du conseil.

« Seront entendues au préalable, la députation permanente du conseil de la province, l'administration de la commune, ainsi que la chambre de commerce de la circonscription où le conseil de prud'hommes doit être institué. »

La section centrale avait substitué au paragraphe 3 une rédaction nouvelle.

Des amendements ont été successivement proposés à cet article.

M. Muller a proposé tic remplacer le premier paragraphe de l'article 2 par le suivant :

« Tout conseil de prud'hommes doit être établi par une loi, qui détermine le nombre des membres, ta composition et le ressort des conseils. »

M. Van Overloop a proposé l'amendement suivant :

« Art. 2. § 1. Un conseil de prud'hommes peut être établi, par arrêté royal, dans les localités suivantes : (énumération des localités dans lesquelles le gouvernement croit utile d'établir des conseils).

« §2. L'arrêté détermine le nombre des membres, la juridiction et le ressort du conseil. »

§ 3. (Supprimé.)

Les auteurs de ces amendements se sont rendus au sein de la section centrale, ainsi que M. le ministre de l'intérieur. L'article 2 a été soumis à une longue discussion après laquelle la section centrale s'est mise d'accord avec le gouvernement pour adopter la disposition suivante :

« Aucun conseil de prud'hommes ne peut être établi qu'en vertu d'une loi.

« Un arrêté royal détermine le nombre des membres, la composition et le ressort de chaque conseil. Seront entendus, au préalable, la députation permanente du conseil provincial, la chambre de commerce de la circonscription où le conseil de prud'hommes doit être établi ainsi que le conseil communal du siège de l'institution. »

Cet article 2 doit trouver sou complément dans l'article 86 (disposition transitoire) :

« Sont maintenus et seront réorganisés, d'après les bases de la présente loi, les conseils de prud'hommes actuellement existants.

« Le gouvernement est autorisé, en se conformant au paragraphe 2 de l’article 2 ci-dessus, à instituer des conseils de prud'hommes dans les localités suivantes : Arlon, Bruxelles, Charleroi, Liège, Louvain, Mons, Namur, Ostende, Tournai, Eecloo et Verviers. »

Il entrera peut-être dans les intentions de la Chambre de soumettre à une seule et même discussion les deux articles dont je viens de donner lecture.

Il ne reste plus que cette rédaction à laquelle s'est rallié M. Van Overloop, auteur de l’amendement que j'ai fait connaître, il ne reste plus que cette rédaction et l'amendement de M. Muller.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande que la discussion se renferme dans l’article 2, et que nous discutions l'article final à sa place Il y a peut-être des localités à retrancher ou à ajouter ; je ne voudrais pas qu'on décidât cela maintenant.

M. le président. - Il y a dans l'article 86 deux dispositions ; la première est celle.ci :

« Sont maintenus et seront réorganisés d'après les bases de la présente loi, les conseils de prud'hommes actuellement existants. »

La section centrale avait pensé qu’il était convenable que la Chambre sût qu'il existait une disposition maintenant les conseils actuels.

Si maintenant on est d'accord, nous nous bornerons à l’article 2.

Sur l'article 2 i n'y a plus que deux systèmes : c'est le système du gouvernement et de la section centrale et le système de M. Muller.

M. de Muelenaere. - Messieurs, l'institution des conseils de prud'hommes a aussi toutes mes sympathies. Pendant ma carrière administrative, j'ai été en position de constater les excellents effets que cette institution peut produire ; mais il faut pour cela, messieurs, de la part des patrons surtout, un grand dévouement aux intérêts de la classe ouvrière. Il n'est pas aisé de se rendre compte de ce que les fonctions de prud’hommes ont de pénible et de tout ce qu'il faut de patience et de zèle persévérant, j'ose le dire, pour en bien remplir tous les devoirs.

Mais je désire qu'on ne se fasse point illusion ; il ne suffira pas d'une loi pour que cette institution s'acclimate partout avec succès. Cela dépendra nécessairement du genre d'industrie qu'on exerce dans la localité où il s'agira d'établir un conseil de prud'hommes. Cela dépendra aussi, en grande partie, des mœurs et des habitudes de la classe ouvrière.

Quoi qu'il en soit, messieurs, nous devons conserver aux conseils de prud'hommes le caractère, le rôle modeste et utile que le législateur de 1806 leur a assigné, et n'apporter, par la loi actuelle, que les modifications qui ont été reconnues indispensables. C'est à ce point de vue que nous devons nous placer pour examiner les divers articles de ce projet de loi.

Quant à l'article 2, messieurs, actuellement en discussion, comme nous l'a dit tout à l'heure notre honorable président, cet article a déjà subi plusieurs métamorphoses.

D'abord, messieurs, d'après l’article 2, paragraphe premier du projet du gouvernement, un conseil de prud'hommes pouvait être établi par arrêté royal dans toute localité ou son institution était jugée nécessaire par le gouvernement. D'après le paragraphe 2 du même article, l'arrêté royal déterminait le ressort du conseil. Cela était parfaitement logique : l'arrêté royal instituant un conseil, il était naturel qu'il en déterminât aussi le ressort.

La section centrale, dans son premier rapport, admettait ces deux paragraphes sans aucune espèce de restriction ; mais un honorable député de Liége nous a proposé, messieurs, de remplacer ces paragraphes par la rédaction suivante :

« Aucun conseil de prud'hommes ne peut être établi que par une loi qui en déterminera en même temps le ressort »

L'honorable député de Liège en faisant sa proposition obéissait, nous a-t-il dit, à un scrupule très respectable, à un scrupule constitutionnel. Je ne partage pas, messieurs, le scrupule de l'honorable M. Muller, mais je dois dire, cependant, que sa proposition était parfaitement logique.

Un députe de Bruxelles, l'honorable M. Ch. de Brouckere, par des considérations d'un autre ordre, par des considérations puisées dans l’intérêt commun, demandait également une loi pour l'institution d'un conseil de prud'hommes et il insistait particulièrement sur ce point que la loi devait fixer le ressort.

Dans une première réunion, la section centrale, par transaction, dit-elle, elle s'était ralliée à la proportion de l'honorable M. Muller ; mais dans une réunion suivante, elle est revenue sur sa résolution et elle a cru, dit-elle, devoir y apporter une légère modification. Or, messieurs, voici cette modification, c'est que l'arrêté royal, à l'avenir, déterminât le ressort et que ce ressort ne fût plus réservé à la loi.

Messieurs, je, doit le dire, je regrette cette modification de la section centrale.

A mon avis, elle est de nature à ne plaire à personne : je crois qu'elle ne contentera ni l'honorable M. Muller, ni l'honorable M. Ch. de Brouckere. Ceux qui veulent une loi pour l'établissement d’un conseil de prud'hommes doivent, me semble-t-il, exiger également une loi pour la fixation du ressort, car je ne comprendrais pas que, d'une part, on déterminât par la loi le siège où un conseil de prud'hommes peut être établi et que, d'autre part, on laissât au gouvernement le soin de fixer le ressort. La juridiction, c'est le ressort.

Mieux vaudrait-il en revenir tout simplement à la proposition primitive du gouvernement ; et, si l'on n'avait pas présenté d'amendement, j'aurais mieux aimé voter pour la proposition primitive du gouvernement que de donner ma voix à la proposition qui vous est soumise aujourd'hui.

Je puis avoir tort, mais il me semble que l'intérêt communal et surtout le respect pour les prérogatives communales, exigent que le ressort du conseil de prud'hommes soit fixé par la loi.

Suivant ce que nous a dit M. le ministre de l'intérieur dans une autre séance, je n'ai aucune inquiétude que le gouvernement veuille imposer à une ville, malgré elle, un conseil de prud’hommes ; mais je vous prierai de ne pas perdre de vue que les frais afférents à ces institutions vont être assez considérablement aggravés ; que, par conséquent, les villes, sièges d'un conseil de prud’hommes, auront intérêt à étendre la juridiction du ressort, parce que toutes les communes qui en font partie seront nécessairement appelées à supporter une quote-part de la dépense générale.

Eh bien, messieurs, ce que je redoute, c'est que le gouvernement, mal conseillé ou induit en erreur, n’englobe, dans un ressort, des communes qui n’ont aucun intérêt à la chose et qui n’auront pas été préalablement consultées. C’est pour donner à ces communes une certaine garantie que je voudrais que le ressort fût déterminé par la loi.

S’il y a des motifs graves qui s'opposent à ce que l'on adopte une pareille proposition, alors je demanderai qu'aucune commune ne puisse être comprise dans le ressort d’un conseil de prud’hommes, si ce n'est après avoir été préalablement entendue, et conformément à son avis.

(page 844) Evidemment, si des communes ont intérêt à avoir un conseil de prud’hommes elles ne reculeront pas devant cette dépense ; mais si elles n'y ont aucun intérêt, s'il ne s'exerce dans les limites de la localité aucune industrie pour laquelle un conseil de prud'hommes puisse être utile, vous ne pouvez pas imposer une pareille charge à ces communes.

Au surplus, la section centrale a changé d'avis sur cette question ; elle avait commencé par être entièrement d'accord avec l'honorable M. Muller et ce n'est que dans une réunion suivante qu'elle vous a proposé une modification que l'honorable rapporteur appelle légère, mais que je considère, pour ma part, comme assez importante.

Je prie l'honorable rapporteur de vouloir bien nous exposer les motifs pour lesquels la section centrale propose aujourd'hui à la Chambre d'abandonner à un arrêté royal la fixation des ressorts des conseils de prud'hommes ; je n'ai trouvé dans le rapport aucune espèce de raison ; je serais charmé de connaître ces considérations et de pouvoir les apprécier.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je demanderai la permission de dire pourquoi le gouvernement a changé d'opinion avec la section centrale, en ce qui concerne le mode de formation des conseils de prud'hommes.

Le gouvernement demandait à pouvoir établir les conseils de prud'hommes par arrêté royal ; je crois que cela est parfaitement constitutionnel. Un honorable membre, renouvelant les discussions qui ont eu lieu en 1842, et qui avaient abouti à faire consacrer le principe de l'institution des prud'hommes par arrêté royal ; un honorable membre, dis-je, renouvelant ces discussions, a soulevé la question constitutionnelle. Nous avons dit tout d'abord que dès que la question constitutionnelle était mise en jeu, il y avait lieu d'examiner.

En section centrale on a pensé que, quoique la proposition, autorisant le gouvernement à établir les conseils de prud'hommes par simple arrêté royal, fût parfaitement constitutionnelle, il était convenable, puisqu'il pouvait y avoir doute, de décréter qu'à l'avenir les conseils de prud'hommes devaient être établis par une loi.

Je n'éprouve aucune difficulté à dire que je me suis rallié à cette opinion conciliatrice, tout en conservant la conviction que constitutionnellement les conseils de prud'hommes peuvent être parfaitement organisés par arrêté royal, alors que la loi l'aurait ainsi décrété.

Maintenant faut-il, et vraiment je ne sais si la question mérite de bien longs développements ; faut-il que le ressort des conseils de prud'hommes soit fixé par la loi ou par arrêté royal ? Eh bien, je crois que le ressort peut être fixé par la loi ou par arrêté royal ; la Constitution est parfaitement hors de cause ici ; mais il y a des inconvénients pratiques à fixer le ressort par la loi ; il n'y en a aucun à le fixer par arrêté royal.

Comment les choses se passent-elles ? Les communes qui demandent l'établissement d'un conseil de prud'hommes disent au gouvernement : « Voilà quelles sont les communes qui devraient faire partie du ressort. » Quand le gouvernement s'est mis d'accord avec les communes intéressées, avec la députation, avec la chambre de commerce, avec le conseil communal de la localité, chef-lieu, il vient demander à la législature l'autorisation d'établir un conseil de prud'hommes, d'après le ressort convenu entre lui et les diverses localités.

Tout va pour le mieux jusqu'à présent. Mais si une commune, qui n'était pas comprise dans le ressort, a intérêt et demande à y être comprise, il suffira, si le ressort est fixé par arrêté royal, qu'un autre arrêté royal intervienne, pour comprendre cette commune dans le ressort ; que si le ressort est fixé par la loi, il faudra qu'à chaque fois qu'il s'agira d'ajouter au ressort ou d'en détacher quelque localité le gouvernement vienne proposer une loi à la Chambre. C'est engager la Chambre dans de nombreuses questions de détail qui ne présentent d'utilité ; pour personne.

Où est le danger que le ressort soit réglé par arrêté royal ? Lorsqu'il sera question d'établir un conseil de prud'hommes nouveau, le gouvernement viendra demander l'autorisation d'établir ce conseil par la loi. Si alors des communes croient avoir à se plaindre du règlement du ressort, les représentants de ces communes présenteront ici leurs observations. Au besoin, on introduira, dans la loi proposée, un amendement. Voilà comment les choses se passeront.

Voilà comment les choses se passeront. Du reste au point de vue pratique, les moindres changements dans le ressort qui peuvent se faire de commun accord avec les communes par arrêté royal, deviennent des affaires d'Etat, s'il faut les soumettre à la législature. Il y a là une puérilité que je ne puis pas admettre. Si l'on voulait que la loi réglât le ressort d'une manière définitive, inflexible, si la Chambre le veut, je n'y vois pas une grande altération du système de la loi.

J'y vois un inconvénient pratique. C'est à ce titre que je combats la proposition, je n'ai aucun autre motif de la combattre.

L'honorable M. Muelenaere a trouvé des contradictions dans ce système ; je lui ai dit et j'ai l'honneur de lui répéter que ces contradictions, si elles existent, se trouvent dans la loi de 1842 qui a été faite par des hommes très compétents, par des hommes pratiques aussi éclairés que nous pouvons l'être sur les droits constitutionnels, sur les exigences de la Constitution.

Que dit la loi de 1842 ? Elle autorise le gouvernement à instituer des conseils de prud'hommes dans telle ou telle ville.

- Un membre. Par arrêté royal !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Par arrêté royal, c'est ainsi que s'exécutent les lois en général ; c'est la même chose que l'on propose aujourd'hui. La loi autorisera le gouvernement à établir des conseils de prud'hommes en vertu de la loi.

S'il peut être agréable à la législature de décréter un conseil de prud'hommes à tel endroit, elle le décrétera ; le gouvernement sera disposé à en instituer ; on n'empêche pas la Chambre de le faire.

Que dit l'article premier de la loi de 1842 ? Que le gouvernement est autorisé à instituer des conseils de prud'hommes par arrêté royal dans telles et telles localités ; quant au ressort, l'article 2 porte : L'étendue du ressort des conseils de prud'hommes sera déterminée par l'acte constitutif.

Quand le gouvernement établira un conseil, il dira à quelle juridiction il s'étendra ; faudra-t-il y adjoindre une fraction de commune, un hameau que l'on reconnaîtra le besoin de faire entrer dans la nouvelle juridiction, on le fera par arrêté royal ; pour faire passer une commune d’un ressort à l'autre, un arrêté royal suffisait ; il n'était pas besoin de venir en entretenir la Chambre, qui serait incompétente,

La Chambre fera ce qu'elle voudra, je ne trouve pas, je le répète, que la loi en serait atteinte dans ses principes. J'appelle l'attention de la Chambre sur les inconvénients pratiques de la proposition.

M. Muller. - Messieurs, lorsque, dans une des séances de la semaine dernière, j'ai exprimé des doutes sur la portée constitutionnelle du pouvoir absolu que l'on proposait de confier au gouvernement en lui abandonnant le droit d'établir des conseils de prud'hommes partout où il le jurerait nécessaire, je me basais sur l'argumentation même de la section centrale ; en effet, il faut le remarquer, la section centrale déclarait que les conseils de prud'hommes n'étaient en quelque sorte qu'une section inférieure des tribunaux de commerce.

M. le ministre ne paraît pas d'accord avec elle sur ce point, mais je n'hésite pas à adopter cette opinion, parce que c'est la meilleure manière de donner un caractère régulier et constitutionnel aux conseils de prud'hommes.

M. de Naeyer, rapporteur. - C'est la seule.

M. Muller. - Quoi qu'il en soit, la position que le gouvernement voulait se faire dans le projet de loi actuel n'est pas du tout la même que celle qui lui était assignée par la loi de 1842, car alors toutes les localités où il était autorisé à établir des conseils de prud’hommes étaient nominativement désignées ; dans le projet que nous discutons, c'était une faculté illimitée qu'on concédait au gouvernement.

Je me suis récrié contre cette disposition, dont on peut abuser, parce que tous les gouvernements sont faillibles. Je croyais, après le premier rapport de la section centrale qui était tout favorable à mon amendement, avoir obtenu, non pas une satisfaction d'amour-propre, que je ne recherche pas, mais une satisfaction sérieuse de garanties.

La section centrale avait admis que les conseils de prud'hommes ne peuvent être établis que par une loi, qui en fixera le ressort. Le lendemain, grand fut mon étonnement d'entendre que la section centrale venait de modifier sa proposition de la veille, qu'elle attribuait an gouvernement le droit de fixer à son gré le ressort des conseils de prud'hommes.

Malgré ce qu'a prétendu M. le ministre de l'intérieur, la Chambre ne pensera pas qu'il y ait puérilité à discuter cette question, qui est très grave, car le ressort comprend la juridiction.

Il dépendrait donc du gouvernement d'ajouter une localité ou d'en détacher une autre ; il pourrait dire, du jour au lendemain : j'ajoute six mille justiciables à telle juridiction, ou j'en retranche tel nombre.

Si l'argumentation de M. le ministre était vraie pour les conseils de prud’hommes, elle le serait pour toute espèce de tribunaux ; pourquoi ne pas laisser au gouvernement le soin de fixer à loisir toutes les autres juridictions ?

Il peut arriver que le gouvernement trouve utile de transporter telle localité dans un autre ressort de justice de paix ; il n'a pas actuellement ce pouvoir, il doit recourir à une loi. (Interruption.)

Vous demandez qu'on vous le donne, dites-vous ? Je ne crois pas qu'il soit prudent, de la part de la législature, de se dessaisir de la sorte quand il s'agit de statuer sur les intérêts de la justice.

J'aurais proposé une loi, a objecté M. le ministre de l'intérieur. Elle aura fixé le siège du conseil, et il me faudra encore consulter la législature sur l'étendue du ressort. Eh ! non, la difficulté et la complication ne seront pas si graves. Vous commencerez par faire une instruction préalable ; quand elle sera complète, vous viendrez présenter un projet demandant la constitution d'un conseil et fixant l'étendue de son ressort.

Je n'en dirai pas davantage, puisque, en terminant, M. le ministre a fait pressentir qu'il n'attachait pas une grande importance à la question que nous débattons ; mais un certain nombre de membres de la Chambre la considèrent à un point de vue plus grave que lui-même ne l'envisage.

Pour un simple crédit supplémentaire, pour une naturalisation, pour une délimitation de commune, vous devez avoir recours à une loi ; serait-il juste et conséquent de vous attribuer le pouvoir de fixer aujourd'hui de telle manière, demain de telle autre, la circonscription d'un conseil de prud'hommes ?

Je persiste dans mes observations et je demande qu'on se borne à dire au paragraphe 2 : « Un arrêté royal détermine le nombre des membres et la (page 845) composition de chaque conseil. » La fixation du ressort serait ainsi réservée à la loi même.

M. Ch. de Brouckere. - La question n'est pas aussi insignifiante qu'on veut bien le dire.

M. le ministre de l'intérieur nous a dit de quelle manière les choses se passent et comment elles se passeront dans l'avenir ; mais si les choses doivent se passer comme le dit M. le ministre de l'intérieur, pourquoi ne pas l'inscrire dans la loi, et si l'on persiste à ne vouloir pas le faire, n'est-on pas autorisé à croire que les choses ne se passeront pas comme on nous l'annonce ? Qu'on nous accorde que les conseils de prud'hommes ne pourront être institués que de l'avis conforme des conseils communaux, et je n'aurai plus aucune objection à faire.

Mais on se borne à dire que le conseil communal du lieu où siégera le conseil de prud'hommes sera entendu. Or ce mot entendu n'a pas, pour moi, une bien grande valeur. Pourquoi ne pas dire plutôt : De l’avis conforme de tous les conseils communaux intéressés ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. Ch. de Brouckere. - On nous dit qu'il en sera ainsi ; eh bien, je ne crois pas, moi, que les choses se passeront ainsi, et ce qui me confirme dans cette conviction c'est la résistance qu'on met à l'inscrire dans la loi. Le passé est là pour nous dire ce que nous avons à attendre de l'avenir. On dira au conseil communal : Délibérez sur tel objet ; le conseil délibérera, mais le gouvernement agira néanmoins ensuite comme bon lui semblera.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - Je crois devoir prendre la parole pour donner quelques explications. Chacun, naturellement, se place ici à son point de vue, et l'on arrive ainsi à des conséquences contraires, et cependant parfaitement logiques. Certains membres considèrent comme très constitutionnelle l'institution de conseils de prud'hommes par simple arrêté royal. D'autres, comme l'honorable M. Muller, pensent qu'il faut une loi. La section centrale a partagé le premier de ces avis, et elle s'est basée, pour le justifier, sur l'article 94 de la Constitution, aux termes duquel « aucun tribunal, aucune juridiction contentieuse ne peut être établi qu'en vertu d'une loi. »

Il a paru à la section centrale que l'expression en vertu d'une loi n'est pas la même chose que l'expression par une loi et que si la Constitution avait dit que chaque juridiction contentieuse doit être établie par une loi, cette dernière expression eût nécessité une loi distincte pour chaque conseil. En disant en vertu d'une loi, il s'ensuit qu'il suffit que le conseil de prud'hommes puise son principe dans la loi, en laissant à l'arrêté royal la détermination du ressort et de la composition du conseil.

Ainsi, aux termes de l'article 114 de la Constitution « aucune pension, aucune gratification à la charge du trésor public, ne peut être accordée qu'en vertu d'une loi », ce qui veut dire que toute pension, toute gratification doit puiser son principe dans une loi et que, dès que la loi existe, il suffit d'un arrêté royal pour accorder la pension ou la gratification. Voilà comment la section centrale a entendu les mots en vertu de la loi et voilà pourquoi le projet primitif du gouvernement lui paraissait constitutionnel.

Mais l'honorable M. Muller a produit alors les scrupules que vous connaissez. L'article 94, a-t-il dit, n'a pas la portée que vous lui attribuez, il faut une loi spéciale pour chaque conseil.

M. Muller. - L'article 94 combiné avec l'article 105.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - Je ne discute pas la question d'une manière complète ; je veux simplement prouver, en donnant quelques explications, comment la section centrale a successivement émis ces idées différentes, mais non contradictoires.

Est donc venu l'amendement de l'honorable M. Muller. Cet amendement a été accueilli en section centrale, non pas par mesure de transaction avec des principes, mais par mesure de conciliation, parfaitement justifiée, selon nous.

En se plaçant ainsi au point de vue de l'honorable M. Muller lui-même, la section centrale a pensé que, pour être complétement logique, la loi, dans ce système, devait non seulement régler la composition de chaque conseil de prud'hommes, mais de plus en déterminer le ressort ; et voilà comment, quand j'ai présenté sur ce point un premier rapport, j'ai, au nom de la section centrale, proposé que chaque conseil fût institué par la loi, qui en déterminerait en même temps le ressort.

Il paraissait, en effet, à la section centrale, toujours en se plaçant au point de vue de M. Muller, qui n'est pas son point de vue propre, que le ressort et la juridict'in étaient deux choses essentiellement connexes, deux choses qui se liaient d'une manière trop intime pour qu'on pût les diviser.

Enfin est venu en section centrale M. le ministre de l'intérieur, lequel nous a dit que le système qu'on proposait d'introduire était gros de difficultés pratiques ; ces difficultés, M. le ministre les a exposées en section centrale, comme il vient de le faire ici. La section centrale a été frappée de ces difficultés, et qu'a-t-elle fait ? A-t-elle changé d'avis ? Nullement : ; elle est sensiblement revenue à son premier pont de vue, qui était son point de vue personnel, et elle s'est dit que puisque, selon elle, un arrêté royal peut tout faire, à plus forte raison peut-il faire une partie de ce qu'on lui avait, dans l'origine, attribué le droit de décider.

C'est ainsi que, tout en adoptant l'amendement proposé par l'honorable M. Muller, elle a détaché de ce qui devait être déterminé par la loi, la fixation du ressort, pour l'attribuer à l’arrêté royal.

Voilà, messieurs, comment la section centrale a été conduite à émettre différentes propositions ; mais je tiens à constater qu'avec les convictions qui animaient la section centrale sur le point fondamental du projet, elle ne s'est pas un instant trouvée en contradiction avec elle-même et qu'elle ne l'est pas non plus en ce moment.

M. de Naeyer, rapporteur. - Mon intention n'est pas de prolonger beaucoup ce débat. Dans ma manière de voir, l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Muller est nécessaire pour mettre la nouvelle loi en harmonie parfaite avec les prescriptions très formelles de notre Constitution. Je présenterai quelques observations pour justifier cette manière de voir.

Messieurs, je crois que nous sommes d'accord sur ce point que nous ne sommes autorisés à créer des conseils de prud'hommes qu'en vertu de l'article 108 de la Constitution ; c'est-à dire en les considérant comme des fractions ou démembrements de tribunaux de commerce, car personne assurément ne s'avisera de les considérer comme des tribunaux militaires. Or, à l'exception des tribunaux de commerce et des tribunaux militaires, il nous est formellement défendu de créer aucune juridiction dont les membres ne seraient pas nommés à vie. En d'autres termes, il ne peut être dérogé au principe de l'inamovibilité des magistrats qu'en ce qui concerne les juridictions militaires et les juridictions consulaires. L'article 100 de la Constitution, mis en rapport avec les autres dispositions du même titre, ne peut laisser subsister aucun doute à cet égard.

Il faut donc que vous considériez les conseils de prud'hommes comme des fractions des tribunaux de commerce ; ou il faudrait admettre que vous ne pouvez créer ces juridictions en limitant la durée des fonctions des membres qui les composent.

Il en résulte, ce me semble, que la question de constitutionnalité n'a pas été posée par la section centrale dans ses véritables termes. Il ne s'agit pas de savoir si nous pouvons, en vertu de l'article 94, déférer au gouvernement la faculté de créer des conseils de prud'hommes. Il s'agit de savoir si nous pouvons faire cette délégation en vertu de l'article 105. Or les termes de cet article sont, me semble-t-il, on ne peut plus formels. L'amendement de l'honorable M. Muller n'est, à vrai dire, que la reproduction de l'article 105 de la Constitution. Voici ce que j'y lis : Il y a des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi. Ainsi les lieux doivent être déterminés, non pas en vertu de la loi, mais par la loi, et il me paraît évident que cette désignation des lieux s'entend non seulement de la localité où siège le conseil des prud'hommes, mais de toutes les localités formant sa juridiction territoriale.

L'article 105 dit en outre : « elle, la loi, règle leur organisation, leurs attributions. Or, le mot attributions comprend évidemment le ressort, qui n'est autre chose que la compétence territoriale, que la détermination des attributions, quant au territoire soumis à la juridiction du conseil.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Lisez l'article 104 et vous reconnaîtrez votre erreur.

M. de Naeyer. ; - Voici l'article 104 : a II y a trois cours d'appel. La loi détermine leur ressort et les lieux où elles sont établies. »

Je ne sais vraiment quel argument l'honorable ministre de la justice veut tirer de cet article. Dira-t-il qu'on emploie ici le mot ressort qui n'est pas répété à l'article 105 ? Mais ce serait là une subtilisé juridique ou, si vous voulez, un argument a contrario qui n'aurait rien de sérieux. Car pourquoi le mot ressort n’est-il pas répété à l'article 105 ? Mais évidemment parce qu’on a voulu éviter un pléonasme, parce que le ressort est compris sous l'expression générique attributions, qui s'applique tout à la fois aux attributions quant à la matière, aux attributions quant aux personnes et aux attributions quant au territoire. Est-ce que le ressort ne sert pas à régler les attributions ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Evidemment non.

M. de Naeyer, rapporteur. - Qu'est-ce que le ressort ? Ce sont les attributions quant à l'étendue du territoire soumis à la juridiction du conseil.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non ! non !

M. de Naeyer, rapporteur. - Vous dites non ; et cependant vous décidez, en fixant le ressort, si tel ou tel individu est justiciable du conseil des prud'hommes ; vous déterminez donc une partie de ses attributions.

Du reste, messieurs, on a adopté une partie de l'amendement de M. Muller, pour satisfaire à ce qu'on appelle nos scrupules constitutionnels. Eh bien, ces mêmes scrupules constitutionnels se présentent pour la détermination du ressort. C'est dans un même article de la Constitution que les deux questions se présentait. Il m'est aussi impossible de conférer au gouvernement le droit de déterminer le ressort, que de lui conférer le pouvoir d’instituer les conseils de prud'hommes. Ces deux choses sont connexes, ainsi que vient de le reconnaître l’honorable rapporteur de la section centrale. C'est pour cela que par une première résolution, la section centrale avait adopté entièrement la proposition de l'honorable M. Muller.

On ne fait valoir qu'un seul argument contre cette proposition. C'est qu'il y aurait de grandes difficultés pratiques. Et en quoi consisteraient ces difficultés ? Evidemment elles ne se présenteraient pas, lorsqu'il s'agissait de déterminer le ressort, au moment du vote de la loi instituant un nouveau conseil de prud'hommes. Car, vous devez supposer qu'il y aura eu une instruction complète qui permette au gouvernement de fixer son opinion à cet égard et qui permette également à la législature de se prononcer en pleine connaissance de cause. Ce n'est donc que,(page 846) pour l'avenir qu'on prévoit des difficultés, c'est-à-dire, lorsqu'il serait question d'apporter des modifications au ressort, d'y ajouter tel hameau, d'en détacher tel autre, comme le disait M. le ministre de l'intérieur. Messieurs, je crois que ce sont là des exagérations.

Car enfin nous avons plusieurs conseils de prud'hommes qui fonctionnent depuis nombre d'années, et je ne crois pas qu'il se soit agi une seule fois de modifier leur ressort. Nous avons donc pour nous l'expérience du passé. Les difficultés que l'on indique ne sont donc que des difficultés créées par l'imagination et que l'expérience ne justifie en aucune façon.

Dans une séance précédente, M. le ministre de l'intérieur semblait croire que pour les communes intéressées il y aurait plus de garanties à n'avoir affaire qu'au gouvernement sans l'intervention de la législation.

Tel n'est pas mon avis. Car ces questions, avant d'arriver devant la législature, auront nécessairement passé par l'examen du gouvernement. Ainsi, jamais une proposition d'érection de commune ou de modification aux limites d'une commune n'est émanée de l'initiative d'un membre de la Chambre ; ces sortes de propositions nous sont toujours faites par le gouvernement qui, auparavant, a soin d'examiner mûrement toutes les questions qui s'y rattachent. Il en sera évidemment de même de la création de nouveaux conseils de prud'hommes. Les communes auront donc toutes les garanties qu'elles peuvent attendre du gouvernement et en outre celles résultant d'une discussion parlementaire.

En résumé, puisqu'on admet qu'il faut une loi pour instituer un conseil de prud'hommes, il me semble qu'où devrait admettre également que la loi déterminera le ressort. Ce n'est qu'ainsi qu'on accordera une véritable satisfaction à ce qu'on appelle nos scrupules constitutionnels.

Je me bornerai à ces observations, et je voterai pour l'amendement de l'honorable M. Muller.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, à aucune époque depuis que la législature belge fonctionne, on n'a exigé les garanties que l'on demande aujourd'hui. En 1842, lorsqu'on a fait la loi qui autorisait le gouvernement à établir des conseils de prud'hommes dans un certain nombre de villes, les scrupules constitutionnels, qu'on exprime aujourd'hui, n'ont pas empêché la législature de déclarer à l'article 2 : « L'étendue du ressort des conseils de prud'hommes sera déterminée par l'acte d’institution. » On abandonnait au gouvernement le soin de régir l'étendue de ce ressort et c'est ce qui a été fait. D'autres lois postérieures ont établi des conseils de prud'hommes et le gouvernement en a réglé le ressort.

On dit que c'est inconstitutionnel, que les conseils de prud'hommes sont des tribunaux de commerce, parce qu'ainsi l'a prétendu la section centrale, et que dès lors ils tombent sous l'application de l’article 105 de la Constitution. Les conseils de prud'hommes ne sont pas des tribunaux de commerce ; ce sont des institutions d'un caractère tout particulier, qui ne sont pas plus des tribunaux de commerce que des tribunaux civils ; ils n'ont pas été prévus par la Constitution.

Je veux bien, cependant, puisque cela plaît et qu'ainsi l’a voulu la section centrale, assimiler les conseils de prud'hommes aux tribunaux de commerce. Traitons-les donc comme nous traitons les tribunaux de commerce. Que dit l'article 105 ? « Il y a des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi. » Eh bien, je dis : « Il y a des conseils de prud'hommes dans les lieux déterminés par la loi, » et je viens demander à la Chambre l'autorisation d'établir des conseils de prud'hommes à Bruxelles, à Mouscron, à Louvain ; je viens demander l'autorisation d'établir des conseils de prud'hommes dans un lieu déterminé par la loi. Je reste ainsi parfaitement dans les termes de l'article 105 de la Constitution.

L'article 105 ne parle pas de régler le ressort par la loi ; il exige que la loi détermine le lieu et lorsque la Constitution veut que la loi règle le ressort, elle le dit, comme à l'article 104 :

« Il a trois cours en Belgique.

« La loi détermine leur ressort et les lieux où elles sont établies. »

L'art.icle105, où il s'agit des tribunaux de commerce, n'exige que la détermination du lieu.

Du reste, messieurs, je le répète, cette question ne vaut pas de longs débats, et si je croyais qu'elle dût entraîner la Chambre dans une trop longue discussion, j abandonnerais plutôt la proposition du gouvernement.

Je constate qu'il y aurait des inconvénients pratiques à venir fréquemment proposer des lois pour modifier le ressort de tel ou tel conseil de prud'hommes, mais il y a d'autres inconvénients dans notre régime parlementaire ; ce serait par exemple une discussion sans fin sur des objets qui n'en valent pas la peine. Je déclare donc que si cela est agréable à la majorité, nous laisserons fixer le ressort par la loi.

M. le président. - L'article serait donc rédigé comme suit :

« Aucun conseil de prud'hommes ne peut être établi que par la loi, sui en détermine en même temps le ressort.

« Un arrêté royal règle le nombre des membres et la composition de Chaque conseil. Seront entendus au préalable la députation permanente du conseil provincial, la chambre de commerce de la circonscription où le conseil de prud'hommes doit être établi, ainsi que le conseil communal du siège de l'institution. »

M. Muller. - l faut dire, messieurs :

« Aucun conseil de prud'hommes ne peut été établi que par une loi, qui en détermine, etc. >

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - « En vertu d'une loi. »

M. Muller. - J'ai demandé que l'article 2, tel qu'il avait été rédigé par la section centrale dans son premier rapport, fût soumis à la Chambre comme amendement. Or, cet article porte ce qui suit :

« Aucun conseil de prud'hommes ne peut être établi que par une loi qui en détermine en même temps le ressort. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il faut, messieurs, s'entendre. La section centrale a proposé d'autoriser le gouvernement à maintenir, d'abord les conseils de prud'hommes aujourd'hui existants ; entend-on revenir sur la juridiction de ces conseils ?

- Plusieurs membres. - Non !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En second lieu, la section centrale a déclaré également que dans les localités où un conseil de prud'homms avait été établi par la loi du 9 avril 1842, ce conseil pourrait être organisé par arrêté royal.

Maintenant, messieurs, si le gouvernement venait demander un conseil de prud'hommes pour Bruxelles, qui est une des localités mentionnées dans la loi du 9 avril 1842, entend-on qu'il indique toutes les localités qui seront comprises dans la juridiction de ce conseil ? (Interruption.)

Du reste, messieurs, je ne m'oppose pas à ce que la disposition soit mise aux voix ; je me réserve d'y revenir au second vote.

M. Savart. - Messieurs, je ne pense pas, comme l'honorable ministre de l'intérieur, qu'il faille revenir sur les dispositions de l'article 86 ; qu'on adopte l'une ou l'autre des deux rédactions proposées, selon moi qu'on dise « en vertu d'une loi » ou « par une loi » c'est toujours la même chose et l'article 86 n'est nullement atteint. En effet, messieurs, d’après la loi de 1842 les ressorts ont dû être fixés par l'acte même d'institution ; or comme on dit que ce qui a été fait en 1842 est maintenu, il en résulte que les conseils établis alors sont maintenus avec leur ressort actuel.

Ce que le ministère voulait tout à l'heure, c'est un pouvoir beaucoup plus étendu que celui qui résultait de l'article 2 de la loi de 1842, car d'après cet article il fallait fixer le ressort par l'acte même d'institution, c'était une chose finie ; avec les pouvoirs que demande aujourd'hui le gouvernement, il pourrait toujours modifier le ressort d'un conseil de prud'hommes par arrêté royal.

Voilà, messieurs, la différence entre le système de la loi de 1842 et le système que vient de soutenir M. le ministre de l'intérieur.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - Messieurs, il s'agit de bien s'entendre. Quant aux conseils existants aujourd'hui, ils peuvent être maintenus, en vertu du paragraphe premier de l'article 86, avec leur circonscription actuelle ; mais quant aux conseils qui ne sont pas encore institués, fussent-ils dénommés dans la loi de 1842, il faut quelque chose de plus qu'une simple nomenclature ; il faut la fixation précise du ressort dans la loi.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je ne conçois pas la difficulté qui arrête la Chambre. Au début de la discussion, sur la demande de M. le ministre de l'intérieur, il a été décidé qu'on ne discuterait pas l'article 86 simultanément avec l'article 2. Eh bien, l'article 2 pose un principe, l'article 86 consacre quelques exceptions. Lorsque nous en viendrons à l'article 86, nous verrons s'il y a lieu d'admettre les exceptions qu'il consacre. Mais rien ne s'oppose à ce qu'on vote l'article 86 et lorsqu'il sera voté, le gouvernement sera parfaitement libre de défendre l'article 86 tel qu'il est.

- La discussion sur l'article 2 est close.

L'article 2 de la section centrale, amendé par M. Muller, est mis aux voix et adopté dans les termes suivants :

« Aucun conseil de prud'hommes ne peut être établi qu'en vertu d'une loi qui en détermine en même temps le ressort.

« Un arrêté royal détermine le nombre des membres et la composition de chaque conseil. Seront entendus au préalable, la députation permanente du conseil provincial, la chambre de commerce de la circonscription où le conseil de prud'hommes doit être établi, ainsi que le conseil communal du siège de l'institution. »

Chapitre II. De la nomination des prud’hommes
Article 3 du projet du gouvernement, articles 3 et 4 du projet de la section centrale

« Art. 3 (projet du gouvernement). Les conseils de prud'hommes sont composés de six membres au moins et de seize au plus, et formés par moitié d'une part, de chefs d'industrie, d'autre part, d'ouvriers.

« Par chefs d'industrie on entend : les fabricants ou les directeurs-gérants d'industrie, les exploitants des mines, minières, carrières et usines minéralurgiques, et les armateurs à la pêche maritime.

« Sont compris sous la qualification d'ouvriers : les artisans, les contremaîtres les ouvriers à livret, et les patrons et pêcheurs inscrits au rôle d'équipage d'un navire de pêche. »

La section centrale a fait de l'article deux articles distincts qu'elle rédige de la manière suivante :

« Art. 3. Les conseils de prud'hommes sont composés de six membres au moins et de seize au plus, choisis moitié parmi les chefs d'industrie et moitié parmi les ouvriers.

« Art. 4. Par chefs d'industrie on entend ; les fabricants ou les directeurs-gérants d'établissements industriels, les exploitants des mines, •minières, carrières et usines minéralurgiques, et les armateurs et propriétaires de bateaux de pêche maritime.

(page 847) « Par ouvriers on entend : les artisans, etc. (comme au paragraphe 3 de l'article 3 du projet.)

Le gouvernement s'est rallié aux changements de rédaction proposés par la section centrale, ainsi qu'à la division de l'article 3 en deux articles.

Par suite d'une des propositions que la section centrale est venue faire au début de la séance, l'article 3 devra être rédigé ainsi :

« Les conseils de prud'hommes sont compos »s, non compris le président et le vice-président, s'ils sont nommés hors du conseil, de six membres ... » (Le reste comme à l'article 3 de la section centrale).

A l'article 4, M. H. de Brouckere propose d'ajouter après le mot « exploitants », ceux-ci : « les ingénieurs, les directeurs et les sous-directeurs des travaux ».

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je pense qu'il faut faire une réserve à l'article 3. D'abord nous devons régler le nombre des prud'hommes. Le minimum est fixé à 6 et le maximum à 16. lI faut d'abord que la Chambre se prononce sur ce point.

Nous aurons ultérieurement à soumettre à la Chambre une disposition en vertu de laquelle les conseils de prud'hommes pourront présenter au gouvernement, pour la présidence et la vice-présidence, des candidats pris en dehors du conseil. Or, comme le président et le vice-président, pris en dehors du conseil, feraient cependant partie du conseil, il s'ensuivrait que les nombres 6 et 16 seraient modifiés, si le président et le vice-président étaient pris hors du conseil.

Si la disposition relative à la nomination du président et du vice-président est admise, il faudra que cet article 3 soit modifié.

M. le président. - Ainsi, cet amendement de la section centrale est ajourné.

- L'article 3 de la section centrale, moins cet amendement, est mis aux voix et adopté.

La discussion s'ouvre sur l'article 4 transcrit ci-dessus et sur l'amendement de M. H. de Brouckere, qui y est relatif.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je n'ai pas besoin de développer longuement cet amendement, tant il est facile à comprendre.

Tous ceux qui sont au courant des affaires de mines savent que ce ne sont pas les exploitants qui sont en rapport avec les ouvriers, mais que ce sont les directeurs, les sous-directeurs et les ingénieurs. Ces derniers sont donc beaucoup plus aptes que les exploitants à être prud'hommes. Je n'exclus cependant pas les exploitants.

Je n'ai soumis mon amendement à la Chambre qu'après l'avoir communiqué à M. le ministre de l'intérieur et à l'honorable rapporteur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il s'agit bien des ingénieurs civils attachés aux établissements ?

M. H. de Brouckere. - Evidemment.

M. Coppieters 't Wallant. - M. le ministre de l'intérieur nous a déclaré qu'il s'est mis d'accord avec la section centrale sur la rédaction des articles. Comme il importe, messieurs, que cet accord existe non seulement sur les termes des articles en discussion, mais aussi sur le sens à attribuer à ces termes, je crois nécessaire de faire une interpellation à M. le ministre de l'intérieur, dans le but de bien fixer la portée du projet de loi.

Le rapport de la section centrale nous apprend qu'un membre ayant demandé que l'on comprît nominativement les écoles dentellières dans le texte de l'article, la section centrale n'a pas cru devoir déférer à ce désir, mais uniquement par le motif que, suivant elle, il est hors de doute que les écoles dentellières, sous quelque dénomination ou sous quelque direction qu'elles se trouvent établies, tombent sous l'application de la loi ; je prie M. le ministre de vouloir déclarer à la Chambre s'il adhère à cette interprétation.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les écoles dentellières sont des fabriques ou des établissements industriels ; elles sont dès lors comprises dans l'article 4 ; elles suivent le sort des établissements industriels ou des fabriques ; c'est pour ces genres d'industrie que les conseils de prud'hommes sont surtout utiles.

M. le président. - Nous avons ici l'amendement de MM. David -et Grosfils qui est ainsi conçu :

« Ajouter aux chefs d'industrie : les artisans travaillant pour leur propre compte. »

M. David. - Il a été entendu dans la section centrale que par artisans on n'entend pas les maîtres serruriers, maréchaux, menuisiers qui travaillent avec leurs ouvriers ; nous avions proposé notre amendement dans la crainte que ces chefs d'ateliers ne vinssent faire partie des conseils de prud'hommes, envoyés par les ouvriers.

Il est incontestable que s'ils avaient été envoyés par eux, ils auraient représenté non les intérêts des ouvriers, mais les intérêts des chefs d'industrie. Voilà quel était l'objet de notre amendement. Puisqu'il est bien entendu que ce sont là des chefs d'industrie, notre amendement n'a plus de raison d'être ; ils voteront avec les industriels.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - A la page 113 de l'exposé des motifs, le gouvernement a donné la définition de ce qu'il faut entendre par artisans.

«On entend par artisans, les individus qui travaillent seuls ou assistés seulement de leur femme et de leurs enfants, soit pour le compte d'autrui, soit pour leur propre compte, ainsi que les individus qui dans leur domicile, seuls ou aidés de compagnon, ou d'apprentis, œuvrent à façon les matières qu'on leur a confiées. Lorsque les matières leur appartiennent, ils rentrent dans la catégorie des chefs d'industrie. »

M. le président. - L'amendement de MM. David et Grosfils est retiré.

Il ne reste plus que l'amendement de M. H. de Brouckere auquel le gouvernement s'est rallié.

M. Ch. de Brouckere. - Je n'ai pas bien saisi l'explication donnée par M. le ministre de l’intérieur. Je demande si tout individu travaillant sans personne sous ses ordres, la matière appartenant à autrui, est un artisan, par conséquent ouvrier.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Certainement.

- L'article 4 amendé par M. H. de Brouckere est mis aux voix et adopté.

Article 4 du projet du gouvernement, article 5 du projet de la section centrale

« Art. 5 de la section centrale, 4 du projet primitif. II est nommé près de chaque conseil 4 suppléants au moins et 8 au plus choisis, comme il est dit ci-dessus à l'effet de remplacer les prud'hommes en cas d'empêchement. >

MM. David et Grosfils avaient proposé d'ajouter : « Les suppléants siègent à tour de rôle, en commençant par le plus âgé, parmi les chefs d'industrie en remplacement d'un chef et industrie, et parmi les ouvriers en remplacement d'un ouvrier. »

- Cet amendement est retiré.

L'article 5 est mis aux voix et adopté.

Article 6 du projet de la section centrale

« Art. 6 (de la section centrale). Des listes provisoires des électeurs, choisis parmi les catégories énumérées à l'article 3, sont dressées par les administrations communales dans leurs circonscriptions respectives. La liste générale est arrêtée par la députation permanente du conseil provincial, du 1er au 15 août. La députation permanente statue en même temps sur les réclamants qui pourraient lui avoir été adressées.

« La liste générale est déposée au secrétariat de la commune du siège de l'institution. Des extraits en sont déposés aux secrétariats des autres communes du ressort du conseil.

« Elle est permanente, sauf les radiations et les inscriptions, lors de la révision annuelle. Il est procédé à cette révision chaque année, du 1er au 15 juillet. »

MM. David et Grosfils ont proposé un amendement qui consiste à remplacer « les administrations communales » par « les conseils communaux » et à ajouter un dernier paragraphe ainsi conçu :

« Elle porte 90 p. c, au moins, des électeurs figurant sur les listes provisoires. »

M. David. - Il nous avait paru que les conseils communaux offriraient plus de garanties pour la confection des listes électorales que les administrations communales. On nous a objecté les grandes difficultés qui surgiraient, si les conseils communaux devaient former ces listes. Cependant quand on se rend compte de ce qui se passe dans les conseils communaux, on voit que la besogne s'expédie aussi facilement par les conseils que par les administrations.

Dans les villes, chaque agent de police fera un recensement ; dans les communes rurales, ce sera le garde champêtre ; ce travail sera remis au conseil communal. Quant à l'épuration, elle se fera plus convenablement par le conseil entier que par l'administration communale abandonnée à elle-même.

Voici pourquoi. Les conseillers communaux sont pris dans toutes les parties de la commune ; chaque conseiller est plus à même de connaître tel ouvrier qui réside dans tel hameau ou te1 quartier de la commune auquel il appartient, que l'administration communale.

Nous avons pensé que les listes préparatoires porteraient un nombre d'électeurs un peu plus grand si le conseil communal présidait à leur formation que si c'était l'administration elle-même qui les formait.

Voilà les raisons pour lesquelles nous avons demandé l'intervention du conseil communal. Nous nous attendons à une nouvelle épuration de la part de la députation permanente.

Nous désirons que le plus grand nombre d'intéressés possible soit représenté par les électeurs ; car qu'il y ait plus ou moins d'électeurs, rien n'est changé dans le ressort, on ne peut nommer que le nombre déterminé de membres, 8, 10, 12, etc., dont la moitié pour les ouvriers et l'autre moitié pour les patrons. Que le nombre des électeurs soit de quatre mille ou de 500, le résultat est complétement le même parce que le nombre des électeurs aura beau être plus grand, ils n'auront pas plus de conseillers pour cela.

Par conséquent, messieurs, afin que personne ne puisse se plaindre, afin que tous les intérêts de chaque ressort soient représentés dans le conseil d'une manière aussi large que possible, nous demandions qui ce fût plutôt le conseil communal qui formât les listes provisoires.

Je dirai maintenant quelques mots de l'autre amendement.

Celui-ci, messieurs, a été inspiré par les mêmes considérations que le précédent. En le proposant, nous avons été guidés également par la crainte que les listes électorales ne fussent réduites à très peu de chose ; c'est pourquoi nous avons demandé qu'il n'y eût pas plus de dix radiations sur cent électeurs portés sur les listes par les conseils communaux.

Si vous voulez, messieurs, que les ouvriers aient confiance dans les conseils de prud'hommes, il faut admettre à l'élection le plus grand nombre possible d'ouvriers. C'est pour atteindre ce but que nous avons proposé notre second amendement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les deux amendements que (page 848) vient de développer l'honorable M. David ont été examinés avec soin par la section centrale et par le gouvernement, qui n'ont pas cru pouvoir s'y rallier.

Le premier, en effet, a pour objet d'exiger des garanties qu'on ne prend même pas pour les élections politiques.

La formation des listes appartient au collège des bourgmestre et échevins, sauf appel à la députation permanente. Peut-on concevoir que le conseil communal de la ville de Bruxelles, par exemple, s'il persiste dans ses vues de 1848, c'est-à-dire s'il demande encore l'institution d'un conseil de prud'hommes, aille s'occuper à discuter nom par nom la composition des listes électorales ? Je plaindrais sincèrement cette administration, de même que celles de toutes les grandes villes du pays, si elles se voyaient obligées de se livrer à un tel travail. Cette opération, messieurs, se fera surtout par les commissaires de police, qui le remettront ensuite aux collèges échevinaux.

Quant au second amendement de l'honorable M. David, il est également inadmissible. L'honorable membre, se méfiant, je ne sais pourquoi, de la députation permanente, bien que ce soit une émanation de l'élection, veut prendre des précautions contre la révision des listes électorales : il veut que la députation soit condamnée à conserver au moins 90 p. c. des présentations faites par les communes. Pourquoi cette défiance de la députation ? Croit-ou qu'elle va prendre plaisir à rayer, à tort et à travers, les noms des électeurs ?

Je suis bien convaincu du contraire. Mais voici ce qui pourrait arriver. Je suppose une commune rurale renfermant 3,000 à 4,000 ouvriers et qui désigne aveuglément tous ces ouvriers. La liste ainsi dressée arrivera à la députation et celle-ci ne pouvant rayer que 10 p. c. des ouvriers désignés, il se fera que la liste contiendra plus d'ouvriers qu'il n'y en a dans la capitale. Cela n'est évidemment pas possible.

M. Lelièvre. - Je remarque que, d'après l'article en discussion, la députation statue sur les radiations et les inscriptions, ainsi que sur les réclamations qui lui sont adressées. Le projet n'admet pas le recours en cassation contre les décisions de la députation.

Je pense, messieurs, qu'il eût été convenable d'admettre le pourvoi, mesure introduite, par le droit commun en matière électorale. Il s'agit de l'exercice de droits politiques importants, dont les tribunaux devraient été juges ? Je soumets cette observation à M. le ministre de l'intérieur, en le priant d’examiner cette question.

Je pense qu'il serait indispensable d'admettre le recours, pour conserver l'harmonie entre le projet, et les dispositions concernant nos lois électorales.

Sans doute, d'après les principes du Code de commerce, il n'existe pas semblable recours, parce que sous ce régime les tribunaux n'étaient pas compétents pour apprécier les actes de l'autorité administrative.

Mais en matière de droits électoraux, un principe contraire étant admis par nos lois organiques, nous devons, pour être conséquents, introduire le pourvoi dans la matière dont nous nous occupons.

M. Muller. - Je répondrai d'abord quelques mots à l'honorable M. Lelièvre. Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que la juridiction des conseils de prud'hommes va être établie comme une dépendance ces tribunaux de commerce. Or, comment procède-t-on pour dresser les listes des notables qui doivent concourir à la nomination des juges consulaires ? La loi a chargé la députation permanente de dresser ces listes, et elle prend à cet effet tous les renseignements nécessaires près des diverses autorités de la province. Si des erreurs ont été commises une année, soit par omission, soit par inscription indue, elles sont rectifiées l'année suivante. Quant au pourvoi en cassation, il n'en est pas là question, et il est douteux que, dans la matière actuelle, il soit bon d'introduire cette complication de rouages.

Je dirai, d'autre part, pour faire disparaître les craintes de l'honorable M. David, que d’après l’article qui nous est soumis, la députation ne jouira pas d'un pouvoir arbitraire, car les dispositions suivantes que nous allons examiner déterminent quelles sont les personnes qui, dans l'une et l'autre catégorie, soit des patrons, soit des ouvriers, ont droit d'être inscrites sur les listes.

Maintenant, la députation, comme on l'a dit, est un corps produit d'une double élection et qui, par conséquent, offre toutes les garanties désirables aux citoyens.

M. Devaux. - Les observations que vient de présenter l'honorable M. Muller prouvent qu’il y a quelque obscurité dans la rédaction de cet article. En effet, il vient de dire que la besogne de la députation se bornera à inscrire les électeurs qui ont le droit d'être portés sur la liste. Je comprends autrement la disposition : d'après moi, il y a un double choix ; il y a certains électeurs inscrits de droit ; mais c'est le petit nombre ; tous les autres sont choisis d'abord par les administrations communales et soumis à un second triage par la députation. Sous ce rapport la rédaction n'est pas claire. On y dit que la liste définitive est arrêtée par la députation permanente. Le mot arrêtée est équivoque, il faut dire de quelle manière la députation procède : est-ce par choix ou se borne-t-elle à réunir les listes provisoires des communes ?

Il y a une autre observation encore à faire. Je préfère la proposition du gouvernement d'après laquelle les listes ne devaient être révisées que tous les trois ans : puisque les élections n'ont lieu que tous les trois ans, une révision annuelle est inutile, c’est faire faire aux administrations communales et à la députation permanente un travail qui n'est pas nécessaire.

Une observation plus importante est celle-ci : nous allons avoir des élections d'ouvriers ; c'est chose nouvelle, même pour des localités où existent actuellement des conseils de prud'hommes. Car à Bruges par exemple, où il y en a un, les ouvriers n'en font pas partie. Il me semble qu'il faudrait au moins donner à la députation des indications sur la proportion qu'il convient de donner à ces collèges électoraux.

Faut-il qu'elle cherche à rendre ces collèges nombreux ou à les restreindre dans certaines limites ? Il est dit quelque part dans le projet qu'ils seront divisés en autant de sections qu'il y aura de lois 400 électeurs.

On suppose donc qu'il pourra y en avoir plusieurs fois 400 électeurs. Je ne suis pas d'avis q 'il y ait des régions d'ouvriers aussi nombreuses, et puisque les administrations communales et la députation sont appelées à faire leur choix, je voudrais qu'on fixât un maximum que la liste définitive ne pourrait dépasser.

Ma manière de voir à cet égard est différente de celle de l'honorable M. David. Il voudrait le plus grand nombre possible d'ouvriers. Moi, je voudrais, au contraire, restreindre ce nombre. Je sais bien que dans les temps ordinaires, il arrivera souvent que ces réunions électorales seront peu nombreuses. Mais elles pourront le devenir davantage dans certaines circonstances et précisément dans celles où il est peu désirable de voir se former de grands rassemblements d'ouvriers. Je crois qu'on peut fixer le maximum des électeurs à inscrire sur chaque liste à 200, et qu'on peut dire que dans aucun cas les noms compris sur une des deux listes définitives ne dépasseront 200.

Je dis : une des deux listes définitives, car c'est encore ce qui, selon moi, devait se dire dans l'articles. Il n'y a pas qu'une liste définitive, il y en a deux : il y a la liste des patrons et celle des ouvriers. Ce sont deux listes différentes.

La détermination d’un maximum me paraît donc indispensable, on pourra y réfléchir jusqu'à demain. Je ne crois pas, par exemple, que dans une circonscription où il y a 50,000 ouvriers, on doive mettre mille, deux mille, dix mille noms sur la liste. Il faut que la députation permanente du conseil provincial sache à quoi s'en tenir à cet égard, qu'elle sache où elle doit s'arrêter, et que les administrations communales connaissent elles-mêmes, sur ce point, les intentions du législateur.

M. le président. - M. Lelièvre a déposé un amendement qui se rattache à l'article 72 ; il propose de supprimer de cet article les mots : « ou qu'après un jugement interlocutoire. »

Cet amendement sera imprimé et distribué. Il est renvoyé à la section centrale.

Pièces adressées à la chambre

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Conformément à l'article 16 de la loi du 15 novembre 1847, j'ai l'honneur de dépose le rapport du gouvernement sur la situation de la caisse d'amortissement et de la caisse des dépôts et consignations.

- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ce rapport. Il sera imprimé et distribué.

La séance est levée à quatre heures et trois quarts.