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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 16 avril 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(page 699) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Vander Stichelen procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.

M. Crombez donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vander Stichelen communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« La veuve du sieur de Ruyter, ancien exécuteur des arrêts criminels, demande une augmentation de pension ou un secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Jean-Joseph Urbain, brasseur à Boussu, prie la Chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« D'anciens officiers qui ont pris service en 1830 demandent que, dans la liquidation de leur pension, il puisse être tenu compte du service rempli par eux dans leur dernier grade, et ce, au prorata du nombre d'années et de mois passés dans ce grade. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les gardes champêtres du canton de Chimay demandent que leur position soit améliorée. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, «dix demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Par message, en date du 15 avril, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté :

« 1° Le projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire de 30,000 r. au budget de la dette publique de 1857 ;

« 2° Le projet de loi qui autorise la concession d'un chemin de fer de Gand à Eecloo ;

« 3° Le projet de lui qui alloue des crédits supplémentaires au budget de l'intérieur pour 1857 ;

« 4e Le projet de loi relatif à l'érection de la commune de Grupont ;

« 5° Le projet de loi qui ouvre un crédit supplémentaire de 7,600 fr. au budget des non-valeurs et de remboursements de l'exercice 1857 ;

« 6° Le projet de loi contenant le budget des non-valeurs et des remboursements, pour 1859 ;

« 7° Le projet de loi contenant le budget des recettes et des dépenses pour ordre de l'exercice 1859. »

- Pris pour notification.


M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la liquidation d'une créance due à feu Dollin du Fresnel.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - M. le président, cette affaire concerne spécialement M. le ministre des finances et celui-ci étant retenu au Sénat, je pense qu'on pourrait la postposer et attendre la présence de M. le ministre des finances. (Adhésion.)

M. le président. - Le second objet à l'ordre du jour est le budget des finances.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est le même cas.

M. le président. - En ce cas, nous entendrons un rapport de pétitions.

Rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Gand, le 15 septembre 1855, la députation permanente du conseil provincial de la Flandre orientale demande la suppression des dépôts de mendicité, ou du moins leur réforme radicale, avec réduction des frais d’entretien à charge des communes.

La députation permanente de la Flandre orientale fait remarquer que les dépôts de mendicité, établis en vue de l'extirpation complète de la mendicité n'atteignent pas ce but et y mettent, au contraire, obstacle, en absorbant, pour les frais d'entretien d'un nombre relativement minime d'indigents, des ressources que les communes pourraient employer beaucoup plus utilement, dans ce même but, en les consacrant à l'encouragement du travail des indigents et à la distribution de secours à domicile. Ils contrarient les moyens que les administrations locales pouvaient employer pour ramener les indigents à des habitudes de travail, en forçant es administrations à tolérer la mendicité par des indigents valides, dans la crainte qu'ils n'aillent volontairement se faire arrêter dans une localité étrangère à leur domicile et conduire aux dépôts de mendicité pour y être entretenus aux frais de leur commune.

« Ils sont la cause que dans cette même crainte, des secours ayant pour effet d'entretenir dans des habitudes d'oisiveté des indigents valides sont distribués à ces indigents ; car il n'est pas rare, dans nos communes, de voir des indigents de cette catégorie menacer les distributeurs des pauvres de se rendre avec leur famille aux dépôts de mendicité, s'ils n'obtiennent pas les secours qu'ils réclament, et l'entretien continu d'une ou de deux familles, souvent même d'une seule, dans ces dépôts, toujours onéreux pour toutes, est souvent la ruine d'une commune.

« Enfin ces établissements, dans leur organisation actuelle, ne sont ni des lieux de répression, ni des asiles ouverts à l'indigence honnête, mais le refuge des fainéants, qui préfèrent partager leur vie entre le séjour dans ces dépôts et le vagabondage, que de se procurer des moyens d'existence par le travail. Les frais d'entretien des mendiants, dans les dépôts de mendicité, constituent, d'un autre côté, une charge insupportable pour un grand nombre de communes, qui n'ont d'autres ressources pour faire face à leurs dépenses obligatoires ou indispensables, que l’établissement de cotisations personnelles atteignant déjà le maximum possible.

« Il devient donc urgent que les dépôts de mendicité soient supprimés ou que leur régime subisse une réforme radicale qui en fasse des lieux de répression, où les mendiants valides soient astreints à un travail destiné à subvenir à une partie de leurs frais d'entretien.

« Il n'est pas moins nécessaire que, même dans ces conditions, la charge qui résulte pour les communes du placement de leurs mendiants dans les dépôts de mendicité, soit allégée. Alors seulement les administrateurs communaux ne se trouveront plus dans l’alternative de tolérer l'infraction des dispositions à l’exécution desquelles ils devraient prêter leur concours ou de prendre des mesures qui doivent avoir pour résultat d'obérer leur commune.

« Nous prenons en conséquence la liberté, messieurs, d'appeler votre» haute sollicitude sur cet objet. »

Votre commission, messieurs, en présence des nombreuses demandes, sur lesquelles elle a déjà présenté ses conclusions, demandes qui se renouvellent chaque jour et pour ainsi dire sans cesse, émanant de la plupart, sinon de la généralité de toutes les communes rurales du royaume, et considérant les motifs très fondés qu'ils allèguent à l'appui de leurs pétitions, croit pouvoir appeler l'attention toute spéciale du gouvernement sur cet objet, afin qu'il leur soit fait justice dans le plus bref délai possible, et dans ces termes elle a l'honneur de vous en proposer le renvoi à M. le ministre de la justice.

M. Rodenbach. - J'appuie le renvoi de la pétition de la députation permanente de la Flandre orientale à M. le ministre de la justice ; ce corps a parfaitement raison de provoquer la réforme totale des dépôts de mendicité, tant au point de vue de l'ordre social que de l'intérêt financier des communes. Le fait est, et voilà déjà plusieurs années que nous l'avons signalé ici, qu'on diminue considérablement le nombre des dépôts de mendicité en France ; sous peu, ils disparaîtront complètement de ce pays.

Messieurs, jamais moment ne fut plus favorable pour introduire des réformes radicales dans ce service, car il y a aujourd'hui dans nos communes de l'ouvrage pour tout le monde ; les administrations communales ont donc en main le moyen de forcer à travailler les mendiants et les vagabonds. Je crois que le vice de l'institution provient de ce qu'on centralise trop ; on devrait décentraliser la bienfaisance ; chaque commune devrait avoir soin de ses pauvres et les surveiller. Quant aux infirmes qui se rendent aux dépôts de mendicité, les bureaux de bienfaisance sont là pour venir à leur secours.

Si l'on veut améliorer le système des dépôts de mendicité, qu'on forme plutôt dans les campagnes quelques établissements agricoles. Déjà nous avons des hospices de vieillards et des fermes-hospices où l’on donne de l'ouvrage à ceux qui sont dans l'impossibilité de s'en procurer, et l'on peut, à l'aide de l'agriculture, faire disparaître la mendicité. Je citerai pour exemple la commune de Rumbeke, dont j'ai l'honneur d'être bourgmestre ; la mendicité en est extirpée complètement, grâce aux efforts généreux de l'autorité et des particuliers ; il en est de même dans d'autres communes.

J'appuie donc fortement le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.

- Les conclurions de la commission sont adaptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée du canton de Fléron, le 29 octobre 1855, les bourgmestres des communes du canton de Fléron présentent des observations sur la nécessité de réviser la législation relative à la mendicité.

Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la justice.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Waerschoot, le 15 décembre 1855, les membres du conseil communal de Waerschoot demandent la suppression des dépôts de mendicité, ou du moins que les mendiants ne puissent plus être admis dans ces établissements sans le consentement de l'administration communale du lieu du domicile de secours.

Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la justice.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Campenhout, le 20 décembre 1855, le conseil communal de Campenhout prie la Chambre de rapporter la loi sur le domicile de secours et demande que les communes soient tenues d'entretenir les pauvres qui viennent s'y fixer.

(page 700) Même demande des conseils communaux de Waesmunster, Sempst et Muysen.

Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la justice.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Gand, le 31 décembre 1855, l'administration communale de Gand demande des modifications à la loi concernant l'entretien des enfants trouvés et abandonnés.

Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la justice. - Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée du 3 avril 1856, les administrations communales de Lede, Wanzele, Impe, Smetlede, Nieuwerkerken, Meire, Ottergem, Erondegem, Vleckem, Hofstade et Gysegem demandent la révision des lois sur le domicile de secours et sur les dépôts de mendicité.

Même demande des administrations communales de Lebbeke et de Louvain.

Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la justice.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Jalhay, le 2 décembre 1856, les membres du conseil communal de Jalhay demandent la révision de la loi sur le domicile de secours.

Même demande des membres des administrations communales de Bottelaere, Lemberge, Munte, Baeyghem, Leeuwergem, Hillegem, Elene, Oombergen, Sottegem, Godveerdegem, Erwetegem, Velsique-Ruddershove, Steypen. Essche Saint-Liévin, Grootenberge.

Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la justice.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Turnhout, le 19 janvier 1858, le sieur Janssens, ancien préposé des douanes, demande une augmentation de pension ou une place dont il puisse cumuler les appointements avec sa pension.

Messieurs, le pétitionnaire demande une augmentation de pension ; le dossier ne contenant aucune pièce sur laquelle la commission puisse se fonder pour appuyer cette demande, elle a l'honneur de proposer l'ordre du jour.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Belleghem, le 8 mars 1853, des meuniers et huiliers de Belleghem demandent la réduction du droit de patente auquel ils sont assujettis.

Même demande des locataires des moulins à eau de Diest, des meuniers et huiliers de Couckelaere et Oultre. La commission propose le renvoi à M. le ministre des finances.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Beho, le 10 mars 1858, le sieur Rongvaux demande que le traitement des préposés des douanes soit porté à 900 fr., et que le cautionnement pour leur mariage ne soit plus exigé.

Votre commission n'ayant pas trouvé fondée la réclamation du pétitionnaire, propose l'ordre du jour.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Grammont, le 8 février 1858, le conseil communal de Grammont prie la Chambre de décréter la canalisation de la Dendre.

Messieurs, dans une séance récente, la Chambre s'est déjà occupée de cet objet ; une discussion assez longue a eu lieu lors de la discussion du budget des travaux publics ; la commission se borne à vous proposer le renvoi de la pétition au ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.

Proposition de loi autorisant la liquidation, par voie transactionnelle, d’une créance arriérée au budget du département de la guerre

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à la proposition ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non, M. le président.

M. Wala, rapporteur. - Je suis chargé par les signataires de la proposition de déclarer à la Chambre qu'ils se rallient aux conclusions de la section centrale.

M. Thiéfry. - Je suis, messieurs, l'un des signataires du projet de loi qui vous est soumis, et c'est pour indiquer les motifs qui m'ont engagé à y apposer ma signature que j'ai demandé la parole.

Vous vous rappellerez, messieurs, que déjà l'honorable M. Lelièvre, dans la séance du 22 avril 1857, a développé les motifs de ce même projet dont la discussion n'a pas eu lieu en raison de la dissolution de la Chambre. Depuis lors on m'a communiqué les pièces qui sont imprimées et jointes au rapport de la section centrale. Il en résulte évidemment qu'en novembre 1830 le général Dollin du Fresnel a fait des sacrifices pécuniaires pour habiller et organiser la troupe ; cela n'est pas contestable, la lettre officielle du général d'Aywaille. qui était à cette époque gouverneur militaire de la province de Namur, ne laisse aucun doute à ce sujet ; tous les chefs du département de la guerre auxquels des réclamations ont été adressées, ont reconnu l'exactitude du fait. Je trouve ici, dans mes notes, les paroles que M. le ministre de la guerre a prononcées dans cette enceinte en 1856. Je ne puis cependant pas en indiquer la date, car je ne l'ai pas notée : « En 1830, le colonel du Fresnel a organisé le 2ème et le 10ème régiments de ligne, mais par un sentiment de patriotisme, dénué de précautions administratives suffisantes, il a fait quelques avances qui n'ont pas été régularisées. »

Si les ministres se sont trouvés dans l'impossibilité de procéder à la liquidation, c'est par suite de l'absence de toute espèce de pièces régulières.

Mais si on avait pu les produire, on n'aurait pas été dans la nécessité de s'adresser à la Chambre ; cette affaire n'aurait rencontré alors aucune difficulté. Ainsi donc, il y a, d'une part, reconnaissance des services rendus, et, de l'autre, manque de preuves légales : c'est-à-dire qu'en strict droit, rien n'est dû au général Dollin, et en équité, l'Etat a une dette à acquitter.

J'ai été aux informations pour connaître les motifs d'une négligence aussi préjudiciable. Un général, en qui j'ai pleine confiance, me les a très bien expliqués. En 1830, m'a-t-il dit, M. Dollin était garçon, il avait quelque argent et ne mettait guère d'ordre dans ses affaires ; plus tard il s'est marié, il a eu beaucoup d'enfants et il a songé à ce qui lui revenait, quand il ne pouvait plus obtenir des pièces régulières. Je ne veux ni justifier cette conduite, ni en tirer des conséquences. J'explique seulement la situation.

Je me suis, d'ailleurs, placé à un autre point de vue que celui de la dette pour achat d'habillements.

J'ai considéré les services rendus au pays dans un moment où il s'agissait d'organiser promptement l'armée belge ; je me suis rappelé qu'en 1814 en Belgique et en Hollande on avait, par reconnaissance, conservé le grade de colonel à plusieurs patriotes qui avaient levé et équipé à leurs frais quelques centaines d'hommes. Je me suis souvenu qu'en 1842, la Chambre, sur la proposition de 8 de ses membres, avait voté presque à l'unanimité une pension de 3,000 fr. à la veuve du général Buzen ; il y a eu seulement 2 opposants. J'ai pensé qu'il y avait aujourd'hui, comme à cette époque, des considérations d'équité, de convenance et d'humanité pour accorder une pension à la femme d'un officier dont personne ne méconnaît les éminents services, à une femme qui est restée veuve avec 9 enfants et qui se trouve sans aucune ressource.

On m'objectera sans doute que si le général avait contribué à la caisse des veuves et orphelins, sa femme aurait joui d'une pension beaucoup plus élevée que celle qu'on propose ; cela est exact, mais je répondrai que ce n'est pas là le motif qui me rend favorable au projet de loi ; car alors, la proposition pourrait avoir pour effet d'empêcher les officiers de contribuer à la caisse des pensions.

Ce que la section centrale propose, est une mesure d'équité pour services rendus, pour une situation toute particulière.

Je rappellerai ici les paroles prononcées dans cette enceinte, en 1848, par l'honorable M. Delfosse. que l'on n'accusera pas de prodigalité : « Je partage, disait-il, l'intérêt bien légitime que la position malheureuse de Mme veuve Buzen inspire à mes honorables collègues ; mes motifs d'opposition se taisent en présence d'une aussi grande infortune. » Eh bien, messieurs, ces paroles sont entièrement applicables à la veuve dont nous nous occupons.

C'est par ces mêmes raisons et après avoir mûrement pesé les services et les actes de désintéressement du général Dollin du Fresnel, que je me suis décidé à signer la proposition qui vous a été soumise. Je n'ai pas craint de poser un précédent onéreux, puisque ces sortes de réclamations seront toujours rares.

Du reste, la section centrale n'a point proposé une somme trop élevée ; elle a adopté, à peu de chose près, celle que la veuve aurait obtenue pour elle seule, d'après la loi de 1838, si son mari était mort dans un service commandé.

En récompensant ces sortes de dévouement, la Chambre prouvera qu'elle n'est pas ingrate envers ceux qui font des sacrifices pour la patrie, et ce sera un motif pour que, dans des circonstances critiques, M. Dollin du Fresnel trouve des imitateurs.

M. Pirmez. - Messieurs, je ne pensais pas prendre part à la discussion qui nous occupe en ce moment ; je ne le fais, malgré la répugnance que j'éprouve à traiter des questions personnelles, que parce que je considère comme un devoir de porter à la connaissance de la Chambre certains faits qui me paraissent de nature à faire apprécier à leur juste valeur des documents produits à l'appui du projet de loi.

Messieurs, une question dans ce débat domine toutes les autres, celle de savoir si le général Dollin du Fresnel a réellement une créance à la charge de l'Etat belge.

Cette créance est-elle établie par des pièces probantes ?

On produit des documents de deux espèces : des lettres officielles et des attestations émanées de particuliers.

Examinons-les successivement.

Les lettres officielles sont au nombre de trois.

La première est une lettre adressée le 24 décembre 1830 par M. te commissaire général de la guerre à M. le général de division d'Aywaille qui commandait la province de Namur. Elle ne contient, sur le point qui nous occupe, que la phrase suivante : « Quant à la gratification que vous sollicitez en sa faveur (du général Dollin du Fresnel), je n'ai pas le plaisir de pouvoir vous donner une réponse satisfaisante à cet égard, l'état de nos finances n'étant pas assez, prospère pour permettre de procéder à l'allocation d'indemnités extraordinaires. »

Vous le voyez, messieurs, le général d'Aywaille avait demandé pour le général Dollin une gratification. Or, une gratification suppose-t-elle une créance, un droit ? Non, évidemment, elle l'exclut au contraire ; la gratification ne se comprend qu'en l'absence de créance, d’un droit d'exiger.

(page 701) Voilà quant à cette première pièce ; bien loin d'appuyer le projet, elle détruit le fondement sur lequel il repose. Je passe à la seconde lettre.

Cette lettre adressée le 27 décembre 1850 à M. Dollin du Fresnel par M. le général d'Aywaille a pour objet d'apprendre au premier, que M. le commissaire général de la guerre n'a pas accueilli la demande de gratification qui lui avait été faite.

Nous savons tous, messieurs, que lorsqu'il s'agit d'apprendre à quelqu'un l'insuccès complet d'une démarche, la vérité ne s'annonce d'ordinaire pas dans toute sa nudité ; on cherche à donner encore quelque espoir, et s'il est impossible de dissimuler l'échec dans le présent, on se reporte sur l'avenir où tout est incertain et dont partant tout peut être espéré.

Cette simple considération nous fera comprendre la véritable portée de cette seconde lettre :

Voici ce qu'elle contient :

« Le 18 de ce mois, je me suis fait un devoir de rendre compte par écrit à M. le commissaire général de la guerre de vos titres à la bienveillance du gouvernement, d'après les services éminents que vous avez rendus, en déployant un zèle infatigable et un dévouement sans bornes.

« Je fais observer à la Chambre que le général Dollin n'avait pas été sans recevoir la récompense de ses services ; major depuis le mois d'août 1830, il avait été promu, en octobre de cette année, au grade de lieutenant-colonel et ensuite à celui de colonel.

« J'avais, en même temps, sollicité pour vous une gratification, en dédommagement des sacrifices pécuniaires que vous avez faits dans l'intérêt de l'organisation, du bon ordre et du service en général. »

Mais ces sacrifices pécuniaires où et quand ont-ils été faits ? A quels besoins ont-ils pourvus ? A quelle somme s'élèvent-ils ?

S'agit-il d'une centaine de francs ou de sommes bien plus considérables ?

Nous l'ignorons complètement !

La lettre continue, et c'est ici surtout que j'insiste sur la remarque que je faisais tout à l'heure que lorsqu'on annonce un refus, on cherche à en atténuer la portée.

« Si, d'une part, je regrette que ma demande en votre faveur n'ait pas eu le résultat que j'en espérais, de l'autre, je me félicite d'avoir contribué, autant qu'il était en moi, à faire apprécier, à leur juste valeur, les sentiments et les qualités qui vous distinguent, et le noble usage que vous en avez fait pour le service de la patrie. J'aime à penser que les termes flatteurs dont M. le commissaire général se sert pour exprimer sa satisfaction sur votre compte, seront à vos yeux une récompense honorable, et que vous y lirez comme moi la reconnaissance de vos droits à une juste indemnité, quand les finances de l'Etat seront dans un état plus prospère. »

Messieurs, vous avez la lettre du commissaire général de la guerre sous les yeux ; vous pouvez apprécier s'il y avait moyen d'y trouver un engagement quelconque de la part de ce haut fonctionnaire. Il rejette la demande d'une manière positive, et s'il s'est retranché derrière l'état des finances. Que peut-on en induire ? Mais seulement que ce refus a été formulé de la manière la moins désobligeante possible.

Cette seconde lettre est le seul titre invoqué par l'honorable M. Thiéfry pour faire prendre à la Chambre une décision aussi extraordinaire, aussi anomale, aussi dangereuse, comme précédent, que celle qui vous est proposée. Rien n'y est déterminé je le répète : nous ne savons ni quand, ni où, ni dans quel but des sacrifices auraient été faits : ignorance complète de tous points, en sorte que le principe de l'indemnité fût-il aussi bien admis, qu'il est exclu par la demande de gratification, qu'il serait encore absolument impossible de se faire une idée quelconque de la somme à allouer.

La troisième lettre officielle est du 20 avril 1837. Dans cette lettre, M. le ministre de la guerre informe M. Dollin du Fresnel qu'il ne peut en aucune manière accueillir sa réclamation, « Dans l'hypothèse même, dit-il, où cet obstacle (la clôture des comptes des premiers exercices qui ont suivi la révolution) n'existerait point, il n’y aurait pourtant pas moyen de vous tenir compte des susdites dépenses. »

Et cela se conçoit. S'il y a eu des sacrifices pécuniaires faits par le général Dollin, il est évident par la nature même des choses qu'il ne peut réclamer les sommes dont il se serait ainsi dépouillé ; le sacrifice par son essence exclut l'idée de répétition et par conséquent n’engendre pas de droit. « Ces sacrifices, dit M. le ministre, ne sont pas de nature à être reconnus, fussent-ils appuyés sur des titres irrécusables. »

En 1837 donc encore la réclamation du général Dollin était écartée et cela par les motifs les plus péremptoires.

Permettez-moi, messieurs, d'après les pièces dont je viens de donner lecture, de rectifier ici une assertion de l'honorable M. Thiéfry. Il résulte d'une manière positive de ces pièces que le général Dollin du Fresnel a réclamé dès 1830 le remboursement des dépenses qu'il aurait faites. Il est donc inexact de dire que ce ne serait qu'après son mariage qu'il aurait élevé des réclamations que l'insouciance de célibataire lui avait fait négliger jusque-là.

II faut constater encore qu’en 1830, comme à toute autre époque, l'Etat a payé les créances sérieuses à sa charge, et que ce n'est que parce que celle du général Dollin n'avait pas ce caractère qu'elle n'a jamais été admise.

Les honorables membres qui ont fait la proposition de loi qui nous occupe ont senti que les pièces officielles n'étaient pas suffisamment probantes, que d'autres documents étaient nécessaires et qu'il était tous au moins indispensable que la Chambre sût pourquoi elle accordait des fonds.

Deux certificats ont été produits à cette fin.

Je tiens surtout à les faire apprécier à leur valeur par la Chambre. Il est de règle que, lorsque des personnes ont des relations trop intimes avec un intéressé, leur témoignage ne doit être accueilli qu'avec réserve.

Voyons donc dans quels termes les auteurs de ces certificats étaient avec le général Dollin du Fresnel. Voici ce que j'en connais :

En 1852, la société anonyme des hauts fourneaux et usines de Goegnies, qui avait son siège dans l'arrondissement qui m'a envoyé dans cette enceinte, est tombée en faillite. Après cette déclaration de faillite, de nombreux procès se sont élevés entre les personnes ayant à divers titres des intérêts dans cette société ; ces procès ont occupé pendant de longues audiences le tribunal de Charleroi d'abord, la cour de Bruxelles ensuite ; celle-ci est encore aujourd'hui saisie de différentes contestations.

Le directeur-gérant de la société de Goegnies était le sieur M. D. Henvaux, le général Dollin du Fresnel présidait le conseil d'administration, dont faisait aussi partie le major pensionné Bouhon. Il a été soutenu, dans un de ces procès que le général Dollin n'avait dans la société aucun intérêt, et qu'il ne remplissait ses fonctions que par l'influence du directeur-gérant qui lui avait même confié les actions nécessaires pour être administrateur.

On voit que les liens entre le président du conseil d'administration et le directeur-gérant étaient dans tous les cas très étroits, et que le major Bouhon était loin de leur être étranger.

Je connaissais ces faits. Aussi hier soir, lorsqu'en examinant les annexes du rapport de la section centrale, j'ai vu que les pièces apportées à l'appui du projet, émanaient précisément de MM. D. Henvaux et du major Boubon, dont j'avais entendu les noms cités ensemble devant la justice, ma surprise a été très vive et j'ai cru qu'il était de mon devoir de faire connaître ces circonstances à la Chambre.

Vous pouvez maintenant, messieurs, apprécier la valeur des deux certificats produits. Est-elle bien différente de celle qu'auraient des déclarations émanées du général Dollin lui-même ?

Ces attestations renferment des faits bien dignes de remarque. Nous lisons dans celui qui porte la signature du sieur Henvaux :

«Tout le monde à Namur, admirait son désintéressement patriotique, autant que son énergique activité, sans lesquels on se plaisait à dire que son régiment n'aurait jamais pu être organisé en si peu de temps, au point qu'il promit à M. Charles Rogier, alors en tournée à Namur, d'avoir habillé et armé un bataillon dans les huit jours, ce qui fut exécuté réellement au moyen des effets commandés et payés par M. du Fresnel. »

Ainsi donc le général Dollin aurait armé et équipé un bataillon tout entier, et il l'aurait fait à ses frais et cela en huit jours. Voilà certes un fait important, qui s'est passé au milieu d'une grande ville, qui a dû être remarqué. On devrait croire que des centaines de personnes viendront le constater. Pas du tout. M. M.D. Henvaux seul en Belgique en témoigne !

Mais ne sait-on pas que dans les plus minimes affaires qui soient soumises aux tribunaux, on trouve quantité de personnes qui ont remarqué des circonstances qui ne les intéressent pas, qui ne concernent que des tiers ; et sur un fait aussi saillant M. Dollin du Fresnel n'a d'autre témoin que le directeur-gérant de la société dont il préside le conseil d'administration.

Et ce n'est pas seulement à Namur que des faits semblables se seraient passés. Le second certificat en contient d'aussi remarquables qui auraient eu lieu à Liège. Nous y lisons :

« On demandait que l'organisation fût promptement achevée, mais on ne donnait pas tous les fonds nécessaires. C'est alors que le colonel précité fit dans l'intérêt de l'armée de grandes dépenses pour armer et équiper les hommes qui nous arrivaient de toutes parts. »

Il s'agissait de deux régiments ; eh bien, à Liège même silence qu'à Namur, toujours un seul témoin !

Voilà, messieurs, les documents que l'on nous soumet ; ils ne suffiraient pas en justice pour établir la créance la plus minime, et ils suffiraient pour faire prendre à la Chambre une mesure aussi grave que celle qui nous est proposée.

Oui, elle est grave non pas sans doute par la somme engagée, mais par sa nature, par le précédent qu'elle constitue, et si quelqu'un niait l'importance des précédents en cette matière, je l'établirais par les paroles de l'honorable M. Thiéfry lui-même. Il y a quelques années, une pension a été allouée à M. veuve Buzen, c'est un puissent argument aux yeux de l'honorable membre pour en accorder une à Mme veuve Dollin du Fresnel.

Voilà la portée des précédents ; accueillir une demande, c'est en provoquer de nouvelles. Il faut s'arrêter dans cette voie.

Sous un autre point de vue encore, je crains d'engager l'avenir. Je suis loin d'être insensible à la triste position dans laquelle se trouve Mme Dollin et que nous a exposée notre collègue ; mais si nous pouvons compatir, comme particuliers, à son infortune, comme législateurs nous devons avant tout maintenir les principes ; il ne faut pas se laisser aller à des (page 702) sentiments de générosité dont nous aurions à nous repentir en présence des abus qu'ils produiraient.

Le général Doliin n'a pas contribué à la caisse de retraite, c'est un fait déplorable, mais ce n'est pas à nous à réparer cet oubli des devoirs d'un père de famille ; il ne faut pas que d'autres soient encouragés à l'imiter.

Qu'il me soit permis, en terminant, de signaler la contradiction que renferme le projet de la section centrale.

Ce projet a-t-il pour but de faire une donation ou de reconnaître une créance ?

Si c'est un acte de donation, nous pouvons déclarer les sommes allouées insaisissables, mais il faut le reconnaître franchement et ne pas chercher à établir le droit de la bénéficiaire de la loi.

Si c'est une reconnaissance de créance, comment la déclarer insaisissable ? Les créanciers du général Dollin avaient un droit de gage sur tous les biens de leur débiteur, parmi lesquels se serait trouvée la prétendue créance dont il s'agit ; la loi pourrait-elle dire aux créanciers : « Vous avez un droit de gage qui vous est garanti par le Code civil ; soit, mais je vous en prive » ? Je n'hésite pas à dire que ce serait la plus fâcheuse violation du droit privé.

Les partisans du projet se trouveront toujours en face de cette alternative : ou il confère une donation et alors il faut la proposer comme telle ; ou il ne fait que reconnaître une créance et alors il est impossible de décider qu'elle sera insaisissable.

Tels sont, messieurs, les motifs qui me paraissent devoir faire rejeter la proposition de la section centrale. Je les crois dignes de l'attention de la Chambre.

M. B. Dumortier. - Je ne suivrai pas l'honorable préopinant dans toutes les observations qu'il a présentées, mais il me paraît que la base de son argumentation fait défaut, parce que, ainsi que l'a parfaitement bien dit l'honorable M. Thiéfry, la lettre du général d'Aywaille à M. Dollin du Fresnel, en date du 27 décembre 1830, en parlant de la gratification sollicitée pour ce dernier, la motive comme un dédommagement des sacrifices pécuniaires qu'il a faits dans l'intérêt de l'organisation. Le général commandant sous les ordres duquel le colonel Dollin de Fresnel se trouvait immédiatement placé, reconnaît donc qu'il y avait eu des sacrifices pécuniaires faits par le colonel dans l'intérêt de l'organisation.

Maintenant tout l'échafaudage de l'honorable préopinant tombe. Il n'y a, dit-il, qu'une demande de gratification. C'est un mot ; mais derrière les mots nous voyons les choses : les sacrifices pécuniaires faits pour l'organisation.

Vous dites que les pièces de comptabilité n'existent pas. Cela est vrai ; mais l'honorable M. Thiéfry vous a répondu d'avance, en disant que si les pièces de comptabilité existaient, il n'y aurait pas de demande d'indemnité.

Et pensez-vous donc que les choses se passaient ainsi en 1830 ? Quand nous avons secoué le joug de la Hollande, nous n'avions pas d'intendances, nous n'avions pas d'officiers chargés de la vérification des comptes. On posait alors des faits ; on cherchait à sauver le territoire, et l'on n'avait pas derrière soi des agents comptables pour tenir les comptes avec la régularité qu'on rencontre dans les pays complétement organisés.

Il faut juger d'une situation par cette situation.

La réclamation dont il s'agit ne peut donc être appréciée avec une sévérité absolue, car quel en serait le résultat ? C'est que tous ceux qui ont fait des sacrifices pécuniaires aux dépens de leur fortune, aux dépens de leur famille, dans l'intérêt de la cause nationale, devraient se trouver frustrés de l'espoir de rentier dans les sacrifices pécuniaires qu'ils ont faits.

Eh bien, un pareille maxime serait une véritable iniquité. Messieurs, n'est-ce pas à ces hommes de 1830 que nous devons la situation actuelle ? N'est-ce pas à eux que la Belgique doit de jouir de ces belles institutions dont nous sommes fiers avec tant de raison ? N'est-ce pas à ces hommes que nous devons notre royauté, notre existence politique ? Et vous voudriez traiter les questions qui les concernent comme de misérables questions de mur mitoyen ? J'avoue que je ne puis admettre un pareil système, vis-à-vis d’hommes qui ont rendu d'immenses services à la patrie.

Il y a, messieurs, encore quelques plaies qui saignent, quelques plaies qui n'ont jamais été cicatrisées. Il sied à cette Chambre, il sied au gouvernement, qui est présidé par un des membres les plus honorables du gouvernement provisoire, de cicatriser ces plaies, de faire en sorte que ces nobles douleurs cessent enfin ; et il ne faut pas pour cela des capitaux. Il ne faut que faire droit à quelques justes et légitimes réclamations.

Vous me direz qu'il est de ces réclamations qui ne sont pas fondées. Je suis d’accord avec vous. Arrivent des réclamations déraisonnables, et je serai loin de leur accorder l’appui de ma parole. Mais quand un homme aura rendu des services éminents à la patrie et quand je verrai sa veuve et ses enfants croupis dans une position d'infériorité dont mon cœur saigne, je me rangerai toujours du côté le plus généreux. Or, le général Dollin du Fresnel est un des hommes qui ont rendu des services les plus réels, les plus sérieux à la cause de notre indépendance.

En 1831, lors de cette époque néfaste que nous voudrions pouvoir effacer, au prix de notre sang, des pages de notre histoire, qu'a fait le général Dollin du Fresnel ? Lui, commandant alors à Venloo, il a pris l'initiative ; il a commandé et dirigé ces corps qui ont eu de si brillants succès sur l'armée hollandaise. Ce fait, vous l'avez oublié ; peut-être ne l'avez-vous pas connu. Je dis que quand des militaires ont rendu de pareils services, les questions qui les concernent ne doivent pas être traitées comme de misérables questions de mur mitoyen, que ce n'est point ici une question de tribunal, que c'est une question de jury, que nous sommes ici en présence de notre conscience pour décider si les veuves et les enfants de ceux qui ont versé leur sang pour le pays, doivent croupir dans la misère alors que nous jouissons de tous les bienfaits dus à leur patriotisme,

M. Wala, rapporteur. - Messieurs, la section centrale dont j'ai l'honneur d'être rapporteur a examiné cette question à tous les points de vue : elle l'a examinée au point de vue du droit, juridiquement, dirai-je, mais elle l'a aussi examinée à un point de vue plus large, et elle a pensé qu'il appartenait à la Chambre de prendre une mesure que j'appellerai extra-légale.

Au point de vue du droit la section centrale ne s'est point dissimulé que la justification complète, la justification telle qu'elle devrait se faire devant les tribunaux, que cette justification complète n'existait pas. Elle n'a pas vu dans les documents produits cette preuve qui devrait faire réussir la famille du Fresnel si elle s'adressait aux tribunaux ; mais si la famille du Fresnel avait eu à sa disposition cette preuve, elle aurait pu se passer de s'adresser à la Chambre elle aurait pu s'adresser aux tribunaux.

Aussi la section centrale, pour ne pas être mise en contradiction avec elle-même, a eu soin de décider qu'en strict droit la légitimité de la créance n'était pas établie. Mais, examinant la question à un autre point de vue, la section centrale s'est demandé s'il ne résultait pas des pièces produites la preuve, au moins pour le for intérieur, que le général du Fresnel a, en 1830, mis autre chose encore au service de la patrie que son épée, qu'il a réellement fait des avances, des sacrifices personnels.

Elle aurait voulu avoir sous les yeux un premier rapport qui a dû être fait par le général d'Aywaille. Ce rapport n'existe pas et on peut en saisir parfaitement la raison, c'est qu'à cette époque les choses ne se faisaient pas de la manière la plus régulière. Mais la substance du rapport du général d'Aywaille se trouve dans les lettres qui ont été produites, et il en résulte à toute évidence que le général du Fresnel a contribué de sa poche à l'habillement de tout ou partie de certains bataillons.

Quant à la valeur des certificats produits et qui ont été centurés tout à l'heure par un honorable membre, la section centrale n'avait pas connaissance des faits qui ont été allégués, mais elle a vu que ces certificats émanaient d'anciens officiers de l'armée qui attestaient des faits dont ils devaient avoir parfaite connaissance et elle en a pu d'autant moins suspecter l'exactitude, qu'on lui a rappelé ce que disait le ministre de la guerre dans la séance du 1er février 1856.

Je dis, messieurs, qu'en présence des documents auxquels je viens de faire appel, en présence même des certificats qui ont été tout à l'heure critiqués, et en présence du langage tenu par le ministre de la guerre, la section centrale ne pouvait douter un seul instant qu'en 1830, le général du Fresnel n'eût pas réellement fait des sacrifices pécuniaires dans l'intérêt du pays.

Maintenant, messieurs, dans l'état d'infortune où il a laissé sa veuve et ses enfants, est-il juste que cette famille supporte les conséquences d'avances faites en 1830 par le colonel du Fresnel ? Si l'on fait appel au for intérieur et si l'on reconnaît que réellement ces avances ont été faites, on peut, ce me semble, laisser de côté la rigueur du droit, la rigueur de la loi pour n'obéir qu'à un sentiment de justice et d'équité qui commande de rendre à la veuve et aux enfants ce que le colonel du Fresnel a avancé dans l'intérêt de la patrie, dans l'intérêt de la régénération du pays.

Je dois rencontrer, messieurs, le reproche de l'honorable M. Pirmez qui tendrait à établir que la section centrale s'est mise en contradiction avec elle-même dans son rapport, en disant d'abord qu'il s'agissait d'une créance, et en stipulant ensuite que la pension serait insaisissable. La section centrale s'est mise d'accord avec les lois sur la matière : en créant une pension en faveur de la veuve du Fresnel, la Chambre a le droit de déclarer que cette pension sera insaisissable et incessible. II ne s'agit pas, en effet, d'une créance de la nature de celles qui ont été indiquées par l'honorable préopinant.

Maintenant, messieurs, quant à la hauteur des avances qui ont été faites, il est vrai qu'on n'a pas de base certaine pour en déterminer le chiffre ; mais la section centrale, après s'être entourée de tous les renseignements qui étaient a si disposition, a cru qu'en fixant la pension à 100 francs par mois, on n'allait pas au-dessus de ce que le trésor public devait équitablement à cette famille.

Telles sont, messieurs, les raisons qui ont déterminé la section centrale. La Chambre décidera.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je crois que, dans l'intérêt même de la veuve et des enfants du Fresnel, il vaut mieux ne pas trop parier de cette prétendue créance. La vérité est que le général du Fresnel a rendu en 1830 des services signalés par son zèle, son activité et son patriotisme à toute épreuve A la suite d'une négligence que l'on ne s'explique pas, il n'a point pris part à la caisse des veuves, et aujourd'hui ta veuve et ses enfants sont dans une position des plus tristes.

(page 703) Eh bien, je crois que la Chambre ne se compromettra pas en votant une modique pension en faveur de cette veuve et de ces enfants mineurs, sans avoir aucun égard à cette prétendue créance.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. - On passe aux articles de la proposition de la section centrale, proposition à laquelle les auteurs de la proposition primitive se sont ralliés.

Articles 1 à 3

« Art. 1er. Il est accordé, à charge du trésor public, une pension annuelle de 1,200 francs, insaisissable et incessible, à la veuve du général Dollin du Fresnel. »

- Adopté.


« Art. 2. Si elle se remarie, elle perdra ses droits à la pension, qui sera réversibles comme en cas de décès, sur la tête de ses enfants mineurs, jusqu'à l'âge de dix-huit ans, sans que les droits résultant de cette réversion puissent, en aucun cas, attribuer à chaque enfant au-delà de 300 francs annuellement. »

- Adopté.


« Art. 3. Cette pension prendra cours à dater de la publication de la présente loi. »

- Adopté.

Article 4

M. le président. - On me remet à l'instant même une proposition quit formerait l'article 4 du projet de loi.

Cette proposition est ainsi conçue :

« Le gouvernement est autorisé à payer à la veuve et aux enfants de feu le major de Marneffe la somme de 18,788 fr. 90 c. pour solde de ses avances faites en 1830 et 1831. »

La proposition est présentée par MM. B.-C. Dumortier, Armand de Perceval, Rodenbach, J. Malou.

- Des membres. - C'est une proposition tout à fait nouvelle qui n'a rien de commun avec le projet de loi. Cela est contraire au règlement,

M. B. Dumortier. - Mous ne voulons pas entraver le vote du projet de loi actuel ; nous reconnaissons que notre amendement a le caractère d'une proposition spéciale ; nous le présenterons ultérieurement sous cette forme. C'est un acte de justice qu'il s'agit de poser.

M. le président. - Les auteurs de la proposition n'insistent pas.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

Voici le résultat de cette opération :

66 membres répondent à l'appel.

51 répondent oui.

15 répondent non.

En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis an Sénat.

Ont répondu oui : MM. de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Godin, Jacquemyns, Janssens, J. Jouret, Lange, le Bailly de Tilleghem, J.. Lebeau, Lesoinne, Magherman. Nélis, Notelteirs, Orban, Pirson, Prévinaire, Rodenbach, Sabatier, Saeyman, Tack, Thiéfry, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Stichelen, Van Iseghem, Van Overloop, Verwilghen, Wala, Wanderpepen, Ansiau, Coppieters 't Wallant, Crombez, de Boe, H. de Brouckere, Dechentinnes, de Decker, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Paul et de Perceval.

Ont répondu non : MM. de Renesse, Grosfils, Mascart, Moreau, Muller, Pirmez, Rogier, Tesch, Thienpont, E. Vandenpeereboom, Allard, Dautrebande, David, Deliége et Verhaegen.

- La séance est levée à 5 heures moins un quart.