Séance du 18 mars 1858
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)
(page 479) (Présidence de M. Orts, premier vice-président.)
M. Vander Stichelen procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des meuniers et huiliers, à Oultre, demandent la réduction du droit de patente auquel ils sont assujettis. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Langhemarck demandent la réforme de la loi sur la milice dans le sens des enrôlements volontaires. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les autres pétitions ayant le même objet.
« L'administration communale de Wavre réclame l'intervention de la Chambre pour que les compagnies concessionnaires des chemins de fer du Luxembourg et de Manage remplissent les obligations qui leur sont imposées par le cahier des charges. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. de Luesemans, retenu chez lui par un devoir de famille, demande un congé.»
- Accordé.
M. de Perceval. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant au département de la guerre un crédit supplémentaire de 158,000 fr. pour travaux d'achèvement et d'amélioration du matériel du génie.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture d'une proposition de loi, due à l'initiative de plusieurs de nos collègues. Elle est ainsi conçue :
« Léopold, etc.
« La loi du 27 décembre 1848 (Bulletin officiel, n°161) est abrogée.
« La présente loi sera exécutoire à partir du premier jour du mois qui suivra sa promulgation.
« Promulguons la présente loi, ordonnons qu'elle soit revêtue du sceau de l’État et publiée par la voie du Moniteur.
« (Signé) Allard, Lebeau, H. Dolez, Dautrebande, A. Pirson, baron de Man d'Attenrode, Moncheur, H. Ansiaux, comte de Mérode-Westerloo, baron le Bailly de Tilleghem, comte L. d'Ursel, B.-C. Dumortier, Ch. de Luesemans, E. Godin, Wala. »
- La parole est à M. Allard pour présenter les développements de cette proposition.
M. Allard présente ces développements. .
- La proposition est prise en considération et renvoyée à l'examen des sections.
La discussion générale continue.
M. Manilius. - Messieurs, jusqu'ici le budget des travaux publics n'a subi d'aucune part la moindre attaque, la moindre réclamation. Mais plusieurs des honorables orateurs qui m'ont précédé ont réclamé divers travaux dans l'intérêt public, dans l'intérêt commun de la population belge. Je suivrai la même trace. Je ne viens pas les combattre ; au contraire, je les appuie.
Je pense que les demandes très raisonnables qui ont été faites par plusieurs honorables députés de la province de Limbourg doivent nécessairement mériter l'appui de ceux qui trouvent le bien-être du pays dans la multiplication des voies de communication et notamment dans la progression, dans l'augmentation des voies ferrées.
Messieurs, je ne m'étendrai pas sur le redressement de la ligne de Bruxelles à Louvain ; cette mesure a été parfaitement défendue ; je ne puis que l'appuyer et j'espère que le gouvernement ne tardera pas à nous présenter un projet de loi à cet égard. Je dirai seulement que je suis, étonné qu'il ait tardé si longtemps à le faire.
Il est à ma connaissance, messieurs, que plusieurs tracés sont soumis au gouvernement et que ces tracés diffèrent notablement entre eux quant à la distance. J'engage fortement le gouvernement à donner la préférence à la voie la plus courte, à la voie qui a de tout temps paru la plus raisonnable ; je l'engage vivement à ne pas céder facilement aux obsessions et à ne pas admettre une voie qui ne serait pas la plus courte et la plus directe.
Il est arrivé trop souvent qu'on cédait tantôt à une considération, tantôt à une autre, et qu'on créait ces désagréments qu'on doit aujourd'hui réparer. Notre grand réseau vers l'Allemagne n'est déjà plus une ligne directe, il faut le corriger. Un honorable député de Hasselt, tout en reconnaissant que pour le moment il n'y avait' pas moyen d'aboutir, nous a conseillé de construire une voie nouvelle, en concurrence, en quelque sorte, avec la voie actuelle vers l'Allemagne, partant d'Anvers à travers la Campine et se dirigeant vers Düsseldorf.
Je pense que le gouvernement doit ouvrir l’oreille quand les conseils lui arrivent de députés aussi insinuants que celui-là ; je me permettrai cependant de donner un autre conseil au gouvernement. Ce n'est pas que je veuille empêcher la Campine d'obtenir une voie de communication pour ses importantes villes, mais je ne voudrais pas que pour le bien-être partiel d'une province très importante, si l'on veut, on allât détruire un bien-être général qui a coûté des millions et des millions.
En effet, comme l'a dit hier l'honorable M. Dumortier, c'est le chemin de fer qui a coûté le plus ; on a dirigé ce chemin de fer à travers des accidents que l'on aurait crus infranchissables ; on a percé des rochers considérables pour arriver à Verviers et à Herbesthal Et aujourd’hui on dit : Il faut aller directement par la Campine et se diriger vers Düsseldorf.
Mais, messieurs, si vous voulez aller à bon compte à Düsseldorf, il ne faut pas pour cela faire une dépense immense dans l'intérêt des landes de la Campine. Votre chemin de fer est aujourd'hui relié à celui de l'Allemagne, où nous avons aussi beaucoup d'intérêts à conserver : ce chemin de fer se dirige aussi sur Düsseldorf ; il y a une ligne d'Aix-la-Chapelle à Düsseldorf. Mais, dit-on, il y a un raccourcissement de plusieurs kilomètres. Cela pourra faire une différence de 8 à 10 p. c. Eh bien, pour faciliter le transit d'Anvers à Cologne et d'Anvers à Düsseldorf, faites ce que le département des travaux publics comprend si bien : accordez des remises de 10 p. c. ou dans la proportion qu'exige la concurrence, vous aurez la voie la plus courte ; vous ne l'aurez pas seulement pour Anvers ; mais vous l'aurez pour Ostende, pour Gand, pour Bruxelles, pour Mons ; vous l'aurez pour tout le monde.
Voilà ce que j'avais à dire relativement à cette espèce d'engouement que l'on éprouve aujourd'hui pour les chemins de fer à vol d'oiseau. Voulez-vous réprimer l'excès des demandes de concession, parallèles à la voie actuelle, créez des tarifs à vol d'oiseau ; et vous verrez s'évanouir ces concessionnaires et ces souscripteurs pour des chemins de fer, qu'on sollicite pendant un grand nombre d'années, et qui, une fois obtenus, finissent par ne pas être exécutés.
A cette occasion, je demanderai à M. le ministre des travaux publics ce qu'on se propose de faire à l'égard des cautionnements relatifs à certains chemins de fer qui ont été concédés et dont on n'a pas encore commencé la construction. Il paraît qu'on est en instance pour que les cautionnements, destinés à rester dans le trésor en cas de non-exécution des travaux, soient restitués aux concessionnaires. Cette prétention, est contraire aux actes de concession ratifiés par la loi.
Aux termes de ces actes, le trésor devient possesseur des cautionnements à déposer par les concessionnaires qui se sont hasardés à promettre ce qu'ils ne pouvaient pas tenir.
Je sais que l'on parle de la crise qui a sévi dans ces derniers temps. Cet argument ne doit pas nous émouvoir. Certaines demandes de concession ont été faites au fort de la crise qui dure déjà depuis très longtemps.
Voilà ce que j'avais à dire relativement aux demandes de concessions de chemins de fer. Ce n'est pas que je veuille m'opposer à ce qu'on accorde des concessions, mais je désire que ceux qui les obtiennent accomplissent ce qu'ils promettent. Ce n'est pas non plus que je ne sois pas favorable à ce que l'on demande spécialement pour le Limbourg ; je trouve juste qu'on rattache, autant que possible, les populations de cette province au chemin de fer ; mais je désire en même temps qu'on traite avec la même faveur d'autres provinces qui sont dans le même cas, et qui ont de lourdes charges à supporter.
Je pense que, sous ce rapport, les Flandres et le Hainaut méritent bien quelque attention. Je me permets donc de donner, moi aussi, un conseil au département des travaux publics ; je l'engage à examiner s'il n'est pas urgent de rattacher, d'une manière un peu plus directe, les railways aux grands centres de population ; certaines villes de ces deux (page) provinces, qui sont au moins aussi importantes que celles dont on nous a parlé.
Ici, veuillez remarquer, messieurs, que je ne veux pas peser sur le trésor ; je demande seulement que les concessions demandées soient accueillies de meilleure grâce qu'on ne le fait et sans que nous ayons besoin de venir solliciter pour les concessionnaires qui offrent des dépôts à titre onéreux.
Il me semble que le département des travaux publics ne doit jamais s'opposer à l'établissement de voies de raccordement, d'embranchement ou de sections, ayant pour but de relier entre eux les grands centres de population, de production et de consommation.
C'est le langage que l'on tient en parlant du Limbourg ; je suis bien fondé, je pense, à tenir le même langage, car nous avons dans notre province de ces villes de 12,000, 13,000, 20,000 âmes pour lesquelles ou pourrait accorder les concessions d'embranchement qu'on demande, sans lésiner aussi longtemps qu'on l'a fait.
Cependant, depuis longtemps on a accordé la concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte à Grammont et de Grammont à Renaix et Courtrai.
Je demanderai si ce chemin est commencé, et dans la négative, si le terme n'est pas arrivé où le cantonnement doit appartenir à l’État. Si l’on a commencé, je demanderai si la concession abandonnée un moment de Grammont à Gand, mais qui sera, ou est déjà, reproduite, doit rester une lettre morte. Comme on n'a pas hésité à accorder la ligne de Grammont à Courtrai, pour laquelle je me suis également prononcé, je ne vois pas pourquoi on s'opposerait à laisser continuer le chemin de fer de Grammont jusqu'à Gand.
Comme l'a fort bien dit M. de Theux, ces sortes d'observations ne peuvent aboutir, quant à présent, mais elles peuvent servir ; car ainsi que l'a laissé entrevoir M. le ministre des finances, il est utile de soulever les questions de longue main, de provoquer des pétitions et d'exciter au remue-ménage dans les populations ; sans cela on court risque de s'entendre répondre : « Personne ne demande cela. »
Les communications dont je parle sont vivement désirées par les petites provinces de Flandre et de Hainaut. Je pense que le ministère aura quelques égards à mes observations et les placera dans le dossier des choses à remémorer.
Maintenant j'arrive à un objet dont on a le plus parlé jusqu'à présent dans la discussion, objet intéressant au point de vue de la généralité ; il ne s'agit, ni d'un intérêt de localité, ni d'un intérêt de province, ni de l'intérêt des riches plutôt que de l'intérêt des pauvres, ni de l'intérêt des commerçants, des banquiers ou des habitants des campagnes ou des châteaux, il s'agit de tout le monde ; vous comprenez que je veux parler de ce qui concerne la régularité, l'uniformité de la taxe. ...Cette uniformité que l'on réclame, remarquez-le bien, ne data pas seulement de 1849, mais de bien plus loin ; et pour dire en passant quelques mots en réponse au ministre des finances qui paraît n'avoir pas tenu compte de ce précédent, j'aurai l'honneur de lui rappeler que depuis de longues années, il existait à la campagne un décime rural ; ce décime rural gênait tellement les campagnards, que tous, curés, notaires et bourgmestres en tête, ont fait des instances inouïes pour obtenir la suppression de ce décime rural. Il n'y avait pas alors de timbre, mais il y avait une' taxe uniforme pour les villes et une taxe supplémentaire pour les campagnes. Eh bien, ce sont cependant ces populations qu'on a représentées comme n'ayant aucun intérêt dans la question, comme n'étant pas intéressées à un abaissement nouveau de la taxe postale. Ce seul rapprochement suffit, me semble-t-il, pour faire justice de cette objection. Maintenant, s'il avait, pu rester dans nos esprits quelque doute encore sur ce point, M. le ministre des travaux publics se serait chargé de le dissiper hier.
Il nous a dit que la poste avait énormément coûté par suite des modifications qu'on a introduites dans ce service, notamment par l'augmentation des bureaux de distribution, et du nombre des facteurs ; mais ce que je ne savais pas et ce que m'a appris hier l’honorable chef du département des travaux publics, c'est que la plus grande amélioration a consisté dans la création de la poste rurale.
Mais, si on n'écrit pas dans les campagnes, pourquoi donc a-t-on fait toutes ces dépenses en faveur du service de la poste rurale ? Je prie M. le ministre des travaux publics et des finances de croire que je ne fais nullement cette observation dans le dessein de constater une contradiction ; je ne la présente que pour embellir un peu une situation qu'on s'est plu à présenter hier sous des couleurs infiniment trop sombres.
Je n'ajouterai plus qu'un mot. En 1849 j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire comprendre tout le progrès que renfermait la réforme postale. Aujourd'hui encore je lais toutes mes instances non pas pour obtenir une nouvelle réforme, mais pour maintenir ce que nous avons fait alors avec le conseil du Sénat. Le Sénat par son amendement et la Chambre par l'accueil qu'elle y a fait, ont mis entre les mains du gouvernement le pouvoir de. régulariser la taxe postale ; il ne faut donc pas de loi nouvelle pour compléter la réforme introduite en 1849 ; il ne faut que de la part du gouvernement un peu de bon vouloir. Je comprends très bien que M. le ministre des finances, gardien du trésor public, ait fait tout ce qu'il a cru nécessaire pour empêcher un changement trop brusque à l'état de choses actuel.
Mais j'ai beaucoup mieux compris encore l'honorable M. Orts qui a ajourné le gouvernement à la discussion du budget des voies et moyens pour examiner d'une manière toute spéciale si l'éventualité énoncée par la loi de 1849 est ou n'est pas réalisée à l'heure qu'il est ; et si le moment est enfin venu de donner à la plus grande partie de la population belge la satisfaction qu'elle réclame. Sans vouloir donner à ma prédiction le moindre caractère d'une menace, je crois pouvoir prédire que, si, après la démonstration que le produit net de 2 millions est atteint, le gouvernement ne se décidait pas à compléter la réforme postale, il n'y aurait pas de district qui ne nous envoyât des pétitions tant et plus que nous en voudrons.
Je crois pouvoir borner ici mes observations dans la discussion générale et attendre la discussion des articles pour prendre encore la parole si je le crois nécessaire.
(page 488) M. Loos. - Messieurs, on a semblé vouloir ajourner la discussion sur la réforme postale à l'époque où nous nous occuperons du budget des voies et moyens. Je comprends en effet que cette discussion pourrait difficilement aboutir aujourd'hui. Cependant, comme la question a été soulevée, je ne puis, à raison de la position que j'ai toujours prise lorsqu'il s'est agi de cette réforme, laisser passer cette discussion sans dire quelques mots.
Messieurs, je regrette infiniment l'opposition qui est faite en ce moment par le gouvernement. Je dois dire que je ne m'y attendais pas. Il m'avait paru que si le moment n'était pas venu de consacrer la réforme à dix centimes, le gouvernement pouvait, en nous exposant les circonstances qui devaient retarder la réalisation de cette réforme, nous ajourner à un temps moins indéfini que celui qu'il nous a indiqué hier.
En effet, que nous a dit l'honorable ministre des travaux publics ? Si j'ai bien compris, on peut résumer en quelque sorte sa pensée en ceci : Quand il n'y aura plus rien à modifier, plus rien à perfectionner, plus rien à faire, en un mot, pour la poste, on songera a la réforme à dix centimes. On nous a énuméré quelles étaient les améliorations introduites dans ce service. On a dit qu'il restait encore énormément à faire et que tant qu'il resterait quelque chose à faire qui fût d'un intérêt général, plus direct aux yeux du gouvernement, on ne songerait pas à la réforme à 10 c. Eh bien, franchement je ne puis accepter cette position.
Quand nous avons discuté, en 1849, ce grand intérêt à la Chambre, si ma mémoire me sert bien, les arguments que l'honorable ministre a donnés hier contre la réforme, sont précisément ceux qui partaient d'autres bancs que les nôtres. Alors aussi on nous disait qu'il n'y avait que les négociants, les banquiers, les riches qui profiteraient de la réforme que nous proposions. C'est le cabinet, tel qu'il est à peu près composé aujourd'hui, qui alors protestait contre ces allégations, combattait les observations de nos adversaires et démontrait que le public en général, et principalement les classes les moins aisées de la société, éprouveraient les plus grands bienfaits de la réforme que patronnait le gouvernement.
L'honorable ministre a dit hier : Ne vaudrait-il pas mieux consacrer les 500,000 ou 600,000 francs de déficit que vous allez produite dans le trésor, à l'amélioration, par exemple, du sort des instituteurs communaux, afin d'apprendre à lire et à écrire avant de réduire le port des lettres ? Il est dans le pays quantité de gens qui ne savent pas écrire et vous favorisez d'une manière excessive les moyens de correspondance en faveur d'autres. Il y a là une inégalité de position que nous ne pouvons accepter. Le plus grand bienfait qu'on puisse accorder au peuple, c'est l'instruction.
Messieurs, en 1849, on disait que l'élément qui pouvait concourir le plus à répandre l’instruction dans le peuple, c'était la facilité et le bon marché des correspondances entre les familles. On citait les parents qui ont des enfants dans l'armée, les miliciens qui étaient dans les diverses garnisons. Je sais très bien que la correspondance peut se faire pour ces classes d'une manière peu coûteuse ; mais, en général, elles ne connaissent pas le moyen. Combien de fois chacun de nous ne s'est-il pas trouvé dans le cas de faire l'aumône à des gens qui ne pouvaient payer le port des lettres qu'ils voulaient écrire à leurs enfants ?
Ce sont ces considérations qu'on faisait valoir en 1849, et je ne sache pas qu'elles ne subsistent plus aujourd'hui.
Enfin le ministère d'alors, qui est à peu près le même aujourd'hui, s'appuyait surtout sur des considérations morales pour faire prévaloir le projet qu'il présentait à la Chambre. Et qu'on ne mette pas sur le second plan ces intérêts moraux. Ce sont en définitive ces intérêts qui ont décidé de la réforme postale eu Angleterre. Ce n'est pas en s'appuyant sur des considérations d'un autre ordre qu'on a fait prévaloir la réforme. C'est en envisageant les intérêts moraux du pays que le parlement a trouvé convenable de réduire le port des lettres.
On luttait depuis un grand nombre d'années sans avoir réussi. Ce n'est que quand on a été d'accord sur l’effet moral que produiraient dans le peuple des moyens de correspondance aussi peu coûteux, que le parlement a accepté la réforme, sachant les sacrifices qu'elle coûterait au pays. Mais le parlement n'a pas reculé devant ces sacrifices.
Il en a été de même ici en 1849. C'est en s'appuyant sur les intérêts moraux des populations qu'on a consenti à des sacrifices momentanés pour le trésor. Je dois dire que j'ai été peiné de voir ces considérations perdues de vue, à cause de quelques embarras financiers qu'on redoute et qui ont d'ailleurs été singulièrement exagérés.
Messieurs, il est un moyen de rendre la réforme postale onéreuse pour le pays. C'est de décréter tout bonnement qu'à l'avenir on ne payera plus que 10 centimes et de maintenir pour l'organisation du service l'état actuel des choses. J'en conviens, c’est à peu près ainsi qu'on a agi en Angleterre dans les premières années, et je reconnais que cette façon d'agir produirait, en effet, des déficits considérables. Mais après avoir réduit à dix centimes la taxe des lettres, on ne doit pas se croiser les bras. On doit aviser au moyen de multiplier les correspondances de faire, en un mot, que la réforme produise tous ses effets. C'est en facilitant les moyens de communication, c'est en mettant de la régularité dans les correspondances, qu'on arrivera à ce résultat.
Je ne méconnais pas qu'on a fait quelques efforts dans ce but ; mais je déclare qu'il y a encore énormément à faire dans cette voie.
Mais, dit-on, ces modifications, ce sont des dépenses que vous voulez créer ! Oui, ce sont des dépenses ; mais des dépenses qui doivent être amplement compensées par les recettes.
Je citerai un autre moyen que vous apprécierez tout de suite. Pourquoi, par exemple, pour les correspondances dans l'intérieur des villes, n'établit-on pas une taxe spéciale ? Pourquoi ne pas rendre inutile l'usage des commissionnaires ?
Déjà aujourd'hui cela se pratique dans les grandes villes, et particulièrement à Londres, où l'usage des commissionnaires n'est plus connu. Si vous réduisiez à 5 centimes la remise des lettres dans l'intérieur des villes, ne croyez-vous pas que vous augmenteriez énormément la recette de la poste ? Quant à moi, j'en suis bien convaincu. J'en suis convaincu et je base mon opinion sur ce qui se passe ailleurs. Nous avons imité l'Angleterre en matière de réforme postale. Mais il faut la prendre telle qu'elle existe en Angleterre. Je ne veux pas soumettre des chiffres à la Chambre, mais je sais pertinemment que la distribution des lettres à Londres et dans les grands centres est d'un produit immense, produit tout à fait inconnu auparavant et qui est né de la réforme postale. Eh bien, voilà un moyen.
Ensuite, messieurs, n'est-il pas étonnant que les grands centres de population comme Bruxelles, Anvers, Liège, aient si peu de convois transportant les dépêches ? On dit que s'il y avait plus de convois il faudrait aussi plus de facteurs.. Mais, messieurs, cette dépense ne serait-elle pas couverte par l'accroissement de recettes qui résulterait de l'abaissement de la taxe et des fréquentes occasions de correspondre ? Quant à moi, je le pense et je dis, dans tous les cas, que si une administration particulière était à la tête de la poste, cette administration ferait des tentatives, et la plupart du temps ces tentatives seraient couronnées de succès.
Messieurs, toute l'année on reçoit des observations sur l'organisation défectueuse du service de la poste ; je ne dis pas que toutes ces observations soient fondées, mais il en est dont vous seriez extrêmement étonnés. Croiriez-vous, par exemple, que les lettres expédiées des Etats-Unis et portant sur l'adresse qu'elles doivent être acheminées sur Ostende,. croiriez-vous que ces lettres nous arrivent directement par Ostende ou par Calais ? Pas du tout, les lettres pour la Belgique, venant des États-Unis ou des colonies, sont dirigées de Londres sur Paris et nous arrivent avec une surcharge considérable et après avoir subi un retard de 24 ou 36 heures.
Ainsi, messieurs, on met sur l'adresse : « Per steamer via Liverpool, and per open mail via Dover and Ostend. » Et malgré ces, indications si claires et si positives, les lettres sont dirigées sur Paris.
Je sais la réponse que l'on fait à cela : « La malle arrive trop tard, et c'est pour ne pas retenir les lettres à Londres qu'on les expédie par Calais sur Paris, où se fait le triage. »
Eh bien, messieurs, à la place du gouvernement j'aurais depuis longtemps négocié pour obtenir que les lettres fussent expédiées directement de Calais sur la Belgique, sans devoir passer par Paris.
Les lettres de Paris qui arrivent à Bruxelles à 6 heures du soir sont distribuées à Anvers le lendemain matin.
Eh bien, messieurs, quand on songe à la grande importance de la prompte arrivée des lettres de France, on doit reconnaître que c'est là un fait extrêmement regrettable.
La malle des Indes arrive par la voie de Marseille, elle est attendue avec la plus grande anxiété, parce qu'elle peut apporter des nouvelles de nature à jeter la perturbation dans toutes les affaires. Je sais que les nouvelles les plus importantes arrivent par le télégraphe, mais les renseignements commerciaux n'arrivent que par la correspondance ordinaire. Eh bien, messieurs, je le répète, les lettres qui arrivant à Bruxelles à 6 heures du soir ne sont distribuées à Anvers que le lendemain matin.
Je viens, messieurs, de citer un exemple des nombreuses réformes que réclame le service des postes. Ces réformes doivent porter, non sur un seul point, mais sur tous les points ; la chose la plus importante, dans tous les cas, c'est de mettre la poste à la portée du plus grand nombre, des classes les moins aisées, et je crois, pour ma part, que cela n'est pas du tout impossible ; il suffit pour cela d'un peu d'activité et d'un peu d'intelligence et de beaucoup de bon vouloir.
En Angleterre, pendant les premières années, la réforme postale a rencontré pour interprètes des gens qui l'avaient constamment combattue ; il n'est donc pas étonnant qu'on ne lui ait pas fait produire tous les avantages qu'elle devait donner. Il a fallu qu'on confiât l'administration des postes à l'homme qui avait introduit la réforme, et c'est alors seulement que la réforme a produit tous ses effets. Je l'ai déjà dit, je n'accuse pas l'administration belge de mauvais vouloir ; ce serait injuste, mais on n'a pas eu toute l'activité, toute la sollicitude que réclamait une mesure de cette importance.
Messieurs, si l'on ne voulait pas, en ce moment, adopter la reforme postale, si l'on croyait que, dans l'intérêt du trésor, il fallût ajourner cette réforme, j'aurais désiré, au moins, que le gouvernement nous eût proposé d'étendre les zones, afin de juger ainsi des effets financiers de la réforme.
Quant à moi, je me serais contenté de cette première concession ; mais ajourner tout abaissement de la taxe jusqu'à ce qu'il n’y ait plus rien à perfectionner dans le service, voilà ce que je ne puis admettre, et je suis bien résolu à faire tous mes efforts pour que la taxe de dix centimes soit adoptée, sinon d'une manière complète, au moins dans une zone plus étendue que celle qui existe aujourd'hui.
(page 489) Messieurs, puisque j'ai la parole et que je pourrais ne plus avoir l'occasion, dans la discussion générale, de revenir sur cet objet, je dois vous entretenir un moment de la situation qui est faite aujourd'hui à notre commerce de transit. Déjà l'honorable comte de Theux a parlé de la ligne de chemin de fer directe d'Anvers vers l'Allemagne. Je dois dire à la Chambre que si elle ne veut pas perdre complètement ce qui reste du transit par la Belgique, il est indispensable de recourir à l'établissement d'une ligne plus économique que celle qui existe aujourd'hui entre Anvers et l'Allemagne.
Dans d'autres circonstances, tenant compte aussi des besoins du trésor, j'ai engagé le gouvernement et la Chambre, à adopter le mode indiqué par M. Manilius ; j'ai dit : Voulez-vous éviter l'établissement d'une nouvelle ligne, satisfaire aux besoins les plus urgents, éviter que le commerce de transit ne passe tout à fait entre les mains de nos concurrents ; prenez des distances à vol d'oiseau, pour diminuer les frais de transport ; par-là vous préviendrez, pour quelque temps, la perte de ce qui vous reste encore du transit.
Nos concurrents n'ont reculé devant aucun sacrifice pour attirer ce commerce chez eux. La Hollande n'a pas seulement cherché la voie la plus directe vers l'Allemagne, mais elle a aboli encore tout droit de navigation ; elle a réduit de 50 p. c. le droit de pilotage. La Belgique a vu s'accomplir tout cela, et elle n'a rien fait !
Il était pourtant une considération qui devait éveiller l'attention du gouvernement. Une clause des conventions arrêtées avec les Pays-Bas porte que, si l'on venait à diminuer le droit de pilotage entre la mer et Rotterdam, la Belgique serait autorisée à réclamer la même réduction entre la mer et Anvers. Eh bien, il existait, selon moi, un motif bien déterminant pour user de cette faculté, quand on a réduit de moitié le droit de pilotage vers Rotterdam.
On a dit alors que le pilotage formait un produit essentiel pour le trésor, et que, la recette venant à diminuer, il en résulterait un déficit pour le trésor. C'est toujours le même langage, quand il s'agit de sauvegarder les grands intérêts du pays, au moyen de quelques légers sacrifices, ne fussent-ils que temporaires.
Pour ma part, je suis très convaincu que si l'on ne veut pas perdre complètement le commerce de transit, il est indispensable de construire la ligne directe d'Anvers vers Hasselt ; on aurait pu réclamer une route plus directe encore, mais puisque des difficultés ont surgi à cet égard avec le gouvernement des Pays-Bas, je me borne à demander qu'on fasse la ligne directe entre Anvers et Hasselt.
On argumente du préjudice qui en résulterait pour le trésor. « Comment ! vous a dit mon honorable ami M. Manilius, vous avez construit à grands frais une ligne entre Anvers et la frontière prussienne ,et vous iriez établir une ligne parallèle à celle-là ! »
Mais faites donc attention que, si, à défaut d'autres moyens, vous ne construisez pas cette ligne directe, vous perdrez infailliblement ce qui vous reste de votre transit, et ces transports sont les plus importants de votre ligne.
Le transit de l'Angleterre vers l'Allemagne nous est déjà presque complètement enlevé ; nous sommes menacés de prendre le transit des États-Unis et des colonies, transit qui commence déjà à émigrer vers Rotterdam. Ainsi vous perdrez à la fois votre commerce de transit et les recettes du chemin de fer actuel.
Je prie le gouvernement de vouloir bien peser ces considérations. Je suis convaincu qu'en y réfléchissant mûrement, il sera pénétré de la nécessité de prendre un parti prompt et décisif, pour sauver ce qui nous reste du transit.
J'avais l'honneur de dire que la plus grande partie du transit anglais était perdue pour nous ; que nous étions menacés de perdre celui des États-Unis et des colonies. Que diriez-vous si je vous apprenais qu'an moyen d'arrangements existants et tolérés par notre gouvernement, on est parvenu en Hollande à lutter avec la Belgique, non pas seulement pour le commerce de transit, mais même pour l'approvisionnement du pays ? J'éprouve quelque scrupule à le dire, dans la crainte d'éveiller l'attention de l'étranger.
Mais enfin il faut bien vous le signaler, messieurs, il est plus économique de faire arriver par Rotterdam, passant par Anvers, des marchandises destinées pour Bruxelles, Liège, Verviers, etc., que de les faire arriver par Anvers.
Cela paraît incompréhensible, mais enfin cela est ; il en coûte moins pour le transport par chemin de fer de Rotterdam vers ces différentes villes de la Belgique, que d'Anvers. Je tiens en mains le tarif du chemin de fer de Rotterdam vers la Belgique qui le prouve à l'évidence. Les grands articles de commerce, le sucre, le coton, etc., sont placés dans la seconde classe, tandis qu'ils sont placés dans une classe moins favorable en Belgique : ce qui fait pour la Hollande une différence en moins de 30 à 40 p. c. ; ensuite le chemin de fer hollandais accorde, pour des parties de marchandise d'un poids donné, une réduction de 22 à 23 p. c. Puis, enfin il n'exige rien pour le chargement et le déchargement dans les stations ; le gouvernement accepte dans ces conditions les marchandises venant du chemin de fer de Hollande et les transporte à Liège et à Verviers : Il refuse ces conditions aux marchandises expédiées d'Anvers.
En présence de pareils faits, peut-on dire que le gouvernement se préoccupe réellement des intérêts du commerce ?
Je suis convaincu que vous avez eu de la peine à me croire quand je vous ai dit qu'il en coûtait moins de recevoir en chemin de fer des marchandises à Liège, à Verviers venant de Rotterdam que venant d'Anvers.
Mais ces faits ne sont malheureusement que trop exacts, M. le ministre des travaux publies les connaît ; ils lui ont été signalés par la chambre de commerce d'Anvers et par moi.
Mais, ce qui doit m'étonner, c'est qu'ayant connaissance de ces faits, il n'ait pas pris des mesures immédiates pour faire cesser cet état de choses.
A l'heure qu'il est, ces faits existent encore. J'ai trop de confiance dans l'honorable ministre des travaux publics, pour ne pas être convaincu qu'il va mettre un terme à une situation véritablement anomale et par trop préjudiciable aux intérêts du commerce belge.
(page 483) M. de Moor. - Messieurs, dans la séance du 10 mars 1857, l'ancien ministre des travaux publics a reconnu, sur mes observations, combien était fâcheuse la position de certains fonctionnaires de son département. Je ne répéterai pas aujourd'hui tous les arguments que j'ai fait valoir alors.
Qu'il me soit permis cependant de dire quelques mots des chefs de bureau, des directeurs des ponts et chaussées en province et de vous donner, tout d'abord, lecture de la réponse que me fit l'honorable M. Dumon, alors ministre des travaux publics : « Les observations que vient de présenter l'honorable préopinant sont très justes : les fonctions de chef de bureau, de directeur des ponts et chaussées dans les provinces exigent une aptitude particulière, des connaissances spéciales, et l'avancement offert à ceux qui les exercent est excessivement restreint. Je ne connais pas d'exemple qu'ils aient passé au-delà de ce grade. Je ne suis pas en mesure de faire connaître à la Chambre ce qui pourrait être fait pour eux, mais ils sont dignes de la sollicitude que vient de leur montrer l'honorable préopinant. »
En effet, messieurs, ces employés, en général des hommes de mérite, sont destinés d'après l'arrêté organique en vigueur, à n'obtenir ni un traitement supérieur à 2,000 fr., ni un avancement quelconque, et cependant leurs fonctions sont tout aussi importantes que celles des chefs de bureau de l'administration centrale, qui ont, eux, une perspective d'avancement et d'augmentation de traitement.
J'espère que M. le ministre traduira en actes la bonne volonté de son prédécesseur.
A plusieurs reprises, d'honorables collègues et moi avons appelé l'attention de la Chambre et du gouvernement sur une industrie qui se trouve dans une position assez fâcheuse en raison des difficultés de transport de ses produits ; je veux parler de la position faite par le traité du 27 février 1853 avec la France à notre industrie ardoisière. Nous avons appelé l'attention du gouvernement sur deux points : nous demandions l'abaissement du droit de barrière et l'inscription des ardoises à la troisième classe du tarif n°3, c'est-à-dire aux mêmes conditions que les matières pondéreuses.
Le gouvernement nous répondait toujours : « Nous examinerons. » C'est tout ce que nous pouvions obtenir ; car le résultat de l'examen, on ne nous l'a jamais donné, nous ne le connaissons pas encore.
Nous ne demandons plus l’abaissement du droit de barrière, les conditions économiques devant être bientôt et heureusement complètement modifiées. Mais ce dont nous réclamons très vivement et très prochainement l'examen, c'est la question de la tarification de nos ardoises parmi les matières pondéreuses.
Pour l'industrie ardoisière il est encore un point sur lequel j'appellerai l'attention de M. le ministre des travaux publics.
Je lui demanderai s'il a donné des instructions pour que les constructions publiques se fassent avec des produits indigènes reconnus aussi bons, meilleurs même que ceux de nos rivaux français. Je puis citer des faits ; je tiens d'architectes de la capitale que les toitures de l'entrepôt de l'abattoir et d'autres établissements publics, qui sont faites avec nos produits, sont les mieux conservées et les plus facilement entretenues.
Il me reste à appeler l'attention du gouvernement sur un autre point, j'entends parler des routes dites affluentes au chemin de fer. Il faut que l’État construise sans retard toutes celles qui sont reconnues d'une indispensable utilité, surtout celles qui aboutissent aux chemins de fer concédés, auxquels le gouvernement a garanti un minimum d'intérêt.
Tout nous fait espérer que, grâce à l'énergique intelligence et aux efforts extraordinaires de quelques hommes capables et profondément honnêtes qui sont aujourd'hui à la tête de la compagnie, les travaux gigantesques du railway luxembourgeois seront bientôt terminés, et la ligne livrée à l'exploitation.
Ce jour-là, messieurs, notre province entrera dans une ère nouvelle, et chacun de vous voudra connaître une province très longtemps oubliée et dont la plus riche partie fut sacrifiée à des exigences diplomatiques. Mais laissons de côté ce triste et poignant souvenir.
Le chemin de fer du Luxembourg va être exploité. Que faut-il faire pour le rendre le moins onéreux au trésor public ? Je crois que c'est de rendre le plus grand nombre de stations possible, accessible aux personnes et aux choses.
Différentes pétitions ont été adressées à la Chambre, entre autres celle des populations de St-Hubert qui demandent la prompte exécution delà route de St-Hubert à Libin par Poix.
Cette route est inscrite parmi celles qui doivent être prochainement exécutées. Je prie le gouvernement de donner l'ordre de faire les expropriations dans le plus bref délai possible. Il sera facile d'obtenir que les terrains soient mis à sa disposition, car ils sont en grande parte entre les mains de communes, d'industriels et de propriétaires intéressés à la construction immédiate de cette importante voie de communication.
Aujourd'hui il n'y a qu'un détestable chemin qui ne peut mener les populations des cantons de Sibret, de la Roche et de Saint-Hubert à la station de Poix. Ce tronçon de chemin n'arrive pas même à la station. Je prie donc M. le ministre de faire tout ce qui est humainement possible, dans l'intérêt de nombreuses populations et du trésor lui-même pour que cette route soit terminée le plus tôt possible.
Que M. le ministre des travaux publics n'oublie pas que le gouvernement doit payer un minimum d'intérêt pour la ligne de Namur à Arlon.
J'ai vu au feuilleton des pétitions n°9, qui nous a été distribué il y a quelques jours, une requête adressée à la Chambre par les conseils communaux de Bras, Freux, Remagne, Moircy, Bertogne, etc.» qui demandaient la construction de la route de Libramont vers Houffalize. La commission en a proposé le renvoi au ministre des travaux publics.
L'année dernière, des délégués de la députation permanente se sont rendus chez le ministre des travaux publics, M. Dumon, accompagnés des députés du Luxembourg, pour demander la construction de cette route ; je prie M. le ministre actuel de vouloir bien donner des instructions aux ingénieurs du Luxembourg, pour qu'ils examinent jusqu'à quel point cette route d'Houffalize à Libramont serait utile à la ligne du Luxembourg et au gouvernement lui-même.
Je demande vraiment pardon à la Chambre de l'entretenir si longtemps d'intérêts provinciaux, mais en le faisant, je crois remplir un impérieux devoir.
Je n'ai plus qu'à parler du vœu exprimé par tous les conseils communaux du canton de Wellin et bon nombre du canton de Rochefort, et qui tend à obtenir la reprise par le gouvernement du chemin de fer de grande communication de Grupont vers Wellin. La pétition relative à cet objet a été déposée sur le bureau, jet prie M. le ministre d'en prendre lecture et de donner des instructions aux ingénieurs et directeurs des provinces de Namur et de Luxembourg, pour qu'ils fassent une étude approfondie et sérieuse sur l'état d'entretien du chemin, ses dimensions, ses pentes et ses rampes ; le résultat de cette étude sera évidemment favorable au vœu des cantons de Beauraing, Gedinne et Wellin, si riches en écorces à tan, en charbon de bois, pierre de taille, marbres, produits agricoles, etc., qui demandent, pour les amener à la station de Grupont, une route accessible au gros roulage, qui ramènera en retour des marchandises, du charbon de terre et des engrais, ce qui serait impossible dans l'état actuel de ses fortes rampes surtout.
Les moyens de communications faciles et rapides sont destinés à transformer complètement le Luxembourg au point de vue agricole, industriel et commercial. L'intérêt général du pays étant essentiellement lié à la prospérité de notre province et de sa voie ferrée, je suis convaincu que M. le ministre des travaux publics prendra en considération les justes observations que j'ai cru devoir présenter à la Chambre.
(page 480) M. Prévinaire. - Messieurs, je m'étais fait inscrire hier quand M. le ministre des travaux publies a traité la question de la réforme postale ; j'avais l'intention de présenter quelques considérations en faveur de l'application de la taxe à 10 centimes. La position prise par mon honorable ami, M. Orts, me fait ajourner à la discussion du budget des voies et moyens les observations que j'avais à présenter.
Je ne ferai qu'une seule remarque, c'est que la manière dont MM. les ministres des travaux publics et des finances envisagent la question est tout à fait nouvelle. Leurs prédécesseurs ne l'ont jamais envisagée dans le même sens. Il résulte des réponses faites par MM. Dumon et Mercier, interpellés sur la question, que la seule et unique entrave à l'application de la taxe uniforme de 10 centimes était la réalisation du produit net de 2 millions par la poste et la question d'opportunité, sur laquelle se sont basés MM. les ministres, ne nous a pas préoccupés un seul instant.
Il y a autre chose ici, messieurs, qu'une question d'opportunité ; il y a, avant tout, une question de bonne foi et de loyauté. Consultez tout le commerce, consultez la Chambre elle-même, consultez surtout les anciens membres de cette assemblée, et tous vous diront que quand le projet a été renvoyé amendé par le Sénat, ils l'ont voté avec la conviction que la réforme serait complétée dès que le cas prévu par la loi serait réalisé.
Il suffit, en effet, de parcourir les discussions du Sénat, celles précisément qui doivent surtout nous guider pour se former une conviction ; il suffit de relire les discours de l'honorable M. Rolin et de rappeler la position prise alors par cet ancien ministre, pour être convaincu que telle était la pensée de tous ceux qui ont voté la réforme, et que si, par impossible, l'éventualité prévue par l'article 10 de la loi de 1849 se fût réalisée un an après l'introduction de la réforme, la réduction de la taxe au taux uniforme de dix centimes eût été introduite immédiatement.
Voilà, messieurs, quelle est l'impression sous l'empire de laquelle la Chambre a adopté le projet amendé par le Sénat ; car, s'il en avait été autrement, la Chambre n'eût évidemment pas abandonné un système qu'elle avait admis à une imposante majorité.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point ; je répéterai seulement que c'est la première fois que la question d'opportunité est agitée dans cette enceinte, et que, jusqu'à présent, on ne s'était préoccupé que de la seule question de savoir si le produit net de 2 millions était ou n'était pas atteint.
Et quant au mode de calculer le produit de la poste, le discours de l'honorable M. Rolin indique d'une manière bien explicite quels sont les bases sur lesquelles le calcul doit être établi.
Puisque j'ai la parole, j'en profiterai pour soumettre une question à M. le ministre des travaux publics.
Depuis plusieurs années, il a été souvent question de l'achèvement de nos voies ferrées. Cependant, il s'en faut de beaucoup encore que notre railway soit dans un état complètement satisfaisant.
L'amour-propre de tout Belge doit souffrir quand il rentre de France, par exemple, de parcourir notre réseau et de constater l'état d'infériorité dans lequel nous sommes encore sous ce rapport. C'est une véritable indignité de voir comment les voyageurs sont traités à la station de Quiévrain ; et de voir l'état dans lequel on laisse la station du Midi à Bruxelles. Quant à la station du Nord, l'étranger qui, après un laps de temps de six années débarque à Bruxelles, doit se dire que la Belgique est bien pauvre puisqu'elle ne peut consacrer une centaine de mille francs à l'achèvement de cette station. Cependant une promesse a été faite à cet égard par le précédent ministre des travaux publics ; l'honorable M. Dumon, s'est formellement engagé à s'occuper de cette question.
J'espère, messieurs, que cette promesse ne restera pas stérile pour l'administration des travaux publics, et que M. le ministre actuel reconnaîtra qu'un sentiment de dignité et d'amour-propre national lui fait une obligation de porter remède à cet état de choses.
M. A. Vandenpeereboom. - J'ai demandé la parole hier, pendant le discours de M. le ministre des finances, pour répondre aux objections que mes observations et mes calculs ont rencontrées de sa part, ainsi qu'à celles que plusieurs honorables membres ont présentées sur le même objet. Je ne sais si la Chambre n'est pas quelque peu fatiguée de cette discussion (Non ! non !) et si elle ne préfère pas la (page 481) renvoyer à l'époque où nous nous occuperons du budget des voies et moyens.
- Voix nombreuses. - Non ! non ! Parlez.
M. A. Vandenpeereboom. - Puisque la Chambre m'y autorise, je continue.
Ainsi que l'observation en a été faite, messieurs, la discussion a fait hier un très grand pas.
Je sais bien que nous ne pouvons pas en attendre de résultat en ce moment ; mais la discussion qui a eu lieu, a eu cependant cet avantage d'initier à la question ceux de nos nouveaux collègues qui n'a va eut pas eu l'occasion de l'étudier antérieurement. En outre, elle a offert aux partisans et aux adversaires de la réforme l'occasion de produire leurs arguments ; et, nous pouvons espérer que de cette discussion jaillira bientôt la vérité, c'est-à-dire le triomphe de la cause que nous défendons.
Dans la discussion d'hier et dans celle d'aujourd'hui, la réforme a rencontré de chaleureux adversaires et d'ardents défenseurs. Parmi les adversaires de la réforme immédiate, il en est un qui se distingue du moins par sa bienveillance, puisqu'il admet la réforme en principe.
L'honorable M. d'Hoffschmidt, dans un discours qu'il a prononcé hier et par lequel il a prouvé de nouveau que toutes les branches du département des travaux publics lui sont parfaitement connues, a déclaré qu'en principe, il est partisan avoué de la réforme, mais qu'en pratique il croyait ne pas pouvoir l’admettre encore, mais que tôt ou tard elle pourrait passer dans notre législation.
L'honorable membre est donc un de nos alliés, mais un allié qui se tient dans la réserve, et, qui attend pour se manifester le moment où la bataille sera près d’être gagnée.
M. d'Hoffschmidt. - J'ai parlé exclusivement dans l'intérêt du trésor.
M. A. Vandenpeereboom. - Sans doute, je me borne à caractériser la situation.
Quant à l'honorable M. B. Dumortier, que je regrette de ne pas voir ici en ce moment, c'est un adversaire dévoué et guerroyant contre la réforme. Il est, je dois le dire, conséquent avec lui-même sur cette question ; car il a voté contre la réforme en 1849. Aujourd'hui il s'oppose avec la même ardeur à ce que la réforme soit complétée.
Je le comprends ; mais j'espère que dans l'avenir il acquerra la preuve que ses prévisions actuelles ne sont pas plus fondées qu'elles ne l'étaient avant la réforme de 1849.
Enfin, parmi les adversaires de la réforme, nous rencontrons MM. les ministres des finances et des travaux publics.
Ce dernier, messieurs, nous a parlé en véritable ministre des travaux publics, c'est-à-dire qu'il a examiné, avec autant de tact que de talent la question au point de vue administratif ; il l'a appréciée dans ses moindres détails, comme l'aurait examinée un chef de service de l'administration des postes. Qu'il me permette d'ajouter qu'il nous a révélé les qualités non seulement d'un bon administrateur, mais encore d'un orateur habile ; son discours n'est pas en coup d'essai ; c'est l'œuvre d'un ministre consommé, et la Chambre, en l'écoutant, a dû, comme moi, éprouver le désir de voir l'honorable M. Partoes prendre définitivement les rênes du département des travaux publics.
M. le ministre nous a signalé d'abord toutes les améliorations dont le service des postes est encore susceptible ; les bureaux de distribution ne sont pas encore assez nombreux, il faudra en créer de nouveaux : le personnel subalterne de la poste est insuffisant, il faudra augmenter le nombre des facteurs ; plusieurs percepteurs et distributeurs sont trop peu rétribués, il faudra augmenter leurs traitements.
C'est là un système sans doute fort habile, puisqu'il consiste à défendre des intérêts en faveur desquels nous ne manquons jamais de nous lever toutes les fois que l'occasion nous en est offerte.
En effet, il est peu d'entre nous qui dans son arrondissement, n'ait quelque localité qui ne désire l’établissement d'un nouveau bureau de perception, ou qui ne demande l'augmentation du nombre de ses facteurs ; en faisant apparaître devant nous des espérances, l'honorable M. Partoes espère écarter la question et nous forcer à le suivre sur la question de détails qui nous permettra de satisfaire les électeurs de nuire arrondissement. Ce que je dis, je le sais par moi-même, puisque je suis en instance auprès du gouvernement pour obtenir un ou deux bureaux de distribution de poste dans mon arrondissement.
Cependant, ces considérations ne peuvent m'arrêter. Elles ne m'arrêtent pas, parce que je suis convaincu que, malgré la réforme que nous demandons, il sera facile de faire droit à tous les besoins dans toute l'étendue du pays.
L'honorable M. Partoes a employé un autre moyen, souvent victorieux. Il nous a parlé d'impôts nouveaux. Il n'y a pas, je pense, dans la Chambre un moyen qui produise un effet plus grand et plus immédiat que la menace d'impôts nouveaux. La majorité s'en effraye ; car elle croit voir là de tristes nécessités. Quant à la minorité, c'est autre chose. Elle ne demande pas mieux, parce qu'elle ne vote pas les impôts et trouve un excellent terrain pour combattre ses adversaires.
Les prévisions que nous a fait entrevoir l'honorable M. Partoes sont-elles fondées ? Je ne le pense pas. Dans mon opinion il reste très peu à faire pour que le service de la poste soit complètement organisé. L'honorable ministre des travaux publics nous l'a dit lui-même, il est peu de pays où le service des postes en général, et surtout le service de la poste rurale, soit mieux organisé qu'en Belgique. En effet, depuis dix ans surtout, c'est-à-dire depuis la réforme, de grands sacrifices ont été faits pour améliorer ce service, et jamais la Chambre n'a refusé un crédit demandé pour des améliorations de cette nature.
En 1849 on dépensait pour l'administration des postes 1,49,000 fr. et en 1856, la dépense totale s'élevait en chiffres ronds à 1,900,000 fr., voilà donc une augmentation de 410,000 fr. en cinq ou six années. Or, on comprend qu'à l'aide de cette somme, il ait été, possible de perfectionner le service postal sans qu'il soit nécessaire à l'avenir de faire de grandes dépenses. Les craintes de l'honorable ministre des travaux publics ne me paraissent donc nullement fondées sous ce rapport.
Quant aux impôts, je ne les crains pas. Je dois déclarer que depuis quelque temps j'ai examiné attentivement la situation financière du pays. J'ai cru reconnaître que tous les impôts directs et indirects croissaient. J'ai une autre garantie qui est toute personnelle, c’est la présence de l'honorable M. Frère au banc des ministres.
Il est tellement bon défenseur des intérêts du trésor, il est financier si habile que je ne crois pas que pour une réduction de 400 à 500 mille fr. pendant quelques années, nous soyons dans la nécessité, ayant l’honorable M. Frère pour ministre, de voter de nouveaux impôts.
Du reste il y a certaines branches de revenus qui figurent aujourd'hui au budget, qui en 1849 n'y existaient pas et qui ne sont pas à proprement parler des impôts nouveaux, je citerai la contribution foncière. Elle était restée invariable pendant un certain nombre d'années. Mais un jour par une petite note marginale presque imperceptible, note que l'honorable M. Frère avait d'abord proposée et qui ne fut pas admise alors, mais qui fut adoptée ensuite, on obtient sur l'impôt foncier chaque année une augmentation de 300,000 à 400,000 francs.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout. Il y a eu pour une seule année une augmentation de 500,000 fr.
M. A. Vandenpeereboom. - Je croyais que chaque année, à mesure que les fonds bâtis étaient imposés, il y avait une augmentation. Mais enfin je trouve déjà dans ces 500,000 fr. une espèce de compensation.
Messieurs je regrette profondément que cette discussion ait été, si je puis m'exprimer ainsi, placée si bas, qu'elle ait été pour ainsi dire agitée terre à terre. En 1849, lorsque nous discutions cette question, à d'autres époques lorsque nous discutions les questions relatives aux péages sur les canaux et sur les chemins de fer, on se plaçait sur un terrain beaucoup plus élevé. J'ai souvenance qu'on venait alors nous dire, la situation n'est pas brillante, et en 1849 elle ne l'était pas, mais une question d'argent doit disparaître devant une question de principe.
On disait alors : Pourquoi veut-on calculer par sou et denier, alors qu'il s'agit de procurer au pays un bien immense ? L'abaissement des péages, la réduction de la taxe des lettres, sont des sources de richesses pour le pays. Laissons de côté la petite question et plaçons-nous sur un terrain plus large ; comprenons qu'en facilitant le transport des hommes et des choses, qu'en facilitant la communication des idées, nous augmenterons le bien-être matériel et moral du pays.
On s'exprimait ainsi. On paraît aujourd’hui abandonner complètement ce système. On discute des chiffres ; on conteste une somme de 50,000 à 60,000 fr. En un mot on place la question sur un terrain où, d'après moi, elle n'aurait jamais dû descendre. La question des péages, la question de la poste sont des questions de premier ordre qu'on devrait discuter toujours au point de vue des principes.
On nous a dit : La réforme postale n'est pas populaire ; et l'on a ajouté : Le peuple n'en profite pas. Si par une réforme populaire on entend une réforme demandée à cor et à cris de tous les points du pays, si l'on entend par là une réforme qui ne doit venir qu'à la suite d'un nombreux pétitionnement, d'une agitation même dans nos arrondissements, je suis d'accord avec l'honorable ministre : la réforme n'est pas populaire. Mais si l'on dit que la réforme n'est pas populaire, parce qu'elle ne peut pas être utile au pays, parce qu'elle ne peut pas augmenter la richesse, parce qu'elle te peut pas faciliter le développement des idées, je dis qu'on est dans l'erreur et que la réforme, à ce point de vue, est extrêmement populaire.
Le peuple, dit-on, se sert peu de la correspondance, il n'écrit pas. Je le comprends. Il n'écrit pas, parce que souvent il n'a pas l'argent nécessaire pour affranchir ses lettres. Comment ! un pauvre militaire, qui se trouve sous les drapeaux, touche 18 ou 12 centimes par jour.
M. Coomans. - Non, cinq centimes!
M. A. Vandenpeereboom. - Je suis généreux, je lui en donne dix.
M. Coomans. - Donnez-les-lui.
M. A. Vandenpeereboom. - Prenez-en 5, comment voulez-vous qu'il fasse, sur 5 centimes par jour, l'économie nécessaire pour écrire de temps en temps à sa famille ?
M. de Mérode-Westerloo. - Réduisez la taxe pour les militaires.
M. A. Vandenpeereboom. - Soit! Je le veux bien ; proposez cette mesure, je la voterai.
J'ai cite les soldats pour exemple ; mais toute la classe ouvrière est dans le même cas ; pour un ouvrier 20 centimes est une dépense considérable.
L'argument qui consiste à dire que l'ouvrier ne se sert pas de la poste a été produit sous une autre forme à l'occasion des discussions sur les droits d'entrée du bétail. Quelqu'un a dit alors : Cette réforme est tout à fait aristocratique ; le pauvre ne mange pas de viande ; on a répondu avec raison : il n'en mange pas parce qu'il n'a pas d'argent pour en (page 482) acheter. Eh bien, messieurs, cette réponse peut s'appliquer parfaitement dans le cas actuel.
On vient nous dire que la réforme postale ne profitera qu'aux banquiers et aux gros négociants, et pour vous citer un exemple on ajoute : La Banque nationale, cette grande institution de crédit qui donne de gros dividendes à ses actionnaires, cette institution si riche gagnera 6,000 francs par an à la réforme postale.
Cet exemple, messieurs, peut frapper les imaginations, mais il faut se demander si c'est bien réellement la Banque ou si c'est le public en général qui profiterait de ces 6,000 francs.
Quand vous augmentez l'accise sur la bière, est-ce le brasseur ou le consommateur qui est surtaxé ? D'après moi, c'est le consommateur, car en définitive, au bout d'un certain temps, cette surtaxe est comprise dans le prix de vente. Eh bien, il en est de même des banquiers, des établissements financiers et des gros négociants ; les ports des lettres sont compris dans les frais généraux, et les frais généraux entrent dans le prix de revient de la marchandise qu'on livre ou dans le prix de l'argent qu'on prête. C'est donc bien la généralité du pays qui profiterait de la réforme postale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela s'applique à tous les impôts.
M. A. Vandenpeereboom. - Sans doute tous les impôts sont un mal, mais un mal nécessaire, et c'est toujours un bien que de les diminuer ; mais comme on ne peut pas les diminuer tous, il faut choisir ceux qui entravent le plus la production et les relations utiles soit au point de vue de la création de la richesse, soit au point de vue moral.
Si l'objection qu'on vient de me faire était fondée, elle serait bien décourageante. Ainsi lorsque d'honorables membres demandent la réduction des péages sur les canaux, on leur répondrait : A quoi bon cette réduction ? Elle ne profitera qu'à quelques industriels.
Messieurs, dans cette discussion l'on a beaucoup parlé de l'Angleterre et d'après une conversation que j'ai eue avec un homme très compétent, je suis revenu un peu de mes idées sur la manière dont la réforme a été mise en pratique dans ce pays, je suis disposé à croire que d'un côté, on a été injuste envers la réforme anglaise, mais que de l'autre côté, on l'a louée outre-mesure.
La réforme n'a pas produit tous ses fruits en Angleterre, pour des causes qui n'existent pas en Belgique. Ainsi, en Angleterre la réforme a rencontré de l'opposition de la part de l'administration qui a fait tout ce qu'elle a pu pour en empêcher le succès. D'un autre côté, la réduction a été très considérable ; les lettres étaient taxées à un franc ou 80 centimes, elles ne payent plus que la huitième partie de cette taxe.
Une troisième cause, c'est qu'en Angleterre, depuis la réforme, on a augmenté considérablement les dépenses d'exploitation.
Nous ne pouvons donc pas comparer la situation de l'Angleterre à celle de la Belgique.
L'honorable ministre des finances nous a dit encore que depuis l'introduction de la réforme en Belgique, le trésor a fait une perte sèche de trois millions.
J'ai cherché, au moyen des éléments qui sont à ma disposition, à faire des calculs pour vérifier les chiffres indiquées, et voici, messieurs, les résultats où je suis arrivé.
Depuis 1845 jusqu'en 1848, année antérieure à la réforme, la recette brute de la poste s'est élevée à une moyenne annuelle de 3,564,360 fr. et de 1850, première année après la réforme, jusqu'en 1856 la moyenne de la recette brute a été de 3,839,000 fr. par an. Ici donc loin d'un déficit de 3 millions, nous trouvons un boni de plus de 250,000 fr. par an.
Je sais, messieurs, qu'il faut tenir compte de l'augmentation des dépenses, et j'ai fait des calculs sur le produit net. D'après ces calculs, la recette nette a été en moyenne, pendant les quatre années qui ont précédé la réforme, de 2,075,000 fr., et pendant les sept années qui l'ont suivie, de 1,922,900 fr. Il y aurait donc pour ces sept dernières années, un déficit total, non pas de 3 millions, mais d'environ 900,000 fr.
Voilà, messieurs, à quoi se réduit le déficit, lorsqu'on tient compte des augmentations de dépenses qui ont été jugées nécessaires ; mais ce n'est point là une perte sèche pour le pays.
Mais pour évaluer le produit net de la poste, a dit l'honorable M Frère, il ne faut calculer que les lettres taxées. Je ne puis pas admettre cette thèse. L'article 10 de la loi de 1849 ne dispose pas que la taxe sera réduite de 20 à 10 centimes, lorsque le produit des lettres taxées aura atteint le chiffre de deux millions ; mais il dit que la réduction aura lieu du moment où le produit net du service, en général, sera de deux millions. Cette idée est clairement exprimée dans le rapport de la section centrale qui avait examiné la loi quand elle est revenue à la Chambre.
L'honorable M. Vermeire nous a donné hier un extrait très important de ce rapport ; en effet, voici ce que disait l'honorable M. Cans : L'amendement du Sénat établit d'une manière transitoire deux zones... jusqu'à la fin de l'exercice où le revenu net de cette branche de service aura de nouveau atteint le chiffre de 2,000,000, qui a été obtenu en moyenne pendant les dernières années.
Mais pourquoi a-t-on fixé le chiffre de deux millions ? Ce n'est pas un chiffre arbitraire, l'extrait que je viens de citer le prouve, on a pris ce chiffre, parce qu'il représentait, à quelques milliers de francs près, le produit net de toutes les recettes de la poste depuis quatre ans.
On avait dit : « L’État ne doit pas être privé de ce revenu ; nous pouvons nous trouver dans des circonstances difficiles, nous voulons réserver à l’État un revenu net de 2 millions. » Voilà pourquoi on a fixé ce chiffre comme je viens de le dire, on n'a nullement eu l'intention d'établir uniquement ce chiffre sur le produit des lettres taxées.
Pour faire ces calculs, on a placé d'un côté certains articles de recette ; d'autre part, certains articles de dépense. Si aujourd'hui je refuse d'admettre en compte certains articles de dépense, c'est que ces articles n'ont pas figuré dans le compte fait par l'administration en 1849. C'est pour ce motif que je puis admettre qu'on porte en compte, par exemple, les frais de transport par chemin de fer, et ceux des bureaux ambulants.
Du reste, dans d'autres circonstances déjà, j'ai prouvé que les sommes votées dans le budgets des travaux publics pour le transport des dépêches sont exagérées. Je ne recommencerai pas aujourd'hui cette démonstration. J'ai d'ailleurs fait observer que les malles-postes sur les routes étaient en partie supprimées et que beaucoup de nos dépêches sont aujourd'hui transportées gratuitement par les chemins de fer concédés.
J'ai établi l'année dernière que l'on compte pour les bureaux de postes ambulants une somme beaucoup supérieure à la somme moyenne qu'on ne paye pour le transport des voyageurs.
M. le ministre des finances a cru m'embarrasser en m'enfermant dans un dilemme. Il s'agit du transport des dépêches de la Belgique vers l'étranger et de l'étranger vers la Belgique en transitant par notre pays.
Ce sont des paquets, nous dit-on ; mais toutes les dépêches sont des paquets. Je demande ensuite si les lettres transposées entre la Belgique et Lille par exemple, ne sont pas des lettres aussi belges que celles qui sont transportées dans l'intérieur. Cet accroissement est du reste une conséquence de la réforme. Qu'est-il arrivé en effet ? Les gouvernements étrangers qui ont fait des traités avec nous, nous ont dit : « Nous voulons jouir du bénéfice que vos nationaux ont sur le transport des lettres, et nous prendrons à votre égard des mesures de réciprocité. » De cette manière nous avons vu s'abaisser le prix de certaines correspondances internationales et par cet abaissement du prix, nous avons, comme toujours, obtenu une augmentation de produit ; conséquence toute naturelle de la réforme postale.
On a fait valoir un dernier argument. On a dit que si l’État peut s'imposer un sacrifice de 800,000 francs, il serait juste et convenable d'améliorer la position des instituteurs communaux, de ces pionniers de la civilisation qui sont dans le besoin.
Je trouve que c'est là une idée extrêmement séduisante... (Interruption.) Nous devons améliorer sans doute la position des instituteurs communaux.
Mais, messieurs, remarquez que le gouvernement n'en fait pas une proposition formelle. Si le ministre venait dire : Donnez-moi 500 out 600 mille francs pour l'éducation des enfants du peuple, je serais d'accord avec lui pour ajourner la réforme postale. Mais je préférerais obtenir et la réforme postale et l'amélioration du régime de 1 instruction. Et savez-vous ce que vous aurez ? Ni l'une ni l'autre.
C'est au conditionnel qu'on vous parle : si les ressources du trésor le permettaient, nous dit-on, on commencerait par améliorer le régime d'instruction des enfants du peuple !
Ce conditionnel m'effraye. C'est en mettant une condition à l'accomplissement de la réforme postale que nous nous trouvons aujourd'hui en face des difficultés qui nous arrêtent.
Si, en 1849, nous avions eu un peu plus d'énergie, si nous avions dit : Nous sommes majorité, majorité considérable, nous voulons la réforme complète, nous n'aurions pas eu les difficultés qu'on nous oppose aujourd'hui et le pays jouirait depuis longtemps d'une réforme que nous regardons comme excellente.
Reste une dernière question ; celle de savoir si l'article 10 de la loi de 1849 impose, oui ou non, une obligation au gouvernement. Une obligation formelle, évidemment non ! Une obligation morale, d'après moi oui !
Il n'y a pas d'obligation formelle ; le gouvernement étant autorisé à opérer la réforme, n'est pas tenu de le faire. D'un autre côté, la Chambre a son initiative, elle ne peut être liée par ce qui s'est passé ; mais il y a une obligation morale et de loyauté contractée envers le commerce et l'industrie.
On a dit, en 1849 : Ne vous effrayez pas si nous mettons une taxe sur les effets de commerce ; vous aurez une compensation : dès que la poste rapportera net deux millions, la taxe des lettres sera réduite à dix centimes. Cet engagement lie plus ou moins le gouvernement.
Maintenant pourquoi le Sénat n'a-t-il pas donné une forme impérative à la rédaction de l'article 10 de la loi, pourquoi n'a-t-il pas dit « sera » au lieu de « pourra » ? Cela s'explique parfaitement par les circonstances : la Belgique à cette époque, en 1849, était sur un volcan, la révolution venait d'éclater en France, le trésor belge était vide ; on était en présence de graves éventualités ; on ne pouvait prévoir quand cette situation pénible finirait ; elle pouvait se prolonger, on pouvait croire que des situations calamiteuses surgissant, il serait impossible d'opérer la réforme.
Mais aujourd'hui sommes-nous dans cette position ? Non, sans doute ; le pays est calme, le commerce et l'industrie prospèrent, les ressources du trésor augmentent. Je crois que les difficultés qu'on craignait alors ne peuvent plus exister aujourd'hui.
(page 483) Un dernier mot. Quant aux calculs que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre dans la séance d'avant-hier, je crois devoir les maintenir. Je les ai vérifiés de nouveau sur les documents officiels qui nous ont été distribués.
Les prévisions de recettes que j'ai indiquées comme conséquences de la réforme, se réaliseront, j'en ai la conviction, car les recherches que j'ai faites sur cette question, recherches laborieuses et peu récréatives, ont été très consciencieuses.
Si j'avais obtenu un résultat contraire, je ne me serais pas hasardé à venir faire ma proposition. Ce qui me confirme dans mon opinion, c'est que plusieurs hommes très compétents m'ont dit que les calculs que j'ai présentés étaient exacts. L'administration, l'année passée, a présenté contre la mesure des calculs très étendus, mais peu exacts.
Vous vous rappelez, messieurs, avec quel art les chiffres étaient groupés et vous vous rappelez aussi avec quelle facilité on a renversé cet échafaudage. Les auteurs de ce travail m'ont dit plus tard que j'avais eu raison ; je n'ai pu m'empêcher de leur répondre qu'ils avaient eu tort de présenter ces calculs erronés à la Chambre.
Si je me trompe, c'est de bonne foi ; je ne demande qu'à être instruit. Si l'on peut me prouver que les prévisions que j'annonce ne se réaliseront pas, que mes calculs ne sont pas exacts, je suis prêt à confesser mon erreur devant la Chambre qui, j'en suis sûr, me donnera l'absolution.
Avec mon honorable ami, M. Orts, je suis d'avis d'ajourner ce débat au budget des voies et moyens, mais il faut qu'il y ait alors une décision. Si la Chambre croit devoir maintenir ce qui est, nous passerons condamnation. Mais nous ne pouvons pas rester dans cette alternative, dans cette incertitude, je ne me contente pas d'avoir foi dans le principe.
La foi qui n'agit pas est-ce une foi sincère ?
Il faut que la Chambre décide si elle veut, oui ou non, de la réforme postale. Si la Chambre n'en veut pas, nous réserverons pour de meilleurs moments nos discours et nos calculs.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.