(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)
(page 359) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures 1/4.
M. de Moor donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.
M. Crombez présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Le sieur Fafchamps, inventeur de la machine à vapeur à traction directe, demande une récompense nationale. »
- Sur la proposition de M. Lesoinne, renvoi à la commission des pétitions, avec, demande d'un prompt rapport.
« Le sieur Egide Koninck demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service à l'étranger sans autorisation du Roi. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« La dame veuve Vantemme. demande qu'il soit pris des mesures pour arriver à la destruction des lièvres et des lapins dans la forêt de Soignes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Ramscappelle prient la Chambre de donner cours légal à la monnaie d'or de France.
« Même demande d'habitants de Hérinnes, Harelbeke et Saint-Genois. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Farciennes demandent la réforme de la loi sur la milice, dans le sens des enrôlements volontaires.
« Par quatre pétitions, des habitants de Ramscappelle, Resteigne, Cortil-Noirmont et Sprimont font la même demande. »
-Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Les habitants de Lokeren prient la Chambre de ne pas .donner suite à la demande des marchands de charbons et propriétaires de bateaux, qui a pour objet l'abolition du prix réduit auquel la houille est actuellement transportée à Zele et à Lokeren, par le chemin de fer de Dendre-et-Waes. »
« Même demande d'habitants de Laerne et de Beirvelde. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la question relative à la réduction des péages sur les canaux.
M. de Boe. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi approuvant le traité d'amitié et de commerce conclu entre la Belgique et la Perse.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.
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M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée d'Eerneghem, le 15 février 1858, la veuve Pierloot prie la Chambre d'examiner si elle n'a pas droit à la réversibilité de la pension dont jouissait son mari.
La pétitionnaire dit qu'il y a plusieurs précédents où cette réversibilité a eu lieu.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de la requête à M. le ministre de finances, sans rien préjuger.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Gand, le 18 février i 858, la veuve Hoogstoel demande la révision de la loi sur la détention pour dettes en matière commerciale.
La pétitionnaire a atteint l'âge de 80 ans ; elle réclame sa mise en liberté.
Vu les bonnes dispositions que la Chambre a déjà témoignées pour la prompte révision de la loi sur la matière, votre commission vous propose le renvoi de la pétition à M le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Florenville, le 28. janvier 1858, des cultivateurs et commerçants à Florenville prient la Chambre de donner cours légal aux pièces d'or de France. »
« Même demande de marchands, négociants, industriels, cultivateurs et propriétaires à Boesinghe, Passchendaele, Mouscron, Ypres, Geronville, Meulebeke, Chimay, Estampuis, Baillœul, Pecq, Esquelmes, Tournai, Templeuve, Thielt, et dans l'arrondissement de Louvain et du conseil communal de Wervicq.
A ces pétitions viennent se joindre celles qui ont été analysées hier et que les honorables MM. Van Renynghe et Rodenbach ont demandé de comprendre dans ce rapport, ainsi que celles analysées dans la séance d'aujourd’hui et qui ont trait au même objet.
Messieurs, la commission des pétitions a déjà eu l'honneur de vous présenter un rapport sur cette question dans une séance précédente. La discussion qui s'est élevée à ce sujet est encore présente à vos souvenirs. L'honorable ministre des finances s'est prononcé franchement et a déclaré que, considérant l'or et l'argent comme des objets de commerce, il ne pouvait pas accueillir la demande des pétitionnaires. En effet, messieurs, l'or est un objet de commerce comme tous les autres métaux ; l'étalon d'argent est seul admis dans notre législation.
D'après les pétitionnaires, il existe aujourd'hui un grand embarras dans les transactions qui se font avec la France. L'honorable Pirmez a déjà élaboré un rapport circonstancié et très détaillé sur cette question ; il nous le soumettra, et je n'ai qu'une seule réflexion à y ajouter, c'est que, en premier lieu, il faut prendre la liberté des transactions pour base. On ne peut, dans l'état actuel des choses, porter atteinte à la liberté des transactions ni à aucune, autre liberté, à moins de motifs péremptoires, à moins d'urgence.
Eh bien, messieurs, donner cours forcé à l'or, à un métal monnaie qui n'a pas sa valeur intrinsèque, c'est entraver gratuitement la liberté des transactions.
Il n'y a, messieurs, que les négociants qui traitent avec la France, qui aient intérêt à demander le cours légal de la monnaie d'or ; pour tous les autres habitants du pays, leur imposer la charge de recevoir l'or au cours qu'il a en France, c'est leur enlever une partie de leurs créances sans compensation aucune. Eh bien, messieurs, cela n'est pas équitable et nous osons espérer que la Chambre ne l'admettra pas.
Messieurs, votre commission qui, dans deux différentes séances, a examiné ces pétitions, vous a chaque fois proposé le dépôt au bureau des renseignements. C'est encore la conclusion qu'elle a l'honneur de vous présenter, d'autant plus que, le gouvernement s'étant prononcé contre la demande des pétitionnaires, il n'y a pas lieu de lui renvoyer les pétitions.
M. Rodenbach. - Messieurs, j'entends avec regret que l'honorable rapporteur demande le dépôt au bureau des renseignements de ces différentes requêtes, c'est-à-dire le renvoi aux limbes de la Chambre. En effet, messieurs, quand une pétition est déposée au bureau des renseignements, on n'y fait plus aucune espèce d'attention. Il me semble que quand des pétitionnaires d'un grand nombre de villes importantes viennent nous dire que leurs intérêts sont froisses parce que la monnaie d'or de France n'a pas cours légal en Belgique, ces réclamations doivent être écoutées.
Parmi les requêtes il en est même une qui circule à Bruxelles signée par d'estimables industriels.
D'autres villes, Tournai, Courtrai, Louvain, Roulers, Iseghem, Poperinghe, ainsi qu'un grand nombre de communes, etc., nous ont fait entendre leurs doléances.
Je vous le demande, messieurs, en renvoyant tant de pétitions aux calendes grecques, n'est-ce pas en quelque sorte dédaigner le pétitionnement ? Je m'opposerai de toutes mes forces au renvoi au bureau des renseignements.
Je demande, pour ma part, que toutes ces requêtes soient renvoyées à M le ministre des finances. Il paraît qu'on a fait valoir des arguments nouveaux. Cela doit, à mon avis, être pris en considération. On doit du moins vouloir examiner des pétitions aussi importantes et signées par une foule de commerçants et notables du pays.
Messieurs, nous avons adopté le système français des poids et mesures ; eh bien, je suis d'avis qu'un pays de 4,500,000 habitants pourrait également sans danger admettre la monnaie de France.
Plus un petit pays a de relations commerciales avec une grande nation, plus ce pays doit en profiter. Nos relations avec la France comportent bien 220 millions. Conçoit-on que nous repoussions l'or français ? Le commerce général de la France s'élève à 4 milliards ; et nous voulons, nous petit royaume, avoir infiniment plus de connaissances en économie poétique que la nation française !
Alors, j'ai écouté attentivement l'honorable rapporteur ; il nous a à peu près répété ce que nous ont appris depuis de longues années, Adam Smith, J.-B. Say et ce que nous répète aujourd'hui M. Michel Chevalier. Que disent ces économistes ? Que l'or est une marchandise. Nous, savons tous qu'en théorie l’or est une marchandise ; mais on peut répondre à ces économistes que l'argent est aussi une marchandise ; eh bien, cependant l'argent a chez nous un cours légal ; nos pièces de 5 francs ont une valeur fixe ; cette valeur ne varie pas comme celle du café, du sucré, du poivre.
Depuis la découverte des gisements aurifères de la Californie et de l'Australie, on nous parle sans cesse de la dépréciation de l'or ; il semble que l'or allait devenir une chimère, comme dans Robert le Diable. Savez-vous ce qui serait une chimère ? Ce seraient nos 100 millions de billets de banque si une catastrophe politique et financière avait lieu.
Eh bien, malgré cela, la France continue à battre de l'or par millions, (page 360) et, si je suis bien instruit, elle en a battu pour deux milliards en quatre années.
L'Angleterre a également l'étalon d’or ; l'argent n'y sert que d'appoint.
De ce que l'or français n'a pas cours légal en Belgique, il résulte une gêne extraordinaire dans le commerce. Par la force des choses, il faudra bien recevoir chez nous les pièces de 20 francs de France, comme nous recevons sa monnaie d'argent.
Les propriétaires et négociants du Hainaut et des Flandres ne reçoivent que de l'or de leurs locataires ; il en est de même pour la vente de leurs toiles, bétail, grains et autres marchandises.
Messieurs, je suis bien convaincu que les changeurs et les banquiers ne trouvent pas que la mesure que nous réclamons soit bonne ; cela se conçoit, ils ont intérêt à ce que nous n'ayons pas la même monnaie qu'en France, ils y trouvent leur affaire.
On nous oppose la théorie, mais trop souvent avec de la théorie on vogue sur des mers inconnues. Malgré toutes ces utopies financières, nous serons forcés de recevoir les pièces de 20 francs, car vous ne battez rien, pas même des pièces de deux francs, d'un franc ni de cinquante centimes. Pourquoi ne faites-vous pas comme en France ? La Belgique, qui n'est pas une puissance de premier ordre, ne peut avoir l'ambition de faire la loi aux autres pays.
M. Van Renynghe. - Messieurs, je viens également demander le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des finances, et appuyer, en même temps, les motifs que l'honorable préopinant a fait valoir, pour que, dans le plus bref délai possible, on donne dans ce pays cours légal à la monnaie d'or française.
Si une pareille mesure n'est promptement adoptée, notre commerce et notre industrie, aussi bien que notre agriculture, seront exposés à de grandes perturbations.
Actuellement, et surtout à la frontière, à peu près tous les payements de marchandises se font en or français, pour la valeur nominale, et on ne peut cependant s'en défaire dans le pays qu'en subissant une perte très sensible.
Ce sont, en grande partie, les marchands français qui achètent nos dentelles, nos toiles, nos lins et nos bestiaux, qu'ils payent avec de l'or de leur pays, et si les entraves mises à l'acceptation de cet or ne sont pas levées, dans un temps très rapproché, on les verra déserter nos marchés.
Messieurs, prenons-y garde, car ce sont surtout les Flandres, à peine relevées, par tant d'efforts, de l'état de misère dans lequel elles se trouvaient et qui ont toutes nos sympathies, qui seront les premières victimes, si l'on n'adopte pas la mesure réclamée avec instance.
On dira, peut-être, au débitant : Vendez votre marchandise en raison de la valeur intrinsèque de la monnaie d'or qu'on vous donnera en échange. Mais si son voisin reçoit cette monnaie pour sa valeur nominale, n'aura-t-il pas la préférence ? Si le négociant qui tâche de placer sa marchandise, refuse en payement la monnaie d'or, ne perdra-t-il pas des pratiques, et un autre négociant, plus accommodant sous ce rapport, ne s'en emparera-t-il pas ? Dans mon opinion, tout ceci établit une triste concurrence que, dans l'intérêt de nos concitoyens et de la morale publique, on devrait faire disparaître.
Supposons maintenant que la monnaie d'or de France ait cours légal dans notre pays et que l'empire français la démonétise dans un moment plus ou moins éloigné, n'accorderait-il pas un temps moral pour la recevoir dans ses caisses pour sa valeur nominale ? On pourrait objecter aussi que, en pareil cas, les détenteurs de monnaies d'or françaises pourraient subir des pertes ! Mais maintenant ils en supportent tons les jours, ce qui est bien plus préjudiciable.
On dira encore que, si la mesure que nous réclamons était adoptée, l'argent disparaîtrait du pays. Mais sans l'or qui vient de France, comment ferions-nous nos transactions ? N'en avons-nous pas indispensablement besoin pour nos affaires commerciales ? Il est incontestable qu'il y a chez nous pénurie de monnaie légale.
Je vous ferai observer en outre que ce ne sont pas seulement les habitants de la frontière qui souffrent de cet état de choses, mais aussi ceux de la capitale et d'autres parties du pays : en conséquence il est urgent que le gouvernement prenne des mesures promptes pour que la monnaie d'or de France ait cours légal et forcé dans notre royaume ?
M. Pirmez. - Messieurs, les questions qui se rattachent à notre système monétaire ont été souvent débattues dans la Chambre ; il y a peu de temps que celle qui est soulevée par les pétitionnaires y faisait encore l'objet d'une discussion.
Votre commission des pétitions a la conviction qu'il est impossible d'accueillir la demande qui vous est soumise ; elle croit aussi qu'il est de la plus haute importance que l'opinion de la législature sur ce point ne soit incertaine pour personne.
Le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances aurait pour résultat de perpétuer l'incertitude ; votre commission vous propose de la faire cesser en ordonnant le dépôt de la pétition au bureau des renseignements.
Les motifs de justice et d'intérêt général les plus décisifs me paraissent justifier ces conclusions. Permettez-moi, messieurs, d'en indiquer quelques-uns.
Notre système monétaire a toujours eu pour unité fondamentale le franc, que la loi du 5 juin 1832, copiant en cela la loi du 13 germinal an XI, détermine être un poids de 5 grammes d'argent au titre de neuf dixièmes de fin.
Si diverses monnaies d'or ont été successivement admises au cours légal, avec une valeur fixe d'un certain nombre de francs, elles ne l'ont jamais été comme étalon monétaire, mais comme un substitut de l'argent sur la valeur duquel elles devaient se régler. Elles ont toutes successivement été démonétisées et l'unité d'étalon monétaire rétablie sans altération.
Depuis plusieurs années donc, toutes les obligations de sommes se résolvent à payer un certain nombre de fois cinq grammes d'argent : le créancier a le droit le plus absolu de l'exiger, le débiteur ne peut se libérer en offrant autre chose. Les droits des parties sont à cet égard aussi positifs que s'il y avait une stipulation expresse dans le contrat ; toutes les dispositions des lois sont, en effet, censées inscrites dans les convention.
Or, quel serait le résultat sur les droits des parties d'une mesure donnant cours forcé à l'or français ? De permettre au débiteur de se libérer envers son créancier en lui livrant de l'or au lieu de l'argent qu'il lui a promis et même de lui donner une valeur d'or moindre que celle du poids d'argent convenu. Personne, en effet, n'ignore que par suite de la découverte des riches gisements aurifères de la Californie, de la Sibérie et de l'Australie, le rapport établi entre l'or et l'argent par la loi française a perdu toute vérité ; la déprécation de la monnaie d'or est aujourd'hui de plus de 1 p. c, mais il n'est pas douteux qu'elle n'atteigne, dans un avenir peu éloigné, de bien autres proportions.
Donner cours forcé à l'or français, c'est donc changer l'objet de presque tous les contrats, diminuer les obligations des débiteurs au préjudice des créanciers, d'une manière déjà sensible pour les dettes à prochaine échéance, mais qui peut être très considérable pour celles dont le terme est plus éloigné.
C'est, dans tous les cas, commettre une violation du droit.
D'un autre côté, l'introduction des pièces d'or françaises dans notre système monétaire, n'est rien moins que la destruction complète de ce système.
La différence entre la valeur réelle d'une somme quelconque en argent et de la même somme en or, nous venons de le dire, est de plus de 1 p. c. Il suffit donc de remplacer dans la circulation les pièces d'argent par une somme égale d'or, pour réaliser un bénéfice de 1 p. c. sur cette somme. L'opération est très facile et il n'est pas douteux qu'en un temps très court tout notre numéraire d'argent n'ait disparu et ne soit remplacé par du numéraire d'or. Ce qui s'est passé en France en est la preuve. La substitution de l'or à l'argent s'y est faite en quelques années, malgré la somme énorme sur laquelle elle portait, et sous l'empire, cependant, de causes bien moins actives, dans le principe, qu'elles ne le sont aujourd’hui.
S'il est encore inscrit dans la loi française que la monnaie principale est d'argent, il n'en est plus ainsi dans la réalité.
La France n'a plus qu'une seule monnaie, la monnaie d'or ; malgré le texte de la loi et par suite de la disposition vicieuse qui établit un rapport fixe entre la valeur des deux métaux, le franc est en fait non plus un poids d'argent mais un poids d'or déterminé. C'est à l'or que se réfèrent toutes les prévisions des contrats, c'est en or qu'ils sont exécutés.
Il faut ne pas perdre de vue cette vérité de raison et d'expérience qu'il est absolument impossible de maintenir aujourd'hui les deux métaux précieux dans la circulation monétaire avec un rapport de valeur préétabli.
Donner cours légal à l'or français, c'est faire disparaître notre numéraire d'argent.
La question revient ainsi à savoir si nous devons préférer la monnaie d'or française à notre monnaie d'argent : elles ne peuvent coexister, il faut choisir l'une ou l'autre.
Mais le choix peut-il être douteux ?
Evidemment non !
Et d'abord on ne contestera pas que le numéraire d'argent ne soit bien plus impérieusement exigé par les besoins du commerce, que le numéraire d'or. On remplace très bien les avantages de ce dernier par les valeurs de banque, mais l'argent est indispensable pour satisfaire à ce nombre infini de petits payements que tous font chaque jour. Nos voisins ont déjà pu apprécier les embarras que leur fait éprouver l'absence d’argent, bien que les derniers résultats tout inévitable qu'ils soient ne serait pas encore produits. .
Mais une considération plus grave exige le maintien de l’étalon d’argent : c'est la plus grande stabilité de valeur que ce métal présente.
Tandis qu'aucun fait n'annonce comme imminent un grand changement dans l’offre ou dans la demande de l'argent, et par conséquent dans sa valeur, la dépréciation de l’or menace d'atteindre des proportions énormes. La production de ce métal est aujourd'hui d'environ 300,000 kilogrammes par an, ce qui fait environ un milliard de francs de monnaie française ; or, on estime que depuis la découverte de l'Amérique jusqu'en 1848, l'Europe n'en avait pas reçu dix fois autant, et que la quantité existante à cette dernière époque n'était pas non plus supérieure à dix milliards.
Une semblable augmentation de l'offre d'une marchandise quelconque doit la déprécier considérablement, et ce serait une erreur de croire que les métaux qui servent de monnaie peuvent échapper à la loi commune : les faits le proclament bien haut : c'est ainsi que l'on calcule qu'au commencement de ce siècle la valeur de l'argent avait, depuis la découverte de l'Amérique, diminué dans le rapport de 6 à 1 et l'or dans le (page 361) rapport de 4 à 1 ; c'est-à-dire qu'il faut aujourd'hui six fois plus d'argent ou quatre fois plus d'or qu'au XVème siècle pour obtenir les choses dont on a pu considérer la valeur comme fixe.
Nous ne contestons pas qu'une forte baisse de l'un des métaux ne puisse, à cause de la similitude d'usage, entraîner la baisse de l'autre, mais les variations de leur valeur relative établissent clairement que l'intensité de la dépréciation est incomparablement plus forte sur le métal dont l'offre a augmenté que sur l'autre. Ainsi l'or dans toute l'antiquité et dans le moyen âge a valu généralement de dix à douze fois son poids d'argent. L'exploitation des riches mines d'argent du Pérou et du Mexique a élevé sa valeur à 15 1/2 au moins son poids de ce dernier métal. N'est-il pas naturel qu'une grande production d'or fasse l'effet contraire de la grande production d'argent, et ne ramène un jour l'ancien rapport ?
Si de pareils changements ne peuvent s'opérer qu'après un long espace de temps, ils indiquent suffisamment quelle baisse l'or peut subir en une courte période sous l'influence d'une cause aussi active que celle qui agit aujourd'hui ; ce serait d'ailleurs une fausse base d'appréciation que de fonder des prévisions sur ce qui s'est passé depuis la découverte des nouveaux gîtes aurifères. La législation vicieuse de la France, en provoquant dans son système monétaire la substitution de l'or à l’argent a produit une demande d'une forte quantité du premier de ces métaux ; c'est ainsi que dans les quatre dernières années il a été frappé en France pour plus de deux milliards de pièces d'or. On conçoit qu'un placement aussi considérable a dû ralentir la dépréciation de l'or qui doit, le changement de numéraire effectué, reprendre son cours naturel.
Mais ce n’est pas sans de graves perturbations sociales que peut se manifester la diminution de valeur d'un étalon monétaire. Le premier effet de cette diminution de valeur est une hausse égale du prix de toutes choses, en sorte qu'avec une même somme on ne peut plus se procurer qu'une partie de ce que l'on obtenait auparavant.
Or il est une quantité de personnes dont le revenu se compose d'une somme fixe. Les fonctionnaires et les rentiers de l’État sont dans ce cas ; il est évident que pour eux la baisse du numéraire équivaut à une perte proportionnelle de leur revenu. La plupart des employés du gouvernement n'ont aujourd'hui que le strict nécessaire, la diminution de leur revenu réel ne fût-il même que d'un tantième peu élevé, qu'ellle leur causerait une gêne sensible. D'un autre côté, une notable partie des impôts est établie sur des sommes déterminées, en sorte que l’État lui-même subirait une perte considérable.
On pourrait, il est vrai, élever successivement le chiffre des traitements et des impôts, mais une augmentation de l'impôt, même purement nominale et sans aggravation de charges réelles, rencontrera toujours une vive résistance, et puis resteraient encore les rentiers dont les droits fondés sur des contrats ne peuvent être amoindris et auxquels on ne proposera certes pas d'allouer des sommes plus fortes que celles qu'indiquent leurs titres.
L'inévitable dépréciation de l'or nous amènerait cependant tous ces inconvénients, s'il venait se substituer à l'argent. Ils sont assez graves pour qu'il soit impossible d'hésiter à lui préférer ce dernier métal, comme la Hollande l'a fait.
L'adoption par la Belgique du système de monnaie de la France serait du reste bien étrange dans le moment présent.
De sages mesures prises avec prévoyance en temps utile ont doté sans secousses la Belgique d'une législation monétaire irréprochable, qui lui a fait éviter toutes les difficultés produites par la baisse de l'or.
La France ressent aujourd'hui toutes ces difficultés, son système légal de monnaies est complètement détruit ; la loi et le fait sont en flagrante contradiction, l'argent bien loin d'être la monnaie principale a presque entièrement disparu pour être remplacé par l'or qui ne doit remplir qu'un rôle secondaire ; un changement à l'état de choses actuel est vivement réclamé. Trop profondément engagée par ce qui existe, la France hésite à le faire, et les retards, en rendant les mesures à prendre plus difficiles, ne peuvent en dispenser, parce que tôt ou tard il faudra permettre au numéraire d'argent, dont on se peut se passer, de rentrer dans la circulation. Or pour cela il faut nécessairement supprimer le rapport établi par la loi entre la valeur des deux métaux.
Le hommes les plus compétents proposent ou de refondre le numéraire d'or, ou de diminuer successivement sa valeur nominale de manière à la tenir d'accord avec le franc d'argent, unité monétaire légale.
Les faits accomplis forceront plus vraisemblablement à accepter l'or au taux actuel et à diminuer au contraire le poids ou le titre des pièces d'argent pour les reléguer à l'état dé billon. Mais des deux côtés quels inconvénients ! et cependant la France doit les subir, parce qu'il y en a le plus graves à ne rien faire.
Serait-il possible que la Belgique allât précisément accepter tous les embarras de ce système au moment où nos voisins vont sans doute l'abandonner, pour être forcée de les suivre dans les changements qu'ils y apporteront, et finir peut-être par reprendre, avec eux, le système rationnel dont nous jouissons. Mais pour en revenir là, que de perturbations dans les contrats, que de pertes pour le trésor public ou pour les particuliers lorsqu'il faudrait démonétiser l'or, si malheureusement introduit chez nous !
Existe-t-il d'ailleurs quelque motif sérieux de changer ainsi notre législation monétaire ?
Les raisons que l'on apporte doivent conduire à une solution contraire au soutien de celle à laquelle ils sont destinés.
Tous les arguments consistent en effet à dire que les négociants belges qui sont payés en or subissent dans l'échange qu'ils font de cet or contre de l'argent une perte que le cours forcé leur éviterait.
Or, c'est là une profonde erreur : ces négociants ne font aucune perte : seulement ils n'obtiennent pas le bénéfice que le cours forcé leur permettrait de réaliser au préjudice de leurs créanciers, en important l’or français en Belgique.
Nous savons qu'en Belgique le franc est un poids déterminé d'argent ; en France il est en fait un poids d'or déterminé ayant une valeur moindre que notre franc. Sous un même nom, existent donc deux monnaies tout à fait différentes ; bientôt sans doute on distinguera le franc belge du franc français, comme on distingue les diverses espèces de florins.
Il n'est pas un négociant qui ne connaisse pratiquement cette différence de valeur et n'en tienne compté : le change en témoigne. II est clair que celui qui vendra des marchandises en France et qui devra supporter ou par le change, ou par la différence de valeur de la monnaie, une perte sur le payement à recevoir que nous supposerons de 51 p c. pour fixer les idées, élèvera son prix de 1 p. c ; de même que s'il devait être payé dans un pays où le change fait perdre 2 p. c, il demanderait 2 p. v. en plus. Si le négociant échange ensuite son or français contre de l'argent, il pourra supporter cette perte de 1 p. c. qui ne sera que le rétablissement du prix qu'il aurait eu s'il avait traité en argent.
Il n'y a donc, dans ce qui se passe, aucune perte pour celui qui fait des affaires en France. Mais on conçoit très bien que si après avoir obtenu ainsi une somme de francs en or plus considérable, il pouvait la remettra à un de ses créanciers à qui il doit le payement en argent, il réaliserait le bénéfice de 1 p. c. au détriment de ce dernier, puisqu'il lui donnerait en réalité 1 p. c. du moins qu'il ne lui doit. Il y aurait évidemment là une injustice criante ; dans la réalité, ce serait permettre à tous les débiteurs du pays de prélever une prime sur leurs créanciers pour tout l'or français qu'ils importeront.
Toutes les erreurs en cette matière ne proviennent que de l'identité de nom qu'a notre monnaie avec la monnaie, française ; matière et valeur, tout est cependant différent, et pour donner cours forcé à du numéraire étranger, ce que nous n'avons gardé de proposer, mieux vaudrait admettre les florins de Hollande qui au moins sont d'argent comme notre franc.
Ces considérations nous paraissent avoir un caractère d'évidence de nature à enlever tout doute sur le rejet de la pétition.
Il importe que cette décision soit prise par la Chambré parce que l'incertitude en cette matière peut avoir une fâcheuse influence. Qui consentirait en effet à prêter aujourd'hui- ne somme d'argent s'il pouvait soupçonner que la loi permettra à son emprunteur de lui restituer non pas ce qu'il a reçu, mais une somme en or d'une valeur moindre ? La fixité est la qualité le plus essentielle du système monétaire ; si l'on perd la confiance qu'elle sera maintenue, on perd en même temps la confiance que les conventions seront exécutées telles qu'elles sont formées, parce qu'il est impossible de changer les monnaies sans changer les droits des parties d'un contrat.
La Chambre doit vouloir maintenir cette confiance, base de toutes les transactions commerciales. Elle le fera en adoptant les conclusions de la commission comme une déclaration qu'elle n'entend en rien modifier notre système monétaire.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne suivrai pas l'honorable orateur que vous venez d'entendre dans toutes les théories que nous avons lues à plusieurs reprises dans les revues politiques ; j'entrerai dans les faits ; je regrette vivement que l'honorable préopinant, au talent duquel je rends hommage, n'ait pas mieux connu les faits qui dominent la question.
Tout son système repose sur une simple théorie : à savoir qu'il est possible à la Belgique seule en Europe de conserver l'étalon d'argent alors que toutes les nations qui nous environnent adoptent l'étalon d'argent.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et la Hollande !
M. Dumortier. - La Hollande a l'étalon de papier... par spéculation.
Du reste, je vous le demande, voudriez-vous en Belgique une monnaie semblable à celle de la Hollande ? J'affirme que non. Quand vous voudrez établir en Belgique des pièces de 25 cents moitié cuivre et moitié argent, alors vous pourrez parler de la Hollande ; mais aussi longtemps que vous repousserez ce système, vous ne serez pas admissible à venir invoquer l'exemple de la Hollande.
Je dis donc que toute la théorie de l'honorable membre repose sur cette unique pensée qu'il est possible, en Belgique seule, dans ce petit pays environné de puissances telles que l'Angleterre, la Prusse et l'Autriche, de conserver l'étalon d'argent en pièces de 5 francs, alors que ces puissances ont encore l'étalon d'or.
Je dis que cette théorie est une pure illusion, et qu'il est impossible de conserver la pièce de 5 francs chez nous à l'état d'étalon unique, dans la situation qui est faite à l'or.
En effet, messieurs, interrogeons les faits.
Il y a deux ans, c'est à peine si l'on trouvait en Belgique une très petite quantité de pièces d'or, et quand on avait besoin de cette monnaie pour voyager, on devait se la procurer à prime.
J'en parle avec connaissance de cause, et je pourrais citer des dates où moi-même j'en ai acheté à prime il y a deux ans à peine. Depuis deux ans, l'exportation de l'argent s'est faite constamment de la Belgique vers les pays étrangers.
(page 362) L'or, au contraire, y est entré chaque jour avec une affluence dont on n'a pas d'idée. Cela est tellement vrai qu'aujourd'hui, il y a pénurie absolue de monnaie d'argent, et l'on n'y reçoit presque plus autre chose que de la monnaie d'or. Je prie ceux qui pourraient en douter de se rendre à Ypres, à Courtrai, à Tournai, dans toutes nos villes frontières enfin, ils verront qu'il ne s'y trouve pour ainsi dire plus autre chose que de la monnaie d'or.
M. H. de Brouckere. - Allez à la Banque Nationale.
M. Dumortier. - Ah ! je vous répondrai tout à l'heure, avec votre Banque Nationale.
L'honorable membre nous dit : Allez à la Banque ! Eh bien, c'est précisément ce que nous ne voulons pas. Oh, je sais bien que ce conseil est parfaitement conforme aux intérêts de la Banque, parce que quand nous nous adressons à elle pour échanger notre or, nous devons perdre 10, 15 et jusqu'à 20 centimes par pièce de 20 francs. Or, c'est justement là ce que nous ne voulons pas ; ce sont ces intérêts de boutique que nous ne voulons pas favoriser. C'est là ce que nous flétrissons parce que nous ne voulons pas que la Banque Nationale s'enrichisse au détriment du pays.
Ainsi, messieurs, allez dans un magasin de Bruxelles, payez-y votre achat en monnaie d'or. Le marchand prendra votre or au pair ; mais quand il devra négocier avec la Banque, il perdra 10 à 20 p. c. sur l'or qu'il aura dû accepter au pair.
Mais, nous dit-on, les achats sont faits pour une certaine somme d'argent et vous devez payer cette somme entière, autrement il y aura spoliation au profit du créancier. Mais si cette théorie (car ce n'est qu'une théorie) était vraie, toutes les pièces devraient avoir constamment leur poids ; ou bien ce serait une spoliation du créancier. Eh bien, comme je m'attendais à cet argument, parce qu'il a déjà été produit dans cette enceinte, j'ai voulu savoir si nous avions sur nous la valeur réelle des pièces que nous possédons, en d'autres termes si, en Belgique, nos pièces d'argent ont réellement leur valeur représentative. J'ai pris une pièce de cinq francs d'une part et cinq pièces d'un franc, d'autre part. Mes cinq pièces d'un franc avaient bien servi, cependant elles n'étaient pas encore usées à beaucoup près. Il s'est trouvé qu'il me manquait 10 centimes à la pesée ; d'où il suit que je n'avais que pour 4 fr. 50 cent dans ma poche. J'ai ensuite mis dix demi-francs dans la balance, il s'est trouvé qu'il manquait 80 centimes. Voilà la valeur représentative dont on parle. Quand je pèse 5 fr. en francs, il me manque 50 cent. ; quand je les pèse en demi-francs, il me manque 80 c. Est-ce que le commerce en souffre ? Si l’on démonétisait l'argent, oui. Mais vous voyez que ce sont de pures théories, appliquez aux pièces d'or et vous verrez qu'elles ne sont pas plus nuisibles dans l'application aux pièces d'or qu'elles ne le sont dans leur application aux pièces de petite monnaie d'argent.
Mais si vous adoptez ce système, l'argent disparaîtra ! Voilà la grande question. L'argent disparaîtra de la circulation ! Eh bien, je dis que, quoi que vous fassiez, que vous conserviez votre système ou que vous le supprimiez, l'argent disparaît et disparaîtra de la circulation, et qu'avant peu d'années il n'y aura plus d'étalon d'argent en Belgique.
Pourquoi ? Pour deux motifs bien simples. Le premier à cause de la fonte, le second à cause de l'exportation.
Que se passe-t-il aujourd'hui dans une grande partie des maisons de banque de Belgique ? Ou opère presque partout le triage des pièces de 5 fr., et on les livre à la fonte. On met en lingots toutes les pièces de 5 fr. antérieures à 1822 et 1823.
Il a été reconnu qu'avant cette époque les procédés étaient dans un grand état d'imperfection, de manière que les pièces de 5 fr. battues sous l'ancienne république, les pièces battues sous Napoléon, sous Louis XVIII et dans les premières années de Charles X, contiennent toutes une petite quantité d'or. Il y a donc grand profit à la fonte pour opérer le part de ces deux métaux.
Maintenant, est-ce que toutes ces pièces de 5 fr. fondues et changées en lingots, restent dans la circulation ? Evidemment elles en disparaissent.
Et cette opération du triage se fart presque dans toutes les maisons de banque ; celles qui ne s'y livrent pas sont la rare exception.
Les pièces de 5 francs de la primitive époque se vendent à prime pour être fondues. Voilà ce que l'honorable membre ne sait pas, et voilà ce que les faits nous disent, ce qu'ils nous enseignent.
Eh bien, si l'on fondait toutes les pièces de 5 francs, que deviendrait votre étalon d'argent ? Il deviendrait une théorie vague, une théorie atmosphérique : il ne serait palpable pour personne ; vous n'auriez plus de pièces de 5 francs pour appuyer vos théories.
D'autre part, l'exportation des pièces de 5 fr. est considérable. Je me souviens que quand cette question a été soulevée, il y a un an et demi pour la première fois, je vous ai signalé que le bateau à vapeur le Baron Osy transportait, à chaque voyage qu'il faisait en Angleterre, pour 3, 4 ou 5 millions de pièces de 5 fr. Mais toutes ces pièces qui sortaient ne restaient évidemment pas dans la circulation.
D'où cela provient-il ? L'honorable membre l'ignore sans doute, cela provient du commerce nouveau qui s'opère aujourd'hui avec la Chine. Tant que notre commerce avec la Chine n'avait lieu que pour le thé et pour les denrées que la Chine fournit, la balance était satisfaisante entre l'Europe et le Céleste empire.
Mais depuis que l'on a été chercher en Chine la soie pour la tisser en Europe, la balance a été au grand préjudice de l'Europe. L'exportation des soies de la Chine pour être fabriquées en Europe, a transformé cette balance de telle manière que chaque année l'Europe est en déficit vis-à-vis de la Chine de 400 à 500 millions de francs et qu'il faut exporter pour cette somme de pièces de 5 fr., la seule monnaie avec les piastres qu'accepte la Chine. La Chine n'accepte pas la monnaie d'or ; il lai faut de la monnaie d'argent. Elle ne veut pas de la monnaie de billon, elle repousse la monnaie allemande. Il lui faut la pièce de 5 fr. et la pièce de cinq francs est aujourd'hui l'objet d'un grand commerce d'exportation.
C'est pour cela que nos pièces de cinq francs vont en grande quantité en Hollande ; c'est pour cela que nos pièces de cinq francs sont exportées en grande quantité en Angleterre, afin de pouvoir solder à la Chine la soie qu'on y achète et de pouvoir ainsi satisfaire à la balance commerciale.
En présence de ces deux éléments, pouvez-vous vous imaginer que vous allez seuls conserver la monnaie d'argent, lorsque toute l'Europe est forcée de I abandonner ? Mais les faits viennent ici démentir les prémisses. Interrogez les faits. Il y a deux ans, je le répète, vous ne trouviez des napoléons qu'à prime et aujourd'hui on les vend à perte, tellement l'invasion de l'or français est grande. L'or français fait en Belgique l'effet de la tache d'huile, il va toujours en s'étendant. Il a commencé par la frontière et avant un an vous n'aurez que da l'or français dans votre capitale.
Maintenant, messieurs, que signifient toutes les théories sur l'avenir de l'or que l'honorable préopinant nous a tout à l'heure développées ? Mais c'est une nécessité que la Belgique comme toute l'Europe, doit subir. Elle en subira les conséquences, et soit que vous ayez l'étalon français ou que vous vouliez conserver l'étalon d'argent, vous devrez nécessairement y passer et il n'y a pas de conduite à part pour nous.
J'entends dire ensuite que ce qui remplace l'or, c'est la valeur papier, c'est le billet de banque.
Messieurs, nous voici devant une question bien grave et bien délicate, devant une question des plus importantes pour le pays et pour son avenir. On voudrait donc remplacer l'or par du papier, par le papier-monnaie qu'on appelle billets de banque. Eh bien, je dois le dire, on nous a distribué hier soir l'état de situation de la Banque Nationale et ce n'est pas sans être vivement effrayé que j'ai vu la situation que cet établissement fait au pays en ce moment. En effet, si vous jetez les yeux sur cet état de situation, vous voyez qu'au 1er janvier, l'émission de papier s'élevait à 126,400,000 fr.
Messieurs, je me demande d'abord quelle était la situation ancienne de la Belgique relativement au papier-monnaie qu’on appelle billet de banque, en second lieu quel peut être l'avenir du pays en présence d'une telle situation.
Lorsque l'honorable M. Veydt, ministre des finances, est venu présenter un projet de loi pour donner le cours forcé à l'or en 1848, à la suite de la révolution française, l'émission du papier par la Société Générale et par la Banque de Belgique ne s'élevait qu'au chiffre de 16 millions de francs pour tout le royaume. Il est vrai qu'à cette époque la Belgique avait une belle et bonne monnaie d'or et qu'elle remplaçait beaucoup de papier monnaie.
Il y avait donc 16 millions de papier-monnaie en 1848 ; aujourd'hui il y en a pour 126,400,000 fr. c'est-à-dire que nous avons aujourd'hui huit fois plus de papier-monnaie en circulation qu'il n'y en avait il y a douze ans.
L'honorable ministre des finances a pu alors dans les circonstances graves où il s'est trouvé, demander à la Chambre de donner un cours forcé à ce papier, et je dois le dire à son honneur, il ne la fait qu'en tremblant. Mais la somme était petite et l'on pouvait faire face à tous les besoins. Survienne aujourd'hui une crise quelconque, comment entendez-vous couvrir cette effrayante somme de 126,400,000 fr. de papier-monnaie qui circule aujourd'hui en Belgique ?
Entendez-vous le couvrir au moyen de l'encaisse ? Mais l'encaisse est de 22 millions, rien d eplus. Je sais bien que, dans le compte, il s'élève à plus de 50 millions appartenant au trésor public, et auxquels le gouvernement ne permettrait pas de toucher, car en temps de crise l’État a besoin de son argent. Vous n'avez donc que 22 millions pour couvrir une circulation de 126 millions.
Je sais bien qu'on a dit : Nous avons le portefeuille, et en temps de crise nous le négocierons.
- Un membre : Il échoit.
M. Dumortier. - Sans doute il y a des échéances, mais à mesure des échéances il y a de nouvelles négociations et si vous ne continuez pas nos escomptes vous amenez une crise double dans le pays (Interruption). J'ai prouvé à M. le ministre des finances qu'il ne connaissait pas l'Abc de ces questions.
Je dis donc, messieurs, que d'après le relevé qui nous a été distribué hier soir, vous avez une circulation de 126 millions ; pour couvrir ces 126 millions, vous avez 22 millions versés par les actionnaires, plus 27 à 28 millions qui appartiennent au trésor de l’État et auxquels la Banque n'a pas le droit de toucher. On me répond à cela qu’il y a des rentrées ; autrefois, c'étaient des négociations, que M. Frère consulte le Moniteur, il verra qu'on nous parlait de négociations à faire à Londres et à Hambourg, aujourd'hui ce sont des rentrées.
Eh bien, le produit de ces rentrées doit être employé à escompter les effets que le commerce apporte à la Banque. Sinon la Banque ne remplit plus sa mission et elle crée une crise dans le pays.
page 363) Quant aux négociations, j'aurais voulu vous voir, il y a 4 mois, négocier votre portefeuille à Londres ou à Hambourg.
Si la crise aurait gagné la France et la Belgique, auriez-vous trouvé à négocier pour un sou de papier à Londres ou à Hambourg ? Mais, on y manquait de numéraire et il a fallu qu'on envoyât de l'argent de Vienne pour permettre à la banque de Hambourg de marcher.
Je dis, messieurs, que ce sont là des réponses qui n'en sont pas et auxquelles les faits viennent donner un démenti éclatant.
Mais je m'attends à une autre objection : on donnera cours forcé aux billets de banque.
Eh bien, je dis que le jour où un ministre viendrait proposer de donner en Belgique cours forcé à 126 millions de billets de banque, il ne resterait à la Chambre qu'une seule chose à faire, ce serait de mettre le ministre en accusation.
Mais ignorez-vous donc que la grande et riche Angleterre, lorsqu'elle a donné, en 1808, cours forcé aux billets de banque, a vu ces billets perdre jusqu'à 30 p. c ?
Quand les États-Unis ont donné cours forcé aux billets de banque, il a fallu trente ans pour rétablir l'équilibre.
Or, dans un pays comme le nôtre, donner cours forcé à 126 millions de billets de banque, je dis que ce serait effrayant, je dis que dans tous les cas j'aime bien mieux une monnaie d'or, qui a toujours une valeur réelle, qu'un morceau de papier qui peut perdre jusqu'à 30 p. c.
Mais, dites-vous, l'or peut diminuer de valeur et alors il y aura perte sur les pièces d'or.
Je dis que c'est là une condition faite à l'Europe et que vous devez la subir quoi que vous fassiez Vous ne pouvez pas avoir la prétention de conserver seuls la monnaie d'argent. Mais que faites-vous aujourd'hui ? Je vous donnerais volontiers une comparaison qui vous ferait rire, mais qui est extrêmement juste. (Interruption.) Eh bien, vous faites comme Gribouille, qui se jette à l'eau pour éviter la pluie.
Vous avez peur de faire un jour une perte et pour éviter cette perte, qui peut se présenter une fois dans la vie d’une nation, vous vous soumettez à une perte de tous les jours, car chaque jour vous perdez sur l'or qui est en circulation.
Et croyez-vous que cette perte soit peu de chose ? Eh bien, permettez-moi de vous en dire quelques mots.
D'où vient l'argent que nous avons en Belgique ? Une très petite quantité est battue en Belgique et les quatre cinquièmes au moins, peut-être les sept huitièmes viennent de France. Ouvrez votre caisse et vous verrez que presque tout l'argent qui s'y trouve consiste en monnaie battue en France.
En effet, messieurs, le solde de vos opérations avec la France finit toujours par se faire en argent. Vous faites avec la France pour 240 millions d'affaires tous les ans ; vous en faites avec toute l'Europe et votre balance commerciale générale ainsi que votre balance spéciale avec la France, s'opèrent au bénéfice du pays ; ce qui est fort heureux pour la Belgique.
Cette balance commerciale ne peut plus rentrer en marchandises ; comme il nous est dû plus que vous ne devez, il faut bien le solde de compte.
Maintenant, la France n'ayant plus d'argent elle vous envoie de l'or, et c'est ainsi que l'or arrive de plus en plus en Belgique.
Sur toute la frontière de France il n'y a plus aujourd'hui que de la monnaie d’or et toutes les pétitions qui nous sont adressées prouvent bien qu'il y a une véritable crise. Allez à Furnes, à Ypres, à Menin, à Tournai et vous verrez que partout il n'y a que de l'or français. Le fermier qui va vendre son grain en France n'est payé qu'en or. Il vient dans le pays avec cet or. Quand il doit le négocier, il ne peut le placer qu'avec perte. La perte que vous faites n'est compensée par rien. Il n'en résulte qu'un bénéfice pour les banquiers et les changeurs.
« Mais, dit l'honorable membre, les commerçants belges qui vendront à la France, lui vendront à 1 p. c. de plus. En vérité, répondrai-je, vous n'avez jamais vu les affaires dans la pratique ; esprits lumineux et éclairés, sortez un moment de vos livres, entrez dans la pratique commerciale. Qu'est-ce qui fait la valeur des choses ? C'est la concurrence ! La concurrence seule, après en règle les prix ; vous ne pouvez pas vendre au-dessus des prix fixés par la concurrence.
En résumé, c'est une perte sèche que le pays éprouve ; et pourquoi ? Pour maintenir une simple théorie, une théorie onéreuse au pays, parce qu'elle lui occasionne, et je le prouverai, s'il le faut, une perte de plus d'un million de francs par an.
Messieurs, je viens de vous parler de la situation, telle qu'elle est. Quant à moi, je ne tiens pas du tout à ce que les pétitions soient renvoyées à M. le ministre des finances.
Je sais que son opinion est faite sur ce point et que le renvoi est complètement inutile.
J'appuierai donc les conclusions de la commission, c'est-à-dire le dépôt au bureau des renseignements ; je les appuierai d'autant plus volontiers que si le ministère ne prend pas l'initiative, je suis formellement décidé à présenter un projet de loi pour donner cours légal à la monnaie d’or française en Belgique. La mesure est une nécessité devant laquelle vous devrez céder, sinon immédiatement, au moins dans un ou deux ans.
M. Prévinaire. - Messieurs, je m'étonne que les convictions qui animent l'honorable M. Dumortier ne l'engagent pas à demander que la discussion aboutisse aujourd'hui à un résultat. Il devrait, me paraît-il, provoquer un vote significatif au lieu de nous annoncer qu'il usera de son initiative plus tard, pour faire modifier notre système monétaire. Je suis convaincu, pour ma part, que la majorité se prononcerait d'une manière éclatante contre les idées de l'honorable M. Dumortier.
Le rapport si lumineux et si logique de l'honorable M. Pirmez est resté complètement sans réponse de la part de l'honorable M. Dumortier. L'honorable M. Pirmez a présenté un argument important ; il vous a dit que tous les contrats existants, faits en Belgique entre individus, aussi bien que ceux que le pays, par l'organe du gouvernement, a faits avec des particuliers, ont été faits sous l'empire de la législation du franc d'argent. Modifier le régime monétaire sans maintenir l'équivalence, équivaudrait à une véritable expropriation ; le rétablissement du cours légal de la monnaie d'or de France aurait pour résultat de voir cette monnaie se substituer très rapidement à notre monnaie d'argent, et pour conséquence, comme on l'a fait remarquer, d'élever le prix de toutes les choses, de diminuer le revenu des rentiers de l’État et des rentiers particuliers.
L'ouvrier subirait un double détriment en voyant son salaire réduit en même temps qu'il verrait le prix des denrées et des objets de première nécessité s'élever parallèlement.
L'honorable M. Dumortier se place fort à l'aise. Il vous dit avec une imperturbable assurance, que la Belgique seule en Europe a conservé l'étalon d'argent ! Mais, messieurs, l'étalon d'argent existe en Hollande, dans certains États d'Italie et dans toute l'Allemagne.
Seulement, pour ce qui concerne ce dernier pays, à la suite de nombreuses conférences qui ont eu lieu l'année dernière et dans lesquelles les États du Zollverein poursuivaient une idée très utile, celle de l'uniformité du système monétaire, on a donné un cours de convention à la monnaie d'or. Mais le véritable étalon, c'est l'étalon d'argent ; l'étalon d'argent existe encore, si je ne me trompe, dans la Sardaigne.
Permettez-moi, messieurs, de vous citer quelques chiffres qui confirment ce qui a été allégué par l'honorable M. Pirmez. L'honorable membre vous a exposé d'une manière générale les conséquences qu'avait eues en France lu coexistence du double étalon monétaire.
Eh bien, voici des résultats non contestables, puisqu'ils sont empruntés à des publications officielles ; ils se rapportent à l'année 1855 ; mais depuis lors la situation s’est encore aggravée. Le stock général des métaux précieux en France s'est augmenté en 1855 de 20 millions ; le stock de l'or s'est augmenté de 221 millions, et le stock d'argent s'est réduit de plus de 200 millions.
La hausse qui s'est manifestée sur le prix de l'argent fin, et d'autres faits économiques qui se sont produits, donnent la certitude que pendant les années 1850 et 1857, l'argent a émigré de France dans des proportions bien plus considérables. Le gouvernement français s'est trouvé impuissant pour arrêter ce mouvement, qui était la conséquence naturelle de la rupture de l'équivalence entre les deux étalons. Ce mouvement s'est d'ailleurs produit avec une rapidité extraordinaire, et il était impossible de songer à un remaniement du système monétaire dans un grands pays dont le capital monétaire atteignait près de trois milliards.
Il a donc fallu se résoudre à laisser faire la conversion par les particuliers qui en ont profité.
L'honorable M. Dumortier a dit que les relations de l'Angleterre avec la Chine se soldaient par l’importation des métaux précieux en Chine. Cela est vrai. Voici quelle a été la progression des exportations d'argent faites par l'Angleterre vers la Chine.
L'Angleterre, qui en 1853, avait exporté pour 78 millions d'argent, en a exporté pour 151 millions en 1855, pour 250 millions en 1856 et autant pendant les six premiers mois de 1857. Cette progression énorme des exportations d'argent vers la Chine et l'Inde, a été provoquée, par les achats considérables de soie et de thés que les Etats-Unis et l'Angleterre ont faits en Chine dans ces derniers temps et par la mesure décrétée en 1855 par la compagnie des Indes anglaises, de ne plus admettre les monnaies d'or dans son trésor.
Messieurs, pour moi, la mesure que réclament les pétitionnaires, équivaudrait à l'établissement d'une prime d'exportation ; ils demandent que le gouvernement établisse pour eux une prime d'exportation, quand ils demandent qu'une monnaie étrangère, qui doit être entrée en ligne de compte dans leurs calculs, soit admise à circuler en Belgique à un cours supérieur à sa valeur, ils se fondent, non pas sur une circulation ancienne, non sur l'absence d'un agent de circulation qui manque ait pays, mais sur le désir de gagner davantage.
Il est évident qu'avant 1853, il n'y avait pas de circulation de monnaie d'or en Belgique. L'honorable M. Dumortier vous dit que ce n'est que depuis deux ans que les pièces d'or de 20 fr. ont cessé d'être à prime. Il se trompe, la prime de 1 à 2 p. c. que l'on payait anciennement pour obtenir des monnaies d'or de France, a cessé depuis 1855, depuis que l'extraction de l'or en Californie a pris de grands développements. L'honorable membre paraît croire à la possibilité du retour de cette situation, mais il se trompe en cela, car la production aurifère tend chaque jour à se développer davantage.
Pendant longtemps les gisements aurifères ont été exploités d'une manière très irrégulière. Aujourd'hui l'exploitation est une affaire sérieuse ; de grands capitalistes ont organisé des exploitations sur des bases sérieuses, on doit donc s'attendre à voir les produits devenir énormes. Ne serait-ce pas marcher à l’encontre des principes que d'adopter pour monnaie un métal qui tend à perdre de sa valeur ? Quand on a (page 364) admis l'argent et l'or comme étalons monétaires, c'est à raison de la fixité de leur valeur.
Du moment que la valeur d'un de ces métaux tend à perdre de sa fixité, il est prudent de s'en tenir à celui qui a conservé les propriétés essentielles pour servir d'étalon de valeurs.
Je ne répondrai pas aux considérations présentées par M. Dumortier sur un grand établissement national ; le pays l'apprécie autrement que l'honorable membre, et la raison d'être de sa grande circulation de billets se trouve dans la confiance dont l'entoure le public.
L'honorable M. Dumortier a parlé de crise ; mais nous avons été en crise permanente depuis la création de cet établissement, et nous sortons d'une des crises les plus terribles dont on ait souvenance.
Nous sommes heureux de pouvoir dire que l'établissement fondé en 1850 a répondu jusqu'ici à ce qu'on attendait de lui.
L'honorable M. Dumortier redoute une grande circulation de billets de banque ; il ne voit que ce fait, il n'apprécie point les garanties, il méconnaît les avantages, et cependant il veut que l'établissement fasse crédit.
Si on lui dit que l'établissement est en mesure de faire face à ses engagements, que le recouvrement de son portefeuille doit nécessairement réduire la circulation des billets, il répond qu'en cessant de prêter ou d'escompter la banque fera naître une crise, et il ne s'aperçoit pas qu'en réduisant la circulation des billets, ou arriverait à ce même résultat, dont il ne veut pas, celui de restreindre l'étendue du crédit que la Banque peut offrir.
L'honorable membre s'est élevé très énergiquement contre le cours forcé des billets de banque ; qu'il se rassure, rien de semblable n'est à craindre, mais si l'on prévoit la possibilité que la banque doive rembourser ses billets, il faut bien admettre également qu'elle puisse, dans une égale mesure, réduire les facilités et le crédit qu'elle accorde.
Je crois que l'honorable membre n'a examiné que très superficiellement le document auquel il a fait allusion ; il a confondu l'émission de billets avec leur circulation ; les billets émis au 31 décembre 1857 atteignaient, en effet, 126 millions ; mais les billets en circulation ne s'élevaient qu'à 106 millions environ. Les 20 millions restant se trouvaient dans les caisses de la Banque et ne pouvaient être l'objet d'une demande de remboursement.
La Banque des Pays-Bas, au point de vue de l'honorable membre, serait dans une position bien plus alarmante que la nôtre, car elle a en circulation quelque chose comme 98 millions de florins de billets de banque.
J'engage l'honorable membre à examiner de plus près l'ensemble des faits dont il s'occupe et alors son opinion pourra changer.
L'honorable membre a parlé des pièces d'argent qui n'ont plus leur poids et de celles dont on fait le triage pour les fondre ; quant aux premières, on a le droit de les refuser ; quant au triage, il n'a pas l'importance que lui donne l’honorable membre ; le triage, avait pour objet la recherche de pièces battues antérieurement au règne de Louis-Philippe, et qui renfermaient quelques parcelles d'or ; on peut dire que ces pièces ont disparu en très grande partie, et qu'après le triage on a restitué à la circulation des pièces dont le poids est presque intact.
Je crois avoir entendu l'honorable M. Dumortier parler de pièces de cinq francs dont la valeur serait réduite à 1 fr. 50 c. J'ose affirmer qu'il serait impossible de trouver une pièce de bon aloi n'ayant que cette valeur dans un million. (Interruption.) S'il s'agit de cinq francs en petite monnaie, c'est différent.
M. Dumortier. - Ayant entendu M. Pirmez dire qu'on contracte pour un poids d'argent, j'ai dit que sur cinq francs en pièces de 1 franc, on perdait 50 centimes, et en pièces de 50 centimes on perdait 80 centimes.
M. Prévinaire. - On ne fait pas de payement avec des francs ou des demi-francs, ils ne sont admis dans les payements que comme appoint ; c'est pour cela que dans certains pays on a été jusqu'à créer une monnaie d'appoint à bas titre.
J'espère que cette discussion dégoûtera de nous envoyer des pétitions mal raisonnées. Je suis plein de respect pour le droit de pétition, mais il est bon que les questions qu'elles soulèvent soient vidées ; il est bon que la Chambre se prononce d'une manière telle, que nous ne voyions pas se reproduire des pétitions basées sur des idées dont l'adoption serait un malheur pour le pays.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre un projet de loi sur la contrainte par corps.
- Il est donné acte à M. le ministre de la justice de la présentation de ce projet de loi, dont la Chambre ordonne le renvoi à l'examen des sections.
M. Malou. - L'honorable préopinant nous dit qu'il nous arrive beaucoup de pétitions très mal raisonnées.
Lorsque je vois se produire un pétitionnement sur plusieurs points-du pays, sans qu'il ait rien de politique, sans impulsion ni contrainte, la première question que je me pose est de savoir si les pétitionnaires n'éprouvent pas une gêne réelle, des griefs sérieux dont ils demandent le redressement.
On ne peut pas se le dissimuler, car les faits subsistent malgré toutes les dénégations qu'on peut y opposer, il y a, pour une grande partie du pays, une véritable gêne dans les circulation.
- Voix nombreuses. - Oui ! oui ?
M. Malou. - Ce fait incontestable domine toutes les théories, parce que c\st un fait.
Messieurs, discutant purement et simplement sur l'unité d'étalon monétaire, sur le solde de la balance commerciale, on peut pendant fort longtemps échanger des discours. Mais, encore une fois, ou ne détruira pas ce fait et on n'aura considéré alors qu'un seul des côtés de la question.
On nous dit, par exemple, et l'honorable rapporteur de la commission le répétait tout à l'heure, on contracte pour avoir cinq grammes d'argent pour un franc. La foi des contrats oblige à l'immobilité du système monétaire. Messieurs, il semble vraiment, à entendre les honorables membres, qu’il n'y ait en Belgique aucun contrat antérieur en date à la loi de 1850, qui de fait a supprimé la circulation de l'or. Voici comment les choses se passent dans la vie réelle. Quand un contrat a lieu, il se fait sous la foi du système monétaire, quel qu'il soit, à l'époque de l'échéance de l'obligation. On contracte une obligation payable en monnaie légale ; on ne traite pas en disant : Vous me donnerez cinq grammes d'argent pour un franc et non pas la valeur correspondante en or, mais pour un franc, valeur échangeable en monnaie légale.
Il résulte de là que, à part la question de valeur intrinsèque ou de solde des transactions de nation à nation, la monnaie a une autre fonction, et cette fonction intéresse surtout le public ; je l'appellerai la valeur échangeable, la faculté de donner à côté de soi, en payement, ce qu'on vient de recevoir soi-même en payement et sans y perdre. Quand cette condition n'existe pas, il y a gêne dans la circulation ; c'est ce qui se passe aujourd'hui.
Mais, me dit-on, pourquoi ne demandez-vous pas 1 pour cent de plus quand vous vendez votre marchandise ? Pourquoi ? Parce que quand le paysan de la Flandre occidentale, par exemple, va prendre un sac de blé à Lille, il subit la mercuriale, mais il ne la règle pas et que force lui est bien d'accepter en or le payement de sa marchandise. Un exploitant du Borinage qui va vendre de la houille en France n'y fait pas plus le prix que le cultivateur dont je viens de parler ; il accepte les prix et les conditions de payement du marché français et quand il ne parvient pas à replacer au pair l'or qu'il a reçu, il subit une perte.
Dissertez tant qu'il vous plaira, vous n'empêcherez pas que la gêne dont ou se plaint n'existe réellement.
Dites que ceux qui se plaignent raisonnent mal en théorie, il n'en sera pas moins vrai qu'ils éprouvent un préjudice réel, aisément appréciable, contre lequel ils réclament.
Messieurs, notre système monétaire a pour origine la loi de 1832 ; c'était à cette époque le même système qu'en France. Depuis lors, un fait considérable s'est produit : le système français, qui repose sur la coexistence et une valeur relative quelconque de l'or et de l'argent, s'est transformé. L'or s'est substitué en France à l'argent pour la presque totalité de la circulation ; et tandis que la France opérait cette transformation, nous avons décidé que nous ne voulions plus d'or et que nous voulions conserver l'argent.
Cela est très bien, comme principe ; mais si les faits généraux qui dominent la valeur relative de l'or et de l'argent continuent de se produire, si le courant qui entraîne constamment l'argent vers d'autres contrées et en augmente sans cesse la valeur persiste à se manifester, vous aurez beau faire des théories, vous aurez beau décider que vous maintiendrez l'étalon d'argent. Je dis que vous ne le maintiendrez pas. Pourquoi avez-vous su le maintenir jusqu'à présent ? Parce que vous avez pu puiser, pour conserver votre circulation, dans un immense réservoir.
La France avait frappé quelque chose comme quatre milliards et demi d'argent.
Une grande partie a été affinée quand on a pu séparer l'or de l'argent ; les pièces anciennes ont été affinées les premières parce qu'elles contenait le plus d'or ; plus tard, on a fait un nouveau triage, dès qu'une prime sur l'argent s'est produite ; et maintenant je trouve comme cote des matières que l'or est au pair et que l'argent obtient une prime de 18 à 20 par mille.
Vous êtes donc dans cette position que vous prétendez maintenir indéfiniment prétendez en France, de 2 p. c. sur l'exportation de l'argent !
Pour moi, je n'hésite pas à dire que si ce courant ne s'arrête pas ou ne prend pas une direction inverse, vous serez amené un jour, bientôt peut-être, à accepter la monnaie d'or en Belgique.
Et, en effet, messieurs, notre système de banque repose sur un principe commun à presque toutes les banques de circulation ; elles doivent avoir toujours un encaisse métallique égal au moins au tiers de leur émission de billets.
(page 365) Cela veut dire évidemment un tiers en monnaie légale, que l'on puisse donner en échange des billets dont le payement est réclamé.
Ainsi, par exemple, si la Banque Nationale avait un encaisse de pièces d'or françaises n'ayant pas cours légal en Belgique, cet encaisse ainsi composé serait peut-être conforme à la lettre des statuts, mais il ne répondrait certainement pas aux conditions économiques dans lesquelles la Banque a été instituée, parce qu'elle ne pourrait pas affecter cet or au payement des billets qui lui seraient présentés. On est parvenu à peu près à maintenir l'encaisse dans les conditions des statuts, mais à mesure que s'épuise le grand réservoir dans lequel on a pu puiser jusqu'à présent, la difficulté grandit, et un jour viendra où l'évidence éclatera aux yeux mêmes de ceux qui veulent le maintien du système monétaire tel qu'il existe aujourd'hui.
Messieurs, cette question s'est déjà produite plusieurs fois en France comme en Belgique.
L'honorable M. Pirmez vous disait tout à l'heure : Il y a deux systèmes en présence en France : c'est de réduire l'or, ou c'est de rétablir le système d'argent, en lui donnant une autre valeur, en le surtaxant, suivant l'expression consacrée.
Messieurs, en France, le gouvernement a laissé se continuer, après un examen en quelque sorte permanent, la substitution de l'or à l'argent, et aujourd'hui je considère comme impossible, matériellement impossible, le retour au système d'argent. Et, en effet, permettez-moi un mot vulgaire : ce serait verser de l'eau dans un panier. A peine aurait-on amené de l'argent au prix d'un sacrifice très considérable, et cela se calcule par sommes énormes lorsqu'il s'agit d'une circulation comme celle de la France, que l'attraction qui se manifeste aujourd'hui ferait disparaître l'argent que vous auriez amené à grands frais dans la circulation.
La France est fixée pour ainsi dire dans le système de l'or ; c'est un fait acquis, dont il faut tenir compte pour régler aussi notre ménage intérieur.
Dirai-je un mot de la question de savoir si l'or va subir une baisse fabuleuse ? Messieurs, déjà plusieurs fois, dans des discussions antérieures on s'est demandé (la question paraît naïve, au premier abord, mais elle est vraie) si l'or avait baissé ou si le prix de l'argent s'était élevé. II n'y a pas de point de repère fixe ; il ne s'agit jamais que d'une valeur de relation. Avant la découverte des mines de la Californie et de l'Australie, le fait constant, c'était la prime sur l'or.
Depuis, la prime s'est portée sur l'argent et elle a presque constamment augmenté. Or, me reportant encore une fois dans le domaine des faits, je me demande quelle est la meilleure monnaie, de celle qui a une prime ou de celle qui n'en a pas.
Avant la découverte de la Californie, l'or était une marchandise ; on l'achetait à prime ; il ne servait pas comme valeur échangeable et comme utilité réelle aux transactions qui se font chaque jour. Si l'écart des étalons continue à se produire, vous aurez le même fait pour l'argent, vous n'obtiendrez plus l'argent sans payer une prime. C'est à-dire qu'aujourd'hui ce que vous avez la prétention de maintenir indéfiniment comme moyen journalier des échanges, est réellement devenu une marchandise qu'on recherche et pour laquelle on paye une prime, un agio.
En soumettant ces observations, je ne me hâte pas, messieurs, de conclure qu'il faut dès aujourd’hui admettre l'or comme monnaie légale en Belgique. Mais j'ai cru devoir les soumettre à la Chambre, parce qu'il me paraît démontré que si les mêmes circonstances continuent d'exister, nous serons forcément amenés à modifier notre système monétaire, si nous voulons laisser à la monnaie son utilité réelle de valeur échangeable, laquelle est indépendante, à certains égards, de toutes les théories et de la balance du commerce entre les nations.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, je demande la permission de répondre quelques mots à l'honorable M. Rodenbach.
Il a insinué que ce serait manquer aux pétitionnaires que d'adopter les conclusions de la commission des pétitions. Sa longue expérience a dû lui apprendre qu'il n'y a nullement là manque d'égards envers les pétitionnaires. Ces derniers ont présenté leurs requêtes ; la commission les a examinées ; libre à la Chambre d'accepter ses conclusions ; mais les pétitionnaires doivent avant tout savoir que les appréciation de la Chambre sont toujours légales et de droit.
L'honorable M. Dumortier nous a dit qu'il ne voulait pas examiner toutes les théories que l'on met en avant, mais qu'il s'en tient aux faits. Messieurs, je n'ai qu'un fait à signaler à la Chambre : c'est ce qui se passe en France. En France on en est arrivé aujourd'hui au point que, pour payer les ouvriers, ou n'a plus de monnaie d'argent du tout et qu'on est obligé de les payer par groupes en or. Voilà la conséquence du système à double étalon. Eh bien, Dieu merci ! nous n'en sommes pas là. Je soutiens donc que le système belge est préférable, et dussions-nous plus tard subir toutes les conséquences que l'honorable M. Malou nous a fait entrevoir, nous aurions toujours cet avantage que la France subirait la baisse en premier lieu et que nous ne viendrions qu'après la France.
Je persiste donc à soutenir les conclusions de la commission.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je n'entends pas rentrer d'une manière étendue dans la discussion qui s'agite actuellement devant vous. Plusieurs fois déjà, depuis un grand nombre d'années, j'ai traité cette question. Je persévère, jusqu'à présent, dans l'opinion. que j'ai défendue en 1850, devant la Chambre, et que la Chambre a\ sanctionnée alors à une grande majorité.
Je ne méconnais pas que dans les circonstances actuelles, depuis le changement si radical qui s'est opéré dans la situation du marché monétaire de la France, quelques inconvénients n'existent dans les relations de nos habitants des frontières ; ces inconvénients sont inévitables.. Mais en adoptant le système que les pétitionnaires indiquent, on étendrait à tout le pays une situation très grave, très fâcheuse, celle qui existe en France, et, pour la frontière, on substituerait un inconvénient infiniment plus grave que celui dont on se plaint.
L'inconvénient dont on se plaint, c'est d'avoir certaines difficultés à échanger la monnaie d'or que l'on a reçue en France. Mais si l'on adoptait l'idée qui consiste à donner un cours légal à la monnaie française, alors partout, sur la frontière et dans l’intérieur du pays, nous éprouverions cet inconvénient immense de ne plus pouvoir faire face aux petites transactions, et c'est là ce qui cause beaucoup d'embarras en France, dans les centres industriels.
II est tels établissements qui sont obligés de faire battre de la monnaie d’argent pour payer leurs ouvriers. Il en est d'autres qui ne voulant pas ou ne pouvant pas supporter ce sacrifice, sont obligés de payer les ouvriers par brigades. La paye étant ainsi faite, les ouvriers entrent au cabaret transformé en bureau de change, et ils y vont essuyer une perte sur le change et en subir d'autres résultant de leur présence même au cabaret.
Il n'est donc pas possible de songer un seul instant à donner, dans les circonstances actuelles, un cours légal à la monnaie française en Belgique.
L'honorable M. Malou ne le conseille pas non plus et je suis assez heureux de voir que les idées qu'il a défendues autrefois contre moi sont aujourd’hui abandonnées ou tout au moins ajournées. L'honorable M. Malou, si ses idées avaient été adoptées, nous aurait entraîné aux inconvénients qui se constatent aujourd'hui en France.
Si les idées qu'il a défendues contre moi en 1850 avaient prévalu, nous aurions aujourd'hui exclusivement l'or en Belgique et nous aurions tous les inconvénients que la France subit.
L'honorable M. Malou prophétisait à cette époque que l'or ne baisserait pas, qu'il n'y avait aucun inconvénient à persévérer dans le système qui avait été admis de donner cours légal à la monnaie d'or. J'avais, du moins, des doutes à cet égard, et, heureusement, la Chambre les a partagés.
L’honorable M. Malou convient aujourd'hui implicitement qu'il lui est impossible de défendre les idées qu'il a défendues en 1850, car sans cela il devrait demander que l'on donnât cours forcé à la monnaie de France.
Quant à l'honorable M. Dumortier, je ne réussirai jamais à le convaincre ; je ne pourrais réussir à le convaincre que si je parvenais à lui faire comprendre que la monnaie est une marchandise. S'il admettait ce premier point, nous serions bientôt d'accord.
Il adopterait toutes les conséquences de ce fait et la solution des difficultés serait extrêmement facile.
M. Dumortier. - Ce sont là des théories.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne puis rien contre le mépris si profond que l'honorable M. Dumortier affecte pour les théories, c'est-à dire pour la science. (Interruption.) La théorie, c'est bien la science, je suppose !
M. Dumortier la méprise, il s'en tient aux faits ; eh bien, le fait est celui-ci : c'est qu'un franc d'argent vaut plus qu'un franc d'or. Ce n'est pas là une théorie c'est un fait.
M. Dumortier. - Un franc comme ceux que nous avons dans la circulation, ne vaut pas un franc d'or.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ceci n'est pas sérieux. Je parle de l’unité monétaire. Il est clair, d'ailleurs, que si vous allez choisir parmi les francs qui ont le plus circulé ceux qui sont le plus usés et que vous disiez : Ces francs n'ont pas exactement le poids qu'ils avaient en sortant de la monnaie, je vous répondrais : Oui, mais cela ne prouve rien.
M. Orts. - Il en est de même des vieux napoléons.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et puis l'observation de l'honorable M. Dumortier repose sur cette supposition que l'argent qui circule s'use, mais que l'or qui circule ne s'use pas.
Si son observation est vraie, elle s'applique à l'or qui a longtemps circulé, absolument comme à l'argent.
M. Dumortier. - Cela prouve que ce n'est pas une marchandise.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dumortier n'admettra jamais, vous le voyez, que la monnaie est une marchandise, et du moment qu’il ne comprend pas cela, nos raisonnements sont tout à fait faux pour lui.
M. Dumortier. - Si c’est une marchandise, pourquoi la recevez-vous quand elle n'a pas son poids ?
(page 366) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'abord vous n'êtes pas tenu de la recevoir quand elle n'a pas son poids. Il est bien clair cependant qu'il faut une tolérance à cause de l'usure que les pièces éprouvent dans la circulation.
L'honorable M. Dumortier suppose que c'est par amour pour une théorie que la loi de 1850 a été faite. Mais la loi de 1850 a été faite par nécessité.
Nous avons fait une bonne chose à cette époque, nous avons adopté un bon principe, mais nous l'avons fait par nécessité et non pas pour le plaisir de faire prévaloir l'étalon d'argent sur l'étalon d'or. Cette mesure a été prise pour préserver le pays d'un véritable danger.
Quelle était alors la situation ? Vous aviez le système monétaire français, cela est vrai, la loi de 1832, et, par conséquent, l'étalon d'argent ; vous aviez l'or comme monnaie accessoire ; mais, en fait nous n'aviez qu'une seule monnaie, l'argent ; l'or ne circulait pas, parce que jusqu'à cette époque l'or avait été constamment à prime. Vous n'aviez donc pas l’or français ; vous avez appelé, par exception en 1848 la monnaie anglaise, vous l'avez appelée à un taux tel, que vous avez obtenu un effet analogue à ceux qui paraissent enchanter l'honorable M. Dumortier ; c'est qu'on vit, à un moment donné, l'or anglais affluer tellement dans la circulation qu'il y eut des plaintes universelles.
Les petits payements devenaient impossibles et l'honorable bourgmestre de Bruxelles apporta ces plaintes jusqu'à la tribune. L'or seul circulait, il fut indispensable de le démonétiser. Immédiatement après la Hollande démonétisa les pièces de 10 florins, qui circulaient en certaine quantité dans notre pays. Il était impossible de leur conserver cours légal.
Ainsi l'or français ne circulait pas, l’or anglais devait être démonétisé et il l'a été, l'or hollandais devait être démonétisé et il l'a été.
La mesure prise en 1850 a consisté à mettre la loi en harmonie avec les faits, en décrétant que désormais l'or n'aurait plus cours légal. Et le dilemme était celui-ci : Ou bien l'or baissera ou il ne baissera pas ; si l'or baisse, vous n'aurez que de l'or ; l'argent s'exportera à votre préjudice ; si l'or ne baisse pas, vous n'aurez que l'argent. Il est donc manifeste qu'il fallait adopter le système proposé à cette époque par le gouvernement.
En veut-on sortir aujourd'hui ? Y a-t-il utilité, nécessité quelconque d'en sortir ? Pas le moins du monde. A part les quelques pétitions qui arrivent des villes frontières, de certaines localités, de certains villages de la Flandre, à part cela, il n'y a point de pétitions, il n'y en a point venant de centres industriels.
- Un membre. - Bruxelles !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On dit qu'une pétition circule à Bruxelles, nous verrons si elle sera couverte de la signature de l'honorable M. de Mérode ou d'autres, mais jusqu'à présent elle est inconnue. Il est très facile à un honorable citoyen, à l'honorable M. Dumortier par exemple, de faire circuler des pétitions. Quand elles nous arriveront, nous les apprécierons, mais jusqu'à présent il y en a infiniment peu.
Ce sont certains journaux français qui nous ont appris qu'il y avait des réclamations universelles ; jusqu'à présent cela n'existe point. Les plaintes n'existent point ailleurs que dans les localités que j'ai indiquées. J'apprécie les motifs de celles qui nous sont adressées, mais ils ne sont pas de nature à nous faire prendre une mesure qui causerait une grave perturbation dans tout le pays.
La monnaie d'argent abonde, personne ne se plaint d'en manquer ; ceux qui en manqueraient peuvent aller en prendre à la Banque, la Banque en a pour 50 millions dans ses caisses.
Tout porteur de billets peut se faire payer en pièces de 5 fr. II n'y a donc pas lieu de changer la situation que nous avons.
Maintenant, dirai-je que, quels que soient les événements qui surviennent, nous maintiendrons l'étalon d'argent ? Pas le moins du monde ; nous examinerons les faits qui se présenteront ; mais jusqu'ici il n'existe aucune espèce de raison pour modifier le système qui a été adopté en 1850.
M. Orts. - Messieurs, j'ai très peu de choses à dire à la Chambre. La question me paraît complètement épuisée, et c'est parce qu'elle a pour moi ce caractère, que je désire proposer à la Chambre une conclusion.
Les honorables MM. Dumortier et Malou, tout en partageant des opinions différentes de celles qui ont été défendues par l'honorable M. Pirmez et par M. le ministre des finances, acceptent cependant la même conclusion, c'est-à-dire, le dépôt des pétitions au bureau des renseignements.
Déjà, depuis l'ouverture de notre session, la discussion qui nous occupe aujourd'hui s'est produite trois ou quatre fois, incidemment à d'autres discussions, je le veux bien ; mais enfin la question du cours légal de la monnaie d'or française s'est déjà présentée un grand nombre de fois. Si nous n'arrivons pas à faire prononcer immédiatement la Chambre sur cette question, bien entendu dans l'état actuel des faits, nous sommes exposés à voir se reproduire une discussion du même genre, à propos de chaque pétition qu'il plaira au premier citoyen venu de faire parvenir à cette tribune. Cela présente le double inconvénient de nous faire perdre inutilement notre temps et de faire croire au pays qu'en venant exercer chaque jour une pression sur la Chambre, on arrive à lui faire adopter les mesures qu'on désire, alors même qu'on n'a pas raison. Nous ne devons pas, je pense, encourager cet abus du droit de pétition.
Je propose donc à la Chambre de prononcer l'ordre du jour sur les pétitions dont il s'agit. C'est la seule manière de montrer au pays que la Chambre s'est occupée de la question, qu'elle l'a examinée sous toutes les faces, qu'elle a entendu les partisans et les adversaires de la mesure provoquée par les pétitionnaires, et que c'est en parfaite connaissance de cause qu'elle porte un jugement dont elle n'a pas envie de se départir.
Si maintenant l'ordre du jour effraye ceux qui paraissent accueillir les plaintes des pétitionnaires, qui croient que le remède, indiqué par les réclamants, peut guérir le mal qu'ils souffrent, il y a moyen, de nous entendre ; que les adversaires de l'opinion, défendue par l'honorable M. Pirmez et par M. le ministre des finances, se lèvent et proposent autre chose que le dépôt au bureau des renseignements ; alors le vote aura une signification.
Ce que je demande, c'est que les adversaires et les partisans de la mesure réclamée puissent se compter une bonne fois dans le sein du parlement et que le pays sache à quoi s'en tenir sur le vote de la Chambre. Or, si les partisans et les adversaires se réunissent pour voter le dépôt au bureau des renseignements, c'est un fait qui induira le pays en erreur.
C'est pour que la Chambre puisse se prononcer d'une manière nette, et catégorique que je propose l'ordre du jour.
M. Rodenbach. - M. le ministre des finances vient de déclarer lui-même qu'il examinerait les nouveaux faits qui pourraient se présenter. Il n'y a donc pas lieu de prononcer l'ordre du jour.
Messieurs, ce n'est pas de nos frontières seulement que nous arrivent des réclamations ; la ville de Louvain vient aussi de faire entendre ses doléances, et comme je l'ai déjà dit, une pétition circule à Bruxelles dans le commerce. Il vous en arrivera une foule d'autres encore.
Messieurs, un fait incontestable, c'est que la monnaie d'argent disparaît du pays. Je défie qu'on me prouve le contraire.
J'ai dit, l'an passé, que les pièces de cinq francs antérieures à 1823 qui contenaient des parcelles d'or sont passées par le creuset. Maintenant beaucoup de pièces de cinq francs qui ont le poids légal sont exportées ou fondues en lingots ; mais il en reste en Belgique, et qui n'ont pas leur poids.
Réfléchissez, messieurs, au fait sur lequel on a appelle notre attention ; dans le département du Nord, on paye, dit-on, les ouvriers avec des pièces d'or, et les ouvriers, pour recevoir leur salaire, doivent se solder entre eux.
Comme les pièces de cinq francs qui ont leur poids disparaissent de la Belgique, vous serez obligés de faire ce qu'on fait à Lille.
Messieurs, j'avais demandé le renvoi des pétitions à M. le ministre des finances. Mais puisque M. le ministre persiste dans son opinion et qu'un honorable collègue se propose avec d'autres représentants de saisir la Chambre d'un projet de loi en temps opportun, il m'importe assez peu que les pétitions soient renvoyées à M. le ministre des finances ou qu'elles soient simplement déposées au bureau des renseignements.
En terminant je m'oppose de toutes mes forces au dédaigneux ordre du jour proposé par l'honorable M. Orts.
M. le président. - La parole est à M. B. Dumortier.
- Des membres : La clôture !...
M. Coomans. - Messieurs, je ne conçois pas qu'on propose de clore. Je m'oppose fortement à la clôture, de même que je repousse l'ordre du jour proposé par l'honorable M. Orts.
Je ne vois pas où est la nécessité d'en finir aujourd'hui avec cette question. Je vois encore moins où est la nécessité d'infliger une sorte d'affront à une partie très considérable de nos compatriotes. Un tel vote serait d'autant plus fâcheux, qu'un honorable préopinant a dit que les pétitionnaires raisonnaient mal.
Messieurs, convient-il qu'une assemblée qui doit constamment avoir l'œil fixé sur les besoins du pays, décide, en une séance de deux ou trois heures, des questions très graves, des questions spéciales qui préoccupait et divisent depuis très longtemps les financiers et les économistes les plus savants de l'Europe ? Pour ma part, je n'oserais pas prendre une décision de ce genre.
Plus modeste, moins instruit probablement que la plupart des honorables membres qui désirent une solution précipitée, je demande que ce débat ne soit pas clos, qu'on écoute les honorables membres qui croient avoir de bonnes raisons à faire valoir en faveur des pétitionnaires.
En outre, je demanderai qu'on n'inflige pas, je le répète, l'affront de l'ordre du jour aux réclamants. Ils sont très nombreux ; ils sont de très bonne foi, et nous ne pouvons pas admettre qu'ils raisonnent mal, alors que chacun sait qu'ils souffrent beaucoup dans leurs intérêts et qu'un grand nombre d'hommes très savants et très compétents sont partagés sur la solution à donner à la question.
- La Chambre remet la suite de la discussion à demain.
La séance est levée à 5 heures.