(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 1584) M. Tack fait l'appel nominal à une heure et un quart.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Tack présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Plusieurs habitants de Hasselt demandent d'être exemptés des logements militaires et qu'en attendant le chiffre de l'indemnité à toucher de ce chef soit porté à un prix rémunérateur. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par dépêche, en date du 14 mai, M. le ministre des travaux publics transmet des explications sur les pétitions d'habitants de Tellin, de Grupont et de Chanly qui demandent la construction d'une route de Halma a Grupont. »
- -Dépôt au bureau des renseignements.
M. Wasseige. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant acquisition de biens enclavés dans la forêt de Soignes.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Blaregnies, le 20 avril 1857, le sieur Cloquet, garçon boulanger à Enghien, demande si la loi ne contient aucune disposition applicable à celui qui, voulant contracter mariage, ne peut produire l'acte de consentement d'un de ses parents, attendu son état mental. »
Messieurs, le pétitionnaire voudrait contracter mariage et il en est empêché parce qu'il ne peut obtenir le consentement de son père dont l'état mental est dérangé. Il ne peut présenter des actes respectueux parce que le notaire lui refuse son ministère, et il ne peut obtenir le consentement d'aucune autre manière. D'autre part l'officier de l'état-civil refuse de sanctionner le mariage à défaut des formalités requises.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette requête à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruges, le 26 avril 1857, le sieur Winkels, ancien ouvrier employé à l'administration des chemins de fer de l’Etat, se trouvant dans l'impossibilité de travailler par suite de l'accident qui lui est survenu dans son service, demande un secours. »
Messieurs, il s'agit d'un malheureux ouvrier, qui, placé au chemin de fer, a été blessé dans un accident et s'est trouvé par suite dans cette pénible position de ne plus pouvoir travailler et pourvoir à ses besoins.
Votre commission, tout en témoignant sa sympathie pour ce malheureux, a l'honneur de vous proposer le renvoi de sa requête à M. le ministre des travaux publics.
M. Coppieters 't Wallant. - Je m'empresse d'appuyer les conclusions bienveillantes de la commission des pétitions. J’espère que M. le ministre des travaux publics voudra bien examiner avec sollicitude la position du pétitionnaire qui est digne de tout son intérêt. J'ai toute confiance en M. le ministre ; je compte qu'il voudra bien faire tout ce qui est en son pouvoir pour tirer ce malheureux de la position où il se trouve aujourd'hui.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Julliot, deuxième rapporteur. - « Par pétition datée de Tongres, le 7 janvier 1857, la veuve Lebois réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement d'un arriéré de traitement dû à son mari. »
Messieurs, en 1845, le gouvernement a engagé le surveillant principal Lebois à prendre un congé provisoire, à l'effet d'être employé, pour compte de la société concessionnaire, à la direction des travaux du chemin de fer de Landen à Hasselt, et par arrêté ministériel du 15 septembre 1845, ce congé provisoire lui fut accordé, à partir du 1er octobre suivant.
En principe, le fonctionnaire dont le congé était expiré rentrait de plein droit dans la position qu'il occupait avant le congé ; mais l'article 2 de l'arrêté organique du 29 août 1845 portait la réserve ou l'exception ci-après. Il y était dit : Dans le cas où ceux qui obtiennent un congé pour s'occuper de travaux de sociétés concessionnaires, demanderaient plus tard à être remis en activité, ils seront, lorsque les besoins du service et les ressources du budget le permettront, replacés dans les cadres du service actif avec le grade et avec le rang résultant de leur dernière nomination.
Or, sous ces conditions, Lebois ne voulait pas accepter ce congé aussi fut-il stipulé, au paragraphe2 de l'arrêté qui donna ce congé, que l'article 2 de l'arrêté du 29 août 1845 ne lui serait pas applicable, c'est-à-dire qu'à l'expiration de son congé, il ne subirait pas la défaveur libellée dans l'article 2 de l'arrêté du 29 août 1845, mais qu'il rentrerait de plein droit dans l'activité, avec le grade qu'il avait à son départ. Le paragraphe 2 de l'arrêté de congé ne peut avoir eu d'autre signification. Là aussi est toute la question, car il est évident que cette réserve acceptée par le ministre donnait, en tout état de cause, des droits acquis à Lebois, droits que des arrêtés et des organisations postérieurs ne pouvaient lui enlever sans agir rétroactivement sur une convention expresse contractée avec le gouvernement.
Néanmoins, en février 1850, époque à laquelle le congé de Lebois était expiré, le corps des ponts et chaussées fut réorganisé, et au lieu de recourir à l'arrêté qui avait donné le congé pour reconnaître la véritable position de Lebois, on se conforma à l'arrêté de nouvelle organisation et on plaça cet agent dans la seconde catégorie de la section de disponibilité.
Or, cette section se composait des agents qui ayant été au service d'un autre département ministériel, devaient rester provisoirement à charge de ce département, jusqu'à ce qu'une place active fût ouverte au corps des ponts et chaussées pour y rentrer.
Dès ce moment les droits acquis par Lebois furent méconnus et sa position fut faussée. Vers cette époque il fut nommé conducteur de troisième classe. Il est donc évident :
1° Que Lebois est rentré au service de l'Etat, en février 1850 ;
2° Que le 1er août suivant, il a été appelé en activité de service, mais qu'à partir de février au mois d'août, il a végété sans traitement aucun quoique le paragraphe 2 de l'arrêté de congé lui eût garanti le contraire, en le relevant d'avance de la défaveur qui pouvait le menacer à l'expiration de son congé, mais qu'il devait jouir du bénéfice du paragraphe 13 de l'article 5 de l'arrêté organique au moment de l'expiration de son congé. Cela ne peut être contesté de bonne foi.
Pour pouvoir placer Lebois dans la deuxième catégorie de la section de disponibilité, il fallait lui donner un nouveau baptême ad hoc ; on supposa donc fort gratuitement que Lebois ayant été employé au chemin de fer pouvait être envisagé comme ayant été au service d'un autre département ministériel et que c'était à l'administration du chemin de fer de l’Etat à pourvoir momentanément à son placement ; il fut donc renvoyé à cette administration, qui à son tour le rejetait sur les ponts et chaussées, et de tout ce ballottage il survint que Lebois, rentré au service de l'Etat sous la foi d'un traité spécial en février, fut envisagé comme si aucune réserve n'avait été faite en sa faveur, et fut frustré de tout traitement depuis février jusqu'au 1er août, époque de son appel à l'activité.
Peu de temps après, Lebois devint malade ; il est mort en 1852 après avoir réclamé contre l'injustice qui lui avait été faite. Sa veuve a renouvelé ces réclamations qui jusqu'à présent n'ont pas été écoutées par suite de raisons puisées dans le dernier arrêté d'organisation, postérieur de cinq années à l'obtention motivée du congé de Lebois, et aujourd'hui cette malheureuse s'adresse à la Chambre pour obtenir de sa part un examen de ses droits. Car elle se trouve avec sa famille dans la plus triste position.
Messieurs, j'ai hâte de le dire, on ne peut accuser dans ces circonstances le gouvernement d'avoir refusé sciemment de rendre justice. Non, la question s'est compliquée entre deux administrations, et il y a eu confusion d'idées sur les différents arrêtés qui régissent la matière. Et comme en procédure administrative toutes les questions sont discutables, le temps s'est passé sans que la dette de ce traitement arriéré fût payée ; mais l'examen approfondi de cette question ne laisse aucun doute sur le point de savoir s'il y a justice et équité de la part du gouvernement à s'exécuter.
Tout ce procès administratif se résume en ce peu de mots : quand un ministre donne un congé à un employé sous les conditions qui ont déterminé l'acceptation de ce congé, les arrêtés postérieurs peuvent-ils affecter les conditions du congé, méconnaître ces droits acquis, et rétroagir en violant les engagements contractés ? Je dis non et la Chambre partagera cette opinion, je n'en doute pas.
Votre commission a donc l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Le rapport que vous venez d'entendre tend à établir que, d'après la stricte exécution des règlements, le traitement réclamé n'est pas dû ; au moins il semble qu'en équité ou ne pourrait refuser au fonctionnaire dont il s'agit le traitement qu'il réclame pour le temps que, malgré lui, il a passé en disponibilité.
Mû par ces raisons, je me propose de comprendre le traitement qui est réclamé dans un des prochains crédits supplémentaires qui vous seront demandés.
Car les exercées auxquels se rapporte la réclamation sont clos depuis longtemps et il serait impossible de terminer cette question administrativement.
M. Vander Donckt. - Je remercie l'honorable ministre de sa bienveillance. J'ai lu avec une attention toute particulière la pétition dont il s'agit et j’ai la conviction qu'une injustice criante a été faite à cet honorable fonctionnaire, ce dont, du reste, je n'accuse personne.
(page 1585) - Plusieurs membres. - Nous sommes d'accord.
M. de Brouckere. - Je crois qu'il n'est plus nécessaire de demander des explications. Elles ont été données. Je propose donc le simple renvoi à M. le ministre.
- Le simple renvoi est ordonné.
La discussion générale continue.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, nous sommes parvenus, si je ne me trompe, à peu près au terme de ces longs et solennels débats. En y rentrant, je ne suis ni triste, ni inquiet ; je n'ai ni peur, ni dédain.
Pourquoi, dans la situation actuelle, serions-nous tristes ? Le pays nous a rendu, plus tôt que nous ne pouvions l'espérer, la majorité, la plus grande force dans un pays libre. En ce moment même nos honorables adversaires commettent l'une des plus grandes fautes qu'un parti politique puisse commettre : c'est de transformer une question sociale en un question de parti.
On prête à un grand ministre d'autrefois cette prière : « Je ne vous demande pas, Seigneur, de ne point commettre de fautes, ce serait trop exiger, mais permettez que nos adversaires en commettent.....» Si nous avions fait cette prière, messieurs, nous aurions été exaucés et nos espérances se seraient trouvées dépassées. Nous n'avons donc, aujourd'hui, aucune raison d'être tristes.
En avons-nous d'être inquiets !
Un honorable membre, dans une précédente séance, nous disait que l'inquiétude dominait les membres de la droite. J'ai cherché vainement dans nos rangs la moindre trace d'inquiétude. Nous savons quelle est la loi. Nous connaissons son but, son caractère, ses résultats ; nous sommes certains de la popularité sérieuse et durable de cette loi. Voilà pourquoi, loin d'être inquiets, nous sommes tous pleins de confiance.
Nous n'avons pas peur. Nous sommes dans un pays de libre discussion. Nous connaissons ce pays. Nous savons que si ces sinistres prévisions de contre-révolution, de commotion étaient entendues, ce serait pour le malheur, pour la décadence du parti auquel l'opinion en ferait remonter la responsabilité.
Nous connaissons le sentiment public ; il a, avant tout, deux grands besoins : l'ordre et la liberté.
J'ai plusieurs motifs, messieurs pour ne point éprouver, comme on le disait encore, de superbe dédain ; le premier motif c'est la force réelle ie nos honorables adversaires, leur passé. Une opinion puissamment organisée, qui a conquis le pouvoir, qui l'a exercé (je n'ai pas dit trop peu de temps, à mes yeux c'est trop de temps), mais qui l'a exercé plus d'une fois, une opinion qui a pour elle toutes les idées de mouvement, toutes les idées avancées, tout ce qui donne une impulsion aux forces d'un parti, une telle opinion, dans un pays comme le nôtre, ce serait une souveraine, une impardonnable imprudence de la dédaigner.
J'ai un autre motif encore. J'ai le bonheur de compter dans les rangs de nos adversaires d'anciens amis personnels.
J'honore le talent, je respecte les convictions loyales et fortes, jamais ni pour eux, ni pour l'opinion à laquelle ils appartiennent, jamais il ne m'échappera une expression de superbe dédain.
Nous ne sommes donc ni tristes ni inquiets, nous ne sommes pas dominés par la peur, nous n'avons pas de dédain. Pourquoi ? Parce que nous savons que nous usons avec modération de notre droit, que nous remplissons envers le pays un impérieux devoir.
L'honorable M. Orts disait dans la séance d'hier que la majorité applaudissant mon honorable ami M. Dumortier n'avait pas d'excuse. Non, messieurs, elle n'avait pas d'excuse parce qu'elle n'en a pas besoin ; elle applaudissait parce que ces sentiments patriotiques sont les siens.
L'honorable membre parlant de 1789 qui a occupé une bien grande place dans nos débats, nous disait encore que la résistance des privilégiés de cette époque avait amené 1793. Puisque nous sommes dans un pays de légalité et de moralité, il doit m'être permis, lorsqu'on indique des circonstances atténuantes en faveur du bourreau, de mettre à côté une protestation en l'honneur des victimes.
Nous avons, messieurs, dans ce débat, à faire deux parts : la discussion politique, l'examen devant le pays du passé et les prétentions des partis ; en second lieu l'examen de la loi elle-même.
L'honorable M. Orts répondant à mon honorable ami M. de Theux, disait : « Nous n'avons jamais été réactionnaires, nous n'avons jamais fait la moindre réaction. > Et précédemment l'honorable M. Frère disait : « Laquelle de vos lois est restée debout ? Quand vous êtes au pouvoir, votre force s'use et s'épuise à faire des lois de parti et il ne reste rien. » J'ai peine, je l'avoue, à concilier ces deux reproches contradictoires. Où est la vérité ?
La vérité est que notre opinion a eu une grande et large part aux lois organiques. La vérité est encore que si un grand nombre de ces lois sont debout aujourd'hui, c'est qu'on n'a pas pu les renverser. Je cite, par exemple, la loi relative à l'enseignement primaire.
Messieurs, nous parlons beaucoup d'égalité politique ; eh bien, je demande pour les partis l'égalité de droits dans la vie politique.
Lorsque le ministère de 1847 est arrivé aux affaires, il a proclamé le principe de la révocation des lois qui lui déplaisaient, des hommes auxquels il n'avait pas assez de confiance. Nos amis, lorsqu'ils sont arrivés au pouvoir, ont respecté et fait exécuter toutes les lois que la majorité précédente avait portées et ils n'ont touché à aucune position. On nous a supposés indûment d'en avoir l'intention, et cela nous a été imputé à crime, nonobstant les termes explicites du programme de l'honorable membre qui m'interrompt, programme que j'ai eu le plaisir de relire l'autre jour.
J'ai dit, dans un précédent discours, que, selon mon appréciation, une des causes qui avaient amené la mort prématurée de l'ancienne majorité, c’était d'avoir froissé les sentiments du pays, notamment en ce qui concerne le système de 1847 en matière de charité. Que m'a répondu l'honorable M. Frère ? « Voyez les délibérations des conseils provinciaux. »
J'ai en effet consulté les délibérations des conseils provinciaux en 1849, et j'ai reconnu que les uns s'étaient abstenus comme incompétents et que les autres avaient écarté la prise en considération comme inopportune.
Je suppose même que quatre de nos conseils provinciaux eussent rejeté au fond les adresses relatives, au système du gouvernement en matière de charité ; que s'ensuivrait-il ?
Est-ce dans les conseils provinciaux que se produit l'action politique ? Est-ce par eux qu'il faut juger la véritable situation du pays ? Est-ce même, comme on l'a trop fait, par telle ou telle élection, par l'élection de l'honorable M. de Brouckere à Mons, par exemple ? Non, messieurs ; la situation politique est tout entière dans l’avènement de la majorité nouvelle qui siège aujourd'hui sur ces bancs.
Je n'ai jamais prétendu que le système du gouvernement en matière de charité fût la seule cause de ce grand fait qui, je l'avoue, s'est produit plus promptement que je n'osais l'espérer.
Il en est une autre, et on l'a rappelée hier ; c'est la réforme parlementaire. Nous en avons déjà souvent parlé ; je crois qu'il est bon de s'expliquer une bonne fois pour toutes sur ce qui a été fait à cette époque.
Le lendemain de la révolution de 1848, comme on l'a dit alors, nous étions tous frères. En présence d'un danger national, il n'y avait plus de partis ; il y avait eu une réconciliation ; il y avait même pour le cabinet d'alors une magnifique occasion de consolider pour longtemps la nationalité belge beaucoup mieux qu'on ne l'a fait : c'était de profiter de cette trêve des partis pour opérer un grand, durable et patriotique rapprochement.
Qu'est-il arrivé, au contraire ? Nous vous avions donné notre concours absolu, complet, sur toutes vos mesures, une seule excepté, la réforme parlementaire ; et lorsque le fort de l'orage a été passé, vous avez recommencé la guerre, vous avez repris votre système sur la charité dans toutes ses rigueurs, vous vous êtes montrés exclusifs et absolus dans les lois sur l'enseignement que vous avez fait voter.
Nous nous sommes séparés de vous sur la réforme parlementaire, dans quelles circonstances et pour quels motifs ?
Les Chambres, depuis 1830, avaient toujours eu dans leur sein un certain nombre de fonctionnaires publics.
Le système invariablement pratiqué avant 1847 était de dire aux fonctionnaires publics : « Vous êtes complètement indépendant comme membre de cette Chambre. »
On a vu des gouverneurs de province voter dans des questions de cabinet contre le ministère, on pratiquait l'indépendance parlementaire à l'égard des fonctionnaires, il n'y avait pas eu, pour motifs parlementaires, de destitutions. On me dit : Il y a eu des démissions ! je n'en disconviens pas, j'ai moi-même donné ma démission comme l'honorable membre qui m'interrompt, je fais remarquer qu'avant 1847 on établissait en principe, on respectait en fait l'indépendance parlementaire du fonctionnaire.
Il y a eu des démissions, j'ai donné ma démission quand M. Nothomb a présenté le projet de loi sur les jurys d'examen, parce que je trouvai qu’il y avait incompatibilité entre mes devoirs comme fonctionnaire et mes devoirs comme représentant. On ne m'a pas destitué, et j'aurais voté contre la loi qu'on ne m'aurait pas destitué d'après les principes appliqués alors.
En 1847, le cabinet a retiré sa confiance à plusieurs fonctionnaires ; quand on l'interrogeait sur la position des députés fonctionnaires, il répondait : Ils doivent savoir ce qu'ils font, ils votent, à leurs risques et périls.
Il s'est passé alors, dans les votes, quelques faits qui m'ont profondément froissé ; on nous a présenté un projet de réforme parlementaire, non une loi de principe, mais une loi d'exception, une loi contre un tel et pour un tel ; on pouvait presque mettre un ou plusieurs noms propres à certains paragraphes de la loi.
En présentant ainsi la réforme, on proscrivit les fonctionnaires, les uns comme atteints de présomption de servilisme ; d'autres comme véhémentement suspects d'incapacité.
La majorité de la section centrale, dont j'étais le rapporteur, a posé la question de la manière la plus honorable pour la Belgique et pour le passé des assemblées législatives qui avaient siégé de 1830 à 1847. On a déclaré invariablement pour tous, en principe, qu'on voulait que les fonctionnaires se consacrassent exclusivement à leurs fonction.
Nous avons voulu, vous me permettrez cette expression, que les (page 1586) fonctionnaires sortissent par la bonne porte puisque les circonstances étaient telles qu'ils devaient sortir.
J'accepte ma part de responsabilité de cet acte. Nous étions la minorité, les votes importants émis dans cette discussion ont été de 20 à 25 voix pour l'application restreinte, les voix des ministres comprises et de 60 à 65 voix pour l'incompatibilité générale, je ne puis donc accepter peur mes honorables amis et moi toute la responsabilité de ces votes. Il est évident que nos sentiments étaient partagés par un assez grand nombre de membres de la majorité qui ont abandonné comme nous le cabinet sur cette question spéciale. Les mêmes motifs pouvaient nous guider d’ailleurs le lendemain de la révolution de février, il était naturel que l'opinion demandât une réforme complète. Nos intérêts de minorité étaient d'accord avec ce vœu de l'opinion.
Si vous aviez eu des fonctionnaires dans la Chambre, votre majorité aurait été plus forte et plus durable, je ne crois pas que nous fussions tenus à vous rendre gratuitement ce service.
Nous avons pu joindre cette raison à d'autres qui étaient très puissantes pour déterminer notre conduite.
Sans rentrer dans tout le débat politique je crois pouvoir me borner à ces simples considérations ; je réclame l'égalité de droit entre les deux opinions, quand le jeu naturel de nos institutions les ramène au pouvoir ; je dis que la situation actuelle n'a rien d'agressif et d'anomal ; nous exerçons avec modération notre droit et nous l'exerçons dans l'intérêt du pays.
J'ai hâte d'arriver au débat de la loi même.
L'honorable M. Frère nous disait précédemment : Nous parlons deux langues différentes. Nous ne nous entendrons jamais. Rien n'est plus vrai. S'il m'est permis de reprendre la même idée sous une autre forme, je dirai que nous suivons deux lignes parallèles, sans le moindre espoir de nous rencontrer.
Mon honorable ami M. Orts ajoute : Il y a deux écoles catholiques : celle qui veut la liberté en tout et pour tous, et celle qui la veut seulement comme expédient quand elle est la plus faible. Il a eu la loyauté de dire (c'est du moins ainsi que je l'ai compris) que cette seconde école n'a pas de représentant dans le parlement. J'ajouterai qu'elle n'a pas de représentant en Belgique. Tous les catholiques belges sont de la première qui veut la liberté en tout et pour tous. Ils en ont été depuis le Congrès.
Lorsque nous la demandons en fait de charité, nous sommes fidèles à toutes les traditions de notre opinion.
Si l'autre école cherchait à faire invasion en Belgique, nous serions au premier rang pour faire le cordon sanitaire contre cette importation qui est évidemment prohibée par la Constitution.
Ou nous demande des explications, vingt fois données, sur les encycliques, sur les mandements. Nous répondons une vingt et unième fois : Nous sommes catholiques, et amis dévoués de la Constitution et de toutes les libertés ; faites-nous l'amitié, après cette déclaration, de vouloir bien ne plus vous inquiéter de nos consciences.
Le dissentiment entre nous où est-il en réalité ? Nous parlons tous de liberté. Mais la différence entre nous, c'est que nous voulons la liberté pratique, et que, dans certaines circonstances, vous définissez la liberté de manière qu'elle reste à l'état de pure théorie. Le seul but de la Constitution, c'est d'assurer la liberté pratique, de la faire pénétrer dans les faits sociaux. C'est là notre dissentiment.
Nous partons de cette idée que si l'Etat et l'Eglise ont été séparés et déclarés constitutionnellement indépendants, c'est pour que chacune de ces forces, l'une matérielle, l'autre morale, concourent avec plus d'énergie, dans toute la franchise et la liberté de ses allures, au plus grand bien de la société. Vous, au contraire, plus d'une fois, par je ne sais quelle fatalité, vous êtes arrivés à ce résultat qu'elles se sont tenues l'une vis-à-vis de l'autre dans une situation d'antagonisme, de défiance ou d'abstention.
Le dissentiment de principe que je signale s'est ainsi trouvé constaté par les faits.
Parmi les grandes forces sociales, l'une des premières de toutes en Belgique, c'est la force morale de l'autorité religieuse. Eh bien, lorsque le clergé enseigne, lorsqu'il érige de nouveaux établissements, on lui crie au monopole ! On l'exclut aussi de la charité. On lui dit : Le prêtre hors de la charité ! (Interruption.)
On va même jusqu'à se plaindre de ce que le parti catholique a pour lui les mystérieux entretiens du confessionnal. Par quoi se révèle donc l'action de la religion et de ses ministres si ce n'est par le culte dont la confession fait partie, par l'enseignement et par la charité ?
Messieurs, plusieurs d'entre vous se récriaient tout à l'heure. Eh bien, je pose en fait et je vais prouver par vos discours que si l'on supprimait à l'article 78 les mots « ou les titulaires qui occuperont successivement des fonctions ecclésiastiques, » vous voteriez la loi avec nous.
- Plusieurs membres. - Nullement !
M. Malou, rapporteur. - Je répète que je vais le prouver par vos discours.
Dans le projet de loi de l'honorable M. Faidcr dont on a tant parlé, quelle est la disposition que vous repoussiez ? Celle qui faisait intervenir le clergé dans la bienfaisance officielle.
Vous me direz que c'était à titre d'autorité. Je crois pouvoir me dispenser de m'expliquer sur ce point. Vous rappelez-vous que l'honorable M. Devaux, lorsqu'il s'est agi de la convention d'Anvers, a déclaré en réponse à l'honorable M. Frère qu'il n'avait jamais compris ces mots ; à quoi nous avons ajouté : « Ni nous non plus. »
Le fait est que vous accepteriez le projet de 1854, si les curés n'y étaient pas ; ce qui est une première preuve.
On ne fait tant d'éloges de ce projet qu'après en avoir retranché la disposition d'après laquelle le curé était membre de droit du bureau de bienfaisance, car la majorité d'alors ne repoussait que cette disposition-là.
Cet amour pour le projet de 1854 est, du reste, un amour platonique. Je vous demande à mon tour, car personne ne l'a dit encore : L'accepteriez-vous tel qu'il était et sans mutilation ? il faut bien s'expliquer sur ce point pour que la discussion soit nette et complète.
Je puise dans le débat actuel d'autres preuves.
Le grand discours de l'honorable M. Verhaegen, quel est-il ? Je le résume en deux mots ; ce sont deux séances : le clergé ne poursuit qu'un but, s'enrichir du bien des pauvres et s'emparer des biens des familles. Et l'honorable membre, précisant sa pensée, ajoute : les pauvres feraient la loi contre le clergé, de manière à l'empêcher de prendre leurs biens.
L'honorable M. Frère dît à son tour : Les pauvres s'arrêtent à la porte de l'hospice. Ils disent : s'il y avait moins de religieuses, nous aurions plus de places.
L'honorable M. Lebeau affirme que chacun tremblera désormais, quand le prêtre franchira le seuil de sa maison.
L'honorable M. Orts enfin, comblant la mesure, nous dit dans un chaleureux langage en parlant des membres du clergé : On ne peut accepter la parole de gens qui ne sont pas disposés à la tenir.
Ces citations sont le résumé d'un grand nombre de discours prononcés dans cette discussion ; elles m'autorisent à dire que c'est en réalité l'intervention du clergé dans la charité qui est le motif principal de l'opposition qu'on fait à la loi.
Je ne crois pas aller ainsi au-delà d'une appréciation juste, équitable et modérée du débat actuel.
Comme catholique, dans un pays qui est catholique, et dans un pays où la religion occupe une grande place, nous pouvons nous affliger de cette partie de nos débats. Cependant, je connais trop ce qui se passe dans le pays, j'apprécie trop bien ses sentiments, pour croire que de pareils discours fassent mal à notre opinion ; ils ne peuvent, dans l'esprit de nos populations, nuire qu'à ceux qui les ont prononcés.
Le clergé hors la charité ! Mais y pense-t-on ? Le clergé hors la charité en Belgique où partout il a devancé et dépassé cent fois ce que la charité officielle a pu faire.
Comment se vengera-t-il de ces attaques ? Je n'hésite pas à le dire, il se vengera en redoublant ses bienfaits.
Messieurs, deux principes, dans le débat actuel, se trouvent en présence. On a, depuis 1847, appliqué les lois de l'an V et les dispositions de la loi communale en ce sens que rien n'est permis en matière de charité durable, en matière de fondation, si ce n'est de donner aux hospice et aux bureaux de bienfaisance. Ainsi rien à distribuer par la main du curé, par la main d'un tiers. Pour les hospitalières, rien que le droit d’être les servantes des hospices. Pas le droit de tenir un hospice ; pas le droit de tenir une école ; bien moins encore ce droit exorbitant, ce droit scandaleux de tenir accessoirement un pensionnat. Pas la moindre collation, pas la moindre liberté en dehors des donations faites aux hospices et aux bureaux de bienfaisance.
Pour les hospitalières, par exemple, et pour d'autres, on nous dit : Les ministres se croyaient dans la légalité. Messieurs, si les ministres se croyaient dans la légalité, et si cette légalité leur paraissait mauvaise au point de vue de l'intérêt des pauvres, que ne proposaient-ils un projet de loi ? Mon honorable ami M. Orts a dit hier, comme circonstance atténuante en faveur de la politique de 1847, que ces messieurs avaient toujours eu la persistante volonté de résoudre législativement la question de la charité. Eh bien, je n'aurais pas voulu le dire, parce que je considère que c'est le plus grand blâme qu'on puisse déverser sur cette politique : c'est d'avoir eu pendant cinq ans une persistante volonté qu'on n'a pas réalisée.
Notre principe, au contraire, quel est-il ? C'est d'admettre, lorsque telle est la condition du bienfait, comme administrateurs, collateurs ou distributeurs, non seulement la famille, non seulement des tiers, mais des personnes titulaires d'offices civils ou ecclésiastiques, ayant par conséquent une présomption légale de capacité ; c'est d'admettre que la distribution pût être faite par des tiers, par des membres du clergé, si telle est la condition de la libéralité qui est donnée aux pauvres ; c'est, en d'autres termes, de revenir, comme on l'a démontré à satiété, à tout ce qui s'est fait de 1830 à 1847, à ce qui se fait dans le monde entier.
Lorsque pour la première fois j'ai dit à la Chambre : « Si l’on me cite une grande nation qui ait pratiqué en fait le système que vous préconisez, je déclare abandonner la défense de la loi », un honorable membre m'a interrompu en me disant : « Dans ce cas vous êtes vaincu », et depuis lors l'honorable M. Frère et ses honorables amis ont perdu de vue cette promesse de me vaincre sur l'application des législations étrangères. C'est parce qu'on l'a si fort oubliée que je me permets de la leur rappeler en ce moment.
Lorsque je parlais ainsi, je m'étais assuré que mon affirmation n'était pas téméraire. M. le ministre de la justice avait eu la bonté de me communiquer les pièces d'une enquête universelle faite par le gouvernement.
D'après le résumé de cette enquête que j'ai consultée, que j'ai eue (page 1587) entre les mains, j'étais en mesure d'affirmer, sans crainte de m’exposer à la nécessité d’abandonner mes devoirs, que nulle part, dans aucun pays, le système de 1847 n'était pratiqué comme on a voulu l'introduire en Belgique.
J'invoque, par exemple, le Piémont. L'autorité de M. Siccardi et de M. de Cavour, ne devrait pas être suspecte, sur certains bancs. Pas plus de réponse que sur la question générale.
J'invoque la loi hollandaise, cette loi dont le système a été si bien défini par M. le ministre de l'intérieur dans des instructions publiées récemment et que chacun de vous aura lues.
J'invoque le Bulletin officiel français ; j'offre de prendre dans la période d'un demi-siècle, de 1807 à 1857, au hasard, quelques volumes du Bulletin officiel, contenant les actes des gouvernements qui se sont succédé, des actes relatifs à la bienfaisance, et de démontrer ainsi qu'à toutes les époques, sous tous les gouvernements, on a constamment adopté une interprétation différente des lois de l'an V.
L'honorable M. Tesch me répond gravement : Mais voici l'opinion de M. de Melun. M. de Melun a pu dire tout ce qu'il a voulu ; il n'a pu supprimer la collection du Bulletin officiel auquel j'en appelle de nouveau.
Je répète donc qu'en France, à toutes les époques, sous tous les gouvernements, on a pratiqué le système de la loi actuelle, c'est-à-dire la liberté bien moins contrôlée qu'elle ne le sera en Belgique, à côté des institutions officielles. Et, quant à M. de Melun, on la déjà démontré à toute évidence, il demandait plus de liberté qu'en France, et l'on m'oppose son autorité lorsque je demande seulement un peu de liberté, beaucoup moins de liberté qu'en France.
Je n'ai pas cité de loi qui ait été violée. L'honorable M. Tesch, qui m'a fait cette observation, a-t-il établi que les lois de l'an V constituaient, dans la pensée du législateur, un monopole absolu à côté duquel rien ne peut exister ?
Messieurs, ce serait une étrange chose qu'il eût fallu 1847 pour apprendre le véritable sens des lois de l'an v, pour l'apprendre à qui ? A ceux qui les avaient faites : au gouvernement français, à ceux qui ont eu à les appliquer dans notre pays, à tous les ministres qui se sont succédé, pour l'apprendre enfin à l'honorable M. Lebeau lui-même et à l'honorable M. Leclercq.
On a la prétention de venir dire : J'ai découvert en 1847 que dans l'univers, dans tous les pays où la législation française a été appliquée, tout le monde s'est trompé sur le sens de ces lois, que personne n'a su ce qu'il faisait, que tout le monde a été léger, étourdi, qu'on n'a pas examiné ; et nous seuls, en 1847, nous avons découvert que tout ce qui s'était fait n'était que des monstruosités et des illégalités. Il est évident, pour moi, qu'il suffit d'exposer un pareil argument pour ne pas devoir s'y arrêter.
La position est d'autant plus étrange, que l'on se débat et que l'on se débat vainement contre l'arrêt de la cour de cassation qui a décidé qu'en droit on s'était trompé.
A ce propos, messieurs, qu'il me soit permis d'exprimer un regret au sujet de la lettre que l'honorable M. Lebeau a publiée récemment. J'ai invoqué et je persiste, malgré l'honorable M. Lebeau, à invoquer ses antécédents. Je n'aurais jamais osé faire-à l'honorable membre l'injure de supposer qu'il avait signé toute cette série d'arrêtés sans examiner la question de légalité.
M. Lebeau. - Il n'y a pas eu de séries d'arrêtés.
M. Malou. - Il y en a eu un grand nombre.
M. Lebeau. - Vous en avez cité deux.
M. Malou. - Je n'en ai cité que deux, c'est vrai ; mais je vous ai indiqué les onze pages du document où ces actes, et il y en a beaucoup, se trouvent analysés. Voulez-vous, au reste, que je les compte ?
Je dis que je n'aurais pas voulu et que je n'aurais pas osé faire cette supposition à l'égard de l’honorable membre, qu'il était entré aux affaires comme homme politique et non comme jurisconsulte. Messieurs, en parcourant les actes qui honorent la carrière de l'honorable M. Lebeau, je vois que lors de son entrée aux affaires, il était avocat général à la cour de Liège ; qu'il a présenté, pendant qu'il était au ministère, une loi sur le jury, une loi sur les extraditions, et enfin pour un homme qui n'est pas jurisconsulte, le Code pénal.
M. Lebeau. - C'était l'ouvrage d'une commission.
M. Malou. - L'ouvrage d'une commission ; mais je crois vraiment que l'honorable membre a examiné le travail de la commission et qu'il ne s'est pas contenté d'être un bureau de poste pour le travail de la commission.
M. Lebeau. - Je me suis éclairé du travail de la commission.
M. Malou. - Je n'en disconviens pas. Tous les ministres comme vous ont recours aux lumières d'une commission. Mais quand ils ont proposé un travail aussi important, ils ne peuvent décliner publiquement la qualité de jurisconsulte.
M. Delfosse. - Vous exagérez le sens de mes paroles.
M. Malou. - Messieurs, je crois avoir mis en regard devant la Chambre les deux principes qui ont engagés dans le débat : d'une part, la charité officielle, rien qu'elle ; d'autre part, la charité officielle, et à côté d'elle un lot, mais un lot bien modeste à l'action de la liberté, et la propriété, la saisine donnée encore à la charité officielle, ainsi que le droit de dévolution.
Le débat n'est pas complet. Je l'ai déjà dit, je dois le répéter, si vous voulez la charité officielle exclusive et absolue, il faut présenter une loi et vous n'en présentez pas. Il faut non seulement présenter une loi, mais il faut trouver une sanction à cette loi, et vous ne la trouverez pas.
Remarquons, en effet, messieurs, de quelle nature est la liberté sur laquelle nous discutons : je suppose un instant, pour me faire comprendre que nous n'ayons pas en Belgique la Constitution de 1831. La liberté de la presse en fait, pourrait être réglementée, elle se manifeste par des actes extérieurs dans la société, elle est du domaine de la loi. La liberté d'enseignement, on pourrait également la réglementer, la restreindre, l’étendre dans les limites soit de la Constitution qui existerait soit des prétentions ou des intérêts des partis. La liberté d'association, la loi pourrait aussi la réglementer, la restreindre, elle a été réglementée, restreinte dans notre pays, elle l'a été ailleurs.
Ce sont là des libertés qui, si je puis m'exprimer ainsi, seraient, dans l'hypothèse où je me place, à la portée des atteintes de la loi ; mais la liberté de la charité est essentiellement du domaine de la conscience ; faites des lois tant que vous voudrez, vous n’atteindrez jamais la conscience. J'arrive ici à un côté de la discussion excessivement grave, à une question soulevée hier par mon honorable ami, M. Orts.
L'honorable M. Orts nous a dit : C'est à tort que vous prétendez, que tout le monde obéit à la loi, et l'honorable membre citait les fraudes électorales de 1845, le mariage religieux célébré avant le mariage civil, et quelques faits de fidéicommis ou d'interposition de personnes, vrais ou prétendus, en Belgique et à l'étranger. Et chaque fois l'honorable membre ajoutait : Voyez comme le clergé obéit à la loi !
Messieurs, nous touchons ici, qu'il me soit permis de le dire, à l'un des problèmes les plus difficiles de législation, de morale, nous touchons au conflit des devoirs, à la lutte intérieure que l'homme dans certaines conditions, peut avoir à soutenir, dans le for de la conscience, lorsqu'il y a conflit entre la loi religieuse et la loi civile.
Je ne dis qu'un mot sur le premier exemple : il est notoire pour chacun qu'en 1843 les fausses déclarations pour obtenir le cens électoral avaient été faites par des laïques et quelquefois par des ecclésiastiques qui ne comprenaient pas (il n'y avait pas eu d'explications) que ce fût une fraude répréhensible. (Interruption.)
Il y avait même, comme on le dit à côté de moi, un ministre qui avait reconnu qu'il était permis légalement d'acheter les droits politiques, en se surtaxant un peu. Quoi qu'il en soi, c'est une question de bonne foi ; on discutait devant la cour de cassation si dans notre système politique, il fallait posséder, non seulement le signe, c'est-à-dire le payement de l'impôt, mais la base même de l'impôt. Cela s'est fait d'ailleurs de part et d'autre et de bonne foi.
La célébration du mariage religieux avant le mariage civil, messieurs ! Un prêtre, il faut se placer dans sa position pour la bien apprécier, un prêtre peut se trouver en présence de la loi religieuse, qui ordonne, par exemple in extremis de marier et de la loi civile qui le défend ; lorsqu'il n'y a pas, matériellement, le temps d'observer la loi civile, que doit-il faire ? Vous décidez bien vite que le prêtre se met au-dessus de la loi quand il dit ce qu'on a dit tant de fois : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. »
Veux-je excuser les fraudes de la loi ? En aucune façon, mais je dis qu'on ne peut pas, sans égard aux circonstances, sans égard à la nature, à l'ordre de préséance en quelque sorte, des devoirs, décider d'avance en termes absolus qu'un pareil acte est toujours éminemment répréhensible et condamnable. Il peut y avoir (puisque je parle à un ancien confrère, il me permettra ces expressions du barreau) des circonstances très atténuantes, voire même parfois des motifs d'excuse très légitime, sinon légale.
La question des fidéicommis et des personnes interposées est encore beaucoup plus délicate. Dans mon premier discours, j'ai dit et je répète que j'ai un jour servi de personne interposée et je n'ai aucun scrupule de l'avoir fait.
Dans d'autres circonstances j'aurais refusé. C'est, dans chaque cas particulier, une question d'appréciation des faits et circonstances, c'est une question où chacun doit décider quels sont ses devoirs comme honnête homme, comme citoyen et quels sont ses devoirs envers ses semblables.
Mais de quoi parlé-je en disant que le prêtre était soumis à la loi, que la loi serait obéie ? Je parlais des garanties contenues dans le projet de loi, et je disais : Ces garanties sont telles, que personne ne peut y échapper, que le prêtre comme le laïque, s'il refuse de rendre compte, s’il détourne des biens, encourra les conséquences légales de ces infractions.
Je maintiens que cette appréciation est parfaitement vraie.
Dans notre société, comme dans le monde entier, chaque ordre de lois à sa sanction spéciale, vous avez les lois pénales, dont parlait l’honorable membre ; il faut se soumettre aux lois pénales. Si par malheur, un prêtre commet un acte défendu par les lois pénales, il subit les conséquences légales de l'infraction : c'est pour cela que les lois pénales sont faites ; c'est pour ceux qui se mettent au-dessus de la loi.
Les lois civiles. J'ai vainement cherché depuis la séance d'hier quelle était la sanction légale et réelle des lois civiles, et je n'en ai pas trouvé d'autre que la nullité des actes faits en fraude de la loi. S'il en existe d'autres, qu'on veuille bien les citer.
(page 1388) Messieurs, j'ai parlé des lois civiles, des lois pénales, des lois administratives ; je dois ajouter un mot des lois qui ont la prétention de réglementer les consciences. Discutez à perte de vue, si vous voulez, sur le point de savoir si on peut, oui ou non, violer ces lois, je ne prendrai point part à cette discussion, je ne dis qu'un mot, c'est qu'on les violera.
Je n'examine pas si on a tort ou si on a raison, je le répète. Faites-les : on les violera. La violation de ces lois, ou si vous voulez la non-exécution de ces lois, a été pratiquée et même défendue comme légitime à plusieurs époques. Je vais citer, entre plusieurs, trois autorités : la première de toutes, c'est le conflit de la loi religieuse avec la loi civile. Les proconsuls romains disaient à ceux qui prêchaient l'Evangile : « La loi civile défend de prêcher l'Evangile », et ils répondaient : « Jugez vous-mêmes, en présence de Dieu, s'il est juste de vous écouter plutôt que Dieu. »
Voilà un exemple d'une loi civile qui prétend régir la conscience, qui prétend défendre un acte que la loi religieuse commande.
Je puise un deuxième exemple dans le conflit de la loi avec la conviction politique. On avait présenté, en France, en 1854, une loi qui restreignait ou supprimait le droit d'association.
Un des orateurs éminents de la gauche s'exprimait en ces termes :
« Si un Français, homme de bien, veut l'association pour propager et affermir le christianisme, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi.
« Si un Français, homme de bien, veut une plus grande diffusion des lumières qui prépare la moralité de l'avenir et le bonheur de l'humanité, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi.
« Esclave de toutes les lois justes, ennemi de toutes les lois iniques entre les persécuteurs et les victimes, je ne balancerai jamais. Je ne connais pas de pouvoir humain qui puisse me faire apostasier Dieu, l'humanité, la France.
« Pour obéir à ma conscience, je désobéirai à votre loi. »
C'était Pages de l'Ariége qui prononçait ces mots.
Une dernière autorité, puisque les nécessités de la discussion m'amènent à traiter une question si grave et qui me prend pour ainsi dire à l’improviste ; une dernière autorité, celle de Mirabeau. Lorsque en France, pour la première fois on a proposé une loi contre les privilégiés qui avaient le mauvais goût d'émigrer pour n'être point guillotinés plus tard, voici ce que disait Mirabeau :
» Une mesure de police est sans doute en votre puissance. Reste à savoir s'il est de votre devoir de la prononcer, c'est-à-dire s'il est utile, si vous voulez retenir les citoyens dans l'empire autrement que par le bénéfice des lois, que par le bienfait de la liberté, car, de ce que vous pouvez prendre cette mesure, il n'est pas dit que vous devez le faire... Je déclare que je me croirai délié de tout serment de fidélité envers ceux qui auraient l'infamie de nommer une commission dictatoriale. La popularité que j'ai ambitionnée et dont j'ai eu l'honneur de jouir comme un autre, n'est pas un faible roseau ; c'est dans la terre que je veux enfoncer ses racines sur l'imperturbable base de la raison et de la liberté. Si vous faites une loi contre les émigrants, je jure de n'y obéir jamais. » (Séance du 28 fév. 1791.)
Et d'immenses applaudissements ont suivi ces paroles.
Vous le voyez, messieurs, dans ces questions il y a des nuances très délicates à saisir ; si je m'étais trompé dans l'appréciation soit des principes, soit des actes qui touchent à la fois aux droits de la conscience et aux devoirs du citoyen, je n'en rougirais pas, je le reconnaîtrais à l'instant. Je le répète, je me trouve en quelque sorte à l'improviste devant un problème difficile, devant lequel plus d'un théologien et plus d'un moraliste laïque a longtemps hésité. De ces doutes que j'exprime, je ne veux tirer qu'une seule conclusion positive. Faisons des lois justes contre lesquelles les consciences ne s'insurgent pas,
Messieurs, les objections contre le projet se divisent en deux catégories : Les unes sont tout à fait en dehors de la loi, à côté de la loi ; les autres avec un peu de bonne volonté peuvent s'y rattacher ou s'y rattachent réellement.
A la première catégorie appartient nécessairement la recherche de la paternité de la loi. L'honorable M. Frère a cherché à établir dernièrement que l'auteur réel du projet était l'évêque de Bruges.
Si je voulais prendre, parmi les nombreux écrits que cette lutte a fait naître, tous ceux qui ont soutenu la cause de la liberté de la charité, je pourrais faire exactement la même comparaison ; et la raison en est bien simple : tous les catholiques, depuis 1847 jusqu'aujourd'hui, ont demandé sans exception la même chose ; l'honorable M. Frère a très bien établi la comparaison qu'il voulait faire. ; mais il aurait pu la faire sur dix ouvrages divers.
Il n'y a qu'une différence, a dit encore l'honorable M. Frère ; c'est qu'en section centrale, M. Malou a ajouté fraternellement les bourses d'étude au projet.
Je dois une explication à ce sujet.
En 1854, j'avais demandé à faire une petite fondation, et je n'ai jamais obtenu de réponse écrite ; mais on m'a dit que les arrêtés de 1818, de 1823 et de 1829 étaient entachés d'inconstitutionnalité.
En effet la même autorité qui a révolutionné tout notre système de bienfaisance a contesté la constitutionalité de ces arrêtés. Je désirais sortir de cette position.
J'ai demandé à la section centrale d'admettre une disposition transitoire pour que ces doutes fussent dissipés.
Depuis lors il s'est passé un fait très important : nous avons eu une discussion dont chacun a conservé le souvenir, sur les fondations de bourses d'études, et personne n'a soutenu l'inconstitutionnelle des arrêtés dont il s'agit ; tout le monde, au contraire, en a argumenté ; on s'est plaint seulement de ce que telles ou telles dispositions n'avaient pas été observées.
Dans cet état de choses, je n'ai, en ce qui me concerne personnellement, aucun motif pour maintenir cet article, et si c'était l'opinion des autres membres de la section centrale, je considérerais cet article comme étant désormais parfaitement inutile.
Il est acquis par la dernière discussion que le gouvernement peut, en vertu des arrêtés de 1818, de 1823 et de 1829, autoriser les fondations de bourses d'études. C'est tout ce que je me proposais ; ce n'est pas plus fraternel que cela.
Il ne s'agit pas de savoir quel est l'auteur du projet ; on a parfaitement établi, selon moi, qu'on n'a fait au ministère de la justice que compiler en quelque sorte les archives et rétablir ce qui avait été indûment proscrit : il s'agit surtout de savoir si la loi est bonne, si l'on satisfait aux intérêts des pauvres, aux intérêts sociaux du pays.
D'autres objections me paraissent être à côté du projet ; ce sont celles qu'on a voulu déduire de certains faits, les uns fort anciens, les autres plus récents, lesquels sont invoqués comme étant la révélation, la manifestation de tout un système.
Pour les vieux faits, il est arrivé dans ceci, et ce sont d'honorables avocats, peut-être un peu corrompus par les jésuites, qui nous ont donné un exemple ; il est arrivé qu'on nous a cité seulement l'accusation, et jamais la défense.
Des faits, puisés au dehors, il y a quelques siècles, sous l'empire de passions dont le souvenir même est perdu, ont été évoqués, pour condamner d'avance le projet de loi qui est en discussion.
Je vais m'occuper un instant des faits articulés. Il peut et doit y avoir entre des ecclésiastiques et des laïques des procès relatifs à des successions ; mais je pensais que pour être à l'abri des discussions parlementaires, que, pour n'avoir pas à plaider deux fois, il suffisait d'avoir gagné son procès ; il paraît qu'il n'en est rien ; l'honorable M. Verhaegen a changé tout cela. Pour l'affaire de Florette, par exemple.
Voilà des personnes (il est vrai que c'étaient des évêques, mais enfin c'étaient encore des citoyens) ; voilà, dis-je, des personnes qui ont plaidé et dont les droits ont été reconnus ; et ici, à l'abri de l'irresponsabilité parlementaire, ils sont condamnés après avoir gagné leur procès. Si c'est justice, ce n'est pas de la liberté, ce n'est pas de la saine et loyale pratique du gouvernement parlementaire.
Voyons l'affaire du curé de la Hulpe. Je ne le connais pas personnellement, mais des personnes dans lesquelles j'ai toute confiance, m'ont assuré que c'est un ecclésiastique des plus considérés et des plus respectables. Que fait et que dit l'honorable M. Verhaegen :
« Par pétition du 4 mai, analysée hier, des ouvriers de la commune de la Hulpe, très pauvres, gagnant 1 fr. 25 c. par jour, ce qui constitue leur seule ressource pour entretenir une nombreuse famille se plaignent d'un testament que leur parente dame Henriette Van Cranenbrocck, veuve Deridder, a fait, à leur détriment, au profit de l'église de la Hulpe, une demi-heure avant sa mort, et une demi-heure seulement après avoir fait un premier testament qui laissait sa fortune à ses parents... »
M. Verhaegen. - C'est le texte de la pétition.
M. Malou, rapporteur. - Je ne vous l'attribue pas, mais voici ce qui vous appartient. Il faut rendre à César ce qui appartient à César, et pour compléter le texte, je veux rendre à M. Verhaegen ce qui appartient à M. Verhaegen :
« Les faits dont se plaignent les pétitionnaires sont excessivement graves : un notaire est appelé pour constater la dernière volonté de la veuve Deridder ; c'était à l'heure de la nuit ; elle allait mourir, elle dispose exclusivement au profit de ses héritiers sans dire un mot de l'église. Arrive le curé pour administrer les derniers sacrements. A peine est-il arrivé qu'on rappelle le notaire et les quatre témoins qui n'avaient pas encore quitté la maison, et une demi-heure après le premier testament, il s'en fait un second, gratifiant la fabrique de l'église de la Hulpe d'une somme de 1,000 francs. Une demi-heure après, la testatrice était morte ! »
M. Verhaegen. - C'est très exact !
M. Malou. - Messieurs, si ces faits sont exacts, comme le dit l’honorable membre, ce serait assurément un abus regrettable. J'ai demandé des renseignements, je me suis procuré l'expédition authentique du deuxième testament.
M. Verhaegen. - J'ai les deux.
M. Malou. - C'est le deuxième que vous avez incriminé. Mais nous les examinerons tous les deux, si vous voulez. Voici la réponse qui m'a été faite par le curé de la Hulpe.
M. Verhaegen. - Ah !
M. Malou. - Voilà une étrange exclamation ! Vous avez produit l'accusation, et quand je viens vous dire : voici ce que l'accusé répond, vous m'accueillez par des murmures. (Interruption.)
M. Coomans. - On ne peut plus se défendre !
M. Malou, rapporteur. - Voici cette réponse. « Monsieur, la veuve Deridder reçut le saint viatique le 21 mars au matin ; la nuit suivante, vers 1 heure du matin, je fus appelé pour lui administrer les saintes huiles. Je la trouvai très malade ; elle me (page 1589) parla de ses affaires qu'elle venait d'arranger devant notaire, et interrogée si elle avait pensé à tout, si elle n'avait pas oublié les obits dont elle m'avait parlé et dont son mari, décédé il y a un peu plus d'un an, l'avait chargée, elle me dit : Non, cela est oublié.
« La fermière Van Craenenbroeck, sa cousine, en faveur de qui on avait fait un premier testament (ce que j'ignorais), répondit tout de suite : Le notaire est encore ici. Bon, dit la malade, qu'on le fasse monter. Elle ajouta immédiatement : Je donne, M. le curé, trois mille francs à l'église pour en disposer comme vous voulez.
« Henriette, lui dis-je, je n'en veux pas ; soignez pour vos obits et ce sera bien. Elle répéta avec plus de force, devant cette même cousine et sa servante (vous voyez qu'il y a des témoins ) : je donne trois mille francs à l'église, M. le curé, pour en faire ce que vous voulez. Je lui répétai avec beaucoup de bonté que je ne les acceptais pas, que je la remerciais, qu'elle avait quelques parents pauvres et qu'elle pouvait être contente de ses obits.- Mille francs pour obits, est-ce bien, M. le curé ? dit-elle. Oui, Henriette, c'est bien.
« Voici le fait tout simplement rapporté. Ici, dans la paroisse, tout le monde sait tout. »
Maintenant, messieurs, en lisant les deux citations que je viens de faire, n'est-il pas évident que les faits ont été présentés de telle manière, que le curé, qui a joué un rôle digne, honorable, était dénoncé au pays comme ayant dépouillé une pauvre famille ? Dans le deuxième testament, il n'y avait pas seulement un legs de mille francs pour 5 obits, mais une disposition eu faveur d'une parente pauvre, oubliée dans le premier testament et dont M. Verhaegen, voulant sans doute abréger sou discours qui avait déjà d'assez grandes proportions, avait omis de parler.
A cette parente pauvre, oubliée d'abord, et à l'égard de laquelle la mourante avait des devoirs de reconnaissance, elle lègue environ 20 ares de terre sis à la Hulpe.
Je devais donc revenir sur ce fait.
M. Verhaegen. - Je vous prie de lire la partie du testament relative aux obits.
M. Malou. - Très volontiers.
« Je donne et lègue à la fabrique de l'église de la Hulpe une somme de mille francs, à la charge de faire dire dans ladite église, à perpétuité, cinq messes annuellement, une pour le repos de mon âme, la deuxième pour le repos de l'âme de mon mari Pierre Deridder, la troisième pour le repos de l'âme de Nicolas Van Craenenbroeck, mon père, la quatrième pour le repos de l'âme de Marie-Françoise Paternotte, ma mère, et la cinquième pour le repos de l'âme de Sophie Van Craenenbroeck, ma sœur.
M. Verhaegen. - Voilà vos obits !
M. Malou. - L'honorable membre paraît ne pas connaître un fait, c'est que dans chaque diocèse il y a un tarif pour exonérer les services religieux ; il n'a pas consulté ce tarif.
C'est pour cela qu'il trouve le prix fixé exagéré.
Je ne connais pas non plus ce tarif ; je ne sais pas si dix francs sont trop ou trop peu pour un service. Au reste, je vous abandonne la différence. Si une discussion comme celle qui nous occupe devait tomber dans de pareilles misères de savoir si c'est trop de huit ou de dix francs pour un obit, c'en serait fait de la dignité de la représentation nationale. Nous ne sommes pas chargés de réviser le tarif des offices religieux ; nous en avons assez d'autres plus compliqués à régler.
Messieurs, j'ai parlé précédemment des tracasseries incroyables dont les hospitalières de Ruddervoorde ont été l'objet. Tous les faits que j'ai articules, je les ai puisés dans une pétition qu'elles ont adressée au Roi, pétition qui n'a pas eu de succès. J'ai dit que les sœurs, autorisées, comme personne civile, à tenir un hôpital, avaient été réduites à ne pas même être locataires de leur propre bien, à ne plus l'occuper qu'à titre précaire. Ces faits sont inconcevables.
Une chose des plus étranges se rencontre en outre dans ce système que je combats. La personnification civile leur est régulièrement conférée par arrêté royal, et quand elles demandent à user de ce droit reconnu par l'autorité publique, on leur répond : Cet arrêté est inopérant ; soumettez-vous à la révision de vos statuts. On déclare inopérants des arrêtés royaux conférant des droits civils ; et on les réduit à devenir, à titre précaire, occupantes de leur propre bien.
Mais, dit-on, il y avait des arrêts de 1846, nous étions tenus de faire ce que nous avons fait, il fallait respecter la loi, A cette objection il a été répondu par M. Rogier lui-même dans la lettre de 1850 que mon honorable ami M. le ministre de la justice a citée, il a été répondu avec un talent auquel je me plais à rendre hommage : dans ces arrêts il s'agissait de congrégations qui donnaient exclusivement ou du moins principalement l'instruction à des élevés payants. C'était la lettre de l'honorable M. Rogier qui était applicable.
A Ruddervoorde, au contraire, il s'agissait de fonder et de doter un hospice tenu par la communauté reconnue (ce que n'admettait pas la politique charitable de 1847, d'après laquelle elles ne peuvent que le desservir), de tenir une école d'enfants pauvres, ce que l’honorable M. Rogier, d'accord sur ce point avec l'auteur du décret de 1809, soutient être parfaitement licite.
Je soutiens donc, quant à l'affaire de Ruddervoorde, que l'on a fait une application déplorable du décret de 1809.
Dans l'affaire d'Asper, dont 1 honorable M. Verhaegen a parlé, voici ce dont il s'agit : Il a été fait un legs dont le bureau de bienfaisance est en possession. On soutient, lorsque te bureau de bienfaisance est en possession du legs, que le curé le fait tourner au profit du couvent. Voilà le fait dans toute sa simplicité.
Pour épargner les moments de la Chambre, je m'abstiens de lui lire quatre articles de journaux contenant tous les détails de l'affaire. Je les communiquerai à l’honorable M. Verhaegen.
M. Verhaegen. - Je les ai.
M. Coomans. - Alors vous êtes inexcusable.
M. Malou, rapporteur. - Vous auriez mieux fait de ne pas dire que vous les aviez.
M. Verhaegen. - On vient de me les envoyer de Bruges.
M. Malou, rapporteur. - Je retire mon observation.
A Asper, le bureau de bienfaisance est en possession des biens légués, et l'on soutient que le curé, qui n'est pas d'accord avec le bureau de bienfaisance sur l'emploi qu'il faut faire de ces fonds, applique au couvent le bien qu'il n'a pas.
La fameuse circulaire de l'évêque de Gand a produit dans l'Indépendance et dans la Chambre un effet aussi formidable que dans le temps, avait produit ce fameux catéchisme de Namur, qui nous apprenait qu'en attendant le rétablissement des autres droits féodaux on allait rétablir la dîme.
Chacun de vous a pu lire cette pièce, et pour tout homme de bonne ; foi, il me semble établi dès à présent que, dans cette circulaire, il ne s'agit en aucune manière, ni directement ni indirectement, de contester les droits de propriété des acquéreurs de biens nationaux.
Il s'agit de constater quels sont les acquéreurs primitifs non de tous les monastères et couvents supprimés depuis un siècle, mais des monastères supprimés sous le règne de Joseph II. Ainsi, pour la période française, pas un mot sur les acquéreurs et sur l'état des biens.
Le deuxième paragraphe qui, lu séparément et rapproché artistement d'une phrase qui se trouve à plusieurs pages de là, a donné lieu à une interprétation si fausse, ce deuxième paragraphe, quand on le lit a sa place, n'a évidemment pour but que de recueillir les éléments nécessaires pour l'histoire du clergé.
Il est évident pour tout lecteur sensé et de bonne foi qu'il ne s'agit, dans ce passage que des scandales qui auraient pu être commis par les membres du clergé, et nullement des acquéreurs de biens, ou de personnes étrangères au clergé.
Tel est le sens logique de cette circulaire.
J'ai reçu depuis, en qualité de rapporteur, une déclaration de l'honorable prélat qui a été si vivement attaqué, et je demande la permission, de la lire. (Lisez ! Lisez !)
La voici :
« Gand, le 10 mai 1857.
« M. le rapporteur,
« Je vous remercie d'avoir fait insérer ma circulaire du 19 mars au Moniteur.
« Je suis persuadé que tous ceux qui la liront sans prévention n'y verront d'autre intention que celle que je me suis proposée en la publiant : recueillir tous les faits intéressants qui peuvent servir à l'histoire ecclésiastique contemporaine, en usant, à l’égard des personnes et des familles, de tous les ménagements réclamés par la charité chrétienne.
« Je vous avoue, monsieur, et je vous autorise même à le déclarer en mon nom, que la pensée que me prête l'honorable représentant qui a dénoncé ma circulaire à la Chambre, n'est jamais entrée dans mon esprit. Je respecte et je fais observer, comme c'est mon devoir, les décisions et les déclarations du saint siège, sur les biens ecclésiastiques, tant pour le for de la conscience que pour le for extérieur, notamment celles de 1801 et de 1833.
« (Signé) L.-J, évêque de Gand. »
1801, c'est la date du concordat. 1833, c'est, vous, le savez, la date de la déclaration complémentaire donnée par le saint-siège pour rassurer toutes les consciences au sujet de l'achat et de la possession de. biens nationaux.
J'espère qu'au moyen de ces explications, dans cette Chambre et au-dehors, la fâcheuse et fausse interprétation qu'on avait injustement donnée à certains passages de cette pièce ne se reproduiront plus.
M. Verhaegen. - Je vous répondrai.
M. Malou, rapporteur. - Je n'en doute pas. Mais j'ai dit, dès le principe de cette discussion, que je tenais à ce que, malgré tous vos efforts, on ne pût dénaturer cette question devant le pays.
C'est pour cela que je parle.
J'ai, du reste, le droit de m'étonner de ce qu'après une pareille déclaration d'un évêque, d'un homme honorable, on puisse continuer à contester.
Un autre fait dénoncé à l'indignation de la Chambre, c'est ce qui s'est passé à Roulers. Sur ce point, j'ai encore recueilli des renseignements. Puisqu'on n'a présenté que l'accusation, je me suis mis en mesure de présenter la défense.
A Roulers, comme à Bruxelles, les hospices ont eu le malheur de ne pas s'entendre avec les sœurs hospitalières. L'honorable M. Frère a dit, d'après mes notes, qu'on avait retiré à l'hospice de Roulers le secours de la religion.
Ces expressions ont donné lieu à deux interprétations différentes. (page 1590) Les uns ( et notamment plusieurs de mes amis) ont compris (ce qui est une erreur puisque l'honorable M. Frère l'a déclaré) qu'on voulait refuser les secours de la religion, les sacrements aux mourants. D'autres ont compris qu'il ne s'agissait que du service divin.
En présence de la déclaration de mon honorable adversaire, je ne discuterai que cette dernière interprétation.
Les dissentiments qui ont existé à Roulers, et qui malheureusement y existent encore, ont eu pour premier résultat, après le départ des sœurs, que la chapelle a été convertie en partie en dortoir, en partie en lieu de récréation. Je ne comprends pas, moi simple catholique, commuant on célébrerait le service divin dans un dortoir, dans un lieu de récréation. La chapelle est à quelque distance de l'église.
Le doyen se rend souvent à l'hospice, et donne les secours religieux chaque fois qu'il en est besoin.
Je ne connais d'ailleurs aucune loi qui dispose que partout où l'on établit un oratoire particulier on doive y célébrer le service divin. On se trouverait en présence d'une impossibilité radicale de le faire, si à la suite du vote de cette loi on créait un grand nombre d'hospices ayant des oratoires particuliers.
Il s'est produit un second fait. Les sœurs hospitalières ont été obligées d'attraire la commission des hospices devant le tribunal de Courtrai en payement d'une somme de 9,000 fr. qui leur était due et qui leur a été payée, quand on a vu que l'assignation était sérieuse.
J'affirme ce fait d'après les renseignements que j'ai recueillis ; on peut du reste le vérifier, soit au greffe du tribunal de Courtrai, soit par les actes d'huissier.
On m'assure en outre (c'est un fait que je n'ai pu vérifier), que les dépenses se sont notablement augmentées depuis que les sœurs hospitalières ne sont plus à l'hospice.
M. Verhaegen. - Elles sont diminuées.
M. Malou, rapporteur. - Et moi je dis, parce que je ne suis pas d'accord avec l'honorable M. Frère, cela m'arrive encore, que d'après les renseignements que j'ai reçus elles sont notablement augmentées.
M. Verhaegen. - L’honorable M. Frère n'est pas ici.
M. Malou, rapporteur. - Je regrette qu'il ne soit pas ici, et je regrette sur tout le motif pour lequel il n'est pas ici. Mais avouez cependant que la discussion doit suivre son cours et qu'il doit m'être permis de faire usage loyalement, sans incriminer ni les intentions de M. Frère, ni les intentions de personne, des renseignements que j'ai reçus.
- Plusieurs membres. - Oui ! oui !
M. Malou. - Si l'on veut m'adresser des interruptions sérieuses qui puissent éclairer la discussion, je les accepte volontiers, j'y répondrai sans m'en plaindre. Mais celles-ci, vraiment, n'aboutissent à rien qu'à perdre du temps.
Un autre fait, c'est l'abus qui a été signalé à l'honorable M. de Muelenaere, gouverneur de la Flandre,, au sujet du couvent de Hooghlede. Je n'ai pas besoin d'y revenir. S'il y a eu un abus à Hooghlede, la correspondance, les faits produits de part et d'autre démontrent que l'abus a cessé.
Nous n'avons pas la prétention de dire que nulle part, dans aucune circonstance, il n'y aura d'abus ou de tentatives d'abus. Mais ce que nous voulons, c'est que la loi soit faite de manière que lorsque des abus se présenteront, ils soient promptement et efficacement réprimés. Et c'est là tout le débat.
Je n'ai pas besoin de revenir sur les écoles de dentelières. L'honorable ministre des affaires étrangères vous a fait voir tout le mécanisme de ces admirables institutions. Je le demande à ceux d'entre vous qui appartiennent aux Flandres, aux parties les plus souffrantes des Flandres, les écoles de dentelières ne sont-elles pas considérées partout comme un immense bienfait ? N'ont-elles pas partout les sympathies, l'appui complet des autorités sans distinction d'opinion ?
Messieurs, pour cette grande question de la charité qui s'est tant rapetissée en devenant une question politique, dans nos Flandres, surtout aux époques de souffrances, il n'y avait plus de libéraux et de catholiques, il n'y avait que des hommes qui avaient des sympathies pour les pauvres, et tout le monde, toutes les opinions bénissaient les sœurs qui donnaient l'instruction, les sœurs qui périssaient martyres du typhus.
On élève les jeunes personnes comme des sauvages, nous dit-on ; elles n'ont aucune espèce d'instruction ; on spécule ; on les étiole avant l'âge. Messieurs, allez voir les enfants que vous caractérisez ici et vous reviendrez émerveillés comme nous de ce que fait la charité chrétienne pour les pauvres.
Messieurs, l'honorable M. Thiéfry, et c'est le dernier fait dont j'ai à parler, a fait un discours beaucoup plus long que celui de Cicéron pro domo au sujet de l'incident relatif aux hospitalières de Bruxelles. Je n'aurais probablement pas parlé de ce fait, si l'honorable membre qui a pris la parole au début de cette discussion n'avait lancé une accusation publique contre les sœurs hospitalières, et même je n'aurais rien dit, si j'avais pu prévoir que j'étais la cause indirecte, la cause involontaire du discours de l'honorable membre.
Et en effet de quoi s'agit-il ? Il ne s'agit pas de savoir si l'on a brûlé trop de chandelles, si la supérieure a la tête faible, si l'on a bien fait d'employer trop de pierre blanche, à l'hôpital Saint-Jean, si les sœurs restaient trop longtemps à la chapelle.
Il ne s'agit pas de savoir si l'administration des hospices de Bruxelles est la meilleure, la plus irréprochable de toutes les administrations possibles.
Il s'agit de savoir si parmi les objets qui sont à l'hôpital Saint-Jean retenus par l'administration, il y en a un bon nombre, sinon le tout, qui appartiennent à la communauté hospitalière ; et si, lorsqu'un procès a été engagé sur la revendication de ces objets, il a été dit, oui ou non,, que les sœurs devaient prouver par titres la propriété de leurs meubles ; en troisième lieu il s'agit de savoir si l'on n'a pas excipé de la partie de la qualité de personne civile, de telle manière que, comme communauté, elles n'ont pas le droit de revendiquer les objets, et que, comme particulières, elles n'ont aucun droit.
Voilà les trois faits sur lesquels est engagé le débat.
J'ai pris aussi de nouveaux renseignements et il m'a été affirmé que sur quelques-uns de ces objets qui ont été donnés par la mère de notre ancien collègue M. F. de Mérode, il est gravé : « Donné par M. la comtesse de Mérode à la communauté des sœurs hospitalières. »
M. de Mérode-Westerloo. - Cela y est.
M. Malou. - On dit à côté de moi : Cela y est ! On m'a déclaré, en effet, que cette inscription se trouve sur chacun des chandeliers qui sont retenus à l'hôpital. Voilà un témoin matériel. On demande un titre. Mais y a-t-il un titre plus fort, un titre plus puissant, puisqu'il faut des titres en fait de meubles, quand il s'agit de sœurs hospitalières et qu'elles sont ainsi mises hors du droit commun, que cette inscription gravée sur chacun des objets ? Si ce fait est exact, il décide la question. Conteste-t-on le fait ? Il n'y a rien de plus facile que d'aller le vérifier. Mais si la propriété est prouvée par ce témoin matériel, je demande si je n'ai pas eu raison de protester contre les étranges paroles de l'honorable M. Thiéfry.
Du reste, dans une grande discussion, un petit épisode ne peut pas prétendre à occuper tout le débat.
J'en viens maintenant à la deuxième catégorie d'objections, à celles qu'avec un peu de bonne volonté on peut rattacher au projet de loi.
La plus formidable de ces objections, ce sont les couvents. J'ai fini par là l'autre jour, je commence parla aujourd'hui.
Nous avons, dit-on, en Belgique, 960 couvents, béguines comprises. Décomposons ce chiffre ; combien reste-t-il de couvents dans l'acception réelle du mot ? Il n'en reste pas une centaine. De ces couvents réels, nous n'avons pas à en faire l'apologie au point de vue religieux ; le pouvoir civil, laïque, n'a pas à en faire la critique. Si nous les discutions, que discuterions-nous, si ce n'est une application pratique de la liberté constitutionnelle ? Nous chasserions ainsi sur vos terres, messieurs, car nous adonnons, nous, toutes les applications pratiques de la liberté. Ces couvents ne vous demandent rien ; la liberté constitutionnelle leur suffit.
Les couvents des jésuites ont été spécialement attaqués.
Messieurs, je connais les jésuites depuis l’âge de dix ans ; j'ai fait mes études dans un des plus célèbres et des plus populeux de leurs établissements. J'ai conservé avec eux, depuis lors, des relations ; il y en a plusieurs que je m'honore d'appeler mes amis. Je me flatte, dans cette position, de les connaître mieux que beaucoup de ceux qui en parlent et qui ne les connaissent que pour avoir lu une partie de la bibliothèque qui existe, et dont la moitié à peu près est contre les jésuites et l'autre moitié pour. Ces messieurs n'ont lu, leurs citations le prouvent, que la partie qui est dirigée contre les jésuites.
Messieurs, les jésuites ont eu, à toutes les époques, d'ardents ennemis et des amis sincères et convaincus. Ils ont eu le sort de toutes les grandes institutions et, en effet, pour les catholiques, pour ceux qui examinent l'histoire des luttes de l’Eglise militante dans le monde, il n'y a pas de fat plus considérable que la création et le développement de la société de Jésus.
Je parle franchement au point de vue catholique et je dis : Il n'y a pas de fait plus providentiel dans l'histoire de l'Eglise, que la création et le développement de cette milice, qui existe encore aujourd'hui, toujours persécutée, toujours vivante depuis plusieurs siècles. Si la Providence n'avait pas suscité les jésuites, que serait devenue une grande partie de l'Europe catholique, à l'époque de la réforme ? Y a-t-il dans l'histoire une institution humaine qui ait fait plus pour la foi, qui ait fait autant pour la science ?
Il est très commode, assurément, de faire des reproches aux jésuites ; on va même jusqu'à les accuser de ce crime énorme qui est pour moi tout à fait nouveau, de la corruption des avocats. Je ne sais pas si ceux qui n'ont pas hanté les jésuites sont meilleurs ou pires que les autres, c'est une question de ménage que je laisse à décider entre ces messieurs, mais même en supposant que ce grief soit fondé, ne peut-on pas mettre en regard tout ce que l'ordre des jésuites a fait pour la religion par les missions, par les sciences.
Il a partout produit des hommes éminents dans toutes les branches des connaissances humaines. Et pour l'éducation, pour la diffusion des lumières, que n'a-t-il pas fait ! l'instruction est partout, en partie du moins, partout où il y a un peu de liberté, entre les mains des jésuites. Je l'ai déjà dit, ici comme ailleurs, bon nombre de ceux qui attaquent les couvents en général et les jésuites en particulier leur rendent un hommage pratique, le meilleur de tous, l'hommage du père de famille qui consulte son cœur et l'intérêt de ses enfants.
Les jésuites ont-ils besoin, se soucient-ils de la personnification civile ?
La loi est-elle faite pour donner la personnification civile à cette catégorie de couvents, les plus redoutables, les plus épouvantables de tous ?
(page 1591) Moi, qui ai des relations journalières avec eux, je puis vous déclarer que si vous la leur offriez ils n'en voudraient pas. (Interruption.)
Allez-le leur demander, voyez-les une fois en votre vie, si vous doutez, mais, je vous le déclare, je n'ai pas recueilli d'autres renseignements. Je dirai plus, je trouve qu'ils ont parfaitement raison ; la liberté leur suffit, elle leur est meilleure que la personnification civile.
Les congrégations hospitalières. Oh ! nous avons un certain nombre de congrégations hospitalières, mais cette loi va les multiplier indéfiniment.
Il est encore un fait que je dois citer à la Chambre : Lorsque le rapport de la section centrale était distribué, il m'a été demande presque officiellement de la part des communautés d'un de nos diocèses (qui n'est pas celui de Bruges), si et de quelle manière on pouvait se débarrasser de la personnification civile. (Interruption.) J'affirme que la demande m'a été faite et voici ce que j'ai répondu. Rien de plus simple : s'il n'y a pas de biens amortis, vous n'avez qu'à invoquer la liberté d'association ; s'il y a des biens amortis, ils reviennent à l'Etat, à moins que les actes de donation ou de fondation ne les attribuent au bureau de bienfaisance ou à d'autres établissements.
Celte personnification civile est une chose si redoutable, à ce qu'il semble, d'après nos débats et voici que ceux qui possèdent cet énorme privilège aimeraient mieux ne pas l'avoir. Ce que nous faisons ici, les couvents n'en veulent pas, et d'après leur intérêt, si vous voulez faire abstraction un instant de vos préjugés, vous reconnaîtriez qu'ils ne doivent pas en vouloir, qu'ils doivent désirer ne pas être personnes civiles.
Ils n'en veulent pas, nous n'en voulons pas. Je demande alors qui la leur donnera, si ce n'est pas vous. Quant à moi, je déclare qu'alors même que leur opinion changerait sur ce point, je serais le première à la leur refuser à tous ; en dehors des hospitalières, bien entendu, pas d'équivoque, s'il vous plaît.
L'honorable M. Orts, que je regrette beaucoup de ne pas voir ici, disait lui-même qu'en effet la personnification civile était un funeste cadeau. S'il en est ainsi, je ne comprends pas pourquoi, de gaieté de cœur, on irait demander par la loi un funeste cadeau.
Messieurs, il s'agit, selon d'honorables membres, il s'agit de conférer aux couvents, à toutes les associations religieuses, non pas l'égalité des droits, mais un privilège. J'ai connaissance de plusieurs procès en Belgique et notamment un procès entre les jésuites et le bureau de bienfaisance de Nivelles, celui dont l'honorable M. Orts parlait hier.
J'ai revu ces arrêts et je dois dire, en premier lieu, que l'honorable membre s'est trompé en fait, s'il a dit que dans ce dernier procès les jésuites avaient été interrogés sur le point de savoir s'ils étaient personnes interposées. La cour d'appel de Bruxelles a décidé, d'après des présomption, qu'ils devaient être considérés comme telles et la cour de cassation a déclaré que l'arrêt portant sur une question de fait, l'appréciation des faits étant du domaine de la cour d'appel jugeant souverainement, cet arrêt ne violait aucune loi.
Remarquez bien, je vous prie, quel est notre droit public ; nous ne pouvons pas dénier à la fois à un membre d'une association et son droit comme tel, et son droit de citoyen ; de deux choses l'une, les jésuites par exemple, on leur dit et on leur dit avec raison : Vous n'êtes pas une personne civile, mais s'ils ne sont pas une corporation aux yeux de la loi, ils sont donc des individus ; or, si de ce qu'un legs est fait à des individus membres d'une congrégation religieuse il résultait en quelque sorte une présomption légale qu'ils sont personnes interposées, alors ils seraient comme les bannis de Rome, privés de l'eau et du feu, mis hors la loi ; ils n'auraient plus ni les droits d'être collectif ni les droits de citoyens.
On pourrait arriver ainsi à détruire la liberté eu fait, tout en la proclamant en théorie, à créer un privilège contre ceux qui usent constitutionnellement de la liberté d'association.
On s'est plaint de ce que des personnes, en vertu d'un contrat de société, par exemple, en vertu d'actes que le droit civil ne proscrit point, on s'est plaint de ce que des associations possèdent des immeubles, ce qui est la mainmorte déguisée : un très grand mal.
On s'est plaint également de ce que ces associations non reconnues possèdent des biens meubles : encore un mal, quoique moindre. Ainsi les associations peuvent exister, il n'y a pas le moindre doute, mais c'est un très grand danger si elles possèdent des immeubles et c'est encore un danger si elles possèdent des meubles, de sorte que les associations peuvent exister, à il condition de n'avoir ni meubles ni immeubles.
La liberté de l'enseignement est quelquefois préconisée dans le même sens. On a la liberté d'enseigner ; mais quand on enseigne, on abuse de son droit, il faudrait ne pas enseigner et avoir la liberté d'enseigner.
Messieurs, une des principales objections qu'on a faites à la loi avant l'ouverture de la discussion et depuis, c'est que la charité était le prétexte et que les couvents étaient le but réel ; en d'autres termes, on disait : « Il va y avoir exubérance de population ; les jésuites fonderont une petite école pour les pauvres, et il y aura à côté de cela un vaste bâtiment pour les religieux ; il en sera de même des autres établissements où il y aura une exubérance du personnel de religieux. »
Qu'arrive-t-il ? M. le ministre de la justice propose de limiter la population d'après la destination charitable ; ii présente, d'autres amendements ; il s'attache de bonne foi à faire disparaître les plus graves objections. Et quelle est la satisfaction qu'éprouvent nos honorables adversaires ? C'est de dire : « Oh ! vous amélioreriez dix fois la loi ; le principe est mauvais ; nous ne voulons pas de ces amendements-là. »
Je signale au pays ce caractère du débat. Je dis que les amendements, quant à l'exubérance de la population, quant à l'application de l'article 909 du Code civil, quant à la gratuité des fonctions ; que tous ces amendements doivent avoir pour résultat de faire disparaître les griefs qu'on avait élevés contre la loi, et que satisfaction donnée à ces griefs, on en articule d'autres.
Cela me mène naturellement à dire un mot de la garantie que nous devrions croire la plus efficace. On se défie des procureurs du roi dans leurs rapports avec le clergé, on se défie des députations permanentes, des conseils communaux, de tout le monde ; on n'a pas même foi dans le contrôle permanent des Chambres ; ce contrôle est illusoire.
Je ne crois pas qu'en présence de ce qui s'est passé plusieurs fois dans cette Chambre, on puisse raisonnablement prétendre que cette garantie n'est pas sérieuse, efficace. Dans le cours de ma carrière parlementaire, j'ai vu des droits méconnus ou que je croyais méconnus, j'en ai poursuivi le redressement et je l'ai obtenu à cette tribune. Quand quelqu'un viendra signaler un véritable abus, un devoir violé, un intérêt lésé, ou ne disons pas que nous avons un gouvernement constitutionnel ou disons que nous avons ici une garantie efficace, réelle. Il n'y a pas de milieu.
On me demande s'il y a une forme de bienfaisance qui ne puisse pas se réaliser ; je retourne la question et je demande si, dans le système que soutiennent nos honorables adversaires, il y a une forme quelconque de bienfaisance qui puisse se réaliser lorsqu'on ne veut pas donner purement et simplement au bureau de bienfaisance, sans aucune réserve quanta l'administration ou à la distribution par un tiers.
La charité est libre ; ce n'est que la liberté individuelle, dit l'honorable M. Lebeau, c'est l'aumône d'un jour. Moi, j'appelle ce système (si le mot m'est permis) escamoter une liberté par voie de définition.
Comment ! la charité consiste exclusivement dans l'aumône ! ce n'est pas de la charité que de constituer une donation pour un service que le gouvernement a reconnu d'utilité publique, dans l'intérêt des pauvres !
En définissant ainsi la liberté de la charité, le nom restera dans notre pays, mais la chose aura disparu.
Nous avons eu de très longs débats sur le point de savoir si c'est de la charité publique ou de la charité privée, si lorsqu'il y a une garantie, un contrôle on peut encore appeler cela liberté de la charité. Nous voulons qu'on puisse faire quelque chose, et ce que la loi indique, en dehors des donations pures et simples, faites au bureau de bienfaisance, dans notre langue qui est peut-être différente de la vôtre, nous appelons cela de la charité libre, très modestement libre, beaucoup moins libre que dans d'autres pays ; il vous plaît de l'appeler de la charité privée ; cela nous est indifférent. Nous ne tenons qu'à la chose, nommez-la charité publique, si bon vous semble.
« Vous parlez dit-on, de la liberté delà charité ; et vous-même, vous ne pourriez pas être administrateur ; il faut un membre de la famille. »
L'honorable membre qui a produit cet argument, n'a pas lu l'article. 78 du projet ; d'après cet article, l'administration peut être réservée par le donateur, soit pour lui-même soit pour des tiers. Dans le cas qu'on a supposé, ce tiers, ce serait moi.
Il y a ensuite dans la loi une désignation spéciale des membres de la famille, parce que la loi dit : Je tiens compte de la place que les affections de famille occupent dans le cœur des hommes ; mais si vous disposez en cédant à un autre sentiment, je veux qu'il y ait une présomption de capacité, et je l'attache à ceux qui, par leur caractère et leurs fonctions, me paraissent devoir offrir une garantie suffisante.
« Mais, dit-on, vous êtes intolérants, vous excluez les dissidents. » Ce n'est pas moi qui, cette fois, ai prononcé le mot. Dans le rapport de la section centrale, il y a une explication portant que, pour être considéré comme titulaire de fonctions ecclésiastiques, il faut qu'il y ait une rétribution au budget. Et pourquoi avons-nous fait cela ? C'est pour aller au-devant d'une objection qui a été faite maintes fois et que l'honorable M. Rogier a produise le premier ; pour qu'on ne pût pas venir dire : « Vous allez faire nommer le provincial des jésuites, le provincial des capucins. » Nous avons donc expliqué l'article en ce sens, qu'il fallait un traitement au budget, précisément pour résoudre d'avance une de vos objections.
Nous l'avons fait pour un autre motif encore. Qu'est-ce qu'un ministre du culte en Belgique ? Ce n'est pas la première fois que cette question est soulevée. Il y a eu, à Bruxelles, deux ou trois fois des personnes qui ont voulu s'ériger en ministres d'un culte nouveau, des spéculateurs en culte, comme les qualifiait un jour l'honorable M. Rodenbach....
M. Rodenbach. - Je les ai appelés des fabricants de religion.
M. Malou. - C'est la même chose.
Eh bien, où est la définition légale du ministre du culte, sinon dans votre budget ? Ce n'est pas de l'intolérance, c'est, au contraire, l'application de la liberté de conscience.
Il y aurait quelques inconvénients, je le reconnais, dans un pays où le culte de la majorité serait seul posé au budget. Dieu merci ! dans ce pays catholique, nous n'en sommes pas là ; les cultes dissidents qui sont (page 1592) représentés dans le pays par un certain nombre de croyants, sont tous dans notre budget ; nous voulons liberté pour eux, comme pour nous.
« Le droit de fonder, nous dit-on encore, a de tristes conséquences, c’est l'absorption du droit des générations futures ; nos arrière-neveux n'auront pas de quoi vivre ; ils seront malheureux ! » S'il est possible, messieurs, revenons à des choses sérieuses. Depuis quand, lorsque nous usons d'un droit de la génération actuelle et que nous en usons dans l'intérêt des générations futures, est-ce contraire à nos devoirs d'hommes du XIXème siècle ?
Si nous usons de notre droit en faveur des établissements public, nous pouvons tester de toute manière, nous pouvons fonder tant que nous voulons, cela n'a aucun danger aucun inconvénient ; mais nous allons réduire à la débine les générations futures si nous faisons des fondations particulières. Messieurs, de la logique, je vous en prie, un peu, pas beaucoup, mais quelque chose !
La propriété, dit-on, n'est pas absolue ; elle est limitée par les lois et les règlements ; le droit de fonder appartient au droit public. Mais si le droit de fonder n'était pas de droit public, nous ne discuterions pas cette loi.
Il n'y a pas de droit absolu, il n'y a que des droits relatifs dans la société. La discussion législative n'est pas une discussion de basoche sur le caractère de la propriété, elle porte sur le point de savoir quelles sont les restrictions qu'on doit apporter dans l'exercice du droit de propriété.
Vous n'avez rien prouvé quand vous avez démontré que le droit de propriété n'est pas absolu, qu'il faut des garanties ; vous devez démontrer qu'il est contraire à l'intérêt social de permettre de faire pour les pauvres ce qu'il est permis de faire pour des particuliers.
Une autre observation appartient à l'honorable M. Frère. Vous acceptez pour le bien des pauvres ce que vous n'accepteriez pas pour votre propre bien. La Société Générale accepterait-elle comme administrateur à perpétuité M. Malou et ses descendants ? La chose ne me parait pas difficile à expliquer. Si je convoquais une assemblée générale des actionnaires et si je lui disais : Je suis en mesure de doubler votre capital social, je vous offre 63 ou 66 millions, dont les produits à perpétuité seront employés à votre bénéfice exclusif sous le contrôle de l'autorité, mais j'entends, ma vie durant, être administrateur ; toute garantie possible vous sera donnée que pas un centime ne sera détourné de votre caisse ; à perpétuité, vous aurez droit de surveillance et de contrôle, mais je tiens à être administrateur à vie et je veux que des membres de ma famille après moi aient les mêmes droits.
Je ne sais si les actionnaires diraient oui ou non ; ils accepteraient peut-être, ce serait leur affaire, mais ce que je n'admettrais pas, ce serait qu'ils pussent accepter les 65 millions en déclarant qu'ils ne veulent pas de la condition que j'y mets.Je leur répondrais à mon tour : Si vous prenez à votre profit la somme, prenez-la avec la condition, je n'entends pas appliquer dans le domaine de mes intérêts la jurisprudence de 1847, où l'on acceptait la chose en réputant non écrite la condition.
Dans l'hypothèse posée par l'honorable M. Frère, je trouve donc les deux systèmes en présence.
Nous voulons qu'on accorde aux fondateurs qui ont peut-être tort à votre point de vue, nous voulons qu'on leur donne la liberté d'avoir un autre distributeur ou une autre administration que les administrations officielles de la bienfaisance.
Messieurs, j'ai entendu plusieurs fois.... Je finis, car je ne veux pas abuser des moments de la Chambre.
- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !
M. Malou. - J'ai entendu plusieurs fois dire que nous faisions une loi de parti. Je crois que nos honorables adversaires, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, sont dans une profonde erreur.
Si nous voulions faire une loi de parti, si nous étions hostiles à la charité officielle, nous ne ferions pas cette loi, nous ferions autre chose que je vais vous dire tout à l'heure.
Les deux résultats que nous avons en vue sont de fortifier, de consolider les institutions officielles, de leur donner la propriété avec dévolution et un petit coin dans la législation pour la liberté.
Si nous n'avions ce petit abri pour la liberté de fonder et si nous étions hostiles aux établissements officiels, nous constituerions dans de larges proportions une société analogue à celle que préside l'honorable M. de Perceval (plus bienfaisant que logique cette fois), société qui a pour objet de secourir les pauvres honteux de la capitale, nous prendrions les noms les plus considérés dans l'ordre civil et ecclésiastique et nous formerions une vaste association administrant toutes les fondations qui lui seraient confiées, une société de bienfaisance, société perpétuelle placée en dehors du contrôle de l'autorité publique, possédant des meubles et des immeubles, qui attirerait à elle toutes les donations comme elle voudrait, qui procéderait de l'idée catholique ; et cette grande association qui est permise, contre laquelle vous ne pourriez rien à moins de lois spoliatrices, serait avant peu d'années une grands puissance politique.
Je ne sais si une pareille institution se fondant et inspirant à tous une confiance entière, les établissements officiels prospéreraient et se développeraient beaucoup.
Quand on nous refuse la plus petite parcelle d’air et de liberté, je dis : Vous nous donnerez le droit de demander la séparation du patrimoine.
Vous nous avez menacés du retrait de la loi,vous avez dit que ce serait le programme de l'opinion libérale ; un autre membre a été plus loin, il a dit qu'on la rappellerait avec effet rétroactif. Le jour où vous ferez cela, le jour où vous réussiriez à la faire rappeler, ce que je viens de vous expliquer, je le déclare nettement, nous le ferons.
M. de Theux. - Messieurs, je crois dans l'intérêt de tous les membres de la Chambre devoir vous avertir que, dans la séance de mardi prochain j'aurai l'honneur de proposer à la Chambre un vote de principe : l'existence des administrateurs spéciaux. De cette manière, la discussion de la loi sera débarrassée de cette grande question qui a fait l'objet unique de nos débats. Si on le juge à propos, d'ici là on pourra continuer la discussion générale et, si l’on est fatigué, aborder la discussion des articles.
Si je fixe le jour de mardi, c'est pour que chacun soit averti et puisse être à son poste. Je ne demande pas à la Chambre de se prononcer, je me borne à annoncer que je ferai cette proposition mardi.
M. Verhaegen. - Il n'y a rien de préjugé ?
M. le président. - Evidemment ! M. de Theux peut faire la proposition qu'il jugera convenable, pourvu qu'elle soit conforme au règlement.
M. Thiéfry (pour un fait personnel). - Je regrette de devoir prendre la parole pour un fait personnel dans une discussion aussi importante ; c'est, je le sais bien, amoindrir un peu le débat. Je ne puis cependant laisser sans réponse les observations de M. Malou sur la manière dont j'ai qualifié l'enlèvement des objets de Saint-Jean par la supérieure de la communauté.
Il ne s'agit pas uniquement d'objets religieux, il y a aussi des tables, des chaises, des assiettes, etc., etc. ; parmi ce qui a été enlevé et appartenant à la chapelle se trouvent les six chandeliers dont M. Malou a parlé, et sur lesquels il y a quelque chose d'écrit. M. de Mérode affirme qu'on y a gravé une inscription attestant que ces chandeliers ont été donnés par la famille de Mérode. En gravure, il n'y a absolument rien ; mais un homme, très maladroit même, a tracé avec un clou ou un mauvais poinçon les mots suivants : « Merode aen de sustert van S. J. G. » Ces trois initiales signifient Sint-Jans Gasthuys. Cette inscription est placée en un endroit caché, c'est moi-même qui l'ai découverte : or, si la famille de Mérode eût fait graver une inscription, on l'eût mise dans un endroit apparent, on eût gravé le comte et la comtesse de Mérode, etc. ; on y eût ajouté les armes de la famille. L'inscription qui existe a évidemment été mise après coup, et elle ne l'a pas été longtemps avant d'être vue par les administrateurs des hospices ; car on a pu s'en assurer par les caractères mêmes. Ces chandeliers ont été donnés à la chapelle de Saint-Jean et non aux sœurs, et celles-ci ne pouvaient pas les enlever.
J'ajoute, du reste, que si la gravure dont il est question eût été aussi complète que possible, ce ne serait pas encore une raison pour s'en prévaloir, pour s'en faire un titre de propriété. Je vais vous en donner la preuve, en vous indiquant des objets religieux portant le nom d'un aumônier et appartenant cependant aux hospices.
Sur une dénonciation adressée, il y a longtemps, au conseil général, une enquête eut lieu par MM. le baron Diert de Snellinck et de Page. Il en est résulté que les religieuses vendaient, deux fois la semaine, de grands pots de graisse au frère de l'une d'elles, demeurant rue des Alexiens. Celui-ci payait la valeur convenue à sa sœur.
Les religieuses ont avoué qu'elles vendaient la graisse superflue (comme s'il pouvait y avoir de la graisse de trop dans un hôpital) et que le montant avait été employé à l'achat d'ornements pour la chapelle ; elles ont communiqué deux quittances.
Parmi ces objets il y a un encensoir sur lequel les religieuses ont fait graver le nom de l'aumônier. Viendra-t on prétendre pour cela que celle pièce appartient à l'aumônier ? De telles prétentions ne sauraient être admises.
Le directeur de l'établissement a failli être renvoyé pour n'avoir pas su empêcher ces abus. M. Malou appellera sans doute ces ventes de graisse abus monstrueux ; mais dussé-je soulever de nouveau des réclamations de sa part, je dis, moi, que c'est encore un vol manifeste.
Je n'avance ici rien sans preuve, les pièces relatives à cette affaires sont dans les archives des hospices.
M. Malou, rapporteur. - Ce que l'honorable M. Thiéfry vient de dire, je l'avais déjà appris. C'est une des sœurs hospitalières qui me l'a dit, lorsque l'incident a eu lieu. L'honorable M. Thiéfry est venu vérifier l'inscription, et il a dit : On a ajouté cela après coup avec un canif.
M. le président. - L'honorable M. Rogier, à qui M. de Paul a cédé son tour de parole, désire ne parler que demain.
M. de Perceval. - Oui, à demain.
M. Dumortier. - La clôture !
M. Delfosse. - Je dois faire observer qu'après le discours de M. Orts, M. Malou a exprimé le désir de ne parler que le lendemain. Ce qui a été accordé à M. Malou doit également être accordé à M. Rogier.
M. Rogier. - Je ne demande pas de faveur pour moi. Si la Chambre l'exige, je parlerai immédiatement. Mais je dois vous prévenir que j'en ai pour une heure et demie ou deux heures. Mon discours serait donc scindé.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures.