(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 1553) M. Crombez fait l'appel nominal à une heure et un quart.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des détenus pour dettes demandent la révision des lois sur la contrainte par corps en matière commerciale. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner la proposition de loi relative à la détention pour dettes.
« L'administration communale et des habitants d'Ouffet prient la Chambre d'allouer au département des travaux publics un crédit pour améliorer le service de la poste dans l'arrondissement de Huy et demande l'établissement d'un bureau de perception dans l'une des communes sur la route de Huy à Hamoir et un bureau de distribution dans cette dernière commune. »
« Même demande d'habitants de Warzée, Hamoir et Seny. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Sart présente des observations sur la contribution imposée aux communes, pour les frais de surveillance et die régie de leurs bois et demande que la part à supporter par l'Etat soit augmentée à leur décharge, ou que l'administration et la surveillance des bois leur soient rendues. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Wavre prient la Chambre d'accueillir favorablement la pétition du conseil communal de cette ville, demandant l'exécution des lois de concession qui prescrivent la jonction à Wavre des chemins de fer de Manage et de Charleroi avec la ligne du Luxembourg. »
M. Lelièvre. - La réclamation des habitants de Wavre étant fondée sur des motifs et des documents irrécusables, j'appelle sur ce point l'attention de la commission et je prie le gouvernement d'accueillir une demande qui me paraît parfaitement fondée.
- La requête est renvoyée à la commission des pétitions.
« Les membres du tribunal et du parquet de Namur prient la Chambre d'adopter la proposition de loi portant augmentation du personnel de ce tribunal. »
M. Lelièvre. - J'appuie la pétition qui est fondée sur de graves motifs et je demande qu'elle soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner la proposition que j'ai déposée relativement à l'augmentation du personnel du tribunal de Namur. J'appelle l'attention du gouvernement sur la nécessité de prendre sans délai des mesures concernant l'insuffisance du personnel de certains tribunaux. Il est impossible de laisser les choses dans l'état où elles se trouvent actuellement.
- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.
« Les sieurs Quenon et Sainctelette, vice-président et secrétaire du comité houiller du Couchant de Mons, présentent des observations sur la question des péages sur le canal de Charleroi. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative aux péages sur le canal de Charleroi.
« Des habitants de Vremde demandent que les élections aux Chambres aient lieu dans la commune. »
« Même demande d'habitants de Waerloos, Stabroek, Wilmardonck, Contich, Pulle, Borsbeek, Floue et Si-Léonard. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, plusieurs fois, depuis le vote par la Chambre du crédit de 385,000 francs destiné à payer une partie des dépenses des fêtes de juillet, des fournisseurs se sont adressés à la questure afin d'obtenir le payement de sommes qui leur reviennent ; ils font valoir la perte qu'ils subissent chaque jour par le retard apporté dans la régularisation de cette affaire.
La questure n'ayant aucun moyen pour activer cette liquidation, nous avons l'honneur, l'honorable M. le baron de Sécus et moi, de prier M. le rapporteur de la section centrale de vouloir bien faire connaître a. la Chambre quand elle pourra être saisie de son rapport.
Nous prions en outre la Chambre de vouloir bien mettre ce rapport à l'ordre du jour entre les deux votes de la loi que nous discutons, en ce moment.
M. le président. - La section centrale n'a pas terminé son travail ; il lui faudra encore une séance ; elle sera convoquée la semaine prochaine.
M. de Baillet-Latour. - Nous prions M. le rapporteur de vouloir bien activer, autant que possible, cette affaire. Il y a des fournitures de si peu d'importance que, pour l'honneur du pays et de la Chambre, il faudrait prendre une décision sans retard.
M. Coomans, rapporteur. - Voilà la deuxième fois que l'honorable comte de Baillet semble vouloir me rendre responsable, du retard qu'éprouve le rapport dont il a parlé.
M. de Baillet-Latour. - Pas du tout.
M. Coomans. - Je ne puis répondre à l'honorable membre que ce que vient de dire notre honorable président. Il m'est impossible de faire le rapport avant que la section centrale ait terminé l'examen du projet. Il serait même inconvenant de ma part de fixer le jour où le rapport pourra être soumis à la Chambre. Je déclare, pour ma part, que le jour le plus rapproché me conviendra le mieux. Je n'en dirai pas davantage.
M. de Baillet-Latour. - Nous insistons pour que la section centrale veuille bien s'occuper de cette affaire le plus tôt possible. Il nous semble que cela ne peut pas soulever de grands débats ; aujourd'hui que la section centrale s'est occupée sérieusement de la question, il me semble qu'elle pourrait prendre une prompte décision de manière que le projet pût être mis à l'ordre du jour entre les deux votes de la loi qui nous occupe en ce moment.
M. le président. - La section centrale sera convoquée la semaine prochaine ; il est impossible de la réunir plus tôt.
M. Dumortier. - Messieurs, d'où viennent ces débats si animes, si passionnés, qui tiennent la Chambre en suspens depuis bientôt un mois ? D'où vient cette discussion qui n’a point d’exemple dans les annales de notre parlement pour sa durée et pour l’étendue des discours qui y ont été prononcés ? Cela tient, messieurs, à une cause unique, à la matière de nous avons à traiter et à ce que cette matière se rapporte aux intérêts religieux. Si nous avions à examiner une question politique, une question d'existence ministérielle, une de ces lois qui tiennent aux libertés des citoyens, oh ! il ne faudrait pas quatre semaines de discussion pour une matière semblable. Mais quand les intérêts religieux sont en jeu, quand ces intérêts si grands, cette question si palpitante, au milieu de la Belgique catholique, se présentent à nos débats, la discussion devient interminable ; il se trouve qu'on cherche en toutes choses à déverser le blâme sur le clergé, sur l'Eglise ; il se trouve qu'en dehors de cette Chambre surtout, on cherche à soulever les passions les plus mauvaises contre l'Eglise et le clergé.
Voilà la cause, l'unique cause des débats si longs, si passionnés, auxquels nous assistons ; c'est la lutte du rationalisme contre l'église et les œuvres de la foi.
Que nous sommes loin de 1830 ! de cette grande et majestueuse époque qui figurera à jamais dans les fastes de la patrie et où toutes les opinions venaient se fondre dans un sentiment commun, l'amour de la patrie et de la liberté.
C'était alors le règne de l'union, de cette union qui a constitué notre indépendance et qui l'a consolidée pendant un grand nombre d'années. On ne connaissait pas encore ces luttes contre l'Eglise ; on n'avait pas encore soupçonné ces envahissements du clergé, menaçant la tranquillité de l'Etat. Tous ces fantômes n'étaient pas encore évoqués. On cherchait alors à trouver dans l'ensemble des forces vives de la société le moyen de constituer sur une pierre angulaire l'indépendance nationale, la patrie, la liberté !
Mais depuis quelques années, et ici je parle avec une profonde douleur, car je suis un des vétérans de cette grande époque ; depuis quelques années, il est impossible de voir surgir, dans cette enceinte, une de ces questions si éminemment sociales, une de ces questions sur lesquelles tous étaient d'accord il y a 27 ans, il est impossible de voir surgir une de ces questions, sans provoquer des discussions interminables, des accusations passionnées, des accusations qui vont jusqu'à représenter une partie du pays, la partie nationale par excellence, comme conspirant ouvertement contre ces institutions auxquelles ceux qu'on accuse, ont si largement contribué, lorsqu'il s'est agi de les édifier.
D'où vient cette situation ? Elle provient de ceci : C'est qu'aujourd'hui, pour un parti politique, la liberté de l'Eglise est un mal et qu'il faudrait pouvoir arriver, par tous les moyens possibles, à la subordination de l'Eglise envers l'Etat. Or, un pareil système est le renversement complet de la base fondamentale de nos institutions ; c'est le renversement complet de notre existence sociale, c'est la porte ouverte à des catastrophes.
Messieurs, qu'est-ce qui a donné naissance à la loi que nous discutons ? que veut-elle ? quelle est sa signification ?
Je résume la loi en deux mots bien simples : le gouvernement sera-t-il autorisé, oui ou non, à refaire les testaments en matière de charité ? Voilà toute la loi ; tout le reste est une fantasmagorie en dehors de la loi, tout le reste ne tient pas dans la discussion. Le gouvernement sera-t-il autorisé à refaire les testaments ? Voilà toute la loi, voilà toute la discussion.
Il faut que vous le sachiez, et je m'en exprimerai sans détour, le projet dont il s'agit est loin de nous satisfaire : vous pouvez vous le rappeler, j'ai présenté sur la matière soumise à vos débats une disposition (page 1554) beaucoup plus large, une disposition fondée sur la liberté la plus absolue en matière de charité. Tout ce qui vient vinculer cette liberté, qui est celle de faire le bien, est pour moi regrettable ; cependant cette loi aura mon vote sur son ensemble, parce qu'il faut que le pays sorte de la position que l'interprétation vicieuse des lois anciennes a amenée.
La loi tout entière n'est rien autre chose que la question de savoir si le gouvernement a le pouvoir de refaire les testaments, en d'autres termes, si, lorsqu'un fondateur donne une charité aux pauvres, un bien aux pauvres à la condition de voir la distribution des revenus de ce bien confiée à la main qu'il a choisie, le gouvernement peut repousser la main choisie par le donateur et prendre celle dont il ne veut pas et qu'il repousse.
On parle de couvents, de captations, d'envahissement du clergé ; tout cela est en dehors de la question. Le projet de loi qui vous est soumis se résume en ces seuls mots : Le gouvernement a-t-il le droit de refaire les testaments en matière de charité ? Voilà toute la question.
A nos honorables adversaires qui ont voulu refaire, qui ont refait les testaments et qui font une opposition si vive à la loi, je dirai : Ayez le courage de formuler votre pensée ; ayez le courage d'amender le projet dans sa base et de proposer votre système, en disant : « Le gouvernement est autorisé à refaire les testaments en matière de charité. » Vous verrez si vous recevrez accueil dans cette Chambre et dans le pays.
Mais non, on déguise son jeu, on parle de nonnes, de capucins et de mille autres choses pour cacher la grande pensée de captation qui est au fond de ces débats ; on cherche à passionner le pays pour ne pas dire le fin mot qui dirige cette opposition ; or, le fin mot, le voici : Les catholiques font beaucoup de donations en faveur des pauvres, tandis que les rationalistes donnent fort peu, et nous voulons nous emparer des donations des catholiques pour en faire notre chose. Voilà le fin mot de ce système qui tend à tout rapporter à l'Etat, aux dépens de la liberté du citoyen.
Veuillez le remarquer, c'est la même chose en toute matière : écraser la liberté sous le poids du budget ; prendre les donations des autres pour se les appliquer à soi-même. C'est très commode, mais en justice on qualifie cela d'un mot en trois lettres.
Messieurs, la question réduite à sa simple expression est donc bien facile à saisir par la Chambre et par le pays. Le gouvernement a-t-il le droit, oui ou non, de refaire les testaments ? Je dirai qu'il a le droit d'accepter ou de rejeter le legs ; qu'il a, par voie de conséquence, le droit de le réduire : mais que ce n'est qu'en violation de tous les principes qu'on a pu, pendant une petite époque, s'arroger le droit d'accorder à autrui ce qui était donné à un autre, droit inique et odieux, s'il en fut jamais, et qui, dans ce pays si profondément imbu des sentiments du juste, a profondément révolté la conscience publique.
On nous a, messieurs, beaucoup parlé dans cette discussion des grands principes de 89. Pour moi qui suis Belge avant d'être étranger et qui connais quelque peu l'histoire de mon pays, je vous avoue que je n'ai jamais compris, comme Belge, qu'on fut aussi infatué des principes de 89. Certes, 89 a fourni à la France des libertés qu'elle n'avait pas ; mais, veuillez bien le remarquer, la Belgique n'était pas la France ; la Belgique n'était pas l'Allemagne ; la Belgique avait ses libertés.
Avant 1789 nous avions notre représentation nationale ; nous avions nos institutions libres ; nous avions nos états provinciaux, nos états généraux ; nous avions la joyeuse entrée dans le Brabant, cette joyeuse entrée dans laquelle le souverain déclarait délier de leurs serments tous les habitants, s'il voulait la violer.
Voilà ce qu'il ne faut pas oublier. Sauf la liberté de la presse, qui alors, je pense, n'existait nulle part, et qui, il faut en convenir, était fort peu de chose à l'époque où le journalisme commençait seulement à pointer, nous avions presque toutes les libertés dans notre pays.
Mais nous n'avions pas seulement des libertés ; nous avions aussi dans la plupart de nos provinces une véritable égalité. Ainsi dans les Flandres, depuis deux siècles, la noblesse avait été exclue comme corps dans l'Etat ; elle pouvait y figurer lorsqu'elle y arrivait par le mandat populaire ; mais elle n'y figurait pas comme droit ; et si dans d'autres de nos provinces, la noblesse figurait comme corps, dans le Brabant, par exemple, à côté de ce corps figurait le corps des métiers, la bourgeoisie, qui prenait directement part au vote des subsides, au vote des lois, à tous les votes et qui avait un pouvoir beaucoup plus grand, beaucoup plus actif qu'aujourd'hui, dans l'exercice des grands pouvoirs de l'Etat.
Ainsi il ne faut pas nous infatuer toujours de ces grands principes de 89, dans lesquels, je le reconnais, il y avait du bon, mais qui sont singulièrement voisins des principes de 90, de 91, de 92 et arrivent directement à 1793. J'aime beaucoup mieux, comme citoyen, comme patriote, reporter les regards vers les grands événements de mon pays, la patrie parle à mon cœur, et j'aime beaucoup mieux la consulter que l'étranger.
Mais, messieurs, c'est surtout en 1830 que nous devons chercher des exemples. Car qu'est-ce que 1830 ? C'est le principe de 1792 renversé. 1830, c'est d'abord le principe du réveil de la patrie, de l'indépendance nationale, lorsque le gouvernement étranger qui était venu s'emparer de notre territoire et établir chez nous la tyrannie fut foulé aux pieds.
Toutes les libertés que la Convention déniait à l'homme, nous les avons consacrées par la Constitution. Tandis qu'on voulait, dans un autre régime, asservir l'homme moral, la Constitution belge, seule en Europe, a donné au monde ce grand exemple de l'émancipation de l'homme moral. C'est là le grand acte de 1830 et il n'y a que la Belgique qui ait donné un pareil exemple à l'univers. Emancipation de l'homme moral ; c'est ce que nous avons proclamé en 1830, c'est la base de notre indépendance, de notre Constitution et c'est ce que nous voulons encore aujourd'hui ; tandis que nos adversaires veulent nous amener au monopole administratif, à l'asservissement de l'homme moral au pouvoir administratif, à ce régime administratif qui est pire que la tyrannie, car le tyran, vous savez le rencontrer ; le monopole administratif, vous ne savez le saisir nulle part.
On a parlé de 1789 à propos de la liberté religieuse, mais, comme je l'ai dit, 1790 est le père de 1792, et pour sortir de 1792, il a fallu une main de fer, il a fallu le régime du despotisme. Nous, au contraire, nous sommes sortis glorieux de 1830, nous en sommes sortis fiers, parce que nous en sommes sortis portant sur notre bannière : Liberté en tout et pour tous.
Maintenant, messieurs, que s'est-il passé au sujet de la loi qui nous occupe ? L'empire en 1809 avait fait quelque chose en faveur des œuvres de charité, et déjà à la chute de l’empire, à la chute de ce régime de fer qui pesait sur la Belgique, le roi Guillaume avait vu qu'il fallait émanciper l'homme moral, et dans sa première époque, il avait compris la nécessité de laisser à l'Eglise le rôle qu'elle doit jouer dans toute société bien organisée.
Où est l'origine des dispositions qui règlent encore aujourd'hui la matière ? Elle est, messieurs, dans le premier règlement des villes. C'est en 1817 que le roi Guillaume, dans les premiers règlements, a déclaré que l'on porterait respect aux volontés des fondateurs, quant aux administrateurs spéciaux. Et veuillez le remarquer, ces mêmes dispositions figurent encore dans les règlements de 1825. Il figure et dans le règlement des villes et dans le règlement du plat pays. Le règlement des villes porte, à l'article 68 : » Le conseil des villes nomme les membres des administrations des hospices publics et des établissements de charité privés, pour autant qu'il n'en a pas été décidé autrement parles actes de fondation.» Le règlement du plat pays porte, de son côté : « Le conseil communal, avec l'approbation des états, nomme les administrations des hospices et des établissements publics de charité, et l'administration générale des pauvres de la commune pour autant qu'il n'en ait pas été décidé autrement à cet égard par les actes de fondation. »
Ce n'était donc pas dans le Code civil que l'on devait trouver les dispositions qui réglaient la matière ; c'était dans les règlements des villes et du plat pays. Et pourquoi ? Parce que la charité avait toujours été considérée comme un intérêt communal et que la base de cette disposition se trouvait nécessairement dans la loi des communes. Or, veuillez le remarquer, les règlements des villes de 1825 faisaient partie intégrante de la loi fondamentale, en sorte que la liberté de la charité était devenue par là une maxime constitutionnelle pour le royaume des Pays-Bas.
Nous arrivons en 1830. Le Congrès national s'assemble. L'article sur les associations est mis en discussion.
Un honorable membre du Congrès, l'honorable M. Lebeau, a cru pouvoir tirer parti de la discussion de cet article pour prouver l'inconstitutionnalité de la loi. J'ai prié l'honorable membre de vouloir continuer la lecture qu'il faisait, ce dont il s'est bien gardé. Vous me permettrez de la continuer, cela ne sera pas long.
Indépendamment du paragraphe premier du projet de constitution qui forme l'article actuel de notre grande charte, trois autres paragraphes étaient proposés pour autoriser les couvents en général ; car, messieurs, remarquez-le bien, il ne s'agissait pas uniquement des établissements de charité, il s'agissait, dans les dispositions proposées, de tous les couvents, des moines, des capucins, des récollets, etc., de tous les couvents, de toutes les associations quelconques, soit religieuses, soit non religieuses. Evidemment le Congrès n'a pas voulu admettre une pareille disposition et il a fort bien fait de laisser ces associations dans le droit commun. Mais on objectait cependant les hospitalières, les établissements qui rendent des services civils à la société. La discussion se prolongea, et l'honorable M. Lebeau contribua surtout à faire écarter les trois dispositions dont je viens de parler, en proposant de laisser à la législature le soin de régler les garanties. Voici en quels termes il s'exprima :
« Je ferai remarquer, en outre, que les hospices sont des personnes civiles et cependant vous êtes obligés de faire une exception en leur faveur, de leur accorder des biens de mainmorte. Nous pouvons sans danger laisser à la législature le soin de prendre des précautions ; nous devons lui croire quelque bon sens. (Appuyé.) »
Tel est donc, messieurs, le motif pour lequel les trois paragraphes relatifs aux associations religieuses n'ont pas été admis : c'est qu'on a voulu laisser au législateur le soin de prendre des précautions. Eh bien, que fait-on par la loi actuelle ? On fait justement ce que l'honorable M. Lebeau voulait dans la séance du 5 février 1831, on fait justement ce qu'il voulait, on prend des précautions.
Ainsi, messieurs, loin de violer, comme on vous l'a dit, la Constitution, vous ne faites que mettre aujourd'hui à exécution la pensée de M. Lebeau, membre des plus distingués du Congrès national.
Maintenant est-il question ici des paragraphes rejetés ? Est-il question de donner l'autorisation de rétablir les couvents en Belgique comme autrefois, de leur permettre d'acquérir des terres dans telles et telles limites ? Il n'en est nullement question, votre loi se borne exclusivement aux établissements de charité, à ceux qui rendent à la société des services civils, rien de plus.
On comprenait tellement bien les choses à l'époque du Congrès, la (page 1555) distinction qu'il fallait établir entre les associations qui ne rendent point de services civils à la société et les associations qui lui rendent de semblables services, on comprenait tellement bien cette distinction que lorsque M. de Sauvage, ministre de l'intérieur sous M. Lebeau, chef du cabinet, vint présenter le projet de loi sur les municipalités, il proposa une disposition pour reconnaître aux fondateurs le droit d'établir des administrateurs spéciaux, tant on reconnaissait à cette époque la nécessité de protéger de par la loi les associations qui rendent des services civils à la société. Et veuillez remarquer, messieurs, que ces services civils sont quelque chose : si vous n'aviez pas toutes ces institutions qui rendent des services civils, où iriez-vous trouver l'argent pour les remplacer ? Où iriez-vous trouver les dévouements pour les remplacer ?
J'entends crier à chaque instant contre toutes ces institutions, et pourtant il y a une chose qui me frappe : si vous avez une fille, c'est au couvent que vous la mettez ; si vous avez un garçon, la plupart du temps, c'est aux jésuites que vous le placez. Et vous n'avez que des cris, que des réclamations contre ces mêmes couvents, où vous placez vos filles, où vous allez chercher vos femmes, contre ces mêmes couvents où vous placez vos garçons.
En 1830, messieurs, pourquoi était-on dans un pareil ordre d'idées ? C'est qu'on avait inscrit sur sa bannière ces mots sacrés que jamais on n'aurait dû perdre de vue, qui ne sont point inscrits dans la Constitution, mais qui ressortent de toutes ses pages : « Liberté en tout et pour tous.3
Les discussions commencèrent cependant sur la question de la liberté religieuse, et un honorable membre, l'honorable M. Defacqz qui, depuis, a rempli un grand rôle dont nous parlerons tout à l'heure, vint poser le principe que l'Etat devait primer et absorber le sentiment religieux.
Voilà, messieurs, le point de départ de la réaction contre la liberté religieuse.
Inutile de vous dire, messieurs, que cette pensée anti-nationale fut repoussée par la presque unanimité du Congrès.
Mais peu de jours après se fondait à Bruxelles un journal sous le titre de : l'Indépendant qui, dans son programme, écrivit ces lignes : « La maxime anarchique qui, dans le Congrès, trouve de nombreux partisans : Liberté en tout et pour tous, n'est pas notre devise. »
C'était là le point de départ d'une minorité qui, depuis, a continué toujours à développer ces malheureux principes repousses par le Congrès pour chercher à faire prévaloir la subordination de l'Eglise à l'Etat.
Au Congrès succéda la première législature. A peine l'inauguration du Roi eut-elle eu lieu que M. de Muelenaere, mon honorable ami, alors ministre de l'intérieur, nomma une commission pour formuler un projet de loi communale. Si ma mémoire ne m'est pas infidèle, plusieurs membres qui siègent encore dans cette Chambre faisaient partie de la commission nommée par M. de Muelenaere.
Je pense qu'elle comptait parmi ses membres l'honorable M. de Theux, l’honorable M. Lebeau, l'honorable M. Devaux, l'honorable M. Jullien.
On me cite encore MM. de Stassart, Beyts et Barthélémy. Presque tous les membres de la commission appartenaient donc à l'opinion libérale.
Or ces messieurs n'hésitèrent pas un seul instant à consacrer dans le projet de loi communale le principe du respect de la volonté des fondateurs, inscrit dans les anciens règlements ; tant il est vrai qu'on était éloigné de toute espèce d'arrière-pensée sur ce point, qu'on voulait la liberté large, la liberté pour les fondateurs en faveur des pauvres comme la liberté en toute autre matière, en un mot, la liberté en tout et pour tous.
C'est l'honorable M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, qui vint, dans la séance du 2 avril 1833, présenter le projet de loi communal où on lisait à l'article 79 les dispositions que voici :
« Le conseil communal nomme (…)
« 2° Les membres des administrations et hospices publics ou établissements de charité et de l'administration générale des pauvres, pour autant qu'il n'ait pas été décidé autrement par les actes de fondation. »
Tel était le projet de loi au sujet des fondations de charité.
Or, qui venait proposer cette disposition à la Chambre ? L'honorable M. Rogier lui-même, et qui siégeait avec lui dans le même cabinet ? L'honorable M. Lebeau.
Et ici je dois exprimer le regret que l'honorable M. Lebeau soit venu déclarer que les arrêtés qu'il avait signés à cette époque et qui rentrent dans la même pensée, il les avait signés parce que ses commis les avaient faits et les lui avaient présentés. En vérité, j'ai toujours cru et je crois encore l'honorable membre un homme trop considérable pour recevoir la loi de ses employés et pour n'être que le signataire de leurs actes, surtout dans une matière aussi importante. Il est évident, d'ailleurs, que l'honorable membre avait examiné la loi communale, cette loi politique par excellence...
M. Lebeau. - Elle n'existait pas.
M. Dumortier. - C'est sous votre ministère qu'elle a été présentée ; vous étiez ministre de la justice, quand l'honorable M. Rogier était ministre de l'intérieur ; vous avez examiné la loi en conseil des ministres ; le texte du projet porte en effet : sur l'avis de notre conseil des ministres. Ainsi, vous aviez examiné la loi, et vous saviez ce que vous faisiez quand vous contresigniez les arrêtés. Je regrette qu'un homme qui a joué un si grand rôle dans le pays consente à se rapetisser maintenant au rôle de signataire des actes de ses scribes pour échapper à la responsabilité d'arrêtés de fondation pris par lui et qui ne sont que la mise en pratique des principes qu'il proposait avec son collègue.
Je reviens à la loi communale. Cette charte constitutionnelle de nos communes donna lieu dans cette Chambre à de grandes et longues discussions. L'examen en section centrale fut long et pénible, et celui qui vous parle a eu l'honneur d'être le rapporteur de cette loi ; il en connaît tous les détails, l'esprit et le sens.
Quand nous eûmes examiné dans la section centrale l'article dont il s'agit, nous avions devant nous les procès-verbaux des sections ; et nous voulûmes conserver et fortifier encore, s'il était possible, les garanties données par les règlements du roi Guillaume, en matière de charité. Et ici permettez-moi de vous rappeler encore que les seconds règlements du roi Guillaume portés en 1825 faisaient partie de la loi fondamentale ; en sorte que la liberté de la charité qu'ils établissaient était bien plus qu'une loi, c'était une disposition constitutionnelle qu'on ne pouvait modifier qu'en assemblant les Chambres en nombre double.
Eh bien, c'est dans cette position, en présence de ces garanties devenues constitutionnelles que nous examinions la loi que nous avions à faire Nous voulûmes toujours, non seulement confirmer ce qui existait sous le gouvernement précédent, mais le fortifier, si c'était possible. La volonté des testateurs et le respect dû à cette volonté, telle était pour nous la règle souveraine.
Nous voulûmes dans la section centrale organiser ce système par deux dispositions, l'une relative aux personnes, l'autre relative aux choses. On n'a jamais cité que l'article relatif aux personnes, qui peut très bien être considéré comme la continuation des dispositions précédentes. Mais permettez-moi de vous lire à mon tour l'article relatif aux choses. Voici d'abord ce que porte le rapport de la section centrale à l’article 79 du projet, devenu l’article 84 de la loi et qui se rapporte aux administrateurs spéciaux : « le n°2° relatif aux établissements de charité a donné lieu aux observations dans plusieurs sections. Dans le vague de ses termes, la nomination des membres de tous les établissements de charité indistinctement serait confiée aux conseils de régence. D'accord avec les 4°, 5° et 6° sections, nous avons restreint ce droit aux membres des bureaux des hospices et de bienfaisance, sur les administrations fondées par la loi. Si, dans certains hospices, la volonté des fondateurs appelle certaines personnes pour les administrer, cette volonté, qui est la loi des établissements, sera toujours respectée comme sacrée. »
Messieurs, il est bien difficile d'exprimer la portée d'une disposition en termes plus clairs et plus significatifs, d'indiquer plus nettement la volonté de faire respecter les dispositions du donateur et d'empêcher le pouvoir de refaire les testaments pour violer ces dispositions.
Je sais qu'un honorable député de Namur, qui a ouvert cette discussion, a prétendu que dans ces mots : « Appeler certaines personnes », il n'était pas question d'autoriser les curés à faire partie de la distribution des charités que le testateur a confiées à ses soins ; les curés, dit-il, ne sont pas des personnes. J'avoue que j'ai été surpris d'entendre un homme aussi lucide que l'honorable M. Lelièvre considérer les curés comme des choses, nous ne l'avons jamais compris et nous ne le comprendrons jamais comme cela.
Le curé est une personne successive comme le bourgmestre, le ministre et tout autre fonctionnaire
Voyons maintenant ce qui est relatif aux choses. Après avoir maintenu les dispositions des Pays-Bas au sujet des personnes et, arrivés à l'article 90 du projet qui est devenu l'article 91 de la loi communale, nous avions ajouté l'amendement que voici :
« Le collège des bourgmestre et échevins veille à ce qu'ils (les hospices, etc.) ne s'écartent pas des volontés des testateurs. »
Et voici en quels termes la section centrale justifiait cet amendement :
« Dans beaucoup de communes, sous prétexte d'améliorations à apporter aux établissements de charité, on a souvent méprisé les volontés des testateurs qui sont la loi des établissements. La section centrale réprouve hautement ce système ; elle pense qu'il faut en écarter la possibilité en établissant les régences elles-mêmes gardiennes de la volonté des testateurs. »
Et tel était le respect qu'on professait, alors pour la liberté de la charité, que le rapport ajoute :
« L'article du gouvernement étend la disposition (de surveillance) à tous les établissements qui reçoivent des subsides de la caisse municipale. La section centrale a craint que cette mesure n'allât trop loin et elle vous en propose la suppression, attendu qu'il s'agirait souvent, non seulement d’établissements publics, mais aussi d’établissements particuliers. Il ne faut pas que, pour le plus insignifiant subside, l'autorité communale puisse s'emparer de la direction des établissements indépendants. »
Ainsi, là, non seulement nous maintenions ce qui existait, mais nous le fortifions encore ; nous voulions qu'en toutes choses la volonté des donateurs fût respectée, qu'elle fût la loi des établissements. Il peut (page 1556) être commode, mais il est souverainement injuste, de prendre, après la mort du testateur, ce que celui-ci a donné aux personnes de sa confiance ; de lui prendre pour en gratifier ceux qu’il a voulu repousser et dont il se défiait. Mais c'est indigne, c'est spéculer sur la mort du bienfaiteur de l'humanité. Ah ! si le mort pouvait revenir, que ferait-il ? Il reviendrait sur son legs, et vous n'en auriez rien. Mais vous attendez qu'il soit mort, qu'il ne soit plus là pour donner son bien à d'autres ; et vous appelez cela de la justice ! Pour nous, respect de la volonté des testateurs, voilà la base de toutes les dispositions en matière de charité, et vous voyez que nous maintenions ce respect non seulement vis-à-vis des personnes, mais aussi vis-à-vis des choses ; que nous confirmions la législation des Pays-Bas en le fortifiant pour l'avenir.
Des discussions eurent lieu lors des deux votes de la loi. Dans la première discussion, l'honorable M. Gendebien souleva quelques difficultés et puis il annonça qu'il ne présenterait pas d'amendement à l'article en question, mais qu'il en présenterait à l'article 90.
L'article 90 fut voté sans que l'honorable membre eût présenté l'amendement qu'il avait annoncé, il fut voté par assis et levé sans que personne eût dit un mot contre cette disposition, tant toute la chambre était unanime à vouloir le respect aux dernières volontés des testateurs.
Quant à l'article 84 relatif aux personnes, c'est moi qui eus l'honneur de présenter la disposition relative aux administrateurs spéciaux, il y eut discussion sur ce point, un sous-amendement fut présenté, mais il fut retiré par son auteur, de sorte que je puis dire qu'il a été voté à l'unanimité.
Au second vote M. Jullien vint présenter des objections et M. Pollénus proposa un amendement. Aux objections de M. Jullien il fut répondu ; comme à l'amendement de M. Pollénus, le rapporteur de la section centrale répondit que cet amendement ne pouvait pas être admis parce qu'il ne concernait que le passé et que nous voulions faire la loi et pour le passé et pour l'avenir.
M. Rogier. - Ainsi interprétée, la loi serait stupide.
M. Dumortier. - C'est dire que l’arrêt de la cour de cassation est stupide. Cet arrêt est tellement juste, tellement en harmonie avec ce que la Chambre a fait et voulu faire, que toutes les mesures prises par les divers ministères qui se sont succédé et la lettre de l'honorable contradicteur lui-même en 1847 sont entachées de la même stupidité. L'expression, soit dit en passant, est peu convenable adressée à la cour de cassation.
M. Rogier. - Je dis qu'interprétée comme elle l'est par vous la loi serait stupide.
M. Dumortier. - Je n'interprète pas, je me borne à exposer les faits. Je conçois qu'ils vous gênent, mais je ne puis accepter cette accusation de stupidité. Voilà, messieurs, comment les choses se sont passées au sujet des dispositions relatives à la charité. Evidemment il y avait dans cette disposition comme dans les règlements du roi Guillaume une modification apportée au système du Code français. Pour moi, qui n'ai pas l'honneur d'être avocat, et pour beaucoup de membres de cette assemblée qui ont la même infirmité, nous n'avons pas plus de respect pour le Code que pour les autres lois de l'Etat ; le Code ne fait pas partie de la Constitution ; quand nous le trouvons convenable, nous y apportons des modifications. Les avocats, au contraire, occupés incessamment du Code, lui attribuent trop souvent une autorité supérieure, c'est là ce qui a été cause de l'erreur primitive de quelques jurisconsultes dont M. le ministre de la justice vous a communiqué les avis Des ministres de la justice qui n'avaient pas siégé dans la Chambre, lors de la discussion de la loi communale ou qui l'avaient perdue de vue, croyaient, en arrivant au pouvoir, devoir appliquer les dispositions du Code ; mais un autre ministre, qui avait pris part à la discussion de la loi communale, le ministre de l'intérieur, dont le Code quotidien est la charte des communes, présentait des observations résultant de cette loi, et son collègue, mieux informé, changeait d'avis. Voilà le secret des variations dont on vous a parlé, qui sont toutes un hommage rendu au principe inscrit dans la loi communale.
Les choses se passèrent ainsi pendant dix-sept ans. A cette époque eut lieu un congrès qui n'était pas le congrès national, tant s'en faut, mais qui prit le titre de congrès libéral. Réunion de parti sans responsabilité, sans élection, sans mandat du peuple, ce congrès voulut refaire la Constitution et placer une constitution nouvelle a côté de l'ancienne. On a beaucoup parlé des attaques à la Constitution. Pour moi je n'en ai jamais vu de pareille ; difficilement on en imaginerait une égale à celle d'une assemblée, se constituant dans la capitale à côté de l'assemblée nationale, voulant dicter ses lois aux élus du pays et rappelant les luttes de la commune aux plus mauvais jours de la révolution française. Chose remarquable, ce congrès libéral ne prononça pas un seul mot des griefs prétendus sur la charité, dont on a fait depuis un si grand fantôme. Cependant lorsqu'il tenait sa séance le 14 juin 1846, depuis seize ans on n'avait pas cessé d'appliquer la loi dans le même sens, toujours les ministères qui se succédaient autorisaient des fondations de charité avec des administrateurs spéciaux ; or le congrès libéral ne dit pas un mot de ce grand grief, de ce grand fantôme, de cette énormité dans l'application de la loi sur la Charité ; il n'en fut pas question, cependant c'étaient des avocats qui siégeaient à ce congrès.
Ce qui fut décrété dans le congrès libéral, c'est un programme qui depuis est devenu celui de la politique nouvelle demandant la réforme électorale et nous l'avons eue ; l'abaissement successif du cens jusqu'à la limite fixée par la Constitution, nous l'avons eu ; l'adjonction des capacités, elle n'a pas été nécessaire parce qu'on avait abaissé le cent jusqu'à la limite constitutionnelle ; l'indépendance du pouvoir civil qui n'a jamais été en danger, c'était le grand cheval de bataille de l'époque comme les couvents le sont aujourd'hui ; puis l'organisation de l’enseignement à tous les degrés sous la direction exclusive de l'autorité civile en donnant au gouvernement les moyens constitutionnels de soutenir la 'concurrence contre les établissements privés (vous le voyez, pour soutenir la concurrence contre la liberté) et en repoussant l’intervention des ministres des cultes à titre d'autorité dans les établissements de l'Etat.
Ainsi l'organisation d'établissements d'enseignement à tous les degrés sous la direction exclusive de l'Etat, avec des moyens de soutenir la concurrence contre les établissements privés et en repoussant les ministres des cultes. Voyez la violence de ces maximes.
M. Verhaegen. - Il y a encore un article.
M. Dumortier - Je le lirai volontiers. Il y a encore l'augmentation de la représentation nationale, à raison d'un député par 40 mille habitants et un sénateur par 80 mille ; enfin les améliorations que réclame la situation des classes ouvrières et indigentes. Or, ces améliorations, l'honorable membre qui m'interrompt nous en a souvent parlé à cette époque, c'était le droit au travail. De la charité privée, il n'est pas dit un mot. Cependant si vous aviez eu des griefs à faire valoir alors à raison de la charité et des fondations en faveur des pauvres, vous seriez venus le dire, vous n'en avez jamais dit un mot, il a fallu la politique nouvelle, le microscope de MM. Frère et de Haussy pour vous faire découvrir ce grand grief. Le congrès libéral n'était d'ailleurs pas favorable aux libertés constitutionnelles de l'Eglise, puisque, sur la proposition de M. Forgeur, appuyée par M. Frère, il y avait le vœu qu'il fût donné au clergé une constitution civile. Vous le voyez, messieurs, dans cette assemblée révolutionnaire on était parti de 1789 et déjà on était arrivé à 1790 ; c'était le renversement de la Constitution, la destruction de la loi électorale du Congrès national ; le clergé repoussé des écoles publiques, en un mot, c'était la contre-révolution.
Peu après, le ministère du 12 août fut appelé aux affaires. Ce ministère, dans son programme, vint annoncera la Belgique qu'il allait introduire une politique nouvelle. Qu'est-ce que ce pouvait être ? Depuis dix-sept ans, la Belgique n'avait suivi qu'une seule et unique politique, celle du Congrès national. La politique nouvelle ce serait sans doute la politique du prétendu congrès libéral. En effet, nous avons vu que toutes les propositions du prétendu congrès libéral furent transformées en lois.
Ah ! elle fut nouvelle pour la Belgique régénérée, cette politique de la contre-révolution, mais elle était bien vieille, puisqu'elle était empruntée aux plus mauvais temps, qu'elle reposait sur les plus mauvaises passions de l'homme et du citoyen, la guerre à la civilisation chrétienne.
C'est alors que commence tout un système contre la pensée religieuse, contre l'Eglise en Belgique. Vous avez pris pour devise : guerre à la pensée religieuse, guerre à l'Eglise. C'est ce système haineux qui a fait votre faiblesse, qui vous a fait tomber. C'est ce système qui a suscité contre vous une opposition très vive, parce que les personnes attachées à leurs idées religieuses ne pouvaient soutenir un ministère qui voulait l'oppression de la pensée religieuse. Au ministère de la justice, sous toutes les faces, il y fut porté atteinte.
La question de la propriété des cimetières que la cour de cassation avait résolue en faveur du clergé fut soulevée de nouveau et déniée, les biens des fabriques d'église furent recherchés comme aux plus mauvais jours et ces fabriques furent, contrairement aux décrets, déclarées inhabiles à acquérir des immeubles. On alla jusqu'à interdire aux fabriciens de se réunir plus de quatre fois par an ; on s'occupa du clerc et de sonnerie. On adopta un système de tracasseries, de vexations, je dirais presque de persécutions contre l'Eglise. Et tout cela se faisait au nom du libéralisme !
Mais les deux grandes questions, le double but que se proposait avant tout le cabinet fut de renverser l'action religieuse sous le double point de vue de l'enseignement et de la charité. L'Eglise, dans sa haute mission sociale, a deux moyens de contribuer à la civilisation du peuple, l'instruction et la charité.
Et ces deux moyens, le Congrès national en les déclarant indépendant» et libres, en émancipant et l'Eglise et l'homme moral n'avait pas hésité par là à faire un appel au dévouement du clergé qui devait les développer pour le bonheur du peuple, pour la prospérité et l'avenir du pays.
D'abord pour l'instruction secondaire, on vint présenter un projet de loi qui, de l'aveu du ministère, dans l’exposé des motifs, tend à établir la concurrence contre la liberté, ainsi que le programme du congre» libéral l'avait déclaré.
On voulut même toucher à la loi sur l'institution primaire, à cette loi qui n'avait été repoussée dans cette enceinte que par trois personnes. On voulut y toucher. Mais la partie la plus sage, la plus raisonnable, la plus modérée du parti libéral se sépara du ministère, et déclara qu'il ne le suivrait pas sur ce terrain.
L'honorable M. Frère en a fait un jour l'aveu. Sur mon interpellation il a déclaré qu'il n'avait pas proposé la révision de la loi sur l'instruction primaire, parce que son propre parti n’avait pas voulu le suivre.
(page 1557) Dans la question de la charité, l'on trouva bon de répudier tous les précédents de dix-sept ans, toutes les dispositions de la loi communale, si claires, si évidentes, pour arriver à refaire les testaments.
Voilà quel fut tout le système dont on parle tant. (Interruption.)
Vous pouvez faire semblant de rire. Mais vous savez en fin de compte que c'est la vérité. Vous avez pris sur vous, en violation de la loi, de vous substituer au testateur et de refaire les testaments. Je n'en citerai pour preuve que votre premier acte.
Le curé Lauwers donne par son testament une somme de cent mille francs aux pauvres de Bruxelles avec la condition qu'ils seraient distribués par les curés ses confrères. Cette somme provenait d'une restitution déposée entre ses mains pour être distribuée aux pauvres. Remarquez qu'il ne s'agit pas de mainmorte, d'amortir des biens, de fonder des établissements de charité ; il s'agit purement et simplement d'une distribution à faire aux pauvres de la capitale. Que fait la politique nouvelle ? Elle annule le testament, elle enlève aux curés ce qui leur était donné par le testateur, elle le donne aux hospices.
- Plusieurs membres. - Au bureau de bienfaisance.
M. Dumortier. - C'est la même chose : à Bruxelles, vous n'avez qu'une seule institution. La politique nouvelle substitue la main de l'administration, la main de glace de l'administration à la main chaude pour les pauvres, à laquelle le défunt avait confié cette mission. Comment ! vous donnez a l'un ce qui était donné à l'autre, et vous dites que vous respectez les testaments !
M. Tesch. - C'était donné aux pauvres et c'est allé aux pauvres.
M. Dumortier. - Quand je donne pour être distribué par un tel, vous n'avez pas le droit de substituer votre volonté à la mienne. C'est une violation de tous les principes. Dans aucun pays du monde, on n’avait vu un pareil scandale. C'était la plus inique violation des volontés du mourant. C'est substituer votre main, dont il ne veut pas, à la main que le testateur a choisie pour distribuer son aumône ; c'est vous donner le droit inique, odieux, illégal de refaire les testaments, de substituer votre volonté à celle du mourant.
Mais ce n'est pas tout. Il fallait refaire le testament sur tous les points. Le curé avait donné une somme qui ne lui appartenait pas, une somme provenant de restitution. Il l'avait donnée aux curés ses confrères pour être distribuée par eux aux pauvres. Que fait M. de Haussy ? Il refait une seconde fois le testament, et constitue une mainmorte. Il décide que les cent mille francs seront placés d'une manière à déterminer, et que le revenu sera distribué aux pauvres par les mains du bureau de bienfaisance. Ainsi, violation des volontés du testateur dans le choix des personnes qu'il avait désignées pour son aumône, violation de ces volontés en constituant en mainmorte ce qui devait être distribué aux pauvres.
Vous dites que vous n'avez pas refait le testament. Mais vous avez substitué votre volonté à celle du testateur. Vous n'avez jamais fait autre chose ; tous vos actes sont des violations impies des testaments. C'est là ce qui a causé de l'irritation dans le pays. C'est là ce qui vous a fait tomber.
Maintenant, vous vous demandez pourquoi l'on est venu présenter le projet de loi. Mais précisément parce que vous n'avez tenu aucun compte des lois existantes, parce que vous avez audacieusement violé ces lois, que vous avez créé un système tel, qu'il faut bien que ceux qui veulent que la volonté du mourant soit une chose sacrée arrivent à la solution du procès.
Si vous n'aviez pas passé par les affaires, pour le malheur du pays...
M. Tesch. - Allons donc !
M. Dumortier. - Oui, M. Tesch, tout à l'heure vous aurez votre tour, si vous n'aviez pas passé par les affaires pour le malheur du pays, il est évident que la loi actuelle n'aurait pas été faite. La loi communale et ses dispositions suffisaient au bien du pays. C'est parce que la loi a été violée pendant sept ans, qu'il a fallu impérieusement arriver avec des dispositions nouvelles, avec la loi qui nous occupe.
Ce que voulait la politique nouvelle par ce régime, c'était fonder en faveur de la charité légale un véritable monopole. On parle toujours des mainmortes à propos de la charité libre ; mais vous pouvez donner, constituer des mainmortes tant que vous voudrez, si c'est au profit de la charité légale, alors personne ne dira rien ; quelque considérables que soient les dons, tant que vous ne donnerez qu'à la charité légale, il n'y aura pas de mainmorte pour nos adversaires. On ne dira pas que le pays s appauvrira par l'immobilisation des biens, lorsqu'il s'agira de donner aux bureaux de bienfaisance. Mats si vous avez le malheur de donner à la liberté, à cette charité qui compatit avec l'infortune et qui soigne les plaies de l’âme avec celles du corps, oh ! alors on crie haro ! c'est l'appauvrissement du pays, c'est la mainmorte et toutes les calamités qu'elle traîne à sa suite.
Vous avez donc deux langages et tous vos cris ne sont qu'une véritable fantasmagorie.
Que devient l'argument de la mainmorte, en présence de ce raisonnement ? Ce que vous approuvez en faveur de la charité légale, vous le proclamez mauvais pour la charité libre. Il en résulte une seule chose, c'est que vous voulez avoir le monopole de la charité.
Le monopole de la charité, voilà ce que vous voulez, voilà la cause, l'unique cause de ces débats. Or, tout monopole est odieux, réprouvé par nos lois, réprouvé par vos propres principes d'économie politique, mais lorsqu'il s'agit de faire la guerre à l'Eglise, les principes que l'on proclame, on les écarte, afin de pouvoir s'emparer du bien d'autrui.
Or, qui est-ce qui, en définitive, fait d'ordinaire le plus de donations aux pauvres ? Sont-ce les rationalistes ? Mais vous ne l'ignorez pas ; ce sont les personnes qui, animées d'une foi vive, font des sacrifices pour une autre vie et ces personnes sont dans les rangs du parti catholique.
Vous voulez bien qu'elles donnent aux pauvres, vous appelez leurs donations ; vous en seriez même fort enchantés ; mais à la condition que ce soit entre vos mains qu'on donne ; à la condition que vous puissiez prendre leur bien pour les appliquer par vous-mêmes. Voilà toute l'opposition à la loi ; c'est là toute la discussion. Vous voulez refaire les testaments comme vous les avez refaits, et nous, nous voulons que chacun ait le droit légitime de donner son bien à qui il veut, de confier la collation de ses aumônes à la personne en qui il a confiance.
M. Frère-Orban. - Votre projet ne dit pas cela.
M. Dumortier. - On viendra nous dire que nous avons la liberté de donner comme nous voulons. Vous voulez bien nous donner ce que vous ne pouvez empêcher, la faculté de faire l'aumône. Car vous ne sauriez l'empêcher. Mais l'aumône et la charité sont deux choses distinctes pour vous autres, rationalistes, la bienfaisance se réduit souvent à une simple question de police sociale ; on donne au pauvre par peur du pauvre. La charité chrétienne, au contraire, donne au pauvre par amour du pauvre, et au pain matériel elle ajoute le pain de l'âme. Ce sont là deux principes opposés, et dès lors est-il juste que l'argent que les catholiques donnent en vertu de leur principe soit détourné de sa situation pour s'en aller mettre en action un principe contraire ? Si vous voulez faire prévaloir votre principe rationaliste, faites comme les catholiques, donnez aux pauvres et donnez largement, mais ne venez pas vous emparer des biens des catholiques pour les appliquer à vos principes ; c'est un détournement odieux.
C'est, messieurs, dans cet état de choses qu'une réaction s'opéra contre le ministère de 1847. Et en effet ce ministère poussait les choses tellement loin, il était tellement extrême dans l'ordre de ses idées que l'on allait jusqu'à menacer l'existence des institutions les plus utiles à la société ; ces institutions qui ont été l'objet de l'admiration des protestants et des Grecs sous les murs de Sébastopol.
Voyons, messieurs, ce qu'écrivait à ce sujet M. de Haussy, après avoir posé ces principes dans la circulaire de 1849 ; voici ce qu'écrivait M. de Haussy le 14 mai 1850. J'ai déjà eu l'honneur, il y a six ans, de vous donner lecture de cette pièce tenue fort secrète et qui ne figure pas dans le recueil administratif que voici. J'en donnerai de nouveau lecture, parce qu'elle dévoilera toute la conduite de cette politique dont on a fait tant de tapage et à laquelle on veut donner tant d'éloges en matière de charité C'est une circulaire adressée aux diverses députations permanentes du pays.
M. Frère-Orban. - Une circulaire mystérieuse.
M. Dumortier. - J'ai dit que votre collègue ne l'avait pas insérée dans le recueil des circulaires et probablement pour cause. Elle n'y est pas.
« Par ma circulaire du 17 avril dernier, n. 6814, j'ai eu l'honneur de vous prier de vouloir bien me faire parvenir, avant le 15 de ce mois, différents documents, et votre avis ainsi que celui du chef diocésain sur les améliorations à apporter à la législation concernant les fabriques d'église.
« Une autre législation qui réclame des améliorations, est celle des associations hospitalières régies par le décret du 18 février 1809.
« Vous n'ignorez pas, messieurs, que différents arrêtés du gouvernement des Pays-Bas, et du gouvernement belge, ont reconnu des statuts d'associations dont le but dépasse le cadre tracé par les décrets précités, et que d'après les arrêts de la Cour d'appel de Bruxelles, des 3 et 14 août 1846, et de la Cour de cassation du 11 mars 1848, ces associations ne peuvent jouir des avantages de la personnification civile. »
Vous voyez, messieurs, qu'il s'agissait des associations hospitalières reconnues soit sous le gouvernement français, soit sous le roi Guillaume, soit sous tous les ministères qui avaient précédé la politique nouvelle.
M. Rogier. - Et les arrêts nouveaux ?
M. Coomans. - Vous n'y croyez pas, aux arrêts.
M. Dumortier. - Les arrêts ! vous venez de les déclarer stupides.
Je continue.
« Je vous prie, messieurs, de vouloir bien me faire connaître, avant le 15 juin prochain, votre avis ainsi que celui du chef diocésain :
« 1° Sur les modifications et améliorations à introduire dans la législation concernant les associations hospitalières et spécialement en ce qui concerne le but exact de leur mission, leurs rapports avec les commissions administratives des hospices ou les bureaux de bienfaisance, la comptabilité, etc., etc.
« 2° Sur le meilleur mode de régularisation des associations dont les statuts excéderaient les limites du décret du 18 février 1809 et celles qui seraient tracées par la nouvelle loi ;
« 3° Sur les mesures transitoires à prendre, quant aux personnes et quant aux biens, à l'égard des mêmes associations et dont les membres préféreraient renoncer à la personnification civile. »
Voilà, messieurs, une circulaire digne des plus mauvais temps ; une circulaire dans laquelle on ne cachait pas cette pensée d'expulser les religieuses reconnues de leurs couvents, de s'emparer de leurs biens, si elles ne se soumettent pas aux exigences du gouvernement.
M. Verhaegen. - A la loi.
(page 1558) M. Dumortier. - La loi, c'est la loi communale. Et veuillez remarquer quelles étaient les personnes qui étaient menacées de la sorte. C'étaient précisément ces anges de vertu, ces hospitalières qui se dévouent aux pauvres, ces femmes admirables qui sont au chevet des malades pour les guérir, qui sont au chevet des malades pour les aider à bien mourir ; ces femmes dont la main n'est jamais de glace, quand il s'agit d'une infortune, dont le cœur est toujours compatissant lorsqu'il y a du bien à faire. Eh bien, c'étaient ces femmes, ces anges de vertu que vous vouliez expulser, si elles ne se soumettaient pas à votre régime absolu.
Voilà, messieurs, un acte d'une gravité extraordinaire.
Jamais, non jamais le pays n'avait eu l'exemple, sauf sous la Convention, d'un aussi odieux fanatisme, d'une aussi scandaleuse persécution qui ne mettait même pas la vertu la plus pure, la plus dévouée, la plus admirée, à l'abri d'une haine froide contre tout ce qui se rapporte au sentiment religieux. Et voilà le régime que vous voudriez aujourd'hui rétablir, voilà le mobile de la passion que vous apportez à faire rejeter cette loi.
Et quand vous agissez ainsi, sur qui donc frappez-vous ? Sur le peuple, sur le pauvre, à qui vous voulez enlever les consolations des anges qui l'entourent à son chevet de douleur, pour le laisser mourir entouré de mercenaires.
Voilà, messieurs, dans tout son jour, le système de la politique nouvelle, de cette politique qui voulait, disait-elle, régénérer le pays, mais qui venait saper par sa base tout ce qu'il y a au monde de plus sacré, le droit de faire le bien, de donner au pauvre, de consoler le pauvre, de le soigner dans son infortune. Voilà ce qu'elle voulait ! On vous l'a dit, ce qu'on voulait, c'était d'arriver à la sécularisation de la charité, et cette sécularisation de la charité, qu'est-ce que c'est ? Mais c'est le monopole. Oui ! c'est le monopole que vous voulez, vous voulez bien que nous donnions, pourvu que vous vous empariez de nos dons.
Mais c'est un odieux monopole. Nous, au contraire, ce que nous défendons est-ce la destruction des établissements laïques ? Eh ! mon Dieu non, ce que nous défendrons toujours, c'est la liberté de faire le bien, et c'est dans ce but que j'ai proposé à la Chambre de décréter la liberté de la charité, c'est dans ce but que j'ai proposé d'écrire dans la loi ces mots : « La charité est libre.» Et elle le sera sans vous et malgré vous.
Et vous vous étonnez que le pays se soit ému de vos projets ! Mais, l'avez-vous oublié ? l'émotion a été tellement grande, que vous avez dû vous défaire du ministre qui avait signé ces actes. Vous-même, vous sentiez si bien l'impopularité immense qui s'attachait à son nom et vous avez dû eu purger votre ministère.
Ah ! je sais bien que l'honorable M. Frère voulait établir hier une distinction subtile, au point de vue de la liberté de la charité : on est libre, selon lui, quand on peut donner au gouvernement ; mais sa liberté à lui, c'est la liberté de faire l'aumône, parce qu'on ne peut pas l'empêcher ; mais sa liberté consiste à empêcher de donner à qui l'on veut pour les pauvres. C'est justement ce que le pays entier a repoussé, c'est justement pour cela que chaque année vous avez perdu du terrain. Quand vous êtes arrivés au pouvoir, vous n'aviez qu'une faible majorité pour vous maintenir, vous avez dû recourir à une mesure exceptionnelle, vous avez dû recourir à la dissolution des conseils communaux. Et vous avez fait cette dissolution dans quel moment ? Lorsque vous teniez la nomination des bourgmestres et échevins comme une épée suspendue sur la tête des autorités communales. Alors le parti catholique s'est trouvé réduit à n'être plus qu'à dix-sept membres. Vous avez obtenu alors une Chambre introuvable que vous n'aurez plus jamais puisqu'elle sortait d'une espèce de coup d'Etat. Eh bien, cette majorité s'est successivement réduite, dès les premières élections qui ont suivi vos mesures contre la charité.
Vous avez vu, malgré tous vos efforts, malgré une pression inouïe, tomber onze membres de la majorité, et chaque fois qu'il y a eu de nouvelles élections vous avez été vaincus par le peuple. Et quand vous avez dissous le Sénat une majorité de 70,000 électeurs s'est prononcée contre vous.
Mais, nous dit-on, un projet de loi conciliant et modéré a été présenté par le ministère précédent, pourquoi ne l'avez-vous pas maintenu ? Pourquoi ? Mais par un motif bien simple, c'est qu'aucun de vous n'en a voulu.
A l'exception de l'honorable M. de Brouckere qui l'a présenté, aucun de ceux qui font aujourd'hui un si grand éloge de ce projet, n'en a voulu lorsqu'il était soumis à la Chambre. Vous l'avez repoussé dans les sections, vous l'avez repoussé dans la section centrale, ce projet de loi que vous appelez aujourd'hui conciliant el modéré. La base du projet de M. de Brouckere était la présence d'un membre du clergé dans le bureau de bienfaisance, et tous, unanimement vous avez repoussé cette disposition. Et vous venez maintenant faire l'éloge de ce projet ! Mais véritablement, messieurs, soyez sérieux, ne venez pas faire l'éloge, aujourd'hui, d'un projet que vous avez tué.
M. Frère-Orban. - C'est sans doute pour vous faire plaisir qu'on l'a retiré.
M. Dumortier. - Je ne suis pas dans les confidences du ministère, mais ce que je sais fort bien, c'est qu’il était difficile au ministère de maintenir un projet de loi dont personne ne voulait.
Si vous en voulez de ce projet, représentez-le ; mais vous vous garderez bien de le reproduire, parce que vous n'en voulez pas, et que l'éloge que vous en faites est une arme de guerre avec toutes les autres.
Aucun de vous n'ignore que l'article dont je viens de parler était la base de toute la loi, l'honorable M. de Brouckere lui-même vous l'a dit. Or, cet article vous l'avez tous repoussé.
Ah ! je le conçois, vous auriez voulu de la loi, le jour où elle n'aurait plus offert aucune garantie à l'opinion catholique ; mais ce n'est plus là le projet tel que M. de Brouckere l'avait présenté, ce n'est plus là le projet dont vous faites l'éloge.
Quant à moi, je dois le dire, ce projet de loi, en beaucoup de choses, me donnait satisfaction ; mais je conçois que le ministère l'ait retiré puisque vous n'en vouliez à aucun prix.
M. Vandenpeereboom. - On peut le présenter comme amendement.
M. Dumortier. - C'est à ceux qui en font un si grand éloge à le reproduire.
Messieurs, comment et à quelle époque cette question a-t-elle pris de telles proportions ? Sous l'impression de quelle opinion est-elle devenue une arme de guerre ? Puisque l'honorable M. Frère, dans la séance d'hier, en énumérant les forces du parti catholique, a dit que ce parti avait une franc-maçonnerie, la société de St-Vincent-de-Paul, il me permettra de dire quelques mots de l'autre franc-maçonnerie et de montrer l'action maçonnique en cette circonstance. Je tiens en mains le « tracé des travaux de la grande fête solsticiale célébrée par le Grand Orient de la Belgique le 24ème jour du 4ème mois de la vraie lumière 5854 », ce qui veut dire en langage humain en 1854.
Messieurs, c'est dans cette réunion que je vois poindre pour la première fois le système qui est si vivement développé devant nous par nos honorables adversaires. L'orateur du Grand-Orient, le frère Bourlard vient parler de ce qu'il faut que la maçonnerie fasse. Il en présente le programme, dans son discours, je lis notamment ce qui suit :
« Lorsque bientôt les ministres (MM de Brouckere et Faider) viendront apporter au parlement l'organisation de la charité, à moi, maçon, à moi la question de la charité publique, pour que l'administration de la bienfaisance ne passe pas à des mains indignes, à des mains qui la feraient tourner contre le travail, contre le labeur auquel nous nous livrerons sans relâche. A nous donc l'organisation de la charité, méditée, élaborée, travaillée par nos convictions et nos intelligences. (Bravos prolongés.) »
Voilà le système qu'on veut introduire ici, et lorsque le frère Bourlard, orateur du Grand Orient, parle de ces institutions si admirables qui sont l'exemple du plus beau dévouement aux pauvres et aux malheureux, l’orateur s'exprime ainsi :
« Je dis que nous avons le droit de nous occuper de la question des couvents, de l'attaquer de front, de la disséquer, et il faudra bien que le pays entier finisse par en faire justice, dût-il même employer la force pour se guérir de cette lèpre »
Tel est l'avant-coureur de nos discussions ; c'est la franc-maçonnerie qui veut s'emparer de la charité et qui cherche, pour arriver à ses fins, à agiter le pays. ll est bon que le pays sache ou est l'origine mystérieuse de ces indignes prétentions. Cela rappelle cette phrase prononcée quelques années auparavant : « Ou bien la constitution sera changée régulièrement, ou bien nous la changerons révolutionnairement. » Qu'est-ce donc que ce fanatisme ? C'est un système de violence, de persécution, d'esclavage, qu'on veut faire dominer dans ce pays qui donne à l'Europe l'admirable exemple des institutions le plus libres du monde.
Messieurs, dans la question qui nous occupe, deux principes opposés sont, je l’ai déjà dit, en présence, le principe chrétien et le principe rationaliste. Aux yeux du principe chrétien, la charité est un devoir de l'âme ; vous ne devez pas donner une aumône au pauvre ; vous lui devez encore les consolations, les conseils et les soins que réclame son infortune. Voilà la pensée chrétienne dans toute sa vérité et dans toute sa simplicité.
La pensée rationaliste, j'en excepte quelques hommes mus par des sentiments vraiment philanthropiques, cette pensée est bien plus une question de police sociale que toute autre.
La pensée rationaliste est de donner aux pauvres, parce qu'elle a peur des pauvres, et la pensée chrétienne est de donner aux pauvres, parce qu'elle a l'amour des pauvres.
Eh bien, que venez-vous nous dire, à nous, qui sommes animés de la pensée chrétienne ? Allez, partez ; vous n'avez pas le droit d'exercer la charité envers les pauvres ; c'est la pensée rationaliste seule qui doit s'occuper de ce soin.
Et quand vous voulez établir ce monopole aux dépens des catholiques vous osez invoquer la liberté ! La liberté ! Comment votre langue ne se dessèche-t-elle pas dans votre bouche, quand vous prononcez ce mot sacré, que vous voulez établir un odieux monopole, alors que vous repoussez la charité catholique, que vous appelez la force à l'appui de votre haine, alors que vous empêchez l'action chrétienne de se produire ! Vous déclarez la guerre à l'Eglise ; et, vous croyez que par ce système vous parviendrez à créer en Belgique cette force que nous avons eue en 1848, parce que nous avions, nous, le sentiment du sacrifice, parce que ce n'était pas la soif du pouvoir, mais l'amour de la patrie qui animait nos cœurs.
(page 1559) La loi que nous discutons va rétablir, dit-on, les couvents ; la Belgique va devenir une vaste capucinière. Je me sers de l'expression qu'employait feu notre ancien collègue, M. Seron : « On va voir partout des moines de toute espèce.» Où donc, dans le projet du gouvernement, trouvez-vous pareille chose ? Mais le projet ne vous dit-il pas en termes bien clairs qu'il s'adresse exclusivement aux établissements de bienfaisance ? La loi ne s'applique pas aux ordres religieux qui ne s'occupent pas de bienfaisance ; et quant à moi, je déclare que si la loi avait un autre caractère, elle n'aurait pas mon vote. Il suffit à l'association de vivre du droit commun, mais la charité qui rend des services aux pauvres a bien droit à la protection de la loi, alors surtout que vous menacez d'employer la force contre elle.
Mais il ne s'agit pas de cela. « Où sera la garantie ?» nous dit-on. Cette garantie, vous la trouverez dans la responsabilité des ministres que vous pouvez interpeller chaque jour, que chaque jour vous pouvez accuser ; voilà, je l'espère, la plus belle garantie qu'il soit possible de tous donner.
En vérité, je ne puis pas comprendre comment on peut venir ici soutenir la subordination de l'Eglise envers l'Etat, subordination à laquelle on veut absolument arriver par le système nouveau créé seulement depuis quelques années. Quoi ! vous approuvez les paroles de mon honorable ami, M. le comte de Montalembert, lorsqu'il dit au clergé français : « Vous pouviez être libre. » Vous applaudissez à ces paroles, et quand vous vous trouvez en présence d'un clergé libre, vous voulez lui ravir sa liberté ! Voilà votre système.
Commencez donc par être conséquents avec vous-mêmes. Si vous approuvez la liberté, il faut la vouloir pour le prêtre comme pour le franc-maçon, pour le croyant comme pour le philosophe ; car la liberté pour les uns et son absence pour les autres, c'est la plus odieuse de toutes les tyrannies.
Messieurs, dans le cours de ces débats, des accusations bien vives ont-été lancées soit contre le clergé, soit contre le parti catholique ; l'honorable M. Verhaegen a cité un grand nombre de cas de captation, et il en a tiré cette conséquence, que la loi allait donner naissance à de nombreux procès.
D'abord reconnaissons cette vérité qui s'applique à toutes choses sur la terre : Partout où il y a des hommes, il y a des abus. Vous parlez de captation, mais s'il y a des captations, le ministère refusera de les sanctionner et puis les tribunaux sont là pour y mettre un terme. Est-ce à dire maintenant que les assertions des honorables membres sont à l'abri de tout reproche, que les faits articulés sont entièrement fondés ? Il m'est impossible de répondre d'une manière absolue à cette question, mais ce que je puis dire, c'est que plusieurs de ces faits sont à mes yeux de véritables contre-vérités. Ainsi un honorable membre est venu vous révéler l'affaire d'Ambroise Guis. C'était, a-t-il dit, une captation opérée par les jésuites, les attaques contre les jésuites sont des choses de bonne mise chez un certain parti.
Ambroise Guis était un homme qui prétendument était mort dans une maison de jésuites à Diest et les jésuites se seraient emparés de sa fortune s'élevant à deux millions, (Interruption.)
Vous avez entendu l'attaque, permettez-moi de dire quelques mots en réponse.
L'histoire dont a parlé l'honorable membre est loin d'être une aventure récente, elle date de l'an 1665 ; deux siècles environ ; c'est au moyen de pareilles histoires qu'on prétend établir que les captations sont fréquentes en Belgique.
Ambroise Guis étant prétendument mort à Brest et avait laissé deux millions de francs que les jésuites de Brest avaient escamotés à leur profit. Quelques années après, cette affaire donna lieu à des accusations, le gouvernement français fit poursuivre, le premier président du parlement d'Aix chargea le lieutenant du roi d'instruire l'affaire, il apprit qu’Ambroise Guis était un pauvre diable qui n'avait jamais passé par la même porte que les deux millions dont on parlait, que ce pauvre diable était venu très malheureux à Marseille où il n'avait rien gagné, rien acquis ; on découvrit que de Marseille il s'était embarqué pour Alicante. Le lieutenant de roi fit son devoir et il recourut à Alicante, il reçut le certificat de mort d'Ambroise Guis constatant qu'il avait été enterré le 6 novembre 1665 par la charité publique.
Voilà l'homme auquel les jésuites avaient volé deux millions. Le parlement renvoya les jésuites de la plainte en les autorisant à poursuivre ceux qui avait calomnié leur maison de la sorte.
Plus tard, sous Pombal, les jésuites furent chassés ; alors on ressuscita l'affaire et l'on fit imprimer un arrêt du conseil d'Etat condamnant les jésuites de Brest à la restitution de huit millions du chef de la succession d'Ambroise Guis et qu'ils avaient escamotés. Le chiffre, vous le voyez, grossissait avec le malheur des temps. Les jésuites n'auraient aucune connaissance de cet arrêt du parlement qui les condamnait, ils vinrent devant le parlement déclarer qu'ils n'avaient jamais eu connaissance de cet arrêt.
Le conseil d'Etat vérifia les registres, il trouva que c'était un arrêt faux, il ordonna de biffer l'exploit introductif d'instance, ne voulant pas que ses registres fussent souillés d'une mention relative à un arrêt radicalement faux, et prescrivit de poursuivre et de punir sévèrement les faussaires qui avaient fabriqué ce prétendu arrêt, de l'avoir imprimé ou débité en public. Et l'on vient débiter à cette Chambre cet acte inouï en donnant comme exemple de captation les millions d'Ambroise Guis détournés par les jésuites.
Voilà comment on écrit l'histoire et comment on accuse, dans un certain monde, des hommes honorables de captations.
La dame Vial avait été aussi, nous dit M. Verhaegen, escamotée, volée par les jésuites d'une somme de 660,000 fr. Cette fois, c'étaient les jésuites de Bruxelles.
Les jésuites étaient en aveu, on les poursuivait devant le conseil de Brabant. Voyons, que s'est-il passé dans cette occurrence ? Ce qui s'est passé, je vais vous le dire, et vous ne récuserez pas l'autorité de celui qui parlera par ma bouche, c'est M. de Voltaire,, vous allez voir ce qui en est de cette histoire dont vous faites tant de tapage pour prouver combien les captations sont fréquentes dans ce pays. C'est Voltaire qui va répondre à M. Verhaegen.
« Cette affaire, qui paraît unique, ressemble assez à celle d'une friponne de janséniste que j'ai connue. Elle redemandait dans Bruxelles, en 1740, la somme de trois cent mille florins d'empire au frère Yancin (Jansens) procureur des jésuites et son confesseur. Je suis témoin de tout ce procès. Cette femme, nommée Genep, feignit d'être fort malade ; elle envoya chercher le confesseur procureur Yancin. La coquine avait mis en sentinelle, derrière une tapisserie, un notaire, deux témoins et son avocat, janséniste comme Arnauld. Le confesseur arrive, il prend une espèce de transport au cerveau à madame Genep. Elle s'écrie : Mon père, je ne me confesserai point que je ne voie mes trois cent mille florins en sûreté. Le confesseur, qui lui voit rouler les yeux et grincer les dents croit, devoir ménager sa folie ; il lui dit, pour l'apaiser, qu'elle ne doit point craindre pour son argent, et qu'il faut d'abord songer à son âme. - Tout cela est bel et bon, reprit la mourante, mais avez-vous fait un emploi valable de mes trois cent mille florins ? - Oui, oui, ne soyez en peine que de votre salut, ma bonne. - Mais songez bien à mon argent. - Eh ! mon Dieu ! oui, oui, j'y songe ; un petit mot de confession, s'il vous plaît.
« Cependant on fait un procès-verbal des demandes et des réponses et dès le lendemain la malade répète en justice cette somme immense, ce qui prouve en passant que les disciples d'Augustin en savent autant que les enfants d’Ignace. Les jésuites se servirent contre ma drôlesse des mêmes moyens que M. Linguet emploie. Où avez-vous pris trois cent mille florins d'empire, vous, la veuve d'un petit commis à cent écus de gages ? Où je les ai pris ! dans mes charmes. (C'est Voltaire qui parle.) Que répondre à cela ? que faire ? Madame Genep meurt, et jure en mourant sur son crucifix, qu'elle a porté la somme entière chez son confesseur.
« Les héritiers poursuivent, ils trouvent un fiacre qui dépose qu'il a a porté l'argent dans son carrosse. Le fiacre apparemment était janséniste aussi ; l'avocat triomphait. Je lui dis : Ne chantez pas victoire : si vous aviez demandé dix ou douze mille florins, cous les auriez eus, mais vous n'en aurez jamais trois cent mille. En effet, le fiacre, qui n'était pas aussi habile que madame Genep, fut convaincu d'être un sot menteur, il fut fouetté et banni. »
Voilà comment M. de Voltaire répond à M. Verhaegen.
Ainsi, l'on vient ici invoquer comme des monstruosités commises par le clergé des faits dans lesquels l'imposture a été démontrée, et les calomniateurs fustigés en place publique.
M. Verhaegen. - Et l'arrêt du conseil de Brabant !
M. Dumortier. - Demandez-le à Voltaire. Vous en trouverez au surplus l'explication dans l'Histoire des environs de Bruxelles, par M. Wauters, où vous avez puisé cette histoire. Si vous voulez y jeter les yeux, vous vous convaincrez que tout cela est une fable, qu'il n'y a pas dans tout cela un mot de vérité.
M. Coomans. - C'est une absurdité d'un bout à l'autre. Je suis prêt à le démontrer.
M. Dumortier. - L'honorable membre après avoir fait une revue rétrospective de 150 et 200 ans en arrière, est arrivé au siècle présent. Je ne puis le suivre dans toutes les odieuses captations qu'il a signalées. Je puis seulement dire que quand on porte des accusations aussi graves contre des personnes honorables, il faudrait savoir si les faits sont vrais. Un confesseur au lit de la mort peut se trouver en présence de personnes qui ont des biens mal acquis. Il est alors de son devoir d'en ordonner la restitution. Ce fait peut se présenter, il se présente de temps en temps. Alors il est facile de représenter comme captation ce qui n'est qu'une pensée d'expiation au lit de la mort ; mais ce système est-il loyal ? Je vous en laisse juge.
L'honorable membre s'est étendu sur l'affaire du curé Neute. Je la connais. Mon honorable collègue, M. Lelièvre, dont la gauche ne récusera pas le témoignage, le connaît bien mieux que moi encore, puisqu'il a plaidé dans cette affaire.
M. Neute était un ancien moine de l'abbaye de Floreffe. Lorsque cet abbaye fut supprimée, les moines, avec leurs bons, avaient racheté les bâtiments et les terres qui en dépendaient. Il les conservèrent entre eux dans l'espoir du rétablissement de la communauté, espoir bien légitime chez des moines ; il est tout naturel que des moines dont on a supprimé la communauté en espèrent le rétablisement. Voilà le fait. Quand un moine mourait, il laissait sa part de propriété aux moines survivants. De (page 1560) survivant en survivant, il se trouva que l'abbé Neute fut le dernier survivant ; il se trouva donc propriétaire du monastère acquis avec les deniers des moines.
En bon prêtre, il ne voulait pas laisser à ses parents les biens du monastère dont il n'était que le dépositaire. Il croyait ne pouvoir en disposer qu'en faveur de l'Eglise, et dans l'impossibilité de rétablir son monastère, il songea aux séminaires de Namur et de Tournai. L'abbé Neute avait un patrimoine personnel, indépendamment des biens de la communauté ; il l'avait même agrandi. Il réunit ses héritiers, et leur dit ; Mes parents, je vous abandonne le patrimoine qui me vient de ma famille. Quant aux biens de l'Eglise qui m'ont été légués par les membres de la communauté dont je suis le dernier survivant, j'entends les donner à l'Eglise. Je donne ces biens, savoir : deux tiers au séminaire de Namur, un tiers au séminaire de Tournai.
Remarquez qu'il ne pouvait y avoir là de fidéicommis, puisque ces séminaires ne pouvaient obtenir ces biens qu'avec l'autorisation du gouvernement, qui ne pouvait les céder à une autre communauté.
Le bon curé était tellement préoccupé de cette question qu'il fit35 ou 4 testaments ou donations. Ce qui prouve que s'il avait des doutes sur la forme, son opinion sur le fond était fortement arrêtée. Les parents le remercièrent.
M. Verhaegen. - Ils n'ont rien eu.
M. Dumortier. - Ils ont eu les propres.
M. Verhaegen. - Ils n'ont rien eu du tout.
M. Dumortier. - Ils n’ont rien eu, parce que les avocats ont tout mangé.
Les héritiers ont donc été parfaitement satisfaits tant que le curé vivait. Mais quand il fut mort, ils jetèrent un coup d'œil de convoitise sur les propriétés de l'ancienne abbaye, et se dirent : si nous avions cela, notre héritage serait bien arrondi.
Ils firent donc un procès a l'évêque de Namur et à l'évêque de Tournai, à chacun pour sa part. L'avocat plaidant pour le séminaire de Namur fut notre honorable collègue, M. Lelièvre. L'avocat plaidant pour le séminaire de Tournai fut le beau-frère de M. Verhaegen, l'honorable M. Barbanson. Ces messieurs ont plaidé d'abord devant le tribunal de Charleroi.
Ils ont gagné sur tous les points. Vient ensuite l'appel. Devant la cour d'appel de Bruxelles, après des plaidoiries interminables, les deux séminaires gagnèrent encore sur tous les points. Il en a été de même en cassation.
M. Orts. - Pardon ! On n'est pas allé en cassation.
M. Dumortier. - Soit. Toujours est-il qu'il y a eu arrêt définitif : jugement en première instance et arrêt en appel.
Et vous appelez cela la spoliation des biens de la famille.
L'honorable M. Verhaegen vous dit après cela : « Quelques irrécusables que fussent les faits, la justice ne put y trouver la preuve d'un fidéicommis et la famille dut se résigner. Toujours est-il, ajouta-t-il, que ces faits constatent l'avidité du clergé et ses efforts pour s'emparer des biens des familles. »
Mais qui donc cherchait à s'emparer du bien d'autrui ? Etait-ce par hasard l'église de Tournai ? était-ce l'église de Namur ? Où était donc le bien d'autrui ? Quel droit la famille de Neute avait-elle sur des biens confiés à sa garde ? Mais le bien était donné à l'Eglise, parce qu'il provenait de tous les anciens moines et non de la famille. Et l'on vient après cela vous dire que le clergé spolie les familles de leur bien ? Que deviennent donc les arrêts de justice ? Quand le tribunal de première instance, quand la cour d'appel ont prononcé, on vient dire que cela prouve l'avidité du clergé et ses efforts pour s'emparer du bien d'autrui. En vérité, c'est à s'y perdre.
M. Verhaegen. - Et vous laissez de côté le testament en faveur de l'évêque.
M. Dumortier. - Il y a eu cinq ou six testaments et ces testaments ne prouvent qu'une chose : la volonté permanente et constante du curé Neute de rendre à l'Eglise les biens de l’Eglise et à sa famille les biens de sa famille, et cela ne ressemble nullement à la spoliation des biens de famille ; car de ces biens de famille il n'y en avait pas un pouce.
Voyons un autre fait.
Il s’agit cette de Sabine de Groote, épouse de Bock, à Asper. Celle-là c'est une affaire bien criminelle et bien sérieuse ; c'est une affaire dans laquelle le curé s'est emparé du bien d'autrui pour en faire un couvent.
Eh bien ! je viens de voir un journal publié à Gand et qui a paru ce matin et j'y trouve la réfutation complète de cette assertion. Malgré l'affirmation de l'honorable M. Verhaegen, on y nie qu'avec le bien de la fondatrice, le curé ait fondé un couvent. Ou y nie qu'avec les revenus de la fondatrice le couvent soit entretenu chaque année. On y nie tous les faits énoncés dans cette Chambre par M. Verhaegen et l'on y déclare que l'intégralité de la succession est encore aujourd'hui tout entière entre les mains du bureau de bienfaisance. Et voilà les actes de spoliation dont on parle. Et voilà comment on accuse des hommes honorables. On traîne à cette barre des hommes honorables pour les accuser de spoliation afin de faire retomber sur tout le clergé des actes aussi odieux.
M. Verhaegen. - Il y a une requête à la Chambre.
M. Dumortier. - Voyons une autre affaire dont on fait tant de bruit.
Le curé de la Hulpe a eu aussi son tour. Une bonne personne allait mourir à la Hulpe, aux portes de Bruxelles. Elle fait venir le notaire et lui dicte son testament. Le curé est appelé pour rendre les services de son ministère. Plus tard le ministère est rappelé ; le testament est modifié et la famille perd si fortune par le fait du curé de La Hulpe, qui s'empare des biens de la défunte.
Eh bien, je suis à même de faire connaître les faits à la Chambre. La testatrice avait fait un oubli dans son testament. Elle avait, en énonçant ses parents qui sont éloignés, oublié une parente à qui elle avait de la reconnaissance et qu'elle voulait comprendre dans son testament.
Il arrive souvent que des avocats sont consultés sur des testaments, et chacun de nous sait aussi que bien souvent des personnes reviennent sur leurs résolutions, veulent, ajouter quelque chose à leur testament.
Il y a de ce chef contestation ; cela est vrai ; mais contestation entre parents. Quant au curé, la testatrice n'a rien fait pour lui. Mais elle a fait quelque chose en mourant. Elle a voulu faire une fondation. C'est un crime abominable, le curé de la Hulpe s'est emparé de la succession. Qu'a-t-elle donc dépensé ? Voyons cette grande spoliation dont ou a fait tant de bruit.
La testatrice a donné 1,000 fr., une fois donnés, à la fabrique de l'église, à charge de faire chanter, à perpétuité, cinq obits par an. Or. cela fait, de compte clair, 10 fr. par obit, pour les chaises, les cloches, le luminaire, etc. Mais c'est plutôt une charge qu'une libéralité pour la fabrique. Et c'est là ce qu'on appelle une spoliation l Eh quoi ! parce qu'une personne, en mourant, veut laisser quelque chose pour le salut de son âme, ce sera de la spoliation ? Que devient donc la liberté de tester, la liberté de faire penser à soi après sa mort ? Il n'y a plus de liberté dans votre système.
Voilà, messieurs, comment on agite le pays sous prétexte de spoliations qui n'existent pas, en rappelant des faits qui remontent à 150 ou 200 ans, en dénaturant des faits actuels dont on trouvera presque toujours le démenti dans les journaux. Il est déplorable, il est désolant qu'on emploie de pareils moyens en telle matière, et je dis que si c’est par là qu'on veut consolider le pays, on n'y parviendra pas.
L'honorable M. Frère en est venu à son tour à citer des faits. Il est venu nous parler de l'hôpital de Roulers. Il s'agit d'un grand crime. Mon honorable ami, M. Rodenbach, qui habite Roulers, a donné à l'honorable membre un démenti formel, il a dit à l'honorable M. Frère : Vous êtes mal informé. Et en effet, de ce que tel prêtre ne dit plus la messe à l'hôpital, en résulte-t-il que tel autre ne le fait pas ? Mais moi qui ai l'honneur d'être député de cette localité, je n'ai jamais entendu parler d'un pareil fait.
M. Allard. - On me l'a confirmé encore hier.
M. Dumortier. - L'honorable membre est mieux informé, sans doute, que les députés de Roulers, mais il est étrange que je n'en aie pas entendu dire un mot. Les membres du séminaire ne vont pas à l'hôpital ; le curé et les vicaires y vont. Qu'est-ce que cela vous regarde ! Avez-vous le droit de vous mêler de as sortes de questions ? Ai-je le droit de vous demander où vous allez, ce que vous faites ? Depuis quand a-t-on le droit de soumettre ainsi des citoyens à ce régime inquisitorial ?
Un autre fait a été cité : le fait du couvent d'Hooghlede, village de notre district électoral. Là des monstruosités se sont passées. Eh bien, le hasard m'a fourni l'occasion de répondre à ce fait. Hier ou avant-hier, l'honorable M. Rodenbach et moi nous avons reçu une lettre d'un habitant d'Hooghlede qui dément ce fait déjà précédemment énoncé par l'honorable M. Tesch. Voici cette lettre.
(page 1566) « M. le représentant,
« Je viens de lire dans les Annales parlementaires, page 1426, première colonne, que M. Tesch, mettant à contribution le livre de Jean Vandamme, cite différents faits très graves a son avis, et auxquels il provoque ses adversaires de répondre. Il dit entre autres choses qu'à Hooghlede six sœurs de la charité étaient suffisantes pour le service et avec les soins desquelles l'établissement prospérait, ont été remplacées par dix-huit religieuses.
« Si les autres faits cités par M. Tesch et Jean Vandamme portent les mêmes caractères de vérité et de certitude que celui-ci, comme il est plus que probable, rien de plus facile que de calmer l'inquiétude de ces messieurs.
« Jugez en M. le représentant.
« Il y a au couvent d'Hooghlede douze religieuses et non dix-huit, ces 12 religieuses servent à elles seules :
« 1° Un hospice de 70 vieillards et un hôpital pour les typhoïdes et les maladies contagieuses. Quatre vieux y sont occupées constamment.
« 2° Une école française pour les filles, comptant 60 à 70 élèves, la seule dans la commune. Deux sœurs y enseignent la langue française.
« 3° Une école flamande pour les élèves payants. Une sœur.
« 4° Une école flamande gratuite pour les pauvres, la seule dans la commune. 2 sœurs.
« 5° Une école dentellière de 110 élèves, dirigée par deux sœurs.
« Voilà donc 11 religieuses ; il en reste une pour le ménage ; la cuisine, etc. »
(page 1560) Voilà les grands crimes de la charité privée. Voilà comment les religieuses prennent la place des pauvres. Et j'ajoute : Voilà comment on trompe le pays !
Messieurs, je livre ces faits à vos réflexions. Je n'ai pas discuté tous ceux qu'on a allégués, il me serait impossible de le faire, mais le hasard m'a fourni l'occasion d'en redresser quelques-uns qui vous montreront ce que valent toutes ces accusations.
M. Verhaegen. - C'est plus commode.
M. Dumortier. - Ce qui est commode, c'est de venir lancer dans une discussion des faits de toute espèce que personne n'a été mis à même de contrôler.
En justice, un fait que l'on veut produire doit être communiqué aux parties pour voir, je pense, s'ils sont pertinents, car il y a beaucoup de faits qui ne sont pas pertinents, on pourrait même dire qui sont impertinents.
Et c'est de cette manière qu'on vient ici accuser les saintes filles qui se dévouent au service des pauvres, c'est de cette manière qu'on vient ici accuser le clergé, tout cela sous le manteau de l'inviolabilité parlementaire !
L'honorable M. Frère est venu nous parler des écoles dentelières ; suivant lui, il y a dans les Flandres 22,000 enfants qui fréquentent ces écoles et qui sont dans la plus grande abjection, qui sont exposés au rachitisme, qui ne reçoivent pas d'instruction et qui sont l'objet de la spéculation des nonnes.
(page 1561) Voilà, messieurs, le grief sur lequel on insiste très vivement et au moyen duquel on veut combattre la liberté de la charité.
Mais, messieurs, avez-vous donc oublié que, il y a quinze ans, la Flandre avait perdu ce qui faisait sa richesse ? Marie-Thérèse disait toujours : « Aussi longtemps qu'on n'aura pas coupé les doigts de nos fileuses flamandes la Flandre ne dégénérera jamais. »
Eh bien, messieurs, ces magnifiques provinces dont je suis fier d'être député, ont été frappées du malheur dont parlait Marie-Thérèse, l'invention du métier à filer de lin est venue en quelque sorte couper les doigts aux fileuses flamandes. Il fallait bien ne pas laisser mourir de faim ces populations si respectables, et quels sont ceux qui sont venus avant tout parer à un si grand mal, à de si grandes misères ? Ce sont ces membres du clergé pour lesquels vous n'avez que des paroles de blâme, pour lesquels vous n'avez que du fiel.
Ce sont eux qui ont compris qu'il fallait transformer l'industrie flamande et qui ont obtenu de résultat par l'introduction de la fabrication des dentelles. Au lieu de l'aumône, le clergé des Flandres a donné au peuple le travail, et il a rendu ainsi un immense service à la société.
Mais, dit l'honorable membre, les enfants ne reçoivent dans ces écoles aucune instruction.
Eh bien, messieurs, dans une séance précédente, l'honorable M. de Haerne nous a déjà dit que l'instruction est parfaitement donnée dans les écoles dentelières ; l'instruction y est donnée au point de vue intellectuel et moral et en même temps au point de vue professionnel. Mais, messieurs, mettez-vous donc d'accord avec vous-mêmes. Quand nous parlons du paupérisme, vous dites que c'est par le travail qu'il faut le vaincre, et quand le clergé vient relever le travail, vous n'avez pour lui que des flétrissures, vous parlez de la spéculation des nonnes !
Ces femmes vertueuses, ces anges de vertu qui consacrent tous leurs instants au soulagement de la misère, ce sont des spéculateurs ! Voilà comment vous traînez sur la claie ces saintes femmes qui sont l’honneur de la civilisation !
Mais c'est un mot infâme ! une spéculation des nonnes ! Mais savez-vous que du travail de tous ces enfants, les religieuses ne touchent pas un centime ?
Savez-vous que c'est au moyen de cela qu'on parvient à nourrir les familles, que ces écoles l'ont gagner plus de quatre millions de francs chaque année aux enfants qui s'y trouvent ? Savez-vous que c'est au moyen de cela qu'on a fait disparaître le paupérisme dans les Flandres ? Et vous venez dans cette enceinte flétrir les auteurs d'un si grand bienfait alors que vous devriez leur tresser des couronnes !
Oh ! vous préférez la charité officielle avec ses mains de glace, la charité officielle qui est presque toujours livrée à des mercenaires quand vous ne trouvez pas des catholiques pour la seconder. Mais où donc conduit-elle les malheureux ? Elle les conduit à la charité légale, à la prison ou au dépôt de mendicité. Voilà où conduit la charité officielle, tandis que notre charité, la charité chrétienne, qui part du cœur, s'attache à relever le malheureux et lui porte des secours dans toutes les circonstances de la vie. Elle veille à l'éducation de la jeunesse, elle recueille la vieillesse, elle est au lit des malades, elle est partout où il y a des misères à soulager ou à prévenir des infortunes à guérir, des plaies de l'âme à cicatriser.
Ne croyez pas, messieurs, que je vienne ici répudier la charité légale.
Y a-t-il quelqu'un parmi nous qui ait proposé la suppression des bureaux de bienfaisance, la suppression des administrations des hospices ? Nous ne demandons qu'une chose, c'est la liberté. Nous voulons laisser vivre la charité officielle, mais permettez aussi à la sœur de charité de continuer à donner aux malheureux ces soins si dévoués qui sont l'objet de l'admiration et de la convoitise de toute l'Europe.
Messieurs, il est encore une accusation bien grave dont je dois vous entretenir. Lorsque l’honorable M. Verhaegen est venu nous parler de la lettre de l'évêque de Gand, en en donnant seulement quelques passages, accompagnés de beaucoup de commentaires, je dois dire que mon premier sentiment et celui de la plupart de mes honorables amis a été un sentiment pénible. Je ne pouvais comprendre, comment un homme aussi honorable que Mgr. Delebecque aurait pu imprimer à une circulaire une direction comme celle qu’a indiquée l'honorable M. Verhaegen, alors que le concordat est venu régulariser toutes les questions du domaine religieux, et que la mesure de 1833, prise d'accord avec l'honorable M. Rogier par le pape et par tous les évêques, a rendu définitif pour notre pays tout ce qu'il pouvait y avoir de délicat dans cette question.
Eh bien, depuis lors, nous avons pu prendre connaissance de la circulaire de Mgr l'évêque de Gand, je tiens cette pièce en mains, et je dois dire qu'autant j'étais péniblement affecté quand l'honorable M. Verhaegen a donné des extraits de la circulaire, autant je suis tombé des nues en voyant l'usage qu'on a fait ici de cette circulaire.
Que fait, en définitive, Mgr l'évêque de Gand ? Il demande des renseignements historiques, et rien de plus. Il s'agit d'écrire l'histoire de l'Eglise du diocèse de Gand ; l'évêque le dit en termes exprès, il veut recueillir les matériaux pour la composition d'une histoire ecclésiastique contemporaine. Cela est clair, sans doute, mais M. Verhaegen s'est bien gardé de le dire pour faire croire à un but de captation ! Et depuis quand peut-on incriminer, considérer comme réactionnaire, une circulaire qui n'a qu'un but, celui de connaître, au point de vue historique, quelles sont les maisons religieuses qui ont été supprimées sous Joseph II, et que sont devenus les églises et bâtiments de ces maisons !
Remarquez-le bien, Mgr l'évêque de Gand, dans sa circulaire, ne dit pas un seul mot des propriétés, ni des acquéreurs des propriétés, ne dit pas un seul mot des faits qui se sont passés lors de la révolution française, la circulaire s'applique seulement aux faits qui ont eu lieu sous Joseph II, à la suppression des maisons religieuses sous ce prince et à ce que sont devenus les églises et les couvents.
« Pour ce qui regarde le temps de Joseph II, dit la circulaire, les recherches doivent avoir pour objet la manière dont chaque maison religieuse a été supprimée. Il sera bon aussi de dire ce que sont devenus les bâtiments des monastères et des abbayes (les bâtiments, entendez-vous) qui en fut le premier acquéreur, en quelles mains elles ont passé plus tard, à quoi servent maintenant ces édifices ; ce qui en existe encore sur le sol ou ils se trouvaient autrefois, enfin et surtout si l'on a conservé les églises de ces maisons supprimées, si on les a démolies et profanées. »
- Un membre. - Les premiers acquéreurs ! (Interruption.)
M. Dumortier. - Quand Mgr l'évêque de Gand demande les noms des premiers acquéreurs, c'est pour parvenir à savoir ce que sont devenus les chartes et les cartulaires des maisons supprimées.
Je me suis beaucoup occupé d'histoire et je suis encore à rechercher où sont les cartulaires et les chartes des maisons qui ont été supprimées sous Joseph II ; parmi ces documents, il en est qui sont extrêmement intéressant pour l'histoire, jamais je n'ai pu les découvrir. Evidemment, si l'on savait quels sont les premiers acquéreurs, on arriverait peut-être à la découverte de ces cartulaires.
Quand on veut incriminer à propos de pareilles choses, rien n'est plus facile. L'acte le plus inoffensif, on en fait un épouvantail. L'Eglise veut revendiquer les biens dont la révolution française l'a dépouillée. Vous allez tous être compromis ; la Belgique va être exposée à une spoliation universelle.
Voilà, messieurs, les fantômes qu'ont été évoqués devant vous par M. Verhaegen, alors qu'il s'agit simplement d'une recherche d'histoire.
Ainsi, l'on ne pourra plus faire des recherches qui n'ont pour but que l'histoire de l'Eglise dans un diocèse.
Vous qui vous montrez si scrupuleux aujourd'hui, vous ne l'étiez pas tant, lorsque, il y a quelques semaines à peine, vous êtes venus demander une enquête complète sur tous les couvents et tous les ordres religieux indistinctement. Tout cela est très légal quand il s'agit d'attaquer l'Eglise ; mais quand l'Eglise veut faire son histoire, c'est un crime, c'est une illégalité.
C'est, messieurs, par de pareils moyens qu'on a cherché, dans la discussion actuelle, à déverser le blâme et le mépris sur les institutions religieuses du pays, sur ces institutions qui devraient toujours, surtout dans un parlement, être entotrés du plus profond respect.
Après avoir présenté le clergé sous des couleurs aussi trompeuses, on est venu lui lancer, ainsi qu'au parti catholique, une série non interrompue d'accusations des plus violentes. On ne nous a épargné aucun blâme. On a attaqué notre conduite politique, surtout depuis 1848.
« Vous avez fait, a dit l'honorable M. Frère, au ministère du 12 août 1847 une opposition factieuse ; vous l'avez tracassé ; vous lui avez fait violence, vous avez agi avec passion. »
Messieurs, je vous ai montré tout à l'heure où était la violence, où était la passion.
Comment aurions-nous pu, nous qui regardons comme un devoir de conscience de maintenir dans l'Etat le principe religieux dans toute son intégrité, parce que ce principe est une des bases essentielles de notre existence nationale, comment, dis-je, aurions-nous pu passer sous silence tous ces faits dont j'ai parlé tout à l'heure, tous ces actes par lesquels on prétendait arriver à enlever à l'Eglise la liberté qui lui a été donnée en 1830, et à mettre l’Eglise sous la subordination de l'Etat.
Oh ! vous voulez bien des hospitalières pour vos hospices. Vous en voulez bien comme vos servantes. Vous voulez bien que les comités de charité dans les paroisses soient présidés par les curés ; mais vous n'en voulez plus, quand les curés et les hospitalières agissent en dehors de vous. C’est là votre système. Vous vouliez asservir tout ce qui tient à ces sentiments que nous sentons d'une manière si vive.
Dès lors il nous fut impossible de maintenir votre cabinet dans une pareille voie. Il n'a jamais été question d’une autre considération, d'un autre motif d'accusation, vous ne l'avez jamais ignoré. Le pays a fait justice de ce système persécuteur. Et malgré cela on vient nous dire qu'en 1854 on nous a vus applaudir aux prétentions de l'étranger, qu'on nous a vus faire un appel à l’étranger. Je vous le demande, est-il possible de proférer contre nous une accusation plus injuste, plus violente, plus révoltante ! Comment ! ce grand parti catholique, que vous proclamiez vous-mêmes le parti essentiellement national, ce parti qui, depuis 1830, a été le parti des sacrifices, vous l'accusez d'avoir eu recours à l'étranger, ce grand parti qui a tant contribué à chasser l'étranger de notre territoire, vous le présentez comme ayant fait appel à l'étranger !
Si l'étranger a pu peser à quelque point de vue sur votre destinée, c'est son affaire, si votre système lui eût été moins hostile, il ne serait pas intervenu dans vos différends. La question étrangère nous est aussi indifférente qu'à vous. Le grand motif de notre opposition et de votre chute, c'est votre système en matière d'enseignement et en matière de charité, c'est la guerre à la religion que vous aviez organisée.
J'ajouterai qu'un autre motif de notre politique ce sont les dépenses folles auxquelles vous vous livrez, connue la dérivation de la Meuse et (page 1562) d’autres travaux qu'on pouvait se dispenser de faire ; (interruption), la création du droit de succession que nous repoussions de toutes nos forces et dont vous avez rendu le retrait impossible en augmentant les dépenses le plus possible, tandis que d'un autre côté vous réduisiez l'armée comme si vous vouliez livrer le pays sans défense à l'étranger. C'est ce grand parti national qui n'a pas voulu vous suivre quand vous avez prétendu réduire la dépense de l'armée à 25 millions ; c'est ce grand parti, dis-je, que vous accusez de vouloir livrer le pays à l'étranger, c'est lui qui a été le promoteur de la commission d'enquête, d’où est sortie l'armée que nous avons et qui, au besoin, saura défendre notre indépendance.
Voilà vos fautes ; vos fautes ont fait notre force, et quand vous reviendrez au pouvoir, si vous recommencez à marcher dans la même voie, vous tomberez comme vous êtes tombés en 1852, vous tomberez même plus vite encore, parce que vous n'aurez plus les événements de 1848 pour vous soutenir à flot quelque temps, et cette chambre introuvable, due au coup d'Etat de la dissolution des conseils communaux avant les élections.
Les accusations, mais elles ont plu sur nous de tous côtés depuis trois semaines ; chaque membre de la gauche nous a lancé son mot, adressé son insinuation, octroyé son injure ; chacun avait une pierre à nous jeter ; nous sommes dans la légitime défense ; nous sommes lapidés depuis trois semaines.
C'est un devoir pour moi, vieux député, de repousser les accusations dirigées contre mon parti ; je ne mollirai jamais quand je vous verrai accuser le grand parti national, auquel j'appartiens, de toutes les turpitudes imaginables pour vous élever un jour sur ses débris. Moi qui n'ai été dans aucune de vos prétentions ministérielles, qui vous parle sans regret du passé, sans espoir de l'avenir, j'ai acquis le droit de vous dire la vérité, je vais vous la dire.
Un des premiers orateurs qui ont pris la parole, l'honorable M. Rgsier, nous a cité l'exemple de la France, nous a parlé des appels comme d'abus ; puis après avoir parlé des appels comme d'abus, faisant allusion à la lettre, de l'évêque de Gand sur l'enseignement anti-catholique de certains professeurs de l'université de Gand, il a ajouté : Si un membre du clergé s'était avisé en France de déclarer la guerre aux établissements d'instruction de l'Etat, il eût été frappé d'un arrêt d'appel comme d'abus ! Voilà l'expression d'un regret ou d'une menace. Les appels comme d'abus, la suprématie de l'Etat, la suppression de la liberté de l'Eglise, voilà ce qu'on insinue.
D'autres membres ont répété la même chose. Les appels comme d'abus ont joué un grand rôle dans leur discussion. L'honorable M. Verhaegen en a parlé aussi.
M. Verhaegen. - Sous Marie-Thérèse.
M. Dumortier. - L'honorable M. Verhaegen, en regrettant vivement l'ancien régime, portant ses pas rétrogrades vers le passé, nous a vanté les investitures des évêques par l'Etat, les bulles autorisées, l'action du conseil de Brabant ; puis il a ajouté : le pouvoir central a été désarmé en 1830 en Belgique. Où il y a un clergé indépendant, que deviendra le pouvoir civil ? Moi j'appelle cela des regrets et des menaces ; regrets du passé ; on nous dit que nous sommes rétrogrades et on veut nous faire rétrograder à 1750. On nous dit que nous ne voulons pas de 1789 ! Est-ce que 1789 avait respecté les investitures, les bulles autorisées ! Ce que vous voulez, le voici : Vous voulez la violation de la Constitution parce qu'elle a émancipé l'Eglise ; vous voulez la domination, le pouvoir absolu, la tyrannie des consciences ; vous voulez la liberté de faire le mal et vous ne voulez pas nous laisser celle de faire le bien. Vous voulez que le pouvoir civil ne soit plus, dites-vous, désarmé ; c'est à-dire que vous voulez le pouvoir fort, l'absolutisme, et vous vous dîtes libéraux ; vous voulez le pouvoir fort parce que vous sentez que le pays vous échappe ; vous regrettez les libertés que nous avons ; vous voulez l'Etat en toutes choses, parce que le pays n'est plus avec vous et que vous ne pouvez rien faire avec lui ; vous voulez dès lors établir la tyrannie administrative de l'Etat dans l'enseignement, dans la charité, dans l’autorité communale ; il faut en un mot que tous les agents de l'Etat soient un jour vos instruments pour dominer les élections. Voilà pourquoi vous regrettez les libertés données au pays en 1830.
L'honorable M. Frère s'est expliqué à son tour : Le clergé, a-t-il dit, a le prêche, le confessionnal ; il a sa franc-maçonnerie sous le nom de Saint-Vincent-de-Paul ; et malgré tout cela le parti libéral a pu soutenir sa lutte jusqu'aujourd'hui.
Tout cela, qu'est-ce que cela prouve ? Que vous avez peur des influences légitimes, que vous avez peur de l’usage de la liberté. Voilà ce qui vous effraye, et vous vous appelez parti libéral !
Lisez la Constitution, et vous reconnaîtrez que c'est elle qui fait notre force ; car vous êtes en aveu que c'est la Constitution qui fait notre force, quand vous regrettez les mesures despotiques qu'elle a fait disparaître du Code de nos lois. Vous êtes en aveu que la Constitution est la force de notre opinion. Nous sommes forts en Belgique par elle et nous saurons la maintenir dans tous ses points malgré vous et sans vous.
M. Verhaegen. - Nous voulons toute la Constitution, mais pas de privilège.
M. Dumortier. - De privilège ! Mais c'est ce que vous voulez dans cette loi. Ah ! vous nous accusez de doctrines oppressives et violentes. Le clergé opprime le pays. Voilà toutes les accusations qu'on nous lance depuis quinze jours.
Quoi ! nous avons opprimé le pays, ? Quelle est donc la liberté à laquelle nous avons porté atteinte en Belgique, depuis 1830 ? Quelles sont les lois mauvaises qui ont été faites par la majorité catholique ? Quels sont les actes contraires à la Constitution que nous avons posés ? Dites-le, et si vous ne pouvez pas le dire, ne venez pas nous lancer de pareilles accusations à la face.
Etrange renversement, d'idées ! Comment ! nous sommes des oppresseurs, parce que nous faisons usage de la liberté, parce que nous voulons la liberté pour tout, sans opprimer les autres ! Ah ! je comprends votre système, pourquoi attaquez-vous la liberté ? C'est que vous savez que le seul moyen que vous puissiez employer, c'est le pouvoir fort, la violence, le monopole, l'action du pouvoir ; parce que le peuple n'est pas pour vous, parce qu'il n'entend pas qu'on porte atteinte à la foi de ses pères, parce que Brabançons et Flamands comprennent que leur foi religieuse est l'une des bases de la nationalité belge. Le principe de notre Constitution, c'est un principe de foi et de liberté.
La Belgique n'est ni bigote, ni cagote, la Belgique est un pays de foi et de liberté.
L'honorable membre qui a pris la parole hier est venu nous dire que la plupart des grandes lois sont l'œuvre du parti libéral. Vous avez un bien bon moyen pour vous assurer de cela. Prenez votre manuel parlementaire ; voyez les contreseings, et dites-moi de qui ces lois sont l'œuvre ? Est-ce vous par hasard qui avez fait la Constitution ? Nous ne savons pas où vous étiez avant 1830. Est-ce vous qui avez fait la loi communale, la loi provinciale, ces lois où nous avons inscrit en lettres impérissables les libertés du pays ? Ah ! vous n'étiez pas dans cette Chambre.
M. Rogier. - Nous y étions.
M. Dumortier. - MM. Rogier et Lebeau y étaient. Ce sont des anciens. Mais ces honorables membres étaient avec nous. Ils étaient de l'ancienne union. Il est regrettable pour leur gloire qu'ils aient cessé d'en être.
M. Rogier. - Dans la discussion de cette loi, vous avez lutté pendant deux ans contre l'honorable M. de Theux et contre moi.
M. Dumortier. - Puisqu'il vous plaît de me placer sur ce terrain, je n'hésite pas à répondre.
Savez-vous comment l'honorable M. Rogier avait présenté le projet de loi ? Je vais vous le dire.
Le gouvernement provisoire avait porté un décret signé par M. Rogier, par lequel il donnait aux communes la liberté la plus absolue. Il donnait au peuple le droit d'élire le bourgmestre et les échevins. Il s'agissait d'enlever au peuple une conquête de 1830, de lui enlever la nomination de ses fonctionnaires communaux, et c'est l'honorable M. Rogier qui est venu faire cette proposition à la Chambre.
L'honorable membre est allé plus loin : il est venu proposer aux Chambres de donner au gouvernement le droit de destituer ou de suspendre les bourgmestres sans les entendre, les échevins sans les entendre ; de dissoudre les conseils communaux et de nommer un agent royal qui aurait administré la commune pendant la dissolution.
Voilà les dispositions contre lesquelles nous avons lutté pendant deux ans. S'il y a dans ma carrière quelque chose de glorieux, c'est d'avoir consacré les libertés communales du pays.
M. Rogier. - C'est l'honorable M. de Theux qui avait préparé le projet de loi. Il ne me désavouera pas. Je n'ai fait que le déposer.
M. Dumortier. - Pas du tout, c'est vous qui l'avez proposé et contresigné le 2 avril 1833. Il y a plus : dans le projet de loi, l'on avait supprimé la publicité des séances prescrite par la Constitution. Nous avons appelé ce projet de loi une loi draconienne. C'était défaire la Constitution par les lois organiques.
Voilà pourquoi pendant deux ans, mes honorables amis et moi, le banc tournaisien sur lequel nous siégeons encore aujourd'hui, a toujours résisté à ces tendances.
Voilà comment nous sommes parvenus à fonder la seconde Constitution du pays, sa constitution communale, consacrant des libertés auxquelles vous ne pourriez toucher, tant le peuple y est attaché.
M. Orts. - On y a touché en 1848. M.
M. Dumortier. - Ce ne sont que des détails.
- Un membre. - Et la loi du fractionnement !
M. Dumortier. - Le grand principe de la loi, c'est l'indépendance des magistrats communaux et l'indépendance de la commune. Le gouvernement ne peut dissoudre les conseils communaux. Il ne peut destituer ni suspendre le bourgmestre ni les échevins. La commune est libre. C'est une puissance avec laquelle il faut compter. Voilà ce que vous repoussiez, voilà ce que nous avons fait triompher.
Quant à la loi du fractionnement, qu'est-ce que cela ? C'est ce qui existe dans ce pays que vous citez toujours comme modèle, en Angleterre.
Vous parlez de la loi du fractionnement.
M. Orts. - De la nomination du bourgmestre en dehors du conseil.
M. Dumortier. - La nomination du bourgmestre en dehors du conseil ! c'est un grief énorme. Je ne l'ai pas votée. Mais voyons, qu'avez-vous fait, quand vous êtes arrivés au pouvoir. Et quand vous êtes venus avec votre programme demander le retrait des lois réactionnaire, avez-vous rendu de nouveau obligatoire la nomination du bourgmestre dans le conseil ? Vous ne l'avez pas fait. Vous avez demandé l'avis conforme.
(page 1563) Voilà tout le grief que vous avez trouvé Je vous demande si c’est une bien grande affaire ? Et quand, depuis, usant de mon droit d'initiative, je suis venu proposer une loi pour rendre aux conseils communaux la nomination des bourgmestre et échevins, cette proposition n'a pas même été prise en considération. J'ai trouvé deux membres pour appuyer la prise en considération, l'honorable M. Delfosse et l'honorable M. de Perceval. Et c'est vous qui venez nous parler sans cesse de la liberté ! Voilà notre lot à chacun dans nos lois dé liberté.
M. Lebeau. - C'était de l'anarchie et non de la liberté.
M. Dumortier. - Ainsi, messieurs, ce que veulent nos adversaires, c'est le pouvoir fort, c'est l'accumulation dans les mains de l'Etat de toute l'action administrative ; ce qu'ils veulent, c'est placer entre les mains de l’Etat l’homme privé par l'intermédiaire des bourgmestres, des échevins, des autorités communales ; c'est de pouvoir placer l'homme moral entre ses mains par l'instruction et la charité.
Qu'est-ce que cela signifie ? C’est que la Constitution vous gêne ; c'est que la liberté ne vous sied plus. Vous faites l'aveu qu'il vous faut du pouvoir fort pour arriver, du pouvoir fort pour vous maintenir, c'est avec du pouvoir fort que vous vous êtes maintenus après votre arrivée aux affaires.
Mais on a été plus loin encore. L'honorable M. Tesch a été beaucoup plus explicite. En 1830, a-t-il dit en nous accusant, vous avez vinculé le pouvoir temporel et émancipé le pouvoir spirituel. Le pouvoir temporel, vous l'avez enferme dans un cercle de fer. C'est à peine si on lui a laissé la nomination de quelques agents, et pendant que le pouvoir civil était mis en tutelle, le pouvoir religieux était complètement émancipé.
Voilà, messieurs, des paroles qui m'ont renversé dans la bouche d'un ancien ministre et d'un homme qui espère le redevenir.
M. Tesch. - Qu'en savez-vous ?
M. Dumortier. - Quoi ! vous venez faire ici la guerre à la Constitution ! Vous venez ici blâmer la Constitution de ce qu'elle a fait. Vous venez ici demander le rappel de votre serment. Car vous avez juré fidélité à la Constitution. Et vous venez dire que la Constitution a vinculé à tort le pouvoir civil, que nous avons accordé à tort la liberté au pouvoir religieux. Mais quand nous avons vinculé le pouvoir civil, qu'avons-nous fait ? Nous avons donné l'extension la plus grande à la liberté. Voilà dans quel sens nous avons vinculé le pouvoir civil. Et puisque vous nous citez à chaque instant des exemples parlementaires, allez voir ce qui se passe en Angleterre. Là le pouvoir civil n'a rien à dire en matière d'élection, il laisse toutes les forces vives du pays s'agiter, et ce n'est qu'à ce prix qu'on obtient une représentation nationale exemple de tout reproche.
Vous venez exprimer des regrets sur les grandes libertés qu'accorde la Constitution et eu attaquer la base. Mais n'est-ce pas dire que si vous remontiez au pouvoir, vous voudriez par tous les moyens possibles défaire, au moyen de lois organiques, les libertés que 1830 a données au pays ?
Messieurs, je ne pouvais laisser passer sous silence une pareille condamnation d'une Constitution qui fait notre gloire. Je m'élève avec indignation contre de telles paroles, et je les signale au pays.
En 1848, quand l'Europe entière fut agitée, quand les trônes furent renversés, quand un vent impétueux souffla toutes les royautés hors de leurs gonds, partout vous entendiez crier ces mots : La liberté comme en Belgique ! Eh bien, en quoi consiste la liberté comme en Belgique ? Je vais vous le dire. La Belgique est le seul pays au monde qui ait émancipé l'homme moral ; le seul pays du continent où toute la pensée religieuse soit libre, indépendante et où elle peut ainsi faire concourir toutes les forces vives au bienfait de la nationalité, à l'existence nationale de la liberté. Et c'est là ce que vous voulez attaquer ! C'est contre la liberté des cultes, la liberté religieuse que sont dirigés tous vos efforts.
La libellé des cultes, messieurs, j'ai entendu avec peine l'honorable M. Frère nous en parler. La liberté, comme vous l'entendez, mais c'est la destruction du culte.
Quand vous nous parlez, à propos de h liberté des cultes, de 1790, vous n'ignorez pas ce qui a suivi. Qu'est devenu ce principe dont vous nous parlez toujours et qui n'a de vie que par notre Constitution ? Après 1790, ce principe a amené la suppression des cultes. Ce principe révolutionnaire à cette époque a eu pour résultat la suppression de toutes les églises, la dévastation de tous les temples. Le clergé chasse de ses églises, les cloîtres profanés, les églises outragées, la France couverte d'échafauds, voilà ce que nous avons vu, et il a fallu le régime du despotisme, pour rétablir l'ordre à la suite de pareilles libertés.
Nous au contraire, en 1830 qu'avons-nous fait ? Nous avons donné la liberté tout entière. Nous n'avons pas donné une liberté fictive avec les appels comme d'abus, avec les investitures, avec toutes les choses anciennes.
Le pouvoir n'a rien à dire aux ministres des cultes, qu’ils s'appellent évêque, domine ou grand rabbin. Chez nous le culte est libre et tous vos efforts ne parviendront jamais à lui faire perdre cette liberté.
En fin de toutes ces choses, messieurs, on est venu proférer ici des paroles que j'ai entendues avec un vif regret. Un honorable membre qui a siégé longtemps dans les conseils du Roi, qui a eu la direction du pays dans de graves circonstances et qui a contribué pour beaucoup à son exigence, est venu parler de révolution, L'honorable M. Frère en avait donné l'indication. L'honorable M. Lebeau nous en a en quelque sorte menacé, et l'honorable M. Frère a réservé sa finale pour en donner le cri de ralliement : l'abolition des couvents ; c'est-à-dire : à bas les couvents ! Messieurs, quand nous verrons cette révolution arriver, nous saurons où l'on a été puiser ce cri.
Eh bien, quand j'entends la passion politique se porter à de telles extrémités pour arriver à étouffer la liberté, est-ce là, je vous le demande, la conduite de bons citoyens ? C'est le cri de la contre-révolution qui s'agite sous la pression des mauvaises passions, de la haine contre la liberté de l'Eglise, de cette contre-révolution qui respire dans tous les actes destinés à faire disparaître la paix entre l'Eglise et l'Etat pour la remplacer par la guerre religieuse, toujours si funeste, toujours si dangereuse, alors surtout qu'elle cherche à froisser le chrétien dans les sentiments intimes de sa foi et de sa liberté.
Mais je viens le demander, que signifient ces mots ?
C'est encore la suppression de la Constitution que l'on nous demande. Lorsque vous violez ce grand principe de la non-intervention, du pouvoir civil dans les matières religieuses, lorsque vous supprimez le droit qu'à tout homme de prendre le culte qui lui convient, de se faire religieux s'il le trouve bon, alors c'est la Constitution que vous violez, c'est la Constitution que vous foulez aux pieds.
Oh ! on parle beaucoup de la Constitution, on lui fait de magnifiques ovations, on lui élève des colonnes, des colonnes de pierre, des colonnes muettes. Mais savez-vous, messieurs, où se trouve la véritable colonne de la Constitution ? C'est celle qui bat dans la poitrine de ceux qui, comme nous, en veulent tous les articles sans aucune exception. Voilà la véritable colonne de la Constitution, celle qui fait battre notre cœur patriotique, et non cette colonne de pierre, cette colonne muette, et qui nous accuserait si elle savait parler.
En agissant ainsi, messieurs, que fait-on ? Je l'ai déjà dit dans une occasion précédente, on jette le cri de la contre-révolution.
La révolution s'est faite au cri de liberté en tout et pour tous ; la contre-révolution veut se faire au cri de liberté pour les uns et oppression pour les autres ! Voilà le système contre lequel j'ai toujours protesté et contre lequel je protesterai aussi longtemps que j'aurai un souffle de vie dans la poitrine ! Vos maximes, c'est l'antithèse de 1830, c'est le renversement de la Constitution, c'est la contre-révolution.
Eh bien, le triomphe de la contre-révolution serait pour la patrie le plus grand des malheurs, car c'est par la Constitution que nous sommes forts, c'est par elle que nous pouvons résister à l'étranger, c'est par elle que nous sommes l'admiration de l'Europe.
Messieurs, la Belgique donne au monde un exemple magnifique ; c'est le pays où il existe le plus d'assistance pour les pauvres, c'est le pays où les pauvres reçoivent le plus de soins. Partout on dit : La liberté comme en Belgique. Tous les pays nous admirent. Voilà les résultats de 1830, voilà les biens qu'on voudrait faire disparaître aujourd'hui !
MM. Frère et Tesch ont parlé du secret de notre force, eh bien,, voilà le secret de notre force : c'est le respect profond que nous avons pour toutes les maximes de la Constitution.
Toujours nous avons respecté la Constitution dans toutes ses parties. Qu'on nous cite un seul acte depuis 1830 par lequel nous ayons méconnu une disposition constitutionnelle quelle qu'elle fût ! Citez un seul homme parmi nous qui ait jamais voulu porter l'atteinte la plus légère à la Constitution.
Ce sont les hommes qui siègent sur ces bancs qui soul la véritable colonne de la Constitution, ce sont eux qui l'ont faite, qui la maintiennent, et jamais de notre côté vous n'avez entendu exprimer un regret sur une liberté quelconque consacrée par la Constitution. Jamais aucun de nous n'a crié : Vive la république !, jamais aucun de nous n'a crié : Vive Orange !
Nous avons toujours crié, tous tant que nous sommes : Vive la patrie ! Vive la Constitution ! C’est le cri que nous maintiendrons toujours, quels que soient les événements politiques qui puissent survenir en Europe, toujours ce sera notre cri de ralliement parce que c'est le cri national.
Messieurs, nous avons le bonheur de vivre à une bien grande époque. L'esprit de l'homme a fait dans notre siècle d'admirables conquêtes. Ce que le passé n'avait pas prévu, n'avait pas soupçonné, nous est aujourd'hui donné. Nous avons des institutions qui servent de modèle à toute l'Europe et qui sont enviées par tous.
Dans l'ordre des progrès de l'intelligence, les plus magnifiques inventions, les plus sublimes découvertes se rapportent à l'époque où nous vivons. L'homme a dépassé tout ce que la pensée des anciens avait pu concevoir. Les chemins de fer ont supprimé les distances. Le convoi part, l'essieu crie et vous êtes à la Méditerranée ; la pensée de l'homme elle-même va avec la rapidité de l'éclair se faire connaître d'un bout du monde à l'autre au moment même où elle est exprimée.
Mais à côté de ces merveilles il est un fait que l'homme politique ne peut pas méconnaître, c'est que cette société qui fait de si grandes choses renferme, à un autre point de vue, les germes d'une bien grande décadence ; ce qui manque à notre époque, ce sont les grands caractères.
Ce qui existe beaucoup trop, ce sont les maux produits par la cupidité, par l'orgueil, par le sensualisme. Voilà, messieurs, ce qui peut pousser la société à une affreuse catastrophe. Ne nous faisons pas illusion, nous sommes, à ce point de vue, dans un véritable Bas-Empire, nous sommes dans une situation qui peut présager la décadence si les grands moyens n'arrivent pas au secours de la civilisation.
(page 1564) Les agiotages de la bourse, les cupidités de l'argent, l'orgueil des emplois publics, tout cela est une fatalité de notre époque et une fatalité, porte dans ses flancs des résultats terribles. A côté de cela, il y a un autre mal encore parmi nous, qui nous ronge, qui nous menace, qui peut un jour venir saisir cette société et peut-être la réduire en poudre.
Ce mal ; c'est le paupérisme. Je suis loin d'admirer le moyen âge, mais quand je consulte l'histoire, je vois que le régime féodal, où il y avait tant d'abus, présentait cependant un côté bien remarquable : c'est le patronage, c'est que le pauvre ouvrier était toujours sûr de son existence, de la vie, de la santé.
Voilà, messieurs, un côté de la question qu'il ne faut pas perdre de vue et dont l'absence est une des plains de notre temps. Cette solidarité entre les puissants et les faibles qui n'existe plus aujourd'hui. Le pauvre, dépourvu de patronage, est souvent exposé à la misère et aux maux qui en sont la suite et qui peuvent finir par le désespoir.
Aujourd'hui la commande réclame beaucoup d'ouvriers, on les appelle de tous les côtés ; les commandes cessent, on les renvoie.
On va plus loin ; on emploie ces mêmes enfants dont nous parlions tout à l'heure, on les emploie dans les houillères, et on ne le trouve pas mauvais ; les soins qu'on a pour le développement de l'intelligence sont devenus peu de chose ; la machine est devenue l'intelligence ; l'homme est réduit au rôle de machine.
Voilà une condition qu'il ne faut pas perdre de vue.
Si vous ajoutez à cela la défiance injuste des gouvernements contre l'action religieuse sur les populations, défiance qui empêche de leur inculquer le sentiment du devoir sans lequel l'homme n'a pas de frein à ses cupidités et ses à besoins, vous avez l'explication de la grande catastrophe de 1848 et de celles qui peuvent se présenter encore au jour.
Est-ce par l'organisation d'une croisade contre la foi que vous parviendrez à porter un remède à un aussi grand mal ? Pour moi, je n'hésite pas à le déclarer, si cette plaie du paupérisme ne trouve pas une compensation dans l'action incessante de l'Eglise, dans la liberté de la charité avant tout, cette plaie vous dévorera un jour, elle vous mangera et elle vous mènera à des catastrophes comme celle de 1848.
Nous sommes, sous le rapport de l'assistance, un véritable modèle pour l'Europe. Aucun pays au monde n'a autant fait par la charité privée que la Belgique.
Partout, à l'ombre de la liberté, se sont fondées des institutions pour les enfants pauvres, des institutions pour les malades pauvres, des institutions pour les vieillards pauvres.
La charité privée a fondé des établissements où l'enfant pauvre qui a besoin d'une main protectrice, trouve des soins et de l'éducation ; quand cet enfant, devenu homme, tombe malade, il trouve un hôpital pour se guérir de ses maux ; quand il devient vieux, il trouve un hospice contre les infirmités de la vieillesse.
Voilà ce que nous avons fait. Aucun pays du monde ne peut nous être comparé pour les services que nous avons rendus, pour les grands exemples que nous avons donnés à l’univers.
Eh bien, ce sont ces exemples que vous voulez faire disparaître.
Quelle est la grande lutte actuelle ? C'est la lutte du rationalisme contre la pensée chrétienne ; le rationalisme tend à asservir la pensée qui a régénéré le monde, qui a fait la civilisation actuelle ; le rationalisme tend à mettre cette pensée sous la subordination de l'Etat. Messieurs, si vous refusez le concours de l'Eglise pour l'amélioration de la société, si vous refusez à la charité la liberté que nous voulons pour elle, prenez garde qu'un jour vous n'ayez à regretter amèrement la loi que vous faites ! prenez garde que vous ne soyez débordés par le torrent, et que vous n'y soyez entraînés sans retour !
Quand Rome est tombée, les barbares du Nord vinrent régénérer la société ; mais aujourd'hui cette société moderne, si fortement entachée de corruption, d'avidité, de sensualisme, a chez elle le paupérisme ; elle s'expose à rencontrer les barbares dans son sein. Un seul remède s'offre à cette perspective, c'est la liberté de l'action de l’Eglise dans son action civilisatrice. Le gouvernement de juillet, saisi de fausses craintes et voulant affaiblir par le rationalisme l’élément religieux, a amené la catastrophe de 1848. Que cet exemple vous serve de leçon, car l’étude du paupérisme, des misères du peuple nous dit assez les destinées du monde : ou les œuvres de la foi, ou la barbarie.
M. Frère-Orban (pour un fait personnel). - Je me renfermerai exclusivement dans le fait personnel ; je serai très bref ; je ne tiens pas à répondre aux considérations que vient de présenter l'honorable préopinant. Seulement eu ce qui concerne les attaques contre la Constitution que l'honorable membre, en termes si éloquents, nous assure être l'objet du respect de tous, je me borne à le renvoyer à certain livre de M. de Gerlache, aux encycliques du pape et aux derniers mandements de nos évêques, relatifs aux principes de la Constitution professés dans les établissements de l'Etat.
Le fait personnel pour lequel je me lève est celui, ci : J'ai cité trois fats graves qui ont paru faire quelque impression sur la Chambre.
Le premier est relatif à l’hospice de Roulers. J’ai rapporté que cet établissement, desservi par 10 religieuses, puis par 13, contenait un certain nombre de vieillards relègues dans un grenier, et que cet hospice occasionnait une dépense qui avait paru trop considérable à l’autorité civile. Une innovation a eu lieu, une nouvelle administration a été introduite ; elle a montré beaucoup d’égards pour les religieuses qui pourtant se sont retirées du jour où elles n'avaient plus l'entreprise de l'établissement.
M. Rodenbach. - On les a chassées.
M. Frère-Orban - D'après les pièces officielles que j'ai lues, je donne à l'honorable M. Rodenbach le démenti le plus formel sur ce point.
J'ai lu la lettre adressée par la commission au directeur de ces religieuses, lorsqu'elles se sont retirées ; cette lettre est pleine d'égards et de respect ; on manifeste le regret qu'elles quittent l’établissement.
L'établissement a été mis en régie et administré par la commission des hospices ; les dépenses ont été considérablement réduites.
Les religieuses qui se sont retirées sont remplacées par cinq sœurs laïques qui font tout le service de l'établissement. (Interruption.)
On les nomme sœurs laïques. (Nouvelle interruption.)
L'honorable M. de Mérode n'en connaît pas ; j'en connais moi. Il y a apparemment de la charité ailleurs que sous l'habit religieux. Il faut faire justice de cet absurde fanatisme qui consiste à croire qu'il ne peut y avoir de charité dans le monde que sous l’habit religieux, il y a trois mille hospitalières, c'est-à-dire une hospitalière par commune.
Que deviendraient nos malheureux, nos malades, s'il n'y avait pas des laïques, des gens de cœur, des femmes pour les soigner, sans avoir revêtu l'habit religieux ?
Les soins ont été donnés à tous les vieillards de l'hospice de Roulers par cinq sœurs laïques seulement et depuis lors ces vieillards qui étaient au grenier ont été ramenés au premier étage de l'établissement. Ce fait n'est pas contesté. Mais depuis lors, malgré des démarches réitérées, verbales et écrites, l'autorité religieuse s'est refusée à célébrer l'office divin dans la chapelle de l'établissement. Voilà le seul fait que prétend contester l'honorable M. Dumortier. Or ce fait est attesté, et je tiens que ce certificat vaux mieux que la parole de l'honorable membre ; ce fait est attesté dans un rapport officiel adressé à l'administration communale de Roulers par la commission des hospices. L'honorable M. Dumortier peut adresser ses rectifications à cette autorité. Je maintiens donc le fait, tel que je l'ai rapporté.
Le second fait est relatif à l'établissement de Hooghlede. L'honorable M. Dumortier a reçu aujourd'hui par hasard, on ne sait de qui, une lettre qui donne des explications sur ce fait. L'honorable membre ignore apparemment où ces faits sont constatés.
Ils sont constatés dans un rapport officiel du commissaire d'arrondissement de la localité, adressé à M. de Muelenaere, qui n'a pas contredit un seul des faits attestés par ce rapport, soumis à la députation qui l'a approuvé et renvoyé au ministre, qui, sur le vu des faits attestés, a refusé d'accorder le subside de l'Etat. Ces faits sont de toute exactitude.
L'autre fait est relatif aux ateliers de charité. Je croyais qu'on n'aurait pas eu le courage d'en parler, je croyais que quand on profère à tout propos le mot de charité, ou aurait consenti à garder le silence sur un pareil fait.
Comment ! il est attesté authentiquement, officiellement, il est avoué par le ministre de l'intérieur dans cette Chambre, qu'il est impossible d'obtenir des personnes qui exploitent ces établissements, qu'il est impossible d'obtenir qu'on y introduise l'enseignement pour ces enfants.
- Un membre. - Il existe partout !
M. Frère-Orban. - Cela est démenti par M. de Breyne et par M. le ministre de l’intérieur ; c'est sur le témoignage de M. le ministre de l'ultérieur que je me suis fondé pour dire qu'il est impossible d'obtenir qu'on introduise l'enseignement primaire dans ces écoles, que les personnes qui dirigent ces établissements aiment mieux renoncer aux subsides de l’Etat. Cela a été reconnu, déclaré dans cette Chambre par l'honorable membre.
Maintenant, il est également avancé, constaté, proclamé, écrit, publié à la louange de ces établissements, par M. de Haerne, que les enfants reçus dans ces établissements coûtent de 6 à 10 francs annuellement et rapportant à l'établissement une somme considérable qui fait en total, d’après les calculs de M. de Haerne, sur lesquels je me suis fondé, une somme de plus de trois millions qui passent aux mains de ceux qui diligent les établissements.
M. de Haerne. - En salaires distribués aux familles.
M. Frère-Orban. - L'honorable M. de Haerne a parfaitement distingue deux choses : le salaire distribue et la somme produite.
M. de Haerne. - Je m'expliquerai.
M. Frère-Orban. - M. de Haerne s'expliquera, soit ; mais quand ? je reproduis ses expressions littéralement... (Interruption.)
Il paraît que vous connaissez tous les choses aussi bien que M. de Haerne relativement à ces établissements !
M. Coomans. - C'est inexact ! Nous avons tous vu des ateliers de charité, vous n'en avez jamais vu !
M. Frère-Orban. - Je sais que rien n'est mauvais dans ce qui est fait sous le manteau de la religion, mais il est impossible de visiter un établissement, d’obtenir un compte, tout reste secret.
A vous entendre, vous avez fait des merveilles ; dites-nous dont où elles sont, permettez-nous d'aller les voir ; faisons une enquête sur tous ces faits, quand nous aurons cette enquête, nous verrons ce qu’il y aura à consacrer.
Je maintien, eu attendant les trois faits que j'ai énoncés, rapportés (page 1565) actuellement sur documents authentiques, officiels ; je maintiens tous ces faits, je persiste dans tout ce que j'ai dit sans en retrancher un seul mot.
M. Dumortier. - L'honorable membre prétend maintenir les trois faits dont il vient de vous entretenir.
le dirai quelques mots en ce qui concerne l'hôpital de Roulers. Qu'avait dit d'abord l'honorable M. Frère. ? Que l'on avait refusé les sacrements dans l'hôpital de Roulers.
- Plusieurs voix. - Non ! non ! il avait dit le service religieux, les secours religieux !
M. Dumortier. - C'est la même chose ! Voilà donc l'accusation qu'on formulait hier ; on se garde bien de la reproduire aujourd'hui ! Ou nous parle de rapport adressé à M. de Muelenaere ; nous voilà encore dans l'histoire ancienne ! il y a dix ans que M. de Muelenaere a cessé d'être gouverneur de cette province par votre grâce et vertu.
Vous nous parlez d'un fait qui a pu se passer il y a dix ans et vous venez contester la lettre dont j'ai donné lecture. Vous parlez d'histoire ancienne et moi je parle de faits actuels. Je maintiens contre vous l'exactitude de tous les faits consignés dans la lettre dont j'ai donné lecture à Chambre.
Passons à la question des ateliers. Il faut être doué d'un étrange courage pour venir attaquer ici ces femmes vertueuses, que vous appelez des exploitants, ces femmes vertueuses qui se dévouent en spéculateurs de la misère, il faut du courage pour faire de ces anges de vertu et de charité d'infâmes agioteurs !
Quo ; ? vous venez dire qu'elles font de la spéculation au profit de leur maison ou d'autres. Dans votre prévention contre tout ce qui porte le caractère religieux, vous parlez d'exploitation et de spéculation et vous vous appuyez d’un rapport de personnes qui exploitent des ateliers ! Vous ne voyez pas qu'il s'agit de négociants qui fournissent le fil et retirent la dentelle, vos yeux troublés ne voient que nonnes et religieuses ;et c'est là-dessus que vous établissez votre échafaudage pour lancer à ces nobles et dignes femmes l'accusation d'exploiter de pauvres enfants !
Dé pareilles choses sont indignes de la législature. Avant de lancer de pareilles accusations si vous aviez regardé de plus près le texte que vous aviez sous les yeux, vous auriez vu qu'il s'agit là, non de nonnes, mais d'industriels.
Mais puisque l'honorable membre s'est si fortement ému du sort des enfants au sujet des ateliers de charité, je lui demanderai pourquoi, quand il était ministre et que j'ai demandé de fixer par une loi les conditions du travail des enfants dans les ateliers des fabriques, pourquoi il a repoussé ma proposition avec indignation.
Ah ! je le sais, vous n'avez pas toujours les mêmes principes. Vous trouvez mauvais que ces ouvrières travaillent, parce qu'elles sont sous la direction des religieuses. Mais quand des enfants descendent dans une houillère, quand ils travaillent dans une fabrique, vous le trouvez bon. Ce que vous trouvez mauvais, c'est l'usage de la vertu, du dévouement sublime auxquels nous rendons hommage.
Voilà la différence entre nos deux systèmes. Nous voulons une loi qui limite le travail dans les fabriques, et vous ne vous plaignez que parce que ce sont des religieuses qui s'occupent de bienfaisance.
M. de Haerne (pour un fait personnel). - Messieurs, je n'aurais pas cru qu’il fût possible d'interpréter, comme l'a fait l’honorable M. Frère, ce que j'ai allégué sur les ateliers de charité ou d'apprentissage.
Oui, d'après mes recherches, d'après les renseignements que j'ai recueillis dans presque toutes les paroisses du pays par le clergé, par les personnes charitables, par des autorités laïques même, je suis parvenu à constater des faits remarquables qui militent en faveur de la charité privée et dont j'ai publié les tableaux dans le Spectateur belge.
J'ai fait voir que ces admirables institutions, appelées écoles dentellières, ont produit en un an 4 millions de francs pour tout le pays et 3,880,000 francs pour les Flandres ; c'est-à-dire pour ces dernières provinces seules, un produit supérieur à tous les secours distribués par les bureaux de bienfaisance. Je compte sous la direction de religieuses 39,000 dentellières, dont 37,500 dans les deux Flandres. Elles gagnent depuis l'âge de 7 à 17 ans en moyenne, 104 fr. 61 c. par an. Il y en a qui gagnent plus d'un franc par jour à l'école d'apprentissage.
Mais, dit-on, c'est un produit qui revient aux religieuses. Je ne conçois pas que l'on dénature ainsi les choses. Je vous ai fait voir dans mon discours du 2 mai, que la spéculation dont vous vous faites un fantôme est une chose impossible. Qu'ai-je dit à cet égard ? Si vous aviez fait attention à mes parole, au lieu de m'accuser avec une légèreté que je ne puis m'expliquer, vous auriez compris que la spéculation est impossible, que ce produit revient tout entier aux enfants, ou plutôt aux parents ; voici les raisons que j'ai alléguées.
Pourquoi, me suis-je demandé, cette spéculation est-elle impossible ? Parce que par suite de la création de ces institutions, il s'en est érige d'autres, qui sont exploitées dans un but de spéculation, par des particuliers, par des laïques. Là même où il n’existe pas d'ateliers à côté de celui du couvent, on en verrait surgir, dès que les religieuses spéculeraient sur le salaire des enfants. Il est évident que si l'on voulait spéculer, je ne dirai pas, en prenant tout le produit, comme le suppose l'honorable M. Frère, mais seulement une partie du produit du travail dans les écoles tenues par les religieuses, si l'on retenait dans un odieux but de lucre, une partie des salaires, les enfants quitteraient immédiatement l’atelier du couvent pour aller à l'école voisine dirigée par des laïques.
J'ai ajouté que les religieuses faisaient pour les ateliers des dépenses prélevées non sur les salaires, mais sur la charité privée, dépenses que j'ai évaluées pour 1856 à plus de 300,000 francs pour tout le pays. Ces dépenses se rapportent à l'amélioration des locaux, aux instruments de travail, aux secours, tels que soupes, habillements et autres récompenses. Plusieurs ateliers ont reçu aussi des subsides.
Voilà comment j'ai fait voir qu'il ne pouvait y avoir de la spéculation. D'un côté, la concurrence s'y oppose, de l'autre côté, les sacrifices faits par les couvents en faveur des enfants pauvres, rendent les bénéfices impossibles.
Je suis allé plus loin ; j'ai dit que la concurrence était bonne, utile, légitime au point de vue du travail ; j’ai dit que plus le travail est libre, plus l'industrie se développe ; j'ai dit qu'il fallait la liberté du travail.
Mais je me suis hâté d'ajouter que cette lutte avait un mauvais côté, quant à l'instruction, ici, je touche à la deuxième objection faite par l'honorable M. Frère ; c'est la question de l'instruction. S’il n'y avait pas d'ateliers tenus par des religieuses, il n'y aurait pas d'instruction pour cette classe d'enfants, parce que tous les moments seraient absorbés par le travail dans les ateliers laïques, où souvent les institutrices ne savent donner que l'enseignement professionnel.
Comment attire-t-on les enfants dans les écoles dentellières tenues par des religieuses ? D'abord, par le produit du travail qui est distribué en salaires aux enfants ou plutôt aux parents, ce qui constitue un immense avantage pour les communes. Ensuite par les secours et les distributions de récompenses et de prix. Puis encore en inculquant aux parents le devoir de faire instruire leurs enfants.
Dans ces maisons de travail on donne non seulement l'instruction religieuse, mais aussi l'enseignement scientifique. Cela est ordonné par les évêques. Tous les jours il y a dans chaque école au moins une heure entièrement consacrée à l'instruction scientifique. Cette instruction se combine avec celle qui est donnée dans les écoles dominicales.
Je ne dirai pas que cette instruction est très étendue, mais elle comprend la lecture, l'écriture, l'arithmétique ; elle est ce qu'elle peut être pour la classe ouvrière. Ce qui fait ressortir l'immense service rendu dans cette partie par la charité privée à la classe indigente, c'est la combinaison des moyens d'action que je viens d'énumérer, et que la bienfaisance officielle est incapable de réunir.
C'est, grâce à ce concours de moyens, que l'on peut retenir les enfants à l'école pendant un certain nombre d’années ; si on leur enseigne moins en une année qu'on ne le fait à l'école primaire, on parvient à peu près au même but avant l'achèvement de l'apprentissage professionnel, qui pour la dentelle est assez long. Sans cela, les enfants pauvres, au lieu d'aller à l'école, se livreraient au vagabondage, au maraudage, à la mendicité.
Non, je ne crains pas de dire qu'au point de vue de la moralité, de l'enseignement professionnel et scientifique, ces établissements rendent des services qu'il serait impossible d'obtenir par un autre moyen.
Mais, dit-on, les enfants renfermés dans des locaux malsains, penchés constamment sur un carreau, deviennent faibles, infirmes ou rachitiques.
Je proteste également contre ces allégations. Encore une fois, ces inconvénients se présenteraient, s'il n'y avait que des ouvroirs laïques. Ceux-ci, en effet, sont le plus souvent mai tenus et ressemblent à de misérables taudis ; les exercices y sont peu variés et présentent des inconvénients sous le rapport sanitaire, non pas semblables à ceux qu’on rencontre dans les houillères ou dans l'atmosphère des fabriques qui marchent à la vapeur, mais enfin des inconvénient réels. Rien de tout cela ne se voit dans les ouvroirs tenus par les corporations religieuses.
Dans ces ateliers on varie les exercices ; on y passe de l'enseignement professionnel à la récréation, de la récréation à l’instruction religieuse et scientifique.
Grâce aux sacrifices pécuniaires faits par les religieuses, grâce aux secours prélevés sur les dots, sur les rétributions des élèves solvables de l'enseignement primaire, grâce aussi à quelques légers subsides de l'Etat ou de la commune, on voit généralement dans ces maisons des salles spacieuses et bien aérées, où l'on occupe les enfants au travail et à l'instruction.
Tous ces avantages sont dus je ne dirai pas seulement à l'esprit de charité, mais à ce genre vraiment belge qui sait si admirablement combiner avec les créations de la bienfaisance chrétienne, les ressources du travail et de l’industrie.
Je ne crois pas qu'on puisse citer dans le monde un exemple de pareilles institutions, créées en si peu de temps et en si grand nombre, par la nécessite des circonstances calamiteuses, telles que la crise industrielle, la crise alimentaire, le choléra et le typhus. Si l'on ajoute à cela que ces écoles d’apprentissage se sont érigées partout où le besoin s'en est fait sentir, surtout depuis 1848, qu'elles ont produit partout les mêmes effets, qui consistent à procurer le travail et l'instruction, à entretenir les parents, souvent désœuvrés, par le travail des enfants ; si l’on réfléchit qu'on a vu disparaître dans beaucoup d'endroits par l’influence des écoles dentellières, la mendicité qui, auparavant, régnait partout ; et que si le paupérisme se rencontre encore dans nos contrées, c'est qu'on n'a pas assez développé ces institutions, ni surtout étendu aux garçons l'apprentissage professionnel, comme on l’a fait pour les filles ; si on examine froidement et impartialement ces immenses avantages dus aux inspirations de la charité privée, on est fier d'appartenir au pays qui a produit ces merveilles, sans en faire (page 1566) ostentation ; et l’on ne peut que bénir ces œuvres et les encourager par tous les moyens possibles.
Pour ma part, messieurs, je dois déclarer, en protestant contre les allégations de l'honorable préopinant, que les institutions dont je viens de tous parler, présentent à mes yeux une des plus puissantes considérations en faveur du projet de loi en discussion, et m'engagent surtout à l'adopter.
- La séance est levée à 5 heures.