(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Delehaye)
(page 1473) M. Tack procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Crombez donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Tack présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Les sieurs Lumpaert et Mestdagh, marchands de charbons à Tronchiennes, prient la Chambre de les faire indemniser du préjudice que leur a fait éprouver le pont fixe construit par l'Etat, sur la Lys, pour livrer passage au chemin de fer de Gand à Ostende, et demande qu'il soit pris des mesures pour les prémunir contre ce préjudice dans l'avenir. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Willems, ouvrier à la journée, demeurant à Bruxelles, demande à être exempté du service de la garde civique. »
- Même renvoi.
« Le sieur Jahn, ancien militaire, demande une pension ou un secours. »
- Même renvoi.
« Les membres du tribunal de première instance de l'arrondissement de Huy demandent une augmentation de traitement. »
M. Lebeau. - Conformément aux décisions antérieures de la Chambre, je demande le renvoi de cette pétition à la commission chargée de l'examen du projet de loi d'organisation judiciaire. Il s'agit du personnel des tribunaux. Plusieurs pétitions analogues ont été renvoyées à la même commission.
- La proposition de M. Lebeau est adoptée.
M. Lesoinne. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission d'industrie sur la pétition des sieurs Montefiore, Levi et Cie, demandant la libre entrée des minerais de nickel bruts ou fondus, des nattes, speiss et autres matières contenant du nickel.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. le président. - La discussion générale continue. La parole est à M. de Theux, inscrit pour.
M. de Theux. - Messieurs, dans deux séances consécutives, l'honorable M. Verhaegen a fait une guerre ardente à la charité du clergé, à l'enseignement du clergé. Papes, évêques, curés, religieux et religieuses, rien n'a échappé à ses ardentes critiques. La soif de domination et des richesses est le caractère distinctif du clergé catholique depuis le IVème siècle.
Oui, le clergé catholique a eu une soif, non pas depuis le IVème siècle, mais depuis son institution ; c'est la soif de propager l'évangile, de propager l'Eglise et toutes ses institutions. C'est à cette soif qu'il a consacré toute son influence, qu'il a consacré toutes les ressources dont il pouvait disposer, qu'il a consacré des travaux assidus, qu'il s'est exposé à des persécutions, voire même au sacrifice de sa vie.
Voilà, messieurs, quelle a été la soif, quelle a été la faim du clergé ; la faim et la soif de la justice, comme le commande Notre Seigneur dans son évangile.
Sans doute, messieurs, au milieu de tant de bienfaits, des abus, des abus nombreux, des abus considérables ont eu lieu.
Des défections se sont opérées dans des Etats catholiques ; des Etats entiers ont abandonné la foi, leur clergé en tête. Qu'est-ce que cela prouve ? Cela ne prouve rien contre l'institution du christianisme. Au contraire, c'est la preuve la plus éclatante de sa divine institution, et c'est le motif pour lequel l'Eglise catholique mérite tous nos respects.
L'honorable membre n'a rien dit des services de l'Eglise. C'est cependant à elle que l'Europe doit sa civilisation, c'est à elle qu'elle doit son incontestable supériorité sur toutes les autres nations.
Il cherche à effrayer le pays des conséquences possibles de la loi que nous discutons. Messieurs, c'est une loi de charité, qui n'a rien de commun avec les richesses des anciennes abbayes.
On a évoqué ici des abbayes riches et puissantes. Oui, ces abbayes se sont fondées d'abord pour propager le christianisme ; ensuite, elles se sont adonnées à la culture des terres en friche, et ainsi elles ont puissamment contribué à la prospérité de l’agriculture. Elles se sont occupées de l'étude des lettres et des sciences et elles ont ainsi puissamment contribué à la brillante civilisation dont nous jouissons.
Mais les temps sont changés et la révolution de 1789 a emporté les abbayes avec leurs richesses. Elles n'avaient pas cependant acquis ces richesses d'une manière injuste ; elles étaient la conséquence d'une part de leur travail, d'autre part, d'acquisitions faites régulièrement pendant un grand nombre de siècles, alors qu'aucune loi n'y faisait obstacle ; elles les devaient aussi à des dons qu'elles avaient reçus, non pas des pauvres, mais de personnes puissantes, de rois, de princes et de grands seigneurs, surtout à l'époque des Croisade.
Mais peut-on dire sérieusement que, dans les circonstances actuelles, sous l'empire de notre organisation politique et civile, le rétablissement de telles richesses soit encore possible ? Non, messieurs, il n'est pas un homme qui, jouissant de la plénitude de son bon sens, exempt de passion, ose proférer une pareille assertion à la tribune.
Le Congrès national a organisé la liberté des cultes, la liberté de l'enseignement, la liberté d'association ; le pays jouit de ces libertés dans toute leur plénitude. Oh sont les abus, les abus graves qui fassent prévoir des abus plus graves encore dans l'avenir ? Qu'on en articule ; quant à moi, je n'en connais pas.
Je connais les bienfaits immenses des libertés proclamées par la Constitution ; ces bienfaits se manifestent tous les jours. Vous avez vu sans doute le tableau que l'honorable M. de Haerne a fait imprimer. Vous en avez entendu le résumé qu'il en a présenté dans une séance précédente,
Messieurs, ce tableau c'est moi qui ai engagé l'honorable membre à en recueillir les éléments, quand la loi de charité a été présentée à vos délibérations ; ce qui prouve que nous ne craignons pas la publicité et qu'il n’était pas nécessaire de faire une motion pour obtenir les résultats statistiques que le gouvernement avait à recueillir.
Eh bien, en consultant ces tableaux, vous verrez que chacune des institutions auxquelles seules la loi peut s'appliquer, c'est-à-dire les établissements de bienfaisance, les écoles de pauvres sont suivis avec empressement par la population ; elles ne suffisent pas à desservir la population qui en réclame le bénéfice.
S'agit-il même d'un autre ordre d'idées, des corporations religieuses proprement dites qui sous aucun rapport ne peuvent faire partie de cette loi directement ou indirectement, qui ne le demandent même pas et auxquelles nous ne l'accorderions pas, leurs églises, leurs chapelles sont en faveur auprès du public, car elles sont fréquentées avec empressement, elles ne le cèdent pas en popularité à leurs anciennes églises paroissiales.
Qu'est-ce que cela prouve ? C'est que les services soit religieux soit charitables de tout ordre sont acceptés avec empressement par le peuple.
Les captations ont joué un grand rôle dans le discours de l'honorable membre. Mais, messieurs, les captations ne peuvent pas seulement être exercées dans un but religieux, dans un but charitable ; il est un autre ordre de captations, qui s'exerce dans un autre but, c'est ce que nous pouvons appeler la captation laïque.
Quand des infirmes, des malades sont mis en tutelle par un époux, un parent, un domestique habile qui les entoure à leurs derniers moments, ils sont mis dans l'impossibilité de changer leurs dispositions testamentaires, on exerce sur eux une influence presque irrésistible. Eh bien, de toutes ces captations on n'a rien dit ; on a eu raison, c'est un mal qui est la conséquence du droit de tester, droit reconnu par toutes les nations qui jouissent d'une civilisation avancée.
Preuve encore qu'il est impossible de produire en ce monde une institution, quelque bonne qu'elle soit, qui ne donne lieu à quelques abus, Est-ce un motif pour détruire une chose, qu'elle donne lieu à des abus ? Non, car l'homme lui-même n'existerait pas si telle était sa condition qu'il ne put jamais abuser de son existence.
Du reste les captations sont du ressort des tribunaux et du ressert exclusif des tribunaux.
(page 1474) C'est à tort qu'on vient dans cette enceinte produire des documents dont personne n'est à même d'apprécier la valeur, de contester l’interprétation, que vous présentez comme preuve manifeste de captation, livrant ainsi à l’indignation d'un public trompé, des actes qui en eux-mêmes sont probablement parfaitement innocents aux yeux de la morale comme aux yeux de la loi.
La bonne fortune de l'honorable membre a été la circulaire de l'évêque de Gand : Cette circulaire n'était pas mystérieuse, car c'est un journal catholique qui l’a produite au jour. Cette circulaire révèle la tendance d'enlever aux familles les biens nationaux !
C'est une menace suspendue sur la tête des familles qui les détiennent, leur réputation est compromise !
Messieurs, il n'en est rien. Si telle était la tendance de cette pièce, elle n'eût point paru dans les circonstances actuelles. Mais il y a une autre preuve plus manifeste ; incontestable : c'est la démarche que les évêques de Belgique ont faite en commun auprès du Saint-Siège en 1833, pour obtenir des explications extensives du concordat de 1801, afin de mettre à l'aise une quantité de familles qui, pour des cas particuliers, se trouvaient encore dans l'inquiétude.
Voilà, messieurs, la réponse aux accusations de tendance du clergé contraire à la loi du concordat, qu'il est le premier obligé de respecter.. Car il doit donner l'exemple de la soumission au saint-siège.
Les biens de l'Eglise sont disséminés dans un nombre presque infini de familles. Et où sont les manœuvres pour inquiéter ces familles ? Si elles existaient, mais la presse, mais la tribune en retentiraient, et l'éclat serait tel que le clergé ne pourrait en soutenir le choc.
La réputation des familles ? Messieurs, j'avoue qu'à mon avis il n'y avait pas nécessité à ce qu'on sût le nombre des acquéreurs et des propriétaires des monastères et des abbayes vendus par Joseph II. Mais aussi je suis bien convaincu qu'il ne s'agit pas ici de jeter du blâme sur les familles, de compromettre des noms. Tel n'est pas l'objet de la circulaire. Son objet, c'est détenir en réserve pour l'avenir, pour la postérité, des renseignements historiques dont on fera ou ne fera pas usage suivant que la prudence et la nécessité le voudront. La réserve et la prudence sont d'ailleurs recommandées dans cette circulaire.
Quant à moi, je désire que cette circulaire soit traduite et qu'elle figure dans le Moniteur comme annexe à nos discussions parlementaires. Chacun pourra l'apprécier à sa manière et avec sang-froid en la lisant dans sa plénitude.
Messieurs, j'arrive à la discussion spéciale du projet de loi. A mon avis, ce projet de loi ne renferme aucune des monstruosités qu'on lui attribue, et je n'hésite pas à déclarer que je le trouve parfaitement bien rédigé et conçu, que je n'en prévois que des conséquences utiles pour le pays, que je n'en prévois aucune conséquence dommageable ; et si j'avais pu conserver quelque doute à cet égard, il se serait dissipé en présence des attaques auxquelles il a donné lieu.
En effet, que trouvons-nous ? D'une part des suppositions impossibles ; d'autre part, dis comparaisons entre des situations et des législations entièrement différentes. Donc des arguments qui ne peuvent avoir aucune valeur sur votre appréciation.
Quel est l'objet capital de la loi ? C'est la reconnaissance du droit d'instituer des administrateurs spéciaux, des établissements de charité sous l'approbation, sous le contrôle de l'autorité publique, du pouvoir royal, de l'administration, de l'ordre judiciaire.
Oh ! intentions abominables ! s'écrie-t-on ; c'est la restauration de tous les abus qui ont eu lieu sous l'ancien régime. C'est la destruction de la centralisation ; c'est la confusion dans la charité ; c'est l'emploi arbitraire des revenus.
Messieurs, la centralisation est maintenue dans toute son intégrité. Il n'est porté aucune atteinte à l'institution des hospices et des bureaux de bienfaisance. La loi n'a pour objet que de confirmer et d'organiser an principe reçu dans notre législation depuis un temps presque immémorial.. En effet, nous avons vu les administrateurs spéciaux en pratique dans ce pays, notamment de 1804 à 1848. Vous avez le tableau sous les yeux. Ln grand nombre de ces institutions ont été confirmées par le gouvernement. Où sont les abus de ces administrations spéciales ?
Mais à côté de ces administrations spéciales qui ont obtenu ce caractère d'utilité publique par l'approbation du gouvernement, il en est an nombre infiniment plus grand qui existent à l'état absolu de liberté. Consultez le tableau imprimé sous les auspices de l'honorable M. de Haerne ; vous en verrez là une quantité énorme. Eh bien, ces administrateurs spéciaux, quoique parfaitement libres, quoique n'étant soumis à aucun contrôle, à quels abus ont-ils donné lieu ? On ne les signale pas ; on ne s'en occupe pas.
En 1848, l'honorable M. de Haussy et plus tard l'honorable M. Tesch, ont déclaré que la constitution de ces administrateurs spéciaux était illégale, qu'elle était contraire au principe de centralisation et de sécularisation proclamé par la loi de l'an V.
Ces ministres ont-ils obtenu l'assentiment des Chambres, l'assentiment de l'opinion publique ? Mais non ; en 1854, l'honorable M. Faider propose à la Chambre un projet de loi dans lequel il porte d'abord une atteinte à la sécularisation absolue en proposant d'introduire le curé comme membre de droit dans le bureau des hospices et dans le bureau de bienfaisance. Voilà une atteinte portée à la sécularisation, proposée par un ministère libéral.
A la vérité l'honorable M. Faider supprime d'autre part les administrateurs spéciaux ; les dons et legs doivent être acceptés et administré par les bureaux des hospices et de bienfaisance. Mais dans les sections qu'arrive-t-il ? Le maintien des administrateurs spéciaux est proposé par 47 voix contre 11 et 19 abstentions.
Cependant, messieurs, les sections avaient examiné le projet de 1854 en quelque sorte sous l'impulsion donnée par le gouvernement, par l'honorable M. Faider, sous l'impulsion donnée, par MM. de Haussy et Tesch.
Dans le projet actuel l’honorable ministre de la justice ne maintien pas la proposition de donner aux curés l'entrée de droit dans les administrations des établissements de bienfaisance communaux. Cependant messieurs, il n'est pas inutile de remarquer que dans les sections cette proposition de l'honorable M. Faider avait été acceptée cumulativement avec le maintien des administrateurs spéciaux et cela à la majorité de 36 voix contre 29.
Ainsi, messieurs, en 1854 le plus grand nombre des membres qui ont examiné le projet en sections ont maintenu les administrateurs spéciaux et ont accepté, en outre, l'entrée de droit du curé dans les administrations de bienfaisance communales.
L'honorable ministre actuel a donc eu raison de dire qu'en nous présentant le projet sur lequel nous délibérons, il avait fait une concession à l'opposition.
La cour de cassation vient de décider que l'article. 84 de la loi communale doit être interprété comme nous l'avons toujours interprété ; or sous le régime de cet article les administrateurs spéciaux pouvaient être institués sans aucune condition de contrôle. Eh bien, nonobstant cet arrêt et quoique le croyant bien fondé, nous sommes convaincu qu'il sera confirmé en plein par la jurisprudence, nous acceptons toute l'organisation que présente le gouvernement, tout le contrôle, toute la surveillance, toutes les mesures de coercition pour empêcher qu'on n'abuse des fondations.
Le projet est inconstitutionnel, disait l'honorable M. Verhaegen ; car les biens possédés par ces administrations spéciales, par ces établissements spéciaux sont en quelque sorte inaliénables ; ils demeureront, par la force des choses, éternellement destinés au même objet ; le gouvernement perdra ses droits de mutation. Ah ! messieurs, la réponse qui semblait impossible à l'honorable membre, est cependant extrêmement facile. Le gouvernement depuis 1850 a autorisé un grand nombre de sociétés anonymes, de commerce, d'industrie et de finances.
Eh bien, les capitaux, les biens immeubles apportés dans ces sociétés sont également hors du commerce, de la même manière que les biens des établissements de bienfaisance, tout au moins pour la durée de ces sociétés, et nous savons par l'expérience qu'elles ont souvent une très longue durée. Or, il ne s'agit point là de quelques milliers de francs consacrés aux établissements de bienfaisance d'une commune, mais il s'agit là de millions, de centaines de millions, de capitaux qui, dès aujourd'hui, ont atteint un chiffre que les établissements de bienfaisance à créer en vertu de cette loi n'atteindront pas d'ici à plusieurs siècles. Si nous sommes si tranquilles sur ces sociétés anonymes, soyons encore beaucoup plus tranquilles sur ces établissements de bienfaisance.
Un autre argument. Les confesseurs des malades qui auront fait des dispositions dans leur dernière maladie pourront être institués administrateurs spéciaux ; de là un grand attrait à la captation. Mais, messieurs, les administrateurs spéciaux doivent évidemment administrer gratuitement comme le font les administrateurs des établissements communaux de bienfaisance.
M. Delfosse. - Cela n'est pas dans la loi.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Pardon, cela y est. Je vous le montrerai.
M. Delfosse. - Je maintiens que cela n'y est pas.
M. de Theux. - Si cela n'y est pas, nous l'y mettrons, car c'est bien notre pensée. Oui, messieurs, la condition doit être égale : puisqu'il s'agit de bienfaisance, puisque c'est la bienfaisance seule que nous voulons favoriser, nous ne permettrons pas que les administrateurs spéciaux puissent retirer de leurs fonctions un bénéfice personnel.
Messieurs, jusqu'à présent l'opposition repousse le projet tout entier ; elle ne veut qu'une seule chose, la centralisation, la sécularisation, comme en France.
C'est là, messieurs, le bien suprême des pauvres, c'est le dernier résultat de la perfection.
Qu'il nous soit cependant permis de dire que cette centralisation, cette sécularisation a, en un jour, fait plus de mal que dix-huit siècles de liberté.
Oui, messieurs, en un seul jour, cette centralisation, cette sécularisation, a confisqué tout le patrimoine des pauvres pour l'attribuer à l'Etat. Heureusement la réprobation publique a été telle, que le gouvernement révolutionnaire n'a pas osé consommer son œuvre : d'abord le décret de suspension, ensuite le décret de retrait de la loi, ont attesté le sentiment unanime d'indignation de la nation française.
Mais cette sécularisation, en France, est elle aussi compléta qu'on le dit ?
Non, messieurs ; il y a en France des exceptions immenses a cette sécularisation. D'abord le gouvernement de la république,, après avoir dispersé les ordres religieux, a cependant permis aux ordres charitables (page 1475) de se tenir réunis et bientôt après le gouvernement les a appelés de nouveau, officiellement, à l'assistance des pauvres. Il y a plus. un grand nombre de ces institutions ont obtenu la personnification civile d'abord sous l'Empire, ensuite en vertu des lois de 1817 et de 1823.
Voilà donc le principe de la sécularisation largement entamé et pourquoi, messieurs ? Maïs pour le motif exposé par les organes du gouvernement, à savoir que le dévouement religieux était nécessaire au soulagement de la misère.
La centralisation. Eh bien, messieurs, cette centralisation a reçu les mêmes échecs que la sécularisation, car autre chose est le concours des établissements religieux reconnus comme personnes civiles ou appelés au simple titre de leur institution religieuse ; et autre chose est assurément l'administration toute spéciale, toute communale, des hospices et des bureaux de bienfaisance.
Par les congrégations, le gouvernement français a introduit des exceptions dans l'organisation ; il a encore reconnu des associations laïques. Ainsi, par exemple, des associations de maternité ont été également appelées au secours de l'humanité, et plusieurs de ces établissements ont obtenu la personnification civile. Des administrateurs spéciaux ont été établis aussi dans différentes circonstances, de même que des distributeurs spéciaux.
Il est vrai qu'en ce point la pratique était restreinte. En France, on préférait l'administration des hospices et celle des congrégations religieuses aux administrateurs spéciaux. En Belgique, au contraire, où l'on a moins d'idées de centralisation, où tous les faits tendent à se localiser, les administrateurs spéciaux sont plus populaires, sont plus dans nos mœurs.
Mais, dit-on, en France les congrégations religieuses doivent être autorisées par une loi et vous voulez ici permettre au gouvernement d'autoriser, par simples arrêtés, des administrations spéciales.
Messieurs, il y a identité parfaite de position, et de la même manière qu'en France il faut une loi pour autoriser en principe [le gouvernement à accorder la personnification civile à ces établissements spéciaux des congrégations, de la même manière nous faisons une loi organique pour donner au gouvernement la faculté d'autoriser les administrations spéciales, sous les garanties de la loi.
La loi, dit-on encore, facilitera toutes les mainmortes, tant au profit de l'université catholique qu'au profit de toits les couvents sans exception, et tout cela sans aucune espèce de garanties.
Eh bien, si l'on parvient à me prouver qu'au moyen de cette loi, on puisse donner la personnification civile à l'université catholique ou à un couvent quelconque, je m'engage à voter contre la loi.
Vous-même, dit-on, vous avez établi, en vertu de l'article 84 de la loi communale, un couvent à Maeseyck, un autre à Tournai.
Savez-vous ce que c'était que ce couvent à Maeseyck ? Le couvent de Maeseyck est simplement un établissement destiné aux sourds-muets et aux orphelins et desservi par des sœurs de la charité, qui avaient été formées dans l'institut de M. l'abbé Carton. Et voyez, cet abominable couvent de Maeseyck est parvenu à influencer tous les pouvoirs.
Des conseils communaux lui accordent des subsides, pour que des enfants y soient admis gratuitement ; le conseil provincial du Limbourg lui accorde également une subvention. Mais il y a bien plus. D'abord, l'honorable M. d'Anethan a accordé des subsides à cet établissement sur le budget de l’Etat ; puis vient l'honorable M. de Haussy, qui a alloué la plus grosse subvention, et enfin l'honorable M. Tesch lui-même. Voilà ce qu'est le couvent de Maeseyck.
Le Congrès, dit-on, a décrété la liberté des associations, mais il a en même temps défendu de leur accorder la personnification civile.
Messieurs, je pourrais écarter du débat la disposition de l'article 20 de la Constitution, ainsi que les discussions du Congrès ; car il ne s'est pas agi, au Congrès, des établissements spéciaux qu'on pouvait fonder sous le gouvernement des Pays-Bas, en vertu des règlements communaux et que notre loi communale permet également de fonder. Au Congrès, il s'est agi uniquement des congrégations religieuses et autres associations.
Mais le Congrès a-t-il décidé quelque chose ? Il y avait au Congrès trois opinions en présence ; l'une voulait accorder de par la Constitution la personnification civile dans une certaine limite des revenus et sans distinction de l'objet de la congrégation. Une autre opinion voulait que la Constitution interdît formellement à la législature d'accorder dans une circonstance quelconque la personnification civile à une congrégation, à une association.
Eh bien, messieurs, l'opinion qui a prévalu, c'est celle que, pour mon compte, j'ai partagée avec d'honorables membres du Congrès qui siègent encore dans cette Chambre, avec lesquels nous en avions confère avant le vote du Congrès. C'est moi qui ai pris l'initiative de l'opinion qui a triomphé, en ce sens que j'ai fait entrevoir qu'il y aurait danger dans l'une et l'autre solution, soit qu'on accordât d'une manière irrévocable, de par la Constitution la personnification civile, soit qu'on refusât.
J'ai fait remarquer que, dans la suite des temps, il pourrait arriver des circonstances où ceux qui soutenaient avec le plus de force le dernier de ces deux systèmes, désireraient peut-être de voir établie la personnification civile pour sauvegarder des intérêts qu'ils auraient alors à défendre.
Lu bien, cette opinion que j'avais proposée dans un comité particulier a été produite au sein du Congrès, et le Congrès l'a adoptée. Cette opinion consistait à réserver la question, à la laisser à l'appréciation du pouvoir législatif, et aujourd'hui encore je m'applaudis de l'initiative que j'ai prise dans cette circonstance.
Messieurs, si le projet de loi qui' nous occupe avait été soumis aux délibérations du Congrès, je suis intimement convaincu que cette assemblée l'eût voté à une immense majorité. Je ne crains pas même de dire que si je n'avais pas contribué à diminuer la force de l'opinion qui voulait accorder à priori la personnification civile à toutes les associations, cette opinion aurait prévalu dans le sein du Congrès.
Messieurs, nous avons en Belgique 60 années du régime de centralisation des hospices et des bureaux de bienfaisance, et tous nous devons convenir que d'une part, les ressources de ces établissements sont insuffisantes, que le personnel de ces établissements l'est également pour veiller à la prospérité de toutes les institutions nécessaires, au soulagement des besoins qui se produisent sous toutes les formes dans notre société si populeuse.
Les formes d'administration et la routine sont un autre obstacle au développement plein et entier des administrations officielles.
L'on craint de s'engager dans une entreprise nouvelle, on a à subir le contrôle de l'administration communale, de la députation permanente, On est assujetti à des redditions de comptes, enfin à toutes sortes d'embarras. On recule devant l'initiative quand on est en présence des règles administratives. Le besoin de concurrence est aussi nécessaire en matière de bienfaisance qu'en toute autre matière. Or, la concurrence et la liberté sont la base de nos institutions, ceci se prouve surtout par les faits. Vous admettrez avec moi que personne ne se dépouille facilement d'une partie de sa fortune, de ses revenus, pour créer des choses parfaitement inutiles, dont il ne peut avoir aucune jouissance personnelle.
Cependant vous reconnaîtrez que des sommes énormes sont consacrées à l'établissement d'écoles populaires ou à des secours de toute nature. Qu'est-ce que cela prouve, si ce n'est l'immensité des besoins de notre société ? Si tant d'établissements libres ont été créés malgré la difficulté d'en assurer la durée à perpétuité, peut-on douter un seul instant qu'il y ait dans cette loi une nécessité sociale ?
Mais, dit-on, les établissements se multiplient sans fondations, à quoi bon leur accorder la sanction de l'autorité publique ? Oui, messieurs, ces associations se fondent et continueront à se fonder quand même le pouvoir central ou le pouvoir législatif viendrait à refuser l'octroi pour les administrateurs spéciaux ; quand même le pouvoir législatif viendrait à retirer l'article 84 de la loi communale, ces fondations se continueraient, peut-être que la contradiction que le zèle chrétien éprouverait leur donnerait un nouvel élan ; est-ce un motif pour repousser une disposition bonne en elle-même, réclamée par les classes souffrantes, réclamée par l'intérêt de la société ? Assurément non ; ces institutions sont populaires, le peuple en use, le peuple en a besoin, donc il faut les consolider, il faut assurer le patrimoine des indigents ; la loi doit a ce patrimoine toute sa sollicitude, toute sa sanction. Les écoles, les hospices fondés par des bienfaiteurs particuliers sont aussi utiles que les hospices et les écoles créés par le pouvoir administratif.
Il faut éviter la nécessité de recourir à des personnes interposées, il faut éviter de par la loi les chances de procès, l'oubli de la confection d'un testament en temps opportun ; il faut prévenir les nullités qui peuvent se rencontrer dans ces actes, prévenir en un mot, la spoliation du patrimoine des pauvres. Quelle est la famille honnête qui voudrait s'enrichir du patrimoine des pauvres par une circonstance fatale qui empêcherait la fondation de continuer à être affectée à l'œuvre à laquelle son fondateur avait voulu la consacrer ? Aucune certainement.
S'il s'agissait d'encourager pareille chose, vous repousseriez avec indignation tout ce qui tendrait à favoriser la spoliation des pauvres par des familles avides.
La centralisation de la bienfaisance, dit-on, a été recommandée par des personnages éminents dans l'Eglise, c'est une conquête du siècle dernier. Nous admettons la centralisation de la charité, nous en reconnaissons l'utilité, mais nous l'admettons concurremment avec les institutions spéciales.
On se plaignait, dans les temps anciens, parce qu'il n'y avait pas de centralisation ; mais si on avait eu le bonheur d'avoir la centralisation à côté des établissements particuliers, on n'eût exprimé aucun désir au-delà. Je n'ai jusqu'à présent rencontré aucune opinion dans les temps anciens qui voulut exclure les fondations particulières ; les opinions se prononçaient sur l'utilité d'établissements centraux ; mais aucune ne voulut proscrire les établissements particuliers.
Parmi les abus qui peuvent se présenter sous l'empire de la loi que nous discutons, on cite entre autres un personnel trop nombreux qui pourra être pris dans le personnel des congrégations religieuses et se nourrir de la fondation destinée aux indigents.
Oui, messieurs, la chose pourrait être, mais non aux termes des dispositions de la loi. Aux termes des dispositions de la loi, il faut que tout le revenu de la fondation soit employé exclusivement aux besoins de la fondation ; rien ne peut être détourné sous la responsabilité personnelle des administrateurs.
On dit que le couvent des Clarisses à Tournai contient un personnel nombreux, hors de proportion avec l'école desservie par ses religieuses. Ici je ferai connaître les faits tels qu'il se sont passés. C'est moi qui ait contresigné l'arrêté royal. Le comte de Nédonchel a acheté l'ancien couvent des Récollets, à Tournai ; il l'a donnée à l'évêché, à la condition que (page 1476) les Clarisses y seraient logées, quelles y ouvriraient une école gratuite pour les filles pauvres de Tournai.
Le collège des bourgmestre et échevins a. donné un avis favorable. en demandant que le minimum des enfants fût fixé à 60 filles pauvres ; et qu'elles reçussent une instruction professionnelle ;- la députation a également donné un avis favorable, j'ai soumis la donation à l'approbation royale.
Les Clarisses se sont établies dans ce local, mais au lieu de donner l'instruction à 60 filles pauvres, elles la donnent à 100 ou 120.
M. Frère-Orban. - A soixante-deux.
M. de Theux. - Je vous demande pardon ; à 120 ; il y a en outre une école de filles adultes de 60, ce qui fait en tout 180.
Je tiens ce renseignement d'un membre de. la régence de Tournai. C’est donc un renseignement exact.
120 instruction primaire. 60 instruction à des filles adultes, total 180.
Mais admettons que le nombre ne soit que de 60, ainsi que le prescrivait l'arrêté royal, y aurait-il dans cette circonstance un motif pour considérer la fondation comme défavorable aux intérêts de la ville de Tournai ? Evidemment non.
La valeur des bâtiments est de 23,700 francs, prix d'acquisition, ce qui suppose une rente (déduction faite des dépenses d'entretien), de 1,000 à 900 fr.
Mais un pareil local était nécessaire pour l'école communale et pour le logement des institutrices laïques. Indépendamment de cela, il fallait faire les dépenses de traitement et toutes les autres dépenses journalières.
Vous voyez que si l'on avait donné à la ville de Tournai 23,700 fr., pour une école communale, elle n'en aurait pas tiré un parti aussi utile que celui qu'on en tire aujourd'hui.
Une autre objection que l'on fait est celle-ci : Il pourra se faire trop de dons sous l'empire de cette loi. Le montant des dons excédera les besoins de certaines localités. On a cité l'exemple des établissements de bienfaisance de Nivelles. On pourrait citer d'autres localités qui sont dans le même cas. Il y a quelques communes où les ressources des établissements de bienfaisance excèdent les besoins.
Qu'est-ce que cela prouve ? Que ces faits peuvent se produire avec les lois existantes, ils ne sont donc pas les conséquences de la loi.
Mais il y a des choses qu'on perd de vue, c'est que sous le gouvernement français et sous le gouvernement des Pays-Bas, on a pu revendiquer au profit des hospices et des établissements de bienfaisance tous les biens domaniaux qui avaient été cachés au fisc.
De là il est résulté que des personnes qui possédaient de ces biens ou dont les biens étaient grevés de rentes, les ont déclarés au profit d'établissements qu'elles affectionnaient.
C'est par suite de cette circonstance fortuite que dans un petit nombre de localités les ressources de la bienfaisance excèdent les besoins. Ce n'est pas de ces exceptions que nous avons à nous préoccuper. L'insuffisance est grande et générale.
Alors même que la loi serait mise en pratique, il resterait encore une insuffisance considérable, n'en doutez pas.
Les administrateurs spéciaux, tels qu'ils existent aujourd'hui, n'ont pas d'existence légale. Ils n'existent, dit-on, qu'en vertu d'actes administratifs. C'est faire bon marché de la pratique constante du gouvernement français, du gouvernement des Pays-Bas et du gouvernement belge.
Je n'admets pas cette manière d'argumenter. Ou il faudrait que la vérité de cette assertion fût bien démontrée. Or, elle ne l'a pas été.
D'abord, en ce qui concerne la loi communale, on a hésité sur le sens de la loi. On a dit : Si l'on admet le sens que nous y attachons, il y aurait eu surprise, et la loi serait sans valeur. Cet argument est facile à réfuter.
D'abord la commission de la loi communale était composée de MM. le baron de Stassart, Beyts, Barthélémy, Jullien, Lebeau, Devaux et moi. Je pense qu'il y avait dans cette commission assez d'administrateurs et de jurisconsultes pour qu'ils ne pussent être trompés. La discussion a eu lieu dans la Chambre à deux époques, en 1834 et en 1836.
Cette Chambre renfermait d'éminents jurisconsultes, beaucoup d'administrateurs.
Le Sénat en renfermait également. L'ignorance des lois ne peut être supposée dans de telles assemblées.
Je vais plus loin, l'honorable M. Jullien, dans la discussion de l'article 84 de la loi communale, a expressément cité les dispositions du Code civil que l'on prétend que la Chambre a ignorées. Où est donc cette ignorance ? La Chambre a donc parfaitement su ce qu'elle faisait. L'honorable M. Jullien n'a pas contesté la force obligatoire des règlements municipaux du royaume des Pays-Bas. Mais on avait soutenu que ces règlements avaient un effet rétroactif. L'honorable M. Jullien, qui était administrateur des hospices de Bruges, a soutenu le contraire, mais ; il les a admis pour l'avenir. Nous avons été d'accord et la loi a été votée à une grande majorité.
C’est dans ce sens que la loi a été votée et sanctionnée le 30 mars 1836 ; elle était déjà appliquée en ce sens le 17 juin suivant. Elle l’a été constamment jusqu'en 1848, époque où le ministère y a donné une autre interprétation.
Le dernier argument qu'on fait valoir contre la loi, c'est l'esprit da réaction, c'est la situation violente qu'elle va créer dans le pays. D'abord, première observation : Chaque fois que le parti conservateur est au pouvoir, on veut le paralyser. Fait-il les choses les plus utiles au pays, les lois que la situation réclame impérieusement, réaction ! agitation !
Mais quand nos adversaires sont au pouvoir, oh ! alors, la situation changé, ce n'est plus la même chose, le gouvernement doit avoir de l'initiative, de la résolution.
En effet, en arrivant au pouvoir, en 1847, le gouvernement montra son énergie par un grand nombre d'actes très importants. Il ne craignit pas de répandre l'agitation dans le pays, au moment où venait d'éclater en France la révolution de 1848.
Des modifications importantes furent introduites dans le corps électoral ; on admit l'uniformité du cens. Le droit de voter fut accordé aux débitants patentés de boissons distillées.
Par l'incompatibilité des fonctions publiques avec le mandat parlementaire, le gouvernement fit exclure de cette assemblée un certain nombre de députés qui n'étaient pas de son opinion. Il ne craignit pas de demander aux Chambres une loi prononçant la dissolution de tous les conseils communaux, ce qui devait avoir sur l'élection des deux Chambres une influence aussi grande que les modifications introduites dans le système électoral.
Et après cela l'honorable M. Tesch vient vanter le système de modération de nos adversaires, et il invoque sans doute les précédents de 1847 et de 1848 !
Si l'honorable membre ne nous avait pas accusés d'avoir eu recours a la trahison et à l'étranger pour détruire la majorité d'alors, nous nous serions bien gardés de jeter un coup d'œil rétrospectif sur le cabinet da 1847. Mais nous avons dû user d'une légitime défense.
Oui, il s'est fait une division dans l'opinion qui dominait en 1848, maie elle est due uniquement à la pression du pouvoir. On a voulu imposer dans les Chambres le droit de succession en ligne directe. Pour faire triompher ce projet, le gouvernement avait dissous le Sénat et éliminé de cette assemblée plusieurs de ses amis hostiles au projet.
Eh bien, messieurs, c'est l'ensemble de ces mesures qui a opéré un changement d'opinion dans le corps électoral et parmi les partisans du cabinet d'alors. Et de là, messieurs, est née tout naturellement la majorité qui existe aujourd'hui.
Non, messieurs, nous n'avons pas eu recours à l'étranger pour menacer la Belgique, son industrie, son commerce, par des lois de douane. Cela n'était d'ailleurs pas en notre pouvoir. Au pouvoir de qui était-il de maintenir la bonne harmonie entre les deux gouvernements ? A coup sûr, le gouvernement belge devait avoir sa part dans cette action. C'est l'entente des deux gouvernements qui maintient nécessairement l'harmonie entre les deux pays. Mais ne croyez pas que dans aucun pays l'action de quelques membres de l'opposition puisse déterminer un gouvernement étranger à changer d'attitude vis-à-vis d'un gouvernement ami ou allié.
Messieurs, puisque l'on a parlé de réaction, j'appliquerai le mot de réaction au discours de l'honorable M. Verhaegen, et je dirai que son discours est une véritable réaction contre nos institutions libérales, et en premier lieu, contre le parlement qui est la base fondamentale de toutes nos libertés. Des discours de cette nature, messieurs, peuvent exercer une influence très fâcheuse sur l'opinion de la grande majorité du pays, sur l'opinion des gens les plus paisibles dont l'adhésion sérieuse, franche et complète est nécessaire au maintien durable et inaltéré des institutions dans le pays.
Si je fais cette mention, messieurs, c'est en acquit d'un devoir de conscience ; c'est par respect pour la liberté parlementaire, pour la dignité parlementaire.
L'honorable membre, messieurs, après avoir attaqué si vivement le clergé, depuis le IVème siècle, après l'avoir accusé d'ambition, de cupidité, n'a pas craint de le rappeler aux exemples du Christ. C'est une interprétation bien arbitraire et qu'il ne lui appartient pas de donner.
Mais il y a un texte dans l'Evangile que l'honorable membre doit avoir vu souvent et que nous connaissons tous ; c'est que le Christ a dit à ses apôtres ; Qui vous méprise me méprise, qui vous hait me hait.
Aujourd'hui encore, l'honorable membre fait de la réaction en matière de charité. Il veut reculer au-delà de 1830, au-delà de 1815, au-delà de l'Empire.
La Chambre, messieurs, ne le suivra pas dans cette voie de réaction. La Chambre saura apprécier que si les classes supérieures de la société jouissent de toutes les libertés politiques qui sont plus spécialement à leur usage, il faut aussi que les classes inférieures jouissent de leur liberté à elles ; la liberté de recevoir des donations et d'en éprouver tous les bienfaits
Le bon sens du pays est grand et il l'a prouvé par vingt-sept années de pratique d'un régime constitutionnel qui n'a son égal dans aucune autre nation.
Messieurs, ce peuple qui a pu supporter la liberté des cultes, la liberté de la presse, la liberté des associations, les libres discussions parlementaires, ce peuple saura aussi supporter la liberté de la charité. Votons-la, messieurs ; nous aurons bien mérité de la nation.
(page 1477) M. Thiéfry. - La diminution du paupérisme, le moyen de soulager la misère, étant des questions qui ont préoccupé le monde depuis les temps les plus reculés, les partis qui divisent cette Chambre invoquent réciproquement le résultat des expériences qui ont été faites dans divers pays, et, à l'appui du système que l'on défend, on signale les abus qui ont existé lorsque, dans un Etat, telle ou telle législation a été mise en vigueur.
Des abus, il y en a partout ; il n'existe pas un seul ministère où on ne puisse en signaler, dans les églises mêmes il s'en introduit. Il n'est certes aucun de nous qui oserait, avec certitude, répondre que, dans son propre ménage, il n'y en a pas ; mais il faut distinguer deux sortes d'abus : ceux auxquels on remédie dès qu'on les aperçoit, et ceux inhérents à une institution. Les premiers sont cités dans l'intérêt de la cause, ils doivent être sans influence sur la décision que nous avons à prendre, puisqu'ils peuvent disparaître dès qu'ils sont signalés. Il n'en est pas de même des autres, ils creusent insensiblement un abîme pour la société.
J'ai terminé mon premier discours en rappelant les faits qui, depuis 1830, indiquent la marche envahissante de nos adversaires, et l'honorable M. Verhaegen est venu à son tour, prouver, par des faits nombreux, l'accaparement des richesses par le clergé. On m'a répondu par des actes répréhensibles de l'administration des hospices civils de Bruxelles.
Eh bien, ce que l'on dit des hospices n'est pas exact, et le serait-il, il faudrait ranger ces abus dans la première catégorie, tandis que ce que nous reprochons à nos adversaires l'accaparement de l'enseignement et des richesses, sont des abus inséparables de l'institution du clergé, rien ne les amoindrira, et le projet de loi les facilitera et les développera.
Afin de combattre l'introduction des administrateurs spéciaux dans les fondations, d'honorables membres et moi, nous avons rappelé ce qui s'était passé en Belgique, en France, en Italie, en Angleterre et ailleurs, alors qu'il était facultatif de créer de semblables fondations. Nous ne nous sommes pas bornés à citer des abus isolés, nous avons parlé de faits généreux qui ont produit dans tous les pays les plus mauvais et les plus dangereux effets.
Les Documents parlementaires de 1854 constatent l'usage que les congrégations religieuses ont fait des fondations qui leur ont été confiées ; il a fallu la révolution française pour qu'ils disparussent. Aujourd'hui on nous présente un projet de loi qui permettra de nommer administrateurs spéciaux et inamovibles, des chefs ecclésiastiques à titre successif de leur fonction. Or, cette faculté, partout où elle a été permise, a eu pour résultat d'enlever le bien des familles pour enrichir le clergé. Il n'en saurait être autrement ; les hommes donnent, malheureusement trop souvent, des preuves de faiblesse lorsqu'ils sont placés entre leur intérêt et leur conscience. Comment se conduiront donc ceux à qui la conscience fera un devoir d'agir sur celle de leurs paroissiens pour obtenir une dotation au profit d'un corps auquel ils appartiennent ?
Jean Vandamme, dans son important travail sur la mainmorte et sur la charité, a réuni une masse de faits accablants, pour combattre le régime des administrateurs spéciaux qu'il appelle avec raison une plaie douloureuse pour un pays civilisé. J'en citerai un seul, parce qu'il a beaucoup de rapports avec ce qui s'est passé en Belgique, et si l'on compare les abus de la charité légale avec les abus des administrateurs spéciaux, on jugera de la différence des conséquences.
Les Stuarts ont fondé sept collèges royaux en Irlande, avec de riches dotations, pour procurer une instruction supérieure aux enfants de la classe pauvre qui montreraient des dispositions particulières pour l'étude. L'administration en fut donnée aux dignitaires de l'Eglise. Le nombre des élèves fut d'abord restreint ; puis ils ne furent plus choisis que dans quelques familles privilégiées, et enfin les revenus furent confondus avec ceux des évêques et servirent à enrichir ceux-ci et leurs amis.
Pour contrebalancer l'effet qu'ont produit la publication des annexes du projet de loi de M. Faider et celle de Jean Vandamme, on a recherché si dans les administrations légales il n'y ai ait pas aussi des abus, on en a forgé, et ce sont les hospices de Bruxelles qui ont été choisis pour accumuler sur eux le plus de griefs possible.
L'honorable comte de Liedekerke a fait ressortir le coût des frais d'administration, la hauteur du prix de la journée d'entretien. L'honorable M. Malou, pour présenter l'administration sous l'aspect le plus défavorable, est venu lire des lettres imprimées dans un volume que les avocats des religieuses de l'hôpital Saint-Jean ont fait paraître à l'occasion d'un procès qu'elles soutiennent contre les hospices. Par distraction sans doute, car je ne veux pas suspecter sa bonne foi, il a oublié de lire les réponses des hospices ; je dois nécessairement y suppléer, je n'ai demandé la parole que pour répondre aux allégations des deux honorables membres ; je m'éloignerai à la vérité de la hauteur des débats, en entrant dans des faits particuliers ; cependant on comprendra facilement qu'il est de mon devoir de faire connaître la vérité et de ne pas laisser le conseil général des hospices de Bruxelles sous l'impression d'attaques injustes, imméritées ; il faut que les citoyens de la cité sachent que l'administration des pauvres est entre les mains de gens qui méritent leur confiance. J'y suis d'autant plus obligé, que depuis quelque temps les hospices sont indignement calomniés dans certains journaux de nos adversaires politiques.
Je commencerai d'abord par réfuter deux faits qui me sont personnels.
L'honorable M. Malou a dit, en réponse à ce que j'ai signalé, concernant les obstacles apportés à un concert qui devait avoir lieu au profit d'une crèche dirigée par les laïques. « Il ne m'arrivera pas ce qui est arrivé à l'honorable M. Thiéfry, qui avait cité un abus monstrueux et qui l'a vu démenti le lendemain par la personne qu'il avait citée. »
Je dirai d'abord que je n'ai cité personne, je n'ai pas même nommé la localité où se trouve cette crèche, et j'ajouterai que quand des faits extraordinaires se passent dans une ville, qu'un certain nombre de personnes y ont été entremêlées, et lorsqu'il y a en même temps accord parfait dans leur relation sur ces faits, c'est que cette relation est exacte ; il n'y aura pas un seul député de Bruxelles qui démentira ce que j'ai dit d'un abus que M. Malou a qualifié comme il devait l'être, d'abus monstrueux.
Pour prouver combien les poursuites judiciaires étaient longues, j'ai dit que la mère supérieure des sœurs hospitalières desservant l'hôpital St-Jean. avait enlevé clandestinement et frauduleusement une énorme quantité d'objets qui n'étaient point encore restitués à l'administration bien que depuis 6 ans le siège de la communauté soit rue des Cendres. La manière dont mon observation a été relevée par M. Malou m'oblige à donner quelques explications pour justifier mon appréciation. Avant tout j'éprouve le besoin de répéter ce que j'ai dit des sœurs hospitalières de Saint-Jean. « En ma qualité de membre d'une administration de bienfaisance, il est de mon devoir de rendre un hommage bien mérité à ces religieuses qui consacrent leur vie au soin des malades dans les hôpitaux ; il est certainement inutile de faire ressortir leur zèle et leur dévouement, tout le monde apprécie leurs services. »
Voilà cornent je m'exprimais à leur égard dans la séance du 22 avril ; je viens de répéter mes propres paroles pour qu'on ne confonde pas mon opinion sur un fait spécial avec celle que je professe envers les sœurs hospitalières.
Lorsque la mère supérieure déménagea en février 1851 pour aller rue des Cendres, les hospices n'ont apporté aucun obstacle à l'enlèvement de tout ce qui appartenait aux sœurs ; mais l'administration ne voulut pas, et elle ne pouvait pas, permettre d'emporter ce qui était la propriété de l'hôpital. Elle dit donc à la mère supérieure : Prouvez que les objets que vous réclamez sont votre propriété, et vous les transporterez dans votre nouvel établissement. Le directeur ne soupçonnant pas que la mère supérieure pût en emporter d'autres que ceux appartenant à la communauté, ne visita point les voitures. Et qu'arriva-t-il ? Les hospices apprirent un beau jour qu'une infinité d'objets avaient disparu. L'intervention de M. le bourgmestre et celle de M. le doyen de Sainte-Gudule, pour rentrer en possession, furent infructueuses. Deux ans plus tard, le 27 mars 1853, jour de la fête de Pâques, le conseil fut informé que l'autel n'était pas orné comme d'habitude ; on remarqua alors que des objets, non enlevés d'abord, avaient encore disparu ; il y en a eu en tout plus de 150. Parmi eux sont six chandeliers d'autel donnés par la famille de Mérode, donnés à qui ? A la chapelle ou aux sœurs ? Celte question sera tranchée par les tribunaux. Le conseil demanda à la sœur Coene, restée à Saint-Jean, la reproduction des derniers objets enlevés, attendu qu'ils étaient confiés à sa garde ; elle répondit par un refus, d'après les ordres de sa supérieure.
Voilà ce que j'ai qualifié d'enlèvement clandestin et frauduleux ; l'enlèvement clandestin d'objets qui ne vous appartiennent pas peut, à bon droit, et à juste titre, être appelé frauduleux.
J'affirme ici, sur l'honneur, que mû par un esprit de conciliation, j'ai moi-même réclamé les bons offices du comte de Mérode, pour terminer cette affaire à l'amiable. Je l'ai prié de voir le doyen de Sainte-Gudule et huit à dix jours après, il m'a dit n'avoir rien obtenu. J'ai trouvé alors chez lui, non plus cette colère qui s'est effectivement manifestée à la Chambre, mais autant d'affabilité qu'il y a eu dernièrement d'emportement chez M. Malou.
L'honorable membre a dit que, fatiguées d'inutiles démarches, les sœurs ont attaqué l'administration en justice. C'est précisément le contraire qui a eu lieu, et M. Malou le savait bien. Après le deuxième enlèvement dont je viens de parler, les hospices se décidèrent à intenter une action en restitution à la mère supérieure et à la sœur Coene, et encore contrairement à ce qu'a avoué l'honorable M. Malou, ce sont ces deux dames qui, au lieu de répondre à cette action et de faire valoir les moyens qu'elles auraient pu avoir à y opposer, l'ont dénoncée à une prétendue congrégation de sœurs hospitalières Augustines, et cette prétendue congrégation a déclaré intervenir au procès. L'administration a dénié à cette congrégation la qualité qu'elle s'attribuait et la personnification civile. Un arrêt du 31 mai 1856 de la cour d'appel de Bruxelles, et passé en force de chose jugée, a donné gain de cause aux hospices.
Je pourrais, en réponse à la question de droit, si singulièrement expliquée par M. Malou, lire un rapport fort remarquable de la section du contentieux du conseil communal, fait en séance du 19 novembre 1853, inséré dans le bulletin n° 27, page 493 de l'année 1853. Mon honorable collègue y verrait que la possession que les sœurs ont eue des objets de la chapelle, n'a pu leur créer aucun droit ; elles n'ont jamais possédé par elles-mêmes, n'étant que les mandataires, les déléguées des hospices.
Je me bornerai à lire quelques lignes de ce rapport afin de détruire l'impression que l'on a dû éprouver en entendant dire par M. Malou que les religieuses étaient exposées à toute espèce de vexations de la part de l'administration des hospices.
(page 1478) « Les propositions du conseil, telles qu'elles sont énoncées dans sa lettre du,9 septembre dernier, sont conçues dans un véritable esprit de conciliation, et il nous paraît impossible que l'administration sacrifie davantage, sans faire abandon réel des droits des hospices.
« Les prétentions du conseil sont d'ailleurs conformes aux principes les plus rigoureux du droit. »
Je n'en dirai pas plus, parce que le procès est pendant devant les tribunaux ; les hospices attendent avec confiance le jugement qui interviendra, et je ne pense pas que l'honorable M. Malou soit aussi tranquille que moi sur l'issue de cette contestation.
Il fut un temps où l'on disait, en parlant des hospices civils, les frais d'administration sont de 20 et de 25 p. c. des revenus ; tout le monde alors le croyait, et pourtant aucun de ceux qui avaient l'inspection des établissements n'indiquait les mesures à prendre pour les diminuer, la raison en est bien simple, c'est que les chiffres cités n'étaient pas exacts ; mais on a un système sur la charité, et pour avoir raison, il faut que ces frais d'administration soient fort élevés.
Plus tard, M. le ministre de la justice publie une statistique, il indique pour frais d'administration des hospices civils de Bruxelles 195,347 fr. 46 c : ce n'est plus que 12 1/4 p. c. des recettes, c'est déjà une belle diminution, et pourtant ce chiffre est encore trop élevé. Je dois dire ici que l'on a réuni les enfants trouvés avec les hospices quoique ce soient des établissements distincts et séparés, ayant chacun leur comptabilité spéciale, comme les hospices et la bienfaisance.
. !e demanderai maintenant à M. le ministre de la justice, le motif pour lequel il a établi sa statistique d'après les budgets et non d'après les comptes ; il était aussi facile de se servir des uns que des autres. Il a choisi les budgets parce qu'il savait bien que là ce sont des prévisions toujours supérieures aux dépenses réelles ; M. le ministre a voulu fournir à ses amis l'occasion de dire, même contrairement à la vérité : « Voyez combien la charité légale absorbe en frais ce qui devrait être distribué aux pauvres ! » Lorsque j'ai vu le travail de M. le ministre, je me suis demandé si, dans son ministère, on sait bien ce qu'on appelle frais d'administration, j'ai eu la convie ion ou qu'on l'ignore complètement, ou qu'on a indiqué des chiffres dans l'intérêt de la cause qu'on soutient.
On appelle frais d'administration, le traitement des employés, les frais de bureau, de perception, de régie. Et M. le ministre dans sa statistique y comprend les frais de culte, puis les traitements des médecins, des aumôniers, des nourrices, des infirmiers, des religieuses, et bien d'autres encore ; ce sont là des sommes payées pour l'entretien des malades, des infirmes, elles ne doivent pas être rangées dans la catégorie des frais d'administration.
L'erreur de M. le ministre est d'autant plus étonnante que les hospices de Bruxelles ont remis, à l'appui de leur budget qui a servi à établir la statistique, un tableau où toutes les dépenses prévues étaient indiquées. Cette erreur serait même incompréhensible, si elle n'était pas faite avec intention ; c'est le 2 février 1856 que M. Nothomb a signé le rapport au Roi qui accompagnait la statistique, et pendant plus de deux ans, du 15 avril 1853 au 7 juin 1855, les comptes de deux années des hospices de Bruxelles sont restés au ministère de la justice ; on a eu tout le temps de les compulser ; on pouvait donc au moyen de ces comptes s'apercevoir que le chiffre de 195,347 était exagéré. Si l'on eût fait un travail sérieux, on eût trouvé pour frais d'administration : 75,455 46 pour les hospices. 22,001 15 pour les enfants trouvés. Ensemble 95,484 61, au lieu de 195,547 fr. 46 c. ; j'en ai ici le relevé, je le tiens à la disposition de M. le ministre.
Pourquoi a-t-on présenté un chiffre aussi élevé pour les frais d'administration des hospices de Bruxelles ? Je le répéterai, il fallait pouvoir dire du haut de la tribune : L'administration des hospices de Bruxelles mange le revenu des pauvres en frais d'administration. On sait positivement que cela n'est pas et pourtant on le répète à chaque instant, parce que cela est nécessaire pour soutenir que les établissements de la charité privée sont tenus plus économiquement que ceux de la charité légale.
Comment nos honorables adversaires ne citent-ils pas des chiffres d'une éloquence plus frappante encore pour leur cause ! que n'ouvrent-ils la statistique à la page 6 ! Ils verraient qu'à Wavre la recette des hospices est de 5,386 fr. et les frais d'administration de 2,762 fr., plus de 50 p. c. Je n'ai jamais vu la comptabilité des hospices de Wavre, je ne connais pas un seul de ses administrateurs, et cependant je ne crains pas d'affirmer qu'il est impossible que le conseil communal de Wavre permette que les hospices dépensent plus de la moitié de leur revenu en frais d'administration.
On compare souvent les choses les plus dissemblables, on fait un parallèle entre des hospices de gens valides et des hôpitaux ; entre les frais d'une administration importante et ceux d'un hospice où il n'y a pas d'employés salariés : cette manière de présenter les choses n'est pas conforme aux règles de la stricte loyauté ; il faut comparer entre eux des établissements semblables. Et puisque mes adversaires ont parlé de frais d'administration, je choisirai dans ces frais une dépense qui se fait partout ; on verra si les hospices de Bruxelles sont prodigues.
On s'est beaucoup occupé depuis quelque temps des bourses d'étude de l'université de Louvain ; c'est une comptabilité que l'honorable M. Malou connaît parfaitement, il pourra contester mes chiffres si je me trompe. J'ai encore un relevé ici, je puis le lui communiquer ; toutes les recettes tant ordinaires qu'extraordinaires se sont élevées en 1855 à 356,387 10, et il a été payé pour denier de recette 12,585 01. Le receveur des hospices a reçu pendant la même année 2,292,992 71 et il a touché 11,500 francs ; voilà certainement un rapprochement qui ne prouve pas que la prodigalité soit du côté des hospices.
Pour se former une idée juste du coût des frais d'administration, on doit les comparer aux recettes ou aux dépenses réellement faites pendant l'année ; car ces frais sont plus ou moins élevés selon que l'on a plus ou moins à dépenser, n'importe la source des revenus.
L'honorable comte de Liedekerke trouve que pour les hospices de Bruxelles ils s'élèvent à plus de 20 p. c. Il établit son calcul d'après le budget, et encore il retranche de la recette générale les subsides accordés par la ville, tandis que ces subsides augmentent les frais d'administration, attendu qu'ils permettent d'entretenir un plus grand nombre d'individus dans les établissements.
Il fait, en outre, comme M. le ministre de la justice, il considère comme frais d'administration, une infinité de dépenses qui n'en sont pas.
Il y a quelque chose de plus étonnant encore dans le calcul de l'honorable membre. Il ignore certainement quelles sont les administrations qui payent les dépenses des enfants trouvés, car pour augmenter la proportion des frais d'administration, il retranche de la totalité des recettes des hospices fr. 197,536-24, montant des subsides accordés par la ville et la province pour les enfants trouvés. Or, comme je l'ai déjà dit, cet hospice est un établissement spécial sans aucun revenu. Le receveur des hospices n'en touche pas les recettes, il n'en paye pas les dépenses, et les fr. 197,536-24 retranchés de la recette générale des hospices représentent les recettes à faire de la province et de la commune pour le payement de la dépense des enfants trouvés ; il en résulterait donc, d'après l'honorable M. de Liedekerke, que les frais d'administration des enfants trouvés ne pourraient se comparer avec aucun revenu, puisqu'il les fait disparaître complètement dans sa comparaison. L'honorable membre voudra bien reconnaître avec moi qu'il s'est trompé dans son appréciation.
Voici avec exactitude ce qui résulte des comptes de 1853 :
1° Les recettes ordinaires et extraordinaires ont été de 1,204,612 fr. 84 c pour les hospices et de 1,458,836 fr. 84 c. pour les hospices et les enfants trouvés.
2° Ces mêmes recettes, plus les recettes des comptes spéciaux, compte des travaux, Ursulines, Sainte-Gertrude ont été de 1,591,837 fr. 32 c. pour les hospices et de 1,846,061 fr. 32 c. pour les hospices et les enfants trouvés.
3° Les recettes ordinaires ont été de 960,935 fr. 74 c. pour les hospices et de 1,215,159 fr. 72 c.. pour les hospices et les enfants trouvés.
4° Les frais d'administration ont été de 73,453 fr. 46 c. pour les hospices et de 22,001 fr. 15 c. pour les hospices et les enfants trouvés.
Les frais d'administration ont donc été proportionnellement :
1° Aux recettes ordinaires et extraordinaires, de 6 09 p.c. pour les hospices et de 6 54 p. c. pour les hospices et les enfants trouvés.
2° A ces recettes et aux recettes des comptes spéciaux, de 4 61 p. c. pour les hospices et de 5 17 p. c. pour les hospices et les enfants trouvés.
3° Aux recettes ordinaires de 7 64 p. c. pour les hospices et de 7 85 p. c. pour les hospices et les enfants trouvés.
Pour ne pas prolonger inutilement les débats, je ne m'occuperai pas des comptes de la bienfaisance, je me bornerai à dire que les frais d'administration ont été, en 1853, de 7.64 p. c. des recettes ordinaires et de 4.52 p. c. des recettes ordinaires et extraordinaires.
L'honorable comte de Liedekerke a fait ressortir le coût de la journée d'entretien dans les hôpitaux des hospices civils de Bruxelles. Pour être juste, il aurait dû dire qu'à Bruxelles tout est beaucoup plus cher que dans les autres localités, et il aurait dû ajouter qu'à côté de l'hôpital St-Jean il y a un hôpital tenu par des religieuses, et que là le coût ordinaire de la journée est de 2 fr., taux déjà bien supérieur à celui des hospices ; il le devient encore davantage lorsqu'on sait que les malades doivent, en outre, fournir le linge, payer le blanchissage et le vin qui peut leur être prescrit ; tandis qu'aux hospices toutes les dépenses sont comprises dans le prix de la journée.
L'administration apporte la plus stricte économie dans ses dépenses ; tout s'adjuge publiquement, les consommations de chaque individu sont fixées. Je voudrais bien que M. de Liedekerke vînt visiter les établissements de la capitale, je lui montrerais la comptabilité en détail. Il s'assurerait alors que l'ordre et la régularité règnent partout.
Pour diminuer les dépenses, il faudrait n'avoir qu'un médecin et un chirurgien par hôpital, au lieu d'un par 30 malades ; supprimer ceux qui ont un service spécial, élever les enfants au biberon et renvoyer les nourrices, diminuer le nombre des infirmiers, empêcher d'administrer aux malades des remèdes trop coûteux, ne plus leur donner ni vin, ni (page 1479) bière forte, réduire les portions de viande et de légumes ; voilà les seuls moyens de diminuer la dépense. C'est ce que ne veulent pas faire les administrateurs des hospices. Non, jamais ils ne feront des économies aux dépens du rétablissement de la santé des indigents ! Ils cherchent à conserver un père à ses enfants, sans égard à ce qu'il doit raisonnablement en coûter ; c'est pour ces administrateurs une question d'humanité et non une question d'argent.
L'honorable comte de Liedekerke a fait allusion à certains calculs financiers qui, à ses yeux, n'ont pas été parfaitement heureux ; je regrette qu'il n'ait pas spécifié les faits, j'aurais été à même de lui donner quelques explications ; telle opération que l'on croit mauvaise, parce que l'on reçoit des renseignements inexacts ou présentés sous un faux jour, peut être trouvée excellente lorsqu'on est mieux informé.
Sans entrer dans aucun détail, M. le comte de Liedekerke a jeté une espèce de blâme sur les constructions faites par les hospices ; il a ajouté qu'il ne s'en occupait pas, parce que ce n'était point là une question de charité ; mais quand je vois que pour motiver l'adoption du projet de loi qui nous est présenté, on dénature les actes les plus louables des administrateurs des hospices de Bruxelles, il m'est bien permis d'en dire quelques mots.
Je commence par déclarer qu'à mon entrée dans cette administration, les constructions de l'infirmerie étaient achevées et celles de l'hôpital Saint-Jean presque terminées. Les reproches qu'on adresse aux administrateurs qui en ont arrêté les plans, ne peuvent, donc pas m'atteindre ; mais aussi, il ne m'est malheureusement pas permis de prendre ma part de la reconnaissance que l'on doit à ces hommes intelligents et désintéressés qui ont sacrifié leur temps pour l'érection de ces monuments qui leur font autant d'honneur qu'à l'administration communale qui a autorisé ces travaux.
La nécessité des reconstructions n'ayant pas été contestée, je ne m'en occuperai pas.
L'hospice de l'infirmerie n'a point coûté 1,580,000 fr., comme l'a dit l'honorable comte de Liedekerke ; ce n'est point lui, du reste, qui a commis cette erreur. Il l'a seulement répétée. La construction de cet hospice a coûté 985,488 fr. 30.
Le surplus 595,539 50 est relatif à des dépenses totalement étrangères à la construction, et qui concernent les rues, les maisons adjacentes à l'hospice, etc., etc. J'ai ici une note que je tiens à la disposition de ceux qui voudront en prendre connaissance.
Rien ne prouve mieux la satisfaction de l'administration communale pour l'érection de cet établissement, que la reconnaissance qu'elle a témoignée à celui des administrateurs qui en a surveillé les travaux ; elle a voulu qu'une rue qui touche à l'hospice portât son nom, on l'appelle rue Marcq.
L'hôpital St-Jean est celui contre lequel on a déjà fait entendre maintes récriminations.
Le conseil général des hospices fut autorisé par arrêté de 1827 à vendre certaines propriétés pour en affecter le montant à l'érection d'un nouvel hôpital ; des circonstances indépendantes de la volonté de l'administration empêchèrent la réalisation immédiate de ce projet. Pour continuer les travaux commencés, il fallut emprunter ; on conçoit dès lors que cette opération a dû devenir onéreuse, beaucoup moins cependant que bien de personnes ne le croient, puisque la plus grande partie des emprunts ont été faits au mont-de-piété, à une époque où les bénéfices de cette dernière administration étaient annuellement versés dans la caisse des hospices.
Quoi qu'il en soit, on n'eut aucun égard à ce surcroît de dépenses, parce que la reconstruction de l'hôpital était un devoir d'humanité envers la classe indigente ; il y avait encombrement de malades, et la disposition des locaux contigus à une rue très fréquentée, était très nuisibles à leur repos et à leur rétablissement. Pour prétendre que le conseil général des hospices a mal agi, il faut ne pas avoir connu l'ancien hôpital.
Après les autorisations obtenues, on procéda aux travaux, au moyen de plusieurs adjudications publiques, selon les diverses espèces d'ouvrages.
Quatre membres des hospices se chargèrent de surveiller tout spécialement cette construction, et il faut reconnaître qu'ils se sont acquittés consciencieusement de cette pénible tâche ; aussi le conseil communal les a-t-il constamment réélus à l'expiration de leur mandat.
Les travaux ont coûté 2,578,905 fr. On critique l'élévation de cette dépense, sans réfléchir que de semblables monuments doivent avoir une solidité suffisante pour leur permettre de durer des siècles, et que le nombre et la grandeur des salles doivent être mis en rapport, non seulement avec les besoins du moment, mais encore avec ceux qui surgiront plus tard, lorsque l'augmentation de la population réclamera des locaux plus spacieux.
Les plans d'ailleurs ont été vus par l'autorité supérieure ; des changements, qui n'avaient pas d'autre but que l'embellissement des façades, ont été exigés par le conseil communal ; et je trouve que ce conseil avait bien le droit d'imposer cette augmentation de dépenses, puisqu'il est obligé de pourvoir à l'insuffisance des ressources des hospices, et qu'il donne annuellement, de ce chef, des subsides assez considérables. Il y a, j'en conviens franchement, un certain luxe de pierres, et, à mon avis, les hospices et le conseil communal ont très bien fait d'employer ces matériaux, et de construire un monument, plutôt qu'un bâtiment d'une architecture simple.
Comment ! messieurs, on autorise par des subsides la construction de magnifiques églises, on élève des casernes qui ont l'aspect d'anciens et magnifiques châteaux, on vote des fonds pour des monuments où les voleurs et les vagabonds sont enfermés, et on ne voudrait pas qu'on mît un peu de luxe dans l'architecture d'un hospice qui devient, pour tant d'indigents, le dernier séjour d'une chétive existence !
Ah ! messieurs, je m'affligerais profondément des observations faites à ce sujet, si je ne voyais pas que ces perpétuelles attaques sont provoquées par des motifs d'opposition politique.
En définitive si on entre dans les détails de cette construction, on s'aperçoit tout de suite qu'il ne vaut réellement pas la peine d'élever des objections à ce sujet.
La comptabilité de cette administration a été admirablement tenue ; on connaît jusqu'à un centime ce que chaque espèce de matériaux a coûté, on a dépensé 341,714 fr. en pierres bleues et 71,926 fr. en pierres blanches ; si on retranche de. la dépense totale des pierres, le montant de celles qui contribuent à la solidité de l'édifice ou qui sont d'une nécessité absolue, comme soubassements, escaliers, corniches, fondations, carrelages, etc., etc., il ne restera pas plus de 50,000 à 70,000 francs pour cette dépense de luxe contre laquelle on se récrie tant.
Et ce capital n'est pas improductif, car c'est bien à l'aspect de ce monument que l'hôpital doit d'être visité chaque année par 1,500 étrangers qui payent un droit d'entrée d'un franc par personne. J'ajouterai encore qu'un des résultats importants de celle belle construction est, sans aucun doute, la disparition de la répugnance que les indigents éprouvaient pour aller à l'hôpital. La preuve en est dans le nombre des malades qu'on y traite ; de 1,600 à 1,700 qu'il y avait annuellement dans l'ancien bâtiment, il y en a aujourd'hui plus de 4,000.
Je dois encore détruire l'erreur dans laquelle sont beaucoup de personnes qui pensent que cet hôpital n'est habité que par 300 pauvres. On a souvent compté plus de 500 indigents et une centaine d'autres personnes, élèves-médecins, religieuses, sages-femmes, nourrices, domestiques, etc. On pourrait au besoin y traiter 800 malades. Il y a en outre plus de 60 employés ; cet hôpital renferme tous les bureaux de l'administration centrale, les magasins d'habillement, le dépôt des denrées alimentaires de tous les hospices, un moulin à vapeur, et une boulangerie montée sur une grande échelle, elle fournit le pain aux divers établissements de l'administration et aux comités de charité.
L'hôpital St-Jean a donc une importance plus considérable qu'on ne le suppose généralement. Il a coûté 2,578,905 fr., mais il a permis de supprimer deux grands établissements qui y ont été transférés, la maternité et les enfants trouvés ; il y a en outre des parties louées pour environ 7,000 fr., il faut donc, pour être juste, déduire plusieurs centaines de mille francs de 2,578,905.
On se récrie contre cette dépense, mais que l'on compare avec Paris. L'hôpital Lariboisière qui ne contiendra que 1,200 malades coûtera 25 millions.
J'ai réellement peine de comprendre que nos adversaires veuillent critiquer la construction de St-Jean, tandis que dans bien des pays on admire les temples et les monastères élevés par les catholiques. Un des hommes les plus dévoués à la religion, M. Rubichon, dont vous apprécierez certainement l'opinion, dit dans son ouvrage, de l'Action du clergé dans les sociétés modernes :
« La religion catholique est grande dans ses charités, comme dans son culte ; aussi les bâtiments destinés aux malades ou aux pauvres sont d'une noble architecture, ont des cours spacieuses, des escaliers éclairés, de larges corridors, des plafonds élevés, des salles immenses, des promenades bien plantées.
« Qu'on ne s'imagine pas cependant venir comparer les mesquines créations des protestants aux monuments des catholiques qui nous restent.
« On ne peut rien voir de plus pitoyable, sous tous les rapports, que les bâtiments modernes. »
L'honorable M. Malou a lu une lettre du 30 janvier 1833, adressée au bourgmestre de Bruxelles, par la supérieure de l'hôpital Saint-Jean, qui réclamait les bons offices de ce magistrat pour terminer les vexations que l'on continue toujours contre l'aumônier de la communauté.
Si l'honorable membre, au lieu de provoquer des explications publiques sur un fait qui honore la fermeté de mes prédécesseurs, était venu me demander quelques renseignements, il se serait sans doute épargné la peine de jeter un blâme sur des administrateurs qui ne sont pas, eux, grassement payés comme certains administrateurs financiers, et qui, quoi qu'en dise M. Malou, méritent l'estime et la reconnaissance de leurs concitoyens pour leur dévouement et leur bonne gestion.
Nous allons voir si c'est bien l'administration qui a vexé les aumôniers et les religieuses, ou si ce ne sont pas les aumôniers et les religieuses qui ont quelquefois vexé l'administration.
L'article 16 de la Constitution donne aux évêques le droit de faire toutes les nominations des ministres du culte et par conséquent celle des aumôniers des hôpitaux.
D'un autre côté ces aumôniers sont des employés de l'administration des hospices, qui les salarie, et en vertu de la loi du 16 messidor an VII, leur nomination et leur révocation appartient à l'administration des (page 1480) hospices. Celle-ci ne peut être indifférente aux choix de ces ecclésiastiques qui exercent une certaine influence sur les religieuses et sur le service. Les sœurs hospitalières se considèrent comme les servantes des malades, elles s'honorent de ce titre. La nuit comme le jour, elles les soignent, souvent même le zèle supplée aux forces : mais si un aumônier par trop sévère voulait les astreindre aux pratiques des cloîtres, les obliger à des retraites spirituelles ou à passer trop de temps dans la chapelle... que deviendrait le service de l'hôpital !.. L'aumônier doit d'ailleurs être imbu des principes de tolérance ; les hôpitaux étant ouverts aux malades de toutes les religions, ni les sœurs ni les ministres d'aucun culte ne peuvent tenter des conversions. Cet ordre de choses ne saurait être maintenu que pour autant que les hospices aient un droit réel dans la domination et la révocation des aumôniers ; ôtez-lui ce pouvoir, des abus sans nombre surgiront. Il est donc nécessaire que les deux autorités s'entendent, car aucune des deux n'a le droit d'imposer son choix à l'autre.
En 1828 l'aumônier de -Saint-Jean, par suite de son grand âge, demanda à être remplacé ; il avait desservi l'hôpital pendant 35 ans.
Avant que le conseil général des hospices ait pu s'occuper de son remplacement, Mgr de Méan prévint l'administration qu'il se proposait de conférer cette place à M. K... Le conseil général, qui avait de bonnes raisons pour désirer un autre aumônier, envoya deux de ses membres à Malines, dans le but de s'entendre sur cette nomination. Malgré le plus vif désir de l'administration des hospices de terminer cette affaire à l'amiable, on ne put se mettre d'accord, parce que monseigneur, sans égard à aucune considération, soutint qu'à lui seul appartenait cette nomination. Le 6 avril 1829, sans même prévenir les hospices, l'archevêque envoya M. S... comme desservant pour aider l'aumônier dans ses fonctions, et M. S... est celui dont il est question dans la lettre de 1833 lue par l'honorable M. Malou.
Le conseil lui refusa traitement, logement et nourriture. Contrairement à la volonté de l'administration, il se logea dans le quartier de l'aumônier et fut nourri par les religieuses, aux dépens de l'hôpital. Les administrateurs, pour éviter un véritable scandale, furent obligés de l'y laisser.
A peine installé, ce jeune prêtre se distingua par un zèle outré. Le conseil reçut des plaintes graves des médecins et des chirurgiens de l'établissement, MM. Uytterhoeven et Van Cutsem ; ceux-ci citaient plusieurs hommes dont l'état s'était fort aggravé par suite de pratiques religieuses forcées.
Une enquête eut lieu par des membres du conseil ; elle constata que le desservant compromettait réellement la santé des malades en les fatiguant sans relâche de ses visites, en réunissant dans la chapelle des blessés et des fiévreux pour y assister, nu-tête, à des exhortations religieuses, tandis que, pour prévenir la contagion, il fallait les tenir séparés, et que, pour accélérer leur guérison, il était ordonné, aux uns de garder le lit, et à tous de rester dans leur salle.
L'aumônier mourut le 28 novembre 1831, MM. les vicaires généraux nommèrent le desservant, M. S..., à sa place. Le conseil protesta et refusa de ratifier cette nomination. Voilà ce qu'on appelle vexation, comme si les faits que je viens de citer n'étaient pas de la plus haute gravité et ne motivaient pas suffisamment la résolution de l'administration. Régence, gouverneur, ministre, tout le monde s'interposa pour terminer le conflit, on ne put y parvenir. Finalement, à la suite d'une conférence entre deux membres des hospices et Mgr. l'archevêque de Malines, on y mit fin par une convention verbale qui a été approuvée le 18 février 1834. Il a été décidé qu'à l'avenir, lors des nominations de l'espèce, l'autorité ecclésiastique, avant d'envoyer le titulaire en fonctions, informerait l'administration des hospices et demanderait si le traitement, le logement et la nourriture lui seraient accordés. Ce ne serait qu'après la réponse du conseil que l'installation pourrait se faire, s'il y avait lieu.
Le sieur S., dont les hospices avaient dû subir la présence pendant près de 5 ans, fut nommé à d'autres fonctions, et la nomination de l'aumônier fut faite conformément à la convention.
Ainsi il a fallu six ans de discussions et des désordres graves qui se renouvelaient fréquemment pour terminer cette affaire comme le conseil général des hospices l'avait proposé dès le principe.
Toutefois, je dois dire que depuis lors la convention n'a pas toujours été strictement suivie ; car le 30 octobre 1840, le conseil avait sollicité le remplacement de l'aumônier de Saint-Jean dont la santé délabrée ne lui permettait plus de remplir ses devoirs. Il renouvela sa demande en 1841 ; mais, l'aumônier ne fut remplacé qu'après son décès arrivé le 21 août 1843.
Si les droits des hospices ont donné lieu à une opposition aussi persistante, alors que l'esprit de charité et de conciliation imposait en quelque sorte l'obligation d'une entente cordiale, n'en peut-on pas conclure que le clergé veut être complètement indépendant, qu'il ne se soumettra jamais au contrôle de l'autorité civile ?
L'honorable M. Malou vient dire dans cette Chambre que les administrateurs des hospices se complaisent à tourmenter aumôniers et religieuses ; eux qui tous les jours sont témoins de leur dévouement, ils iraient vexer ces braves et honnêtes personnes pour lesquelles ils ont tant de respect ! Je ne devrais ici rien réfuter, tant cela paraîtra invraisemblable à tout le monde. Cependant quand je vois toutes ces attaques contre les hospices de Bruxelles, je suis bien obligé d'y répondre.
Mon honorable collègue confond le maintien d'une bonne discipline dans les hôpitaux et l'obligation de conserver intacts les droits de l'autorité civile, avec les soins et les égards que l'on doit à ceux qui se consacrent au soulagement des malheureux ; et à ces soins et à ces égards, jamais l'administration n'y a manqué.
Je vais vous faire voir, messieurs, en passant de Saint-Jean à Saint-Pierre, combien ces administrateurs ont eu de patience, afin qu'on ne puisse pas leur adresser le moindre reproche.
Je dois dire préalablement que je ne confonds pas une mauvaise brebis avec tout un troupeau, et si un ecclésiastique manque à ses devoirs, il ne diminue pas le respect que j'éprouve pour le prêtre qui porte des consolations aux malheureux.
Il y avait à Saint-Pierre un aumônier dont la conduite était excessivement répréhensible. De 1837 à 1840 époque à laquelle il a été remplacé, l'administration recevait très fréquemment des rapports contre lui. Il faisait de l'hôpital une véritable auberge, et s'il eût été administrateur spécial de cet établissement, il eût bien vite mangé le patrimoine du pauvre. Venez lire ces rapports, M. Malou, je les ai ici, vous y verrez que cinq, six et huit fois par mois, cet aumônier donnait à dîner à deux, trois, cinq et sept personnes, toujours aux frais de l'hôpital, avec les provisions de l'hôpital ; vous verrez que parfois il se laisse emporter par un excès de zèle ; d'autres jours il oublie ses devoirs et laisse mourir les pauvres sans confession ; il est encore d'autres faits dont je ne parlerai pas, parce qu'il ne me paraît pas convenable de les conter à la tribune.
L'administration des hospices prit patience pendant neuf ans ; elle a laissé s'accumuler griefs sur griefs, parce qu'elle savait bien qu'il fallait avoir mille fois raison pour convaincre l'autorité ecclésiastique, et l'honorable M. Malou viendra lire dans cette Chambre une lettre où on réclame l'intervention du premier magistrat de la ville pour obtenir que les aumôniers ne soient pas vexés par l'administration ! Ah ! si sa cause était bonne, il n'aurait pas recours à de semblables moyens. Il eût pris des informations avant de lancer ses injustes accusations à la tête d'une administration qui remplit ses fonctions à l'entière satisfaction de ses commettants.
Je reviens à l'aumônier de Saint-Pierre ; en 1840, le conseil général des hospices, poussé à bout, prit une résolution ; il ordonna de supprimer à une époque déterminée tous les avantages qu'il accordait à l'aumônier, c'est-à-dire, le traitement, le logement et la nourriture. Monseigneur l'archevêque de Malines, qui en fut informé, se rendit au sein de l'administration pour savoir s'il n'était pas possible au conseil d'annuler cette résolution. On lui donna lecture des rapports ; puis je me levai, je m'approchai de Son Eminence, et je lui dis : Si un laïque se servait de l'anonyme pour déverser la calomnie sur ses supérieurs, que diriez-vous, monseigneur ? Vous me répondrez que c'est une bien vilaine action ; mais si, au lieu d'être un laïque, c'était un prêtre, cela ne vous paraîtrait-il pas un acte plus blâmable ? Et je lui remis, en présence de toute l'administration, une lettre anonyme que l'aumônier m'avait adressée, deux ans auparavant, et dont il avait été obligé de se reconnaître l'auteur. Je l'avais conservée comme pouvant être utile un jour.
Trois mois après, cet aumônier fut remplacé. Mgr. l'archevêque de Malines comprit que les aumôniers des hospices devaient être des hommes tolérants, et il a placé dans les hôpitaux de Bruxelles des prêtres qui remplissent leur devoir très convenablement en alliant le zèle avec une sage tolérance.
J'arrive maintenant aux religieuses. M. Malou s'est plaint d'une mesure prise par l'administration des hospices, elle a interdit l'entrée de l'hôpital à une sœur. Empêcher les sœurs hospitalières de soigner les malades. C'est vraiment abominable. Mais voyons quels en ont été les motifs. M. Malou ne s'en est pas enquis. Le 9 juin 1848, M. Lequime, dont vous ne récuserez pas le témoignage, puisqu'il est le médecin des religieuses, le médecin de leur hôpital, M. Lequime, dis-je, et M. Uytterhoeven adressèrent des réclamations au conseil relativement aux dangers auxquels s'exposaient les malades en se rendant à la chapelle. Voici la lettre de M. Uytterhoeven :
« Monsieur,
« La proximité qui existe entre la chapelle de l'hôpital et les infirmeries entraîne des inconvénients fort graves.
« Depuis un grand nombre d'années, les médecins qui se sont succédé dans cet établissement ont élevé à ce sujet des réclamations souvent réitérées, mais toujours sans succès.
« Aujourd'hui cet état de choses si déplorable ne s'est pas encore amendé.
« La maison de St-Jean, grâce aux abus que les sœurs hospitalières y entretiennent avec opiniâtreté, semble être plutôt un établissement religieux, uniquement consacré à la piété, qu'un asile de charité destiné au soulagement et à la guérison des pauvres malades.
« En effet, quand il s'agit d'exercices religieux, il est impossible aux médecins d’obtenir que les malades gardent le lit ou la chambre ; plusieurs ont payé de leur vie cette infraction aux ordonnances médicales.
« Les sœurs hospitalières chargées encore jusqu'à ce jour de la police des salles, exaltées par l'esprit de dévotion qui les anime, sont plus (page 1481) disposées avoir un acte méritoire qu'un motif de blâme dans l'acte d'insubordination et d'indiscipline dont je me plains en ce moment.
« Cependant une réforme radicale devient ici nécessaire. Aujourd'hui encore, un jeune homme, atteint d'ophtalmie chronique, a été saisi pour la troisième fois d'une récidive, fort grave, contractée chaque fois en se rendant à la chapelle, malgré nos recommandations et notre défense formelle, signifiées et au malade et aux sœurs de service. Ce malade donc après avoir été guéri trois fois, se retrouve en ce moment dans le même état où il était à l'époque de son entrée, mais avec des chances de guérison graduellement moins probables, en proportion du nombre de rechutes qu'il essuiera encore, si l'on n'y met un prompt et efficace obstacle.
« Du reste, monsieur, le fait sur lequel j'appelle votre attention se renouvelle chaque jour ; j'ai vu même des blessés, atteints de fractures graves, qui exigeaient impérieusement un repos absolu, le rompre pour se rendre à la chapelle.
« Je vous prie donc, monsieur, de vous occuper de cette affaire sérieusement et le plus promptement possible, il y va du bien-être, de la santé et de la vie des malades confiés à nos soins.
« (Signé ) André Uytterhoeven.
« Ce 9 juin 1848. »
L'administration prit, le 23 juin, une résolution qui interdit l'entrée de la chapelle de l'hôpital aux malades non munis d'uni autorisation formelle des médecins.
Le 20 juillet 1848 le directeur écrivit à l'administration que, contrairement aux instructions du conseil, des malades continuaient à se rendre à la chapelle malgré la défense des médecins. Sur l'observation qu'il en fit à la sœur Pletinckx, celle-ci répondit d'une manière peu convenable.
Et pour mettre une bonne fois fin à cette espèce d'obsession religieuse, l'administration défendit à la sœur Pletinckx l'entrée de l'hôpital pendant un mois.
Le grief reproché aux hospices par M. Malou et qui a fait le plus d'impression sur la Chambre concerne les images de la Vierge ; il a lu l’extrait suivant d'une lettre de l'aumônier du 7 septembre 1835.
« M. le directeur de l'hôpital fait enlever les images de la Vierge, des salles des malades dudit hôpital.
« Cet acte a profondément affligé les sœurs par l'injure qu'il a faite à la religion et à leur état. Elles y voient de la part de M. le directeur une tendance de jour en jour plus prononcée à entraver le plus saint de leurs devoirs, à l'égard des malades, celui de soulager leurs maux par les consolations qu'offre la religion, les seules dont les pauvres jouissent ici-bas. Aussi, cet acte a fait une impression douloureuse sur la plupart des malades. »
Voilà un langage qui est bien de nature à faire passer les administrateurs pour des hérétiques, pour des ennemis de la religion. Ici je rends justice à M. Malou, il ne l'a pas inventé ; seulement il l'a répété sans s'assurer des motifs qui avaient provoqué cette mesure. Peut-être a-t-il craint de m'en informer, car il n'aurait pas pu alors lancer sur l'administration un blâme qu'il savait bien devoir subsister pendant quelques jours ; c'est-à-dire aussi longtemps que je n'aurais pas eu la parole.
Si l'honorable membre m'avait demandé des renseignements à cet égard, je lui aurais dit qu'il y avait alors, et qu'il y a encore aujourd'hui, des christs dans chaque salle de malades et des vierges dans presque toutes ; mais les images dont il est ici question donnaient lieu à des abus que je laisse à l'honorable M. Malou le soin de qualifier. Autour de ces images les sœurs allumaient des chandelles qui répandaient une odeur infecte et nuisible au rétablissement de la santé des malades ; j'ai même lu un rapport où il est dit qu'on en avait allumé une si grande quantité dans une chambre, qu'on dut pendant la nuit ouvrir portes et fenêtres pour permettre aux malades de pouvoir respirer librement. Et puis à côté de ces images, les religieuses avaient placé un tronc pour y recevoir les dons des indigents. Si M. Malou eût été administrateur des hospices, aurait-il permis ces sortes d'excitations aux malades pour obtenir leur guérison ?
Aurait-il toléré ces troncs, pour faire donner aux religieuses la dernière obole du pauvre ? Et quand la famille venait visiter le malheureux, devait-elle aussi vider sa bourse ? n'éprouvait-elle pas déjà assez de privations par la perte de la journée de l'ouvrier ?
L'enlèvement des images de la Vierge, comme l'a conté M. Malou, est un fait grave ; je ne veux pas que demain on vienne émettre des doutes sur l'exactitude de ce que j'avance, je lirai les pièces.
« Monsieur l'administrateur,
« Je crois devoir vous faire connaître que samedi les sœurs hospitalières, ne se contentant pas d'un et même de deux Christs dans chaque salle, ont fait placer dans une chambre de 8 malades une vierge de plâtre sur une console entourée de bouquets et de chandelles.
« J'ai cru qu'elles allaient se borner là et que les samedis et jours de fêtes elles n'auraient pas allumé des chandelles dans cette chambre comme elles le font à une autre statue de la Vierge qu'elles ont placée il y a longtemps dans la chirurgie, mais au contraire les élèves internes me dirent qu'un soir il y avait neuf chandelles allumées dans un plat d'étain et qu'à 9 heures les malades ont dû ouvrir portes et fenêtres pour ne pas étouffer.
« M. le médecin en chef m'a demandé de ne plus placer de quinquets dans les salles pendant l'été parce qu'ils incommodaient les malades. Voilà qu'on y allume une quantité de chandelles qu'on engage les malades à donner pour obtenir une guérison.
« Hier j'ai trouvé que les sœurs avaient fait attacher au-dessus de la cheminée près de cette vierge une boîte pour recevoir les aumônes. J'ai cru la faire enlever parce que je pense que le conseil, qui accorde aux sœurs ce qu'elles demandent, ne voudrait pas que les malades donnent de l'argent ni que les personnes qui les visitent, puissent y faire la charité ; j'ai attendu vôtre décision, monsieur, je vous prie de vouloir bien m'instruire de ce qui vous sera agréable. »
Le conseil répondit le même jour au directeur :
« Nous vous prions, monsieur, d’inviter les sœurs à enlever de suite toutes les images, à ne plus allumer de chandelles dans les chambres des malades, et à faire disparaître le tronc en question. »
Le 3 décembre, le conseil reçut une nouvelle lettre du directeur :
« Messieurs,
« J'ai l'honneur de vous informer qu'hier matin, à la réception de la lettre du conseil concernant les images placées dans les salles, j'en ai donné lecture à la sœur Cécile. Elle m'a dit qu'elle allait y satisfaire. Une heure plus tard tout avait été enlevé. Mais ce matin, en faisant ma visite, j'ai vu que les images avaient été replacées dans les salles.
« Ne pouvant comprendre cet acte de désobéissance aux ordres du conseil, j'ai été chez les sœurs pour m'informer qui avait replacé les statues ; il m'a été répondu que c'était la sœur, par ordre de leur supérieure, qui leur avait défendu de commettre un sacrilège. Alors, j'ai fait enlever les deux Vierges par les domestiques, qui les ont déposées chez moi. »
Voilà les faits dans toute leur vérité, et je soutiens que les administrateurs ont rempli leur devoir avec convenance.
Puisque j'ai parlé de tronc, je dirai que j'ai oublié de dire qu'en 1841, l'aumônier de St-Pierre avait aussi, contrairement aux ordres de l'administration, placé un tronc dans la chapelle de cet établissement, pour y recueillir les aumônes des pauvres, au profit de l'université de Louvain qu'il recommandait du haut de la chaire de vérité. Par les mêmes raisons que je viens d'indiquer, l'administration fit enlever ce tronc. C'est encore là une de ces vexations monstrueuses dont a parlé M. Malou.
Sans en avoir la preuve, je suis porté à croire que la maison mère des sœurs hospitalières a été transférée rue des Cendres, parce que la supérieure du couvent n'a point trouvé parmi les administrateurs des hospices des personnes disposées à lui abandonner l'autorité qu'elle aurait désiré avoir. Si les religieuses étaient à Saint-Jean aussi mal qu'on veut le faire croire, elles auraient abandonné tout à fait l'hospice, tandis qu'elles desservent encore les deux hôpitaux.
Cette séparation n'est venue que parce que la mère supérieure a une tête trop faible, et qu'elle s'est laissé diriger par de mauvais conseils venus du dehors. Elle a adressé à l'administration le 30 novembre 1840 une lettre où elle entre dans les détails de tous les griefs qu'elle a à reprocher aux hospices. M. Malou en a lu divers extraits et notamment le suivant.
« Les injures et les outrages se sont si souvent répétés, qu'il nous serait impossible d'en faire l'énumération, qu'il en est même (des domestiques) qui ont osé porter l'insolence jusqu'à maltraiter quelques-unes de nos sœurs ; nous avons plus d'une fois adressé des plaintes à ce sujet, mais presque toujours sans succès et quelquefois même nous avons été traitées à cette occasion d'une manière vraiment outrageante (page 71 du même volume). »
La réponse des hospices est du 29 décembre 1840, elle se trouve à quelques pages plus loin, M. Malou en a pris connaissance, mais quand ce sont des lettres écrites en faveur de ses adversaires, il a si peu de mémoire, qu'il a oublié de nous en parler.
J'en citerai quelques passages, elle est trop longue pour que je la lise entièrement, je la ferai imprimer au Moniteur, parce qu'elle expose nettement les principes qui ont toujours guidé l'administration des hospices et la manière d'être de ses administrateurs vis-à-vis des religieuses.
« Madame,
« La nouvelle lettre que vous nous avez fait l'honneur de nous adresser le 30 novembre dernier, a été l'objet d'une délibération spéciale de notre collège, et les décisions dont elle a été l'objet ont été prises à l'unanimité, comme la fois précédente.
« D'abord, madame, en ce qui concerne l'initiative de vos réclamations, nous admettons volontiers que vous adhérez en tout point à la lettre de S. E. Mais veuillez la relire, et vous verrez si le moindre doute peut exister sur l'état de la question. Nous sommes loin de faire un reproche à Mgr de cette initiative, et regarderions même notre insistance comme oiseuse, si du véritable aspect de l'état de choses, ne résultait pour nous la conviction que vos demandes ne serait pas nées, si elles n'avaient été provoquées.
« Nous vous avions fait remarquer dans notre lettre du 30 octobre dernier, que le mode actuellement en vigueur pour subvenir à votre nourriture, avait toujours existé sans donner lieu à aucun inconvénients. Comprenant la force de cet argument, vous semblez vouloir le (page 1482) détruire par l'idée que toute difficulté était impossible, puisque vous étiez seule maîtresse ; car vous dites qu'avant la révolution française, il n'y avait pas d'administration de l'hôpital, mais simplement un économe-prêtre, et que conjointement avec la supérieure, cet économe-prêtre devait, tous les ans, rendre ses comptes à l'archevêque de Malines, en présence de quelques membres du conseil de la ville de Bruxelles ; et vous en concluez que vous avez toujours administré les biens de l'hôpital Saint-Jean, jusqu'à cette révolution.
« Nous n'avons point à rechercher les formalités qui peuvent avoir été remplies facultativement et sans droit, vis-à-vis de l'archevêque, ou qui ne l'ont pas été ; parce que ce prélat n'a jamais eu la moindre juridiction temporelle sur l'hôpital, laquelle a toujours appartenu au magistrat de Bruxelles, ainsi qu'en fait foi, 1° la bulle du pape Nicolas V, du mois d'octobre 1448, existant dans nos archives, par laquelle il confirme le magistrat de Bruxelles dans le droit qu'il avait coutume d'exercer, et qui lui était attribué depuis des temps très reculés, d'exercer une surintendance, de gouverner et d'administrer les hôpitaux, les hospices pour les pauvres, les léproseries et autres établissements pieux, et d'en faire gérer les biens et distribuer les revenus aux nécessiteux, par des hommes circonspects et probes, et 2° un rapport fait à Son Altesse royale le prince Charles de Lorraine, gouverneur général des Pays-Bas, par les bourgmestre, échevins, trésoriers, receveurs et conseils de la ville de Bruxelles de l'année 1776, également existant dans nos archives, et qui dit art. 4, page 37, en parlant de l'hôpital Saint-Jean : « Cette maison, de tout temps, a été sous la juridiction et inspection du magistrat de cette ville, à qui, comme fondateur primitif, elle a toujours rendu et rend encore ses comptes. C'est de ce chef que ses tuteurs sont deux échevins et deux conseillers du même magistrat. Le receveur préposé à la recette des revenus est établi par le magistrat, etc., etc. » Ces deux documents prouvent que depuis des temps très reculés, et longtemps avant 1448, le magistrat de la ville avait la juridiction temporelle sur l'hôpital St Jean, et qu'il l'avait encore très peu de temps avant la révolution française. Vous nous permettrez en conséquence de ne pas admettre votre conclusion, que depuis 1140, jusqu'à la création du conseil des hospices par le gouvernement français, vous ayez administré vous-même les biens de l'hôpital St-Jean.
« Cet établissement a été de tous temps sous la juridiction suprême du magistrat de cette ville, et gouverné et administré pas ses délégués qui avaient le droit de faire des représentations et qui en faisaient. En suite comme nous avons lieu de croire que la position de votre communauté, en ce qui concerne la nourriture, ainsi que dans tout le reste, n'a pas varié dans ses rapports avec l'administration temporelle, depuis votre première admission à l'hôpital, et comme nous n'avons pu découvrir, malgré les recherches que nous avons ordonnées, la moindre trace de représentations, soit d'un côté, soit de l'autre, concernant votre régime alimentaire dans les temps passés, pas plus que nous n'avons de souvenir de réclamations de votre part soit d'observations de la nôtre, pour les temps présents, nous croyons être en droit d'affirmer de nouveau de la manière la plus formelle, que, sous le rapport de votre table, l'usage établi n'a jamais donne lieu à la moindre plainte dans une longue suite de siècles.
« Vous nous demandez, si nous avons oublié celles qui nous ont été faites en 1831 et 1832. Nous nous sommes fait représenter le dossier relatif à ces plaintes. Nous n'avons rien découvert quant à 1831. La première pièce du dossier remonte au 14 août 1832, et est relative à l'abus alors existant de faire porter des aliments en ville, abus qui conduisait non seulement à d'autres abus, mais même au vol, ainsi que le prouve votre lettre du 30 septembre 1832. Nous y avons trouvé ensuite une demande de pains pour la soupe des malades ; mais nous n'y avons rien vu qui ait trait à votre table. Nous pensons d'après cela, que la nature et l'objet de ces plaintes vous auront échappé, lorsque vous vous en prévalez contre nous dans la circonstance actuelle.
« Vous nous dites aussi que puisque nous vous donnons les aliments en nature, nous prétendons exercer un contrôle sur votre table. D'abord, madame, vous recevez globalement les aliments de tout l'hôpital, et c'est vous-même qui faites votre part ; ensuite nous croyons qu'il était question, non pas de ce que nous prétendons, mais des inconvénients, auxquels l'usage établi avait donné lieu. Ensuite pour exemple de notre prétention, vous dites que par divers règlements on a déterminé la portion de viande et de poisson, et la mesure de bière pour chaque religieuse.
« Les règlements de l'espèce, et vous le savez aussi bien que nous, n'ont jamais eu les aliments des religieuses seuls pour objet, et sont des mesures d'administration générale fondées sur le principe que met en pratique tout bon père de famille, d'ordonner ses approvisionnements eu égard à la consommation.
« Les portions en ont été fixées sur des bases tellement larges, que depuis la mise en usage de ces dispositions réglementaires, les quantités déterminées n'ont été dépassées que rarement, et par suite de circonstances extraordinaires ; mais à votre éloge, jamais à l'hôpital Saint-Jean, ces mesures n'ont donné lieu jusqu'ici qu'à de bons résultats, et ne peuvent donc être un motif pour provoquer des changements.
« Il vous semble que l'interdiction de toute espèce de fête ou de repas et la défense d'admettre des étrangers à table, ainsi que la fixation des heures de repas, appartiennent plutôt à la discipline religieuse. Nous concevons parfaitement que l'autorité spirituelle puisse, en ce qui concerne ces deux premiers points, prescrire des dispositions analogues, mais nous ne comprenons pas comment la même faculté ne pourrait nous être réservée. S'il s'agissait de vous obliger à donner des fêtes ou à recevoir des étrangers, vous pourriez nous opposer des raisons plausibles : mais à la défense, c'est ce que ni vous-même, ni vos supérieurs spirituels ne pouvez penser sérieusement à faire, d'autant plus que cette disposition est générale pour tous les établissements et que personne ne peut en méconnaître la sagesse et la parfaite convenance, si d'ailleurs le droit de l'établir ne rentrait complètement dans nos attributions.
« Cependant comme votre vie, consacrée entièrement au soulagement des malheureux, vous permet peu de distractions, notre reconnaissance nous fait un devoir de ne pas aggraver votre sort, et nous sommes disposés à tempérer la rigueur de notre défense en vous permettant de recevoir de temps en temps à dîner vos connaissances à vos frais, ou à vous récréer aux nôtres, mais de notre assentiment, ce qui a déjà eu lieu.
« Quant au troisième point, la fixation des heures de repas, nous l'estimons exclusivement de notre compétence, comme tenant au règlement du service intérieur journalier de l'hôpital.
« Ces heures doivent être fixées de la manière la plus commode pour le service des malades, devant quoi tout doit fléchir, puisque notre administration, votre communauté et l'hôpital lui-même n'existent que pour ce but. Toutefois si pour certains repas votre communauté préférait d'autres heures, nous sommes tout disposés à les lui accorder pourvu que le service n'en soit pas contrarié.
« Vous trouvez aussi que vous donnant déjà un abonnement pour les vêtements et le déjeuner, nous n'aurions que peu à ajouter. L'abonnement dont vous parlez doit être pour vous une preuve du bon vouloir dont nous sommes animés, et que notre résistance ne peut être que le résultat de puissantes considérations.
« La question est moins dans le peu à ajouter, elle est principalement dans ce que nos devoirs ne nous permettent pas de vous donner au-delà de vos besoins, ou de souffrir que vous éprouviez des privations. Ce motif nous oblige, tout en nous référant à notre lettre du 30 octobre, à persister dans notre décision première.
« En lisant les détails que vous donnez, madame, pour appuyer votre réclamation qui a pour objet de pouvoir louer, payer, surveiller et renvoyer les domestiques, nous devrions être profondément affectés des désordres qui doivent troubler le service de l'hôpital, et faire un appel immédiat à toute notre énergie pour y appliquer les remèdes les plus prompts et les plus efficaces, si, ayant été chargés tour à tour, de la surveillance de cet établissement, nous ne savions par notre propre expérience, combien est parfait l'ordre qui y règne. Toutefois n'ayant voulu négliger aucun moyen de nous éclairer, nous avons fait venir le directeur qui nous a déclaré n'avoir aucune connaissance des faits que vous articulez : que pour ce qui concernait le renvoi des domestiques, il s'était toujours empressé de satisfaire aux désirs que vous lui aviez exprimés, et que nouvellement encore, il en avait congédié deux à votre demande. Il a cependant ajouté que contrairement à vos désirs, il en avait expulsé un troisième, qui se livrait dans l'hôpital à des turpitudes infâmes. Il déclare, du reste, qu'il n'avait qu'à se louer de ses relations avec vous comme il pensait que vous et votre communauté, vous ne pouviez avoir qu'à vous louer de ses procédés à lui.
« Parmi ces domestiques tous gens grossiers et sans éducation, il s'en trouve encore de plus vicieux les uns que les autres, et il est tout simple qu'il y en ait eu dont la conduite ayant donné lieu à de justes plaintes, confirmerait les assertions de votre lettre, Mais nous croyons aussi que vous avez quelque peu chargé le tableau, en réunissant en un faisceau des faits qui ne se sont succédé qu'à de longs intervalles. Vous n'en aviez pas besoin, madame, pour nous toucher. Si nous avions pu vous accorder votre demande, nous l'eussions fait de suite. Nous serons toujours trop heureux de pouvoir faire quelque chose qui vous soit agréable dans la limite de nos devoirs, pour que nous ne saisissions pas avec empressement toutes les occasions qui peuvent s'en offrir.
« Votre communauté préfère ne pas adresser ses plaintes au directeur de peur de diffamer le prochain et de n'obtenir que la vengeance de ceux qui auraient été accusés. Ces faibles considérations vous arrêtent déjà, mais que serait-ce donc si vous deviez frapper avec inflexibilité et résister à des menaces bien autrement fortes ou à des prières dont le pouvoir serait irrésistible sur vos cœurs ? Ah, madame ! la charité que vous mettez si noblement en pratique vous ferait constamment reculer et de graves désordres en seraient la conséquence. Nous vous le répétons, une autorité forte peut seule maintenir la discipline sévère, indispensable à la régularité du service dans l'hôpital et vous n'auriez qu'une trop facile bonté. Nous devons donc résister à votre demande, quand bien même la question ne serait pas dominée par plusieurs autres, et une surtout sur laquelle nous ne transigerons jamais, celle de l'exercice de notre autorité que nous voulons voir régner à l'hôpital sans hésitation, sans réserve, sans contrôle comme sans partage.
« Nous vous avions demandé de nous faire connaître l'espèce et la nature des garanties que vous désiriez contre tout manque de respect. Nous avons vainement cherché dans votre réponse quelque articulation précise : vous êtes restée dans des considérations générales, sauf une manifestation de désir de vous voir honorer davantage par nous. A cet égard, madame, notre volonté ira toujours au-delà de vos vœux ; mais (page 1483) cela ne suffit pas pour imposer le respect dont nous souhaiterions de vous voir entourée, plus que vous ne pouvez le souhaiter vous-même. Il faudrait aussi ne jamais donner occasion d'y porter atteinte. A ce sujet nous appellerons votre attention sur quelques petites circonstances, graves par leurs résultats, et qu'il ne dépendrait que de vous de ne pas faire naître.
« Quoique vouées au service des pauvres, vous l'êtes également à celui de Dieu, et il est assez naturel que vous ayez un préjugé puissant de la presque omnipotence du pouvoir spirituel. Il en résulte que vous opposez quelquefois ce pouvoir à des dispositions exigées par le bien-être du service, et que vos ordres sont méconnus comme ils doivent l'être, mais aux dépens de votre considération : vous ne vous souvenez pas toujours que dans votre service des malades et de l'intérieur à l'hôpital, vous ne relevez que de nous. Outre la cause que nous venons d'indiquer, vous êtes dominée par les illusions d'un passé que vous vous êtes fait, et que vous regrettez et rappelez sans cesse. Vous vous bercez du souvenir de votre soi-disant administration passée, de votre autorité, des riches fondations de l'hôpital Saint-Jean conservées et augmentées par vos soins.
« Votre part dans les services rendus aux pauvres dans une longue suite de siècles est assez grande pour revendiquer aussi celle des administrateurs temporels de l'hôpital et en adressant à votre communauté l'hommage de la reconnaissance qui lui est si légitimement due, nous ne pourrions sans une profonde ingratitude méconnaître celle que nous devons à la vigilance, au zèle et à la fermeté des administrateurs qui nous ont précédés, ainsi que du magistrat de Bruxelles. Nous venons de parler du passé que vous vous êtes fait ; c'est que ce passé, tel qu'il résulte des documents de nos archives, est tout différent de celui que vous croyez, et ne diffère du présent qu'à votre avantage.
« L'hôpital St-Jean a toujours été un établissement d'institution publique et civile, sous la juridiction du magistrat de Bruxelles, ainsi que vous avez pu vous en convaincre par les deux documents que nous avons cités plus haut.
« Des religieuses, d'abord à titre individuel, ensuite réunies sous des statuts émanés de l'autorité spirituelle, y ont été admises, pour les soins à donner aux malades et le service intérieur de la maison. Par arrêt du 17 juillet 1653, le conseil de Brabant en cause du procureur général jointe lui l'archevêque de Malines, contre le magistrat de Bruxelles, oblige les novices de l'hôpital Saint-Jean à continuer la demande du pain audit magistrat, aussi bien que de reconnaître ses délégués pour leurs tuteurs. Le 5 octobre 1754 les tuteurs de l'hôpital établissent des règles de comptabilité, desquelles il résulte qu'en principe les dots même des sœurs font partie de l'avoir de l'hôpital. Vers 1776 par suite d'un procès intenté par le magistral de Bruxelles, les religieuses durent restituer à l'hôpital les biens et rentes de diverses fondations, dont elles s'étaient formé une mense particulière, et dont elles rendaient précédemment compte à l'autorité ecclésiastique ; ce qui a pu vous induire en erreur sur la reddition des comptes de l'hôpital à l'archevêque de Malines.
« De la combinaison de ces divers extraits de documents authentiques, qui ne vous reconnaissent que comme religieuses au service de l'hôpital et ne laissent aucun doute sur la non-existence de votre communauté comme corporation, ce qu'elle n'est devenue que par suite du décret impérial organique du 18 février 1809, vous pouvez juger, autrement que par une tradition fantastique, de votre position à l'hôpital dans ces temps selon vous de si regrettable mémoire, où l'on ne vous laissait en propre et en entier à votre libre disposition, que les pourboires pour les soins que vous donniez aux malades en ville (décision du 5 octobre 1754).
« Nous ne cherchons pas à faire prévaloir ce passé, ou à en justifier notre autorité ; ce n'est plus que de l'histoire, puisque les lois de la république, celles du 18 août 1792 et du 5 frimaire an VI ont détruit tout lien légal ou de droit qui aurait pu le rattacher au présent, et nous ne le rappelons que pour vous désabuser, et vous faire comprendre, qu'en ce qui vous concerne, vous n'avez rien à lui envier.
« Examinez sans prévention ce qui existe, et vous en comprendrez avec nous. Abandonnez vos illusions et soyez actuelles. Quoique religieuses, votre service à l'hôpital est essentiellement temporel, votre autorité ne peut y avoir que ce même caractère, ne cherchez pas ailleurs les sources de votre pouvoir.
« Respectez l'autorité de vos chefs spirituels dans les limites de leurs attributions ; mais dans voire service, ne puisez vos forces que dans notre autorité temporelle, et la part qui vous est déléguée ne vous faillira jamais. Vous éviterez par ce moyen ces incertitudes, ces hésitations, ces désaveux, si nuisibles au prestige qui devrait toujours entourer le pouvoir s'il veut commander par lui-même le respect. Aujourd'hui nous pouvons enjoindre du respect pour vous, mais ce sera du respect par ordre, de mauvais aloi et indigne de vous. Suivez nos conseils et vous le conquerrez tel que nous voudrions pouvoir vous le procurer.
« Le médecin ou le chirurgien en chef ne réclament pas le droit de pouvoir renvoyer les domestiques, ou ne recourent pas à une autorité incompétente, à la faculté de médecine par exemple, pour se faire obéir et respecter. Faites comme eux, madame, venez à vous, exercez votre autorité à l'ombre de notre pouvoir ; votre part est assez large, tâchez seulement en faire usage, ne cherchez pas vos inspirations ailleurs et vous verrez bientôt la confiance, les' égards et le respect se joindre à la reconnaissance que vous méritez à tant de titres.
« Ce que nous vous avons dit du caractère de votre service à l'hôpital doit vous faire comprendre, madame, le motif qui nous a fait éviter de vous répondre par rapport à M. l'aumônier, chef d'un service tout différent, puisque le sien est essentiellement spirituel. Les formes veulent que cette affaire se traite directement entre lui et nous, et avant de répondre nous devrions attendre qu'il ait formulé ses désirs. Mais connaissant sans doute notre décision antérieure relativement à une demande semblable, faite par M. l'aumônier de St-Pierre, nous présumons qu'il nous évitera le désagrément d'avoir à refuser.
« En terminant, nous recommandons nos conseils à vos méditations et à celles de votre communauté. C'est votre intérêt seul qui nous les a inspirés. Si vous en retirez quelque fruit, nous en éprouverons la douce satisfaction que doit nécessairement nous procurer la conviction d'avoir contribué à quelque chose d'heureux pour vous.
« Le conseil général, etc. »
Il me reste à répondre au dernier grief articulé par M. Malou. Fatiguées de cette lutte continuelle, dit l'honorable membre, les sœurs cherchent à établir la congrégation dans un autre local.
Des âmes généreuses leur prêtent des fonds pour acheter une maison rue des Cendres. Aussitôt que cette résolution est prise, que fait-on à leur égard ? On leur dit : « Nous avons besoin, à telle date, de la moitié de votre quartier actuel. » On les y entasse, on les invite à partir le plus tôt possible ? Ne croirait-on pas en vérité que l'on a traité les religieuses comme des bêtes de somme ?
Voici les faits :
La commission médicale avait signalé l'hospice des enfants trouvés comme insalubre et beaucoup trop petit. La mortalité y était grande. Une épidémie s'y était déclarée dans le courant de l'été 1850 ; l'ophtalmie purulente. Les chefs de service des deux hôpitaux furent consultés, ils exprimèrent la même opinion que la commission médicale, ils attribuèrent cette épidémie à l'insalubrité du local.
L'administration se trouvait donc dans la nécessité ou d'y faire d'importantes constructions ou de placer l'hospice ailleurs.
Le 1er juillet 1850, la supérieure de la congrégation avait annoncé l'intention d'établir la maison mère en dehors de l'hôpital Saint Jean ; il ne s'agissait plus que de s'entendre sur les conditions du nouveau contrat. Le conseil, dans des vues d'économie, décida de consacrer une aile du bâtiment de Saint-Jean pour l'hospice des enfants trouvés. Pour mettre ce projet à exécution, il fallait donner à une partie du quartier des sœurs une destination utile à l'hôpital, afin de remplacer les salles dont on allait disposer pour les enfants trouvés.
Le couvent avait été construit sur une assez grande échelle, et tout en prenant ce qui était indispensable pour l'hôpital, on laissait encore à la communauté plus de logement qu'il n'en fallait pour la congrégation tout entière, et en effet, la congrégation se composait de 36 religieuses, dont 31 seulement logeaient à Saint-Jean ; on a laissé à l'usage de la communauté 36 cellules, 2 pièces au deuxième étage, un appartement au rez-de-chaussée composé de 3 grandes pièces avec de beaux dégagements, un immense réfectoire, un oratoire comme une chapelle pouvant servir à la tenue du chapitre, conférence, etc., et c'est quand on est logé aussi grandement qu'on aurait le droit de se plaindre ! Voilà comment les hospices ont entassé les religieuses les unes sur les autres. Si aucun changement n'était intervenu dans la communauté, le couvent aurait encore été disposé comme il l'est aujourd'hui.
J'ai répondu à tout ce que M. Malou a reproché aux hospices ; de toutes ses récriminations il n'en reste pas une seule qui soit justifiée. Je pense qu'il ne restera aucun doute sur la manière d'être des administrateurs divers les aumôniers et les religieuses.
S'il surgit quelquefois un conflit, ce n'est qu'en raison du maintien du droit de l'autorité civile : avec ce devoir, l'administration ne transigera jamais.
On a cité plusieurs fois le nom de M. Charles de Brouckere dans cette discussion ; on puise, dans ses conférences, des arguments en faveur des établissements de la charité privée. Je ne veux pas rencontrer ici certaines objections et calculs qu'il me serait facile de réfuter, mais je répondrai à mes honorables adversaires, non par des arguments, mais par un acte même de l'honorable bourgmestre ; je le citerai avec d'autant plus de plaisir qu'il honore son auteur.
Vous avez tous remarqué, messieurs, la statue du général Belliard près du parc ; elle a été érigée au moyen de souscriptions particulières, et chose bien rare, les souscriptions se sont élevées à un chiffre supérieur au coût du monument. L'excédant resta, pendant nombre d'années, entre les mains de l'honorable bourgmestre de Bruxelles, qui le plaça à intérêt. J'ignore si ce placement était connu, ce qu'il y a de certain, c'est que pas un seul des dix membres des hospices n'en avait connaissance. M. de Brouckere pouvait donner à ce capital telle destination qu'il jugeait convenable, et en faire par conséquent l'objet d'une fondation à un établissement dirigé par la charité privée, soit à Ste-Gertrude, soit aux Ursulines ; cependant c'est entre les mains du conseil général des hospices qu'il a remis 20,882 fr., pour créer des lits à l'hospice de l'infirmerie, en faveur d'anciens militaires. Or cette remise des fonds aux hospices est bien, à mon avis, une preuve de la confiance que M. de Brouckere a dans l'administration publique.
Oh ! je ne contesteras qu'il ne puisse y avoir aussi des abus dans les (page 1484) hospices de Bruxelles ; je soutiens seulement que quand ils rendent des comptes aussi détaillés qu'ils le font, quand il existe des pièces au moyen desquelles la gestion des administrateurs peut constamment être contrôlée, il y aura toujours moins d'abus, et des abus d'une moindre conséquence que dans une administration qui ne fournira rien, que dans une administration où les administrateurs ne voudront pas se soumettre à l'autorité civile ; l'expérience est faite, nous savons à quoi nous en tenir à cet égard.
On a allégué, dans la presse et dans certaine brochure beaucoup de griefs contre le conseil général des hospices de Bruxelles. A entendre ces réclamations, les administrateurs des hospices seraient depuis de longues années des ineptes, des incapables, ils auraient dilapidé le patrimoine des pauvres. On doit réellement être étonné qu'il en reste encore quelque chose. Eh bien je saisirai l'occasion qu'on m'a fournie pour comparer la situation des hospices à une époque reculée, avec ce qu'elle est aujourd'hui. Je prendrai pour point de départ, comme ceux qui se sont occupés de cette administration, l'année 1807. C'est effectivement l'année la plus ancienne pour laquelle il existe un compte officiel, un compte imprimé que je puis mettre à la disposition de mes honorables contradicteurs. Je négligerai les détails pour considérer les choses dans leur ensemble.
D'abord je constate un fait irrécusable, c'est l'état de vétusté dans lequel se trouvaient tous les bâtiments, tous sans distinction. L'hôpital Saint-Jean, placé sous la juridiction de la ville, tombait en ruine. On n'avait fait ni réparations ni aucune reconstruction soit aux autres établissements, soit aux fondations qui, à peu d'exceptions près, avaient été administrées par des administrateurs spéciaux ; on absorbait les revenus sans songer au temps où ces bâtiments ne pourraient plus servir de refuge aux malheureux.
L'hôpital St-Jean, l'hôpital Si-Pierre, l'hospice de Pachéco ont dû être entièrement reconstruits.
L'hospice de l'infirmerie et onze petits hospices de vieilles femmes étaient situés dans l'enclos du béguinage. Le conseil disait dans un rapport fait le 29 mai 1818 : « Tous ces bâtiments se trouvent dans le plus grand état de vétusté, plusieurs même tombent en ruine, et à l'exception de quelques maisons restaurées depuis peu d'années, la totalité devra en être reconstruite sous peu d'années. » Le conseil général a remplacé ces masures par le grand hospice du béguinage.
L'hospice des orphelines a dû être également abandonné et des dépenses fort importantes ont été faites pour approprier un bâtiment à leur usage.
L'hospice dit des réunis a été construit pour remplacer les bâtiments de vingt fondations tombant aussi de vétusté.
Ainsi donc, l'administration que l'on a choisie pour pouvoir dire qu'il y avait de nombreux abus dans la charité légale, cette administration, dis-je, n'a trouvé que des bâtiments en ruine ; 5,294,118 fr. ont été employés pour réparer la négligence des anciens administrateurs, et malgré ces dépenses extraordinaires, voyons quelle est la situation des hospices.
La ville de Bruxelles devait aux hospices et à la bienfaisance réunis, des rentes s'élevant à 168,139 fr. 52 c. par an.
Un décret de 1810 a dispensé les villes qui pourvoyaient aux dépenses de la bienfaisance, sur le produit de l'octroi, du payement des dettes qu'elles leur devaient. Les rentes ne furent plus payées ; si elles l'eussent été régulièrement, les hospices auraient reçu de 1811 à 1855 7,568,978 francs. Ils ont eu en subsides pendant la même période 7,337,735 fr., chiffre extrait des comptes mêmes des hospices. Si, comme je n'en doute pas, le dernier arrangement intervenu avec la ville est approuvé par l'autorité supérieure, les hospices recevront encore 380,000 fr. ; on peut donc dire qu'à peu de chose près, les hospices auront reçu en subsides, l'équivalent des rentes qui leur étaient dues par la ville.
Je laisserai donc les subsides et les rentes dues par la ville en dehors de la comparaison que je vais établir.
En 1807, les revenus ordinaires des hospices et de la bienfaisance réunis s'élevaient à 403,475 fr. 29 c.
Le compte de 1856 n'étant pas encore définitivement arrêté, je cite les chiffres extraits du compte de 1855 ; à cette date, les mêmes revenus s'élevaient à 1,245,842 fr. 50 c.
Il y a par conséquent une majoration de 842,367 fr. 01 c.
Cette augmentation des ressources a-t-elle été obtenue en imitant les administrateurs des bourses d'études de l'université de Louvain, en thésaurisant au lieu d'aider les pauvres, en diminuant les secours accordés aux indigents ? Vous allez en juger.
En 1807, la population de Bruxelles était de 70,000 âmes, l'administration des hospices entretenait dans ses établissements 1,200 personnes. Au 31 décembre 1855, la population était de plus de 150,000 âmes, et les hospices secouraient 2,695 individus.
En 1807 le nombre des indigents secourus à domicile s'élevait à environ 15,000, y comprît les ouvriers qui ne pouvaient plus fournir à leurs besoins dès qu'ils étaient malades.
En 1855 ce nombre était de 28,818, non compris les ouvriers qui ne pouvaient plus fournir à leurs besoins en cas de maladie.
Voilà donc le résultat de la gestion de ces mauvais administrateurs laïques qui se sont succédé pendant cinquante ans. Ils ont plus que triplé le revenu des pauvres, ils accordent aujourd'hui des secours à un nombre d'indigents plus que double de ceux auxquels on venait en aide en 1807. Mais, dira-t-on, ce résultat est peut-être dû aux fondations qui ont été faites aux hospices ! Je répondrai à cette observation en affirmant que le capital de toutes ces fondations ne dépasse pas 365,000 francs.
J'en conclus donc que cette situation prospère est uniquement l'œuvre de la continuation d'une bonne administration. Et on propose des administrateurs spéciaux, à titre successif de fonctions ! Eh bien, comparons encore : nous savons ce que l'administration publique a fait à Bruxelles, voyons quelle a été la gestion des administrateurs spéciaux dans la même ville. Voyons si les pauvres de Bruxelles doivent les remercier d'avoir augmenté leur revenu, on ne pas désirer leur retour pour avoir mangé leur patrimoine.
J'ouvre les Documents parlementaires, j'y vois le rapport du magistrat de Bruxelles de 1776, c'était le bon temps, l'époque à laquelle la presque totalité des établissements de charité avaient des administrateurs spéciaux.
L'hôpital Saint-Pierre était dirigé par des laïques, ceux-ci furent expulsés par des religieuses au commencement du XVIème siècle, l'hôpital transformé en couvent et la supérieure s'en appropria les biens ; ce fut seulement deux siècles et demi après que Joseph II le rendit à sa première destination.
L'hôpital Saint-Gertrude, qu'il ne faut pas confondre avec l'hospice existant, fut également changé en couvent. C'est un vol, dit le magistrat, c'est une injuste détention des biens délaissés et appartenant aux pauvres.
Pierre Van Huffle avait fait une fondation importante, le chapitre de Sainte-Gudule s'en empara, vendit la propriété et n'employa qu'une partie du fonds, en achetant une maison. Les hospices prirent possession de cette fondation lors de la publication en Belgique de la loi du 16 vendémiaire an V.
Il existait quatre petits hôpitaux sous la dénomination de St-Julien, St-Corneil, St-Jacques et St-Laurent ; ils avaient été fondés dans le XIVème siècle pour y loger et nourrir les pèlerins allant ou revenant de quelque lieu saint.
Le magistrat s'exprime à cet égard de la manière suivante :
« Ces voyages de dévotion mal entendue ne sont plus si en vogue que du temps passé.
« Ces saints voyageurs ne sont plus, de nos jours, que des vagabonds ou des gens qui n'ont ni profession, ni métier, ni domicile certain, ni bien pour subsister, qui, sous prétexte d'aller visiter des lieux saints, parcourent les villes de l'Europe où se trouvent de tels hôpitaux, et y enlèvent aux pauvres habitants une grande partie des aumônes.
« Il serait à désirer que dans ce pays, à l'exemple de la France, on mit un obstacle à ces pèlerinages, et il n'y en aurait pas de plus efficace que d'anéantir ces hôpitaux qui ne sont plus que des réceptacles de gueux et de gens sans aveu, qui n'y vont que pour se nourrir aux dépens de la fondation. Pour en être convaincu, il ne faut qu'aller dans ces maisons les jours de récréations qu'on nomme soirées joyeuses. C'est pour lorsqu'on y voit le plus de pèlerins, à cause que dans ce temps, on y fait très bonne chère ; ordinairement on leur donne ces jours deux ou trois portions, et à boire autant qu'ils veulent. Il est étonnant comment ces pèlerins, qui viennent de 300, 400 et 500 lieues long sont au fait de ces jours ou soirées joyeuses ; ils ne manquent pas pour lors de s'y rendre, et il ne s'est jamais vu qu'en ces jours, il n'y avait personne à loger... »
Malgré ces observations si justes, on ne put mettre un terme à ces abus que par la centralisation des établissements entre les mains des hospices.
A propos des comptes, le magistrat dit que les administrateurs de la fondation des Cinq plaies n'en rendent que tous les sept ans, c'est comme s'ils n'en rendaient pas du tout.
Plus loin le magistrat dit que le curé de St-Nicolas ne rend compte à personne de la distribution de 1,015 florins de change provenant de la fondation Van der Sterren.
En parlant de l'administration des fondations dirigées séparément par des administrateurs spéciaux, le magistrat fait entendre des paroles qui méritent de fixer toute l'attention de la Chambre. Je vais les citer textuellement.
« Qu'est-il arrivé, dit-il, de cette multitude de bienfaits ? En général le vrai nécessiteux n'est pas secouru, faute d’être protégé ou connu. Et en donnant gratuitement et indistinctement l'aumône à la porte des couvents et des maisons connues sous le nom de tables du St Esprit à un nombre infini de gens jeunes robustes et en état de travailler, on ne fait journellement que soudoyer l'oisiveté ; par là on rend la condition du fainéant préférable à celle de l'homme qui travaille.
Le magistrat ajoute ensuite ce que l'honorable M. Vervoort a aussi rappelé, peu, ou pour mieux dire, « aucune fondation n'est aujourd'hui exécutée selon l'acte ou la volonté de son fondateur ; elles sont toutes, pour la plus grande partie, gouvernées selon les caprices de leurs administrateurs qui n'en ont pris les soins, comme il paraît, que pour profiter d'une certaine rétribution et pouvoir favoriser leurs créatures, comme il se voit certaines personnes qui en profilent, nonobstant qu'elles n'ont aucune des qualités requises pour pouvoir jouir de ces bienfaits. »
(page 1485) Voilà donc ce bon régime sous lequel on veut replacer les fondations. Les administrateurs qui triplent les revenus des pauvres n'inspirent plus aucune confiance ; mais ceux qui mangent l'avoir des indigents, ceux qui mettent les malades à la porte d'un établissement pour y établir des communautés religieuses, oh ! ceux-là méritent d'être administrateurs inamovibles.
Un système semblable peut être appuyé par la majorité de la Chambre, mais je le répète, il n'aura jamais l'assentiment du pays.
L'honorable M. Malou a donné, à différentes reprises, à mes amis et à moi-même, des conseils par trop empreints d'ironie. Je terminerai en ne permettant de lui en donner un plein de sincérité. C'est de ne plus dorénavant, se laisser emporter par la passion politique, et de se montrer plus juste, plus impartial envers ses adversaires.
M. le ministre des finances (M. Mercier) (pour une motion d’ordre). - Je prierai la Chambre de vouloir bien mettre à son ordre du jour, à la suite des objets qui y sont déjà portés, la loi d'emprunt sur laquelle il a été fait rapport dans la dernière session.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à quatre heures et demie.