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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 25 avril 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Orts, second vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1367) M. Tack procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Tack présente l'analyse des pièces suivantes.

« –Des habitant de Javingue prient la Chambre d'accorder aux sieurs Lonhienne la concession d'un chemin de fer de Liège à Civet par la vallée de l'Ourthe. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Van Sacoghem demande qu'il soit interdit à l'ordonnateur du bureau de bienfaisance d'exercer le commerce soit par lui-même, soit par personne interposée. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance.


M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, en exécution de l'article 24 de la loi du 18 juin 1850, j'ai l'honneur de présenter à la Chambre le quatrième rapport annuel sur la situation des établissements d'aliénés.

- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ce rapport. La Chambre eu ordonne l'impression et lat distribution.

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion générale

M. Anspach. - Messieurs, après les bons discours que vous avez entendus dans une des séances précédentes par mon honorable ami M. Thiéfry, et par l'honorable M. Lelièvre, je ne me hasarderai pas à discuter le présent projet de loi, en suivant leurs traces ; je l'envisagerai sons un autre point de vue, en faisant voir les conséquences fatales qui en seront inévitablement la suite, et surtout en montrant la cause première, la cause unique de ce débat, qui a forcé le gouvernement de vous présenter ce projet de loi ; je veux parler des prétentions excessives du clergé ; c'est le fond de la question. Tout est là.

L'exposé des motifs sur le nouveau projet de réorganisation des établissements de bienfaisance s'accorde avec l'ancien pour la fusion à opérer entre les hospices civils et les bureaux de bienfaisance. Cette mesure n'a soulevé aucune objection sérieuse, tout le monde en a reconnu les avantages, économie meilleure distribution des secours par des administrateurs au courant des deux institutions, qui, quoique réunies, n'en ont pas moins une comptabilité entièrement distincte et séparée, ainsi plus de conflit possible entre les deux administrations. Tout milite donc en faveur de cette réunion qui obtiendra l'approbation générale.

J'ai vu avec plaisir disparaître du nouveau projet cette clause qui, dans la composition des commissions administratives, admettait, prescrivait à titre de droit, la présence d'un ministre du culte ; j'aurais été forcé de combattre cette prétention comme évidemment contraire à la Constitution. Et pourtant, malgré ce retrait, je vois que l'esprit qui l'avait dicté subsiste toujours dans l’ensemble du nouveau projet. Cela ne m'empêche pas de penser que la présence d'un ministre du culte dans un comité de bienfaisance ne soit désirable ; il connaît la position de beaucoup de nécessiteux, il peut donner de précieux renseignements sur les plus intéressants d'entre eux, je veux parler des pauvres honteux ; aussi partout il avait été choisi pour être du comité et si je ne me trompe, partout aussi il en était le président, jusqu'au moment où l'on a eu la malheureuse idée de lui défendre d'en faire partie ; j'en ai été attriste, car personne, plus que moi, n'apprécie l'influence bienfaisante de la religion, surtout lorsqu'il s'agit de porter des secours et des consolations aux malheureux, personne ne désire plus que moi de voir cette influence grandir et s'étendre sur la société tout entière, parce que je regarde le sentiment religieux comme répondant à ce qu'il y a de plus élevé dans le cœur de l'homme et comme étant la base et la source de toutes les vertus.

Je ne m'arrête pas au litre premier du projet de loi, qui dans ses trois chapitres traite de l'institution, de l'organisation et de l'administration des hospices civils, des bureaux de bienfaisance et des comités de charité ; ce n'est pas l'important de la loi, ce sont des prescriptions, des règlements qui peuvent être changés, modifiés selon les circonstances et selon la main qui en fera l'application. Mais c'est sur le titre II qu'il convient de s'arrêter ; les deux chapitres qu'il contient traitent des fondations et de leur administration.

Avant d'entrer dans cette discussion, permettez-moi, messieurs, de vous déclarer hautement que je ne confonds pas la religion avec ses ministres qui sont des hommes soumis à toutes les passions, à toutes les faiblesses de l'humanité. Le clergé se refuse à cette distinction qui l'irrite et il n'entend pas qu'on le sépare de la religion ; qui s’attaque à lui, s'attaque à la religion, avec laquelle il a la prétention de ne faire qu'un ; prétention complètement fausse.

La religion que Notre Seigneur a prêchée est une religion de douceur, de mansuétude, de charité, non de cette charité qui exclut et qui damne les neuf dixièmes du genre humain, mais de charité universelle, qui s'étend sur tous les hommes, comme l'indique sa belle parabole du Samaritain ; il dit : Mon règne n'est pas de ce monde, il prêche le mépris des richesses, l'humilité. Trouvez-vous que le clergé suive bien ces maximes, qu'il soit humble, qu'il soit tolérant, qu'y ne soit pas avide de richesses et surtout de pouvoir ? Ce qui se passe sous nos yeux est une réponse éloquente à ma question. Permettez-moi donc, messieurs, de faire cette distinction qui, pour moi, est radicale. Non, le clergé n'est pas la religion.

Remarquez, messieurs, que je ne parle pas de cette partie du clergé qui remplit ses humbles et bienfaisantes fonctions en pratiquant les vertus que Notre-Seigneur a prêchées, en maintenant l'union et la concorde parmi leur troupeau, en apaisant les querelles, en portant des consolations à ceux qui souffrent. Un curé qui suit ces errements est une providence pour son village. Il s'abstient des luttes politiques dans la crainte de voir diminuer sa bienfaisante influence.

L'obéissance que cette partie du clergé doit à ses supérieurs la force souvent à des démarches qu'elle désapprouve parce qu'elles sont contraires à l'esprit qui doit présider à leur ministère.

Un des reproches qu'on fait à la loi actuelle, c'est qu'elle empêche le libre développement de la liberté de la charité, selon l'expression de l'honorable rapporteur et suivant l'opinion de tous les partisans de la loi qui nous est présentée. Voyons donc comment elle est un obstacle à ce libre développement et si cet obstacle ne provient pas, au contraire, précisément de ceux qui veulent une loi nouvelle.

Un individu qui fait ses dispositions testamentaires et qui, dans sa sollicitude pour les pauvres, leur lègue une somme, ne demande et ne peut désirer qu'une chose, c'est que cette sommé soit bien employée, bien administrée, quelles que soient les mains par lesquelles son intention sera remplie. C'est au moins la pensée de toute personne faisant le bien pour le bien et sans préoccupation d'intérêts humains, Cette personne n'aura donc aucune prévention contre la loi actuelle. Mais, messieurs, les choses ne se passent pas ainsi !

La personne qui veut faire quelque chose pour les pauvres consulte son curé, celui-ci l'encourage dans ses bonnes intentions, mais il lui fait observer qu'il a des devoirs à remplir, qu'étant chrétien, sa charité doit être chrétienne ; que pour qu'elle soit agréable à Dieu, ce sont ses serviteurs seuls qui doivent en être les dispensateurs ; que par là il est sûr que tout sera employé d'une manière édifiante, à la plus grande gloire de Dieu, et que cela lui sera compté dans l'autre monde, ce qui n'arriverait certainement pas si ces dons passaient dans les mains des comités de charité, qui ne pensent, eux, qu'à venir au secours des pauvres sans se préoccuper de ce que cela leur vaudra dans le ciel. Cette personne se laisse persuader, ajoutant foi à ce que lui dit son curé et elle fait ce qu'il veut. Voilà comment cela se passe pour la presque totalité des dons et legs charitables. C'est donc le clergé qui crée lui-même l'obstacle dont il se plaint et dont il vient à grands cris vous demander la réforme. Quelle confiance pouvez-vous accorder à ses plaintes ?

Le titre II, sous une apparence modeste, contient toute une révolution, non seulement dans les établissements de bienfaisance, mais encore dans la position du clergé, dans l'influence qu'il exerce et dans les richesses qui s'accumuleront dans ses mains.

On conçoit que le clergé regrette la position qu'il occupait avant la révolution de 1789. Richesses, honneur, pouvoir, il possédait tout, ne payait pas d'impôts sur ses innombrables propriétés de toute nature (en France le tiers des terres appartenait au clergé et je pense que celui de Belgique n'était pas plus mal partagé). L'influence que donnent de grandes propriétés, des privilèges sans nombre avaient rendu ce corps extrêmement puissant ; aussi a-t-il fallu pour l'abattre une révolution qui a remué le monde jusque dans ses fondements ; révolution que les résistances qu'elle a rencontrées au dedans et au dehors ont fait aller beaucoup trop loin et ont éloignée du but qu'elle voulait primitivement atteindre.

Mais croyez-vous que le clergé se borne à avoir des regrets, qu'il ne cherche pas à relever ce qui a été abattu, à amasser de nouveau les richesses qui lui ont été enlevées ? Le contraire est bien démontré et le titre deux du présent projet de loi le prouve à l'évidence.

Que dit ce titre II, qu'on peut à bon droit appeler dotation du clergé ? Sont permises les fondations d hospices, d'hôpitaux, de fermes-hospices dont les revenus seront acceptés et dirigés par qui ? Par le clergé.

Fondations de lits dans les hospices et hôpitaux à la disposition de qui ? Du clergé.

Création de maisons de refuge, de dispensaires, d'ateliers de charité et d'apprentissage, d'écoles de réforme, d'écoles gratuites pour l'enseignement primaire et professionnel, etc., etc., tout ce qu'il est possible d'imaginer se trouve dans l'article 70, distributions d'aumônes, permanentes ou périodiques pour les écoles gratuites, faculté de recevoir des personnes payantes. Tout cela dirigé, distribué par qui ? Par le clergé.

Vous faites-vous une idée bien claire, bien nette, des résultats de pareilles concessions ? Cela est bien grave, messieurs, et je vous engage (page 1368) à y réfléchir sérieusement, parce que cela peut avoir de bien terribles conséquences.

Mais, me direz-vous, toutes ces fondations sent réglementées, sont soumises à l'inspection de l'administration des hospices, elles doivent être autorisées par certaines autorités. Le clergé ne peut pas en disposer sans contrôle. Tout cela sera illusoire. Ces règlements auront une valeur ou n'en auront aucune, selon l'opinion qui sera au pouvoir ; nous en avons eu la preuve sous de précédents ministères, alors que la loi que l'on veut abroger existait encore.

Mais, ajouterez-vous, vous vous faites des monstres do ce qui n'est que de peu d'importance. A vous entendre, toutes les fortunes des particuliers vont se résoudre en donations en fondations ! Cela n'est pas supposable. Je vous demanderai à mon tour, quelle a été la source des immenses richesses du clergé avant la révolution de 1789 ? Ne sont-ce pas les donations des princes et des particuliers, qui, suivant une croyance immorale et contraire à la justice de Dieu, pensaient se faire pardonner leurs péchés en léguant à l'Eglise une partie de leurs biens, souvent le fruit de leurs rapines. Cette croyance n'existe-t-elle pas encore aujourd'hui chez, beaucoup de personnes ? en avez-vous calculé les résultats possibles ?

Le clergé chez nous est complètement indépendant de toute autorité dans son propre pays et chose étrange, inconcevable, il est aveuglément soumis à un souverain étranger, ennemi de nos institutions ! Nous pouvons le dire aujourd'hui et le dire hautement. Ce corps puissant, respecté, avide de richesses et du pouvoir qu'elles donnent, peut exploiter, pour les atteindre, la faiblesse humaine à l'heure où elle est encore augmentée par l'approche de la mort, et par les terreurs qu'elle inspire ; n'est-il pas dangereux de lui fournir les moyens que le projet de loi veut lui donner ? Soyez certains qu'il s'en servira et qu'il aura l'adresse d'en augmenter indéfiniment la portée.

Ouvrez l'histoire, messieurs, et voyez ce qu'il a su faire d'un fait insignifiant ! Une suprématie qui semble être, au premier abord, que de peu d'importance, purement honorifique ; elle est cependant contestée dès son apparition, combattue et hautement blâmée par les premiers pères de l’Eglise, les saint Cyprien, les saint Jérôme, les saint Augustin, qui réprimandent ceux qui veulent se l'attribuer ; malgré ces autorités que personne n'osera méconnaître, cette suprématie s'établit peu à peu ; favorisée par de puissants intérêts purement humains, elle grandit, s'étend sur toute l'Europe, sur une partie de l'Asie et de l'Afrique, et devient un pouvoir exorbitant qui règne despotiquement sur le monde civilisé ; il délie de leur serment les peuples, qui alors chassent leurs souverains ; il dispose de leurs Etats, il détrône les rois et les force â aller faire amende honorable à deux genoux autour du Vatican.

C'est le pouvoir suprême sur la terre !

Ces temps ne sont plus, messieurs !

Cependant ces prétentions tout exorbitantes, tout impossibles qu'elles nous paraissent, n'en subsistent pas moins, soutenues par la majorité du clergé et surtout par un corps puissant par son influence et ses intrigues, société redoutable, par les jésuites, enfin, puisqu'il faut les appeler par leur nom.

Ce corps est d'autant plus dangereux, qu'il séduit par sa morale facile, par son adresse à s'insinuer auprès des puissants de la terre, et il faut bien le dire, par le talent et l'instruction que possèdent un grand nombre de ses membres. Mais, messieurs, que l'histoire du passé nous éclaire et nous empêche de commettre les mêmes fautes qui ont eu des conséquences aussi monstrueuses ; les mêmes éléments qui ont amené un tel état de choses et qui lui ont permis de subsister pendant des siècle», ces mêmes éléments existent encore aujourd'hui, et sans les lumières qui se sont répandues dans les populations, vous les verriez arriver aux mêmes résultats.

Je voterai contre le projet de loi.

M. T’Kint de Naeyer. - C'est sous l'empire d'un double principe qui laisse à la liberté une large part, et qui comme corollaire assure en même temps une large part à l'autorité, que toutes les opinions ont reconnu qu'il fallait examiner et résoudre le problème de l’enseignement. Là tout le monde de était d'accord sur le point de départ comme sur le but : on ne différait que sur les moyens.

Dans la question de la charité, l'on est d'accord sans doute sur le but qui est le soulagement du malheur, mais on n'est plus d'accord ni sur le point de départ, ni sur les moyens.

Et cependant, dans un pays de liberté comme le nôtre, est-ce ce que la centralisation exclusive, c'est-à-dire le monopole de la charité dans les mains de l’administration se comprendrait, quand on est unanime pour répudier, pour proscrire le monopole universitaire ?

L'instruction et la bienfaisance sont deux intérêts moraux de l'ordre le plus élevé, le premier qui s'adresse à tous ceux que la société aide à s'émanciper et à s’élever par l'intelligence, l'autre qui s'adresse aux déshérités des biens du monde comme des dons de l'instruction ; l'un et l'autre représentant une liberté constitutionnelle que notre pacte fondamental a consacrée avec solennité et entourée d'une sollicitude particulière : savoir la liberté de l'enseignement qui est l'égalité de toutes les opinions devant l'avenir et la liberté de conscience dont la plus noble manifestation est la charité.

Une pareille contradiction dans nos institutions n'est pas possible, Toutes les libertés doivent respirer à l'aise dans l'atmosphère de notre Constitution. Dès lors ce débat sur la charité dont on a fait un aliment regrettable pour les passions politiques les moins éclairées est facile à ramener à une solution à la fois loyale et pratique.

En respectant la liberté comme principe indiscutable, quelle est la part d'action et de contrôle à faire aux pouvoirs publics dans tout ce qui concerne le grand œuvre de la bienfaisance ? En d'autres termes, quelle sera la part que la loi fera à la charité officielle, quelle sera la liberté d'action qu'elle laissera à la charité privée ? Telle est bien la seule question que nous avons à discuter et à résoudre.

Toutefois, avant d'aborder cet examen, qu'il me soit permis de jeter un coup d’œil rétrospectif sur les diverses phases que la position de la question a subies dans le pays.

Et d'abord, la liberté de la charité qu'on a niée, parce qu'elle n'est point textuellement écrite dans une Constitution qui consacre d'une façon si éclatante la liberté de conscience sous toutes ses formes, la liberté de la charité, dis-je, a été niée.

- Un membre. - Personne n'a nié cela.

M. T’Kint de Naeyer. - C'est le débat. Je demanderai où sont les lois qui proscrivent, qui enchaînent cette liberté... (Nouvelle interruption.) Permettez-moi d'achever...

M. le président. - La parole vous est continuée.

M. T'Kint de Naeyer. - La loi communale est la seule de nos lois organiques qui se soit occupée de l'organisation de la bienfaisance. Malheureusement elle l'a fait d'une façon vague, indéfinie, plus au point de vue spécial des établissements communaux dans leurs rapports avec le pouvoir exécutif de la commune, qu'au point de vue, bien autrement élevé, de la liberté des convictions religieuses. Aussi cette disposition de la loi organisatrice de notre régime communal devait-elle prêter le flanc à des controverses que la subtilité des juristes est ingénieuse à élever partout.

D'après les uns, l'article 84 de la loi communale dispose pour l'avenir comme pour le passé : en même temps qu'il maintient les fondations régies par des administrateurs spéciaux, déjà établies, il autorise pour l'avenir les libéralités subordonnées au même mode d'administration spéciale.

D'après les autres, la disposition invoquée a conservé exceptionnellement certaines fondations établies avec des administrateurs spéciaux, en vertu des lois qui les autorisaient et les a interdits pour l'avenir.

D'interminables discussions sur ce que l'on avait voulu en 1834 et en 1836, des difficultés pratiques très grandes démontraient clairement qu'il était nécessaire de faire une loi spéciale qui pût servir de règle au gouvernement et de guide aux fondateurs.

Des 1849, le gouvernement l'avait reconnu, et il avait nommé une commission chargée de réviser la législation sur la bienfaisance ; mais la présentation du projet de loi se fit attendre.

Le 13 mars 1851, un de mes collègues, l'honorable M. Van Groolven fit une motion qui résumait parfaitement les considérations nombreuses et diverses qui s'opposaient à la prolongation indéfinie du statu quo.

« Il ne peut y avoir pour nous, disait-il, un intérêt plus élevé et plus sacré que celui de l'infortune ; cet intérêt qui a les sympathies les plus vives et les plus unanimes de la Chambre, est engagé tout entier dans le projet de loi que le gouvernement nous fait espérer depuis plusieurs années, mais dont la présentation subit des retards aussi inexplicables que fâcheux.

« Je ne suis pas de ceux qui condamnent en cette matière les principes du gouvernement ; ces principes, je les crois nécessaires quoique susceptibles de se plier aux besoins, aux exigences de nos mœurs et à l'encouragement actif de la bienfaisance.

« Mais ce que je ne crains pas de qualifier de déplorable, de nuisible au développement de la bienfaisance, c'est la prolongation indéfinie de la situation actuelle. La législation existante n'a cessé d'être depuis bien des années l'objet des controverses et des récriminations les plus violentes.

« Le gouvernement a senti le besoin d'y apporter des modifications et il a pris hi-même l'initiative à cet égard. Il a promis une loi qui fût plus en rapport avec les besoins nombreux et croissants des classes nécessiteuses. »

L'honorable M. Van Grootven, invoquant ensuite le témoignage des députés des Flandres, ajoutait qu'il pouvait citer plus d'un fait qui confirmait ses observations et que, pour sa part, il connaissait dans l'arrondissement de Gand, des libéralités nombreuses et importantes que l'incertitude de la législation tenait en suspens et condamnait à l'état de projets. En effet, messieurs, une seule de ces libéralités destinée à être répartie entre trois communes (voisines de celle que j'habile) pour la fondation d'hôpitaux et d'hospices, s'élevait à 450,000 fr.

Dès le début de cette discussion, un honorable préopinant a cherché à établir que ce n'était pas en multipliant les institutions de la charité privée que l'on parviendrait à diminuer le nombre des pauvres et à dégrever les commune flamandes. Il a attribué l'amélioration apportée à la situation depuis 1847, presque uniquement à l'intervention du gouvernement.

Personne plus que moi n'a applaudi aux mesures que l'honorable M. Rogier a prises, dans l'intérêt de nos provinces si éprouvées ; ces mesures ont eu mon appui le plus éuergique, mais, messieurs, il faut (page 1369) de la justice et de l'impartialité pour tous. Rendons hommage a la charité privée. Elle s'est montrée aussi intelligence qu'éclairée, en substituant autant que possible, à l'ancien mode d'assistance l'aumône du travail, et l'on peut dire que, dans cette voie, elle a fait des merveilles.

En présence du paupérisme qui, malgré tous ces efforts réunis, existe encore dans des proportions effrayantes, l'intérêt actuel d'an grand nombre d'établissements charitables, c'est de posséder quelque chose de permanent et de durable.

Les hôpitaux, les fermes-hospices que tout le monde admire peuvent-ils vivre au jour le jour ? Non, car les dépenses ne sont pas variables comme les recettes et, dans les temps de crise, elles s'accroîtront en raison inverse, de celle-ci. Il faut donc obtenir de la volonté, de la libéralité, des donateurs, ce qu'il serait impossible de demander à l'impôt.

La charité privée, avec ses nuances si variées, si délicates, ne s'accommode pas toujours du mécanisme froid et impassible de la charité officielle.

Ses prétentions étaient-elles exagérées ?

Elle demandait en premier lieu, qu'à côté de la bienfaisance exercée par l'Etat, on admît dans certaines circonstances, avec certaines garanties, des fondations spéciales par leur destination, comme par leur mode d'administration.

La charité privée demandait encore pour le donateur la faculté d'exercer son action sur le choix du mandataire chargé de la distribution de ses aumônes, en laissant à la tutelle administrative un contrôle nécessaire à la sécurité même de ses dispositions dans l'avenir.

C'est ce qui avait toujours eu lieu jusqu'en 1847, sous tous les ministères sans distinction d'opinions.

Les documents qui ont été distribués à la Chambre prouvent même que tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1804 ont autorisé sous des formes diverses des fondations ayant des administrateurs ou des distributeurs spéciaux.

Sous l'empire, pour ne citer qu'un fait, le règlement de l’hospice d’Harscamp approuvé par décret du 28 septembre 1811 offre l'exemple d'une flexibilité bien grande du système de l'an V.

Indépendamment de considérations basées sur la liberté de conscience, on en invoquait d'autres puisées dans l'ordre matériel pour réclamer contre la rigueur du système de l'honorable M. de Haussy.

Il arrive souvent que les donateurs surtout dans les communes pauvres, craignent que leurs intentions ne soient méconnues et l'objet de leurs libéralités dénaturé dans l'avenir, à cause du mauvais état des finances de ces communes et des bureaux de bienfaisance. J'aurai bientôt occasion de retenir sur ce point.

Une commission d'hospices est une émanation du conseil communal. Celui-ci fixe annuellement la cotisation personnelle et cherche, naturellement à rendre cette charge le moins onéreuse possible. C’est une crise annuelle dans chaque commune que l'époque du vote du budget. Une augmentation d'une centaine de francs répartie sur un petit nombre de familles est une mesure grave. Or le conseil communal doit principalement s'imposer lui-même était composé de notables ; il impose aussi les membres de la commission d'hospices et du bureau de bienfaisance qui sont les habitants aisés de la commune.

Les bureaux de bienfaisance, je le démontrerai, n'ont presque pas de ressources en Flandre, ils sont généralement subsidiés par les communes, c'est-à-dire par la cotisation personnelle. Il se peut donc que le conseil communal et la commission des hospices cherchent à utiliser les legs et les fondations de manière à diminuer leurs propres charges, ou les détournent même de leur destination.

Je suppose qu'un établissement soit institué pour recevoir douze vieillards et douze orphelins. L'administration aura intérêt à multiplier le nombre des vieillards en en réduisant le nombre des orphelins. Pourquoi ? Parce que l'entretien des vieillards est plus onéreux que celui des orphelins ; qu'en surchargeant l'hospice, on réduit la charge de la commune ; qu'in imposant à l'hospice les vieillards qui coûtent le plus, on laisse a la commune les orphelins qui coûtent moins ; cela peut être un bon calcul, mais ce n'est point la fidèle exécution de la volonté du testateur.

Je ne multiplierai pas les hypothèses. Si la possibilité des fraudes était niée, je rappellerais ce qui s'est passé pour l'enseignement primaire.

On a vu des instituteurs communaux forcés de signer des mandats qu'ils n'avaient pas reçus ; un d'eux suspendu par le conseil communal parce qu'il refuse de se soumettre à cette exaction.

Dans une commune, on est allé jusqu'à retirer à l'instituteur, pendant dix ans, la part contributive de la commune pour pensionner un ex-garde champêtre. L'instituteur n'avait pas osé se plaindre. Ailleurs on avait dit à l’instituteur : Voilà le payement, mais veuillez en abandonnez une partie au profit du bureau de bienfaisance. Contrainte morale généralement suivie d'effet !

Ces fraudes ont persisté malgré les instructions du gouvernement, qui se trouvait dans les rapports triennaux sur l'enseignement primaire.

Dans les ressources de l'instruction primaire figurait au commencement une subvention du bureau de bienfaisance au profit des enfants pauvres. Il a fallu abandonner cette ressource dans les communes qui subsidient les bureaux de bienfaisance, parce que ce fonds n'était que nominal pour les instituteurs.

La construction des bâtiments d'école a été généralement, arrêtée dans les petites communes, parce que la part communale fixée au chiffre le plus minime, était prélevée sur la cotisation personnelle. Pour réussir il a fallu, dans quelques cas, adopter un autre mode, c'est-à-dire laisser imposer des centimes additionnels sur la contribution foncière et personnelle, comme pour la voirie vicinale. Il n'en peut être autrement. Notre régime communal est le gouvernement à bon marché de la commune ; c'est l'impôt voté par ceux qui le payent, l'intérêt des votants est de payer le moins possible, pour la bienfaisance comme pour renseignement, comme pour tout. Les bienfaiteurs des pauvres, eux veulent nécessairement que les pauvres aient le plus possible ; les communes chercheront toujours à les réduire au moins possible.

En présence des obstacles de toute nature qu'elle rencontrait, la charité privée a fait, sans le concours de la loi, ce qu'elle voudrait pouvoir faire avec l'appui le contrôle de la loi. On assure que souvent elle a eu recours aux fidéicommis tacites.

Ne vaut-il pas mieux sanctionner le droit, qu'en le prescrivant ouvrir la porte à des combinaisons obliques qui faussent la législation en vigueur et constatent que la conscience se révolte contre elle.

En effet, supposez les sommes destinées aux pauvres, léguées purement et simplement à des personnes interposées sans mentionner aucune destination, comment les disputera-t-on aux légataires ? Où est la loi qui nous armera contre eux ? Je ne vous parle pas de la loi existante, mais de celle que vous feriez sens introduire un régime inquisitorial, c'est-à-dire arbitraire.

La charité privée a ses préjugés, comme elle a ses admirables vertus, ses inépuisables dévouements. Elle est variée dans ses manifestations, comme tout ce qui tient à la conscience et au libre-arbitre. Son but diffère quelquefois, il doit différer souvent de celui de l’État ; mais qu’importe, puisqu’en comprimant la liberté, on affaiblit son action.

« Laissez, dit m. Thiers, la religion avec ses touchantes prédications faire sortir de la bonté, de l'amour de Dieu, du repentir même, des dons abondants pour les pauvres, ne gênez aucun bien, n'en arrêtez aucun. C'est là qu'il ne peut y avoir un double emploi ni superflu. »

Que la charité publique et la charité privée rivalisent, soit, mais, messieurs, qu'elles ne sa jalousent point, qu'elles ne s'excluent pas.

Avec le sentiment profond de nos devoirs envers les pauvres, il me semble que les questions de parti s'effacent et que la question d'humanité doit nous réunir bientôt dans une commune pensée de transaction.

Nous arriverons ainsi à consacrer non le système qui s'adapte le plus étroitement, le plus savamment à telle ou telle théorie, mais celui que notre conscience d’homme nous indiquera comme la plus propre à ouvrir larges et libres les sources de la bienfaisance et à en faire affluer plus abondamment les bienfaits sur 700,000 de nos malheureux concitoyens qui souffrent de la misère et de la faim. Je dis libres, parce que, selon moi, je ne saurais assez le répéter, la liberté n'exclut ni un contrôle sérieux ni des garanties efficaces.

Les lois de l'an V, si chères aux partisans de la centralisation absolue, sont-elles le dernier mot de l'organisation de la charité ? Elles n'ont jamais suffi aux besoins du pays, et d'autres institutions ont dû constamment suppléer à leur insuffisance. Le consulat et l'empire ont constamment assoupli cette législation.

Le gouvernement des Pays-Bas avait pris la résolution de la remplacer par un vaste système de canonisation agricole. Le gouvernement du Roi Léopold, d'après certaines doctrines, l'aurait toujours mal appliquée jusqu'en 1848.

Je laisse ouvert aux jurisconsultes le champ de la controverse sur ce dernier point, mais je respecte la décision du corps judiciaire le plus élevé et le plus éclairé du pays, à qui la Constitution a remis la sanction suprême de toutes nos libertés, en mettant entre ses mains l’application du grand principe de la responsabilité ministérielle.

L’instabilité de la législation se comprend, parce qu'en présence des progrès constants de la misère, aucun gouvernement n'a osé proclamer des principes absolus.

On redoute la liberté parce qu'il est possible d'en faire un mauvais usage, mais on ne voudrait ni du droit au travail que M. Proudhon demandait en échange du droit de propriété, ni du droit à l'assistance.

On se borne de demander que les administrations publiques soient les uniques dispensateurs des secours. Pour que ce système réussisse, il faut que la charité privée l'adopte, ou bien il sera condamné à périr par son impuissance. Si les ressources de la charité officielle ne s'augmentent pas au moyen de dons volontaires, que reste-t-il pour combler le déficit, sinon l'impôt. Les populations pauvres en réclameraient l'application au nom de leurs souffrances et de leurs misères.

La nécessité d'une transaction était donc incontestable.

L'honorable M. Faider a présenté, dans la séance du 17 janvier 1854, un projet de loi sur les dons et legs charitables. Le gouvernement s'interdisait la faculté de consolider par arrêté royal les œuvres de charité autres que celles des hospices et des bureaux de bienfaisance érigés par la commune.

L'article 2 de la loi proscrivait les administrations particulières, mais (page 1370) les articles 12, 13, 17 et 18 donneraient au fondateur le droit de désigner des personnes qui concourraient, mais toujours en minorité, à l'exécution de sa volonté.

« C'est tout ce que la charité, la liberté peuvent exiger, c'est tout ce que la raison peut concéder », disait le rapport de la section centrale. Si bien que la section centrale rejetait même la seule concession offerte à la charité privée au point de vue des idées religieuses : l'introduction de par la loi du curé de la paroisse au sein du bureau de bienfaisance.

Cette disposition, à la vérité, semblait dans la pratique ne devoir satisfaire personne ; car, dans certains cas, la présence permanente, forcée du ministre d'un culte dans une administration hostile, rendait sa position insoutenable ; dans d'autres cas, sa prépondérance sur tous les membres du bureau de bienfaisance élus temporairement pouvait ôter à la charité légale son caractère de neutralité religieuse.

Le système de la centralisation était donc sanctionné, contrairement aux traditions, contrairement au vœu d'un grand nombre de bienfaiteurs, contrairement à ce qui est admis sans opposition dans la plupart des pays libres. On perdait de vue les dangers pour l'ordre moral, comme pour l'ordre matériel, d'une extension plus grande donnée à l'intervention de l'autorité publique dans le soulagement de la misère. Et cependant les faits constatés partout ont démontré que la bienfaisance officielle crée une attente qu'elle ne peut satisfaire ; qu'en absorbant les œuvres de la charité privée, elle dénature leur caractère et transforme de plus en plus en obligation légale ce qui ne devrait jamais être qu'un devoir de conscience.

De là l'aumône exigée comme un droit ; de là, comme dernières conséquence, la taxe des pauvres et la mendicité héréditaire.

Les faits s'accordent ici avec les principes de la science économique.

Ces principes avaient toujours prévalu en Hollande, ils y avaient même été poussés jusqu'à l'exagération ; aussi ne songeait-on pas à s'en écarter lorsqu'il fallut, conformément aux prescriptions de la Constitution de 1848, régler l'administration des pauvres par loi.

Dans le premier projet de loi de M. Thorbeke, il n'était pas question de donner la prépondérance à la charité officielle, et cependant les sections le repoussèrent « parce que, disait le rapport, la majorité veut une loi de transition, ayant pour but d'arriver avec prudence à l'anéantissement du système de la charité légale qui n'existe que trop. Les subsides des communes diminueront, cesseront même lorsque le soin des pauvres sera complètement ramené vers la charité religieuse (on ne craint en Hollande ni le mot, ni la chose). Il faut qu'il y ait à ce système le moins d'exceptions possible. »

Le cabinet qui succéda à l'administration de M. Thorbeke avait dans une certaine mesure tenu compte de ces observations. Il déclarait dans l'exposé des motifs de la loi du 28 juin 1854, qu'il ne croyait pouvoir mieux s'acquitter de ses obligations qu'en favorisant le développement de la charité religieuse, afin que le nombre des pauvres qui chercheraient des secours en dehors de leur église, devint aussi restreint que possible. L'assistance des pauvres devait dans sa pensée rester une obligation morale et non une obligation civile. Le secours des administrations officielles ne pouvait être accordé que lorsque le pauvre n'obtient d'assistance d'aucun autre côté, et ne serait pas en état de soigner pour lui-même.

La commission des rapporteurs félicitait le gouvernement d'avoir écarté de la loi les dispositions qui auraient pu entraver la charité libre.

« Quelle que soit l'opinion que l'on ait sur le plus ou moins d'efficacité de la charité privée et religieuse, disait le mémoire, sur la manière dont elle remplit sa tâche, il ne peut en résulter que l'Etat doive prendre le fardeau sur lui.

« L'Etat doit se borner à surveiller et n'a donc que des devoirs de police à remplir. »

« L'assistance publique tue la charité volontaire et conduite à la taxe des pauvres. »

Dans la discussion qui eut lieu aux Etats généreux quelques membres allèrent jusqu'à réclamer la suppression de toutes les administrations publiques de bienfaisance.

« Nous sommes bien avancés sur le chemin de l'assistance légale, disait un orateur ; avec le domicile de secours, on a tacitement introduit la taxe des pauvres. La charité libre disparaît lorsque chacun se trouve obligé de contribuer à l'entretien des pauvres. Personne ne se sent disposé à prendre sur lui la charge d'autres contribuables, L'Etat se procure aisément de l'argent, il taxe et, si cela ne suffit pas, il taxe encore. »

En résumé, messieurs, si les administrations officielles ont été maintenues dans les Pays-Bas, c'est seulement comme complément des institutions privées et religieuses.

L'article 20 de la loi du 28 juin 1854 s'exprime ainsi :

« L'assistance des pauvres, sauf les dispositions ci-après de ce chapitre, est abandonnée aux établissements de charité religieuse et privée. »

Ces dispositions sont celles qui établissent les cas où la charité publique doit intervenir. L'article 21 porte :

« Aucune administration ne peut accorder de secours à un pauvre qu'en cas de nécessité absolue et après s'être assurée, autant que cela est possible, que le pauvre ne peut être secouru par un établissement de bienfaisance religieux ou privé. »

En Angleterre on s'est aussi occupé, il y a peu d'années, de la législation charitable ; le bill du 20 août 1853 établit une surveillance, un contrôle sur les institutions de la charité privée, mais il ne renferme pas d'innovations quant au droit même de fonder. On peut disposer, soit par acte entre-vifs, soit par testament, pour toute fondation charitable de sommes mobilières. Quant aux immeubles, on ne peut, comme par le passé, en disposer que par actes entre vifs et sous certaines conditions. On est libre, toutefois, de désigner un administrateur à son gré.

Dans son ensemble, le projet de loi que nous discutons est plus restrictif, plus sévère que la loi anglaise.

Je ne multiplierai pas les citations, mais je ne crains pas d'affirmer qu'il y a bien peu de pays où la centralisation absolue de la bienfaisance ait prévalu. La tendance générale est de laisser à la charité soit individuelle, soit collective, toute la liberté compatible avec l'ordre social.

En Belgique, je le sais, il y a peu de personnes qui contestent la liberté de la charité individuelle. La libre manifestation de la charité est admise, quand elle se borne au présent ; mais on croit avoir le droit de la torturer dans le moule inflexible de la loi quand elle s'étend à l'avenir. Je ne comprends pas cette distinction entre la charité qui se fait au jour le jour et la charité, plus élevée peut-être, qui se prolonge au-delà du tombeau.

Beaucoup de donations et de legs continueront à être administrés exclusivement par des établissements publics. Cette forme sera sans doute la plus usitée, c'est celle que je conseillerais en général ; mais il y aura toujours des bienfaiteurs qui attacheront à leurs fondations la condition d'en retenir l'administration soit pour leurs familles, soit pour des fonctionnaires civils ou ecclésiastiques. Cela est dans les mœurs, dans les habitudes du pays. On ne parviendra jamais à exclure de la charité l'élément religieux.

Exiger que toutes les fondations soient remises à l'autorité publique, c'est éloigner un grand nombre de bienfaiteurs qui à tort ou à raison n'y ont pas confiance ou qui tiennent avant tout à donner à leur œuvre une empreinte religieuse.

Quel moyen a-t-on imaginé pour contraindre de pareilles fondations à accepter une législation restrictive ? Les voies détournées restent ouvertes et là il n'y a plus ni contrôle, ni garanties.

On me répondra à satiété que ce sont les abus, on en a assez souvent retracé l'histoire dans les actes et les écrits émanés spontanément de l'autorité religieuse elle-même, qui ont rendu la centralisation de la charité une nécessité absolue. Ce n'est pas seulement en matière de charité, mais en toutes choses qu'il y a eu beaucoup d'abus dans les derniers siècles. On a trouvé que la liberté, la concurrence, la publicité sous toutes ses formes étaient les meilleurs moyens d'y remédier. N'y aurait-il d'exception que pour la charité ?

S'agit-il de ressusciter le passé, d'accorder à chaque citoyen le droit de créer des personnes civiles ? Je ne serais pas le dernier à combattre de pareilles idées. Si des abus que nous ne soupçonnons même pas aujourd'hui se produisaient, ce n'est pas sous notre régime constitutionnel qu'ils parviendraient à se perpétuer, et il y aura toujours des législateurs pour porter remède au mal, en consacrant de nouvelles mesures, de nouvelles garanties pour assurer efficacement l'exécution de la volonté toute charitable des fondateurs. J'ai plus de foi dans nos institutions. Les inconvénients et les maux que l'on redoute sont un motif non de supprimer la liberté, mais d'en régler et d'en surveiller l'exercice.

J'approuve fortement pour ma part, une certaine centralisation, dans l'organisation de la charité administrative, et ce serait une erreur de croire que les partisans de la charité privée se montrent aussi exclusifs que leurs adversaires.

Les commissions d'hospices sont utiles, elles sont indispensables dans les grands centres de population. Personne plus que moi n'apprécie les services qu'elles rendent. Mais la charité officielle ne saurait avoir la prétention de tout faire et de s'attribuer un monopole qui serait, en définitive, un fardeau au-dessus de ses forces.

La statistique publiée par le département de la justice nous a parfaitement édifiés sur l'insuffisance des ressources de la bienfaisance publique. D'après les budgets de 1853, on constate que les établissements de secours hospitaliers et à domicile sont loin de posséder les moyens de satisfaire aux nécessités de ces services. Le déficit s'élève à plus de 3 millions, 22 p. c. de la dépense totale. Cette insuffisance est comblée par les subsides des communes, des provinces et de l'Etat, ainsi que par l'intervention privée au moyen de libéralités charitables.

Voici dans quelle proportion cette assistance figurait dans les prévisions pour l'année 1853 ;

(page 1371) Hospices civils :

Subsides des communes : 543,267 fr. 74 c. ; subsides des provinces : 230,959 fr. 26 c. ; Subsides de l’État : 151,000 fr. ; dons et legs : 123,685 fr. 80 c. Total : 1,051,912 fr. 80 c.

Bureaux de bienfaisance :

Subsides des communes : 1,548,133 fr. 02 c. ; subsides des provinces : 5,433 fr. 80 c.. ; Subsides de l’État : 6,467 fr. 50 c. ; dons et legs : 167,257 fr. 80 c.. Total : 1,727,314 fr. 12 c.

Ensemble :

Subsides des communes : 2,094,422 fr.76 c. ; subsides des provinces : 236,393 fr. 06 c.. ; Subsides de l’État : 157,467 fr. 50 c. ; dons et legs : 290,943 fr. 60 c.. Total : 2,779,220 fr. 82 c.

M. le ministre de la justice a décomposé ce tableau, il en résulte que toutes les communes du pays payent en subsides aux hospices civils, une somme de 2,000,000 de fr., et que les Flandres seules payent 1,329,000 fr.

En présence de ces chiffres, on comprend de quel poids les charges de la bienfaisance doivent peser sur les finances des communes qui supportent en outre une grande partie des frais d'entretien des mendiants reclus dans les dépôts de mendicité.

La Flandre orientale mérite à ce point de vue une étude spéciale.

À Gand le nombre des ménages inscrits en 1855 aux rôles des secours ordinaires a été de 4,956, soit 20,266 individus, indépendamment de 1,660 ménages soit 6,640 individus secourus extraordinairement. La population est de 115,958 âmes.

Le bureau de bienfaisance a reçu de la ville en 1855 un subside de 107,695 fr. 43 c.

L'administration des hospices dont le revenu est de 412,937 fr. 82 c. a eu un subside de 124,000 fr. La charge qui incombe aux contribuables, la taxe des pauvres, en un mot, est donc de 231,695 fr. Soit environ le quart du produit de l'octroi.

Il convient d'y ajouter une somme de fr. 36,747-56 pour frais d'entretien et de transport des mendiants.

L'administration de la bienfaisance publique à Gand, citée avec raison comme l'une des plus parfaites qui existent dans le royaume, n'a pas craint de confier le service tout entier des hospices et des hôpitaux à des congrégations hospitalières. Les membres de cette administration ont sans doute pensé, comme leurs prédécesseurs ; d'une part qu'il n'y a pas de système plus économique et de l'autre que l'on peut compter sur le dévouement de personnes qui n'ont pas besoin d'être stimulées par de gros appointements.

L'hôpital de la Biloque qui date de 1220 a été administré par des religieuses depuis sa fondation.

Le bureau de bienfaisance a eu recours à des institutions privées pour l'entretien d'une partie des orphelins et des incurables.

Le nombre des orphelins que le bureau de bienfaisance de Gand a à sa charge est de 319 ; on en a placé 78 à l'hospice de Mlle A. Van Damme à St-Laurent.

210 indigents reconnus incurables ont été placés aux frais du bureau de bienfaisance dans les hôpitaux sous la direction de M. le chanoine de Decker et 11 infirmes à l'hospice dirigé par M. le curé de Waerchoot.

Le prix de la journée d'entretien des incurables était de 66 c. ; à cause du renchérissement des vivres, il est maintenant de 85 c.

Le prix de la journée d'entretien à l'hospice de Waerschoot est resté de 60 c. par jour.

Les sourds et muets sont instruits aux frais du bureau de bienfaisance dans des institutions privées et religieuses.

Ce qui se passe à Gand démontre que l'alliance de la charité officielle et de la charité privée n'est pas une utopie.

Dans les communes rurales, les faits sont plus frappants encore. La population y a augmenté de 40 p. c. de 1807 à 1850.

L'intervention des communes dans la bienfaisance a doublé.

Il y a un indigent sur 5.75 habitants. Dans d'autres provinces, dans celle de Liège, on ne trouve qu'un indigent sur 8.58 habitants ; dans la province de Namur 1 sur 11.94 habitants, et dans le Luxembourg 1 sur 65.36 habitants. La moyenne du royaume est de 1 sur 6.46 habitants.

Ces chiffres sont extraits d'un tableau statistique que l'honorable M. Rogier avait fait faire en 1849 à l'appui d'un projet d'organisation du service médical rural.

J'ai déjà eu occasion, dans la séance du 9 mai 1854, d'appeler l'attention du gouvernement et des Chambres sur la situation financière des communes flamandes. La cotisation personnelle, unique ressource de ces communes, atteignait déjà en 1847, d'après des chiffres officiels, 1 fr. 47 c. par tête de la population, tandis qu'à la même époque, la population des campagnes payait dans la province de Namur 7 centimes et dans les sept autres provinces prises ensemble 60 centimes.

La différence est énorme, mais elle est hors de toute proportion, si l’on prend pour base le nombre des contribuables.

Sur une population rurale de 571,000 âmes, il n'y a que 45,333 individus cotisés dont 26,760 seulement sont électeurs communaux. Les cotisations portées partout à leur maximum s'élevaient en 1850 à 765,360 fr.

Dans la Flandre occidentale, le montant des rôles communaux est encore plus frappant ; il était en 1849 de fr. 1,143,625 soit fr. 2,38 par tête d'habitant.

La progression de l'impôt a été constante, il a doublé depuis 1816, souvent il dépasse le montant de la contribution personnelle et des patentes réunies.

M. le baron de Vrière, dans un discours prononcé à l'ouverture de la session du conseil provincial le 5 juillet 1853, après avoir fait ressortir l'inégalité des charges locales dans les différentes provinces, conclut en prouvant que les habitants des communes rurales de la Flandre occidentale supportent à eux seuls des charges locales (rôles d'abonnement) qui atteignent à peu près la moitié du chiffre des mêmes charges réunies des huit autres provinces.

En effet, dans le Hainaut, dans la province de Namur, les communes ont conservé leurs terres, leurs rentes. Dans le Luxembourg ces propriétés ont une valeur considérable.

La valeur des affouages, jointe à celle des droits usagers, a été évaluée en 1856 à la somme de fr. 1,536,080 ; les bois communaux y ont une étendue de 74,000 hectares.

Avec de pareilles dotations, il est naturel que l'on se préoccupe moins de l'avenir. Le paupérisme n'existe encore qu'en germe, on espère le dompter, grâce à l'intervention incessante de l'autorité dans la distribution des secours, en d'autres termes, grâce à l'organisation de l'assistance légale.

Lorsque Elisabeth, en 1701, fonda la charité légale en Angleterre, elle ne prévoyait sans doute pas qu'elle décrétait une taxe qui devrait un jour s'élever à deux cents millions par an.

Il n'est pas en notre pouvoir, messieurs, d'empêcher que la misère ne se développe sous la double influence de l'agglomération de la population et du morcellement des terres.

Nous n'avons pas, il est vrai, inscrit dans nos lois le droit à l'assistance et la taxe des pauvres ; mais en fait, ce droit est bien près d'être reconnu. Chez nous, comme dans les Pays-Bas, les lois sur le domicile de secours et sur la répression de la mendicité, ont puissamment contribué à amener ce résultat. Dans un grand nombre de cas on donne forcément et l'on reçoit comme un droit.

Les communes sont tenues conformément à la loi du 30 mars 1836 (article 131) de porter à leurs budgets : les frais d'entretien et de traitement des aliénés indigents et ceux des indigents retenus dans les dépôts de mendicité ou admis dans les hôpitaux ; les frais d'instruction et d'entretien des aveugles et des sourds et muets indigents ; les frais d'entretien des enfants trouvés dans la proportion établie par la loi.

Enfin la loi du 25 septembre 1842 mit à charge des communes l'instruction primaire de tous les enfants pauvres.

Si toutes les dispositions que je viens de rappeler étaient strictement exécutées, la plupart des communes ne succomberaient-elles pas à la longue sous le poids de leurs charges ?

La législature a évidemment compté sur le concours de la charité privée toujours prête en Belgique à donner tout ce qu'elle peut, quand on ne la gêne pas, quand on ne la blesse pas.

Voudriez-vous aujourd'hui, à force de méfiance, décourager l'homme charitable agissant librement avec ses propres deniers pour lui substituer partout les délégués des contribuables, agissant le plus souvent avec les deniers des contribuables, pauvres eux-mêmes, car c'est la contribution des pauvres qui forme la plus grosse part des impôts.

S'agit-il d'en revenir à une législation consacrant des principes renouvelés du moyen âge ? Mais le système du gouvernement est plus restrictif, plus sévère que celui qui a fonctionné pendant près d'un demi-siècle jusqu'en 1847.

Si la cour de cassation maintient la jurisprudence qu'elle vient d'adopter, vous aurez les administrateurs spéciaux, mais sans les garanties, sans le contrôle du projet de loi.

Demandez aux membres des bureaux de bienfaisance de nos communes rurales l'histoire des difficultés, des mécomptes qu'ils rencontrent, à chaque instant.

Demandez-leur s'ils désirent que l'on augmente leur responsabilité, s'ils réclament la centralisation du l'assistance dans leurs mains.

De combien de refus de ces fonctions que l'on voudrait surcharger d'attributions nouvelles, n'avons-nous pas été témoins, notamment pendant la crise de 1848 ?

Faudra-t-il employer des mesures coercitives plus énergiques contre ceux qui refuseront d'accepter la charge de maîtres des pauvres, ou bien songerait-on à en faire des fonctionnaires salariés ?

Ou ne s'oppose pas à la charité individuelle, on le proclame bien haut, chacun est libre de dépenser sa fortune en aumônes ; mais pourquoi s'opposer à ce que le bien qui se fait aujourd’hui s'étende aux générations futures ?

Pourquoi enlever à la charité privée ce qui encourage l'homme dans toutes ses entreprises, l'avenir !

Ceux qui font le bien désirent naturellement que leurs œuvres se perpétuent, ils demandent un appui, une sauvegarde à la loi.

S'ils rencontrent des entraves, ils fonderont à côté de la loi.

Le gouvernement a publié le tableau des fondations avec administrateurs spéciaux qui ont été créées de 1804 à 1848.

Ces institutions ont-elles engendré tous les abus que l'on redoute aujourd'hui ? Mais si ces abus avaient été aussi monstrueux qu'on nous les représente pour l’avenir, on n'aurait certes pas attendu jusqu'en 1848 pour en faire un grief politique.

Et dans les Flandres pendant la crise, quel inconvénient y a-t-il eu à ce que la chanté privée, dont les membres du clergé étaient partout les intermédiaires les plus actifs, intervint largement dans les mesures qui ont été prises en faveur des populations ?

La charge était devenue tellement lourde, que dans plusieurs communes, il fallait pourvoir d'office aux fonctions des maîtres des pauvres.

(page 1372) La charité privée a érigé des établissements qui ont commencé à arrêter le paupérisme. Est-ce que ces établissements ne se sont pas multipliés aux applaudissements de tous, souvent même avec l'aide du gouvernement, à cause des progrès remarquables que ces établissements ont fait faire à l'organisation de la charité ?

Si la charité officielle n'a pas suffi aux besoins du pays, et que d'autres institutions, la statistique en a été publiée, ont dû suppléera son insuffisance, voici le raisonnement que je soumettrai aux partisans de la centralisation absolue.

Les institutions qui ont le plus contribué à adoucir la misère et à améliorer la condition de la classe indigente, notamment dans les Flandres, sont assurément excellentes, tout le monde en convient ; tout le monde affirme n'avoir en vue que l'intérêt du malheur, tout le monde par conséquent doit vouloir le maintien d'institutions si favorables aux malheureux ; seulement les adversaires du projet de loi n'admettent pas que le maintien en soit assuré on dehors des administrations légales établies par la législation de l'an V. C'est-à-dire que l'on est d'accord sur le but et non sur les moyens.

C'est ici que les adversaires du projet de loi se trompent du tout au tout, car ils préfèrent un mal immédiat et certain, à la crainte d'un mal éloigné et problématique.

Ou ces institutions favorables aux pauvres se maintiendront sans la loi, dans ce cas je dis que les garanties que nous demandons à la loi ne peuvent que mieux encore assurer leur maintien ; ou ces institutions laissées en dehors de la loi échapperont bientôt aux malheureux, dans ce cas le régime de la loi est encore ce que l'on a imaginé de plus efficace pour empêcher qu'elles ne soient détournées de leur destination.

Craignez-vous que la charité privée fasse trop ? mais si elle faisait moins vous auriez la taxe des pauvres.

Pour s'en convaincre il suffit de jeter les yeux sur la dotation de la charité officielle.

Voici la moyenne par indigent des subsides des communes et des revenus ordinaires des bureaux de bienfaisance, d'après le tableau statistique publié par le département de l'intérieur en 1849, et que j'ai déjà cité :

Anvers, fr. 23 34 c. ; Brabant, fr. 8 51 c. ; Flandre orientale, fr. 8 11 c. ; Flandre occidentale, fr. 15 82 c. ; Hainaut, fr. 8 12 c. ; Liège, fr. 7 09 c. ; Limbourg, fr. 9 44 c. ; Luxembourg, fr. 15 32 c. ; Namur, fr. 6 60 c.

L'honorable M. de. Perceval a cité des chiffres plus concluants encore pour démontrer l'insuffisance des secours.

L'honorable membre ne voit de remède au mal que dans le travail. Cela est vrai dans les limites du possible, mais l'expérience des siècles nous démontre qu'il y a toujours eu des gens impropres au travail. Il y aura toujours des orphelins, des malades, des vieillards, qui devront être secourus. Le libre développement de la charité ne devient-il pas dès lors un intérêt social de premier ordre ?

Il n'y a pas de milieu, à défaut de dons volontaires, je dois encore le répéter, c'est l'impôt qui devra combler le déficit.

Je n'ai jamais soutenu que la charité privée fait des miracles, qu'elle entretient ses pauvres ou ses malades pour rien, mais il est facile de démontrer qu'elle fonctionne plus économiquement que la charité officielle.

Savez-vous, messieurs, quelles économies nos communes parviennent à réaliser lorsqu'un indigent est admis dans les hospices de la charité privée ? Une économie de 50 et 60 p. c. sur la journée d'entretien.

Lorsqu'un indigent de la ville est recueilli dans un hôpital rural, celui-ci se borne à réclamer de la ville domicile de secours une indemnité en moyenne de 50 à 75 centimes par jour, tandis que l'administration urbaine réclame à Bruxelles 1 fr.50 c., à Gand 1 fr. 25 c., à Ypres, c'est, une exception 1 fr.

Le service médical dans les campagnes laisse à désirer, surtout dans les cantons où les fièvres contagieuses sévissent depuis plusieurs années. Les administrations officielles dans la Flandre orientale seulement ont dépensé en moyenne pour ce service médical de 1840 à 1847 44,738.45 fr. soit 5,35 p. c. des ressources réunies des bureaux de bienfaisance et des communes. Celles-ci ne peuvent pas s'imposer des sacrifices plus considérables. Il faut donc que la charité privée multiplie ses hôpitaux et ses hospices. Partout elle doit continuer à stimuler le progrès. Il y a quelques années, les vieillards, les orphelins étaient adjugés publiquement aux particuliers qui voulaient s'en charger.

« Ces adjudications, disait dans un de ses remarquables rapports, M. Van Damme, commissaire de l'arrondissement de Roulers-Thielt, se font à peu près de la même manière que la location ou la vente d'un objet mobilier ou d'un animal domestique. »

Les indigents mis ainsi en pension étaient pour la plupart exposés à un traitement plus dur que les criminels dans les prisons les moins bien organisées.

A ce système, on a substitué dans plusieurs communes la réunion des orphelins, des vieillards et des infirmes dans des hospices fermés.

« Tous ceux qui connaissent ces établissements, dit encore ce fonctionnaire, tous ceux qui ont voulu se donner la peine de voir par eux-mêmes la vie tranquille et heureusement occupée des indigents qui y sont reçus, sont convaincus de la supériorité morale de ce régime. Mais à ces avantages déjà si grands, il faut en ajouter un autre, celui de l'économie dans la dépense. »

La cause de cette économie est très simple ; chaque hospice est une espèce de métairie ; le travail agricole est fait par les indigents s'aidant les uns les autres, dans la mesure de leurs forces, sous la direction de quelques sœurs de charité. Les ressources combinées des écoles, des ateliers et des champs de culture qui sont annexés à ces admirables institutions couvrent en grande partie les frais et réduisent la journée d'entretien jusqu'à 10 centimes.

M. Frère-Orban. - Et à Liège à zéro, c'est beaucoup meilleur marché.

M. T’Kint de Naeyer. - C'est sans doute que les ressources sont plus grandes.

Les fermes-hospices contiennent le germe d'améliorations importantes dans l'organisation de la bienfaisance. Elles pourront souvent aider à faire renaître l'esprit de famille dont l'affaiblissement contribue, plus qu'on ne le croit, à étendre la plaie du paupérisme. Elles donnent le moyen de refaire une famille à l'orphelin, à l'enfant abandonné, de retremper son âme dans les vertus domestiques, d'empêcher qu'il n'aille grossir un jour le flot de la mendicité héréditaire.

Fellenberg et Wehrli avaient depuis longtemps contribué à propager ces idées en Suisse. On y trouve un grand nombre d'asiles agricoles. Tous ont réussi, eu ce sens que les colons qui en sortent deviennent de bons laboureurs.

Dans les Flandres, bien qu'on l'ait contesté, les fermes-hospices sont ducs aux inspirations de la charité privée. Plusieurs sont devenues des établissements communaux, il y en a qui reçoivent des subsides des bureaux de bienfaisance, mais il y en a d'autres qui ont reçu l’existence légale avant 1849, ou qui attendent qu'elle puisse leur être accordée.

La question des administrateurs spéciaux a causé de grandes difficultés, entre autres à Oostacker, Everghem, Asper, Boucle-St-Denis et arrête la constitution de donations et legs à Hansbeke, Knesselaere, Deurle, Viane, Oostacker, St-Amand, etc., etc.

Je me borne à citer des communes de la Flandre orientale. (Interruption.)

Le gouvernement en vous présentant son projet de loi, a dû tenir compte de ces faits ; il s'est inspiré avant tout de l’intérêt des pauvres. Il a fait une large part à la charité privée, sans méconnaître les traditions qui ont prévalu dans la législation depuis un grand nombre d'années.

Le but culminant de la loi est dissocier largement les efforts de la charité privée à l'action de la charité publique, en facilitant d'une part les fondations de bienfaisance et en multipliant d'autre part les garanties qui doivent entourer h patrimoine des pauvres.

La commission des fondations, instituée en 1849 et présidée par l'honorable M. Leclercq, était disposé à accorder aux fondations le droit de déléguer à une commission de trois membres au moins et de cinq membres au plus les attributions conférées par la loi aux administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance.

« Il est clair, disait un membre, que si la dotation était insuffisante pour créer un établissement complet, la direction ne pourrait pas être confiée à des administrateurs spéciaux, ce serait alors aux bureaux de bienfaisance et aux commissions administratives d'hospices qu'elle appartiendrait. Mais je raisonne dans l'hypothèse d'une dotation suffisante, je crois qu'il serait plus simple de permettre alors au fondateur d'instituer une commission de trois ou cinq membres qui aurait les mêmes attributions créées en vertu de la loi et qui agirait sous le même contrôle ; de la sorte on ferait ce qui est humainement possible. »

Le gouvernement ne va pas aussi loin. La commission attribuait aux fondations spéciales le domaine aussi bien que l'administration. D'après le projet de loi, la saisine des biens, toujours convertie en rentes sur l'Etat, reste au bureau de bienfaisance, qui seul jouit de la personnification civile et qui reprend même l'administration des biens, dès que a volonté contraire des fondateurs ne peut pas ou ne peut plus s'exécuter.

Il faut pour établir la fondation, l'autorisation du Roi, précédée de l'avis de la députation permanente, du conseil communal et de la commission administrative du bureau de bienfaisance.

La gestion des administrateurs spéciaux est soumise aux mêmes règles, aux mêmes autorisations, à la même tutelle administrative que la gestion des bureaux de bienfaisance.

Les budgets et les comptes, - les budgets qui déterminent ce que la fondation peut dépenser, et à quoi elle doit le dépenser, les comptes qui établissent comment elle l'a dépensé, - sont soumis chaque année au conseil communal et à la députation permanente ; ils sont d'ailleurs livrés à la publicité. C'est-à-dire que le contrôle est le même pour les fondations que pour les bureaux de bienfaisance.

Aussi les établissements érigés en fondations seront-ils inspectés par le fonctionnaire que nommera le gouvernement, accompagné du bourgmestre. Et s'il y a résistance ou négligence de la part des administrateurs (page 1373) spéciaux, la députation permanente pourra faire prendre les renseignements demandés ou faire exécuter la loi par des commissaires ad hoc.

Enfin, si la loi ne suffit pas à prévenir les abus, si les comptes ne sont pas rendus dans les délais fixés, ou si les revenus de la fondation sont détournés de leur destination, la répression des abus est déférée au tribunal de première instance qui sur la poursuite d'office du procureur du roi, condamne les administrateurs spéciaux à rendre compte, et prononcera s'il y échet, leur révocation.

Les dispositions que j'ai rapidement analysées constituent un ensemble de garanties dont il serait difficile de contester la valeur et l'efficacité. Et cependant les objections les plus graves, les accusations les plus retentissantes ne cessent de se produire.

Le projet de loi, dit la minorité de la section centrale, aura pour résultat, s'il n'a pas pour but, de doter indirectement les couvents, par personnes interposées, en conférant à des titulaires d'offices ecclésiastiques le mandat d'administrateurs ou de distributeurs spéciaux. On prendrait ainsi le manteau de la charité, sauf à le faire disparaître plus tard.

L'honorable rapporteur de la section centrale a péremptoirement déclaré qu'il ne pouvait être question du rétablissement des couvents, soit directement, soit par personnes interposées. Nous ne voulons point, dit-il, rétablir les couvents sous prétexte de charité, mais nous ne voulons pas non plus interdire la charité sous prétexte de couvents.

A ce premier point de vue, ce que nous avons à examiner, messieurs, c'est la sincérité de la loi. Elle n'est point faite, tous ses partisans l'affirment, pour ressusciter des couvents avec personnification civile, avec un patrimoine, avec la mainmorte.

Nous voulons, dit le gouvernement, une loi pour la charité, rien que la charité.

Il faudrait donc qu'en dépit de ces déclarations solennelles, il y eût dans la loi une secrète issue pour ressusciter des faits que personne ne veut emprunter au passé. Ou ne peut le supposer de même qu'on ne peut supposer aux adversaires du projet de loi la pensée d'arracher à notre passé la liberté d'association religieuse proclamée par la Constitution.

Eh bien, messieurs, il faut le reconnaître, les garanties accumulées dans le projet de loi pour empêcher les abus dont on fait tant de bruit sont de telle nature qu'à moins de forger un nouveau code pénal, je n'en connais point, je n'en comprends point de plus énergiques.

Non seulement toutes les garanties que la sagesse des siècles a suggérées pour les administrations charitables laïques, le projet de loi les applique à l'administration des fondations, niais il crée pour elles des mesures de surveillance, des moyens préventifs et des moyens répressifs des abus qui réunissent, on peut le dire, toute la force des pouvoirs sociaux : l'administration, la justice et la publicité c'est-à-dire la presse. Comment accusera-t-on d'impuissance la triple action de ces pouvoirs qui dominent toute notre organisation sociale et politique ? Comment soutiendra-t-on que des pouvoirs dont l'action combiné suffit au maintien de tous les droits les plus précieux, des droits de la famille, de la propriété, de toutes nos libertés politiques ne suffiraient pas à amener au moindre degré la conservation de ces droits les plus sacrés de tous, les plus assurés entre tous de ne jamais manquer de défenseurs, je veux dire les droits des pauvres.

Quoi ! il n'y a point d'abus, point de malversations, point de fautes administratives qui puissant échapper longtemps à l'œil vigilant de la presse, au contrôle d'une administration effective dans plusieurs de ses élément et moins encore peut être à la main inexorable de la justice, et tout cela ne serait plus rien, tout cela ne serait plus que complicité acquise d'avance et inaction systématique ! Je me trompe, messieurs, tout cela ne serait plus que déception et mensonge quand les abus auraient pour victime l'indigence, quand les fautes seraient commises dans la gestion du patrimoine des pauvres, quand il s'agirait des établissements charitables !

Sans avoir l'honneur d'être jurisconsulte, j'ai plus haute opinion, messieurs, de la puissance des lois. J'attends mieux d'elles et de la magistrature à qui nous en remettons le dépôt.

Donc si la loi est une vérité, la résurrection des couvents est un fantôme, absolument comme c'est un fantôme que la résurrection de la mainmorte par ce projet de loi qui est le premier dont le but hautement proclamé est de mettre des bornes à l'amortisation des biens au profit d'établissements perpétuels.

Ces considérations qui résument les motifs qui me permettent de renvoyer dans la région des chimères la résurrection des couvents, comme la résurrection de la mainmorte, réfutent déjà les objections qui se sont produites contre les administrateurs spéciaux.

Quels peuvent être en effet les inconvénients des administrateurs spéciaux, même désignés parmi les titulaires de fonctions civiles ou ecclésiastiques, du moment que la prévoyance de la loi leur rend impossible soit de détourner en faveur d'un couvent la dotation de l’établissement fondé, soit d'attribuer ainsi indirectement à un couvent une dotation immobilière frappée de mainmorte.

M. le ministre delà justice a fait remarquer avec raison, que la faculté de designer des administrateurs spéciaux dans les limites et avec les garanties du projet de loi, résume tout ce que le projet de loi fait pour la liberté de la charité.

Otez cela, il ne resté rien. Au lieu de faire quelque chose pour la liberté de la charité, on fait même de la réaction contre elle, en lui enlevant le bénéfice quelquefois controuvé mais le plus souvent et le plus longtemps reconnu des lois antérieures.

Otez cela, c'est une loi contre la liberté de la charité que nous ferions. Or, la liberté de la charité, on nous permettra de l'appeler par son nom, ce ne peut être la charité officielle, c'est la charité privée : faut-il ôter du projet de loi la seule chose qu'il fasse pour laisser à la charité privée sa liberté d'action ? Tout est là.

J'attendrai la discussion des articles pour examiner les détails du projet de loi.

M. Rogier. - M. le ministre de la justice a ouvert les débats par un discours longuement étudié, dans lequel il a résumé en deux mots le caractère général de la loi importante que nous discutons.

C'est, suivant M. le ministre de la justice, une loi de modération, une loi de bonne foi.

Il m'est impossible, sans vouloir rien dire de désobligeant pour les membres du cabinet, telle n'est pas mon intention, il m'est impossible, dis-je, de trouver dans la loi le double caractère qu'on lui assigne.

Je pense qu'elle manque de modération et qu'elle manque de sincérité. J'ajoute qu'elle est, de la part d'un ministère de conciliation, un acte de haute inconséquence.

M. le ministre de l'intérieur vous l'a proclamé dans cette Chambre, après l'avoir proclamé dans ses écrits ; il faut de la conciliation dans le gouvernement ; il faut de la pacification dans les esprits ; et pour arriver à la réalisation de ce beau programme, on nous apporte la loi la plus propre à semer dans le pays des germes d'irritation et de division, qui ne pourront que s'enraciner et s'étendre.

Nous ne sommes encore qu'au début de la discussion, cette discussion sera longue ; mais en supposant même qu'elle n'aboutisse pas, comme je l'espère, à l'adoption du projet de loi, elle aura produit des résultats fâcheux, elle aura jeté dans les esprits des germes d'irritation qui lui survivront, et elle aura consacré ainsi une contradiction manifeste avec les intentions exprimées de bonne foi par M. le ministre de l'intérieur, intentions qui tendaient à rallier les partis, à amener une transaction entre les opinions.

A ce point de vue, M. le ministre de l'intérieur ne pouvait rien inventer de pis que cette loi, il ne pouvait rien imaginer de plus contraire au but qu'il poursuit.

Messieurs, cette loi manque de sincérité et dans son objet et dans les moyens de défense qu'on apporte à l'appui.

Je comprends l'opinion qui soutient que les corporations religieuses sont une bonne chose. Je comprends l'opinion qui soutient que la charité, pour arriver aux pauvres, doit en quelque sorte se sanctifier en passant par la main des prêtres. Cette opinion compte un assez grand nombre de partisans et elle a évidemment inspiré le projet de loi ; mais ce que je reproche à ce projet, c'est de ne pas exprimer ouvertement quel est son but ; c'est d'employer des détours pour transférer eux corporations religieuses le privilège de l'administration de la charité. Voilà ce que j'aurais voulu que M. le ministre déclarât et voilà ce que le projet de loi aurait dû faire directement, ouvertement, s'il venait d'hommes convaincus.

Eh bien, messieurs, quelle est au fond la portée véritable du projet de loi ?

Il ne s'agit pas, dit-on, de créer de nouveaux établissements de mainmorte, d'instituer de nouvelles catégories de personnes civiles. Les donations et legs devront être acceptés par les bureaux de bienfaisance. Mais que seront ces bureaux de bienfaisance dans ce rôle nouveau assigné à l'administration de la charité ? Ils seront tout simplement les hommes de bois, des éditeurs responsables, des espèces de concierges, comme on en voit, qui ouvriront la porte aux donations et legs, mais qui, après cela, n'auront plus rien à y faire ni à y dire.

Ces dons et legs seront administrés, seront distribués par ceux qu'on appelle les administrateurs spéciaux, c'est-à-dire par des administrateurs sui generis privilégiés, qui ont la vertu de ne pas s'éteindre, de se succéder, de se perpétuer, d'être inamovibles et irresponsables. Voilà quelles seront les administrations qui seront appelées à gérer le domaine des pauvres, et à en disposer.

Le bureau de bienfaisance aura fait l'office de personne interposée. Il acceptera la libéralité pour compte d'autrui, et si ce rôle ne lui convenait pas, on le forcera à accepter, la loi le dit, mais voilà au juste ce que fera le bureau de bienfaisance. Pour le reste, on s'en remettra à ce qu'on appelle les administrateurs spéciaux, qui seront tantôt l'évêque, tantôt les curés d'une ville, tantôt les chefs d'un établissement religieux, quelquefois les religieux eux-mêmes. Il est possible qu'il vienne à se glisser parfois parmi les administrateurs religieux un administrateur laïque, mais en bonne doctrine épiscopale nulle charité n'est digne de ce nom qu'autant qu'elle revêt un caractère religieux.

C'est l'évêque de Bruges qui le dit. J'aurai occasion de le citer plus tard.

Mais, dit M. le ministre de la justice, ces administrateurs perpétuels, inamovibles, irresponsables, ne voyez-vous pas de quelles chaînes nous les chargeons, dans quel cercle de fer nous enfermons leur action administrative ! M. le ministre de la justice nous a fait un tableau énergique de toutes les entraves qui vont peser sur ces malheureux administrateurs (page 1374) spéciaux. On n'aurait pas de plus grande défiance vis-à-vis d'escrocs en titre.

Ils auront des comptes à rendre, des budgets à soumettre, des listes de pauvres secourus à communiquer à la commune, car on n'a pas craint de faire ces concessions à l'opposition, tant est grand l'esprit de transaction qui possède le cabinet. De plus, quand messieurs les administrateurs spéciaux, c'est-à-dire, quand messieurs les évêques, quand messieurs les curés, quand messieurs les chefs des associations religieuses ne rempliront pas bien leur mandat, le procureur du roi est là ; ils seront bien plus malmenés que les administrateurs de la charité publique, car s'ils le conduisent mal, comme ils ne sont pas destituables par la voie électorale ou administrative, on les frappera d'un bel et bon jugement, qui les condamnera peut-être à l'amende, peut-être à la prison et, tout au moins, qui les frappera de déchéance, de destitution.

Mais, messieurs, parlons avec sincérité, puisque sincérité il y a, d'après l'honorable député de Gand, qui vient de parler. De bonne foi, croyez-vous qu'il se rencontrera dans le pays beaucoup de conseils communaux qui entreprendront de se mettre eu lutte avec une administration spéciale, alors que ses budgets et ses comptes ne seraient pas trouvés parfaitement en règle ? Mais s'il se rencontrait un bourgmestre un peu énergique qui voulut prendre une mesure pour faire exécuter la loi, et réprimer un abus, comment serait-il traité ? Comme un persécuteur du clergé, comme un ennemi de la religion, comme un ennemi des pauvres.

Voilà, messieurs, quant à la surveillance administrative. Quant aux procureurs de roi, de bonne foi, trouvera-t-on dans tout le pays un seul procureur du roi assez... comment dirai-je ? assez Robespierre pour traîner devant les tribunaux un évêque, un curé, du chef de mauvaise gestion financière d'un établissement charitable ? Mais, messieurs, une pareille hypothèse frise le ridicule.

Donc ces garanties que vous nous vantez, on a parlé tout à l'heure de fantômes, ces garanties sont purement illusoires, elles ne sont pas dignes d'être présentées à des hommes sérieux.

Mais, messieurs, je tire de ces garanties, tout illusoires qu'elles sont, un argument auquel, peut-être, M. le ministre de la justice n'a pas pensé. De tout ce grand étalage, de tout ce grand déploiement de précautions vis-à-vis des administrateurs spéciaux : que faut-il conclure ? A quoi bon, si la charité privée (et je suis loin de la condamner en principe), si la charité privée est si bonne, si scrupuleuse, si ingénieuse, si honnête, si morale, à quoi bon tout ce luxe de précautions dont on l'entoure ? Est-ce que, par hasard, le ministère du 12 août aurait eu raison de ne pas vouloir autoriser à tort et à travers les administrateurs spéciaux ?

Il disait : Je ne connais pas ces administrateurs-là ; ils n'ont aucune espèce de compte à rendre ; ils sont irresponsables ; ils peuvent abuser du patrimoine des pauvres. Voilà ce que disait le ministère du 12 août par l'organe de l'honorable M. de Haussy au grand scandale de l'opposition d'alors : mais il paraît que M. de Haussy n'avait pas tout à fait tort puisque aujourd'hui ces administrateurs spéciaux dont on réclamait l'admission quand même avec des cris de fureur, à l'égard desquels on adressait à l'honorable M. de Haussy des récriminations si violentes, puisque ces administrateurs spéciaux, dis-je, sont aujourd'hui jugés tels qu'où les supposait alors, puisqu'on apporte à leur gestion des entraves qui n'existaient pas.

Pour peu que nous fassions des progrès en sincérité, nous apprendrons que cette loi même sera une loi ultra libérale, qui aura pour effet d'apporter des entraves au libre exercice de la charité.

Si, messieurs, je ne trouve pas de sincérité dans la loi même et dans la manière dont on la défend, je dois dire aussi, sans vouloir offenser M. le ministre que je ne trouve pas non plus une grande sincérité dans la façon dont il présente l'opinion de ses adversaires.

A l'ouverture de la discussion, M. le ministre de la justice a combattu des adversaires qui n'avaient pas encore parlé ; je ne sais pas à quels adversaires spéciaux il s'adressait, mais enfin il a représenté l'opinion à laquelle nous appartenons comme professant, en matière de charité, des doctrines qui ne sont pas du tout les nôtres, et que, pour ma part, je répudie ouvertement.

Ainsi M. le ministre de la justice vous a dit que ses adversaires trouvaient que la charité faisait trop, que ses adversaires excluaient le concours de la charité privée, que ses adversaires ne poursuivaient qu'un but : le monopole obligé de la charité. Où et quand M. le ministre a-t-il vu ces opinions exprimées par ceux qu'il appelle ses adversaires ?

Nous trouvons aussi, nous, que la charité ne fait pas assez, mais nous trouvons surtout que la charité ne fait pas assez bien, qu'elle pourrait faire mieux, et ce que je dis là, je le dis aussi bien de la charité officielle, de la charité publique, que de la charité privée.

A Dieu ne plaise que nous acceptions cette accusation de vouloir restreindre les élans de la charité en l'accusant de faire trop ; elle peut faire mieux, mais, certes, elle ne fera jamais trop.

Nous excluons, dit-on, le concours de la charité privée. Mais en quoi ? M. le ministre de la justice a bien voulu me rappeler que, à l'époque où une épidémie désolait les Flandres, j'avais demandé le concours du clergé ; mais à toutes les époques nous avons été très heureux de voir le clergé intervenir dans la bienfaisance ; c'est là un de ses beaux rôles, une de ses belles attributions.

Nous avons fait appel au clergé des Flandres comme nous avons fait appel aux médecins des Flandres ; le clergé a répondu, les médecins ont répondu, mais ils n'ont pas demandé pour cela, ni le clergé ni les médecins, à être constitués en personnes civiles, en administrateurs spéciaux. Ils ont rendu, comme fonctionnaires, comme hommes privés, des services réels, mais ils n'en ont pas conclu qu'il fallait les transformer en administrateurs spéciaux, en corporations privilégiées. Les médecins, pour leur part, n'ont rien demandé de semblable.

Messieurs, si c'était le moment d'exposer notre système en matière de bienfaisance, nous pourrions dire que, loin de repousser la charité privée, nous attendons surtout de ses efforts les grandes améliorations, qui doivent nécessairement s'introduire dans la gestion de la bienfaisance. Nous croyons que les administrations officielles peuvent être très efficacement secondées par la charité privée, que l'association charitable n'a pas besoin, pour faire le bien, de passer à l'état de corporation privilégiée.

Nous n'entendons pas accepter les qualifications d'esprit étroit, de cœur tiède pour les pauvres ; nous voulons poursuivre par tous les moyens l'amélioration matérielle et morale des classes inférieures ; c'est là même le principal article du programme de l'opinion libérale.

Si nous sommes d'avis que les simples associations privées peuvent faire beaucoup de bien, nous ne repoussons pas tout ce qui est corporation, tout ce qui est personne civile. Mais nous voulons y mettre des précautions ; nous voulons être assurés de fonder quelque chose de sérieux pour les pauvres et non pas des établissements qui ne répondraient nullement à leur destination. S'agit-il d'un établissement nouveau que la philanthropie où la charité a imaginé pour le soulagement des classes pauvres ; eh bien, venez nous proposer une loi, nous l'examinerons, et si la fondation en elle-même a un caractère évident d'utilité publique, nous la voterons.

Voilà, si l'on était animé d'un véritable esprit de conciliation et de transaction ; voilà le système qu'on serait venu nous proposer. Au lieu d'attribuer au pouvoir exécutif la faculté de créer autant de personnes civiles qu'il le voudrait, il aurait fallu que MM. les ministres, s'ils avaient voulu agir en ministres conciliants, empruntassent à la loi de l'honorable M. Faider la disposition qui prévoyait le cas où des personnes civiles pourraient être instituées en vertu d'une loi.

Qu'a fait le ministère actuel ? II a retiré brutalement le projet présenté par un cabinet qui, sous le rapport de la modération et de l'esprit de conciliation, aurait pu, pour me servir d'une expression familière, rendre peut-être des points à MM. les membres d'aujourd'hui.

Il a retiré cette loi, il a substitué un nouveau système au système conciliant de MM. de Brouckere et Faider. Il a apporté, dit-il, une loi de modération et de bonne foi. Je ne doute pas que l'honorable M. de Brouckere n'établisse facilement, que la loi qu'il avait proposée était aussi une loi de modération et de bonne foi. Non, messieurs, ce n'est pas une loi de modération qu'on apporte, c'est une loi de parti et exclusivement une loi de parti.

Il en sera de la bienfaisance publique comme de l'instruction publique. On s'est écrié : Liberté d'instruction ! Guerre au monopole de l'Etat ! L'Etat voulait absorber toute l'instruction, ne rien laisser à la liberté... Cela était complètement faux ; mais on a su tellement s'y prendre, au nom de la liberté d'instruction, qu'une grande partie de l'instruction publique a passé dans les mains de la liberté ou, pour mieux dire, dans les mains du clergé.

Cs qui reste de l'instruction laïque officielle est menacé ; et pour peu que cela dure, le monopole de l'instruction générale passera dans les mains de la liberté, c'est-à-dire du clergé.

Eh bien, messieurs, pour la bienfaisance publique il y a aujourd'hui des établissements laïques, des établissements officiels. Et voilà que l'on crie au monopole de la bienfaisance, comme on criait jadis au monopole de l'enseignement, et l'on ne sera satisfait que quand on aura détruit successivement les établissements de bienfaisance laïques, de bienfaisance officielle et publique, comme on cherche à détruire successivement les établissements d'instruction publique.

Ceux qui poursuivent ce double but, le font, je veux l'admettre, avec une certaine logique. Ils se disent : « Le clergé a seul la mission de distribuer les secours spirituels et les secours temporels. »

Quand l'Etat intervient dans cette mission, il fait en quelque sorte un vol au clergé.

Voilà la thèse très nette et, je pense aussi, très orthodoxe de l'un de nos honorables évêques.

Eh bien, il est logique qu'on cherche à déposséder le gouvernement de cette usurpation qu'il s'est permise en matière d'enseignement comme en matière de bienfaisance.

Si la loi, et Dieu veuille nous épargner un pareil résultat ; mais, enfin si la loi passe, voici ce qui va arriver. De la même manière qu'il y a deux instructions, il n'y aura deux bienfaisances.

Il y a aujourd'hui l'instruction religieuse, orthodoxe, et puis, autant qu'on peut le dire, l'instruction hétérodoxe, l'instruction irréligieuse, l’instruction impie ; eh bien, nous aurons la bienfaisance officielle et la bienfaisance orthodoxe, la bienfaisance laïque et la bienfaisance religieuse. L'on dira aux fidèles : Ne donnez plus aux bureaux de bienfaisance laïque qui ne font pas un bon usage de vos dons et legs ; (page 1375) remettez vos dons et legs aux établissements orthodoxes ; ceux-là seuls sont aptes à remplir vos pieuses intentions.

De même qu'on dit aujourd'hui aux parents : « N'envoyez pas vos enfants dans les établissements laïques ; ils s'y corrompent, ils n'y reçoivent pas une bonne instruction ; » de même on dira aux fidèles, en général : « Ne remettez pas vos dons et legs aux bureaux de bienfaisance laïques ; ils ne sont pas compétents pour en faire un bon emploi ; passant par nos mains, vos libéralités seront bien plus agréables à Dieu. »

Voilà où nous marchons, c'est le retour au monopole, dans les mains du clergé, de l'enseignement et de la bienfaisance.

C'est un travail dont il est très facile de suivre les traces ; l'Eglise vint successivement ressaisir les diverses parties de la société qui se sont soustraites à ses liens après le grand mouvement de 1789 ; elle a cherché à reprendre l'instruction publique, elle cherche maintenant à reprendre la bienfaisance publique. Dieu sait si nous n'irons pas encore plus avant !

Et cependant lorsque nous examinons de bonne foi la situation des associations religieuses, ont-elles à se plaindre, auraient-elles quelque chose à désirer, si elles ne cédaient à ce désir impatient de posséder et de s'étendre de plus en plus ?

Les associations religieuses n'ont pas cessé de grandir, de se multiplier dans le pays. On a pourtant dit que le système de M. de Haussy avait pour but de dessécher dans sa source la charité privée, d'étouffer dans leur essor les associations charitables ou religieuses. Or, est-il une seule de ces associations qui se soit éteinte faute d'aliment ? Leur nombre, au contraire, a toujours été croissant.

En 1829, il y en avait 280 avec une population de 4,791 personnes ; en 1840, 779 avec une population de 11,967 personnes. De 1846 à 1856, dans cette période néfaste, pendant laquelle a été mis en vigueur le système de M. de Haussy, le nombre des associations religieuses s'était élevé à 915, et la population à 14,875 personnes.

Il n'y a donc pas eu d'entrave apportée à l’essor des communautés ; et quant au tort que le système faisait aux pauvres en tarissant les sources de la charité, on a pu le constater en chiffres irréfutables ; ces chiffres, il est utile de les remettre sous les yeux de la Chambre, les libéralités faites aux pauvres de 1831 à 1835 se sont élevées à 789,000 fr. ; de 1836 à 1841, à 968,000 fr. ; de 1841 à 1847, à 703,000 fr. ; en 1849, à 1,221,000 fr. ; en 1852, à 2,631,000 fr. ; en 1854, à 2,622,000 fr. ; c'est-à-dire à un chiffre près de quatre fois plus élevé que dans la période de 1841 à 1847, avant l’époque de la mise en vigueur du système prétendument restrictif. Si donc l'on voulait raisonner seulement d'après les faits constatés pour demander des privilèges en faveur des associations, ces faits protesteraient contre de pareilles prétentions.

Mais il y a d'autres considérations qui protestent. Les associations privilégiées sont-elles dans l'esprit de nos institutions, de notre Constitution ? En 1830, le gouvernement provisoire a proclamé la liberté illimitée des associations dans les termes suivants :

« Considérant que les entraves mises à la liberté d'association sont des infractions aux droits sacrés de la liberté individuelle et politique ;

« Arrête :

« Il est permis aux citoyens de s'associer comme ils l'entendent dans un but politique, religieux, philosophique, littéraire, industriel ou commercial. Les associations ne pourront prétendre à aucun privilège. »

Aujourd'hui, messieurs, les associations prétendent au privilège de se transformer en corporations et de se perpétuer à l'état de personne civile. A l'époque où le gouvernement provisoire a proclamé la liberté d'association, il n'entrait aucunement dans sa pensée qu'un jour viendrait où ces associations réclameraient le privilège de corporation, de personne civile. Et au sein du Congrès c'est la même pensée qui a prévalu. Divers membres avaient proposé en principe le rétablissement des corporations religieuses ; les diverses propositions faites dans ce but par MM. de Pelichy, Legrelle, l'abbé de Foere ont été rejetées et l'article de la Constitution s'est borné à dire :

« Les Belges ont le droit de s'associer ; ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive. »

L'esprit de l'époque était contraire au rétablissement des corporations religieuses et favorable à la plus grande liberté d'association. Je me permettrai de citer un fait qui a en quelque sorte un caractère historique ; malheureusement je suis seul ici à le certifier ; j'espère qu'on voudra bien me croire.

L'abbé de Foere, alors que nous siégions au gouvernement provisoire, vint nous demander de prendre un arrêté qui aurait pour but de proclamer le rétablissement des corporations religieuses à titre de personnes civiles ; le gouvernement provisoire s'y refusa ; nous étions cependant dans ces jours d'expansion où nous fraternisions, nous sympathisions avec le clergé ; le gouvernement provisoire se refusa à faire ce qu'on lui demandait ; et il inscrivit dans un arrête ses principes qui se formulaient de la manière suivante : liberté illimitée d'association ; mais pas de privilège, pas de personnification civile, pas de corporations.

M. Coomans. - Nous n'en voulons pas non plus.

M. Rogier. - Si la loi n'a pas pour but de donner des privilèges aux associations religieuses, elle n'a plus d'objet.

M. Coomans. - La loi est pour les pauvres et non pour les moines.

M. le président. - M. Coomans, vous aurez la parole, n'interrompez pas.

M. Coomans. - Voilà mon discours.

M. Rogier. - Que la loi soit pour les pauvres et non pour les moines, c'est ce qui sera à démontrer par la discussion et surtout par son exécution. Mais que le gouvernement provisoire et après lui le Congrès n'aient pas voulu que les associations religieuses se transformassent en corporations, cela est un fait incontestable.

L'on comprend très bien en effet, que dans un pays où la charte proclame la liberté illimitée des associations, il n'est pas nécessaire de leur demander des garanties légales ; là où il y a liberté de s'associer et où cette liberté est garantie par la Constitution, à quoi bon ces garanties ? pourquoi ces privilèges ? Sous un gouvernement absolu les garanties légales peuvent sembler nécessaires, elles sont inutiles sous un gouvernement libre, où la Constitution est la garantie suprême.

Si on ne cherchait pas le rétablissement d'anciennes institutions, si on voulait rester dans l'esprit du siècle et de nos institutions, on devrait être satisfait de ce droit d'association illimité que garantit la Constitution, on ne devrait pas vouloir aller au-delà.

La Constitution est une garantie plus forte que toutes les lois que vous ferez.

Savez-vous, messieurs, et c'est à la droite que je m'adresse en ce moment, quel sera un des résultats de la loi, si la loi est votée ? La voici :

Aujourd'hui les associations charitables, les associations religieuses, naissent sur tous les points du pays, se répandent dans toutes nos communes.

Beaucoup de gens ne les voient pas de très bon œil. Beaucoup de gens voient non sans quelque inquiétude le grand nombre d'associations religieuses qui s'étendent chaque jour et qui s'étendront encore de jour en jour, mais enfin on s'y résigne ; on se dit : Ainsi le permet la Constitution. Respect à notre charte politique. Il est regrettable que les associations religieuses se multiplient en trop grand nombre ; mais enfin, elles en ont le droit.

Quand il y aura une loi, il ne se formera plus une seule association dans le pays, qu'où ne l'attribue à la loi. On dira : voilà un des fruits de la loi des couvents. Elle sera ainsi qualifiée. Toutes ces associations se ressentiront à leur origine même de l’impopularité qui pèsera sur cette loi. Aujourd’hui elles sont parfaitement (manquent quelques mots) digne et forte au sein de la Constitution, On ne peut pas venir les y troubler. Si au contraire on peut attribuer leur existence et leurs abus à une loi, je les trouve désormais beaucoup moins garanties qu'elles ne le sont aujourd’hui.

C'est donc sous ce rapport une loi non seulement inutile, mais une loi dangereuse au point de vue même de la liberté des associations.

Cette loi, dis-je, messieurs, sera impopulaire. Elle ira rejoindre à la hâte d'autres griefs qui existent déjà à charge d'un parti que l'on trouve envahissait, trop exigeant et que l'on désirerait beaucoup voir rester dans les limites de la modération.

On veut accaparer, après l'instruction publique, la bienfaisance publique, rentrer en quelque sorte dans la possession de ce qu'on appelle son domaine.

Quand on aura repris des mains de l'Etat l'enseignement et la bienfaisance, est-ce qu'où s'arrêtera là ?

Je me rappelle une époque où l'on me disait à droite : le clergé ne demande qu'une chose ; assurez-lui la liberté d'enseignement, qu'il lui soit permis d'ouvrir des écoles ; qu'il ne soit pas entravé dans son enseignement, que la liberté d'enseignement soit respectée, le clergé se tiendra pour satisfait et désormais il ne se mêlera plus de politique, il ne se mêlera plus d'élections. Voilà ce qui m'a été dit bien souvent.

Eh bien, pour l'instruction publique, le clergé a eu tout ce qu'il pouvait désirer, et je ne sais pas ce qu'on pourrait lui donner de plus. Cependant il ne se tient pas pour satisfait. Il lui faut maintenant le monopole de la charité. La charité laïque ne vaut rien ; les laïques ne s'entendent pas à faire la charité ; ils ne sont pas compétents pour la faire.

Je suppose qu'on remette également la bienfaisance publique an clergé et qu'il ait aussi ce monopole ; sera-ce tout ? Je n'oserais pas en répondre. Il y a encore dans notre Constitution des articles plus ou moins gênants. Il y a même dans le Code civil des traces de cette maudite révolution de 1789, qui a fait, comme on sait, tant de mal.

Ne sera-t-on pas tenté de demander encore certains changements au Code civil ? Est-on bien satisfait du titre du mariage, du titre de l'état-civil, du yitre des successions ? Le projet de loi actuel lui-même est déjà une infraction au Code civil, il introduit des fidéicommis et des substitutions. Que dirons-nous de la liberté de la presse ? Sera-t-elle toujours respectée ? On se récrie contre une telle prévision. Mais voyons ! A l'ombre du ministère de conciliation, les esprits s'aigrissent de jour en jour, et nous les voyons dans un état, je crois, très enflammé.

Il faut le dire, cet étal frappe tous les yeux. La religion ayant fait de la politique, la politique a été entraînée à faire de la religion. Notre presse aujourd'hui, des deux parts, lutte sur le terrain religieux. Eh bien, cela ne peut pas convenir à l'un des partis. Il est manifeste qu'en trouvera exécrable la presse que l'on appellera et que l'on appelle déjà la presse impie, qui se permettra d'attaquer la religion comme religion, les prêtres comme missionnaires religieux.

(page 1376) On trouvera que la presse va trop loin et le gouvernement pourrait bien venir aussi demander quelque jour des restrictions à cette institution qui fait tant de mal à la religion.

M. Dumortier. - Et vous, vous pourrez mettre tous les catholiques à la porte de toutes les institutions publiques ; avec de pareilles idées vous ne vous arrêterez pas.

Ce sont des insinuations. Elles sont interdites par le règlement.

M. Rogier. - Quelles insinuations ? Expliquez-vous.

M. Dumortier. - L'insinuation qu'on va violer la Constitution.

M. le président. - Elle ne s'adresse à aucun membre de cette Chambre.

M. Rogier. - Je vais tout à l'heure vous faire de l'histoire. Vous verrez qu'avec les meilleures intentions du monde, los hommes les plus honorables peuvent faire beaucoup de mal. Je vous donne des avertissements. Ai-je mérité les interruptions de l'honorable M. Dumortier ?

M. Frère-Orban. Cela s'est vu si souvent.

M. Dumortier. - On a vu bien d'autres choses.

M. Rogier. - Je dis donc, messieurs, que je prévois de nouvelles prétentions, que je prévois de nouvelles exigences ; on se récrie. Mus si je vous disais que vous êtes aujourd'hui, à l'heure qu'il est aussi loin et que même à certains points vous êtes plus en avant que le parti ultramontain de la restauration, Vous vous récrieriez bien plus. Eh bien, messieurs, un rapprochement entre les deux pays, entre les deux époques ne serait pas ici hors de saison.

Je vous ai fait entrevoir un avenir dans lequel on voudrait introduire de nouvelles lois que je qualifierai de réactionnaires.

La loi électorale ! La Constitution, les lois qui ont suivi la Constitution ont voulu l'élection au chef-lieu d'arrondissement. Le Congrès libéral a été élu dans les collèges d'arrondissement.

M. Dumortier. - Le Congrès libéral n'a été élu nulle part. Vous voulez parler du Congrès national.

M. Rogier. - Le Congrès national a été élu dans les collèges d'arrondissement. Au reste, le Congrès national était un congrès qui peut à bon droit être qualifié de libéral, puisqu'il a décrété la Constitution, œuvre essentiellement libérale.

Eh bien, ce système électoral d'où le Congrès est sorti, il est fortement question, m’assure-t-on, de le modifier profondément. Il serait question de faire voter chaque électeur dans sa commune. Savez-vous ce que c'est que ce système-là ? Savez-vous où nous le retrouvons ? Dans les ordonnances de juillet 1830.

Les mêmes ordonnances qui ont supprimé la charte française et provoqué le renversement d’une vieille et, sous certains rapports, respectable dynastie, en comprennent une qui établissait le vote dans la commune pour les élections aux Chambres.

M. Coomans. - Il ne faut pas aller aussi loin, les républicains de 1848 ont admis le vote au chef-lieu de canton.

M. Devaux. - C'est le système de l'anarchie.

M. Dumortier. - Ce sont ces messieurs qui ont modifié la loi électorale. Et ce sont eux qui nous accusent de vouloir la modifier.

M. le président. - Si la séance se passe ainsi en conversations, la discussion ne finira jamais. Je demande que l'on n'interrompe pas l'orateur.

M. de Man d'Attenrode. - A la question !

M. Wasseige. - Occupons-nous de la charité !

M. Rogier. - Que dit l'honorable député de Namur ?

M. Wasseige. - Je demande que nous rentrions dans la question et que nous nous occupions de la loi sur la charité.

M. Rogier. - Je crois rester parfaitement dans les limites de la discussion générale.

Si l'honorable députe de Namur avait bien voulu manifester hier et avant-hier ses scrupules d'aujourd'hui, il aurait épargné à la Chambre un grand nombre de divagations de toute espèce.

Je ne remonte ni au commencement du monde ni au déluge.

M. le président. - M. Rogier, adressez-vous à la Chambre.

M. Rogier. - M. le président, je veux rester calme ; mais on m'interrompt, et l'on m'excite.

Je ne remonte pas au déluge mais à 1830, et je trouve de grandes analogies dans la situation d'alors et celle d'aujourd'hui.

Je répète, en ce qui concerne le système électoral, que le fractionnement, l'élection à la commune que l’on préconise pour la Belgique faisaient l'objet d'une des ordonnances de juillet 1830.

Je continue les rapprochements. Et ici que l'on me permette une citation empruntée aux débats de la chambre des députés.

Je suis autorisé d'après les antécédents à être quelque peu long, Je tâcherai cependant d’abréger autant que possible la citation dont il s'agit.

Voici de quelle manière la situation de la France de 1825 était décrite à la chambre des députés par un député d'une grande modération et d'une grande sincérité, un député du centre gauche, l'honorable M. Ogier.

« Et ne croyez point, messieurs, que je veuille vous parler de jésuites. Bien que cette société soit portée à la domination, à l'envahissement, je dirai sans contrainte que ce ne sont pas ceux de ses membres qui ne se livrent qu'à la prédication, à l'éducation, qui me paraissent dangereux, mais les jésuites qui, dans le monde, portent le même habit que nous. Ne croyez pas non plus que je veuille parler de ces associations méritoires pour de vraies bonnes œuvres, je veux parler de cette association qui, formée dans le principe pour combattre la tyrannie, n'est plus propre qu'à nous en imposer une de nouvelle espèce.

« Et d'abord, je dois déclarer, comme je l'ai déjà fait à cette tribune, qu'elle compte des hommes éminents et sincèrement religieux, dont quelques-uns même, en l'abandonnant, se sont éloignés, non des bonnes actions, mais des intrigues ; je dois déclarer, parce que je le pense, qu'elle compte beaucoup de personnes peu éclairées, ou de bonne loi, qui ne croient servir que les intérêts de la religion ; mais les hommes éminents ne sont à leur insu qu'un manteau, et les hommes de bonne foi que des instruments pour l'ambition.

« Que si on me demande quels sont les principes politiques de cette association, je répondrai qu'une partie, qui n'est pas à ma vérité la plus nombreuse, veut aussi sincèrement nos institutions constitutionnelles, que la religion, et qu'une autre partie a juré une haine éternelle à ces institutions ; leur perte dût-elle même compromettre les véritables intérêts de la religion.

« Que si on me demande le nom de cette association, je répondrai en montrant ses effets et ses œuvres ; après, peu importe son nom. Elle éloigne de la religion, elle aliène les cœurs au roi, par son esprit inquisitorial ; elle trouble la foi, au lieu de la fortifier ; elle divise les familles et les amis ; elle ne craint pas d'attaquer le dévouement le plus absolu, de nier, de chercher à flétrir les services les plus incontestables : et aux yeux de ses agents subalternes, la conduite la plus pure, la vraie piété même, ne défendent pas toujours les plus vertueux citoyens de l'espionnage le plus lâche, des dénonciations les plus injustes, des calomnies les plus indignes, et ce qui est le pire de tous les malheurs, c'est elle, elle seule, qui a divisé les royalistes. Ne croyez pas qu'elle tienne autrement aux royalistes, car elle adopte, elle protège souvent des hommes qui sont loin d'avoir jamais paru dans leurs rangs, si elle a besoin d'eux, et s'ils veulent se donner à elle ; elle fait trembler les préfets, les sous-préfets sous son influence secrète, quand ils ne sont pas ses adeptes, elle domine le ministère lui-même, qui, tantôt veut secouer le joug et tantôt le reprend. »

Il y a encore, messieurs, des choses bien intéressantes dans cette citation, mais c'est un peu long, je donnerai la fin au Moniteur.

- Plusieurs membres. - Continuez.

M. Rogier. - Il continue ainsi :

« D'où lui vient donc cette puissance ? de celle qu'elle a de faire donner ou ôter les emplois dans le civil, dans l'armée. Et qu'on y prenne garde, après les illusions de 1791 et les horreurs de 1793, nous avons eu la corruption du directoire, celle-là était de boue ; nous avons eu la corruption du gouvernement de Bonaparte, celle-là était recouverte de gloire militaire ; nous avons eu la corruption de ce système de bascule qui a failli perdre la monarchie, et que nous avons tous combattu, et si, par des, par-dessus tout cela, nous avions la corruption de l'hypocrisie, devenue moyen d'avancement, le caractère de loyauté qui appartient à la nation française s'altérerait, et par suite la religion serait compromise et la monarchie menacée ; car, n'en doutons point, messieurs, la France, qui, éblouie par l'éclat des armes, a pu supporter le despotisme militaire, ne pourrait tolérer celui de l’hypocrisie ; la France, qui veut de la religion élevant et consolant les âmes, ne voudrait point de la religion servant de masque à l'intrigue et de moyen à l'ambition. El si cet état de choses, si cette lutte entre le spirituel et le temporel durait longtemps encore, évidemment, et par une réaction inévitable, ils enfanteraient bientôt un presbytérianisme ; et lorsque les masses seraient arrivées au moment de choisir entre l'une et l'autre religion, vous pouvez apercevoir d'ici les dangers que pourraient courir et la religion catholique et la monarchie. »

Voilà, messieurs, ce qui se disait en 1825, au sein du parlement français, et cependant, que se passait- il à cette époque, où la France était représentée comme asservie sous le joug d'un pouvoir occulte ?

La chambre des pairs, la chambre des pairs de M. du Villèle, de M. de Peyronnet, celle qui votait les lois du sacrilège, savez-vous ce qu'elle faisait ? Elle refusait au ministère Villèle les pouvoirs que vient nous demander le ministère de M. Nothomb.

A la chambre des pairs, une loi fut proposée pour investir le gouvernement du pouvoir d'autoriser des congrégations de femmes, et la chambre des pairs repoussa la loi dans deux sessions consécutives. Elle ne voulut pas attribuer au pouvoir exécutif cette faculté immense de créer des personnes civiles.

Voilà ce que fit en 1825 la chambre des pairs de MM. de Villèle et de Peyronnet, admettra-t-on que la Chambre belge de 1857 peut aller plus loin que la chambre des pairs de 1825 ? Je vous en laisse juges, messieurs.

La loi du 24 mars 1825 porte :

« Aucune congrégation religieuse de femmes ne sera autorisée que par une loi, après que les statuts auront été vérifiés et enregistrés au conseil d’Etat. »

Et ces formalités que devaient subir les statuts avant de pouvoir faire l'objet d'un projet de loi étaient très sévères et très nombreuses.

(page 1377) Eh bien, messieurs, il faut lire les débats qui ont eu lieu à cette époque, il faut lire comment les hommes les plus conservateurs de France et les plus catholiques se récriaient contre le danger de confier au gouvernement un pareil pouvoir, comment ils traitaient alors la question des corporations religieuses.

C’était aussi à cette époque qu'un monarchiste catholique, M. de Montlosier, dénonçait, tantôt à la chambre des pairs, tantôt aux tribunaux, l'invasion des corporations religieuses, et que faisait, messieurs, le pouvoir judiciaire de la Restauration ? La cour de Paris, toutes chambres réunies, au nombre de cinquante-sept membres, se déclara, à la vérité, incompétente pour prononcer la suppression des corporations religieuses, dénoncées comme illégales par M. de Montlosier, mais elle déclara, en même temps, l'illégalité de ces corporations.

Un peu plus tard quand la France, toujours monarchique et religieuse, commença à respirer sous le ministère de M. Martignac, on supprima les établissements dirigés par les jésuites.

Et, messieurs, y en avait-il un très grand nombre ? Il y en avait 7. Ils furent supprimés par une ordonnance de Charles Martignac contresignée par M. Feutrier, évêque de Beauvais. (Interruption). Je compare les époques et je dis que vous êtes plus avancés aujourd'hui qu'on l'était alors.

M. Dumortier. - En liberté.

M. Rogier. - En liberté et en corporations religieuses.

Lorsque la chambre des pairs (ceci, messieurs, est de l'histoire et c’est très important), lorsque la chambre des pairs repoussait comme un danger cette faculté laissée au pouvoir exécutif de créer des personnes civiles, savez-vous combien la France comptait de communautés religieuses ? Le ministère en citait le nombre, comme le ministère belge cite le nombre de celles qui existent chez nous ; il y en avait 6,800$ pour toute la France. Dans notre pays qui est huit fois plus petit, nous en comptons aujourd'hui au-delà de neuf cents.

- Un membre. - Neuf cent quarante-cinq.

M. Rogier. - Car en dépit du système restrictif qu'on nous a reproché, les communautés religieuses ont pu, en quelques années, s'élever à un tel chiffre.

Le clergé français à cette époque avait encore à subir les déclarations comme d’abus. Si un membre du clergé s’était avisé, par exemple, de déclarer la guerre à l’université de France, aux établissements d’instruction publique, croyez-vous que l’eût laissé faire impunément ? Non ; il eût été immédiatement dénoncé au conseil d’État ; il aurait été frappé d’un appel comme d’abus. Il aurait pu en rire ; mais le stigmate officiel n’en eût pas moins été imprimé sur son front. Il lui en serait arrivé comme il en est arrivé quelques années plus tard à l’évêque de Chalons qui s’était permis d’attaquer l’université et de félicité un abbé, fort connu depuis quelques temps en Belgique, d’avoir attaqué la même institution, il fut frappé d’un appel comme d’abus. Et ce qui s’est passé récemment en France montre que cet usage n’y est pas encore aboli.

Il y a plus : à cette époque où l'on représentait la France comme entièrement livrée au joug ultramontain, quel était le rôle du clergé français dans les élections ? Voyait-on ce clergé, comme celui de notre pays, se mettre à la tête des électeurs ; le voyait-on enrégimenter, fanatiser les paysans pour marcher à l’assaut d'une candidature électorale ? Non, le clergé français s'abstenait avec le plus grand soin de pareilles démonstrations ; et bien lui en a pris. Si le clergé s'était mêlé activement à la politique militante sous la restauration, que serait-il arrivé ? C'est que le mouvement de 1830, au lieu d’être en quelque sorte dirigé exclusivement contre la dynastie, aurait été non moins vivement dirigé contre la clergé et qu'avec la vieille dynastie le vieux clergé aurait succombé.

Le clergé, sous la restauration, ne se mêlait donc pas aux luttes électorales, comme cela se fait malheureusement en Belgique ; et sous ce rapport il y a une distinction remarquable entre la Belgique de 1857 et la France ultramontaine de 1824 à 1827.

Je viens de parler d'élections : cela me rappelle que M. le ministre de la justice a bien voulu faire allusion aux élections, sans doute pour nous provoquer à une discussion politique, car je ne sais pas sans cela ce que l'élection d'Anvers serait venue faire dans cette question ; mais puisqu'on nous convie à une discussion politique, voyons !

Le système qui consiste à exiger des garanties à l'égard des administrateurs spéciaux, garanties qu'on se vante de proposer aujourd'hui ; ce système, dit-on, a été blâmé généralement dans le pays ; il a été condamné hautement par les électeurs. Autant le projet de lui actuel excita l'enthousiasme de toutes les communes, autant le système que ce projet doit remplacer excite les répugnances du pays. En effet, les hommes politiques qui avaient pratiqué ce système en sont tombés victimes dans les élections, notamment à Anvers.

Messieurs, j'ai été charmé d'apprendre enfin les motifs de mon exclusion à Anvers. Je ne les avais pas aperçus jusqu'à présent. J'avais obtenu les deux tiers des voix des électeurs véritablement anversois ; voilà la marque de réprobation que m'a infligée la ville d'Anvers ; mais comment ayant obtenu les suffrages de la grande majorité des électeurs notables de cette ville, me suis-je trouvé éliminé par quelques voix ?

Il y a, dans l'arrondissement d'Anvers, un canton, le moins industriel et le moins commerçant de tous ; ce canton renferme 300 électeurs qui votent comme un seul homme à la vox de leurs pasteurs. Aucun de ces électeurs ne fait, presque jamais, défaut ; eh bien, ce bataillon de 300 est venu peser de tout son poids sur l'élection, conduit par les curés, desservants, vicaires,etc., et a fait pencher la balance contre moi. Et voilà comment le candidat qui avait obtenu la grande majorité des suffrages des électeurs anversois s'est trouvé éliminé ; ce n'est pas du tout parce qu'il a voulu entourer la gestion des administrateurs spéciaux de précautions que M. le ministre de la justice reconnaît aujourd’hui indispensables.

D’ailleurs, quelle hase d'appréciation de la part de M. le ministre de la justice ! L'élimination d'un membre, d'un système à Anvers, serait le signe de l’opinion publique ; mais la défaite électorale d'un autre homme qui a beau dire n'être qu'un accident, qui est bien un système personnifié, que signifie-t-elle ? Le système de transaction et de conciliation de la part d’un ancien libéral, ce système n'a-t-il pas été vaincu, terriblement vaincu dans la personne de M. le ministre de la justice, repoussé par les électeurs de Thuin en dépit de son projet de loi qui excitait, semble-t-il, un enthousiasme, général dans toutes les communes du royaume ? Les électeurs de l'arrondissement de Thuin sont de véritables ingrats ; c'est à ne leur jamais pardonner !

Mais Bruxelles, où la caisse communale contribue pour une forte somme à l'alimentation de la caisse des pauvres ; Bruxelles doit être charmé aussi de voir une loi qui désormais affranchira les communes de cette charge ; les fonds vont tellement affluer aux établissements charitables orthodoxes, que l'intervention pécuniaire des communes ne sera plus nécessaire. Le communes ne devront plus subsidier les bureaux de bienfaisance, de même qu'elles n'auraient plu» à subsidier leurs écoles, alors que leurs écoles seraient fermées !

Mais enfin la ville de Bruxelles devait aussi être charmée de cette loi ; elle devait repousser l'ancien système, comme Anvers l'a repoussé ; mais ne voilà-t-il pas qu'elle accueille ce système à la presque unanimité des voix ?

Je ne me vante pas de ce succès électoral. Je constate seulement que la capitale n'a pas condamné en ma personne un système que M. le ministre de la justice a. cru généralement réprouvé par l'opinion publique.

Je suis fâché que M. le ministre de la justice n'ait pas eu l'idée de nous citer, dans la séance de mardi dernier, le résultat probable d'une autre élection qui devait avoir lieu le lendemain ; il eût été assez piquant de l'entendre s'écrier : » Vous verrez demain ce que les électeurs de Soignies feront de votre système ! »

M. le ministre de la justice a bien fait de s'abstenir de cette allusion, car de l'élection de Soignies, il ne peut tirer argument en faveur de son projet de loi, il en conviendra.

On me fait observer encore comme signe caractéristique d'l'opinion publique, l'élection de notre honorable ami, M. de Brouckere, à Mons. Il est l'auteur de ce projet que vous trouvez insuffisant ou destructif de la charité privée, puisque vous l'avez retiré et entièrement bouleversé.

Ce projet avait rallié l'opinion libérale ; c'était le cas, pour l’opinion favorable aux administrateurs spéciaux, d'administrer une leçon publique à l’honorable M. de Brouckere. Mais les électeurs de Mons y voient clair, et M. de Brouckere a été nommé à une grande majorité.

J'engage donc mes amis politiques à ne pas trop se préoccuper des menaces qu'on peut leur adresser du chef du vote qu'ils émettront sur la loi en discussion.

Je crois que si le pays par les électeurs a à se prononcer entre les partisans d'une loi qui doit avoir pour effet le rétablissement des couvents, et ses adversaires, je crois que le pays pour peu qu'on lui laisse la liberté d'agir, fera une justice complète des partisans du régime qu'on veut inaugurer aujourd’hui.

Je suis dans la plus complète sécurité pour mes amis et pour moi-même. Nous nous présenterons pleins de confiance devant les électeurs après avoir repoussé le projet de loi. Je suis convaincu qu'ils ne donneront tort à aucun de ceux qui auront voté comme nous.

- Plusieurs voix. - A lundi ! Vous devez être fatigué.

M. Rogier. - Je ne pourrai pas continuer lundi, vous pouvez considérer mon discours comme terminé ; j'aurai d'ailleurs occasion de reprendre la parole.

- La discussion est continuée à lundi.

La séance est levée à 4 heures et demie.