(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)
(page 1185) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.
M. Tack donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
M. Coomans. - Selon les précédents de la Chambre, je crois pourvoir faire, à propos de la lecture du procès-verbal, une observation sur nos Annales parlementaires. Je dois faire remarquer que l'impression du compte rendu de nos séances se fait avec une inexactitude et avec une légèreté réellement déplorables.
Dans la moitié du compte rendu de la séance d'hier publié jusqu'à présent, je pourrais vous signaler une dizaine d'erreurs graves. J'en indiquerai une : dans l'appel nominal le plus important qui a eu lieu, on annonce, ce qui est vrai, que la minorité s'est composée de 27 membres, et l'on n'en nomme que 21, de manière que 6 membres qui se sont prononcés dans le sens de la minorité ont eu l'air, aux yeux des lecteurs des Annales, d'avoir reculé devant le vote et d'avoir quitté la salle.
En ce qui me concerne, je tiens à déclarer que j'ai pris part au vote et que j'en ai émis un conforme aux observations que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre.
Je désire que les honorables questeurs, qui sont plus spéciales chargés de surveiller la bonne rédaction et la bonne impression du compte rendu de nos séances, prennent des mesures afin que des abus de ce genre, qui se reproduisent trop souvent, ne soient pas signalés sans cesse à la tribune.
C'est le seul but de mes observations.
M. de Baillet-Latour. - Nous prêterons la plus sérieuse attention aux observations de l'honorable M. Coomans ; il y sera fait droit pour autant qu'elles concernent la questure.
- La rédaction du procès-verbal est adoptée.
M. Crombez présente l'analyse des pièces suivantes.
« Des propriétaires, industriels, exploitants de minerais et commerçants à Cerfontaine, prient la Chambre de donner une application temporaire aux nouveaux droits sur la fonte et le fer, d'autoriser le gouvernement à augmenter ces droits dans certaines limites et de permettre la sortie de tous les minerais de fer, moyennant certains droits de douane. »
« Même demande de propriétaires et industriels à Laneffe. »
M. de Baillet-Latour. - Je demande que ces requêtes soient renvoyées, comme celles du même genre, à la commission permanente d'industrie, pour qu'elles soient comprises dans le rapport qui sera fait incessamment.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Montefiori demande la libre entrée des minerais de nickel bruts ou fondus, des malles, speiss et autres matières contenant du nickel. »
- Même renvoi.
« Le sieur Regnier-Poncelet demande soit le maintien de l'exemption des droits sur les fers étrangers qui sont convertis en acier dans notre pays, soit un droit d'entrée de fr. 4-64 par 100 kilog., sur les aciers en barres et en tôles. »
- Même renvoi.
« Des brigadiers et gardes forestiers de la forêt de Soignes demandent une augmentation de traitement. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant les traitements des employés inférieurs de l'Etat.
« Le sieur Demeyer, ancien portier de la maison pénitentiaire de St-Hubert, combattant de la révolution, demande le bénéfice de dix années de service accordé aux décorés de la croix de Fer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des instituteurs primaires du canton de St-Hubert demandent que leur position soit améliorée. »
- Même renvoi.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le Roi m'a chargé de présenter à la Chambre deux projets de loi dont je vais indiquer l'objet.
Le premier tend à autoriser M. le ministre de la guerre à faire porter au débit des corps de l'armée et au crédit de l'Etat dans le revenu général de la comptabilité, une somme de 441,305 fr. 28 c.
Le second a pour objet d'apporter une modification ou plutôt d'ajouter un quatrième paragraphe à l'article 16 de la loi sur la comptabilité de l'Etat.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi ; la Chambre en ordonne l'impression de la distribution.
M. Osy. - Les deux projets que vient de déposer M. le ministre des finances sont la conclusion de la commission des finances sur la proposition de l'honorable M. Thiéfry qui lui avait été renvoyée. Je crois que, comme cette commission a déjà connu de l'affaire, il serait convenable de lai renvoyer ces deux projets.
- Les deux projets de loi sont renvoyés à l'examen de la commission des finances.
La discussion est ouverte sur l'article unique du projet, ainsi conçu :
« Article unique. Le gouvernement est autorisé à céder gratuitement à la province de Hainaut les bâtiments et constructions qui constituaient ci-devant la maison d'arrêt de Charleroi, et qui avaient été élevés sur des terrains appartenant à la ville de Charleroi. »
M. de Paul. - Je crois inutile de rien ajouter au rapport très complet, du reste, qui a été présenté sur le projet soumis à nos délibérations.
Ce projet de loi n'a pas rencontré de contraditeur dans les sections, il n'en rencontrera pas davantage dans cette assemblée.
Mais je saisis cette occasion pour rappeler à la Chambre que le tribunal de Charleroi se trouve dans une position tout exceptionnelle ; s'il est urgent de pourvoir à l'insuffisance des locaux affectés au service de ce tribunal, il est bien plus urgent encore de pourvoir à l'insuffisance numérique de son personnel. Quels que soient le zèle et l'infatigable activité des membres de ce tribunal, il n'est pas moins vrai de dire que l'arrondissement de Charleroi se trouve sous le coup d'un déni de justice permanent. Plusieurs pétitions ont signalé cet état de choses. Ces pétitions, messieurs, ont été renvoyées à la commission chargée de l'examen du projet de loi relatif à la réorganisation judiciaire. La Chambre, par ce renvoi, a voulu faire chose utile.
Nécessairement elle a entendu que ces pétitions fissent l'objet d'un examen prompt et d'un rapport spécial. Je regrette que le président de cette commission, l'honorable M. Orts, soit absent. Je le prierais de bien vouloir réunir la commission afin qu'elle puisse nous présenter un rapport le plus tôt possible.
Je ne crois pas, du reste, que le gouvernement soir opposé à l'augmentation du personnel du tribunal de Charleroi ; comme tout le monde, il en reconnaît l'indispensable nécessité ; il ne peut que se joindre à moi pour demander un prompt rapport.
- La discussion est close.
Il est procédé au vote par appel nominal.
Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 59 membres qui ont répondu à l'appel.
Il sera transmis au Sénat.
Ont adopté : MM. Verhaegen, Vermeire, Vervoort, Vilain XIIII, Wasseige, Wautelet, Allard, Calmeyn, Coomans, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, Dedecker, de Haerne, de Kerchove, de La Coste, de Lexhy, Delfosse, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Paul, de Perceval, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Theux, de T'Serclaes, Dubus, Dumon, Jouret, Julliot, Lambin, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Licot de Nismes, Magherman, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Osy, Rodenbach, Sinave, Snoy, Tack, Thiéfry, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe et de Naeyer.
L'article unique de la disposition de loi due à l'initiative de MM. X.. Lelièvre, Rodenbach, de Kerchove, Coomans, Léon Pierre, P. Van Tieghem, Ed. de Moor, Lambin, Della Faille de Leverghem et David, est ainsi conçu :
« Article unique. Les dispositions suivantes sont ajoutées à l'article 55 de la loi du 21 juillet 1844, sur les pensions :
« Toutefois, le gouvernement peut autoriser les veuves sans enfant à convoler en secondes noces. En ce cas, elles perdent la moitié de leur pension.
« Les enfants issus du nouveau mariage n’ont aucun droit à la réversion de la pension dont la veuve remariée conservait la jouissance. »
(page 1186) La section centrale qui a examiné le projet de loi propose une rédaction nouvelle, qui est ainsi conçue :
« Article unique. Par dérogation à l’article 55 de la loi du 21 juillet 1844, la veuve sans enfant, qui se remarie, ne perd que la moitié de la pension. »
M. Coomans. - Messieurs, l'honorable M. Lelièvre, rapporteur de la section centrale, prévoyant que le projet de loi que nous avons eu l'honneur de soumettre à la Chambre ne rencontrera pas beaucoup d'opposition, m'a prié hier de donner, au besoin, les explications que la Chambre pourrait encore désirer. Si cet arrangement agrée à la Chambre, je suis à sa disposition.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, ainsi que M. le président vient de le faire remarquer, ce projet de loi est dû à l’initiative de plusieurs membres de la Chambre ; le gouvernement, après l'avoir examiné, a reconnu que la disposition proposée, loin d'avoir des effets préjudiciables aux caisses des veuves et orphelins, leur sera plutôt avantageuse ; le gouvernement ne trouve donc aucune difficulté à se rallier à la proposition de loi ; il la considère comme équitable, et en même temps comme fructueuse pour les caisses.
M. de Naeyer. - Vous ralliez-vous à la rédaction proposée par la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Oui, M. le président.
M. de Naeyer. - Alors il est entendu que la discussion s'établira sur le projet de la section centrale. La parole est à M. Vander Donckt.
M. Vander Donckt. - Messieurs, le projet de loi qui est soumis à vos délibérations n'est pas neuf.
Déjà en 1852, une semblable proposition de loi vous a été présentée, elle a fait l'objet d'un examen des plus sérieux de la part de l'honorable prédécesseur de M. le ministre des finances.
Le ministère de cette époque s'est formellement prononcé contre ce projet de loi, parce que non seulement il est inutile au point de vue de la morale, mais il est nuisible aux fonctionnaires, à ceux qui alimentent cette caisse, c'est-à-dire aux employés qui doivent fournir ce fonds ; si elle est inutile au point de vue de la moralité, pourquoi donc cette proposition de loi est-elle produite ? Pour répondre à la demande de quelques veuves remariées aujourd'hui déjà et qui voudraient rentrer dans la possession de leur pension.
S'il y avait contestation à cet égard, je suis prêt à en fournir les preuves matérielles, car j'ai en main les pétitions adressées à la Chambre à ce sujet.
Ainsi il s'agit d'accorder un privilège à quelques veuves, car en principe, quand feu notre honorable collègue M. Destriveaux a produit son projet de loi, il s'appliquait à toutes les veuves en général, qu'elles aient des enfants ou non. Depuis, le projet a été modifié, on s'est borné à l'appliquer aux veuves sans enfant. C'est donc un privilège qu'on demande pour les veuves sans enfant ; je ne vois pas pourquoi on ne permettrait pas dans des conditions convenables, aux veuves ayant des enfants, de convoler en secondes noces. Le principal point à examiner, c'est l'état de la caisse sous le rapport financier.
Or le ministre des finances d'alors, l'honorable M. Liedts nous disait que la mesure était très onéreuse aux intérêts de la caisse. Vous me permettrez de lire quelques passages de la réponse qu'il a faite aux demandes de la section centrale de cette époque.
Je dis en outre que ceci concerne non seulement les intérêts de la caisse, mais des contribuables de la caisse.
« Il est vrai que les retenues n'ont pas atteint le maximum de 5 p. c. fixé par l'article 34 de la loi du 21 juillet 1844, mais si l'on considère qu'indépendamment des retenues ordinaires de 5 et de 2 1/2 pour cent que subissent tous les fonctionnaires et employés, il en est d'autres, et en assez grand nombre, sur lesquels on prélève pour mariage, disproportion d'âge, surnumérariat, services militaires, augmentation de traitement, etc., des sommes qui sont équivalentes à 7 et même à 10 p. c. 11 faut y ajouter la retenue de 1 p. c. opérée au profit du trésor, en vertu de la loi du 17 février 1849, et qui est venue rendre la position des employés beaucoup plus onéreuse.
« En présence de charges déjà si lourdes imposées aux fonctionnaires, le gouvernement ne peut donner les mains à une proposition qui les astreindrait à de nouveaux sacrifices, alors surtout qu'il importe de réserver, pour l'époque à laquelle les dépenses normales des caisses pourrait être appréciées, des ressources pour des besoins réels et prévus par les statuts. »
Or, messieurs, ne nous faisons pas illusion, les caisses des veuves sont en quelque sorte des institutions particulières alimentées par les retenues sur les traitements des fonctionnaires, et lorsque les statuts des caisses ont été approuvés, il a été dit et stipulé expressément : qu'en aucun cas les caisses ne pourront être subsidiées par le trésor public (article 30, paragraphe 2 de la loi du 21 juillet 1854).
Or, si aujourd'hui, sans avoir l'avis des administrations de ces caisses, vous touchez légèrement aux statuts, vous contractez par cela même l'engagement, dans le cas où ces caisses seraient en souffrance, de venir les alimenter par des subsides.
Car, en définitive, on ne vous demande rien. Qui est-ce qui réclame ici ? Sont-ce des fonctionnaires ? Non, les fonctionnaires ne se plaignent pas.
M. de Mérode-Westerloo. - Ils sont morts.
M. Vander Donckt. - Les fonctionnaires actuels qui alimentent la caisse ne se plaignent pas, et ceux-là ne sont pas morts. Ce sont eux qui alimentent les caisses par des retenues sur leurs traitements, qui vont à 2 1/2 et 3 p. c. et jusqu'à 7 et 10 p. c, comme nous l'a dit l'honorable ministre de cette époque, et cela outre le 1 p. c. payé au trésor en vertu de la loi du 17 février 1849.
Ces retenues sont une charge fort lourde, et ce n'est pas un moyen de les alléger que de continuer la pension aux veuves qui se remarient.
Je dis donc que, sous le point de vue financier, il est très dangereux de toucher aux statuts de ces caisses et je demande formellement qu'avant d'y apporter la moindre modification, la Chambre prenne l'avis motivé des administrations des caisses. Car, je le répète, il s'agit plutôt ici d'une institution particulière que d'une caisse du gouvernement. Or, si c'est une institution particulière régie par un conseil d'administration particulier nous devons prendre l'avis de ce conseil d'administration avant d'exposer le trésor à devoir lui venir en aide.
Au reste, l'honorable ministre, lorsqu'il a été consulté à cet égard, n'a pas dit que la proposition ne présentait aucun danger ; il s'est borné à émettre un doute, et ce doute avait été non seulement appuyé, mais renforcé par son honorable prédécesseur, qui n'a pas hésité un instant à déclarer que ce projet de loi devait être onéreux à la caisse.
L'honorable rapporteur a tiré des paroles de M. le ministre cette conclusion : Cette réponse a fait cesser tout doute, et l'on peut, sans exposer le trésor public, passer outre au vote de la proposition. J'en déduis des conséquences toutes contraires. L'honorable ministre se borne à émettre un doute ; il ne prend pas sur lui la responsabilité des conséquences de cette proposition, il ne garantit pas que les caisses ne seront pas un jour constituées en déficit.
Par ces motifs je m'oppose à l'adoption du projet de loi.
M. Vanden Branden de Reeth. - Je viens, non seulement appuyer le projet qui est en ce moment soumis à votre examen, mais encore demander que vous lui donniez une certaine extension, en rendant la disposition applicable aux veuves avec enfants qui se remarient. Dans ce but, je déposerai un amendement qui, d'ailleurs, sera très simple, puisqu'il consistera à supprimer de l'article unique en discussion les mots « sans enfants ».
L'honorable auteur de la proposition, qui est en même temps le rédacteur du rapport, fait valoir, à l'appui de la proposition qu'il nous soumet, les motifs suivants : il dit que l'article 55 de la loi du 21 juillet 1841 consacre une disposition qui n'est pas en harmonie avec les principes de notre législation, que cette disposition entrave sans nécessité l'exercice d'une liberté naturelle ; que la veuve, craignant de perdre sa pension, contracte des alliances qui sont réprouvées par nos lois et par la morale ; qu'il y a là un danger pour la société, un scandale qu'il importe de faire cesser.
L'honorable M. Lelièvre fait encore voir que la législation actuelle consacre une véritable injustice ; que la veuve, par suite des retenues annuelles, a un certain droit acquis à une partie de la pension ; que la plupart des mariages sont contractés sous le régime de la communauté ; que par conséquent les veuves ont contribué de leurs propres deniers au fonds des caisses ; qu'il y a donc là un droit acquis, et que priver ces veuves de la pension, c'est une injustice, c'est une spoliation.
Voilà, messieurs, les raisons que fait valoir l'honorable M. Lelièvre, et je crois qu'elles sont suffisantes pour motiver une modification à la loi.
Mais je le demande, y a-t-il une seule de ces raisons qui ne soit applicable complètement, de la manière la plus absolue aux veuves avec enfants ?
Un mal moral vous est signalé, et l’auteur de la proposition vous demande d'y porter un demi-remède en appliquant seulement la disposition aux veuves sans enfants.
Si le mal existe, il faut le guérir complètement et le remède ne peut être complet que si vous rendez la disposition générale. D'un autre côté, s'il y a ici une injustice, comme le reconnaît le rapport, ne vous bornez pas à demander une partie de la réparation, mais qu'elle soit entière.
Messieurs, la proposition que je défends avait été mise en avant dans la section centrale, mais elle n'y a pas été admise par la majorité ; quatre voix l'ont rejetée, deux l'ont admise. Je dois dire, en passant, que j'avais l'honneur de faire partie de la section centrale et que, par des circonstances indépendantes de ma volonté, je n'ai pu assister à la réunion où cette question a été débattue. Sans cela, je me serais joint à la minorité et par conséquent la différence n'aurait été que d'une seule voix.
J’ai voulu voir quelles étaient les raisons qui avaient fait rejeter cette proposition, et voici ce que je trouve dans le rapport. L’honorable rapporteur dit : « La majorité a été d'avis que de tout temps, sous le rapport du convoi en secondes noces, on a établi une différence entre les veuves sans enfant et celles qui ont retenu des enfants de leur mariage. »
Ainsi on a rejeté la proposition parce qu'on a établi une différence entre les veuves sans enfant et celles qui ont des enfants. Mais pourquoi a-t-on établi cette différente ? C'est ce qu'on ne dit pas.
Eh bien, c'est ce pourquoi que je cherche et je ne le trouve pas dans la circonstance qui nous occupe.
(page 1187) Il est vrai que je trouve plus loin une espèce de raison alléguée par l'honorable rapporteur. Il dit « Ne perdons pas de vue que le maintien de la pension de la veuve, nonobstant le convol, porterait un préjudice réel aux enfants du premier lit, encore orphelins, dont la pension s'accroît dans certaine mesure, lorsque celle de la veuve vient à cesser. »
En effet, messieurs, lorsqu'une veuve se remarie, la portion des enfants est augmentée. Mais cette augmentation est très peu considérable. Si vous acceptez la proposition que j'ai l'honneur de vous faire, la veuve conservera la moitié de sa pension, et dans tous les cas, cette moitié sera plus considérable que l'augmentation qui pourrait être accordée aux orphelins.
On peut me dire : C'est toujours un préjudice que vous faites aux orphelins ! Mais je ferai remarquer que les enfants ne touchent cette pension que jusqu'à l'âge de 18 ans. Or, ce n'est pas à l'enfant au-dessous de 18 ans qu'on paye la pension, c'est à la mère. L'argent entre dans le ménage commun, et si vous conservez à la veuve la moitié de la pension, la position de la famille sera toujours meilleure qu'elle ne le serait dans le cas où l'on augmenterait quelque peu la pension des enfants en supprimant complètement celle de la veuve.
L'honorable M. Vander Donckt a fait valoir une considération non seulement contre la disposition que je défends, mais contre le projet en général : c'est le danger que pourraient courir le trésor et notamment la caisse même des veuves et orphelins. Mais ce danger est tout à lait imaginaire ; il ne peut exister. En effet, par la note qui a été insérée dans le rapport et qui émane du gouvernement, nous voyons que de 1844 jusqu'en 1856 il y a eu 34 mariages : c'est-à-dire une moyenne de moins de 3 mariages par an ; et que la somme qui a été acquise à la caisse par suite de la suppression des pensions de ces veuves s'élève, pour les douze années, à 8,800 francs, ce qui fait, par année, eu moyenne 733 francs.
Voilà donc la mesure du danger que court la caisse ; c'est une perte de 733 francs par an, eu supposant qu'il ne se contracte pas un seul mariage par suite même de la disposition qui vous est soumise.
Or, le projet doit produire des effets ou ne doit pas en produire. S'il ne doit pas en produire, il est inutile de le voter ; si le contraire a lieu (et je suis certain qu'à l'avenir le nombre des mariages sera plus grand.) le résultat sera avantageux pour la caisse.
Pour que la caisse n'éprouve aucune perte, il suffira d'un nombre de mariages double de celui d'aujourd'hui, c'est-à-dire, six mariages par an. Mais si vous étendez la disposition aux veuves avec enfants, l'avantage sera plus grand encore, parce que vous aurez un plus grand nombre de mariages.
Cela est de la dernière évidence ; plus il y aura de mariages, plus il y aura de bénéfices pour la caisse. D'un autre côté, si l'état de choses actuel est maintenu, les veuves ne se remarieront pas, l'atteinte à la morale que l'on a signalée persistera et la caisse continuera à payer les pensions intégralement.
Je ne vois donc aucune espèce de raison pour ne pas adopter la disposition dans son entier. Les motifs de morale, les motifs d'équité sont les mêmes dans l'un cas comme dans l'autre, et d'autre part, les intérêts de la caisse sont saufs.
Je suis persuadé que si l'auteur de la proposition était ici, il se rallierait à mon amendement. J'espère que le gouvernement l'accueillera favorablement et que la Chambre voudra bien l'adopter.
M. de Naeyer. - M. David vient de proposer un autre amendement qui consiste à rédiger l'article comme suit :
« La veuve sans enfant qui se remarie perd la moitié de la pension. »
M. David. - Messieurs, nous avons pensé que l'article unique n'était pas rédigé en véritable style législatif ; j'ai proposé la rédaction qui nous est soumise ; je ne pense pas qu'on puisse dire dans la loi : « La veuve ne perd que la moitié de la pension, » il vaut mieux dire ; « la veuve perd la moitié de la pension. » Il est inutile aussi de dire dans l'article : « Par dérogation à l'article 55 de la loi du 21 juillet 1844 » puisque par le fait même on déroge à cette loi.
Je suis un des auteurs de la proposition, et si nous n'y avons pas compris les veuves avec enfants, c'est qu'une première proposition, faite par l'honorable M. Destriveaux, avait été rejetée, précisément parce qu'elle était onéreuse à la caisse ; nous avons voulu éviter cet écueil pour que la loi pût passer devant la Chambre actuelle ; et c'est dans cette intention que l'article a été formulé, tel qu'il l'est maintenant.
M. Coomans. - Messieurs, je crois devoir déclarer d'abord que l'observation grammaticale faite par l'honorable M. David me semble juste et qu'il y a lieu ainsi de modifier la rédaction dans le sens qu'il indique.
Les objections qui ont été présentées par l’honorable M. Vander Donckt se rapportent plutôt à la proposition première formulée par l'honorable M. Destriveaux, proposition que j'ai eu l'honneur de signer et qui aurait été certainement adoptée en principe, si une mort trop prématurée ne nous avait enlevé cet ancien et honorable collègue.
A cette époque, on fit à la proposition deux objections. La première consistait à dire qu'il pouvait y avoir des inconvénients, au point de vue des enfants, à faciliter le mariage de veuves. Je prie l'honorable M. Vander Donckt de remarquer qu'il n'a jamais pu s'agir d'interdire aux veuves le mariage ; qu'il s'est agi seulement de l'entraver ou de le faciliter. Le droit naturel de se marier n'a jamais pu leur être enlevé. Or, nous avons eu égard à l'objection, puisque nous excluons du projet de loi les veuves avec enfants.
L'autre objection me semble moins grave, mais a paru très sérieuse à quelques membres. On craignait qu'en laissant aux veuves une trop forte part de la pension, on ne si privât du bénéfice que fournissaient aux caisses les mariages subséquents des veuves.
Ces deux objections parurent très fortes, et le ministre des finances de cette époque, l'honorable M. Liedts, qui approuvait le principe de la loi, les trouva si sérieuses qu'il ne put nous accorder son appui.
Or, messieurs, j'ai l'honneur de faire observer que ces deux objections graves, les seules qu'on ait jamais formulées, n'existent plus ; elles viennent tomber devant la rédaction de la loi nouvelle. La faveur que nous accordons aux veuves ne concerne plus que celles qui n'ont pas d'enfant, et elle est renfermés dans des limites telles, que les caisses, loin d'y perdre, y gagneront, d'abord pour les motifs que nous a exposés clairement l'honorable M. Vanden Brandon de Reeth et par d'autres encore que j'aurais l'honneur de faire connaître à la Chambre, si elle le jugeait nécessaire. Mais la déclaration du gouvernement, appuyée sur celle des administrateurs des caisses, doit nous suffire.
Aux yeux de beaucoup de membres, il ne pouvait y avoir qu'un motif pour ne pas faciliter le mariage des veuves : c'était la crainte fondée de faire tort aux caisses, car je reconnais avec tout le monde qu'il ne s'agit pas pour le trésor public de venir désormais en aide aux caisses.
Or, la combinaison que nous avons trouvée et qui a été agréée dès le principe par le gouvernement et par les administrateurs les plus expérimentés de plusieurs départements ; cette combinaison est telle, que les caisses vont y gagner énormément.
Ainsi, le mariage de veuve, avec ou sans enfants, ne rapporte aujourd'hui, année moyenne, qu'un bénéfice de 700 fr. environ.
Or, il résulte de calculs faciles à faire que dès la première année le bénéfice des caisses excédera de beaucoup cette faible somme, et il n'y a pas de doute que ce bénéfice ne devienne plus tard très important pour les caisses, c'est-à-dire que nous aurons désormais une garantie de plus en faveur du trésor.
Un honorable membre demande que la proposition de loi soit étendue aux veuves avec enfants ; je ne puis pas souscrire à cet amendement et je dois le dire au nom de tous les auteurs de la proposition de loi : nous aimons mieux nous en tenir à l'espèce d'accord qui s'est établi entre nous et le gouvernement ; nous apportons une amélioration sensible à l'état de choses qui existe ; faisons cette expérience, et si les caisses s'en trouvent bien, comme je n'en doute pas, nous examinerons alors s'il y a lieu d'étendre le principe que nous désirons voir introduire aujourd'hui dans la législation.
On a dit que l'ancien ministre des finances, l'honorable M. Liedts, s'était opposé à la proposition de loi ; je sais que c'est une erreur ; l'honorable M. Liedts s'est opposé à la proposition de loi qui avait été présentée par l'honorable M. Destriveaux, et il s'y est opposé pour les deux motifs que j'ai eu l'honneur d'indiquer à la Chambre ; mais quant au principe même, il l'approuvait comme nous devons l'approuver tous.
Je pense que je puis me borner à ces courtes explications.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, j'appuie sur l'observation qui vient d'être faite par l'honorable préopinant, à savoir que ce projet diffère essentiellement de celui qui avait été présenté par l'honorable M. Destriveaux et qui n'a pas été adopté par la Chambre. En réponse aux observations de l'honorable M. Vander Donckt, j'ajouterai que la proposition des honorables membres a été soumise à plusieurs des principaux fonctionnaires qui fout partie de l'administration des caisses des veuves et orphelins et que, dans leur opinion, la mesure, telle qu'elle est proposée, a toute chance d'être favorable aux caisses. Cette opinion me parait être fondée. Aujourd'hui les veuves sans enfants, qui ont une pension plus ou moins considérable, ne se remariant pas, vu qu'elles la perdraient tout entière ; en se remariant, elles procureront à la caisse un bénéfice de moitié de cette pension. Les raisons qui peuvent militer pour qu'il soit mis obstacle à ce que les veuves pensionnées ayant des enfants ne se remarient pas ne s'appliquent pas aux veuves sans enfant.
M. Vander Donckt. - Messieurs, je ne répondrai que quelques mots pour faire voir que l'honorable prédécesseur de M. le ministre des finances actuel était, en principe, opposé à la proposition de loi. J'ai déjà eu l'honneur de vous dire que lorsqu’en 1852 ce projet de loi a été présenté, il a subi un examen approfondi de la part du gouvernement et de la section centrale ; plusieurs questions ont été adressées au gouvernement. Voici ces questions et les réponses qui y ont été faites :
« Le gouvernement serait-il encore contraire au principe de la proposition ainsi restreinte aux veuves sans enfant et avec de nouvelles réductions sur le taux des pensions ? »
Voilà bien la proposition actuelle.
Voici ce que le ministre répondit :
« Les raisons déduites dans la note du 15 novembre 1852 pour combattre le principe de la proposition primitive soûl applicables en tous points à la proposition restreinte aux veuves sans enfant de moins de 18 ans. »
Voilà donc bien la preuve la plus claire que le prédécesseur de M. le ministre actuel était contraire au projet de loi.
(page 1188) Mais, messieurs, ce n'est pas tout, il y a eu une autre question posée au gouvernement, c'est celle-ci : quelle est la moyenne de l'âge d'admission des veuves a la pension ? La réponse a été que cette moyenne, établie au 31 décembre 1851, présentait le résultat suivant :
« Veuves sans enfant, 57 ans et 3 mois.
« Veuves avec enfants, 42 ans. »
Or, comme dit M. le ministre, l'âge des passions est passé ; ce n'est pas quand une veuve est arrivée à l'âge de 57 ans, qu'il y a lieu, dans l'intérêt de la morale, de modifier la loi et de faire une exception, de constituer un privilège pour une catégorie à l'exclusion de toutes les autres.
Voilà la statistique communiquée à la section centrale qui l'avait demandée.
Je le répète, il n'y a là aucun motif sérieux pour modifier la loi. Je puis même qualifier de futiles ceux qu'on a produits.
Sous le rapport de la moralité, voici ce que le ministre disait :
« Est-il vrai qu'en présence de la disposition actuelle de l'article 55 les veuves renoncent à se marier ? Cela est probable, il est même possible que, dans certains cas, disons-le franchement, des veuves cherchent dans une union condamnée par la morale le moyen d'éluder cette disposition. Mais est-il nécessaire de renoncer à un principe basé sur la nature des choses et sur le droit commun que toutes les institutions de l'espèce ont adopté toujours et partout, pour des cas exceptionnels qui doivent se présenter d'autant plus rarement que toutes les veuves pensionnées, à bien peu d'exceptions près, ont passé l'âge des passions ?
« D'ailleurs, si l'intérêt de la morale exigeait, ce que nous contestons, qu'on ne privât pas de la pension les veuves qui se remarient, il s'opposerait également à l'adoption de la disposition proposée, car celle qui est disposée à blesser les lois de la morale et de la religion, pour conserver sa pension entière, est capable aussi de le faire pour empêcher que cette pension ne soit réduite d'un huitième, d'un sixième ou d'un quart. »
Messieurs, je bornerai là mes observations, convaincu qu'il n'y a pas de motif sérieux pour admettre la proposition qui vous est faite et qu'il y a danger à le faire, car le trésor pourrait être obligé de venir combler le déficit qui se produirait dans la caisse.
M. Vanden Branden de Reeth. - Je regrette que le gouvernement n'ait pas pris la peine de faire connaître les inconvénients qu'il attribue à ma proposition. J'avais démontré par des chiffres qu'elle ne pouvait causer de préjudice à la caisse, le gouvernement n'a pas cru devoir répondre à ma démonstration.
Je dois rappeler encore les considérations morales que j'ai fait valoir en faveur de la proposition, car l'auteur de la modification proposée à la loi sur les pensions, l'honorable M. Lelièvre, s'appuie particulièrement sur des motifs puisés dans la morale et la justice.
L'auteur de la proposition dit formellement que par suite des dispositions sévères de la loi actuelle, des veuves contractent des alliances réprouvées par nos lois et contraires à nos mœurs, et qu'il en résulte un désordre social qu'il est impossible de laisser subsister.
Il me paraît qu'il y avait là un mal auquel il convenait de porter remède ; et ce mal, je l'ai dit tout à l'heure, existe aussi bien pour les veuves ayant des enfants que pour celles qui n'en ont pas. Personne assurément ne viendra soutenir que les veuves qui contractent de ces sortes d'alliances sont dans une situation plus morale lorsqu'elles ont des enfants que lorsqu'elles n'en ont pas. Pour moi je pense que c'est le contraire, je crois qu'une veuve ayant des enfants, qui contracte une alliance de la nature de celle dont parle l'auteur de la proposition, cause sn scandale encore plus grand que celle qui n'en a pas ; c'est une mère de famille qui donne de détestables exemples à sa famille ; et l'expérience prouve que des enfants élevés de cette manière deviennent' rarement de bons citoyens.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je n'ai traité la question qu'au point de vue de l'intérêt des caisses des veuves et orphelins ; j'ai dit que la proposition dont la Chambre est saisie leur était favorable ; en général, les veuves sans enfants qui ne se remarient pas sont celles qui jouissent de pensions assez fortes. Si l'on donnait à la mesure l’intention que propose l’honorable préopinant, il résulterait probablement un préjudice.
Telle est l'opinion des principaux membres des conseils d'administration des caisses des veuves et orphelins ; si le nombres de veuves ayant des enfants qui se remarieraient était considérable, il ne résulterait, il est vrai, de cette mesure, aucun tort pour la caisse, puisque ces veuves seraient privées de la moitié de leur pension ; mais il en serait tout autrement si ce nombre restait tel qu'il est aujourd’hui, ou n'augmenterait que faiblement ; dans ce cas il y aurait préjudice, attendu qu'actuellement les veuves font l'abandon de toute leur pension et que par la disposition proposée elles en conserveraient la moitié. Je ne puis donc admettre cette proposition, tant pour ce motif que pour les raisons d'un autre ordre que l'on a fait valoir dans l'intérêt des enfants, lors de la discussion qui a eu lieu sur la proposition de l'honorable M. Destrivaux.
M. Vandenpeereboom. - Je ne viens pas m'opposer au projet de loi, mais adresser une question à M. sur un cas qui peut se présenter. Si une veuve se remarie à un fonctionnaire, elle perd la moitié de sa pension ; mais elle contribue de nouveau à la caisse des veuves. Le cas que je prévois peut se présenter ; car il est possible qu’une femme épouse successivement deux fonctionnaires ; les fonctionnaires, en effet, sont très recherchés, et sont en général de bons maris ; si elle devient donc une seconde fois veuve, quelle sera sa position ? Pourra-t-elle cumuler la moitié de la pension primitive dont elle est en possession avec la pension à laquelle elle aura droit du chef de son second mari ? Touchera-t-elle sa pension première en totalité ? ou aura-t-elle droit à une nouvelle pension ? La question n'est pas prévue par la loi ; elle devra être soumise au conseil d'administration des caisses et tranchée par l'arrêté organique des caisses, à moins que M. le ministre ne puisse donner une solution immédiate.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Si une personne se trouvant dans la position indiquée par l'honorable préopinant, perd son second mari elle pourra choisir entre la pension à laquelle elle aurait droit comme veuve de ce second mari et la demi-pension dont elle a conservé la jouissance ; elle sera donc libre de choisir la plus élevée ; mais en, aucun cas elle ne pourra cumuler les deux pensions ; elle n'en peut avoir qu'une seule.
- La proposition de M. Vanden Branden de Reeth de supprimer les mots : « sans enfants est mise aux voix ».
- Elle n'est pas adoptée.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je me rallie à la rédaction proposée par M. David, mais en demandant le maintien des mots : « par dérogation, etc. »
Cette mention est nécessaire pour rappeler à quelle loi celle-ci se rapporte.
M. David. - Bien que je ne regarde pas comme nécessaire la mention dont il s'agit, je consens à la maintenir.
M. de Naeyer. - L'article serait rédigé dans les termes suivants :
« Par dérogation à l'article 55 de la loi du 21 juillet 1844, la veuve sans enfant qui se remarie perd la moitié de sa pension. »
M. Wasseige. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre une rédaction qui me parait rendre mieux que celle de l'honorable M. David, la pensée des auteurs du projet de loi. La voici :
« Par dérogation à l'article 55 de la loi du 21 juillet 1844, la veuve sans enfant qui se remarie conserve la moitié de sa pension. »
En effet, ce qu'ont voulu les honorables auteurs du projet de loi, c'est de faire disparaître l'obstacle qui empêche actuellement les veuves sans enfant de se remarier ; attendu qu'ils ont jugé que cet empêchement était immoral et, dans son principe et très souvent dans ses conséquences. Ils ont donc voulu accorder aux veuves de cette catégorie une faveur et nullement leur imposer une pénalité. Si on les prive encore de la moitié de leur pension, ce n'est que par une mesure fiscale prise dans l'intérêt de la caisse. Or, cette idée me paraît mieux rendue par la rédaction que je propose que par celle de l'honorable M. David.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - C'est la même chose.
M. David. - Je pense que ma rédaction vaut mieux, et voici pourquoi.
La loi du 21 juillet 1844 dit : « La veuve qui se remarie perd ses droits à la pension. » Nous vous proposons de dire : La veuve sans enfant qui se remarie perd la moitié de sa pension. Si elle se remariait sous le régime de la loi actuelle, elle perdrait toute sa pension. En vertu de la proposition qui vous est faite, elle n'en perdra que la moitié.
- L'article, rédigé comme le propose M. Wasseige, est mis aux voix et adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique ainsi rédigé.
59 membres répondent à l'appel nominal.
1 (M. Vanden Branden de Reeth) s'abstient.
57 votent l'adoption.
1 vote le rejet.
En conséquence, la proposition de loi est adoptée. Elle sera transmise au Sénat.
Ont voté l’adoption : MM. Vermeire, Vervoort, Wasseige, Allard, Anspach, Calmeyn, Coomans, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, Dedecker, de Haerne, de Kerchove, de La Coste, de Lexhy, Delfosse, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Paul, de Perceval, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Dubus, Jacques, Janssens, Jouret, Lambin, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Licot de Nismes, Magherman, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Osy, Rodenbach, Rogier, Sinave, Snoy, Tack, Tesch, Thiéfry, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Overloop, Vau Renynghe et de Naeyer.
A voté le rejet : M. Vander Donckt.
Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. Vanden Branden de Reeth. - Je me suis abstenu, parce que la loi, tout en améliorant ce qui existe aujourd'hui, consacre cependant une injustice à l'égard des veuves avec enfants.
Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la Chambre passe à la délibération sur les articles.
(page 1189) « Art. 1er. La partie de terrain indiquée par une teinte jaune au plan annexé à la présente loi, d'une contenance de 8 hectares 42 ares 50 centiares, est séparée de la commune de Laethem-Ste-Marie, province de Flandre orientale, et réunie à celle de Nederwallm-Hermelgem, même province.
« La limite séparative entre les deux communes est déterminée par l'axe du chemin dit : Biesestraet, désigné au plan par les lettres E F. »
- Adopté.
« Art. 2, La commune de Nederzwalm-Hermelgem payera à celle de Laethem-Sainte-Marie une rente annuelle et perpétuelle de cent francs, à titre d'indemnité. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet qui est adopté à l'unanimité des 60 membres présents.
Ce sont : MM. Vermeire, Vervoort, Vilain XIIII, Wasseige, Wautelet, Allard, Anspach, Calmeyn, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, Dedecker, de Haerne, de Kerchove, de La Coste, de Lexhy, Delfosse, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Paul, de Perceval, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Dubus, Janssens, Jouret, Lambin, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Licot de Nismes, Magherman, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Osy, Rodenbach, Rogier, Sinave ; Snoy, Tack, Tech, Thiéfry, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe et de Naeyer.
M. Osy (pour une motion d’ordre). - Messieurs, nous aurions à nous occuper maintenant du projet de loi relatif aux chemins de fer de Tamines à Landen et de Groenendael à Nivelles. M. le ministre des travaux publics étant retenu au Sénat, je proposerai de remettre ce projet de loi après celui qui concerne les petits employés de l'Etat.
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - C'est le vœu que mon honorable collègue des travaux publics m'avait prié d'exprimer à la Chambre.
- La proposition de M. Osy est adoptée.
Les différentes dispositions du tableau de ce budget sont successivement mises aux voix et adoptées. Elles sont ainsi conçues :
Non-valeurs sur la contribution foncière : fr. 310,000
Non-valeurs sur la contribution personnelle : fr. 400,000
Non-valeurs sur le droit de patente : fr. 80,000
Non-valeurs sur les redevances des mines : fr. 3,000
Non-valeurs sur le droit de débit des boissons alcooliques : fr. 23,000
Non-valeurs sur le droit de débit des tabacs : fr. 5,000
Décharge ou remise du droit de patente pour inactivité des bateaux : fr. 10,000
Total non-valeurs : fr. 831,000
(Les crédits portés au présent chapitre ne sont point limitatifs)
Restitutions de droits perçus abusivement, et remboursement de prix d'instruments ainsi que de fonds reconnus appartenir à des tiers : fr. 35,000
Remboursements de la façon d'ouvrages brisés par les agents de la garantie : fr. 1,000
Remboursement du péage sur l'Escaut : fr. 1,100,000
Restitutions de droits perçus abusivement, d'amendes, de frais, etc., en matière d'enregistrement, de domaines, etc. Remboursement de fonds reconnus appartenir à des tiers : fr. 250,000
Remboursements divers : fr. 1,000
Remboursement des postes aux offices étrangers : fr. 140,000
Déficit des divers comptables de l'État : fr. 10,000.
Total Remboursements : fr. 1,537,000
(Les crédits portés au présent chapitre ne sont point limitatifs.)
Total du budget des non-valeurs et des remboursements : fr. 2,368,000.
L'article unique du projet de loi : est ensuite mis aux voix et adopté. Il est conçu comme suit :
« Article unique. Le budget des non-valeurs et des remboursements est fixé, pour l'exercice 1858, à la somme de deux millions trois cent soixante-huit mille francs (2,368,000 francs), conformément au tableau ci-annexé. »
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 59 membres présents.
Ce sont : MM. Vermeire, Vervoort, Vilain XIIII, Wasseige, Wautelet, Allard, Anspach, Calmeyn, Coomans, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, Dedecker, de Haerne, de Kerchove, de La Coste, de Lexhy, Delfosse, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Paul, de Perceval, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Theux, de T’Serclaes, Dubus, Jacques, Janssens, Jouret, Lambin, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Magherman, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Osy, Rodenbach, Rogier,. Sinave, Snoy, Tack, Thiéfry, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe et de Naeyer.
Vote des conclusions du rapport de la commission d’industrie, sur une pétition des bottiers et cordonniers de Bruxelles et de ses faubourgs, qui demandent l’établissement d’un droit de sortie sur les peaux.
La commission propose le dépôt sur le bureau des renseignements.
- Ces conclusions sont adoptées.
(page 1190) Vote des conclusions du rapport de la commission d’industrie, sur une pétition de fabricants de tissus de soie, qui demandent la maintien du droit d’entrée sur les produits sérigènes.
La commission propose le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances.
Rapport de la commission sur des pétitions demandant la révision de la loi sur le sel
M. Vandenpeereboom (pour une motion d’ordre). - Je propose, messieurs, de discuter maintenant les conclusions du rapport concernant les pétitions qui ont pour objet la révision de la loi sur le sel. Ce rapport a déjà été plusieurs fois mis à l’ordre du jour et toujours il a été ajourné.
- Cette proposition est adoptée.
La commission propose le renvoi à M. le ministre des finances.
M. Vermeire. - Messieurs, l'examen de la pétition sur laquelle l'honorable M. Vander Donckt a fait rapport dans une séance précédente, et sur lequel un commencement de discussion s'est produit, a été remis, à cause de son importance.
L'honorable M. de Baillet-Latour, dans la séance du 20 mars, est venu appuyer les réclamations des pétitionnaires, parce que, d'après lui, celles-ci reposent sur des motifs sérieux et justes et que leur industrie a des représentants dans son arrondissement.
Je ne m'occuperai pas du dernier motif qu'a fait valoir l'honorable membre, je me bornerai à examiner, à mon tour, ce que la demande des pétitionnaires peut renfermer de choses sérieuses et justes. Le principal argument que fait valoir l'honorable collègue en faveur des pétitionnaires, est emprunté à la pétition même, et consiste en ce que les sauniers flamands étant affranchis des frais de transport, puisqu'ils ont la mer à leur proximité, il résulte du bénéfice de cette circonstance une concurrence avantageuse pour eux, puisqu'il leur est possible de produire à meilleur compte et de vendre à meilleur marché que les usines de l'intérieur. Il demande, en conséquence, pour ramener une égalité de condition entre tous les producteurs, de graduer l'impôt suivant les distances.
Les pétitionnaires, eux, vont beaucoup plus loin :
« L'impôt existant, disent-ils, constitue une violation de l'article 112 de la Constitution qui interdit tout privilège en matière d'impôt. »
Ceci devient beaucoup plus grave. Mais avant d'examiner et de faire justice des autres griefs articulés contre nous par les pétitionnaires, faisons d'abord justice des raisons que l'on oppose aux sauniers flamands, limitrophes des mers, et surtout de la prétendue violation de l'article 112 de la Constitution.
L'emploi de l'eau de mer n'est point interdit aux uns et autorisé à d'autres les obligations prescrites pour cet emploi sont déterminées par la loi ; tous peuvent s'en servir aux mêmes conditions, Il est vrai que certaines usines se trouvent dans une situation topographique plus favorable que d'autres pour l'emploi de cette eau ; mais, si, sous ce rapport, ils avaient certain avantage, ils ont, d'autre part, des désavantages non moins marquants ; ainsi, le charbon leur coûte beaucoup plus cher qu'à leurs concurrents du Hainaut ; le fer, dont leurs ustensiles sont composés, leur revient, également, moins cher ; ensuite, ils se trouvent à proximité du marché français et du marché allemand où ils peuvent arriver à des conditions bien plus favorables que les sauniers des Flandres. Est-ce que, par hasard, on voudrait faire établir des zones avec des droits différentiels, afin d'égaliser les conditions de production ? Voudrait-on pondérer l'importance des différents sauniers, au moyen de taxes différentielles, comme on a cru devoir le faire, autrefois, pour les bassins houillers ? Enfin voudrait-on en lever, à ceux qui peuvent les utiliser, les avantages dont la nature les a dotés ? Si ce principe est juste, il serait juste aussi de l'appliquer à d'autres objets, à d'autres industries : et pour rester conséquents, on devrait assurer aux sauniers flamands l'emploi du charbon et du fer dans les mêmes conditions économiques des pétitionnaires.
Il ne faudrait pas se borner à appliquer ce principe aux sauniers seulement, mais il faudrait en faire profiter toutes les autres industries qui, s'établissant dans une partie du pays quelconque, devraient obtenir le charbon et les' autres matières dont elles ont besoin, dans des conditions égales de coût et de qualité.
Et, pour mettre ce système en application, l'on devrait commencer par l'abolition des droits de navigation sur les rivières et les canaux qui sillonnent le pays ; on devrait établir une taxe uniforme, toujours la même, pour le transport des marchandises sur nos chemins de fer, quelle que soit la distance à parcourir ; il faudrait enfin que le gouvernement assurât à tous des conditions identiquement les mêmes pour pouvoir, partout et en tout lieu, produire aux mêmes prix.
Une pareille intervention ne serait rien moins que l'application de principes socialistes, dont le bon sens a jadis fait une bonne et prompte justice.
Je ne veux pas insister plus longtemps sur ces considérations générales ; et j'aborde immédiatement l'examen de la question de savoir si, comme le prétendent les pétitionnaires, la raffinerie du sel s'est réfugiée dans les provinces voisines de la mer, et si elle a perdu de son importance dans d'autres provinces ; deuxièmement si le trésor est constitué en perte par l'emploi de l'eau de mer.
Si, comme on le prétend, l'emploi de l'eau de mer devait donner ces immenses avantages, toutes les sauneries se trouveraient ou dans la Flandre occidentale ou dans la province d'Anvers ; car ce sont, évidemment, ces deux provinces qui se trouvent dans ces conditions exceptionnellement avantageuses, dont parlent les pétitionnaires ; eh bien, ces deux provinces ne viennent en importance qu'au quatrième ou cinquième rang, sur les huit provinces où l'on raffine le sel. Le dernier rapport décennal constate que dans l'impôt du sel : La Flandre orientale occupe le premier rang et participe dans les prises en charge à raison de 31,46 p. c. ; la province de Liège le 2ème rang ou 13,64 p. c., le Hainaut le 3ème ou 12,36 p. c., la Flandre occidentale le quatrième ou 12,13 p. c., la province d'Anvers le 5ème ou 10,01 p. c., la province de Brabant le 6ème ou 9,66 p. c., Namur le 7ème ou 8,05 p. c., le Limbourg le 8ème ou 2,69 p. c. Dans le Luxembourg il n'y a pas de salines.
Ce tableau, pris à des sources officielles, établit, d'une manière péremptoire, que l'emploi de l'eau de mer n'est pas la seule cause de l'importance relativement plus grande du raffinage du sel dans la Flandre orientale, comparativement aux autres provinces. Cette industrie n'y est devenue prépondérante que du jour où de grands établissements s'y sont formés, lesquels, travaillant des quantités énormes, peuvent se contenter d'un léger bénéfice sur l'unité de leur production ; tandis que, d'autres établissements, qui ne travaillent que des quantités relativement réduites, ne peuvent trouver, comme autrefois, dans leur industrie, les mêmes ressources. Mais c'est là le sort subi par l'industrie en général.
Il faut que par la quantité produite l'on puisse regagner la réduction de bénéfice que l'on subit sur l'unité. Et c'est là, peut-être, une des causes principales de la soi-disant injustice qui nous est signalée par les pétitionnaires.
Mais il pourrait bien y en avoir encore une autre qui leur cause un préjudice bien plus considérable. En effet, une loi promulguée par le gouvernement français, en 1848, réduisant, dans ce pays, l'accise sur le sel de 30 à 10 francs, a changé la condition des rapports existant entre la France et la Belgique. En effet, sous l'empire de la première législation, l'infiltration des sels belges en France était possible ; tandis que, par cette réduction, c'est peut-être l'inverse qui a lieu. Certes, je net puis affirmer l'existence de ce commerce interlope, illicite d'après mot, mais ceux qui habitent les frontières n'ignorent pas que ce qu'on est convenu d'appeler le commerce interlope n'est point en décadence.
Il y a encore une autre cause qui réduit l'importance des salines du Hainaut ; c'est que, par l'emploi du sel français brut pour la salaison des viandes, celui du sel raffiné diminue considérablement. C'est ainsi que ces derniers sels ne coûtant, rendus à Charleroi ou à Namur, que 21 francs 50 centimes (déduction faite de 7 p. c. accordés en vertu du traité de commerce avec la France), se débitent facilement à des prix plus bas que les sels raffinés.
Si le trésor était constitué en perte, il faudrait que l'impôt diminuât, et surtout qu'il fût moins important par rapport à la consommation individuelle. Examinons encore cette objection.
En 1841, l'impôt sur le sel a produit 3,795,044 fr. 29 c ; la population étant de 4,116,602, la consommation individuelle est de 91 c.
En 1855, 4,918,096 francs. Population, 4,584,922. Consommation individuelle, 1 fr. 07 c. Augmentation, 16 p. c.
De manière que cette perte prétendue dont on argumente contre nous n'existe pas, et, par suite, la conséquence qu'on veut en tirer est illogique, irrationnelle.
Si on applique maintenant à la consommation du sel le principe que la valeur plus ou moins grande d'une marchandise influe en sens inverse sur la quantité consommée, l'emploi de l'eau de mer, au lieu de constituer une perte pour le trésor de 50,500 francs, le ferait, au contraire, profiter d'une ressource nouvelle de plus de 700,000 francs, différence existante entre la consommation individuelle de 1841 à 1855.
Je n'examinerai pas, messieurs, les calculs produits par les pétitionnaires pour la défense de leur cause ; ces calculs sont évidemment erronés ; car tantôt ils les établissent sur un rendement de 105 1/2 kil. pour 100 kilog. de sel brut, tantôt sur 100 kilog. seulement, selon que l'un ou l'autre chiffre peut servir la cause qu'ils défendent.
C'est ainsi que, pour établir leur prix de revient, ils ne calculent que sur un rendement de 100 kilogrammes, ce qui constitue, s'ils admettaient le chiffre de 105 1/2 kilogrammes qu'ils désignent ailleurs, une diminution sur le prix de revient de 1 fr. 70 c. puisque dans ce dernier cas il ne serait que de 22 fr. 30 c. au lieu de 24 fr. 44 c. qu'ils indiquent.
(page 1191) Il est encore à observer que, évidemment, ce prix est enflé outre mesure.
Ainsi, ils portent pour combustibles, main-d'œuvre et détérioration des ustensiles 2 fr. 35 c. ; tandis que, d'après des hommes compétents, ces frais peuvent s'élever tout au plus à 1 fr. 50 c. par cent kilogrammes.
Les pétitionnaires affirment encore que les sauniers flamands fournissent, dans les provinces wallonnes au prix de 22 fr. 50 c. à 23 fr., tandis que les autres prétendent que ces prix sont peu exacts et en diffèrent de 4 à 2 fr. selon les destinations.
Enfin à force de calculs et de chiffres entassés les uns sur les autres, ils parviennent à établir une différence de 35 c. par cent kilogrammes.
Mais cette différente contestable et contestée est plus que compensée par les frais extraordinaires que les sauniers des Flandres sont obligés de faire pour le combustible, la plus-value des poêles, etc., etc.
L'emploi de l'eau de mer, comme je viens de le prouver, ne constitue aucun avantage pour les raffineries flamandes ; seulement il améliore la qualité du sel, y donne une plus grande clarté et, conséquemment, en facilite le placement.
Je ne m'oppose pas au renvoi de la pétition à M. le ministre des finances ; mais j'ajoute, aussitôt, que j'espère bien qu'il ne proposera pas de changements à la base actuelle de l'impôt, base qui donne des ressources toujours croissantes au trésor, en même temps qu'elle permet le développement de cette industrie et du mouvement commercial et maritime qui en sont la conséquence immédiate.
M. Vandenpeereboom. - Messieurs, je ne suivrai pas l'honorable M. Vermeire dans le dédale de calculs qu'il a exposés à la Chambre ; l'honorable membre avait préparé pour cette discussion un long mémoire tout hérissé de chiffres, qu'il est impossible d'examiner immédiatement. Je ne m'étais pas préparé à ce débat qui ne peut avoir aujourd'hui d'autre résultat que le renvoi de la pétition au ministre des finances.
Je pense toutefois qu'il ne peut s'agir ici de principes socialistes que nous répudions tous, je me bornerai à faire quelques simples observations sur le renvoi des pétitions proposées par la commission de l'industrie.
Messieurs, nul ne peut contester qu'il existe pour l'industrie des sauniers un malaise considérable ; des plaintes se sont élevées de tous les points du pays, et de la plupart des arrondissements nous sont adressées des pétitions où ces plaintes sont exprimées en termes fort vifs et très bien justifiés.
M. Van Iseghem. - Je demande la parole.
M. Vandenpeereboom. - Quelques localités font exception, je le sais, et l'honorable M. Van Iseghem, qui défend toujours les intérêts qui lui sont confiés, protestera sans doute au nom d'Ostende ; là on ne réclame pas en effet, et je le conçois sans peine, on y dispose avec facilité et avantage de l'eau de mer !
Mais mon observation est exacte pour la presque totalité du pays, car presque partout l'industrie des sauniers est dans une véritable crise.
A quelle cause devons-nous attribuer le malaise dont je viens de parler ? Là est évidemment la question et la cause du mal dont on veut trouver le remède.
D'après la généralité des sauniers, cette cause résulte de l'emploi de l'eau de mer, c'est-à-dire de la mauvaise base de l'accise sur le liquide qui n'est pas imposé proportionnellement à sa valeur intrinsèque comme matière première servant à la production du sel.
L'honorable M. Vermeire nous a dit que les sauniers qui n'ont pas l'eau de mer à leur disposition jouissent d'autres avantages, que si quelques sauniers des Flandres se procurent cette eau à des conditions favorables, les sauniers du Hainaut, par exemple, ont le charbon et le fer à bon marché et peuvent introduire leurs produits en France, à cause du voisinage de ce pays. Si cette observation est juste pour le Hainaut, elle ne l'est en aucune manière pour une partie de la Flandre. Ainsi l'arrondissement qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette enceinte ne peut pas se procurer le charbon et le fera des conditions avantageuses, et l'honorable membre me permettra de lui faire observer qu'il a très peu contribué par son vote à abaisser le prix des combustibles, puisque à la suite du discours très savant et très libéral qu'il a prononcé sur cette question, il s'est prononcé et a voté il y a peu de jours pour le droit de 1 fr. 40 c. qui s'élève, avec les additionnels, à 1 fr. 75 c. par 1,000 kil. sur les houilles étrangères.
Quant à l'influence du voisinage de la France, cet avantage est, nul depuis que dans ce pays on a abaissé le droit sur le sel. Ce n'est plus maintenant la Belgique qui introduit du sel en France, c'est la France qui introduit du sel en Belgique. Cette introduction se fait en fraude, mais elle n'en est pas moins réelle. Il paraît évident aussi que les sauniers qui emploient de l'eau de mer ont recours à certaines pratiques secrètes que je ne veux pas qualifier.
Je n'ai pas l'intention, messieurs, d'examiner aujourd'hui à fond cette question. Pour moi, elle est excessivement simple : il s'agit d'être justes pour tous, de ne donner ni privilège ni monopole à personne et d'imposer la matière première d'après sa valeur réelle.
Or, les sauniers se plaignent surtout que l'eau de mer ne soit pas taxée d'après cette valeur ; ils disent que l'eau de mer contient plus de principes salins, plus de densité que la loi ne le suppose. C'est là une question très simple, c'est une question d'analyse chimique et il me semble que le gouvernement, quand la pétition lui aura été renvoyée, fera une chose utile pour tout le monde en soumettant à une commission de chimistes la question de savoir combien l'eau de mer contient de sel.
J'appelle sur ce point toute l'attention du gouvernement et je le prie de vouloir bien employer le moyen que je viens d'indiquer.
Je ne suis pas exigeant, on le voit, mais je veux justice envers tous. Nous devons vouloir que tous les producteurs payent l'impôt d'après les mêmes bases, car en Belgique, il n'y a de privilège en matière d'impôt envers personne. Je recommande donc la pétition à la bienveillante attention de M. le ministre des finances, et je lui ferai remarquer qu'il tient en ses mains l'avenir, le sort même d'une industrie importante jadis et qui décline, d'une industrie enfin qui procure au trésor des revenus considérables. J'espère donc qu'il ne perdra pas de vue les considérations que je viens de faire valoir.
M. Wautelet. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que parce que, dans le rapport, la question me semble préjugée dans un sens défavorable aux pétitions. On semble dire qu'il n'y a pas lieu de changer la législation, de changer la base de l'impôt, pour les raisons qui ont été développées dans ces pétitions.
Il me semble, messieurs, que les pétitionnaires sont fondés dans la réclamation qu'ils adressent à la Chambre. Ils demandent, non pas qu'on ne puisse utiliser l'eau de mer dans la fabrication du sel, mais, comme vient de le dire fort bien l'honorable M. Vandenpeereboom, qu'on fasse payer à l'eau de mer employée un droit proportionné à la quantité de sel qu'elle contient. C'est là un point que le gouvernement pourra facilement vérifier, soit en faisant faire des analyses chimiques, soit de toute autre manière.
Mais, messieurs, en supposant que le droit soit à peu près en rapport avec la quantité de sel qui existe dans l'eau de mer, je crois que dans tous les cas, il y aurait des mesures à prendre pour éviter la fraude qui se pratique, je pense, sur une échelle assez large, car il est très facile d'introduire du sel dans l'eau de mer et de le dissimuler.
Quoi qu'il en soit, messieurs, la base de l'impôt est vicieuse en ce sens qu'on ne le paye que sur les degrés pleins. Ainsi, par exemple, si l'eau de mer à 1 3/4 degrés, elle paye comme si elle n'avait qu'un degré, si elle a 2 7/8 degrés elfe paye comme si elle n'avait que 2 degrés. N'y eût-il que ce fait assez important, cela prouverait que la base de l'impôt est défectueuse.
L'honorable M. Vermeire, dans le discours qu'il avait préparé sur la question, a supposé des arguments qui n'ont été avancés par personne ; il s'est créé des fantômes pour avoir le plaisir de les combattre. Nous n'avons nullement dit que les sauniers des Flandres ne devaient pas profiter de leur position naturelle, qu'ils ne devaient pas jouir de tous les avantages de cette position.
Nous disons seulement que d'après les calculs présentés par les pétitionnaires, la base de l'impôt n'est pas établie de manière à faire payer aux raffineurs qui se servent d'eau de mer, un droit équivalent au sel que renferme cette eau.
Je ne pense pas que la Chambre veuille aujourd'hui vider cette question, à l'occasion du renvoi de pétitions ; c'est une observation que nous soumettons à M. le ministre des finances, en le priant de faire examiner la question. Il faut rendre justice à tous ; il faut que le droit soit perçu pour tous, qu'ils se servent ou non de l'eau de mer.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, ainsi qu'on l'a déjà fait observer, la question est fort simple ; il s'agira d'examiner si le législateur s'est trompé en imposant l'eau de mer en raison de 10 ou de 20 centimes l'hectolitre d'eau de mer, selon que la densité est de 1 à 2 ou de 2 à 3 degrés. L'intention du législateur n'a pu être d'accorder une faveur, et d'imposer le sel provenant de l'eau de mer à un droit moindre que celui qui frappe tout autre sel.
Je crois au surplus que les craintes qu'on a exprimées sont exagérées et que la différence des prix tient peut-être à des causes autres que celles qui sont indiquées dans les pétitions. Il est arrivé que des sauniers se sont trompés dans leurs calculs, qu'ils ont livré le sel à des prix insuffisants et qu'ils se sont ruinés. A une époque où ce fait s'est produit, on a supposé ou que des fraudes se commettaient ou que l'eau de mer n'était pas suffisamment imposée. Les bas prix provenaient de ventes faites au-dessous du prix de revient. Je ne veux toutefois rien préjuger sur ce qui se passe aujourd'hui. La question mérite un examen sérieux.
J'ajoute cependant qu'il s'est fait récemment une certaine fraude qui vient d'être découverte et qui a pu donner lieu à des ventes de sel au-dessous des prix ordinaires.
M. de La Coste. - Messieurs, nous ne pouvons pas égaliser dans tout le pays les conditions de production ; nous ne pouvons pas nous engager à fournir à toutes les parties du pays des mines de fer et de houille ; en un mot, nous ne pouvons pas égaliser partout les ressources naturelles. Mais ce que nous pouvons et devons faire, et ici je rentre tout à fait dans les idées de M. le ministre des finances, c'est égaliser la perception d'un impôt.
Il est évident que lorsque nous établissons un impôt, nous voulons qu'il soit payé par tout le monde de la même manière et dans la même proportion.
C'est donc ici uniquement une question de fait. Il est certain que si, (page 1192) comme je l'ai vu en Hollande, on établissait des fabriques de sel où l'on tirât directement le sel de l'eau de mer, on payerait l'impôt pour ce sel.
Il s'agit de savoir si ce qu'on paye pour l'eau de mer est en rapport avec le sel contenu dans cette eau de mer.
Voilà uniquement la question ; et c'est dans ce sens que j'appuie le renvoi des pétitions à M. le ministre des finances, sans m'associer, d’ailleurs, aux raisons particulières des pétitionnaires et sans rien préjuger.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. Van Iseghem. - Messieurs, je ne serai pas long. Mon honorable ami M. Vandenpeereboom, qui défend toujours avec tant d'ardeur les intérêts de son arrondissement, vient de nous dire qu'il y a beaucoup de malaise parmi les sauniers de l'intérieur du pays. Cela est possible, mais on ne peut jamais attribuer ce fait à la concurrence que les sauniers qui emploient l'eau de mer leur font ; la cause de ce malaise est la réduction des droits d'accise sur le sel en France. Les sauniers des Flandres se plaignent de leur côté de la position qu'ils ont, et ils ont, à plusieurs reprises, sollicité une réduction de droits.
On ne doit pas s'imaginer que les salines prospèrent ; c'est le contraire à Ostende. Il y en avait sept en activité, il y a un certain nombre d'années, et le nombre est maintenant réduit à trois ; c'est une preuve que le malaise est aussi fort dans mon arrondissement qu'ailleurs, et que le droit d'accise voté en 1844 a été très défavorable pour nous.
C'est une erreur de croire que les sauniers d'Ostende, Bruges, Gand, Termonde, Hamme, etc., ont l'eau de mer pour rien et aussi facilement que ceux de l'intérieur, qui n'ont qu'à aller puiser l'eau douce dans les puits ; au contraire, l'eau de mer est très coûteuse, et on doit calculer qu'elle coûte presque autant pour frais de transport que le droit d'accise. Comme l'honorable ministre des finances promet de faire examiner la question, je le prie de ne pas oublier de faire entrer en ligne de compte les frais qu'on doit faire pour se procurer l'eau de mer.
Les sauniers qui emploient l’eau de mer soutiennent avec raison que l'avantage qu'ils en retirent ne consiste pas à augmenter la quantité de sel, mais à rendre la cristallisation plus énergique et le sel plus blanc.
Si on devait défendre l'eau de mer ou augmenter les droits, les salines d'Ostende seraient obligées de cesser de travailler, à cause que souvent l'eau douce manque.
Je ne répéterai pas les nombreux arguments que l'honorable M. Vermeire a fait valoir contre les plaintes des sauniers réunis à Charleroi, et principalement ce grand argument que les frais généraux sont autant pour les grandes salines que pour celles qui travaillent peu et qui n'ont qu'un seul poêle.
M. Vermeire. - Messieurs, je ne m'oppose pas au renvoi des pétitions à M. le ministre des finances ; mais je prierai ce haut fonctionnaire, quand il examinera la question, de faire entrer dans ses calculs tous les frais que les raffineurs sont obligés de faire extraordinairement pour obtenir le sel par l'emploi de l'eau de mer. Cette saumure qui ne pèse que 1 à 3 degrés nécessite dans le raffinage une quantité de combustible plus forte que celle dont on a besoin pour raffiner celle qui a une densité de 20 ou 25 degrés.
Il convient, en outre, d'ajouter à ces frais le transport de l'eau de mer depuis le lieu où elle a été puisée jusqu'à son dépôt dans les citernes de l'usine.
Si on rend inutile l'emploi de l'eau de mer, comme cela a déjà lieu, actuellement, dans les saisons de forte pluie, alors que l'eau que l'on est obligé de puiser à une place déterminée n'offre pas une densité suffisante pour couvrir l'accise et les frais de transport, on frappe d'improductivité tous les bateaux (waterschuiten) qui ont été construits spécialement pour ce service et qui, à cause de leur lourde construction, ne peuvent servir à d'autres usages. Cette mesure ruinerait un batelage assez nombreux qui a mis tout son avoir dans ces bateaux ; et cela sans que personne puisse en tirer le moindre profit.
Si le gouvernement fait entrer dans ses appréciations les divers éléments et les considérations que je viens d'indiquer, il ne tardera guère à se convaincre que, au lieu de constituer un désavantage pour le trésor, l'emploi de l'eau de mer y est, au contraire, très favorable, ainsi que je l'ai déjà, démontré, et n'ajoute à la qualité du sel qu'un brillant plus vif, lequel, en y donnant plus de consistance, en facilite le placement.
De cet examen doit résulter pour moi cette conséquence rationnelle que la loi actuelle, en satisfaisant à tous les besoins, donne au trésor des ressources qui augmenteront de plus en plus ; tandis qu'une modification, peu importante au point de vue du trésor, pourrait amener dans cette industrie une perturbation qui pourrait être de nature à compromettre de grands intérêts engagés dans cette industrie, et à diminuer une des principales sources du revenu public.
- La séance est levée.