(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 1163) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Tack donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Crombez communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des propriétaires, industriels, exploitants de minerais et commerçants à Bouvignes prient la Chambre de donner une application temporaire aux nouveaux droits sur la fonte et le fer, d'autoriser le gouvernement à augmenter ces droits dans certaines limites et de permettre la sortie de tous les minerais, moyennant certains droits de douane. »
« Même demande de propriétaires, industriels, exploitants de minerais et commerçants à Marchienne. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Le sieur Gremling, gendarme à Namur, prie la Chambre de lui faire obtenir sa démission. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des propriétaires à Boncelles demandent que les candidats notaires soient nommés notaires par ordre d'ancienneté et que les notaires soient répartis dans les communes en raison de la population. »
- Même renvoi.
« Le sieur Bandelet réclame l'intervention de h Chambre pour que des poursuites soient dirigées contre des personnes auxquelles il impute les dommages dont il se plaint. »
- Même renvoi.
« Des propriétaires d'immeubles limitrophes ou très voisins de la station de Gembloux demandent qu'il soit interdit à la compagnie du chemin de fer du Luxembourg de donner en bail des parcelles de terrain de cette station pour y laisser établir des magasins de marchandises. »
M. Wasseige. - Messieurs, cette pétition soulève une question importante et présente un caractère d'urgence incontestable. En conséquence, je prie la Chambre de vouloir bien la renvoyer à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
M. Lelièvre. - J'appuie les observations de M. Wasseige et je recommande en outre la pétition à l'examen de la commission. La réclamation est fondée sur des motifs qu'il importe d'apprécier.
- La proposition de M. Wasseige est mise aux voix et adoptée.
M. le ministre de l'intérieur fait parvenir à la Chambre les publications relatives aux comptes administratifs des monts-de-piété de Paris.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le ministre des travaux publics adresse à la Chambre 115 exemplaires du premier cahier du tome XV des Annales des travaux publics.
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
La discussion continue sur l'article 8 (charbons).
M. de Brouckere. - Messieurs, la discussion est, je crois, bien près d'être arrivée à son terme. Les opinions doivent être formées après les nombreux discours qui ont été prononcés dans l'un et l'autre sens.
Cependant, dans la séance d'hier, vous avez entendu un orateur qui a sans doute fait sur beaucoup d'entre vous une assez profonde impression.
Je vais, messieurs, tâcher d'atténuer cette impression ; non pas que je veuille lutter avec l'honorable membre pour le talent qu'il déploie dans toutes nos discussions ; mais, enfin, comme je crois avoir la vérité pour moi, j'espère trouver encore quelques raisons à faire valoir en faveur de l’opinion que j'ai soutenue dans une séance précédente.
Nos adversaires nous font dans cette discussion une position que, pour ma part, je ne puis pas accepter. Ils nous représentent comme des protectionnistes quand même, comme des gens décidés à soutenir les droits élevés et à combattre tout abaissement qui pourrait être discuté. Or, il n'en est rien ; quant à moi, je suis bien plus disposé à me rapprocher en général des doctrines professées par les honorables MM. Lesoinne et Orts que de celles des protectionnistes.
Mais veuillez-le remarquer, ces honorables orateurs ont eu soin de reconnaître qu'il y aurait une imprudence extrême à supprimer dès aujourd'hui tous les droits qui figurent dans le tarif des douanes ; ils font des réserves expresses à cet égard ; selon l'honorable M. Orts, par exemple, il ne faut abandonner à elles-mêmes que les industries assez fortes pour pouvoir défier la lutte, et sûres de triompher par leurs propres forces.
Toute la question est donc de savoir si l'industrie houillère est assez forte par elle-même pour supporter la concurrence avec l'étranger, et s'il y a probabilité que dans la grande lutte qui va s'engager, je parle à dessein au futur, car jusqu'ici la lutte n'a pas été sérieuse, s'il y a probabilité, dis-je, que l'industrie houillère belge sortira triomphante.
Messieurs, un de nos honorables collègues, l'honorable M. Loos, a fait dans la séance précédente un aveu que je crois devoir relever ; dans la crainte de ne pas rendre sa pensée telle qu'elle a été produite par lui, je me permettrai de lire le passage de son discours auquel je fais allusion.
« J'avoue très franchement, a dit l'honorable M. Loos, que si à l'époque où nous avons proclamé la libre entrée des charbons, il s'était agi de décider cette libre entrée d'une manière définitive, je n'aurais pas osé la voter. Je le déclare nettement, le droit de 1 fr.40 c. m'eût paru extrêmement modéré et j'eusse su beaucoup de gré à ceux qui se posent comme les défenseurs de cette industrie, d'accepter un droit aussi peu prohibitif. »
Ainsi donc, passé trois ans, l'honorable M. Loos aurait accepté le chiffre de 1 fr. 40 c ; il l'eût même trouvé extrêmement modéré.
Pourquoi l'honorable M. Loos n'est-il plus de cet avis ? Parce qu'il est impressionné par des circonstances tout accidentelles, parce que l'honorable M. Loos, ne s'occupant que du présent, ne veut pas jeter les yeux sur le passé, ne veut pas s'inquiéter de l'avenir. Or un législateur qui veut agir avec sagesse doit embrasser d'un même regard et le passé et le présent et l'avenir.
Quelle est la situation présente de l'industrie houillère ? Elle est, dit-on, extrêmement prospère. D'abord le salaire des ouvriers est arrivé à un prix exorbitant et ce prix n'a fait que progresser successivement depuis vingt ans.
M. Orts. - Je n'ai pas dit cela !
M. de Brouckere. - Je vous demande pardon, j'ai parfaitement écouté ce que vous avez dit. Vous avez dit que le prix de la journée des ouvriers avait constamment progressé depuis vingt ans. C'est une erreur, le prix de la journée d'ouvrier n'a pas constamment progressé, il a sans cesse varié suivant la situation de l'industrie houillère. Ainsi, par exemple en 1847, l'ouvrier gagnait 669 fr. par an, ce n'est à coup sûr pas exorbitant ; en 1848 il gagnait 558 fr. ; en 1849, 507 fr. ; en 1850, 537 fr. ; en 1851, 577 fr.
Depuis lors le salaire a augmenté, mais je pose en fait, sans craindre d'être démenti, que le moment de la décroissance est arrivé, et à l'heure où nous discutons, la journée de l'ouvrier charbonnier est déjà bien diminuée ; personne ne me contredira.
L'industrie houillère est en grande prospérité ? Voyez la cote de la bourse. Voyez à quel taux sont arrivées les actions des charbonnages.
Messieurs, j'ai fait ce matin le calcul du nombre de charbonnages qui sont cotés. Ce nombre s'élève pour le Hainaut à 15. Or, je demande à la Chambre ce que signifie la prospérité de quinze charbonnages sur le grand nombre de ceux qui existent dans la province de Hainaut.
Mais ces quinze charbonnages, tout le monde le sait, ce sont des exploitations en dehors des conditions ordinaires. Ce sont des charbonnages très riches par eux-mêmes, des charbonnages dans lesquels on a englouti des millions pour les rendre productifs et surtout pour leur faire produire immédiatement le plus possible.
Ce sont des charbonnages qui se trouvent sous la protection de sociétés qui leur fournissent autant de capitaux qu'ils en réclament.
Mais je conjure la Chambre de ne pas juger la situation actuelle des charbonnages par les quelques exceptions qui figurent sur la cote de la bourse.
Messieurs, j'ai consulté des chiffres officiels et je puis assurer à la Chambre que je suis dans une assez juste proportion, lorsque je lui dis que sur cent charbonnages, il y en a 60 qui gagnent de l'argent c'est à-dire qui, au bout de l'année, recueillent quelques bénéfices, Mais de ces 60 je ne crois pas qu'il y en ait plus de trente qui touchent plus que l'intérêt de leurs capitaux.
Les 40 autres ne font aucun bénéfice. Je pourrais le démontrer, je le répète, par une comparaison de chiffres officiels. Vous pouvez au surplus consulter ce que produit la redevance sur les mines ; et vous verrez qu'il y a plus de la moitié des charbonnages qui ne payent rien. Et pourquoi ? Parce qu'ils ne gagnent rien.
Voilà pour le présent.
Quant au passé, dans une période de vingt-sept ans qui s'est écoulée depuis que la Belgique s'est constituée en nation, combien d'années de prospérité compte-t-on pour l'industrie charbonnière ? Sept ou huit, moins du tiers ; et les deux autres grands tiers ont été des années de souffrance.
Il n'est aucun de vous, voulant faire appel à sa mémoire, qui ne se souvienne que très souvent nous avons entendu les choses les plus tristes sur la situation de l'industrie houillère et particulièrement sur la situation des ouvriers houillers. Mais j'ai vu des moments, messieurs, (page 1164) où les amis du pays s'effrayaient de cette situation. Ils s'en effrayaient et sous le rapport politique et sous le rapport de la tranquillité. Et dans de semblables circonstances, il n'est aucune mesure proposée par le gouvernement que la Chambre n'eût adoptée pour venir au secours de cette industrie.
Le passé, messieurs, n'est donc pas rassurant, et ce qui a eu lieu il y a quelques années, non seulement peut se représenter encore, mais se représentera très probablement. Je viens de vous le dire, l'industrie qui a été dans une voie très prospère pendant deux ou trois ans, grâce à des circonstances tout à fait accidentelles, cette industrie décline visiblement depuis quelque temps.
Le premier trimestre de 1857 sera fort peu satisfaisant. J'ai devant les yeux le chiffre des exportations pendant les mois de janvier et février. Eh bien, la diminution des exportations est d'environ un tiers, et la période décroissante continue. On vend moins au dehors et l'on vend moins au dedans. Les chiffres ne sont pas contestables. La période est mauvaise non seulement pour l'exportation des charbons, mais pour les quantités de charbons qui se vendent dans le pays, comparées à l'année 1856, comparées à l'année 1855, comparées à l'année 1854.
Mais, dit-on, l'expérience cependant est faite. Vous avez eu trois années de prospérité. Pourquoi cet état de choses ne continuerait il pas, sauf quelques oscillations en bien ou en mal ?
Mais, messieurs, nous avons répété à satiété que cette prospérité était le résultat de circonstances tout à fait accidentelles. Nous avons répété que ces circonstances venant à cesser, la prospérité cessera également. Nous le prouvons en vous démontrant que les choses ne sont plus déjà dans un état aussi satisfaisant qu'elles étaient. L'honorable M. Loos a avoué que le fret, à l'heure où nous parlons, et que j'avais dit être dans la proportion de 10 à 16, est dans la proportion de 7 à 11. (Interruption.)
Ii a reconnu que le fret était aujourd'hui de 11 schellings et que passé quelques années il était de 7 schellings.
Et l'honorable membre est si convaincu que le chiffre ne restera pas à 11 sch. qu'il vous a présenté un amendement qui a précisément en vue de prévoir la diminution du fret, diminution qui est plus que probable, qui est certaine.
La guerre étant finie, les grandes exportations vers l'Orient n'ayant plus lieu, il n'y a pas de raison pour que les faits ne retombent pas à ce qu'ils étaient, il y a quelques années ; et si j'avais besoin d'un argument particulier pour démontrer que cela est dans toutes les probabilités, je puiserais cet argument dans le discours de l'honorable député d'Anvers qui vous a dit que l'on construit force bâtiments sur tous nos chantiers.
Eh bien, plus on construira de bâtiments, plus le fret baissera, parce que la concurrence sera plus grande.
Mais il y avait une autre raison encore pour laquelle le charbon anglais ne pouvait pas arriver en grande quantité pendant les années que nous venons de traverser.
Votre législation n'était que provisoire. Vous aviez décrété la libre entrée des houilles, mais pour un temps limité, et vous pouviez même mettre un terme à cette liberté avant l'époque fixée.
Comment vouliez-vous que les grands exploitants de l'Angleterre nouassent des relations sur une grande échelle avec la Belgique, alors que les relations qui auraient été établies pouvaient être bouleversées d'un moment à l'autre ?
Tout le monde sait que quand, d'un pays à l'autre, on commence des relations importantes, il y a des magasins à se procurer, des correspondants avec lesquels il faut être d'accord, des agents à envoyer sur les lieux ; comment l'industrie anglaise se serait-elle donné toutes ces peines, comment aurait-elle fait tous ces frais, alors que nous nous trouvions sous une législation provisoire, qui pouvait être bouleversée du jour au lendemain ?
Mais que la libre entrée des houilles soit décrétée d'une manière définitive, et vous verrez, dans un très bref délai, les exploitants anglais venir établir sur tous nos grands marchés les relations indispensables pour faire de grandes affaires.
Messieurs, on est encore revenu sur cette distinction que j'ai déjà refusée, sur cette distinction des objets qui figurent à notre tarif, en matières premières et en matières fabriquées. Mais vous avez entendu messieurs, de la bouche d'un des défenseurs de la libre entrée, vous avez entendu combien cette distinction est futile, combien elle est dénuée de toute espèce de fondement. Que vous a dit l'honorable M. David ? Il vous a dit qu'en Angleterre le drap était une matière première et que l'on ne considérait pour les étoffes de laine comme matière fabriquée que le drap transformé en vêtements. Oh ! s'il en est ainsi, nous aurions un dégrèvement considérable à opérer sur tous les objets qui figurent dans notre tarif.
La toile est une matière première jusqu'à ce qu'elle soit transformée en chemises et en draps de lit. Le coton est une matière première jusqu'à ce qu'elle soit transformée en vêtements de femmes. Oh ! à ce prix nous allons peut-être nous entendre, car ce que nous demandons c'est une législation uniforme, une législation qui ne vienne point sacrifier une grande industrie pour que les autres industries puissent faire de plus grands bénéfices.
J'ai sous les yeux, messieurs, un rapport d'une chambre de commerce dans lequel cette question est traitée avec beaucoup de talent ; mais bien qu'il ne s'agisse que d'une seule page, j'avoue que je recule devant la lecture de ce travail très remarquable, parce que j'aspire moi-même à voir cette discussion arriver à son terme et que je suis persuadé que la Chambre n'aime plus les longs discours.
Messieurs, nous avons tiré un argument très sérieux, selon nous, du remboursement du péage sur l'Escaut. Un honorable orateur, qui nous a répondu, nous a dit : « Mais cet argument, si vous l'appliquez à la houille, il faut l'appliquer à toute espèce, de marchandises. » Ainsi, par exemple, on nous a cité le guano ; pour chaque tonne de guano qui arrive en Belgique, on opère le même remboursement que pour une tonne de houille. L'exemple me semble mal choisi. Messieurs, je ne pense pas qu'il puisse résulter pour la Belgique un préjudice quelconque du guano qui arrive chez nous. La production des engrais est nécessairement limitée ; on ne peut pas l'augmenter selon les besoins du pays, et les engrais décidément manquent dans notre pays ; plus il en entre, plus le bienfait sera grand pour l'agriculture, et je suis très persuadé que d'aucune part ne se produiront des plaintes sur la quantité de guano entrant en Belgique.
Peut-on comparer le guano aux produits de l'industrie houillère ? Peut-on craindre qu'à une époque quelconque la houille vienne à manquer sur nos marchés ? La production de la Belgique n'est-elle pas suffisante pour ses besoins ? Evidemment la réponse qu'on nous a faite ne détruit en aucune manière la force de l'argument.
Permettez-moi d'insister sur ce point que je prie la Chambre de ne pas perdre de vue. Le droit actuel, le droit qui sera rétabli à partir du 1er janvier prochain, si une nouvelle loi n'intervient pas d'ici à cette époque, ce droit sera de fr. 14 80 cent., et le gouvernement vous propose de le réduire des neuf dixièmes.
Je sais très bien, et j'ai entendu cette assertion dans la bouche de chacun des orateurs qui nous ont combattus ; je sais très bien que le droit de 14 fr. 80 est un droit prohibitif. Mais, enfin, il est fort probable que quand ce chiffre a été fixé, on a reconnu le droit de 14 fr. 80 comme étant nécessaire pour que la prohibition eût lieu, c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'on supposait alors que le droit n'étant que de 13 francs, il entrerait une certaine quantité de houille étrangère ; qu'il en entrerait une plus grande quantité, si le droit était de 12 francs et qu'en suivant la même progressive, il en entrait une quantité infiniment plus grande, quand le droit ne serait plus que le dixième du droit exigé pour la prohibition.
Qu'on me cite un seul article de notre tarif sur lequel on ait de prime saut fait une réduction aussi forte.
Nous ne sommes pas libre-échangistes, nous dit-on de toutes parts ; nous ne demandons pas la liberté complète du commerce ; nous ne voulons qu'une chose : un abaissement graduel et modéré des droits en vigueur.
Or, nous sommes parfaitement d'accord et nous croyons que le droit que nous soutenons est un droit modéré, tellement modéré qu'aller au-dessous d'un franc 40 c, c'est vouloir établir le droit pour le seul plaisir de dire qu'il existe.
Nous sommes donc en présence de quatre propositions : la libre entrée, le droit de 83 centimes, celui de 1 fr. 40 cent, et enfin l'amendement de l'honorable M. Loos qui tend à décréter la libre entrée, en donnant au gouvernement la faculté d'établir le droit de 1 fr. 40 centimes lorsque, suivant lui, les circonstances l'exigeraient.
Quant à ce dernier amendement, je n'hésite pas à dire qu'il est inacceptable et je suis même très persuadé que le gouvernement ne consentirait pas à se charger de la responsabilité qu'on veut faire peser sur lui. Mais en réalité, qu'est-ce que c'est que l'amendement de l'honorable M. Loos ? C'est l'échelle mobile en matière de charbon, c'est-à-dire que le 1er janvier vous aurez la libre entrée ; si trois mois après le gouvernement trouve que la quantité de charbon introduite est contraire aux intérêts du pays, il décrétera le droit de 1 fr. 40 cent ; l'entrée des houilles étrangères diminuera ; de nouveau libre entrée, sauf à rétablir le droit de 1 fr. 40 cent quelque temps après. Un tel système ne peut convenir ni au pays ni à aucun intérêt, car j'ai souvent entendu préconiser avec raison cette doctrine par les honorables députés d'Anvers ; ce qu'il faut au commerce, c'est la stabilité. (Interruption.)
L'honorable M. Loos explique son amendement dans un autre sens que celui que je lui ai donné. L'amendement ne signifierait rien autre chose sinon que, si la libre entrée étant décrétée, le gouvernement trouve qu'elle a de mauvais effets, il peut rétablir le droit de 1 fr. 40 c. ; mais alors ce droit serait définitif.
Eu ce cas, ne vaut-il pas mieux établir ce droit définitivement dès aujourd'hui ? toute incertitude sera levée et vous aurez un état de choses rassurant pour les uns sans faire tort aux autres.
J'arrive au droit de 83 c. Je dois dire franchement que ce serait une chose éminemment regrettable que le vote des 83 c. d’une manière définitive, et que mieux vaudrait, dans l'intérêt de l'industrie charbonnière, qu'aucune décision quelconque ne fût prise aujourd'hui. La raison en est bien simple.
Il était impossible que la discussion actuelle vint à surgir dans des circonstances plus exceptionnelles, le fait que je rappelais tout à l'heure vous le prouve.
Il y a trois ans, les honorables membres qui ne veulent pas de droits (page 1165) aujourd'hui, eussent voté avec plaisir 1 fr. 40 c, eussent même voté davantage.
Eh bien, il est probable que dans un ans, dans deux ans peut-être, nous nous retrouverons dans les mêmes circonstances et que les honorables membres dont je viens de parler voteraient encore 1 fr. 40 c. et peut-être même un droit plus élevé ; mais la discussion arrive justement lorsque, grâce à des circonstances accidentelles, des circonstances tout à fait exceptionnelles, l'industrie houillère a eu 2 ou 3 années de prospérité.
J'espère donc que la Chambre n'hésitera pas à voter le droit de 1 fr. 40 c.
Il faut que les hommes qui se trouvent à la tête des affaires regardent ce droit de 1 fr. 40 c. comme bien indispensable pour ne pas compromettre une grande industrie du pays, pour que ce chiffre ait été admis par deux ministères successifs. A coup sûr on ne prétendra pas que le cabinet actuel accepte les yeux fermés les projets formulés par ses prédécesseurs.
J'en appelle à un projet dont nous aurons à nous occuper sous peu. S'il n'avait pas trouvé ce droit indispensable …
M. Rogier. - C'est par conciliation.
M. de Brouckere. - Le ministère actuel ne s'est pas montré excessivement épris de ce qu'avaient fait ses prédécesseurs en matière de charité ; cependant il n'a pas hésité à accepter le droit de 1 fr. 40 c. que, ses prédécesseurs avaient présenté ; j'irai plus loin ; je suis convaincu que si un autre ministère, composé des hommes qui nous combattent aujourd'hui, était aux affaires, en présence de la législation qui nous régit, ce ministère soutiendrait le droit de 1 fr. 40 c. comme le ministère actuel, comme le ministère précédent.
Quand on n'a d'autre responsabilité que celle de son vote, il est facile d'émettre des doctrines larges, des doctrines qui ont la sympathie du plus grand nombre ; mais quand on a le poids des affaires, quand on a une grande responsabilité devant soi, on réfléchit à deux fois avant d'en venir à ces mesures violentes. J'appelle mesure violente, faire passer d'un droit prohibitif à la libre entrée.
Je ne rappellerai plus qu'une seule chose. Il y a très peu de temps, vous avez voté un droit sur l'entrée des blés étrangers, c'est à dire sur le pain. (Interruption.)
J'accepterais volontiers une interruption si je pouvais la comprendre.
Le fait est-il vrai ? La Chambre a voté tout récemment un droit sur l'entrée des blés étrangers (interruption)... non pas un droit de balance, la Chambre a voté un droit qui monte au moins à 2 p. c. (Interruption. Non ! Si !)
M. Prévinaire, avec qui je ne suis pas d'accord en ce moment, reconnaît qu'on a voté un droit qu'on peut évaluer approximativement à 2 p. c. Je demande quelle répugnance la Chambre peut avoir à voter un droit modéré sur les houilles.
Si les houilles sont nécessaires, non seulement à l'industrie, mais à la classe ouvrière, à la classe pauvre, le pain lui est tout aussi nécessaire à coup sûr. Je ne vois pas de raison, quand on a cru pouvoir mettre un droit sur le pain, pour qu'on ne puisse pas en mettre un sur les charbons, surtout alors que nos adversaires reconnaissent eux-mêmes que la libre entrée ne fera pas diminuer d'une manière sensible le prix du charbon, alors que la libre entrée n'aura d'autre effet que de favoriser les exploitants étrangers au détriment des exploitations belges, sans qu'il en résulte aucun avantage pour les consommateurs, pour les industriels, pas plus que pour la classe ouvrière.
(page 1171) M. Dechamps. -J'aurais voulu ne pas prendre la parole une seconde fois ; ma santé me le conseillait. Mais après le discours prononcé hier par l'honorable M. Orts qui s'est surtout attaché à répondre à celui que j'avais prononcé dans la séance précédente, il ne m'est pas possible de garder le silence.
Messieurs, lorsque l'honorable M. Orts s'est levé à la séance d'hier, il a commencé par déclarer qu'il ne faisait pas partie de la catégorie des radicaux en matière économique, il s'est rangé parmi les réformistes modérés.
Cette déclaration a excité en moi un vif intérêt de curiosité ; je l'éprouve toujours quand l'honorable M. Orts prend la parole, car il a le privilège de captiver la Chambre par sa parole claire, facile, toujours élégante ; mais ma curiosité a été plus particulièrement éveillée par une autre cause.
Je me demandais comment l'honorable membre allait justifier ce titre de réformiste modéré qu'il avait pris, tout en proposant pour une grande industrie du pays une réforme radicale, la libre entrée des houilles.
Les libre-échangistes les plus novateurs, les plus hardis ont inscrit dans leur programma deux articles principaux : d'abord ils admettent tous un droit fiscal, les uns de 5 p. c., les autres de 10 p. c. comme M. David, mais tous admettent un droit fiscal dans l'intérêt du trésor ; tous acceptent, pour les industries depuis longtemps protégées, une transition afin de ne pas passer brusquement de la prohibition à la liberté commerciale.
Ainsi quand on propose un droit de 1 fr. 40 c. sur la houille, je dis que pour les qualités de charbon seules engagées dans la concurrence avec l'Angleterre, le gros et la gailleterie, ce droit n'équivaut qu'à 5 ou 6 p. c., par conséquent n'atteint pas le droit fiscal de M. David qui est de 10 p. c.
L'honorable M. Liedts évaluait le droit de 1 fr. 40 à 12 p. c., mais il comprenait dans ses calculs le menu, le tout-venant qui n'est jamais exporté par l'Angleterre ; elle n'exporte que le gros et les gailleteries ; il ne s'agit donc pas même du droit fiscal admis par les libre-échangistes ; nous restons en deçà.
La transition, il n'y en a pas. Le comité des houillères de Mons, il y a deux ans, avait demandé que les partisans de la liberté commerciale appliquassent leurs principes, qu'ils réduisissent graduellement, soit de moitié, le droit de 14 fr. 80 c. Il réclamait cette transition, toujours préconisée en principe par les libre-échangistes.
Ici, nous-mêmes, nous ne demandons pas un droit fiscal réel, car le droit proposé est inférieur aux sacrifices faits par l'Etat du chef du remboursement des péages sur l'Escaut.
Nous n'exigeons pas même de transition ; nous acceptons d'emblée une réduction des 9/10 du droit, nous acceptons un tarif que le gouvernement ne propose qu'avec doute et hésitation, non seulement le ministère actuel, mais le ministère précédent, et qui excite des craintes très vives parmi les producteurs, parmi les exploitants de houille.
Ainsi en demandant, en proposant la libre entrée, vous demandez de vous mettre hors du programme du libre-échange, hors la loi libre-échangiste. Vous faites pour les producteurs de houille une exception.
M. de Lexhy. - Et l'agriculture !
M. Dechamps. - J'y arriverai tout à l'heure.
Je me suis donc demandé avec un vif sentiment de curiosité comment l'honorable M. Orts, qui propose cette mesure radicale, allait justifier le titre de réformiste modéré qu'il s'adjuge.
Je l'ai écouté attentivement. IL a donné ses raisons. Ces raisons, les voici :
L'honorable M. Orts a comparé d'abord la position de la houille à celle des céréales, (comparaison que l'on vient encore de faire par une interruption). L'une est le pain de l'industrie, l'autre est le pain du peuple.
Il nous a dit que si une industrie pouvait subir l'épreuve de la liberté, c'était l'industrie de la houille, industrie forte, prospère, qui a réalisé assez de progrès pour accepter cette épreuve.
Il a soutenu, contrairement à ce que j'ai dit, que nos houilles n'avaient pas de concurrence à redouter sur le marché français.
Il a soutenu que tout le monde demandait la libre entrée, que personne ne protestait. Il a cité comme fait à l'appui de sa thèse, la cherté des houilles, et l'expérience de la libre entrée faite depuis trois ans.
Voilà le résumé du discours de l'honorable membre.
Je demande la permission de reprendre chacun de ces arguments l'un après l'autre pour les réfuter. (Parlez ! parlez !)
Mais avant de le faire, j'ai besoin d'indiquer la raison la plus vraie qui, selon moi, encourage nos adversaires à proposer une mesure aussi extrême que la libre entrée et à combattre un droit aussi modéré que celui de 1 fr. 40 c.
Cette raison, la voici : La politique des partisans de la libellé commerciale a consisté jusqu'à présent à isoler les grands intérêts du pays, pour les discuter l'un après l'autre et les vaincre tour à tour.
Nous avons eu :
D'abord la réforme agricole ;
Puis la réforme du commerce maritime ;
Puis la réforme du fer ;
Aujourd'hui la réforme des houilles ;
Demain la réforme des autres industries.
En isolant les intérêts pour les discuter ainsi successivement, on espère former une coalition de tous contre un. On espère que les intérêts sacrifiés deviendront libre-échangistes. Ainsi l'honorable M. Coomans a été autrefois un protectionniste très décidé, beaucoup plus que moi. Aujourd'hui, il est libre-échangiste : il l'a fait au nom du principe de solidarité qui doit dominer toutes les industries. On espère ainsi grossir la phalange du libre-échange par le moyen des représailles. On espère que chaque intérêt sacrifié, invoquant la solidarité, viendra en aide à ceux qui veulent révolutionner notre régime économique.
La ruine commune serait le remède de ce système, par la réaction qu'elle produirait. (Interruption.)
C'est comme cela.
Je dirai avec l'honorable M. de Brouckere qu'on aurait dû discuter le tarif dans des vues d'ensemble, d'après des principes communs à tout le tarif. Aujourd'hui, l'on examine la question des houilles sous l'empire de circonstances exceptionnelles, qui ne nous laissent pas une liberté entière d'appréciation.
Je reprends les arguments de l'honorable M. Orts.
Le premier de ces arguments consiste à assimiler la houille aux céréales aux denrées alimentaires.
Le blé est la nourriture du peuple, la houille est le pain de l'industrie. L'honorable M. de Brouckere vient de le faire remarquer, pour le blé qui est la nourriture du peuple on a admis un droit faible, j'en conviens, mais enfin un certain droit fiscal. Mais remarquez-le, quand vous avez adopté ce droit fiscal sur les céréales, quel est l'argument qu'on a fait valoir, et qui a fini par triompher ? On a dit : La Belgique ne produit pas assez ; il y a un déficit de 700,000 hectolitres dans la production totale. Nous devons aller chercher à l'étranger le blé qui nous manque.
Pour la houille, c'est le contraire qui est vrai. C'est une industrie d'une production exubérante, qui sur 8,000,000 de production a besoin d'exporter 3,000,000. C'est une industrie d'exportation. Je comprendrais la suppression des droits en France et en Allemagne, où il y a un déficit assez considérable dans la production de la houille. Je comprendrais que la France qui doit demander à l'étranger le tiers de la houille nécessaire à sa consommation, dît : Supprimons les droits. Faisons de la liberté commerciale.
Elle ne le fait pas cependant.
Elle maintient des droits élevés, un droit de 3 fr. 30 c. sur la zone maritime.
Comment admettre après cela que nous supprimerions les droits, nous qui produisons un tiers de plus qu'il ne faut pour notre consommation ? En temps ordinaire, la concurrence intérieure suffit.
L'honorable M. Orts (c'est l'argument qui a produit le plus d'impression sur la Chambre et il devait en être ainsi) nous a présenté l'industrie des houilles comme une industrie forte, prospère, ayant réalisé tous les progrès qui ont été réalisés en Angleterre. Je reconnais que cela et vrai, et M. Orts s'est ainsi chargé de réfuter les erreurs de M. David à cet égard.
Mais il y a une limite que nous ne pouvons pas franchir, c'est la supériorité naturelle des richesses minérales de l'Angleterre ; c'est l'infériorité naturelle des nôtres. L'honorable M. Orts ne le niera pas.
Vous avez tous lu les mémoires des ingénieurs français, des ingénieurs anglais, des ingénieurs belges sur cette question. Tous reconnaissent que sous le rapport de l'épaisseur des veines, des couches souvent horizontales, de la position des bassins près du littoral, il y a une différences dans le prix de revient que les uns évaluent à 3 francs, les autres à 4 francs. Mais enfin, la différence existe. Il y a une supériorité naturelle de richesse minérale en Angleterre relativement à la France et à la Belgique.
Eh bien, en présence de ce fait, la France comme la Belgique ont besoin d'une compensation. Cette infériorité ne peut être compensé, si non par la protection.
Or, cette protection, elle réside, ou bien dans le fret élevé de mer, quand le fret est élevé comme il l'est aujourd'hui, ou bien, quand le fret de mer est bas, dans une protection douanière.
Il n'y a pas d'autre moyen de compenser cette différence, cette infériorité, qu'il ne dépend pas plus des producteurs belges que des producteurs français d'empêcher.
Messieurs, l'honorable M. Orts a présenté le tableau de l'immense prospérité des charbonnages et il a produit sur vos esprits l'impression qu'il voulait produire. Mais que l'honorable membre me permette de rectifier les faits et de les présenter dans toute leur vérité.
Oui, messieurs, depuis 1853, l'industrie de la houille et l'industrie des fers parcourent une période prospère, une période où une partie des charbonnages, ceux qui sont dans la meilleure position, ont réalisé de grands bénéfices.
Mais je l'ai dit déjà, l'industrie de la houille el l'industrie du fer, c'est là leur histoire, ont traversé, depuis 1830, des périodes successives de prospérité et de décadence, de prospérité et de crise. Et veuillez remarquer que les périodes de crise qui ont suivi invariablement les périodes de prospérité comme réaction, ont toujours été plus longues que les périodes de prospérité.
(page 1172) Ainsi de 1833 à 1838, dans une période de quatre à cinq ans, un très grand mouvement de prospérité s'est manifesté dans l'industrie métallurgique el dans l'industrie carbonifère, à cause de la création des chemins de fer qui étaient dans tout leur développement. Les prix étaient aussi élevés qu'aujourd'hui. Aussi en 1838 tenait-on le même langage qu'en ce moment.
On disait aussi que la prospérité des charbonnages était illimitée, ne pouvait plus avoir d'intermittence, que la construction des chemins de fer ouvrait une ère nouvelle pour cette industrie.
Je me souviens que l'honorable M. Rogier, frappé de ce fait, avait proposé que les mines nouvelles dont on demandait la concession, fussent exploitées par l'Etat, dans l'espérance de voir l'Etat en retirer de grands bénéfices.
M. Rogier. - Je n'ai pas demandé que l'Etat exploitât les houillères. J'ai demandé que l'Etat tirât profit des houillères qu'il concédait pour rien.
M. Dechamps. - Bien ; que l'Etat participât aux bénéfices des houillères nouvelles à créer.
L'honorable M. Gendebien répondit alors à l'honorable M. Rogier, que pour lui, qui était producteur de houille et actionnaire dans les charbonnages, il consentait volontiers à signer un contrat par lequel on lui garantirait 3 p. c. sur ses actions ; et je crois que l'honorable M. Gendebien aurait fait un excellent marché, si l'on avait accepté sa proposition.
Ainsi de 1833 à 1838, prospérité.
En 1838, crise de la Banque de Belgique, crise financière, ralentissement dans la construction des chemins de fer, crise métallurgique, crise charbonnière.
Cette crise de 1838 s'est prolongée jusqu'en 1843.
Ainsi, quatre à cinq ans de prospérité ; cinq à six ans de décadence.
Pendant les trois années 1844, 1845 et 1846 il y a eu reprise ; il y a eu progrès, prospérité relative. Les prix se sont relevés à 9 et 10 francs Voilà la seconde période de prospérité.
En 1846, crise alimentaire.
En 1847 crise financière.
En 1848, révolution.
Dès 1847, les prix tombent de fr. 9-50 à 8 fr. en 1847 ; et en 1848, ils descendent à 7 fr., prix de ruine pour la plupart des charbonnages.
Cette situation se prolonge jusqu'en 1852, c'est-à-dire qu'il y a une crise de six années.
Ce n'est que depuis 1855 que la prospérité a reparu et cette prospérité existe non seulement pour les houillères, niais pour toutes les grandes industries.
Messieurs, aujourd'hui le ralentissement commence par les mêmes causes. Depuis quelques mois le prix a baissé sur toutes les qualités de 1 à 2 francs. M. le ministre des finances vous a signalé ce fait que nos exportations vers la France, qui est notre plus grand marché après le marché intérieur, ont baissé de 250,000 tonneaux eu deux mois. Il y a encombrement sur le carreau des fosses. La baisse commence et si vous décrétiez la libre entrée, vous auriez peut-être ouvert pour l'industrie une nouvelle période de sacrifices et de souffrance.
Messieurs, j'ai rappelé dans mon premier discours, qu'en 1847, alors que nous n'étions pas encore dans l'état de crise de 1848 à 1852, l'honorable M. Frère a constaté à la tribune que plus de la moitié des charbonnages du pays se trouvaient en perte.
Si au lieu de prendre les années 1855 et 1856, comme l'a fait l'honorable M. Orts, on prenait une moyenne décennale, je réponds que le bénéfice ne serait pas de 3 p. c. pour l'ensemble des houillères du pays.
L'honorable M. Orts a cité le chiffre du bénéfice par tonne dans chéque bassin et il a pris plaisir à rappeler l'opinion d'un de mes honorables amis, M. Wautelet, président de la chambre de commerce de Charleroi, je vais répondre à ces chiffres.
D'après l'honorable M. Orts, en 1856, le bénéfice dans le bassin de Charleroi était de 2 fr. 10 c. par tonne. Or, en calculant sur le capital engagé de 50 millions dans ce bassin, cela fait 12 p. c. Mais l'honorable membre a toujours parlé du bénéfice net. C'est une erreur. Car il faut déduire les intérêts des capitaux engagés de ces 12 p. c, il faut déduire l'intérêt de 5 p. c. Il ne reste plus comme bénéfice net, comme bénéfice dividende que 7 p. c. dans l'année, maximum, à l'apogée de la prospérité.
En 1855 et 1854, le bénéfice dans le bassin de Charleroi est de 1 fr. 39 c. et de 1 fr. 63 c, c'est-à-dire de 8 à 9 p c, non pas bénéfice net, mais, en déduisant l'intérêt des capitaux engagés, cela revient à 3 et 4 p. c.
En 1853, le bénéfice était de 81 centimes, c'est-à-dire de 4 p. c.
Puisque l'honorable membre a cité les paroles de l'honorable M. Wautelet, je me permettrai de compléter la citation. Voici ce que disait la chambre de commerce en 1855 :
« C'est la première fois que nous avons à constater un résultat aussi avantageux pour l'industrie charbonnière ; cet état de choses apporte une utile el légitime compensation aux nombreuses années de déception ct de souffrances. »
C'est la première fois que la chambre de commerce de Charleroi avait à constater un bénéfice pendant une période de 5 à 6 années qui avait précédé.
Messieurs, il ne faut pas oublier que la prospérité actuelle de l'industrie houillère est héritière des ruines anciennes. Presque toujours, lorsqu'on crée un charbonnage, ceux qui le fondent se ruinent, et il faut plusieurs générations pour que l'opération devienne productive.
Si l'on calculait les capitaux primitifs engloutis dans l'industrie charbonnière, je réponds que la moyenne du bénéfice ne serait pas de 1 p.c. Si un actionnaire avait des actions depuis 60 ans, je dis que ces actions, en moyenne, n'auraient pas produit 1 p. c.
Vous voyez, messieurs, que le tableau que l'honorable M. Orts a fait miroiter devant nous est tout simplement un tableau de fantaisie, même pour les charbonnages qui sont dans la meilleure position et il en est beaucoup, les charbonnages maigres par exemple, qui végètent ; d'autres qui sont encore en perte.
Je viens de faire voir que si vous prenez une moyenne décennale, tous ces indices de prospérité s'évanouissent ; or, quand on fait des lois permanentes il faut les faire non pour des faits temporaires, mais sur les résultats moyens d'une dizaine d'années au moins.
Voilà, messieurs, la première objection de l'honorable M. Orts, je pense que je viens d'y répondre suffisamment.
La deuxième objection est celle-ci.
J'avais dit, dans mon premier discours, que pour apprécier l'influence d'un droit protecteur de 1 fr. 40 c. ou de la libre entrée, il fallait comparer la position et les chances de lutte de l'industrie charbonnière belge et de l'industrie charbonnière anglaise sur le marché français, sur le marché de Rouen et sur le marché de Paris.
Je n'avais pas prétendu que nous avions été exclus du marché de Rouen et du marché de Paris ; j'avais dit, au contraire, que l'industrie anglaise commençait à lutter sur le marché de Paris. L'honorable membre a voulu contester ces faits, permettez-moi de les rétablir.
Jusqu'en 1837, le droit sur la zone maritime en France était de 11 fr. pour les houilles, anglaises et de 3 fr. 30 c. pour les houilles belges ; l'écart entre les deux droits était donc de 7 fr. 70 c.
Eh bien, avec cette différence la houille anglaise était exclue et nous étions en complète possession du marché de Rouen.
Voilà le premier fait.
En 1837, je pense, le droit a été réduit à 5 fr. 50 c. pour la zone maritime et à 1 fr. 65 c. pour la zone belge ; l'écart, la protection en notre faveur, n'est plus que de 3 fr. 85 c. au lieu de 7 fr. 70 c. Quel est le résultat de ce nouvel état de choses ? Nous avons, en 1837 et en 1838, perdu à peu près complètement le marché de Rouen. Comment l'avons-nous regagné sous l'empire de ce droit ? En 1841 ou en 1842, lorsque l'Angleterre a établi un droit de 2 fr. 50 c. à la sortie des houilles.
Cela a suffi pour nous faire regagner du terrain sur le marché de Rouen.
En 1845 on a supprimé ce droit de sortie ct c'est alors que lord Brougham a dit à la tribune anglaise que tout pays dont la houille anglaise aurait fait la conquête serait vassal de l'Angleterre. C'est une exagération, je veux bien l'admettre, mais ce mot est significatif.
Messieurs, depuis cette époque de 1845, il y a eu décroissance progressive des exportations du bassin de Mons sur le marché de la Seine Inférieure, malgré la réduction de 8 francs sur le fret de Mons vers la Seine, résultant de l'abaissement du péage. Cette décroissance n'a pas eu lieu pour le bassin de Charleroi parce que l'ouverture du chemin de fer d'Erquelinnes est venue faire baisser le prix du fret de 14 à 15 fr. à 11 et 12 fr.
En 1854, messieurs, les exportations anglaises, comme on l'a dit, ont diminué, pourquoi ? Parce que le fret de mer était excessivement élevé, la marine anglaise étant absorbée par les besoins de la guerre. L'Angleterre n'a pas plus exporté en France, à cette époque, qu'elle ne pouvait exporter en Belgique.
Mais, messieurs, depuis un an, depuis la cessation de la guerre, que se passe-t-il sur le marché de Rouen et sur le marché de Paris ? Je lis dans le rapport du comité des houillères françaises, le fait suivant sur lequel j'attire l'attention de la Chambre.
Deux sociétés anglaises se sont constituées l'année dernière, l'une au capital de 4 millions, l'autre au capital de 20 millions pour exploiter les marchés de la Seine inférieure et de la Seine supérieure. Ces sociétés ont le projet de construire des bateaux à vapeur à petit-tirant d'eau et elles comptent arriver à un fret de moins de 9 francs entre Newcastle et Paris. Voici, messieurs, le compte qu'elles ont publié : Elles comparent le charbon de Newcastle au charbon de Mons, l’un et l'autre rendus sur le marché de Paris. Eh bien, avec un fret de 8 fr. 66 c., on arrive au prix de 24 fr. pour le charbon de Newcastle rendu à Paris et au prix de 30 fr. 52 c. pour le charbon belge également rendu à Paris ; c'est-à-dire que la faveur pour la houille anglaise serait de 6 fr. 50 c.
J'admets, messieurs, qu’il y ait de l'exagération dans ces calculs, mais je signale le fait pour prouver que la spéculation s'empare de l'idée, qui était naturelle depuis la cessation de la guerre, depuis que le fret tend abaisser, que la spéculation s'empare de l'idée de faire la conquête du marché de la Seine Inférieure et de la Seine, de Rouen et de Paris.
Je vous ai cité des renseignements que j'ai recueillis, d'après lesquels la même spéculation s'organise pour faire la conquête du littoral belge.
En résumé, dans l'approvisionnement de la Seine Inférieure, de (page 1173) Rouen et Elbeuf à Dieppe et au Havre, Mons, Charleroi et Anzin y figurent pour 1/5 et l'Angleterre pour 4/5.
Ainsi, messieurs, il reste évident que selon que le droit pour la zone maritime en France était élevé ou a été réduit, selon que l'Angleterre, a établi un droit de sortie ou l'a supprimé, selon que l'écart entre le tarif des zones françaises était plus ou moins grand ; nous avons été successivement en possession du marché de Rouen, et nous l'avons successivement perdu, et l'Angleterre s'en est emparée. Voilà un fait. J'en conclu, qu'il ne faut pas jouer avec les droits de douanes et qu'une différence de 1 fr. 40 c. ou de 2 fr. peut exercer une influence décisive sur le sort de ce grand intérêt national.
J'avais dit que nous étions menacés d'un autre côté par les bassins houillers du Pas-de-Calais et de la Moselle. L'honorable M. Orts a traité cet argument d'insignifiant Il en a parlé bien à son aise. Je vais lui citer des faits : on a commencé les sondages dans le Pas-de-Calais en 1845 ; on a accordé 10 à 12 concessions ; la surface concédée comprend 50,000 hectares ; c'est à-dire que la surface de ces terrains houillers concédés est la huitième partie de la surface totale du terrain houiller de la France. La production en 1854 a été de près de 500,000 tonnes ; en 1857, un produit de 30,000 hectolitres par jour, c'est-à-dire 800,000 tonnes.
Un industriel belge qui est intéressé dans ces houillères, m'a affirmé qu'il ne faudra pas deux ans pour voir ce chiffre de 800,000 tonnes doublé. Ce qui fait encore défaut à ces exploitations, ce sont les voies de communication ; elles sont encore obligées de transporter par axe dans certaines directions.
Un autre fait est constaté par la chambre de commerce de Mons, dans un rapport de 1855 : c'est que pour les marchés qui avoisinent le Pas-de-Calais, c'est-à-dire Arras, Douai et Béthune, qui étaient approvisionnés par le bassin de Mons et par la compagnie d'Anzin, Mons a perdu en un an ou deux ans 400 bateaux. Ce marché est perdu pour nous.
Ce n'est donc pas un fantôme que j'évoque devant vous. Le bassin du Pas-de-Calais est un bassin très riche ; il comprend des houilles grasses et demi-grasses ; il fait déjà une forte concurrence au bassin d'Anzin et à celui de Mons ; cette concurrence ne pourra que s'accroître. J'ai dit, me fondant sur le rapport du comité houiller français, qu'avant peu d'années les bassins dont je parle et celui de la Moselle produiraient à suffisance pour remplacer sur les marchés français les charbons qu'y envoyaient la Belgique et la Prusse.
Eh bien, en présence d'un pareil fait, décréter la libre entrée, c'est nous désarmer d'avance vis-à-vis du gouvernement français, lorsqu'il sera poussé par ces bassins producteurs à élever les droits à la frontière pour les protéger.
J'avais dit : Qui demande la libre entrée ; l'honorable M. Orts m'a répondu qu'elle est demandée par tout le monde et qu'elle n'est contestée par personne. Messieurs, je retourne la phrase et je dis : Qui demande la libre entrée ? Personne. (Interruption.) Je vais vous le prouver.
On aurait dû agir à l'égard de l'industrie houillère comme on a agi à l'égard des autres industries. Pour celles-ci le gouvernement a institué une grande commission ; lorsque cette commission a fait son travail, M. le ministre des finances a déclaré qu'il convoquerait tous les industriels pour contrôler le travail de la commission ; pour l'industrie houillère on n'a fait qu'une enquête ; on a consulté les chambres de commerce ; nous n'avons eu d'autre réponse officielle, c'est la seule voix officielle qui a parlé au nom du pays ; eh bien, quel est l'avis des chambres de commerce ? Elles ont toutes adopté le droit de 1 fr. 40 c. à l'exception de trois qui ont considéré le droit comme insuffisant.
La chambre de commerce de Mons a demandé un droit de 7 fr. 40 c, c'est-à-dire une réduction de moitié. La chambre de commerce de Tournai considère le droit d'un franc 40 c. comme insuffisant et dangereux. La chambre de commerce de Bruxelles, et il ne s'agit pas ici d'un intérêt de production, a proposé d'établir sur la zone maritime un droit de 2 fr. 40 c.
Deux chambres de commerce, celles de Charleroi et de Termonde, n'acceptent le droit d'un franc 40 c. que sous une réserve.
Ces deux chambres considèrent ce droit comme insuffisant, comme pouvant créer un grave danger pour l'avenir ; mais, comme compensation, elles demandent un dégrèvement dans les péages. Or, comme nous n'avons pas de dégrèvement de péages, ces deux chambres n'admettent pas le droit d'un franc 40 centimes ; elles le regardent comme insuffisant. Il n'y a donc que deux chambres de commerce, celle de Verviers, la citadelle du libre-échange, et celle de Nivelles, qui ont été plus loin ; mais elles ne sont pas allées jusqu'à proposer la libre entrée d'une manière absolue.
Le chambre de commerce de Verviers regrette qu'on n'ait pas proposé la libre entrée ; elle a indiqué le droit d'un franc ; la chambre de commerce de Nivelles propose la libre entrée, mais en faisant remarquer que cette mesure pourrait constituer un danger dans certaines prévisions et qu'il serait nécessaire d'armer le gouvernement de la faculté de rétablir le droit.
Ainsi, aucune chambre de commerce n'admet sans réserve la libre entrée des charbons. (Interruption.)
Je réponds à l'argument de l'honorable M. Orts péremptoirement.
Je vous réponds qu'aucune chambre de commerce ne l'a demandé, que cinq ont considéré le droit de 1 fr. 40 c. comme insuffisant et même dangereux ; que deux se bornent à faire des vœux pour la libre entrée sans oser le proposer, et que les autres, Alost, Anvers, Arlon, Bruges, Courtrai), Gand, Hasselt, Liège, Louvain, Namur, Ostende, Roubaix et Ypres, acceptent le droit de 1 fr. 40 c. Voilà la réponse du pays.
J’avais demandé : Sur quels faits vous appuyez-vous, pour établir cette libre entrée ? M. Orts m'a répondu par deux faits : le premier fait, c'est la cherté de houille, mais l'honorable M. Loos et l'honorable M. Lesoinne avaient répondu avant moi : elle tient à des causes générales, elle existe en Angleterre, en Allemagne, en France, et elle tient aux mêmes raisons qu'en Belgique ; ce n'est pas le fait d'une coalition, c'est une pauvre et injustifiable raison à alléguer ; mais les causes sont générales et non dominantes.
La libre entrée sera inutile quand il y aura cherté du combustible. Quand les charbons sont chers, ils sont chers partout à la fois ; il y a une telle solidarité entre tous les marchés européens que quand la houille est chère en Belgique elle l'est en France, en Angleterre, en Allemagne.
Quand les charbons sont chers, les frets sont élevés ; ainsi lorsque les charbons seront chers et que vous en aurez besoin, la libre entrée n'aura aucun effet possible, pas plus que maintenant ; l'honorable M. Lesoinne l'a reconnu avec sa loyauté ordinaire.
Je dis donc que le fret sera cher quand le charbon sera cher et que quand vous aurez besoin d'en avoir vous n'en recevrez pas plus qu'aujourd'hui.
Mais quand il y aura avilissement des prix, quand des crises financières, alimentaires ou politiques viendront bouleverser les intérêts, le fait produira les mêmes effets en Belgique qu'ailleurs et la mesure sera inutile, les prix seront bas, la concurrence suffira pour produire le bon marché que nous cherchons.
Mais la libre entrée sera dangereuse dans ce moment-là, parce que l'Angleterre ayant un encombrement sur ses carreaux, vous savez qu'elle produit 65 millions de tonnes, profitera de la libre entrée pour se débarrasser de son trop-plein ; alors seulement vous aurez des importations de houille qui écraseront et ruineront l'industrie nationale.
Ainsi voici mon argument : la libre entrée est inutile pendant les époques de cherté, elle est inutile pour amener la baisse et elle est dangereuse quand les prix sont avilis. Je crois que vous ne sortirez pas de ce dilemme.
Quant à l'expérience de la libre entrée des houilles depuis trois ans l'honorable M. de Brouckere a répondu à cette objection.
Je ferai remarquer que l'argument principal sur lequel je m'étais le plus appesanti, l'honorable membre l'a laissé de côté, il l'a indiqué dans une phrase que j'ai à peine entendue.
Mais il n'a pas osé l'aborder de front. Cet argument le voici :
Nous avons demandé et nous demandons l'égalité. Je dis que la théorie économique la plus radicale ne peut pas vouloir plus que l'égalité entre la production indigène et la production étrangère.
Je persiste à demander l'égalité pour la houille, et c'est cette égalité qu'on veut nous refuser.
J'ai établi qu'en admettant le système du remboursement du péage de l'Escaut pour la houille étrangère qui est de fr. 3 17 par tonneau et en lui permettant de parcourir libéralement pour se rendre à Mons, à Gand, à Bruges et à Bruxelles, des canaux exempts de péages, j'ai établi que dans ces conditions, si vous laissez subsister les barrières intérieures, les péages exorbitants, les frais de halage élevés, les entraves de toute sorte qui résultent de l'imperfection de nos voies navigables, de nos tarifs de chemins de fer, je dis que vous faites à la houille belge une position d'injustice et d'inégalité.
L'honorable M. Orts en est convenu, il nous a promis son concours pour obtenir plus tard la réparation de ce grief. Je l'en remercie, mais en attendant cette compensation, si elle arrive, vous voulez nous faire subir le sacrifice.
C'est donc l’égalité pour la houille belge que nous demandons, c'est contre un privilège à accorder à la houille étrangère que nous nous élevons.
Le droit de 1 fr. 40 c. n'est pas même un droit de compensation. En attendant que nos transports intérieurs soient organisés d'une manière intelligente et libérale, il faut une compensation douanière à la frontière, il faut une lutte de concurrence dans des conditions égales et équitables.
Voilà toute la question. M. Orts a compris que cette raison était puissante et décisive et il a jugé prudent de passer à côté.
(page 1165) - Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !
M. Coomans. - Je demande l'autorisation de dire deux mots en réponse à un reproche très grave qui m'a été adressé par mon honorable ami M. Dechamps.
M. Osy. -Messieurs, je suis le premier inscrit. Si on veut clore la discussion, je renoncerai à la parole ; mais si la discussion continue, j'userai de mon droit.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Il y a quatre propositions présentées.
Celle qui s'écarte le plus du projet du gouvernement est la proposition de MM. Lesoinne, Orts, Moreau, Vandenpeereboom, Coppieters, Mascart, David et Grosfils, ainsi conçue :
« N°8. Charbons de bois et tourbes, charbons de terre (houilles), libres. »
Plusieurs voix : L'appel nominal !
- Il est procédé à cette opération.
En voici le résultat :
93 membres sont présents.
2 (MM. le Bailly de Tilleghem et Rodenbach) s'abstiennent.
91 prennent part au vote.
30 votent pour.
61 votent contre.
La Chambre n'adopte pas.
Ont voté pour : MM. Thiéfry, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Renynghe, Vervoort, Calmeyn, Coomans, Coppieters 't Wallant, David, de Breyne, de Lexhy, Delfosse, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, de Steenhault, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Lebeau, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Orts, Pierre, Prévinaire, Rogier, Sinave et Tack.
Ont voté contre : MM. T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Goethem, Van Overloop, Van Tieghem, Vermeire, Vilain XIIII, Wasseige, Wautelet, Allard, Ansiau, Anspach, Boulez, Brixhe, Crombez, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de Kerchove, de La Coste, de Liedekerke, Della Faille, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Paul, de Rasse, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Theux, de T'Serclaes, Dumon, Dumortier, Faignart, Jacques, Janssens. Jouret, Julliot, Lambin, Lange, Laubry, Lelièvre, Licot de Nismes. Magherman, Malou, Matthieu, Mercier, Moncheur, Osy, Rousselle, Snoy el Delehaye.
M. le président invite les membres qui se sont abstenus à motiver leur abstention.
M. le Bailly de Tilleghem. - Je me suis abstenu parce que j'ai cru qu'il eût été préférable d'ajourner, pour le moment, la décision de cette proposition.
M. Rodenbach. - Je n'ai pas voté contre la libre entrée, parce que l'industrie des houilles a fait tant de progrès, que ce régime qui dure depuis trois ans ne lui a pas porté préjudice, et parce que la cherté toujours croissante de la houille peut rendre cette mesure nécessaire tant pour l'industrie que pour la classe malheureuse. Je n'ai pas voté contre parce que M. le ministre des finances a déclaré que si l'intérêt du pays l'exigeait il proposerait de proroger ce régime au-delà du 1er janvier 1858.
- La Chambre passe au vote sur l'amendement suivant, proposé par M. Loos :
« A dater du 1er janvier 1858, le gouvernement pourra, dans des circonstances particulières, établir un droit d'entrée sur les houilles, lequel, dans aucun cas, ne pourra dépasser 1 fr. 40 c. les 1,000 kilogrammes. »
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je ne me suis pas prononcé jusqu'ici sur cet amendement. Je déclare que je ne puis l'accepter.
- Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
La proposition de la section centrale, consistant à fixer à 83 centimes par mille kilogrammes le droit d'entrée sur les houilles est mise aux voix par appel nominal.
Voici le résultat du vote :
94 membres sont présents.
2 (MM. le Bailly de Tilleghem el Rodenbach) s'abstiennent.
92 prennent part au vote.
41 votent pour.
51 votent contre.
La Chambre n'adopte pas.
Ont voté pour : MM. Thiéfry, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Vervoort, Anspach, Boulez, Calmeyn, Coomans, Coppieters 't Wallant, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Lexhy, Delfosse, Della Faille, de Naeyer, de Perceval. de Portemont, de Renesse. de Steenhault, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Jouret, Julliot, Lebeau, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Orts, Osy, Pierre, Prévinaire, Rogier, Sinave et Tack.
Ont voté contre : MM. T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Goethem, Van Overloop, Van Tieghem, Vermeire, Vilain XIIII, Wasseige, Wautelet, Allard, Ansiau, Brixhe, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de Kerchove, de la Coite, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Paul, de Rasse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Theux, de T’Serclaes, Dumon, Dumortier, Faignart, Jacques, Janssens, Lambin, Lange, Laubry, Lelièvre, Licot de Nismes, Magherman, Malou, Matthieu, Mercier, Moncheur, Rousselle, Snoy et Delehaye.
M. le Bailly de Tilleghem. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que j'ai énoncés au premier vote.
M. Rodenbach se réfère aux motifs d'abstention qu'il a indiqués à l'occasion du vote précédent.
M. le président. - Il reste à la Chambre à statuer sur la proposition du gouvernement consistant à fixer à 1 fr. 40 c. par mille kilog. le droit d'entrée sur les houilles.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur cette proposition. En voici le résultat :
93 membres prennent part au vote.
54 votent l'adoption.
39 votent le rejet.
En conséquence, la proposition du gouvernement est adoptée.
Ont voté l'adoption : MM. Thiéfry, T’Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Goethem, Van Overloop, Van Tieghem, Vermeire, Vilain XIIII, Wasseige, Wautelet, Allard, Ansiau, Brixhe, de Brouckere, Dechamps, de Haerne, de Kerchove, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Paul, de Rasse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, (page 1166) Desmaisières, Desmet, de Theux, de T’Serclaes, Dumon, Dumortier, Faignart, Jacques, Janssens, Jouret, Lambin, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lelièvre, Licot de Nismes, Magherman, Malou, Matthieu, Mercier, Moncheur, Rodenbach, Rousseîîe, Snoy et Delehaye.
Ont voté le rejet : MM. Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Vervoort, Anspach, Boulez, Calmeyn, Coomans, Crombez, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Lexhy, Delfosse, Della Faille, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Steenhault, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Julliot. Lebeau, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Orts, Osy, Pierre, Prévinaire, Rogier, Sinave et Tack.
« Art. 9. Conserves alimentaires (sont rangés dans cette classe les articles suivants : caviar, confiseries et bonbons, écorces de citron et d'orange confites, écorces de melon confites, fruits confits à l'eau-de-vie ou au sucre, fruits salés ou en saumure, gingembre confit, légumes en conserve, pâtés et extraits de viandes), à l'eau-de-vie, au miel ou au sucre : 100 kil., 75 fr. ; autres, 100 kil., 25 fr. »
- Adopté.
« Art. 10. Cordages de 5 centimètres de diamètre et plus, 100 kil., 5 fr. ; de moins de 5 centimètres de diamètre, 100 kil., 20 fr. »
- Adopté.
« Art. 11. Cuivre (pur ou allié de zinc ou d'étain) brut (comprenant le cuivre en masses, gâteaux, rosettes, blocs ou lingots, et le vieux cuivre tel que mitraille, rognures, limaille, etc.) libre ; battu, étiré ou laminé (comprenant les clous et le fil de cuivre), 100 kil., 10 fr. ; ouvré (comprenant les ouvrages de cuivre de toute espèce), 100 fr., 10 fr. »
- Le gouvernement propose, d'ajouter après « fils de cuivre » : « Les flans pour monnaies ».
M. Van Iseghem. - J'ai pris hier la défense d'une industrie flamande, celle de la construction des navires. Je vous ai rappelé les droits très-élevés qu'il fallait payer sur toutes les matières destinées à la construction des navires.
Le cuivre avec lequel on double les navires arrive principalement de l'Angleterre. L'industrie indigène ne produit pas cette espèce de cuivre ; elle est désintéressée dans la question.
Le gouvernement nous propose un droit de 10 fr. par 100 kilog. et dans le premier projet le droit n'était que de 5 fr.
Pour un navire de 200 tonneaux, on devra payer, sur le cuivre destiné à le doubler, un droit d'entrée de près de 400 fr. Le navire étranger, doublé dans le pays, peut invoquer l'article 40 de la loi sur les entrepôts, et est exempt du payement des droits.
J'ai l'honneur de proposer un amendement tendant à déclarer libres à l'entrée, le cuivre et autres métaux en feuilles et les clous destinés au doublage des navires de mer belges.
Par mou amendement je donne toutes les garanties à la douane et à l'industrie indigène afin de prendre des mesures contre la fraude.
J'espère que mon amendement sera adopté, car, s'il devait être rejeté, on continuerait à accorder une nouvelle prime à l'industrie étrangère.
M. le président. - Voici l'amendement proposé par M. Van Iseghem :
« Cuivre et autres métaux en feuilles et clous destinés au doublage des navires de mer : Libre.
« L'importateur sera obligé de fournir un cautionnement pour les droits d'entrée et il n'obtiendra la libre entrée définitive qu'après que le navire aura été entièrement doublé. »
M. Moncheur. - J'appuie la proposition du gouvernement qui établit le droit de 10 fr. d'une manière genérale sur le cuivre battu, étiré et laminé importé en Belgique.
Ct, droit de 10 fr. a été considère par le gouvernement et par les chambres de commerce de Liège et de Namur comme étant absolument nécessaire pour pouvoir maintenir la fabrication du cuivre dans le pays, et je dois faire observer à la Chambre que ce droit n'équivaut qu'a une protection de 3 p. c. de la valeur du produit. Il est donc excessivement modéré.
Lorsque nous ne donnons à la fabrication du cuivre indigène qu'une protection de 3 p. c, le droit contre l'introduction de nos cuivres en France est de 20 à 22 p. c, et le fil de laiton y est même prohibé. En Prusse, la protection sur le cuivre laminé et le fil de laiton est de 18 p. c.
Je ne doute donc pas que le droit de 10 p. c. ne soit considéré par la Chambre comme excessivement modéré. Aller plus loin ce serait, comme on l’a démontré dans l'enquête qui a précède le projet, amener la ruine des fabriques belges.
L'amendement de l'honorable M. Vau Iseghem concerne le cuivre laminé destiné à doubler les navires ; mais, messieurs, les fabriques belges produisent sans doute aussi le cuivre laminé propre au doublage des navires. Nous avons en effet en Belgique, notamment dans la province de Namur, des fabriques construites à grands frais et où l'on se livre au laminage du cuivre, sur la plus grande échelle.
Pourquoi ne pourraient-elles faire des tôles propres aux constructions maritimes ?
Nous trouvons, messieurs, dans le rapport de la Chambre de commerce de Namur, une réflexion très juste ; c'est que même dans l'intérêt de ceux qui ont besoin de tôles de cuivre, il est utile d'en favoriser la fabrication en Belgique, parce qu'on peut ainsi les y commander à la dimension à laquelle on veut les avoir et les recevoir immédiatement, tandis que lorsqu'on est obligé de les faire venir d'Angleterre, il faut toujours un temps très long pour en obtenir livraison dans ce pays-ci, et l'on perd un temps très précieux, qui s'écoule entre le moment de la commande et le moment de la fourniture.
Messieurs, la fabrication du cuivre est importante et très ancienne en Belgique ; ses produits sont repoussés en France et en Allemagne par des droits presque prohibitifs. Elle s'est développée sous l'empire de la législation actuelle, c'est-à-dire sous l'empire du droit de 13 francs à l'entrée des cuivres étrangers.
Si les marchés de la France et de l'Allemagne pouvaient lui être ouverts, elle pourrait peut-être se passer de tout droit protecteur ; mais jusque-là, elle réclame au moins celui de 10 francs proposé par le gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - La Chambre se rappellera que le projet de loi n'établissant d'abord qu'un droit de 5 fr. par 100 kilog. de cuivre battu, étiré. Il est parvenu à cet égard de nombreuses réclamations au gouvernement, on lui a démontré que le droit de 5 fr. était trop faible pour que cette industrie pût se maintenir dans le pays. Mon honorable prédécesseur a reconnu le fondement de ces réclamations ; les chambres de commerce de Namur et de Liège les ont appuyées ; elles ont exprimé l'opinion que le droit de 5 fr. était insuffisant et qu'il y avait lieu de le porter au moins à 10 fr. C'est à la suite de ces circonstances que le gouvernement s'est rallié au droit de 10 fr. par l'organe de mon honorable prédécesseur.
Maintenant, messieurs, comme l'a fait observer l'honorable député de Namur, ce droit de 10 fr. est fort modéré ; il est à peine de 5 p. c. à la valeur ; par conséquent, il satisfait aux conditions de la révision que nous avons en vue. Je pense donc que la Chambre peut admettre ce droit même pour le cuivre employé au doublage des navires.
Jusqu'ici, messieurs, on n'a pas fait application de l'article 40 de la loi sur les entrepôts au cuivre servant au doublage des navires ; aujourd'hui les honorables membres demandent purement et simplement la suppression du droit sur le cuivre étranger employé à cette destination.
Je ne pense pas, messieurs qu'il y ait ici des motifs assez puissants pour justifier une exception.
M. Sinave. - Messieurs, nous voyons reproduire ici tout ce qui a été dit depuis nombre d'années.
Quand on a supprimé les primes, on nous a fait des promesses magnifiques dont aucune n'est tenue. Il n'y a plus de constructions de navires dans le pays.
D'un autre côté, on fera doubler les navires en cuivre à Flessingue, et ils entreront en Belgique sans payer aucun droit.
Dès lors, les fabriques de cuivre ne gagneront rien à la mesure.
Du reste, messieurs, il faut le dire, nous n'avons jamais vu employer en Belgique une seule feuille de cuivre fabriquée dans le pays. Vous n'êtes pas en mesure de fabriquer le cuivre en feuilles pour doublage de navires. Cela est prouvé par trente années d'expérience.
Vous voyez, messieurs, de quelle manière le littoral est traité, et on s'étonne après cela qu'il n'ait pas de sympathie pour le gouvernement. De toutes parts il détruit les industries les unes par les autres, et, je le répète, si l'on continue de cette manière, on fera ce que j'ai dit hier, on arrivera à ce qu'a dit autrefois un ministre : « Il faut chasser du pays le commerce maritime. »
Ce qui est vrai, messieurs, pour les feuilles en cuivre, est également vrai pour les clous, le cuivre en barres et les chevilles ; la Belgique n'a jamais pu en fournir. Maintenant, avec le droit qui est proposé, on s'adressera pour ces objets à l'étranger, et ils entreront, comme je viens de l'indiquer, sans droits.
M. Osy. - Je suis étonné que le gouvernement ne se rallie pas à la proposition de l'honorable M. Van Iseghem. Celte proposition ne peut faire aucun tort à l'industrie nationale, car l'honorable membre ne demande la libre entrée des feuilles de cuivre destinées au doublage des navires, que parce qu'il est impossible de trouver ces feuilles de cuivre dans le pays. Aussi dans le premier projet, l'honorable M. Liedts n'avait proposé qu'un droit de 5 fr.
Il y a eu ensuite des réclamations de la part de quelques localités où l'on travaille le cuivre et c'est par suite de ces réclamations que le gouvernement propose maintenant 10 fr.
Eh bien, messieurs, ce droit ne produira aucune espèce de résultat au point de vue de ces localités car on fera doubler les navires à Flessingue et ils viendront eu Belgique sans acquitter notre droit de 10 fr.
Je prie la Chambre de ne pas faire ici ce qu'elle a fait pour un autre article : nous avons demande l'abaissement des droits pour les grands mâts, qu'on ne trouve pas non plus en Belgique ; on n'a pas admis notre demande ; j'espère qu'on ne repoussera pas la proposition dont il s'agit en ce moment et qui, je le répète, ne peut faire aucune espèce de tort à l'industrie belge.
M. Moncheur. - Messieurs, la preuve que la proposition de l'honorable M. Van Iseghem ferait tort à l'industrie belge, c'est que cette industrie s'est émue lorsque la proposition a été faite, d'abord par le (page 1167) gouvernement, d'abaisser à 5 fr. le droit sur les cuivres laminés en général, dans lesquels est compris le cuivre laminé pour doublage de navires.
L'honorable M. Sinave nous dit : Vous êtes incapables de faire des feuilles de cuivre propres au doublage des navires. Comme je ne suis pas fabricant de cuivre, je ne pourrais pas répondre personnellement à l'interpellation de l'honorable membre ; mais ce que je sais, c'est que les laminoirs de cuivre sont montés aujourd'hui en Belgique sur un pied tel, qu'ils peuvent produire tout ce que l'on produit ailleurs, et je suis convaincu que si l'industrie de la construction des navires s'adresse à ces laminoirs, elle y trouvera toutes les dimensions qu'elle désirera avoir.
J'insiste sur cette considération que le droit qui n'était que de 13 fr. aux 100 kilog., a été réduit à 10 francs, ce qui est un droit très faible, eu égard à la valeur du cuivre ; or, je ne vois pas pourquoi on ferait une exception à l'égard des constructions de navire plutôt qu'à l'égard d'autres constructions qui emploient les cuivres étirés ou laminés.
M. Julliot. - Messieurs, la Chambre vient, à une grande majorité, de repousser la libre entrée des charbons. Je crois cependant que le charbon est beaucoup plus nécessaire à la population beige que ne l'est le cuivre battu élire ou laminé. Le droit de 10 fr. par 100 kilog. de cuivre battu, étiré ou laminé, que le gouvernement propose, est un droit très modéré. La discussion relative aux matières premières qui entrent dans la construction des navires m'inspire une réflexion : c'est qu'il n'y a aucune proportion entre les droits d'entrée sur les objets servant à la construction des navires, et les droits d'entrée sur les navires tout construits qui arrivent chez nous pour se faire nationaliser. Où faut-il que la Belgique voie principalement son intérêt ? Est-ce dans la construction ou dans la navigation ? Là me semble être toute la question. Or, si le cuivre employé à la construction des navires ne peut supporter 1 p. c. de droits, comme le propose le gouvernement, alors on ne doit rien attendre de cette industrie, je voterai donc le droit proposé par le gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, un honorable membre prétendait tout à l'heure que je venais substituer un droit plus élevé à celui qui a été présenté par mon honorable prédécesseur. C'est une erreur. Je faisais partie de la section centrale, comme la Chambre le sait. Une réclamation très bien motivée était parvenue à la Chambre ; nous l'avons soumise à l'avis de M. le ministre des finances qui a répondu en ces termes :
« Depuis la présentation du projet de loi, quelques observations nouvelles ont été faites au gouvernement au sujet de la tarification des cuivres. Les chambres de commerce de Liège et de Namur, dont les ressorts contiennent les principales usines à cuivre, ont insisté dans leurs derniers rapports annuels sur leur avis antérieur, d'après lequel les réductions proposées seraient de nature à compromettre cette branche d'industrie ; le gouvernement a de nouveau examiné la question, et comme les inquiétudes des fabricants semblent fondées, il ne s'opposera pas à ce qu'on ait égard à leurs réclamations. »
Plus bas il dit :
« Ce chiffre uniforme de 5 fr. les 100 kil. pourrait être doublé. »
Vous le voyez, messieurs, c'est de commun accord avec le cabinet de cette époque que la section centrale a proposé le droit de 10 fr. auquel le gouvernement s'est rallié.
M. Loos. - L'honorable M. Moncheur n'est pas au courant de la fabrication du cuivre qui sert au doublage des navires ; il a dit que les fabricants du pays se sont émus de la proposition qui vient d'être déposée par l'honorable M. Van Iseghem. C'est une erreur : ou ne fabrique pas dans le pays du cuivre employé pour le doublage des navires. On a fait des essais à Liège, et ces essais n'ont pas réussi ; on y a dès lors complètement renoncé, et aujourd’hui on n'emploie pour le doublage des navires qu'un cuivre anglais qui est un alliage. Ce cuivre ne se fabrique pas en Belgique. Je ne comprends pas à quelle industrie on peut faire tort, si ce n'est à la navigation.
Je dirai, en outre, que ce serait une véritable anomalie que de ne pas affranchir le doublage des navires d'un droit de 10 fr. par 100 kil., alors que le navire qui est importé, tout construit, dans le pays ne paye que 5 fr. par tonneau.
Le trésor belge profiterait-il de ce droit ? En aucune façon ; plutôt que de payer le droit, on irait fait doubler le navire à Flessingue ou dans un autre port. En conservant ce droit, nous nous ferions tort à nous-mêmes ; nous ferions tort au travail national, aux ouvriers employés au doublage des navires.
Quand il s'est agi de supprimer la prime pour la construction des navires, le gouvernement a déclaré qu'il était disposé à abaisser les droits d'entrée sur tous les matériaux qui entraient dans la construction des navires. Nous sommes arrivés aujourd'hui à des articles qui se rapportent à cette construction, et, ainsi que l'a fait remarquer l'honorable M. Osy, la première proposition qui a été présentée dans cette Chambre, a été rejetée ; elle était peu importante ; j'en conviens ; mais ici il s'agit d'un article important et qui ne produira rien pour le trésor ; la proposition qui est faite ne peut nuire à personne, puisqu'on ne fabrique pas dans le pays du cuivre propre au doublage des navires. Que si l'on me répond que ce qui ne se fait pas aujourd'hui peut se faire plus tard, je demanderai à mon tour si, dans cette prévision, il faut nuire à la grande industrie de la construction des navires. Autrefois il y avait des primes pour la construction des navires ; et aujourd'hui on voudrait mettre des entraves à cette construction ! Je ne comprendrais pas une semblable manière d'agir.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - J'entends plusieurs honorables membres affirmer que le cuivre propre au doublage des navires ne se fabrique pas en Belgique ; cette affirmation me détermine à proposer à !a Chambre de remettre, jusqu'à la fin de la loi, le vote sur l'article 11, Je prendrai, dans l'intervalle, de nouvelles informations.
- La Chambre, consultée, ajourne l'article 11.
« Art. 12. Drilles et chiffons, libres. »
- Adopté.
« Art. 13. Drogueries (sont classés comme drogueries les articles suivants : agaric, aloès, ambre jaune, anis étoile et anis vert, baies de genièvre et de laurier, benjoin, bois pour la médecine, camphre brut et raffiné, cantharides, cascarilla, cassia fistula, castoreum, colle-forte et colle de poisson, coloquinte, corne de cerf, crème et cristal de tartre, drogues non spécialement tarifées, écorces de citron et d'oranges non confites, gingembre non confit, glace (eau congelée), gomme du Sénégal, de la Barbarie, de l'Arabie, gomme ammoniaque, assafeetida, galbanum et gutte, euphorbe, gaïac, myrrhe, oliban et sandaraque, huiles d'épiceries, ipécacuanha, jalap, jus de citron et de limon, magnésie, manne, marc de raisins et de roses, musc, opium, quinquina jaune et autre, rhubarbe, salsepareille, sang-dragon, séné, tartre devin, eaux de source et eaux minérales et naturelles ou artificielles, gazeuses ou non) : 100 kil., 2 fr. »
Le gouvernement propose d'ajouter à la note les mots ; l'essence ou extrait de caoutchouc.
- L'article 13, ainsi modifié, est adopté.
« Art. 14. Ecorces à tan : libres. »
- Adopté.
« Art. 15. Epiceries non spécialement tarifées (sont assimilés aux épiceries : le cardamome, le cumin, le safran, le soja et la vanille) : droit actuel. »
- Adopté.
« Art. 16. Filaments végétaux non spécialement tarifés (comprenant le chanvre en masse et le chanvre peigné, le lin brut et le lin peigné et les étoupes) : bruts, libres ; peignés, 100 kil., 5 fr. »
- Adopté.
« Art. 17. Graines non spécialement tarifées (comprenant la graine d'alpiste et le millet, les graines forestales, la graine de trèfle, la graine d'oignon et les autres graines de jardin) : libres. »
- Adopté.
« Art. 18. Huiles de graines : 100 kil., 5 fr. »
- Adopté.
« Art. 19. Jus de réglisse : fr. 100 kil., 10 fr. »
- Adopté.
« Art. 20. Laines en masse (comprenant les laines provenant de vieilles étoffes et de vieux matelas, les peignons ou déchets du peignage, et les bouts de laine teints ou non) : libres ; peignées ou teintes : 100 kil., 25 fr. »
M. Dumortier. - Je suis prêt à voter le chiffre de cet article, mais je désirerais savoir si les députés de Verviers, qui connaissent plus particulièrement ce qui convient à l'industrie de leur arrondissement, ne seraient pas d'avis d'appliquer le système du libre-échange aux laines peignées ou teintes. Comme ils sont les promoteurs du libre-échange, je leur indique cet article pour savoir ce que leur conscience leur indique dans cette circonstance.
M. David. - Verviers est désintéressé dans la question ; il n'y existe qu'une seule fabrique de laine peignée ou teinte ; du reste, le droit est si minime, que l'article est passé sans que les députés de Verviers y fissent attention.
- L'article 20 est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Art. 21...
M. David. - J'ai proposé le droit de 5 fr. au lieu de 25.
M. le président. - L'article est voté ; je n'avais pas entendu si vous insistez, je consulterai la Chambre.
M. David. - Si l'article est voté, je n'insiste pas.
« Art. 21. Lait : libre. »
- Adopté.
« Art. 22. Madères animales non spécialement tarifées (sont rangés dans cette classe les produits ci-après : baleine (fanons de) bruts, boyaux frais, salés ou secs, peaux d'anguille séchées, cheveux bruts, coquillages, corail brut, coris ou cauris, cornes et bouts de cornes de toute espèce, dents d'éléphants et de narval, écailles de tortues brutes, nacre de perle brute, plumes à écrire brutes, plumes de lit et autres plumes brutes, poils de bœuf, de vache et de bouc, poils de lièvre et de lapin, de ragondin et de rat musqué, de blaireau et de castor, soies de porc et poils de toutes autres espèces, y compris les crins bruts, queues de bêtes à cornes, rognures de cuirs et peaux, rognures de parchemin, sabots et déchets de sabots de bétail et de chevaux, sang de bétail liquide, bec on cuit, vessies brutes) : libres. »
Le gouvernement propose d'ajouter les savates.
- L'article ainsi modifié est adopté.
(page 1168) « Art. 23. Mercerie et quincaillerie : (comprenant savoir : aiguilles, baleine (fanons de) apprêtés, boutons, brosserie, cheveux ouvrés, perruques et boucles, cire à cacheter, corail ouvré, coutellerie, crayons, cristal de roche ouvré, écaille de tortue ouvrée, épingles, éponges, horloges et pendules, jouets d'enfant, liège coupé, montres de similor, nacre de perle ouvré, parapluies et parasols, pierres à feu et chiques, plumes à écrire apprêtées) : 100 fr., 10 fr. »
- Adopté.
« Art. 24. Métaux, minéraux et terres non spécialement tarifés (sont rangés dans cette classe les produits ci-après : antimoine, arsenic, brun rouge non moulu et moulu, calamine, cendres d'étain et de plomb et regrets d'orfèvre, cobalt, craie non moulue et moulue,.craie rouge non moulue et moulue, cristal de roche brut, cuivre (minerai de), émeri, jais, manganèse, minéraux non dénommés, ocre non moulue et moulue, pierres gemmes, plombagine, sable, gravier et décombres, terre de bruyère, terre à faïence, à potier, etc., tras ou pierre de tuf non moulue et moulue, vif-argent ou mercure) : libres. »
- Adopté.
« Art. 25. Mulets : mêmes droits que les chevaux. »
- Adopté.
« Art. 26. Œufs de toute espèce : libres. »
- Adopté.
« Art. 27. Or et argent bruts (comprenant l'or et l'argent en poudre, en barres, lingots ou masses, et les objets rompus) : libres ; battus, étirés ou laminés (comprenant le fil d'or et d'argent. Quant à l'or et à l'argent battus en livrets, ils restent soumis au droit actuel de 5 p. c. de la valeur) : libres. »
- Adopté.
« Art. 28. Os de toute espèce : libres. »
- Adopté.
« Art. 29. Parfumerie (la poudre à poudrer est assimilée à la parfumerie) : 100 fr. 10 fr. »
- Adopté.
« Art. 30. Peaux brutes (comprenant les peaux grandes et petites, vertes, salées ou sèches, les pelleteries brutes ou non apprêtées ainsi que les peaux dites peaux en tripes ou en vert) : libres. »
Le gouvernement propose d'ajouter la rubrique suivante : Peaux tannées en croûte (de chèvre et de mouton) : les 100 kil., 10 fr.
M. Osy propose le chiffre de 5 fr. au lieu de 10.
M. Osy. - Messieurs, dans le premier projet qu'on nous a distribué, vous voyez à l'article 30 peaux brutes : libres, le gouvernement a ajouté : peaux tannées en croûte de chèvre et de mouton 10 fr. C'est un objet plus important qu'on ne pense. A Bruxelles, il y a beaucoup de fabriques de maroquinerie assez considérables et très perfectionnées. Autrefois il y avait un droit de 34 fr. sur les peaux en croûtes qui sont la matière première de ces fabriques. Le droit existant mettait nos industriels dans l'impossibilité de travailler.
Le gouvernement l'a si bien reconnu qu'il a autorisé le travail en entrepôt, c'est-à-dire à charge de réexportation. C'est comme s'il n'y avait pas de droit. Quant au travail en entrepôt, les industriels introduisent les peaux brutes moyennant un cautionnement et reproduisent la marchandise fabriquée pour la réexporter. Je me suis enquis du taux du droit existant dans le Zollverein et en Autriche. En Autriche, où les tarifs sont plus élevés que chez nous, le droit sur cet objet est de 3 fr. 75, dans le Zollverein il est de moins de 4 fr. Le gouvernement propose d'établir le droit de 10 francs et de ne plus permettre le travail en entrepôt.
Si nous avions assez de matières premières, nous pourrions nous dispenser d'en faire venir de l'étranger. Mais il n'en est pas ainsi. J'ai pris des renseignements d'où il résulte que l'abattoir de Bruxelles ne fournit que six à sept cents peaux par mois, tandis qu'une seule fabrique de Bruxelles a besoin de 2,500 à 3,000 peaux par mois. Il faut donc en faire venir de l'étranger.
J'aurais préféré un droit de 4 fr., comme, celui qui existe dans le Zollverein, mais l'honorable ministre des finances m'ayant exprimé le désir qu'il ne fût pas dérogé au système du tarif qui consiste à établir le droit par cinq ou par dix, je propose, pour faire droit à cette observation, un droit de cinq francs au lieu de dix francs.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le projet de loi ne comprenait d'abord que les peaux brutes, qu'il déclarait libres à l'entrée. Les peaux tannées en croûte restaient soumises à un droit d'importation de 34 francs les 100 kilog. Des représentations ont été faites au gouvernements sur l'impossibilité de faire supporter un droit aussi élevé à cette matière à demi fabriquée, et sur les difficultés que présente à son égard l'application de l'article 40 de la loi sur les entrepôts.
Le gouvernement, après avoir entendu divers intéressés, a proposé le droit de 10 francs les 100 kilog. ; ce droit a donné lieu à des observations qui me paraissent fondées. Il s'agit d'une industrie qui a fait des progrès rapides dans le pays. Elle mérite d'être encouragée.
Je me rallie donc à la proposition faite par l'honorable M. Osy de réduire le droit à 5 francs.
- La proposition de M. Osy est mise aux voix et adoptée.
En conséquence l'art. 30 est adopté avec le droit de cinq francs.
« Art. 31. Pierres, les ardoises exceptées, brutes, taillées ou sciées, libres, polies ou sculptées, statues : libres ; autres objets, 100 francs, 10 fr. »
M. de Moor. - Le traité de commerce du 27 février 1853, avec la France, a fait à l'industrie ardoisière du Luxembourg une position assez précaire.
La concurrence entre nos ardoisières et celles de Fumay est impossible.
L'honorable M. Dechamps nous disait tout à l'heure qu'il fallait, pour que la concurrence fût possible, qu'il y eût égalité entre le producteur indigène et le producteur étranger. Eh bien, cette égalité n'existe pas dans l'occurrence et il me sera facile, je pense, de vous le prouver en quelques mots.
Pour transporter nos ardoises par axe, nous avons à parcourir de 60 à 70 kilomètres et à payer de 4 à 5 francs pour arriver, soit à Dinant, soit à Namur. Les ardoises de Fumay, au contraire, viennent par la Meuse, et le fret qu'elles ont à payer est de 75 c. ou 1 fr. selon qu'elles doivent être transportées à Dinant ou à Namur. Je dis donc que la concurrence pour nos produits similaires n'était pas possible, il en résulte que le marché intérieur, lui-même, nous échappe à peu près complètement.
Les conditions économiques de transport par la Meuse font que le marché hollandais est aussi presque entièrement desservi par l'industrie ardoisière française.
L'année dernière, j'avais déjà appelé l'attention du gouvernement et du ministre des travaux publics en particulier sur la position fâcheuse qui est faite à cette industrie importante du Luxembourg. J'avais demandé que pour donner à l'industrie ardoisière de notre province une forte compensation du préjudice que lui cause le traité avec la France, le gouvernement l'affranchît des droits de barrières et que les ardoises luxembourgeoises fussent placées dans la troisième classe du tarif n°3, et qu'elles fussent considérées comme marchandises pondéreuses.
Lors de la discussion du projet de loi portant prorogation de l'article 1er de la loi du 22 avril 1855, concernant les péages sur le chemin de fer, l'honorable ministre avait pris l'engagement d'examiner les réclamations faites sur la tarification des marchandises ; l'honorable M. Dumon m'avait fait, dans la séance du 3 mai dernier, la promesse que la question sur laquelle j'avais appelé sa bienveillante attention serait examinée.
Les promesses de ce genre sont tous les jours dans la bouche de MM. les ministres.
Mais rarement, si pas même jamais, ou ne nous fait part du résultat de l'examen auquel on s'est livré. Quant à moi, messieurs, je préférerais voir poser des actes favorables à l'industrie que je défends en ce moment, que de m'en rapporter à des promesses d'examen, qui n'engagent pas les ministres.
Je demande formellement qu'avant la fin de la session M. le ministre des travaux publics fasse connaître le résultat de l'étude à laquelle il a eu le temps de se livrer depuis le 3 mai dernier. Je prie M. le ministre des travaux publics de se concerter avec son collègue des affaires étrangères pour aviser à concilier avec le respect dû à un traité conclu avec une puissance étrangère la protection que l'on doit à une industrie nationale qui, pour donner du travail à ses ouvriers, fait chaque jour de lourds sacrifices.
J'appelle sur ce point la sérieuse attention du gouvernement.
M. Pierre. - Les intérêts ardoisiers n'ont point un rapport direct avec le projet t'e loi en discussion, puisque les droits existant sur cette nature de produit sont établis par le traité de commerce international, conclu sous la date du 27 février 1853 entre la France el la Belgique. Je m'empresse cependant de saisir cette occasion, quelque indirecte qu'elle soit, et de me joindre à mon honorable collègue et ami M. de Moor, à l'effet d'appeler l'attention du gouvernement sur la matière dont il s'agit. Par les détails qui viennent de vous être exposés concernant les transports de Fumay, d'une part, et de nos ardoisières du Luxembourg, d'autre part, il résulte incontestablement que, pour arriver sur les marchés industriels, soit français, soit belges, nos producteurs sont dans des conditions d'infériorité qui ne leur permettent point la concurrence avec les producteurs du dehors.
La stagnation de nos exploitations ardoisières ou du moins leur production très restreinte est la conséquence de ce fâcheux état de choses, auquel il importe de remédier sans plus tarder. Je réclame donc instamment aussi, pour cette industrie, l'une des rares industries que possède notre province, les compensations indiquées. Je doute même que celles-ci puissent suffire à rétablir le juste équilibre, toujours de rigueur, au moins entre le producteur indigène et le producteur étranger.
Comme vous l'avez entendu, le gouvernement avait promis d'examiner la question. A-t-on examiné, ou n'a-t-on pas examiné ? Nous l'ignorons. Toujours est- il que rien n'a été fait en faveur de nos intérêts ardoisiers lésés. C'est de cette sorte d'inertie à ce sujet que nous convions le gouvernement de sortir au plus tôt.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je ne m'occuperai pas des objets étrangers au projet de loi dont a parlé l'honorable membre qui vient de parler ; je laisserai à mon honorable collègue des travaux (page 1169) publics le soin de répondre dans une autre occasion à l'observation qui a été faite en ce qui concerne les droits de barrière.
Quant au projet en discussion, je crois devoir faire observer qu'il n'est pas relatif aux ardoises. En effet, l'article porte : « Pierres, les ardoises exceptées. » On pourra avoir égard à l'observation de l'honorable membre, lorsque le gouvernement aura à s'occuper de la révision de l'article du tarif relatif aux ardoises.
En ce qui concerne les pierres brutes, je pense qu'il n'y a aucune objection à ce qu'elles soient libres à l'entrée.
M. de Moor. - Je reconnais volontiers que l'industrie ardoisière n'est qu'indirectement en cause. Mais différents orateurs, ayant, à propos du droit sur la houille, traité la question des péages, j'ai saisi à mon tour l'occasion qui m'était offerte de présenter quelques observations à la Chambre, au gouvernement, et en cela, je crois user de mon droit.
J'ajouterai aux observations que j'ai présentées, il y a quelques instants, que le droit réciproque de 2 fr. 50 c. qui est inscrit au traité de février 1853, nous est encore défavorable et que nos industriels ne sont point sur un pied d'égalité avec leurs rivaux français.
En effet, messieurs, comme j'avais l'honneur de vous le dire l'année dernière, les ardoises de Fumay arrivent à la même faveur de la Meuse jusqu'au-dessous de Sedan et de là pour le canal des Ardennes jusqu'à Paris. Nous au contraire c'est toujours par axe et à des conditions très onéreuses que nous devons effectuer nos transports qui ne peuvent pas être considérables, nos voituriers n'ayant rien à ramener de France.
Vous le voyez, messieurs, il n'y a véritablement pas réciprocité dans la position qui est faite aux produits similaires des deux pays et dès lors n'ai-je pas raison, en présence d'un traité si préjudiciable à l'industrie ardoisière du Luxembourg, de demander que le gouvernement veuille faire quelque chose pour une industrie qui, en fait de protection, ne réclame que les moyens d'arriver à peu près aux mêmes conditions que sa rivale sur le marché de notre propre pays ? Je demande, pour atteindre ce but, que nos ardoises soient affranchies du droit de barrière et qu'elles soient inscrites aux mêmes conditions que les matières pondéreuses, à la troisième classe du tarif n°3 du chemin de fer.
M. Wasseige. - Je remarque que sous l'empire de l'ancien tarif, les pierres meulières étaient frappées à leur entrée d'un droit de 1 p. c. â la valeur. Je ne vois plus au tarif qui nous est soumis aucune protection pour les pierres meulières. Je demande à M. le ministre des finances quelle raison il a eue de faire disparaître cette petite protection pour une industrie florissante dans notre pays et qui est en concurrence avec une industrie similaire, également florissante en France. Il y a en ce moment, dans la province de Namur notamment, plusieurs fabriques de pierres meulières qui sont dans une grande voie de prospérité, et je crois qu'elles pourraient fournir à tous les besoins de la consommation de cette espèce en Belgique. Il n'y a pas de raison, me semble-t-il, pour leur susciter une concurrence qui devrait devenir ruineuse.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Ce droit de 1 p. c. est tellement insignifiant, qu'il ne peut être considéré comme une protection pour l'industrie ; la suppression de ce droit rentre dans le cadre que nous nous sommes tracé pour simplifier le tarif et supprimer les droits qui n'ont aucune portée.
J'ajouterai qu'aucune observation n'a été faite à cet égard, ni par les chambres de commerce, ni par les sections de la Chambre, ni en section centrale.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 32. Produits chimiques, acides acétique el nitrique, 100 kil., 5 fr. ; acides hydrochlorique et sulfurique, 100 kil., 2 fr. »
M. Coomans. - A diverses reprises, depuis plusieurs années, j'ai eu l'honneur de faire remarquer à la Chambre que la cherté et souvent la rareté du sulfate et du sel de soude gênaient sensiblement plusieurs industries, notamment les blanchisseries et les verreries. J'avais donc demandé la libre entrée de ces produits. A l'époque où l'honorable M. Frère était ministre des finances, il me répondit qu'il n'y avait qu'un seul obstacle : c'était la crainte de voir le sel de soude, dans le cas où l'entrée en serait libre, se transformer en sel de cuisine. L'honorable M. Frère déclara que si cet obstacle, sur lequel il se réservait de prendre des éclaircissements ultérieurs, était levé, il se joindrait volontiers, selon ses principes, à ceux qui demandaient la libre entrée du sel de soude.
Messieurs, si je suis bien informé, la difficulté indiquée à cette époque par l'honorable M. Frère est aujourd'hui levée ; les savants sont d'accord pour déclarer que la transformation du sel de soude en sel de cuisine serait si chère et même si difficile que nul ne songerait à se livrer à cette spéculation trop chanceuse.
J'étais donc décidé à reproduire aujourd'hui ma proposition, lorsqu'on m'a fait observer qu'elle viendrait plus à propos lors de la présentation du second projet de loi relatif au tarif des douanes, relatif à ce qu'on appelle la réforme industrielle, mot dont je ne me sers pas, parce que, selon moi, tout notre tarif regarde également l'industrie, le commerce el l'agriculture. Je n'admets pas de distinction semblable.
Mais enfin, plusieurs honorables membres qui se montraient disposés à accueillir favorablement mon amendement m'ont engagé à l'ajourner, et je me suis rendu à cette demande. Je ne me lève aujourd'hui que pour faire mes réserves et annoncer d'avance au gouvernement qu'à la prochaine occasion je reproduirai la proposition que j'ai eu l'honneur de formuler devant la Chambre.
M. Moncheur. - Comme l'honorable M. Coomans déclare ajourner toute proposition relative aux sels et aux sulfates de soude, je me borne aussi à faire mes réserves à cet égard.
Je dois toutefois faire observer en attendant à la Chambre qu'il y a d'autres motifs que celui dont a parlé l'honorable M. Coomans, c'est-à-dire le danger de la fraude, qui exigent un droit à l'entrée des sels et des sulfates de soude anglais : c'est que la fabrication de ces produits en Belgique est placée par plusieurs dispositions de nos lois d'abord, et. ensuite par la nature même des choses, dans des conditions telles, que sans le droit protecteur, elle y deviendrait impossible. Or, la disparition de cette fabrication serait excessivement désastreuse pour un grand nombre d'industries qui emploient le sel et le sulfate de soude.
La fabrication des soudes belges a fait baisser de 30 et même de 40 p. c. les prix que payaient aux Anglais nos verriers, nos savonniers, nos papetiers, etc., pour ces produits ; et si l'on ne fabriquait plus de sels de soude en Belgique, ces industriels se retrouveraient de nouveau dans la position où ils étaient auparavant, c'est-à-dire qu'ils seraient à la merci de l'industrie anglaise, qui leur ferait encore payer des prix exorbitants.
En effet, ni la France, ni l'Allemagne ne peuvent nous offrir ces produits qu'à des prix très élevés, aussi à cause de l'état de la législation sur le sel brut dans ces pays.
Je n'ajouterai rien à ces considérations et je me borne, comme je l'ai dit en commençant, à faire mes réserves pour le cas où l'on voudrait modifier le régime actuel relatif à l'importante industrie de la fabrication de sels ou de sulfates de soude.
M. Rodenbach. - Je désire demander une explication à M. la ministre.
Si je suis bien instruit, il n'y a en Belgique que sept grandes fabriques de produits chimiques, tandis que nous avons 64 verreries qui occupent 6,000 ouvriers.
Je demande à M. le ministre si l'on doit accorder une espèce de monopole à ces quelques fabriques de produits chimiques. Je trouve que le prix courant du sel de soude, du sulfate de soude, arrivant soit de l'Angleterre, soit même de la France, jusqu'à Anvers, n'est que de 13 francs par 100 kilog., tandis que, le prix courant de nés manufacturiers est de 18 francs. Je trouve dans cette différence de prix de 13 à 18 fr. une protection énorme, c'est presque un monopole. Nos blanchisseries ont besoin de sel de soude, nos fabriques de toiles en ont également besoin.
Je désirerais connaître l'opinion du gouvernement sur cette question.
M. Malou. - Messieurs, je ne veux pas entrer très avant dans cette discussion, puisqu'il n'y a pas de proposition ; je tiens seulement à constater quels ont été les faits relatifs à cette industrie. Elle est de date récente en Belgique et elle n'a dû son développement qu'à l'arrêté du 29 juillet 1845.
Avant cette époque que payait-on le sulfate de soude et que le paye-t-on depuis ? C'est là, ce me semble, la question industrielle et c'est là, en même temps, l'épreuve du système suranné qui a créé la plupart de nos industries.
Avant l'arrêté de 1845 le prix que pavaient ceux qui se servent de sulfate de soude, était, en 1837, 1838, 1839 et 1840, de 80 fr.
Quand l'industrie s'est constituée en Belgique, non pas, comme on disait tout à l'heure, dans un moment de distraction, non pas avec un monopole, mais lorsque la concurrence indigène a pu se faire sentir, quels ont été les prix ? De 80 francs ils sont immédiatement tombés à 54 fr. Ce prix de 54 fr. s'est maintenu en 1841, 1842 et 1843, mais en 1844 il est descendu à 45 fr. et enfin en 1854, 1855 et 1856 il est tombé à 38 francs.
Voilà, messieurs, quels ont été les effets de la concurrence indigène, du stimulant qui a été donné pour développer en Belgique une industrie qui, auparavant, n'y existait que dans une proportion infime.
Je crois, messieurs, que ces faits démontrent qu'il n'y a pas de raison pour changer un système qui a produit de pareils résultats au profit de ceux qui se servent du sulfate de soude.
S'ensuit-il que chaque fabricant qui se sert de ces produits les aura toujours au moment où il les demandera, qu'il n'y aura jamais de rareté ? Messieurs, aucun système ne peut faire qu'il n'y ait jamais de demandes plus actives que la production ; mais ce que la législation peut faire, c'est de stimuler les producteurs, de les encourager à se mettre en mesure de satisfaire aux besoins normaux de toutes les industries.
M. Prévinaire. - Pas plus que l'honorable préopinant, je ne discuterai le système qui convient à l'industrie dont nous nous occupons ; je dois répondre un mot aux observations qu'il a faites.
L'honorable membre a dit qu'à l'époque où la fabrication des sels de soude ne s'était pas encore développée en Belgique, le prix de cette matière était beaucoup plus élevé qu'il ne l'est aujourd'hui. Il me semble, messieurs, que la question n'est pas là. La véritable question, selon moi, est d'apprécier quelle est l'importance des intérêts qui peuvent être compromis par une classification inopportune du sel de soude, par une mesure qui le comprendrait parmi les produits manufacturés au lieu de le classer parmi les matières premières.
Pour moi, je considère comme très sérieux les intérêts qui ont besoin de pouvoir s'approvisionner de sel de soude à l'étranger ; il y a un grand nombre d'industries qui emploient cette matière première.
(page 1170) Indépendamment de nos blanchisseries, vous avez tout le commerce des toiles auquel se rattache d'une manière si intime l'industrie du blanchiment.
Vous avez la fabrication des cristaux, des verreries et des glaces qui a pris une importance très grande.
Je crois, messieurs, que si vous n'admettez pas certaines règles générales, vous retomberez pour chaque cas spécial dans cette discussion entre deux intérêts rivaux, l'intérêt des producteurs d'une matière première et l'intérêt des industries qui ont besoin de pouvoir s'approvisionner de cette matière dans les meilleures conditions.
Il me semble qu'il faudrait adopter les principes qui paraissent avoir guidé le gouvernement et qui consistent à faire une classification des produits et à fixer un maximum et un minimum de droit pour chaque catégorie.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je me permets d'engager la Chambre à ne pas se livrer davantage à une discussion qui serait sans but, les produits chimiques ne devant être compris que dans le prochain projet de loi.
Quant à la classification que propose un honorable député de Bruxelles, à mon point de vue, elle n'a pas de fondement. Mon intention est de proposer de réduire les droits actuels sur le sulfate de soude, mais je n'admets pas en principe la division en matières premières et produits fabriqués.
M. Wautelet. - L'honorable M. Malou nous a fait, messieurs, l'historique de la fabrication des sels et sulfate de soude en Belgique. La fabrication de ces produits, qu'on peut considérer comme matière première, donne lieu à un travail considérable et constitue une industrie importante dans le pays.
Vous vous rappelez, messieurs, les faits regrettables qui se sont passés il y a quelque temps, relativement à la fabrication de produits chimiques dans certaines parties du pays. Le gouvernement a pris des mesures pour faire cesser les inconvénients qui avaient été signalés, ces mesures ont amené une suspension momentanée dans la fabrication, et une réduction considérable dans la quantité des produits.
Il en est résulté que les industries qui emploient dans leur fabrication les sulfates et les sels de soude se sont trouvées, dans un moment donné, dépourvues de ces matières premières qui sont indispensables à leur activité. Dès lors il a bien fallu que le gouvernement intervînt pour que ces industries importantes ne fussent pas entravées dans leur production et il a trouvé, dans la loi sur les entrepôts, le moyen de procurer aux verreries les sulfates nécessaires à leur fabrication.
Ce moyen est encore en pratique aujourd'hui, et des quantités considérables de sulfate sont puisées à l'entrepôt libre pour servir à la fabrication de verre dont l'exportation doit, du reste, être justifiée.
L'activité des verreries a pris, dans ces derniers temps, une grande extension ; les fabricants de produits chimiques ne peuvent pas, dans la situation où elles se trouvent, produire en quantité suffisante la matière nécessaire à leur consommation.
D'un autre côté, le droit d'entrée qui existe encore sur les sulfates étrangers est un droit excessif ; il s'élève, avec les additionnels, à 7 fr. environ par 100 kilog.
Eh bien, si nous attentions jusqu'à la présentation du projet de loi qui nous est annoncé, il est probable que l'état anomal dans lequel se trouve cette industrie se prolongera encore très longtemps.
Je crois dans l'intérêt de la fabrication des produits chimiques comme dans celui des industries qui utilisent ces produits, il importe d'être fixe le plus tôt possible sur la législation définitive qui sera appliquée à ces industries.
Le chiffre du droit d'entrée tel que je l'ai vu formulé dans l'avant-projet du gouvernement paraît très modéré et se rapprochera assez de celui qui a paru devoir concilier les intérêts des consommateurs des sulfates avec ceux des fabricants de cette matière. Je crois donc qu'il est indispensable de s'occuper prochainement de ce projet, et j'engage vivement M. le ministre des finances à soumettre à cet égard un projet de loi spécial à la Chambre avant la présentation du projet de loi général sur les objets fabriqués.
- Personne ne demandant plus la parole, l'article 32, tel qu'il a été amendé par le gouvernement, est mis aux voix et adopté.
« Art. 33. Produits divers nécessaires à l'industrie (cette classe comprend, savoir : les carcasses pour ouvrages de mode, les cordes de boyaux pour instruments de musique, les dessins de fabrique, le drap-cylindre feutré pour l'impression, les feutres pour doublage, pour marteaux de piano et pour polir les glaces, les fournitures d'horlogerie, les fournitures de parapluies et parasols, les touches et mécanismes pour piano, les tresses et bordures pour chapeaux en paille pure ou mélangée de soie et de crin, et la corne en feuilles) : fr. 100 fr., 5 fr. »
- Adopté.
« Art. 34. Récoltes el fourrages (comprenant les grains et graines en gerbes ou en épis, le foin et la paille) : libres. »
- Adopté.
« Art. 35. Résines et bitumes (comprenant le brai sec, le goudron, l'huile de térébenthine et la térébenthine de Venise ou autre, et la poix) : libres. »
- Adopté.
« Art. 36. Sagou et salep, même droit que le macaroni, etc. »
- Adopté.
« Art. 37. Salpêtre (nitrates de potasse et de soude) : libre. »
- Adopté.
« Art. 38. Soies (comprenant les cocons et les soies de toute espèce) à coudre ou à broder, 100 kil., 85 fr. ; autres, libres. »
M. Osy. - Messieurs, je ne viens pas m'opposer au droit de 85 fr. par 100 kilog. pour les soies à coudre ou à broder. Ce n'est pas 1 p. c. à la valeur.
Je crois que nous devons suivre le même système pour les objets qui ont subi une première main-d'œuvre. J'appelle l'attention de M. le ministre des finances sur cette observation qu'il voudra bien ne pas perdre de vue pour le grand projet qui sera déposé à la session prochaine.
M. Dumortier. - En présence des réclamations fondées que nous avons reçues, je demande à M. le ministre des finances s'il ne vaudrait pas mieux distraire du projet de loi en discussion l'article soies à coudre et à broder pour le comprendre dans le projet de tarif industriel, comme on l'appelle, qui sera présenté plus tard.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - L'article a été admis par toutes les sections et par la section centrale ; dans l'enquête, il n'a donné lieu à aucune observation. Je ne pense pas dès lors qu'il y ait un motif sérieux de reporter cet article à la discussion du projet de loi dont parle l'honorable préopinant.
- L'art. 38 est adoptée.
M. le président. - M. Boulez a déposé sur le bureau un amendement à l'article 40 qui sera imprimé et distribué.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.