(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 1101) M. Tack procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Tack présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Quelques propriétaires, industriels, exploitants de minerais et commerçants à Biesmerée prient la Chambre de donner une application temporaire aux nouveaux droits sur la fonte et le fer, d'autoriser le gouvernement à augmenter ces droits dans certaines limites et de permettre la sortie de tous les minerais de fer, moyennant certains droits de douane. »
« Même demande des propriétaires et industriels à Jamiolle, Villers-deux-Eglises et Jamagne. »
M. de Baillet-Latour. - Je demande, de même que les fois précédentes, le renvoi des pétitions de Jamagne, de Villers-deux-Eglises et de Jamiolle sur la sortie des minerais, à la commission d'industrie et qu'elles soient jointes aux autres pétitions pour faire partie du prompt rapport que j'ai sollicitent qui a été accordé par la Chambre, j'insisterai pour que M. le rapporteur puisse déposer son rapport avant les vacances de Pâques. Beaucoup de localités sont intéressées à connaître les conclusions de la commission, et à ce que le gouvernement prenne des mesures efficaces pour faire cesser un état de choses qui blesse les intérêts de notre industrie sidérurgique.
- La proposition de M. de Baillet-Latour est mise aux voix et adoptée.
« Le sieur T.-J. Marchant, gendarme achevai à Tervueren, né à Anderlues, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant, sans autorisation, du service militaire à l'étranger. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le conseil communal de Souvret présente des observations sur la situation que font à l'agriculture les droits sur les houilles et sur les fontes. »
« Mêmes observations d'habitants de Wauthier-Braine, Thisnes, Cras-Avernas, Hannut et Villers-le-Peuplier. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.
« Plusieurs instituteurs primaires dans le Luxembourg prient la Chambre d'améliorer leur position. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. de Renesse demande un congé de deux jours.
- Accordé.
M. Tack donne lecture de la lettre ci-après, que M. le ministre de la guerre a adressée à la Chambre et dans laquelle se trouvent consignés des renseignements sur la pétition du sieur Dupont.
« Bruxelles, le 18 mars 1857.
« Monsieur le président,
« Dans sa séance du 17 février dernier, la Chambre des représentants a renvoyé au département de la guerre une pétition par laquelle le sieur Dupont, de Pâturages, demande que son neveu J.-B.-A. Fieront, milicien de la levée de 1855, incorporé au 6ème régiment de ligne, soit libéré du service militaire pour défaut de taille, nonobstant la décision prise, au mois de mai 1855, par la députation permanente de la province de Hainaut, relativement à ce militaire.
« Les observations qui ont été échangées à la Chambre à l'occasion de cette pétition impliquant un blâme pour la députation permanente précitée, M. le gouverneur de la province de Hainaut s'est adressé au département de la guerre pour obtenir que l'on vérifiât l'exactitude du toisé opéré par l'autorité militaire, lors de l'incorporation de Fieront et à la suite duquel on a cru pouvoir faire connaître au sieur Dupont que son neveu n'avait, en effet, que la taille de 1 m. 562.
« Déférant à cette demande, j'ai fait soumettre le milicien dont il s'agit à un nouveau toisé devant une commission composée d'un officier général, du chef de corps et de deux médecins ; en recommandant à cette commission de faire vérifier préalablement la toise dont elle se servirait par le vérificateur des poids et mesures, et de prendre toutes les précautions nécessaires pour obliger l'homme à se tenir absolument droit pendant l'opération.
« Cette dernière recommandation m'avait été indiquée par M. le gouverneur du Hainaut.
« Le procès-verbal que je viens de recevoir de l'opération dont il s'agit constate que, rigoureusement faite dans les conditions mentionnées ci-dessus, cette opération a donné pour résultat l m. 585, c'est à-dire 0 m. 023 de plus que le toisé opéré en 1855 par l'autorité militaire, et 0 m. 015 de plus que celui opéré, à la même époque, par la députation permanente.
« Bien que ce résultat doive être attribué en grande partie au développement que Fieront aura pris depuis près de deux ans que les premiers toisés ont eu lieu, je crois néanmoins pouvoir en inférer que l'intéressé avait, en effet, la taille voulue pour le service lors de son examen devant la députation permanente, et que c'est à la défectuosité des instruments employés au conseil de milice et au corps, ou à un manque de précaution pour éviter un affaissement de l'homme sur lui-même, que l'on doit attribuer la différence qui s'est produite dans les premières appréciations.
« Dès lors, M. le président, je crois de mon devoir de vous prier de communiquera la Chambre les renseignements qui précèdent, afin de rectifier ce qu'il y a d'erroné dans ce qui a été dit, au sujet de cette affaire dans la séance du 17 février.
« Le ministre de la guerre, Greindt. »
M. de Brouckere. - Messieurs, je suis un de ceux qui, à l'occasion de l'affaire qu'on vient de rappeler, se sont levés pour recommander le sieur Dupont à la bienveillance du gouvernement et pour réclamer en sa faveur des congés aussi prolongés que M. le ministre de la guerre pourrait en donner.
Le motif qui m'a fait prendre la parole ainsi qu'à plusieurs de mes honorables collègues, le. voici : M. le rapporteur des commissions avait posé en fait que c'était par suite d'une erreur que le sieur Dupont avait été déclaré apte au service militaire. Or, il résulte des renseignements que nous venons de recevoir du département de la guerre, que l'honorable rapporteur avait été induit en erreur et que le sieur Dupont a véritablement la taille déterminée par la loi pour qu'il doive être admis au service militaire.
Dès lors, la discussion qui a eu lieu dans une séance précédente, et qui était basée sur une erreur, doit être considérée comme non avenue, et je demande l'ordre du jour sur la pétition.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président donne lecture de la lettre ci-après qu'il a reçue de M. le ministre des travaux publics.
« Monsieur le président,
« A la fin de la session dernière, le gouverneur a soumis aux délibérations des Chambres législatives, un projet de loi ayant pour but l'ouverture d'un crédit de 405,000 francs pour payements à faire, par suite de condamnations judiciaires, à la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale, ainsi qu'à MM. Bischoffsheim et Oppenheim, à l'occasion de la concession provisoire d'un chemin de fer de Manage à Erquelinnes et d'un canal de Mons à la Sambre.
« La législature n'a voté qu'à concurrence de 390,000 francs le crédit demandé. La loi relative à ce crédit porte la date du 27 mai 1856.
« La différence entre les deux chiffres, soit la somme de 15,000 fr., représentait le montant éventuel et présumé des dépenses judiciaires et honoraires d'avocats, dus par l'Etat dans les deux procès.
« M. l'avocat Bolez avait consenti à s'adjoindre au conseil du département des travaux publics, dans la procédure entamée devant la cour d'appel de Bruxelles, en ce qui concerne l'affaire Bischoffsheim et Oppenheim.
« Bien qu'il ait prêté le concours le plus actif et le plus intelligent, tant pour l’étude de cette importante affaire, que pour les plaidoiries, ce jurisconsulte distingué a refusé d'accepter des honoraires, par cette seule raison, qu'il était membre de la Chambre des représentants, alors qu'il a accepté la mission dont il s'agit.
« Je me plais à rendre hommage au sentiment de délicatesse et de désintéressement qui a dicté, en cette circonstance, la conduite de l'honorable M. Dolez, conduite que je me fais un plaisir de vous signaler, M. le président, et qui ne doit qu'accroître la considération dont jouit, à si juste titre, cet ancien membre de la législature.
« L'Etat est donc, de ce chef, dispensé de faire une dépense qui avait été prévue et comprise dans le crédit demandé de 405,000 francs.
« D'un autre côté, la somme allouée par la voie judiciaire aux sieurs Bischoffsheim et Oppenheim, était productive d'intérêts.
« En allouant au gouvernement le crédit de 390,000 francs, la législature avait tenu compte de ces intérêts jusqu'au 28 juin 1856.
« Or, la diligence que le gouvernement a mise dans la liquidation de la créance due aux sieurs Bischoffsheim et Oppenheim, lui a permis de réaliser, sur les intérêts légaux, une économie de 649 fr. 92 c., qui a servi à solder une partie des frais judiciaires mis à charge de l'Etat.
« Il s'ensuit que pour les deux affaires citées au commencement de cette lettre et concernant l'une la Société Générale et l'autre MM. Bischoffsheim et Oppenheim, il ne reste plus actuellement à payer qu'une faible somme qui sera comprise dans la première demandé de crédit supplémentaire qui devra être présentée à la législature pour des créances arriérées.
« Dans cet état des chose, le projet de loi de 405,000 francs ne (page 1102) comporte pas d'autre suite, que celle qu'il a reçue par le vote du crédit de 390,000 francs.
« Je vous prie, en conséquence, M. le président, de vouloir bien faire disparaître du tableau des projets de loi arriérés (document parlementaire, n°2 de la deuxième session de 1856), celui qui figure sous le n°2 (et qui porte pour titre « Crédit de 15,000 francs au département des travaux publics, pour dépens judiciaires et honoraires d'avocats. » Partie du projet présenté par le gouvernement, le 3 mai 1856.)
Agréez, je vous prie, Monsieur le président, l'assurance de ma plus haute considération.
« Le ministre des travaux publics, A. Dumon. »
- Pris pour notification.
M. Rousselle. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ouvrant un crédit de 500,000 francs au département des travaux publics pour le payement de créances arriérées.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La Chambre le met à la suite de l'ordre du jour.
M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Charleroi, le 6 février 1857, le sieur Dupont demande la révision de la loi du 5 janvier 1844 sur le sel ; par 125 pétitions, des sauniers de la partie méridionale du pays adhèrent à cette demande, et par cinq pétitions respectivement datées de Quiévrain, Rebecq, Philippeville et Châtelet, le 24 janvier 1857, des sauniers de la partie méridionale du pays demandent la révision de la loi du 5 janvier 1844, sur le sel. »
Les pétitionnaires se plaignent de la concurrence insoutenable qui leur est faite par leurs confrères du littoral qui, se servant de l'eau de mer, obtiennent un rendement supérieur en quantité et en qualité. Dans un mémoire imprimé qui est joint à leur pétition, ils tâchent de prouver par de nombreux arguments et par des chiffres la nécessité de réviser la loi actuelle contre laquelle ils réclament.
Votre commission, messieurs, partant du principe qu'il ne faut pas changer les lois à la légère, s'est posé la question de savoir : 1° si les griefs dont se plaignent les sauniers sont de nature à exiger l'impérieuse nécessité de réviser une loi qui depuis douze ans fonctionne sans exciter des plaintes sérieuses ; 2° si l'avantage dont jouissent les sauniers du littoral ne dépend pas plutôt de leur situation topographique et naturelle plutôt que des dispositions de la loi ; et 3° quand ils se plaignent que depuis quelques années l'exportation de leurs produits en France, dont ils jouissaient, leur est enlevée, si ce grief ne résulte pas plutôt de la législation nouvelle dans ce pays qui a réduit de moitié les droits d'accises sur le sel.
Elle a cru que le gouvernement est mieux à même de résoudre ces diverses questions et, par ce motif, elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces nombreuses pétitions à M. le ministre des finances.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, j'ai lu attentivement la pétition de MM. les sauniers. J'ai eu occasion de m'assurer que leurs réclamations reposent sur des motifs sérieux et justes. Leur industrie a des représentants dans mon arrondissement. Il paraît certain que l'impôt dont on grève uniformément l'emploi de l'eau de mer dans les usines du voisinage des côtes, et dans celles de l'intérieur, constitue un privilège en faveur des premières. En effet, les premières étant affranchies des frais de transport puisqu'elles ont la mer à leur proximité, il résulte du bénéfice de cette circonstance une concurrence avantageuse pour elles, puisqu'il leur est possible de produire à meilleur compte, et de vendre à meilleur marché que les usines de l'intérieur.
Le moyeu de faire cesser cet état de choses, et de ramener l'égalité des conditions entre tous les producteurs serait sans doute de graduer l'impôt suivant les distances.
Mais on tomberait ainsi dans l'inconvénient des droits différentiels. Les pétitionnaires demandent autre chose ; ils proposent d'abolir entièrement l'usage de l'eau de mer. Le fisc y perdrait une source de revenu. Subsidiairement ils pensent que pour concilier l'égalité constitutionnelle de l'impôt et les intérêts du trésor, le gouvernement ne devrait imposer l'eau de mer que comme saumure, et tenir compte scrupuleusement des fractions de degrés.
Ils demandent en outre la révision attentive des règlements relatifs au jaugeage des embarcations employées au transport de cette eau.
Vous le voyez, messieurs, la pétition met en lumière des questions importantes ; il s'agit du bien-être d'une industrie assez répandue dans le pays, et dont les produits sont de première nécessité. Il est du devoir du gouvernement de favoriser la production, au lieu de l'entraver par des charges mal réparties ; je pense donc qu'il y a lieu d'appuyer la pétition, et d'en prononcer le renvoi à M. le ministre des finances, pour arriver à la révision de la loi du 5 janvier 1844. C'est dans ce sens que, pour ma part, je crois devoir conclure.
M. Wautelet. - J'avais demandé la parole en entendant le rapport sur la pétition du sieur Dupont et autres sauniers pour proposer à la Chambre d'ordonner l'impression de ce rapport et de mettre la discussion des conclusions à la suite de l'ordre du jour. La question est très importante, elle mérite un examen approfondi, je ne pense pas qu'on s'oppose à la proposition que j'ai l'honneur de faire : l'impression du rapport et le renvoi de la discussion à la suite de l'ordre du jour.
M. Vandenpeereboom. - J'appuie la proposition que vient de faire M. Wautelet. La question que soulèvent les pétitions sur lesquelles un rapport vient d'être fait est d'une très grande importance. A une simple audition, il est impossible de saisir la portée de ce rapport. J'en demande, avec M. Wautelet, l'impression et la mise à l'ordre du jour à la suite des objets qui y sont déjà.
M. Vermeire. - Messieurs, la pétition dont il s'agit a été imprimée, et un mémoire à l'appui a été distribué à tous les membres de la Chambre.
Je crois qu'on pourrait discuter utilement la question que soulève cette pétition. Mais, puisque d'honorables membres voudraient étudier davantage cette question, qui est, à la vérité, très grave, je ne m'oppose pas au renvoi de la discussion à la suite des objets qui sont à l'ordre du jour, bien que je sois prêt à combattre la demande des pétitionnaires.
M. Sinave. - Je ne crois pas que la question dont il s'agit soit d'une importance telle, qu'il faille en renvoyer la discussion à la suite des objets qui sont à l'ordre du jour. L'eau de mer qu'on emploie, on ne l'emploie pas gratuitement ; l'administration des accises pèse l'eau de mer et fait payer le droit d'accise. Je dis donc qu'il n'y a pas nécessité de renvoyer cette discussion à un autre jour. Je le répète, le droit est payé sur la quantité de sel qui se trouve dans l'eau de mer.
Je demande qu'on discute immédiatement les conclusions du rapport. Je demande si dans les réclamations, on suppose qu'on ne paye pas le droit sur l'eau de mer. Si la Chambre veut faire de cela une affaire importante, je ne m'y oppose pas ; nous discuterons plus tard la question. M. le ministre pourrait déclarer, pour rassurer les pétitionnaires, qu'on paye le droit sur l'eau de mer.
- Plusieurs voix. - C'est la question !
- La proposition de MM. Wautelet et Vandenpeereboom est mise aux voix et adoptée.
M. Vander Donckt, rapporteur. - « Le conseil communal de Blankenberghe demande la création d'un port de refuge dans cette localité. »
Cette demande a déjà fait l'objet de plusieurs pétitions qui ont été présentées à la Chambre. Tous les arguments qu'on peut présenter à l'appui ont été amplement détaillés dans les précédentes pétitions.
Votre commission n'a pas cru devoir entrer dans le fond de cette affaire qui a surtout pour but de soulager les riverains des cours d'eau et rivières du nord de Bruges des inondations désireuses dont ils souffrent si cruellement.
En effet, tandis que le gouvernement fait toute espèce de travaux et de dépenses pour augmenter la quantité des terres arables dans les autres parties du pays, dans la Campine et dans le Luxembourg, tandis que dans ces contrées on s'efforce de livrer le plus grand nombre d'hectares possible à l'agriculture contre le vœu même des populations ; on délaisse dans les deux Flandres les plus belles terres arables et les prairies sur les rives de l'Escaut et de la Lys exposées à des inondations périodiques et annuelles qui les désolant et qui chaque année aussi occasionnent à ces pays une perte de plusieurs millions par an.
Votre commission n'a pas cru cependant devoir entrer, pour le moment, dans de plus amples détails. Elle a l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
M. Rodenbach. - J'appuie le renvoi au ministre des travaux publics de la requête du conseil communal de Blankenberghe tendante à obtenir un petit port de refuge.
Je recommande cette pétition au gouvernement, ce d'autant plus que, lorsqu'on a décrété la construction du canal de Schipdonck, on avait promis qu'on ne tarderait pas d'obvier aux fréquentes inondations qui ont lieu à la wateringue de Blankenberghe, et qui font un tort immense aux locataires et aux propriétaires.
Un remède efficace serait un petit port de refuge, parce que les pêcheurs, en temps de tempête, doivent arriver avec leurs bateaux sur la plage à l'aide de rouleaux ; c'est à tel point que leurs barques doivent être renouvelées tous les 5 ans, tandis que s'il y avait un petit port de refuge leurs bateaux dureraient bien 15 à 20 ans.
La principale cause de la décadence de la pêche de Blankenberghe, est l'absence d'un abri pour les chaloupes ; à chaque tempête plusieurs embarcations sont détruites et les réparations continuelles absorbent les bénéfices.
J'ai déjà plusieurs fois attiré l'attention de la Chambre sur cette déplorable situation et j'aime à croire que l'intervention du gouvernement ne fera pas défaut et qu'on prendra en considération la juste demande du conseil de régence de Blankenberghe.
M. Sinave. - Depuis nombre d’années les mêmes réclamations se reproduisent. Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'entrer dans des détails. La Chambre a souvent été à même d'apprécier l'importance de la question pour le littoral. M. le ministre lui-même est convaincu qu'il est nécessaire d'intervenir ; il l'a déclaré dernièrement encore.
(page 1103) Nous avons eu, ces jours derniers, les mêmes réclamations A cette occasion nous nous sommes de nouveau expliqués, et je pense qu'il est inutile d'entrer dans de nouveaux détails. J'espère que M. le ministre voudra bien nous rassurer et nous dire où en est l'instruction de cette affaire.
M. Coppieters. - J'ai fort peu de chose à ajouter à ce que viennent de dire les honorables préopinants. La Chambre connaît toute l'importance de la question soulevée par les pétitionnaires. Son attention y a été attirée à différentes reprises et, récemment encore, à l'occasion de la discussion du budget des travaux publics. J'ai peu de chose, dis-je, à ajouter aux observations que les honorables membres, et surtout l'honorable rapporteur, ont fait valoir pour montrer la grande urgence des travaux réclamés. Je me bornerai à témoigner le désir de voir modifier les conclusions du rapport. Dans la discussion du budget à laquelle je viens de faire allusion, après avoir appelé l'attention de la Chambre sur la nécessité d'approfondir le canal de Blankenberghe et d'établir un port de refuge pour les bateaux de pêche, j'ai demandé à M. le ministre des travaux publics s'il n'était pas encore en état de donner des explications sur les intentions du gouvernement relativement à l'exécution de ces travaux.
M. le ministre nous a dit que les études préliminaires pour l'exécution de ces travaux étaient terminés, qu'il résultait de l'examen partiel qu'il venait d'en faire, qu'il y aurait obligation pour l’Etat de procurer un débouché aux taux surabondantes qui exposent à des inondations périodiques une partie notable d'excellentes terres de la Flandre occidentale ; mais que, quant aux travaux qui touchent au port de refuge de Blankenberghe, il n'avait pas encore eu le temps d'étudier les pièces et qu'il s'engageait à fournir des explications à la première occasion. Cette occasion se présente tout naturellement aujourd'hui. Je proposerai donc, et j'espère que M. le ministre n'y fera pas opposition, que la Chambre veuille bien décider le renvoi de la requête à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.
M. de Muelenaere. - Comme l'a fait observer M. le rapporteur, cette question n'est pas neuve. Elle s'est déjà présentée plusieurs fois devant la Chambre, et plus d'une fois elle a été débattue dans cette enceinte. Je crois donc qu'il est complètement inutile d'examiner le fond du débat. Mais ce qui est également vrai, c'est que jusqu'à présent rien n'a été fait pour rendre justice aux réclamants.
Je n'en fais pas de reproche au gouvernement. Je conviens que la question est délicate et qu'elle doit être mûrement examinée. J'appuie le renvoi à M. le ministre des travaux publics et je prie ce haut fonctionnaire de bien vouloir examiner de nouveau cette question avec tout l'intérêt qu'elle mérite, et avec le sincère désir d'arriver le plus tôt possible à une solution satisfaisante pour tous les intérêts engagés dans ce débat.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - J'accepte volontiers le renvoi proposé de cette pétition à mon département avec demande d'explications.
Cela est conforme aux décisions antérieures de la Chambre et à la promesse que j'ai faite moi-même de fournir des renseignements sur la question.
Cette affaire a été discutée lors de l’examen du budget des travaux publics, et à cette époque, j'ai eu occasion de faire connaître que j'avais reçu les renseignement demandés, quant à l'historique de la question, car elle remonte très haut ; et que je recevais, le jour même, des propositions de l'ingénieur en chef de la Flandre occidentale pour porter remède au mal qui était signalé.
Ces propositions sont doubles. Elles sont établies dans deux hypothèses différentes : dans l'hypothèse de l'établissement d'une simple écluse d'écoulement, et dans l'hypothèse de l'établissement d'une écluse de chasse avec port de refuge. Ces pièces ont été transmises au comité des ponts et chaussées, et dès qu'il les aura examinées, j'aurai soin de soumettre à mes collègues la résolution qui me paraîtra la plus utile.
- Le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications, est ordonné.
M. de Perceval. - Messieurs, la Chambre a décidé mardi dernier, sur ma proposition, qu’elle entendrait, dans sa séance de ce jour, le rapport de l'honorable M. de Paul sur les pétitions des officiers pensionnés qui prient la législature de déclarer combien d'années de service la loi du 27 mai 1856 a voulu ajouter à leurs services passés.
Quand j’ai eu l'honneur de faire cette proposition, l'honorable rapporteur était absent. Aujourd'hui que je vois mon honorable collègue à son banc, je lui demande s’il est en mesure de nous communiquer son travail et de déférer ainsi à la volonté exprimée par la Chambre.
M. de Paul. - Je suis prêt à faire le rapport demandé.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. de Paul, rapporteur. - Par pétitions datées de Bruxelles, les 14 février et 10 mars 1857, plusieurs officiers pensionnés prient la chambre de décider si les six années de service fictif accordées par la loi du 27 mai 1856, doivent leur être comptées indépendamment de l'année 1830. »
Voici, messieurs, ce qui donne lieu à cette pétition. L'article 35 de la loi du 24 mai 1838 porte : « Il sera compte une année de service aux militaires qui, en qualité de volontaires, ont pris part aux combats de la révolution, dans les quatre derniers mois de 1830. »
La cour des comptes estime que cette année 1830 doit être comptée dans les 10 années de service fictif qu'accorde la loi de 1856 ? Elle se fonde sur ce que les mots : « Par extension à l’article 35 », qui commencent l'article premier de la loi de 1856, ne peuvent pas signifier autre chose que la faveur promise par cet article 35 sera étendue à dix années au lieu d'une. Par suite, le bénéfice de la loi nouvelle se réduirait à neuf années qui, réunies à l'année 1830, formeraient les dix années de service accordées aux volontaires de la révolution.
Le gouvernement, avec raison, croyons-nous, ne partage pas cette opinion, persuadé qu'il est que la législature a voulu que dix années entières fussent jointes au temps de service antérieurement acquis, sans autre réduction que celle nécessaire pour que le maximum de la pension ne soit pas dépassé. La preuve de cette volonté résulte, du reste, de la disposition finale de l'article premier de la loi, qui accorde le même bénéfice de dix années de services aux fonctionnaires civils qui ont été décorés de la croix de Fer ; il est certain que la loi n'a pas voulu traiter ceux-ci plus favorablement que les pensionnés militaires.
Ce désaccord entre le gouvernement et la cour des comptes a pour résultat nécessaire de suspendre l'exécution de la loi de 1856, et de priver les ayants droit du bénéfice qu'elle confère. Il importe donc que cette espèce de conflit soit promptement vide. Pour atteindre ce but, votre commission a pensé qu'il suffirait d'appeler l'attention de la Chambre sur la question soulevée. En conséquence, elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pètition à M. le ministre de la guerre, avec demande d'explications. Ces explications pourront provoquer un ordre du jour motivé qui tranchera la question.
M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je suis en mesure de donner immédiatement les explications que fa Chambre peut désirer relativement à la pétition sur laquelle il vient d'être fait rapport. Cette lâche m'est d'autant plus facile, que ces explications sont déjà presque toutes renfermées dans le travail de l'honorable M. de Paul. J'y ajouterai seulement que déjà 53 pensions afférentes au ministère de la guerre ont été liquidées sur la base primitivement admise, c'est-à-dire en accordant les dix années. Plus tard la cour des comptes a conçu un scrupule de légalité ; se basant sur un mot prononcé par le ministre de la guerre, elle a pensé qu'il y avait lieu de n'accorder que neuf années au lieu de dix. Le ministre n'a pas pu partager cette opinion, et ses collègues ont été de son avis. Je crois que le moyen le plus simple de lever les scrupules de la cour des comptes serait d'adopter un ordre du jour motivé en ces termes :
« La Chambre, admettant les explications du ministre, passe à l'ordre du jour. »
M. Delfosse. - On devrait imprimer le rapport et remettre la discussion à la séance de demain. Il y a toujours du danger à improviser des résolutions dont le résultat doit être un accroissement de dépenses. (Interruption.)
On peut bien réfléchir vingt-quatre heures avant de se prononcer sur un dissentiment entre le gouvernement et la cour des comptes.
M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je me permettrai de faire observer que les intéresses souffrent beaucoup. Ne s'attendant pas aux retards qui sont résultés de la décision de la cour des comptes, ils ont contracté des engagements très onéreux. La question me paraît tellement simple que je ne vois aucun inconvénient à statuer immédiatement.
M. de Paul, rapporteur. - Pour calma1 les scrupules très légitimes que peut-être éprouve l'honorable M. Delfosse, je prie M. le ministre de la guerre de vouloir bien faire connaître à la Chambre quel sera le résultat financier qu'amènerait l'application de la loi de i856 interprétée comme elle l'a d'abord été et telle qu'elle doit l'être, selon nous.
M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, 35 pensions sont déjà liquidées et il en reste encore environ 60 à 80 ; là se termine entièrement la série des pensionnaires de cette catégorie, L'objet de la discussion n’est donc pas d'une grande importance. D'ailleurs, je dois faire remarquer qu'en ne sanctionnant pas le principe suivi jusqu'à présent, on donnerait lieu à une véritable anomalie, car les pensions dont il s'agit se trouveraient alors divisées en deux catégories liquidées d'après des bases différentes.
M. Thiéfry. - Messieurs, j'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable rapporteur s'informer des résultats financiers de la mesure. Je pense que nous n'avons pas à nous préoccuper de ce point ; il s'agit de savoir si la Chambre a accordé dix années de service aux pensionnaires dont il s'agit.
La loi de 1838 accorde une année de service à ceux qui ont fait la campagne de 1830, elle n'a pas été abrogée.
En 1856 on a accordé dix années de service aux volontaires qui ont pris part aux combats de la révolution ; si on avait voulu faire une exception, n'en donner que neuf à ceux qui ont fait la campagne de 1830, on l'eût dit positivement dans la loi. Je vous avoue, messieurs, que je ne comprends pas que la cour des comptes ait pu avoir des doutes à cet égard. Pour les faire disparaître, je demande que la Chambre adopte la proposition de M. le ministre de la guerre.
M. Pierre. - Aux motifs que vient de faire valoir l'honorable préopinant, j »ajouterai un autre motif non moins déterminant.
L’article premier de la loi du 27 mai dernier, par sa disposition finale, accorde aux employés de l'Etat, appartenant à l'ordre civil, une bonification (page 1104) de 10 années pour la liquidation de leurs pensions, de même que, par disposition précédente, ledit article premier accorde aussi une bonification de 10 années aux militaires, pour la liquidation de leurs pensions, du chef d'un fait commun aux uns et aux autres, c'est-à-dire pour avoir, les uns comme les autres, participé, par les armes, aux événements de 1830, d'où est issue notre nationalité, notre existence à l'état de peuple libre et indépendant. Si nous avions à interpréter, en strict droit, la disposition dont il s'agit, je n'hésiterais point à me ranger à l'avis de la Cour des comptes. C'est vous dire, messieurs, que je professe le plus sincère respect pour le scrupule de légalité qui a occasionné un conflit entre cette cour et le gouvernement.
Mais il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit ici d'une loi de libéralité éminemment nationale et patriotique. Pour l'interprétation d'une telle loi, dont le caractère est radicalement empreint du sceau d'une généreuse rémunération publique et qui, conséquemment, est tout spécial, en d'autres termes, sortant du droit commun, nous ne devons point nous montrer aussi rigoureux que nous aurions à le faire, s'il était question de l'appréciation d'un droit ordinaire proprement dit et d'étroite équité.
Je n'hésite donc pas à adopter l'opinion du gouvernement, pour ce qui concerne l'interprétation qui nous occupe en ce moment. Je voterai l'ordre du jour motivé que nous soumet M. le ministre de la guerre.
Il importe que nous nous hâtions de mettre un tenue au conflit signalé. La conséquence de celui-ci est de tenir en suspens la liquidation des pensions afférentes aux pétitionnaires, tandis que la plupart d'entre eux attendent, avec une légitime impatience, cette liquidation, car ils se voient ainsi privés, pendant un délai qui se prolonge outre mesure, de leur seul et unique moyeu d'existence.
- La Chambre consultée remet à demain la discussion sur le rapport de la commission des pétitions.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, dans une précédente séance, un honorable député d'Ypres a réclamé des renseignements sur les importations de houille étrangère pendant le mois de février dernier ; j'ai sous les yeux le tableau des importations et des exportations de cet objet pendant les mois de janvier et février 1856 et 1857.
Je vais en faire connaître les chiffres.
En 1856, les importations du mois de janvier ont été de 6,455 tonnes.
En 1857, elles ont atteint 10,109 tonnes.
Celles du mois de février ont été, en 1856, de 11,469 tonnes.
En 1857, elles se sont élevées à 17,935 tonnes.
Quant aux exportations, elles ont sensiblement diminué.
En janvier 1856 elles ont été de 255,328 tonnes
Dans le même mois de 1857, elles sont descendues au chiffre de 153,128 tonnes.
En février 1856, elles s'élevaient à 475,999 tonnes.
Dans le même mois de 1857, elles n'ont plus été que de 345,073 tonnes.
La diminution de ces exportations pendant les deux premiers mois de cette année, comparées à celles des deux mêmes mois de cette année, est donc de plus de 200,000 tonneaux.
Je soumettrai maintenant quelques considérations à la Chambre sur le projet qui est soumis à ses délibérations.
En prenant la parole dans cette discussion, je ne me dissimule pas que j'ai à remplir une tâche ingrate ; celui qui ne peut passionner le débat en adoptant une opinion tranchée soit pour le libre-échange soit pour la protection absolue ne doit pas s'attendre à une vive adhésion ; divers orateurs ont déjà pris la parole ; un amendement déposé dans notre dernière séance révèle l'opinion d'autres honorables membres. D'un côté se montre l'impatience de faire disparaître les droits d'entrée sur les produits de nos grandes industries, de l'autre côté un honorable orateur a préconisé l'immobilité complète dans le système protecteur.
Quoi qu'il en soit, je ne puis me ranger ni à l'une ni à l'autre de ces opinions ; je maintiens formellement le programme du ministère auquel les Chambres ont adhéré, et dont la pensée est exprimée tout entière dans un passage du discours du Trône prononcé à l'ouverture de cette session.
Voici ce paragraphe :
« J'attends de la sagesse des Chambres que la révision du tarif des douanes soit faite dans cet esprit de prudence et de modération que commandent des mesures auxquelles se rattachent les intérêts les plus considérables. »
Le gouvernement s'est attaché à donner ce caractère aux lois de douane qui ont été votées dans la précédente session et dans la présente.
C'est ainsi que la loi du 19 juin 1856 qui pose les bases de notre système commercial, supprime les droits existants sur un grand nombre de matières premières qui sont en général des produits naturels dont l'importation ne nuit à aucune de nos industries, tandis qu'elle est utile à un grand nombre d'entre elles ; cette loi conserve sur beaucoup d'autres marchandises des droits qui portent en général le cachet de la modération ; elle renferme d'ailleurs des dispositions spéciales qui, sans être menaçantes pour l'étranger, arment le gouvernement belge de pouvoirs suffisants pour prendre telles mesures de représailles qui pourraient être jugées nécessaires.
La loi du 27 mai dernier a réduit, dans de justes limites, les droits antérieurs sur les machines et mécaniques ; elle a, comme la première, reçu l'assentiment à peu près unanime des deux Chambres.
La loi du 5 février 1857 sur les denrées alimentaires résout une question grave, depuis longtemps agitée ; elle est empreinte du même esprit de modération, elle n'a pas rencontré d'opposition sérieuse.
Quelques honorables membres se sont livrés à des critiques ou ont exprimé des craintes qui ne me paraissent pas inspirées par le projet de loi qui est en délibération.
Plusieurs articles importants ont été détachés du projet primitif et figurent dans la loi du 19 juin dernier ; tels, par exemple, que le bois, le fer, les navires et bateaux, les récoltes et fourrages, etc. ; parmi les articles restants, un seul paraît devoir donner lieu à des débats importants, c'est le charbon de terre.
Les critiques s'adressent donc, en général, à des projets qui ne sont pas encore arrêtés dans la pensée du gouvernement, et qui sont soumis à une enquête approfondie. Rien jusqu'à ce jour ne peut être préjugé avec quelque certitude à cet égard. Si les chambres de commerce ont été consultées, c'est que le gouvernement veut s'éclairer de leurs lumières et prendre en sérieuse considération leurs justes réclamations ; c'est qu'il a la ferme volonté de ne compromettre aucun intérêt respectable.
J'ai, de plus, annoncé l'intention d'entendre personnellement les intéressés qui voudront me donner des explications ou des renseignements sur la situation spéciale de leur industrie. Tout jugement doit donc être suspendu sur des projets qui ne sont pas encore parvenus à leur entière instruction.
J'aurais désiré, messieurs, que l'on n'eût pas discuté des objets spéciaux dans la discussion générale ; mais puisqu'il en a été autrement et que le débat semble se porter particulièrement sur l'article charbon de terre, je dirai aussi quelques mots sur cet article.
Au début de la discussion, j'ai fait connaître l'intention du gouvernement de maintenir le droit de 1 fr. 40 c. les mille kil. à l'importation du charbon de terre, tel qu'il a été présenté par le ministère précédent.
D'après le tarif actuel, le droit général est de 14 fr. 80 c. les mille kil. c'est-à-dire décuple de celui qui est proposé par le projet de loi ; il est fait une exception pour la France qui, en vertu de ce même tarif, ne paye qu'un droit de 3 fr. 30 c. ; ce dernier droit a été réduit à 1 fr. 50 c. pour la durée du traité du 12 avril 1854.
Le gouvernement propose donc de réduire le droit au-dessous du dixième de celui qui est établi comme droit normal par le tarif actuel ; c'est là sans doute une bien large réforme, c'est peut-être aller trop loin ; et cependant, messieurs, d'honorables membres ne s'en contentent pas ; c'est un droit tout à fait illusoire, ou la libre entrée qu'ils veulent.
Je n'hésite pas à le déclarer, c'est là s'écarter complètement du principe qui préside à le révision que nous avons en vue. Un tel excès ne peut que réjouir les adversaires de toute modération de droits dans notre tarif ; assurés qu'ils sont que le succès d'une pareille tentative serait le signal d'une prompte réaction contre toute espèce de réforme ; ce n'est pas, je m'empresse de le reconnaître, ce qu'annonçaient les derniers ministères qui nous ont précédés, et qui ont posé les jalons d'une révision modérée.
Il est vrai que la section centrale a proposé le droit de 83 centimes par quatre voix contre trois, mais il l'est également que cinq sections de la Chambre sur six ont adopté le projet du gouvernement, c'est-à-dire le droit de fr. 1-40 qui a été proposé par le cabinet précédent et que nous maintenons.
Cette proposition a eu l'adhésion de la majorité des chambres de commerce ; trois d'entre elles, celles de Bruxelles, de Tournai et de Mons l'ont trouvé insuffisante ; celle de Charleroi ne s'y est ralliée que dans la perspective d'un abaissement des droits de péage sur le canal de Charleroi à Bruxelles.
Les mesures radicales que l'on a proposées n'offrent pas d'inconvénients lorsque le prix du charbon est élevé ; mais elles peuvent avoir des conséquences désastreuses lorsque ce prix s'avilit. Il n'y a pas longtemps que l'industrie houillère était eu souffrance ; cette situation se reproduira probablement encore ; la réduction proposée sur les droits d'importation de ce produit est infiniment plus forte que celle qui est ou sera adoptée à l'égard des autres grandes industries du pays. Il serait aussi injuste qu'illogique de vouloir davantage.
Il y a d'ailleurs des considérations d'un autre ordre qui doivent nous empêcher d'entrer dans la voie que quelques-uns de nos honorables collègues veulent nous faire suivre à l'égard de cette matière pondéreuse.
Nous avons supprimé toute prime d'exportation en faveur des produits de l'industrie nationale. Le système de primes a été justement condamné. Mais il y a un système qui mériterait bien plus notre réprobation, ce serait celui qui aurait pour effet de prélever une somme sur les deniers des contribuables belges pour accorder une prime à l'importation des produits de l'industrie étrangère. C'est cependant ce qui arriverait, messieurs, si nous supprimions, ou si nous abaissions à un taux illusoire le droit à l'importation du charbon de terre.
L'Etat a construit des canaux et des chemins de fer qui lui ont coûté (page 1105) des millions dont les intérêts figurent au budget de la dette publique : si nous altérons le produit de ces voies de transport, il faut y suppléer par l'impôt ; il n'y a pas d'autre moyen.
Mille kilogrammes de charbon de terre transportés à Gand ou à Anvers, par exemple, de Charleroi ou du centre, rapportent à l'Etat un droit de péage de 2 fr. 31 c. sans qu'il lui en coûte rien ; je ne parle pas des dépenses que ce transport occasionne au profit du pays.
Permettez la libre entrée du charbon, et ce revenu va nous échapper ; ce sera une véritable prime accordée à l'importation du charbon étranger ; et cette prime, ce sera le contribuable belge qui la payera. Si c'est à Anvers que se fait l'importation, cette prime prend bien d'autres proportions, puisqu'en essuyant le même préjudice quant au transport, nous payerons, en outre, trois francs pour chaque tonneau de houille importé par l'Escaut ; la perte dans ce cas sera de plus de cinq francs par mille kilogrammes importés de l'étranger.
J'appelle, messieurs, votre attention particulière sur cette conséquence des amendements qui sont proposés, et je demande si ce n'est pas là un système diamétralement opposé à tous les intérêts du pays, à ceux des contribuables comme à ceux de l'industrie nationale ?
J'engage la Chambre à se défier de toute exagération dans les mesures qu'elle prendra. Abaissons le droit de fr. 14.80 à fr. 1.40 et l'avenir nous apprendra ce qui restera à faire. Au surplus, le projet maintient la libre entrée jusqu'au 1er janvier 1858, conformément à la loi votée dans notre dernière session ; si les circonstances restent les mêmes que lorsque cette mesure a été prise, elle pourra être renouvelée encore à l'expiration de ce terme ; mais il importe, dans l'intérêt public bien entendu, qu'un droit modéré et permanent soit établi dans le tarif.
M. Laubry. - Messieurs, la politique commerciale du gouvernement étant entrée dans une voie plus libérale, je comprends qu'on ne veuille plus maintenir des droits prohibitifs sur la houille ; mais est-il juste, est-il raisonnable d'aller jusqu'à l'abolition de tous droits, ainsi que le proposent d'honorables membres ? Je ne le pense pas.
On ne peut, messieurs, passer d'un régime de protection au libre-échange sans transition. Les transitions qui sont brusques n'amènent pas des situations qui sont durables ; le progrès, pour être assuré, doit aller graduellement.
L'industrie houillère si importante et par les capitaux qui y sont engagés, et par le grand nombre d'ouvriers qu'elle emploie, a vécu, ainsi que l'a dit l'honorable ministre jusqu'en 1853, au milieu de vicissitudes et d'alternatives de diverse nature ; aujourd'hui qu'elle est entrée dans une période plus heureuse, on ne tient plus compte des mauvais moments qu'elle a passés, et sous prétexte que la houille est chère, on crie au monopole contre les exploitants ; on dit qu'ils font de trop gros bénéfices et en voulant mettre un frein à ce qu'ils appellent les prétentions des propriétaires des mines, ils demandent la libre entrée des houilles. Mais, messieurs, si vous répondiez à cet appel, si vous vouliez les suivre, vous prendriez une mesure désastreuse pour une industrie envers laquelle vous avez toujours montré beaucoup de sollicitude parce que vous savez tous qu'elle contribue grandement à la richesse du pays. La houille est chère, dit-on.
J'en conviens, mais rassurez-vous, elle diminue déjà ici ; du reste, messieurs, elle est chère partout, et cela tient à diverses causes.
D'abord à la prodigieuse activité de l'industrie, au développement des chemins de fer qui non seulement consomment la houille, mais la transportent dans des localité où l'on n'en faisait pas usage.
Enfin au développement de la marine à vapeur. En ce que les salaires des ouvriers houillers est plus que doublé.
Au renchérissement de tous les objets nécessaires au travail des fosses et parce qu'il y a beaucoup de demande.
Mais, messieurs, il serait possible pour les consommateurs d'avoir la houille à meilleur marché. On se récrie contre les droits de douane, et l'on oublie que l'on a des octrois qui perçoivent de 3 fr., 4-36 par 1,000 kil.
Et, chose étrange, plus les localités où l'octroi est établi sont éloignées des lieux de production, plus naturellement le transport est élevé, et, par conséquent, plus la houille est chère. Eh bien, c'est dans ces localités que la taxe est plus forte.
Les droits d'octroi sont fixés ainsi : 64 cent, à Gand par 1,000 kil. et 3.30 à Bruges, 3.12 à Furnes, à Nieuport 4.36, en sorte que plus le prix de la houille est élevé dans une ville, plus l’administration de cette ville croit devoir l'élever encore.
Messieurs, au lieu de chercher à compenser l’élévation du prix de transport par la réduction des droits de l'octroi, on a, par l'exagération de ces taxes, contribué à la rendre plus chère.
Et puis, messieurs, l'on se plaint et on crie, comme si les extracteurs étaient solidaires des mesures que les conseils communaux ont cru devoir prendre à l'endroit de leurs octrois.
Je vous disais qu'on criait au monopole contre les extracteurs. Mais, messieurs, la concurrence qui existe entre les bassins rend cette supposition inadmissible ; elle est injuste, et je la repousse de toutes mes forces.
A entendre certains honorables membres qui ne connaissent qu'imparfaitement l'industrie houillère, on devrait croire que les propriétaires des charbonnages exploitent le Pactole, le Potose.
Erreur, messieurs ! grande erreur.
Il y a certes des charbonnages privilégiés, et ce n'est pas de ceux-ci que je me déclare seulement le défenseur, qui font d'assez beaux bénéfices ; mais il en est d'autres, et c'est le plus grand nombre, qui n'en font que de très ordinaires et dont ne se contenteraient peut-être pas bon nombre de nos industriels ; il y en a enfin qui n'en font pas et qui sont en perte, ce que vous pouvez vérifier dans les documents officiels. Je tairai même ceux qui se ruinent.
Si vous preniez, messieurs, la moyenne du bénéfice de tous les charbonnages depuis vingt-cinq ans, vous trouveriez peut-être que ces bénéfices n'ont pas produit 5 p. c. d'intérêt du capital engagé.
Messieurs, si les exploitants aujourd'hui, qui sont entrés dans une période plus heureuse font des bénéfices, ne faut-il pas tenir compte des mauvais moments qu'ils ont eu à traverser de 1848 à 1851 ?
Et s'ils ont continué à extraire sans profit pour eux, c'est uniquement pour donner du travail à leurs ouvriers et dans le but de ne pas déprimer la production.
Qui peut dire que ces mauvais temps ne reviendront pas ? Rien n'est plus sujet aux vicissitudes et alternatives de bonne et mauvaise fortune que les charbonnages.
Messieurs, la Belgique produit beaucoup plus de houille qu'il n'est nécessaire aux besoins de sa consommation ; sa production suit une progression rapide ; elle a atteint en 1855, le chiffre de 8,409,000 tonneaux qui ont créé en valeur une somme de 104,000,000 dont la moitié a été distribuée en salaires. Les travaux exécutés et en voie d'exécution permettent d'espérer une production encore plus grande.
La Belgique, produisant beaucoup trop pour ses besoins, n'a rien à craindre ; la houille ne lui manquera jamais. Mais ce qui lui importait, c'était d'obtenir des débouchés et d'en avoir de nouveaux, pour exporter son trop-plein.
Aussi les divers cabinets qui se sont succédé.et je les en remercie, se sont appliqués à obtenir du gouvernement français un traitement de faveur pour nos houilles.
C'est ainsi qu'elles étaient traitées plus favorablement que les houilles anglaises qui payaient 5 francs 50 centimes par tonne, de Dunkerque aux Sables d'Olonne, tandis que les nôtres ne payaient, comme aujourd'hui, que 1 franc 63 c.
Aujourd'hui le droit de 5 fr. 50 c. est réduit à 3 fr. 30 c. Eh bien ! messieurs, malgré la différence des droits, il est excessivement difficile pour nos houilles de luttes en France contre la concurrence anglaise.
Pourquoi cette insistance, de la part du gouvernement belge, à obtenir ces faveurs ? Pourquoi leur politique recevait-elle l'approbation des Chambres ?
Parce que tout le monde était convaincu qu'en facilitant nos exportations, on contribue à enrichir le pays.
Est-ce alors, messieurs, que nous avons fait des sacrifices pour obtenir un droit différentiel en France, pour combattre la concurrence anglaise, que nous irions, dans notre pays, les admettre à concourir sans droit ? Une pareille proposition n'est pas raisonnable, elle n'est pas juste. On ne peut l'admettre.
L'honorable ministre vous a exposé son système commercial, qui est progressif ; mais il ne veut rien hâter, il veut que l'expérience se fasse sur des droits modères à l'entrée des houilles étrangères avant de se décider à faire un pas de plus ; il croit qu'il faut marcher avec prudence, et il a raison. Il y aurait témérité à agir autrement.
Il propose fr. 1-40, avec les additionnels fr. 1-70. Ce droit est fiscal.
Je pense comme l'honorable ministre que ce droit n'est pas même suffisant.
Quoi qu'il en soit il a été admis par la majorité des chambres de commerce, ce droit est celui que nous payons pour nos charbons à leur entrée en France.
La suppression de tous droits n'est pas la condition sine qua non de la liberté du commerce.
La liberté du commerce c'est la possibilité de concourir ; du moment que les droits ne sont pas trop élevés la concurrence existe, elle s'établit ; dans les pays où le libre-échange existe on admet un droit.
Or, le droit proposé n'est pas trop élevé, je dirai même qu'il ne l'est pas assez.
Quand le fret sera moins cher en Angleterre, quand la production aura pris le pas sur la demande, il nous arrivera du charbon à Anvers, à Gand et sur le littoral de la mer. Dans quelle proportion, c'est l'inconnu. Ce n'est pas pour le présent que la concurrence est à craindre, quoiqu'il arrive déjà du charbon malgré l'élévation du fret, mais c'est pour l'avenir, quand il y aura des crises qui se produiront.
N'est-il pas sage, prudent de se mettre en garde contre une puissante rivale qui a des charbonnages riches et puissants dont l'extraction est facile et peu coûteuse et qui peut exporter tous les ans jusqu'à 8,000,000 de tonneaux, alors même que l'industrie est florissante ?
Si nous n'avions pas un droit d'entrée pour un peu nous garantir, nos charbonnages seraient exposés à une concurrence ruineuse.
Beaucoup d'industries vivent avec les charbonnages, elles prospèrent ou déclinent avec les alternatives de bonne et mauvaise fortune qu'ils subissent. Toutes sont donc intéressées à sa prospérité et le pays lui-même qu'ils contribuent à enrichir.
Avec le droit proposé de 1 fr. 40, le gouvernement trouvera au moins une légère compensation des droits de péage qu'il est obligé de payer (page 1106) pour les charbons anglais qui arriveront à Anvers ou à Gand par Terneuzen.
En vertu du traité de 1839 avec la Hollande il est perçu un droit unique de 1 florin 50 cents par tonneau, savoir 1 fl. 12 par navire arrivant de la pleine mer pour se rendre en Belgique par l'Escaut ou le canal de Terneuzen.
La loi du 5 juin 1839 dispose que le péage sera remboursé par le gouvernement.
On accorde donc aux importateurs de houille anglaise une prime à l'importation, et cela pour des matières premières que nous avons en abondance dans le pays.
Indépendamment de ce que remboursera le trésor du chef du péage sur l'Escaut, il perdra encore ce qu'il perçoit sur nos canaux à l'intérieur du chef des péages ; car il est très certain que l'Angleterre fournissant la houille à Anvers et sur le littoral, les transports par eau diminueront.
Pour que le trésor ne soit pas intéressé, il faudrait que le droit d'entrée sur la houille anglaise fût au moins égal au droit qu'il est tenu de rembourser, ce serait de toute justice.
Messieurs, plusieurs chambres de commerce ont trouvé le droit proposé par le gouvernement insuffisant, et je suis de leur avis, des membres de la section centrale ont reconnu eux-mêmes que ce droit n'était pas protecteur ; si je l'admets, c'est sous toutes réserves et bien persuadé que si des circonstances se présentaient où ce droit paraîtrait insuffisant, la Chambre qui a toujours montré tant de sollicitude pour l'industrie charbonnière s'empresserait de lui venir en aide, et elle le ferait parce qu'elle a trop d'intérêt à la prospérité de nos charbonnages qui sont l'une des principales branches de notre richesse nationale.
M. Lesoinne. - Messieurs, à l'occasion du projet de loi en discussion, plusieurs honorables membres ont cru devoir examiner d'une manière générale le système douanier. Comme M. le ministre des finances vient de le faire observer, pour ouvrir cette discussion sur le système commercial, on aurait mieux fait d'attendre que la Chambre fût saisie du projet de loi qui nous a été promis par le discours du trône. Néanmoins nous croyons devoir dès à présent un mot de réponse à l'honorable M. T Kint de Naeyer.
Dans le discours qu'il a prononcé avant-hier, il a l'air de se prononcer pour le statu quo absolu. L'honorable membre, dans la première discussion du projet de loi, a tenu un langage quelque peu différent ; il commençait ainsi son discours :
« Je viens me rallier, disait-il, au principe, posé dans le projet de loi, d'une reforme prudente et successive de nos tarifs. »
Je ne sais si, depuis lors, l'honorable membre a fait des réflexions qui l'ont porté à modifier sa manière de voir, mais avant-hier il nous disait : On pourrait, pour certains articles de notre tarif, diminuer les droits ; mais il peut se présenter des circonstances où l'on aurait besoin de les relever pour pouvoir se défendre contre des importations étrangères exagérées.
Je pense que l'honorable M. T Kint de Naeyer se fait une idée peu exacte de la manière dont les affaires se font entre les différents pays et surtout de la manière dont les affaires se font en Belgique. Il se figure (et les partisans du régime restrictif partagent cette manière de voir) que si l'on abaisse quelque peu les tarifs de certains articles, le pays va demander une telle quantité de ces articles qu'elle va faire baisser les prix de manière à ne plus laisser de bénéfice dans la vente de ces mêmes produits.
C’est un des grands chevaux de bataille des partisans de la restriction que ces prétendus soldes de marchandises qui, après l'écoulement de certaines quantités dans le pays, n'attendent qu'un débouché pour aller se porter là où il y a déjà un trop-plein. C'est ce qu'on appelle les soldes.
J'avoue que je ne connais pas un seul exemple de l'introduction de ces prétendues soldes dans le pays. En effet, c'est moins eu Belgique qu'en Angleterre que ces prétendus soldes pourraient trouver un écoulement.
Dans notre pays, nos fabricants trouvent les plus grandes difficultés à se défaire de leurs soldes.
C'est difficile, non seulement pour les marchandises étrangères, mais pour les marchandises belges. On le conçoit. Les commis voyageurs parcourent pour ainsi dire toutes les communes de la Belgique pour faire leurs offres. Quand ils présentent les mêmes articles une seconde fois, on ne veut plus en entendre parler.
En Belgique, généralement, on est peu spéculateur. Si la spéculation devait se porter sur les soldes, c'est surtout en Angleterre, où l'esprit de spéculation existe à un plus haut degré, qu'elle trouverait à s'exercer. On trouverait là des capitalistes qui achèteraient ces excédants de marchandises et attendraient un moment favorable pour les écouler, moment qui se présenterait beaucoup plus tôt en Angleterre même. Alors ils auraient la chance de les écouler avec un bénéfice, en les offrant à 3 p. c. au-dessous du cours lorsqu'il y aurait une reprise d'affaires. Je pense donc qu'on se laisse aller à une crainte chimérique quand on redoute l'invasion des marchandises étrangères comme conséquence de la réduction du tarif.
La Belgique a des besoins : elle achètera soit dans le pays, soit à l'étranger, suivant ses besoins et rien au-delà.
Aujourd'hui, les affures se font généralement sur commandes. On n'envoie plus de marchandises à l'aventure, parce qu'on s'expose à de pertes presque certaines. Restons donc dans la réalité des faits et ne nous créons pas des fantômes.
L'honorable M. Desmet est, lui, partisan et partisan convaincu du régime protecteur, il croit que l'avenir d'une industrie est indépendant du progrès qu'elle peut faire ; il est pour l'immobilité. Il l'a prouvé en soutenant l'industrie du fil à la main contre l'industrie du fil à la mécanique. Il croit, il est convaincu que l'avenir est pour l'industrie du fil à la main. Il est possible que l'honorable membre trouve encore quelques adeptes.
Mais je pense que l'opinion, dans les Flandres, est considérablement modifiée à cet égard, car on y a établi de très grandes filatures à la mécanique ; non seulement on fait du fil à la mécanique, mais on introduit du fil étranger à charge de réexportation.
Si le fil étranger peut se travailler avec bénéfice, ce ne seront pas seulement quelques industriels qui ont le moyen de remplir les formalités, qui devraient pouvoir en faire venir.
Si les ouvriers pouvaient se le procurer également, nos tisserands des Flandres en feraient aussi bon usage qu'eux. Je crois qu'ils en retireraient un meilleur salaire ; car les fabricants qui distribuent ces fils doivent y trouver un bénéfice.
Lorsque nous démarrions la liberté pour l'achat de certains produits, c'est afin d'améliorer aplani que possible les conditions de production. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, c'est précisément parce que l'Angleterre a admis la liberté pour beaucoup d'articles et surtout pour les matières premières, que nous devons nous maintenir dans des conditions de production aussi favorables qu'elle.
Je dois ici encore faire une observation : je crois que les partisans de la protection, aussi bien que les partisans de la liberté commerciale ne se font pas une idée juste de l'influence que le système de la liberté exercerait sur notre industrie. Je crois que le prix des différents articles n'en subirait pas un changement notable.
Je crois, par exemple, que si les fers el les houilles étaient libres à l'entrée le prix n'en serait pas sensiblement modifié.
Mais nos mécaniciens, nos fabricants d'armes et de chaudières et beaucoup d'autres industries encore, qui ne me reviennent pas à la mémoire, pourraient se procurer, à des conditions meilleures, certaines qualités de fer qu'ils doivent se procurer aujourd'hui pour satisfaire à la demande de leurs commettants. C'est ainsi que nos fabricants de machines emploient, pour les essieux et pour les bandages de roues des locomotives, certaines qualités de fer qui coûtent beaucoup plus cher à l'étranger qu'en Belgique. Les fabricants de chaudières pourraient recevoir la tôle au charbon de bois qu'on leur demande pour les fonds de chaudières et qui ne se fait dans le pays qu'exceptionnellement et en quantité insuffisante. Nos fabricants de mécanique soutiennent parfaitement la concurrence avec l'étranger, avec un droit de 5 p. c.
Cependant, ils ne sont pas dans des conditions de production aussi favorables qu'ils pourraient l'être si la liberté d'entrée sur les houilles et sur les fers existait.
L’honorable M. Desmet a aussi accusé les partisans de la liberté commerciale d'être des agents de l'Angleterre ; il les a accusés d'être au service de l'Angleterre, il n'a cependant pas dit qu'ils étaient payés par elle.
Messieurs, j'ai regretté d'entendre l'honorable membre répéter ces insinuations calomnieuses qu'il aurait mieux fait de laisser aux journaux dans lesquels il les a ramassées. Je sais que quand des citoyens diffèrent d'opinion sur certaines questions, ils ne conservent pas toujours la modération qu'ils déviaient apporter dans l'examen de ces questions.
Pour ma part, j'ai toujours évité de me servir de termes offensants pour qui que ce fût. Je crois être dans le vrai et je soutiens mon opinion, sans vouloir blesser mes adversaires ni dans leur caractère ni dans leurs intentions.
Nous croyons, messieurs, qu'en améliorant les conditions de production, nous augmentons la somme de travail dans le pays ; par conséquent, nous augmentons le salaire de l'ouvrier. Car plus le travail est demande, plus le salaire de l'ouvrier augmente.
L'honorable M. Brixhe a traité la question spéciale des houilles. Cet honorable membre semble préoccupe d'un danger inconnu. Il peut se présenter, dit-il, des circonstances qu'il n'indique pas, où l'entrée des houilles étrangères porterait un grand préjudice à l’industrie du pays.
Je crois que l'honorable membre se donne beaucoup de peine afin de se créer un fantôme pour se faire peur à lui-même. Aussi l'honorable membre semble-t-il embarrassé, il paraît même dominé par des convictions qui l'éclairent malgré lui. Dans la première discussion qui a eu lieu à l’occasion de ce projet de loi, il terminait son discours de cette manière :
« Lier le sort de certaines industries au sort de certaines autres, c'est les immobiliser ; toutes les lois douanières se font alors sous la pression des coalitions d'intérêts et la résultante générale, quelle est-t-elle ? J’adoucis considérablement la chose, mais la voici : Mystification complète des consommateurs sur toute la ligne.
« C'est ce qu'un homme de la valeur de sir Robert Peel avait si bien compris. »
Messieurs, je suis de l'avis de l'honorable membre et j'ajouterai sans bénéfice pour l'industrie elle-même.
(page 1107) L'industrie houillère, avant 1830, dans Je bassin de Liège qui est celui que je connais le mieux, était fortement protégée et ne cherchait pas à faire de grands progrès. Lorsque la révolution de 1830 est venue, nous avons considérablement souffert et lorsque nous avons pu diriger de nouveau nos expéditions vers la Hollande, nous avons trouvé le marché occupé par les Anglais et par les Prussiens. Il nous a donc fallu faire de grands efforts pour concourir avec eux. Eh bien, messieurs, ce sont ces efforts qu'a dû faire l'industrie houllière du bassin de Liège par suite de cette concurrence, qui sont la véritable cause des progrès qu'elle a faits.
En effet, on se fait une fausse idée de la concurrence étrangère. Pour moi, la concurrence étrangère n'est jamais à craindre. Mais elle est le stimulant le plus puissant pour la perfection des industries nationales. C'est le seul efficace, parce qu'on n'a pas seulement à lutter sur le marché intérieur, mais on lutte sur les marchés étrangers. Et remarquez-le, messieurs, toutes les industries de notre pays qui sont solidement assises, qui ont des racines profondes dans le pays, demandent la liberté. Elles demandent qu'on ne laisse pas subsister l'opinion qu'elles ont besoin d'un droit protecteur pour les défendre sur notre propre marché Elles se montrent fortes et inspirent comme cela la confiance aux acheteurs étrangers. C'est là une des causes principales de leur prospérité.
L'honorable M. Brixhe dit qu'il peut se présenter des circonstances où l'introduction de la houille étrangère pourrait être un danger pour notre industrie. Depuis trois ans bientôt que la libre entrée des houilles existe, l'on devrait cependant être rassuré ; nous sommes dans une situation que je dirai peu favorable à l'industrie. Les prix des charbons ont-ils tellement baissé que l'on ait besoin de rétablir un droit pour empêcher l'entrée des houilles étrangères ?
Le charbon n'est-il pas encore plutôt trop cher pour l'industrie ? Car quoique producteur de charbon, j'ai du moins la franchise de dire que le charbon est encore à un taux assez élevé pour certaines industries.
La libre entrée ne peut pas influer d'une manière sensible sur les prix du marché intérieur. Mais lorsque la demande des houilles deviendra considérable, lorsque les circonstances que nous avons traversées se représenteront, cette libre entrée pourra du moins servir à certaines localités de notre pays, à certaines industries qui pourront s'approvisionner d'une manière quelconque en faisant venir du charbon de l'étranger. Celte proposition de la libre entrée des houilles nous est venue de la ville de Gand, qui s'est trouvée un montent sans charbon, ayant peine à continuer à travailler, faute de combustible.
M. de Brouckere. - Elle avait manqué de prévoyance.
M. Lesoinne. - Non ; c'est de charbon qu'elle a manqué.
L'expérience que l'on a fait, messieurs, devrait être concluante, et il en a toujours été ainsi. Toutes les fois qu'il y a eu un abaissement de droit, on a crié qu'on allait être ruiné ; mais quand la loi était passée, les industries qui se croyaient menacées, au lieu de décliner, ont marché de progrès en progrès. C'est ce qui est arrivé pour l'industrie des laines de Verviers : en 1843, on avait élevé le droit sur les fils de laine de 12 p. c. à 24 p. c, si je ne me trompe ; quand on a fait le traité avec la France, ou a réduit le droit à 12 p. c. L'industrie de Verviers a cru aussi qu'elle était ruinée ; et c'est depuis lors qu'elle a fait les plus grands progrès ; aujourd'hui elle est convaincue qu'elle était dans l'erreur.
Je crois, messieurs, que nous ferons bien de décréter la libre entrée permanente des houilles étrangères. Dans les circonstances actuelles, cette mesure n'aura guère d'effet, mais lorsqu'il y aura une forte demande, le charbon pourra, au moins, arriver à des conditions moins onéreuses dans certaines parties du pays qui sont trop éloignées des bassins houillers.
La houille, messieurs, est aussi nécessaire aux pauvres On meurt de froid comme on meurt de faim et il ne faut pas faire renchérir le combustible d'une manière artificielle ; il renchérit déjà par la demande qui augmente tous les ans.
Je voterai pour la libre entrée permanente des charbons.
M. Wautelet. - Messieurs, j'espérais aussi que le projet de loi dont nous nous occupons en ce moment ne devait pas amener une discussion générale sur la question de la liberté du commerce. J'avais pensé que ce projet, qui apporte des simplifications dans le tarif et des améliorations dans un sens libéral, aurait été accepté par tous comme un progrès réel, et par les partisans de la liberté commerciale absolue comme l'une des nombreuses étapes que notre système douanier doit encore parcourir avant d'arriver à la situation à laquelle les impatients voudraient le voir parvenir immédiatement.
Je remarque, messieurs, qu'en général pour combattre les opinions de ses adversaires on exagère presque toujours ces opinions, auxquelles on donne un sens absolu. Ainsi on dit à ceux qui veulent modérer le mouvement de l'opinion vers la liberté commerciale : Vous voulez maintenir le statu quo absolu, vous ne voulez accepter aucune amélioration : eh bien, messieurs, si l'on posait la question de cette manière à savoir si chacun veut le progrès vers la liberté, je pense que nous serions presque tous d'accord.
Cette question, messieurs, est une question de temps, une question de progrès plus ou moins vite réalisé, mais sur laquelle je crois que nous sommes tous d'accord au fond. Pour moi, je crois que le progrès réel, le progrès solide, celui qui peut se maintenir, est le progrès qui se produit lentement, le progrès qui n'est pas obtenu violemment, celui enfin qui arrive naturellement par la force des choses. Dans la séance d'avant-hier, un honorable membre a cité l'exemple de l'Angleterre et a convié la Belgique à suivre son exemple, et, à cet effet, il énumérait ici l'immense développement qu'avaient pris les exportations en Angleterre depuis qu'elle était entrée dans cette voie. Il nous disait que notre position topographique et la perfection de nos industries nous conviaient à adopter le même régime qui aurait pour nous les mêmes conséquences.
Messieurs, j'avoue qu'il m'est difficile de comprendre cette assimilation qu'on veut faire de l'Angleterre et de la Belgique, des moyens que la Belgique à sa disposition et de ceux dont l'Angleterre dispose pour le commerce comme pour l'industrie.
Je cherche vainement où sont pour nous ces mille vaisseaux qui parcourent toutes les mers, ces capitaux immenses qui, en Angleterre, sont mis à la disposition des opérations commerciales, cette influence et cette force qui maintiennent tous les débouchés et les augmentent chaque jour, qui ouvrent violemment les portes quand on ne veut pas les ouvrir volontairement à leur commerce. Où sont enfin ces colonies où nous puissions déverser, à l'exclusion des autres puissances, les produits de notre industrie et de notre sol ?
J'avoue que je ne vois absolument rien de tout cela.
L'honorable M. Moreau, en citant la prospérité à laquelle notre industrie est arrivée, en citant nos progrès, en citant les succès que nous avons obtenus aux expositions internationales des dernières années, l'honorable M. Moreau, dis-je, aurait dû s'apercevoir par là que le système suivi jusqu'ici n'était pas, comme il semblé le dire, exclusif du progrès ni des améliorations. Ainsi cette position brillante qu'il indiquait comme étant celle qu'occupait notre industrie parmi les nations prouve à l'évidence que, sous le régime que l'honorable membre voudrait voir cesser, le progrès a cependant été possible, qu'il a été sensible, qu'il a même été remarquable.
Messieurs, ce n'était pas, me semble-t-il, à l'occasion du projet actuel que devait venir cette discussion générale. Je ne m'occuperai donc en en moment que de l'article qui semble être l'objet principal du projet, l’article charbon.
Le gouvernement a proposé un droit de 1,40 fr. par mille kilog. Ce chiffre serait un chiffre très arbitraire s'il n'y avait, pour le justifier, le désir d'établir une espèce de réciprocité vis-à-vis d'une puissance voisine.
L'honorable ministre des finances, comme il le dit dans son exposé des motifs, a choisi ce chiffre comme étant un chiffre modéré et comme établissant une réciprocité que je voudrais voir appliquer plus souvent dans les lois de douanes.
Ainsi, messieurs, dans cet ordre d'idées le chiffre de 1 fr. 40 c. me paraît jusqu'à un certain points justifié.
Mais ce chiffre, messieurs, est-il suffisant pour protéger l'industrie charbonnière et pour lui conserver au moins le débouche de la consommation nationale.
Ici, messieurs, on s'aperçoit que la question douanière est une question connexe. Cette question se rattache évidemment à notre système intérieur de canaux, à la question des péages. En effet ; si vous adoptez un système libéral à l'égard des produits étrangers, vous devez, pour être conséquents, l'adopter aussi et à plus forte raison pour les produits similaires du pays ; si vous adoptez la proposition qui a été déposée hier par quelques membres et qui a pour objet de faire décréter la libre entrée absolue des charbons étrangers, vous ne pouvez pas, pour être logiques, conserver à l'intérieur des droits qui sont de véritables droits de douane aussi, qui sont des charges que vous imposez aux produits du pays ; vous ne pouvez pas vouloir donner une prime pour faire arriver dans le pays des produits étrangers, alors que vous maintiendriez, à l'intérieur, les droits que vous percevez sur vos propres produits, destines à concourir avec ces produits étrangers !
Si votre but réel est de faire diminuer le prix du charbon dans les Flandres et à Anvers, pourquoi percevez-vous une taxe exorbitante sur le transport des charbons belges qui doivent approvisionner ces localités ?
Je crois, messieurs, qu’il est indispensable que la question des péages soit examinée, discutée et réglée en même temps que la question douanière, au moins en ce qui concerne les houilles ; il est impossible que vous touchiez à l’une sans toucher en même temps à l'autre.
On vous a dit tout à l’heure que si, par suite des dispositions nouvelles que vous voulez introduire dans votre système douanier, vous faites arriver par l’Escaut ou par le canal de Terneuzen des houilles anglaises, vous constituez le trésor en perte d'une somme de fr.3 23 c. par 1,000 kil. de houille importée ; cela est incontestable, puisque par la loi du 5 juin 1839 vous avez décidé que la Belgique rembourserait, pour tous les navires, le droit de navigation de l’Escaut qui est de 1 florins 50 des Pays-Bas par tonne ; mais il y a plus encore, car par cette introduction de houilles étrangères vous privez le trésor du droit de fr. 2 35 c. que cette houille aurait payé si elle était arrivée par les canaux intérieurs.
La liberté à l'entrée des houilles est un fait qui existe aujourd'hui. Ou vous l'a rappelé, cette mesure a été justifiée par les circonstances exceptionnelles dans lesquelles on s'est trouvé momentanément. Mais il est évident que cette mesure ne peut être que temporaire, qu'elle (page 1108) doit cesser avec les circonstances qui l'ont provoquée ; aujourd'hui que nous allons rentrer dans une situation normale, cette mesure n'a plus de raison d'être, il faut la faire cesser.
Rappelez-vous, messieurs, la position dans laquelle se trouvait l'industrie houillère il y a sept ou huit ans ; rappelez-vous les efforts qui ont été faits pour la ranimer. Vous avez pris alors des mesures exceptionnelles ; vous avez accordé, sous forme de réduction des droits, des primes à la sortie pour faciliter l'exportation et rendre un peu de vie aux exploitations, qui ne pouvaient, avec les marchés qui étaient à leur disposition, écouler leurs produits.
A cette époque, les populations ouvrières qui environnent nos établissements se trouvaient en grande partie sans ouvrage, et quelquefois sans pain. Vous vous rappelez les efforts et les sacrifices qu'il a fallu faire pour traverser ces temps difficiles.
Eh bien, ces circonstances malheureuses peuvent se reproduire encore. Aujourd'hui déjà, il y a un ralentissement marqué dans les affaires, dans les exportations, et ce ralentissement, croyez-le bien, peut prendre des proportions inquiétantes. Ce qui se passe en ce moment en France doit nous donner lieu à réfléchir.
Dans le département du Nord, dans le Pas-de-Calais et dans la Somme, de nombreux établissements charbonniers se créent comme par enchantement. Sur le prolongement du bassin de Mons et d'Anzin, ces établissements produisent déjà aujourd'hui des quantités considérables de houille qui servent à la consommation des contrées que les houilles belges alimentaient autrefois. Dans la Lorraine, un nouveau bassin houiller est aussi découvert ; des travaux considérables y sont pratiqués en ce moment ; des hauts fourneaux s'y construisent. Eh bien, ce débouché pour les hauts fourneaux comme pour les charbons, vous échappera encore. Ces charbonnages alimenteront Reims et toute la Champagne. Déjà un ralentissement marqué existe dans nos exploitations, et ce ralentissement peut nous conduire à une position telle, que vous soyez amenés encore à prendre des mesures exceptionnelles semblables à celles que vous avez cru devoir prendre autrefois dans un but d'intérêt public.
En Angleterre, au moment où je vous parle, des sociétés se constituent pour l'exportation des houilles sur tout le littoral français et sur le littoral belge. C'est un fait positif dont la connaissance m'est parvenue d'une manière très certaine. Ces compagnies vont utiliser un grand nombre de navires qui sont aujourd'hui disponibles en Angleterre par suite de la paix. Si ces compagnies atteignent le but qu'elles se proposent, elles priveront encore les charbonnages belges d'une grande partie de leurs débouchés, tant en Belgique qu'en France, sur le littoral, à Rouen, à Amiens et même à Paris.
L'honorable M. Lesoinne définissait tout à l'heure la liberté d’entrée de cette manière. « C’est, disait-il, un stimulant nécessaire qui oblige à perfectionner les moyens de production et amène le progrès. » Eh bien, je demanderai à l'honorable membre quelle application il fera de ce stimulant pour améliorer l'exploitation charbonnière.
Je lui demanderai si nos moyens d'exploitation, si nos machines, si notre système de travail ne sont pas aussi perfectionnés qu'en Angleterre. Je répondrai, et je suis convaincu qu’il répondra avec moi que nous sommes au moins aussi avancés sous ce rapport que l'Angleterre elle-même ; mais il est des conditions que la nature a faites et qu'il n'est donné à personne de pouvoir changer. Les mines anglaises sont bien autrement riches et puissantes et plus facilement exportables que les nôtres ; elles sont situées sur le rivage de la mer, où leurs produits arrivent sans frais.
Sommes-nous, je le demande, dans des circonstances semblables ? Et quels que soient les perfectionnements que nous apportions dans nos exploitations, pouvons-nous espérer d'arriver à racheter par la une position que la nature ne nous a pas donnée ? Evidemment, jamais.
En résumé, la libre entrée des charbons étrangers ne peut, à mon avis, être admise sans qu'en même temps on supprime les péages sur les canaux ; il y a connexité évidente, entre la question douanière et la question des péages ; une mesure ne peut être admise sans que l’autre soit adoptée et en même temps comme conséquence de la liberté.
Je bornerai là mes observations. Je me réserve de prendre encore la parole dans la discussion générale, si je le trouve nécessaire. Je la prendrai, dans tous les cas, lors de la discussion des articles.
M. Vermeire. - Messieurs, le projet de loi en discussion a donné lieu à des appréciations diverses, quelquefois peu exactes, souvent exagérées. Des hommes qui ont fait une étude approfondie de l'économie politique sont venus, dans la séance d'avant-hier, faire bon marché de ces principes dont ils reconnaissent, cependant, l'efficacité salutaire au point de vue de l'intérêt général ; et de guerre lasse, sentant faiblir leur argumentation à mesure qu’ils la développaient, ils ont dû en quelque sorte appeler à leur secours la force armée pour maintenir l'ordre public qui, dans leur imagination, se trouverait gravement compromis à la suite d’une réforme douanière dans le sens de la liberté.
Cet épouvantail dont on veut effrayer quelques esprits timides n'est qu'un croquemitaine peu redoutable et qui, tout au plus, serait de nature à porter quelques appréhensions, quelque trouble dans l'esprit de l'industrie encore dans l'enfance.
D'autres, exagérant la puissance de l'industrie étrangère, et surtout celle de l’Angleterre, la font apparaître comme un matamore prêt à dévorer tout ce qui paraît faire obstacle à sa course progressive.
En effet, n'avons-nous pas entendu dans la séance d'avant-hier un honorable membre avancer, avec une assurance imperturbable, digne d'une meilleure cause, que si les industriels de l'Angleterre peuvent obtenir un certain bénéfice sur les quatre cinquièmes de leur production, ils font des sacrifices sur le cinquième restant et le jettent sur les marchés étrangers pour l'y placer à tout prix.
Ne l'avons-nous pas entendu conclure, de ce fait, qui n'existe pas, et à l'égard duquel l'honorable M. Lesoinne a déjà répondu, que l'on ne peut porter une main imprudente sur nos tarifs si nous ne voulons compromettre notre situation prospère et nuire à nos intérêts les plus chers tant au point de vue de l'intérieur que de l'extérieur ? D'autres enfin ont fait allusion à la richesse inépuisable de puissants Etats qui, dans la lutte, pouvant exposer d'énormes capitaux, feraient des sacrifices non moins grands, pour anéantir la concurrence et établir leur règne sur les ruines qu'ils auraient semées sur leur passage ? Voilà, messieurs, l'analyse succincte du thème que soutiennent d'honorables membres de cette assemblée en s'arrogeant, en réclamant pour eux exclusivement le monopole de défenseurs intelligents, dévoués du commerce et de l'industrie ; et ils ne s'aperçoivent pas qu'en donnant leur appui à cette soi-disant protection, en en exagérant l'efficacité, ils amènent pour l'industrie indigène une situation, un résultat diamétralement opposé au but qu'ils avaient en vue. En effet, si une industrie est protégée outre mesure, si elle l'est de manière à rester maîtresse du marché intérieur, qu'arrive-t-il ? Que la concurrence à l'intérieur devient si forte que le marché est bientôt trop petit et qu'il en résulte une dépréciation dans les prix qui dépasse toutes les prévisions.
Si mes renseignements sont exacts, les prix des filés de coton et de lin sont plus élevés en Angleterre qu'en Belgique. Aussi est-ce à cause de la restriction de notre marché que nous ne pouvons faire subir à notre industrie les améliorations dont elle sent le besoin d'autant plus vif que, dans les pays moins protégés, l'industrie se développe et se perfectionne davantage.
Un document qui nous a été distribué hier, le rapport sur le bilan de la Banque de Belgique, prouve, de nouveau, « que l'industrie houillère si importante par les grands capitaux qu'elle représente et le nombre d'ouvriers qu'elle occupe s'est maintenue dans l'état de prospérité qu'elle a atteint depuis plusieurs années ; que l'industrie métallurgique est restée dans une situation favorable, et que ses produits out été fort recherchés aussi bien pour l'extérieur que pour l'intérieur. »
Aussi, tandis que les actions des charbonnages sont en général cotées au-delà de leur valeur nominale, celles de l'industrie proprement dite sont loin d'atteindre le pair.
Pour ne pas abuser de vos moments précieux, je m'abstiendrai, messieurs, d'entrer, à cet égard, dans de plus amples détails ; puisque, en jetant les yeux sur la cote de la bourse, vous pourrez vous convaincre bientôt de l'exactitude de cette assertion.
Quelle est la conclusion qui saute aux yeux ? C'est que ce sont, précisément, les industries le moins protégées qui se trouvent dans la meilleure situation.
Je pense donc, messieurs, qu'il est de l'intérêt de l'industriel aussi bien que de celui du consommateur de n'avoir point des droits prohibitifs afin de ne pas exciter à la création d'industries qui ne pourraient vivre sans le secours factice plutôt que réel de la protection. Messieurs, j'avais soutenu autrefois, avec conviction, les primes que l'on accordait à la construction des navires ; je croyais sincèrement que cette prime était nécessaire, indispensable à cette industrie. On l'a supprimée, quel en a été, encore une fois, le résultat ? C'est que l'on a construit des navires sans la prime comme avec la prime ; et qu'en outre, on a créé des lignes de navigation qui ne pourront que contribuer d'une manière sensible à l'accroissement de nos relations commerciales avec l'étranger.
On le voit donc, plus on examine cette question impartialement, plus on est convaincu que la prospérité de l'industrie ne réside pas dans les droits de douane, mais dans le perfectionnement de l'outillage et de la fabrication, pour produire dans les mêmes conditions économiques que l'Angleterre.
Je dois le dire à regret, j'ai été peiné d'entendre l'honorable M. T’Kint attribuer la réforme de l'Angleterre à une idée égoïste de Robert Peel. Oh ! non, telle n'était pas, telle ne pouvait être l'intention de ce grand homme d'Etat.
Lui aussi avait à lutter contre l'esprit prohibitionniste qui soufflait sur son pays. Comment s'y est-il pris pour faire accepter plus facilement ses principes économiques ? Certain d'avance que le résultat qui devait résulter de la reforme aurait développé l'industrie et le commerce, il a flairé l'amour-propre de ses concitoyens, en leur disant qu'ils ne devaient point craindre, qu'ils étaient les plus forts ; et ceux-ci, adoptant ses nouvelles doctrines, se sont aperçus bientôt que, de même que la liberté politique, la liberté commerciale devait faciliter les relations des peuples, et, conséquemment, servir leurs intérêts réciproques.
Quant à l'absorption des intérêts continentaux par l'intérêt britannique, je n'y crois pas, et je n'y croirai que quand, à l'appui d'une pareille assertion, on apportera des preuves irrécusables.
Il existe quelque part un peuple libre comme l'air vif qu'il respire, dont le territoire est circonscrit dans d’étroites limites ; peu favorisé de moyens de communications économiques, ce peuple laborieux a-t-il vu son industrie décroître, parce qu'il soutient la lutte avec l'Angleterre sur le terrain de la liberté ?
(page 1109) Non, certes, l'industrie suisse, car c'est elle dont il s'agit, se développe d'une manière prodigieuse et sa prospérité augmente dans la même proportion.
Cet exemple prouve, messieurs, que ce matamore dont on nous effraye n'est qu'un fantôme, un mythe qui disparaît du moment qu'on le regarde en face.
Mais, dit-on encore, et mon honorable ami M. Wautelet est du nombre, les capitaux abondent en Angleterre. Ils sont tout puissants ; la lutte entre nous et elle est inégale ; nous devons nécessairement y succomber.
Examinons encore cet aphorisme et voyons ce qu'il peut contenir de vérité ? Une crise financière a, il y a peu de temps, sévi dans l'occident de l'Europe. Quel est le pays où l'argent a pu s'obtenir au meilleur marché ? Est-ce en Angleterre ? Evidemment non, l'escompte chez nos voisins d'outre-Manche s'est élevé de 7 à 8 p. c. A Hambourg, il était de 9 à 10 p. c. En France, il ne peut, de par la loi, dépasser le taux de 6 p. c ; mais on y avait fait des restrictions telles, que l'on n'admit dans les comptoirs d'escomptes que les valeurs revêtues de plusieurs signatures, et à courte échéance ; c'est-à-dire que le terme de 90 jours avait été réduit à 60 jours.
En Belgique ce n'est que par une mesure exceptionnelle, mesure que l'on peut qualifier d'excessive prudence, que le taux de l'escompte a été augmenté d'un pour cent et qu'il est resté à un taux plus bas que dans les pays que je viens de citer.
Ainsi, ces immenses richesses, ces nombreuses ressources financières dont on fait ici étalage, disparaissent devant le simple examen des faits.
Je crois, messieurs, que l'on nuit énormément à l'industrie quand on soutient que celle-ci n'est pas assez avancée pour soutenir la concurrence avec l'étranger.
Ce fait, messieurs, n'existe pas. Le tableau général du commerce belge avec les pays étrangers, prouve que nos exportations sont en voie de progrès. Ce qui prouve que nous sommes un peu plus robustes que ne le pensent quelques honorables membres de cette Chambre. Ensuite, le rang que nous avons occupé à l'exposition universelle de Londres et de Paris, proteste contre cette infériorité que l'on veut nous octroyer. En effet, à la dernière exposition de Paris, nous avons obtenu un succès d'autant plus grand que la place que nous occupions dans ce concours était plus réduite.
En effet, voici ce que nous lisons dans le rapport adressé par M. le président de la commission belge, à M. le ministre de l'intérieur :
« Les médailles d'honneur ne sont donc pas pour nous des récompenses isolées : chacune d'elles au contraire est entourée d'un nombre assez considérable de médailles de première classe pour marquer la supériorité d'un genre d'industrie, et, dans huit classes, nous pouvons lutter avec les peuples les plus avancés.
« Là toutefois ne se bornent pas nos succès : pour la carrosserie, la tannerie, les toiles cirées, la céramique, la papeterie, la menuiserie, la marbrerie, nous n'avons pas été dépassés dans l'ordre des récompenses. (Rapports du jury belge, page 13.)
« Ainsi, l'industrie proprement dite obtient 91 grandes médailles et 327 médailles d'honneur.
« La Belgique intervient dans ces nombres pour 7 grandes médailles et 227 médailles d'honneur. C'est-à-dire 1 sur 14.
« Les exposants de l'industrie agricole et manufacturière du monde reçoivent environ 2,650 médailles de première classe : noire part s'élève à 114, ou 1 sur 20.
« Nous ne tenions cependant qu'une place sur trente-deux au palais de l'exposition ; nous en occupons moins encore, si l'on prend pour terme de comparaison le territoire ou la population de toutes les nations concurrentes. »
Ce qui domine dans le projet de loi, c'est la question des houilles. Et ici, je suis d'accord avec l'honorable M. Brixhe quand il établit la différence de situation dans laquelle se trouve la houille belge comparativement à la houille anglaise.
En effet, par le remboursement des péages sur l'Escaut et le maintien des péages sur les canaux et les rivières à l'intérieur, vous faites de la protection à rebours. Il faut donc, pour que l'égalité soit rétablie, ou que le droit d'entrée soit assez élevé pour couvrir le remboursement, ou que les péages sur les canaux à l'intérieur soit réduit dans la même proportion.
Je voterai donc en faveur du droit qui égalise la position. Il n'y a pas de liberté sans la justice ; or, dans l'espèce, la justice commande que les intérêts ne viennent point détruire les intérêts nationaux par le fait de protections en faveur de l'étranger.
Pour moi, messieurs, je donnerai mon appui au projet de loi. Je regrette que le gouvernement n'ait pas pu faire quelque chose de plus pour les graines oléagineuses. Ces graines constituent la base, l'élément indispensable d'une grande industrie et d'un commerce suivi ; il alimente une navigation très active ; je regrette que, avec une persévérance ressemblant presque à de l'opiniâtreté, le gouvernement ait cru devoir conserver un droit dont le trésor tirera peu de profit, qui est un obstacle au développement de cette industrie et du commerce qui en est la conséquence immédiate.
En terminant, je ne puis qu'engager le gouvernement à poursuivre la réforme, laquelle, mieux comprise et dépouillée de toutes les exagérations dont on l'entoure, ne peut que contribuer à la prospérité générale du pays.
M. Licot de Nismes. - Messieurs, je ne pourrais approuver de mon vote la révision de notre système de douanes, si le projet qui nous occupe aujourd'hui n'était plutôt la régularisation des parties secondaires de notre tarif douanier. Toute autre disposition plus large et plus libérale exigerait des avantages réciproques que je me réserverais d'examiner alors. Et je n'entends pas non plus engager mon vote pour les articles bois, charbons et fers. J'attendrai la discussion.
La paix dont jouit l'Europe depuis près d'une année a imprimé aux affaires industrielles et aux opérations financières, une plus grande sécurité et une marche plus régulière. Cette situation heureuse place la plupart de nos industries dans des conditions favorables et prospères, et m'engage à entrer dans la voie de réformes sages et prudentes que la trésor et les ressources de l'Etat n'auront pas à redouter.
La Belgique, par sa position topographique, les richesses que renferme son sol, la puissance de son industrie, ses relations, est certainement à même de lutter avec avantage pour la plupart de ses fabricats ; mais aussi une partie de ses produits a besoin de cette protection modérée et spéciale qui, je l'espère, ne lui fera pas défaut dans le parlement. Car si de tous les peuples du continent nous sommes celui dont les institutions nous rapprochent le plus de la liberté commerciale, nous sommes aussi celui dont les aspirations nous en éloignent peut-être davantage.
En effet, notre industrie qui s'est développée graduellement à l'abri d'un système protecteur qui a une grande analogie avec celui qui régit la France, n'a-t-elle pas tout à redouter de nos voisins d'outre-Manche avec lesquels nous ne pourrions pas lutter avantageusement un seul instant ?
Cette puissante voisine possède dix fois plus de capitaux à elle seule que toute l'Europe continentale ; sa marine marchande offre la même supériorité. Elle a d'admirables institutions de crédit ; ses approvisionnements, par la mobilisation des marchandises accumulées dans ses docks, sont suffisants pour alimenter la consommation de l'univers pendant un an. Elle possède en outre les fabriques les plus complètes et les plus savantes ; sa moyenne de production est de 20 à 25 p. c. en dessous du prix de revient continental.
Quel serait l'avantage que nous retirerions du libre-échange avec un tel voisin ? Ne devrions-nous pas payer, par la ruine de nos fabriques nationales, l'engouement de nos consommateurs qui se laisseraient séduire par l'attrait du bon marché ?
Aussi, je ne crois pas qu'en Belgique, on puisse demander héroïquement l'introduction d'un système commercial qui compromettrait si gravement l'avoir social.
On n'est consommateur qu'après avoir été producteur, c'est-à-dire, on ne peut acheter, qu'après avoir gagné de quoi acheter. Aussi, tous nos efforts doivent tendre vers le but d'augmenter le bien-être matériel par l'accroissement de la production nationale ; tout autre principe serait une erreur funeste.
Qu'il nous suffise de jeter les yeux sur notre passé. C'est grâce à la politique commerciale prévoyante et protectrice, sous l'empire de laquelle nous vivons depuis près de 27 ans que nous devons la richesse nationale et le développement si remarquable de l'industrie belge.
M. Osy. - Messieurs, j'imiterai l'exemple de M. Wautelet ; je serai très court dans la discussion générale. Je crois qu'il faut réserver toutes les questions de système commercial pour le moment où nous discuterons la grande réforme industrielle que M. le ministre de l'intérieur nous a promise et où l'on nous aura remis les résultats de l'enquête dont on s'occupe. Cependant, je ne puis passer sous silence ce qu'on a dit des réformes qui ont été faites en Angleterre.
Certainement l'Angleterre a fait de très grands progrès, mais n'oublions pas que l'Angleterre a été longtemps le pays du monde le plus arriéré en industrie.
Il n'y a pas un demi-siècle que l'Angleterre avait pour son industrie des primes de sortie et que cela allait si loin, que l'exportation des machines était punie de mort.
Vous voyez qu'elle a été très arriérée ; cependant beaucoup d'industries ayant fait des progrès, l'homme éminent qui a été au pouvoir si longtemps a cru qu'il était temps d'entrer dans le système des réformes ; il a commencé par abolir l'échelle mobile pour les céréales ; la conséquence de cette mesure était que l'industrie devait également être affranchie.
On a abaissé considérablement les droits d'entrée sur presque tous les objets manufacturé ; mais parce qu'elle était arrivée à ce point de n'avoir plus rien à craindre de la concurrence. Car le tarif anglais contient encore beaucoup d'objets fortement imposés.
Je n'en citerai que deux : les soieries qui payent encore 15 p. c. de droit d'entrée, et les machines qui payent 10 p. c. De manière que l'Angleterre n'est venue à sa réforme que quand elle n'avait plus rien à craindre. La Belgique doit suivre cet exemple, c'est-à-dire introduire une réforme graduelle et ne rien bouleverser. C'est le système que je me suis proposé : je ne veux rien bouleverser dans le pays pour avoir la chimère qu'on entend invoquer constamment : la liberté du commerce.
Quand un de nos anciens collègues, M. Ch. de Brouckere, avant d'être bourgmestre de Bruxelles, a professé publiquement les plus grandes réformes, c'est lui qui le premier dans le pays de Liège a conseillé la libre entrée des fers et des houilles. Mais, quand il professait (page 1110) ces idées qui ont grandi dans la province de Liège, il préconisait comme corrélatif l'abolition des octrois.
Eh bien, depuis huit ans qu'il est à la tête de l'administration de la ville la plus considérable du pays et dont les octrois sont les plus élevés, au lieu de les abolir, il a fait augmenter les droits sur beaucoup d'objets. Tant il est vrai que l'homme dans la chaire n'est pas le même que l'homme dans les affaires.
L'honorable bourgmestre, depuis qu'il est à l'hôtel de ville, n'a pas songé à abolir les octrois, parce qu'il n'aurait pas su comment les remplacer, et tant qu'il y sera je ne pense pas qu'il les abolisse. Si l'honorable M. de Brouckere était assis au banc ministériel, il ne vous proposerait pas ce qu'il a préconisé dans la chaire et dans ses écrits, il serait plus prudent.
Moi-même, comme député d'Anvers, je dois désirer la liberté du commerce ; vous comprenez que les grandes industries, telles que les raffineries, les distilleries et les brasseries qui se trouvent à Anvers, désireraient avoir la houille à meilleur compte ; mais en venant dans cette enceinte, j'ai promis d'être, non le représentant d'Anvers, mais le représentant du pays. Je considère les intérêts généraux du pays avant ceux de la ville qui m'a envoyé dans cette enceinte.
Il est vrai qu'il y a trois ans nous avons décrété la libre entrée de la houille. Alors cela n'avait aucun inconvénient, pourquoi ? L'Angleterre était en guerre avec la Russie, l'industrie était portée au plus haut point de développement possible, la houille était recherchée partout, les flottes pendant deux ans ont consommé considérablement de houille, l'Angleterre n'avait pas besoin de chercher de débouchés pour ses exploitations ; sur le continent la houille avait augmenté de valeur, en Angleterre comme en Belgique il était difficile de s'en procurer ; on payait des frets énormes.
Aujourd'hui le calme de la paix a succédé à la guerre : les industries ne marchent plus comme il y a quatre ans ; un grand élan est toujours suivi d'un ralentissement ; si ce ralentissement se manifeste d'une manière fort sensible en Angleterre, l'industrie sera obligée de chercher des débouchés sur le continent ; là où elle trouvera la porte ouverte elle en profitera.
Certainement je ne suis pas de ceux qui demanderont la prohibition à l'entrée ou le rétablissement du droit prohibitif de 14 fr. 40 c. Je suis loin de vouloir maintenir le système ultra-protecteur ; nous sommes entrée dans un système libéral, prudent, c'est ce système que je veux que l'on continue à suivre.
Nous avons aboli les droits différentiels, au 1er janvier il n'en restera plus de vestige.
Nous avons modifié la loi sur les machines ; à une loi très protectrice nous avons substitué une loi très libérale.
Nous avons aboli notre échelle mobile sur les céréales et nous allons adopter un système libéral. Nous avons admis un droit d'entrée très bas, peut-être même trop bas dans un temps donné. Mais je suis persuadé que la Belgique ayant toujours besoin de grains, nous avons fait très sagement en adoptant le droit d'entrée voté récemment.
Voilà donc une grande industrie, l'agriculture, qui ne sera protégée que par un droit de 50 centimes, ce qui, au prix de 20 fr. l'hectolitre, représente 2 1/2 p. c.
Que faut-il faire pour la houille ?
Quant à moi, je ne puis pas plus aujourd'hui qu'en section centrale, adopter le droit de 1 fr. 40 c. que propose le gouvernement ; je le puis moins que jamais en présence du droit que nous avons établi sur les céréales.
Mais les 83 c. que propose la section centrale représentent avec les centimes additionnels un droit producteur de plus de 5 p. c. Je crois qu'il serait sage d'adopter ce chiffre qui s'élèvera à environ un franc avec les centimes additionnels. Je ne puis adopter un chiffre plus élevé, mais je ne puis non plus admettre la proposition, que nous font huit de nos honorables collègues, de décréter définitivement la libre entrée des houilles.
Comme je l'ai dit, tout le littoral serait sans doute charmé de pouvoir recevoir les houilles anglaises en concurrence avec les houilles belges.
Mais prenons-y garde, s'il y avait stagnation dans le commerce, si les Anglais qui, comme les Belges, ont considérablement augmenté leurs extractions, devaient trouver des débouchés, qui vous dit que non seulement leurs houilles viendraient au littoral, mais qu'elles n'arriveraient pas directement de Newcastle à Bruxelles et à Louvain ?
Eh bien, je suis persuadé que si ce fait se présentait, alors même qu'il n'y aurait pas lieu de craindre une importation trop forte, il pourrait produire un effet électrique que, quant à moi, je redouterais beaucoup pour le pays. Car on ne raisonne pas toujours exactement.
On pourrait, dans les centres extracteurs de Mons et de Charleroi, mal expliquer ces importations, on pourrait effrayer les populations. Or, nous avons vu qu'il y a 60,000 ouvriers qui s'occupent de l'extraction de la houille, et il faut y ajouter les bateliers.
Je crois donc qu'il serait imprudent d'affranchir la houille de toute espèce de droits. N'allons pas trop loin pour ne pas faire une loi qui pourrait être impuissante. Faisons une loi modérée, c'est-à-dire une loi reposant sur les mêmes bases que celles que nous avons faites pour les machines et pour les céréales. Je crois qu'alors nous serons justes pour tout le monde.
Je voterai donc contre la proposition de nos honorables collègues et je me prononcerai pour la proposition de la section centrale.
Avant de finir, je dois dire quelques mots de l'industrie des cotons, dont on a parlé.
De tous temps j'ai dit qu'il était fâcheux pour cette industrie d'avoir été trop protégée, car quand on est trop protégé on n'avance pas ; on reste stationnaire. Avant 1830, nous étions fortement protégés dans les colonies hollandaises, le droit protecteur était de 25 p. c. et nous avions seuls ce marché. Nous avons vu ce qui est arrivé.
A la révolution, l'industrie gantoise a été pour ainsi dire anéantie. Cependant elle s'est relevée ; aujourd'hui l'industrie cotonnière prospère et je crois qu'elle prospérerait davantage si graduellement et prudemment nous abaissions les droits d'entrée, car il ne faut pas que cette industrie s'endorme à l'ombre de la protection actuelle ; elle ne progresserait pas comme elle doit le faire.
Aussi j'espère qu'après l'enquête à laquelle se livre le gouvernement, il nous proposera une réforme sage et graduelle des droits sur les cotons. Car je ne voudrais pas d'une réforme qui pourrait nuire à l'industrie si importante de la ville de Gand.
Messieurs, voyez ce qui est arrivé pour l'industrie linière. Il est vrai que le traité avec la France lui accorde encore quelques faveurs ; mais aujourd'hui les effets de ce traité sont presque nuls pour l'industrie linière. Le grand débouché de cette industrie est en Allemagne, Cependant nous n'avons pas de convention avec l'Allemagne. Nous sommes traités comme tous les autres pays. Eh bien, cette industrie a beaucoup progressé, parce qu'elle a vu qu'il fallait suivre l'Angleterre, qu'il fallait adopter le nouveau système, et elle en est arrivée à faire les progrès qu'a faits l'industrie lainière à Verviers.
Cependant, il ne faut pas admettre comme l'exacte vérité tout ce qui se dit dans les meetings. On prétend qu'à Verviers on veut également la suppression de toute espèce de droit. Cependant nous avons vu que les plus grands industriels, qui certainement ont un mot à dire dans les réformes à faire, ne sont pas du tout d'accord avec quelques personnes qui parcourent le pays pour prêcher une réforme radicale.
Quant à moi, je le répète, je suis pour la réforme, mais pour une réforme sage et graduelle et non pour une réforme radicale, qui, dans la situation où se trouve le pays, serait pour lui un grand malheur, une véritable calamité.
J'engage donc le gouvernement à se montrer, dans le projet qu'il aura probablement à nous présenter dans la session prochaine, partisan d'une réforme sage et graduelle, et à ne rien bouleverser, comme quelques personnes voudraient l'y pousser. Certes, je ne vais pas jusqu'à dire que ce sont les seuls Anglais qui préconisent la réforme industrielle. Mais je crois qu'il y a dans notre pays des personnes qui professent dans la chaire des doctrines qu'il serait impossible de mettre en pratique.
Je crois donc que nous devons agir pour les produits industriels comme nous avons agi pour les matières premières ; nous devons marcher avec prudence. Aujourd'hui nous avons non seulement abaissé, mais aboli les droits d'entrée sur tout ce qui est matière première, sur la laine, sur le coton, etc. C'est un grand avantage que nous avons procuré à nos industriels. Mais de leur côté ils doivent se montrer raisonnables et ne pas s'opposer à un abaissement de tarif qui doit nécessairement avoir lieu.
Je désire donc un abaissement du tarif, mais sans réforme radicale.
Quant à l'entrée des houilles, je voterai contre la proposition de nos collègues et pour la proposition de la section centrale.
Un objet dont nous devons parler également, ce sont les produits chimiques. Vous savez qu'à la suite de l'enquête qui a eu lieu par suite des plaintes dont les fabriques de produits chimiques avaient été l'objet, il s'est trouvé dans le pays une disette complète de produits chimiques. Le gouvernement, usant des droits que lui donne la loi de 1822, a été obligé de permettre la libre entrée et l'exportation des produits chimiques. Mais je crois qu'il ferait bien d'examiner s'il ne serait pas convenable d'abaisser les droits. Je ne fais pas de proposition ; mais je prie M. le ministre des finances d'examiner cette question avant que nous arrivions à cet article.
M. Boulez. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour réclamer de M. le ministre des finances ou de la section centrale une explication sur deux articles du tarif de douanes qui me paraissent être en contradiction.
D'une part le guano est libre à l'entrée, d'autre part on propose un droit de 1 fr. par cent kilogrammes sur les tourteaux de graines oléagineuses.
Si nous devons ne nous préoccuper que des intérêts du trésor, le guano ne doit pas plus être libre à l'entrée que toute autre matière. Vainement objecterait-on que le guano est un engrais à part qui peut être placé dans des conditions exceptionnelles puisque le pays n'en produit pas : car le nom ne fait rien à l'affaire, et le pays produit en abondance des matières fertilisantes de toute nature auxquelles le guano vient faire la concurrence et exerce un certain monopole.
Si, comme je le présume, on est au contraire d'avis que l'intérêt de l'agriculture doit l'emporter ici sur l'intérêt du trésor, ne sommes-nous pas fondés à réclamer comme un acte de justice la libre entrée des tourteaux de graines oléagineuses qui sont non seulement un engrais des plus précieux pour l'amendement des terres, mais encore une excellente nourriture pour le bétail ?
(page 1111) Je comprends les droits établis dans l'intérêt de l'industrie, lorsque la suppression aurait pour conséquence d'amener sur notre marché des produits étrangers à vil prix, contre lesquels l'industrie nationale ne pourrait lutter. Il est évident que la liberté commerciale ainsi entendue supprimerait le travail, et tarirait la principale source de la fortune publique ; mais ici vous n'avez rien de semblable à redouter.
La fabrication des tourteaux de graines oléagineuses ne sera jamais qu'une branche très accessoire de l'industrie des fabricants d'huile ; et que les tourteaux soient libres ou taxés à l'entrée, il ne s'en fabriquera pas un de moins dans le pays. Le droit est donc une prime accordée à cette industrie, car les bénéfices s'accroîtront du montant des droits puisque les prix s'élèveront en proportion.
Et ne croyez pas que la libre entrée empêche la vente des tourteaux da pays, car ils ne suffisent pas pour les besoins de notre agriculture, et ils lutteront toujours avec avantage avec les tourteaux venant de l'étranger grevés des frais de transport et de commission.
Si je ne voyais ici que l'intérêt des miens, j'applaudirais à ce droit qui est favorable à une industrie exercée par plusieurs membres de ma famille, mais la justice et l'intérêt de l'agriculture doivent l'emporter sur de telles considérations.
Dans l'intérêt du consommateur nous avons établi sur toutes les denrées alimentaires de simples droits de balance et prohibé temporairement la sortie des grains. Nous avons prouvé ainsi que ce qui à nos yeux domine la situation, c'est la nécessité de faire baisser le prix des denrées alimentaires. Soyons donc conséquents avec nous-mêmes, et n'établissons pas des droits qui, en élevant le prix des moyens de production les plus efficace», augmentent par cela même le prix des denrées.
Et ne croyez pas, messieurs, que ce droit d'un franc soit un impôt minime, sans influence sur le prix des denrées. Si vous considérez que l'on n'emploie pas moins de 500 kilogrammes de tourteaux par hectare, soit 10,000 par vingt hectares (ce qui est l'étendue d'une culture ordinaire), vous reconnaîtrez que ce droit constitue une contribution exorbitante imposée aux cultivateurs.
On a dit souvent que le régime le plus protecteur était celui de la liberté, c'est bien le cas ici, dût-on envisager la question, non pas au point de vue des principes, mais au point de vue des avantages et des inconvénients : on doit reconnaître que le dommage causé à l'agriculture par des mesures fiscales qui nuisent à son développement ne peut être compensé par la perception d'un impôt au profit du trésor.
Je n'exagère rien lorsque je déclare que les tourteaux sont pour l'agriculture un objet de première nécessité ; ce qui le prouve, c'est qu'en France et en Angleterre ils sont libres à l'entrée de plus en France ils sont frappés d'un droit à la sortie qui équivaut, pour certaines espèces, à la prohibition.
J'espère, messieurs, que ces explications suffiront pour convaincre la Chambre de la nécessité d'admettre, dans l'intérêt de l'agriculture et du pays, la libre entrée des tourteaux de graines oléagineuses.
Avant de présenter un amendement en ce sens, j'attendrai les explications que M. le ministre de finance» jugera sans doute convenable de donner.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.