(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 769) M. Crombez procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. Vermeire, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Crombez, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Des gardes forestiers à Gonrieux, Pesches, Aublain et Dailly prient la Chambre d'améliorer leur position. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant un crédit pour augmenter les traitements des employés inférieurs de l'Etat.
« Les juges de paix des cantons de Soignies, du Rœulx et d'Enghien demandent que les traitements des juges de paix soit porté à 5,000 fr., et que le taux des vacations soit uniforme. »
M. Ansiau. - Je demande que cette pétition, que j'appuie de toutes mes forces, soit renvoyée à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.
- Cette proposition est adoptée.
« Des habitants de Roulers prient la Chambre de maintenir la circonscription cantonale actuelle des notaires et d'examiner s'il ne conviendrait pas de fixer un taux invariable d'honoraires dans les ventes publiques. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants d'Opbrakel demandent un ressort unique de juridiction pour tous les notaires du même arrondissement judiciaire. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Boesinghe prient la Chambre de porter au budget des travaux publics un crédit pour assurer l'exécution des travaux destinés à faciliter la navigation sur le canal d'Ypres à l'Yser. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics.
« Des industriels, négociants et commerçants à Lodelinsart demandent qu'il soit fait journellement deux distributions de lettres dans cette commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Brixhe. — M. le président, je demande que la commission des pétitions veuille bien faire un prompt rapport. La requête émane d'un grand nombre d'industriels représentant des intérêts considérables qui donnent lieu à une importante correspondance.
Dans cette localité, comme dans les communes environnantes, industrieuses également et plus populeuses encore, le service de la poste laisse beaucoup à désirer.
Cette pétition sera sans doute renvoyée à M. le ministre des travaux.publics. Il est désirable que l'affaire aboutisse avant la discussion du budget de ce département.
- Adopté.
« Le sieur Adam, commissionnaire de roulage et agent en douane, demande qu'il soit ouvert une enquête sur les faits qui se rattachent aux poursuites dont il a été l'objet. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
MM. Coomans et de Moor, devant s'absenter pour affaires de famille, demandent un congé.
- Ce congé est accordé.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Courtrai, le 11 décembre 1856, la chambre de commerce et des fabriques à Courtrai demande que la monnaie d'or française soit admise, pour sa valeur nominale, dans les caisses du gouvernement. »
« Par pétition datée de Gand, le 15 décembre 1856, des habitants de Gand demandent qu'on admette l'or français dans les caisses publiques de l'Etat. »
« Par pétition datée de Châtelet, le 13 janvier 1857, plusieurs habitants de Châtelet prient la Chambre de modifier la législation sur le système monétaire, soit en rétablissant l'étalon de la monnaie d'or, soit en donnant cours légal aux pièces d'or françaises. »
La demande des pétitionnaires a déjà donné lieu à une longue discussion dans une des précédentes séances de cette Chambre, et le gouvernement a déclaré qu'il n'entrait pas dans ses intentions de changer, quant à présent, notre système monétaire. Votre commission ne partage pas non plus l'opinion des pétitionnaires ; elle est d'avis qu'il ne faut pas, pour obvier à quelques légers inconvénients, adopter des mesures qui pourraient dans l'avenir donner lieu à de graves embarras pour les finances et constituer le trésor public en perte, et s'il est vrai que l'industrie et le commerce éprouvent une gêne et un embarras momentanés dans ses relations avec la France, il est à remarquer que nous avons antérieurement exclu la monnaie d'or anglaise qui offrait les mêmes commodités dans les transactions avec ce gouvernement ; que, nonobstant cette mesure, nos relations avec ce pays n'en sont ni moins importantes, ni moins fréquentes et qu'aujourd'hui personne ne réclame cette mesure pour l'or anglais.
Par ces motifs, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi pur et simple de ces pétitions à M. le ministre des finances.
M. Rodenbach. - Messieurs, les trois requêtes sur lesquelles il vient de vous être fait rapport, émanent de la chambre de commerce et des fabriques de Courtrai, de la ville de Gand, ville importante par son commerce et ses manufactures, et de plusieurs habitants de Châtelet, dans l'arrondissement de Charleroi.
Messieurs, je sais que nous avons eu naguère une discussion assez importante sur l'étalon monétaire. C'est pourquoi je serai très laconique. Cependant, je crois que le temps est arrivé où le gouvernement devra examiner mûrement le système auquel il y a lieu de donner la préférence. Il faut en convenir, il y a une gêne, une espèce de perturbation dans nos relations commerciales, surtout sur la frontière. Nos relations commerciales avec la France sont immenses ; c'est le pays de l'Europe avec lequel nous avons le commerce le plus important ; le chiffre de ce commerce est énorme, puisqu'il s'élève à 380 millions par an.
Le Français qui vient avec de l'or en Belgique doit éprouver une perte de 2 et demi p. c. C'est surtout le commerce de détail dans les deux Flandres qui éprouve un véritable embarras de cet état de choses.
Je crois que nous ne devons pas tant craindre l'or français en Belgique.
Il semblerait que l'or de la France ruinerait la Belgique. Mais la France, qui a reçu des milliards d'or de la Californie et de l'Australie, est loin de se ruiner ; tout au contraire, c'est un empire riche et prospère.
L'Angleterre a pour étalon l'or, et je crois que nous devrons bientôt suivre son exemple.
D'après les statistiques, il y a en Angleterre une circulation d'environ 1,400,000,000, et la circulation des billets de banque s'élève à la même somme. Or, que se passe-t-il en Belgique ? Nous avons au-delà de 100 millions de billets de banque, et nous n'avons pas d'or, parce que notre étalon monétaire est l'argent.
Il paraît, du reste, que l'on ne bat, à la monnaie belge, ni monnaie d'or, ni monnaie d'argent.
A propos d'or, je dois signaler au gouvernement un abus qui paraît se commettre sur la frontière. Lorsqu'un étranger donne à une station une pièce de 20 fr., on lui fait subir une perte de 50 centimes, Mais lorsque d'autres voyageurs viennent ensuite au même bureau, avec un billet de banque de 50 ou de 100 fr., on leur rend des pièces de 20 fr. mais en les comptant pour 20 fr. L'employé fait ainsi un bénéfice de deux et demi p. c.
Je trouve que cette spéculation n'est pas d'une excessive délicatesse et qu'elle doit mécontenter l'étranger.
J'appuie de toutes mes forces le renvoi de ces trois pétitions à M. le ministre des finances. Je sais bien que la question est très ardue, qu'elle est extrêmement difficile et de la plus haute importance. Mais je crois qu'il faudra bientôt penser à adopter, comme l'Angleterre, l'étalon or, pour que nous fassions disparaître la gêne dont souffre aujourd'hui notre commerce.
M. de Muelenaere. - Messieurs, vous voyez qu'il est parvenu à la Chambre plusieurs pétitions émanant de localités importantes qui vous demandent que les pièces d'or françaises soient reçues pour leur valeur nominale dans les caisses du trésor. Mon intention n'est pas de soulever une discussion sur une question aussi délicate et sur laquelle les opinions sont très divergentes. Le moment n'est pas opportun.
Je me borne à recommander ces pétitions à la plus sérieuse attention de M. le ministre des finances. Il serait extrêmement désirable qu'on trouvât un moyeu quelconque de faire cesser les plaintes qui s'élèvent dans quelques parties du royaume contre la démonétisation des pièces d'or françaises. Mais on ne peut le faire évidemment qu'en sauvegardant les intérêts généraux du pays et en prévenant que le trésor par des événements quelconques, ne se trouve entraîné dans des pertes qui pourraient être considérables.
Je me borne donc, et je désire que cette discussion ne se prolonge pas, à recommander cette affaire à l'attention particulière de M. le ministre des finances qui fera, j'en suis persuadé, tout ce qui est en mon pouvoir.
M. Wautelet. - Messieurs, j'ai aussi demandé la parole pour appuyer le renvoi à M. le ministre des finances. Mon intention, du reste, n'est pas de soulever une nouvelle discussion, qui serait, en ce moment, inopportune, qui ne pourrait quant à présent amener aucun (page 770) résultat ; mais je tiens à constater que les inconvénients, les entraves que le système actuel apporte dans nos relations avec la France, existent aujourd'hui au même degré que lorsque les premières pétitions nous sont parvenues.
Il n'y a absolument rien de changé dans la situation, ce sont les mêmes embarras, les mêmes pertes journalières.
Rien d'étonnant, du reste, à ce que les réclamations des pétitionnaires ne rencontrent pas sur tous les bancs de cette Chambre la même sympathie ; c'est qu'en effet l'intérêt n'est pas le même pour toutes les provinces du royaume ; le Brabant, Namur, Liège, Anvers n'ont pas avec la France les mêmes relations que le Hainaut et les Flandres, qui ont avec ce pays des relations très importantes, des relations journalières.
La situation que fait au pays le système monétaire actuel ne cause pas seulement des pertes à l'industrie et au commerce ; mais, ce qui est plus grave et plus triste, c'est que, dans certains cantons, les ouvriers, les petits fournisseurs sont payés souvent avec de l'or, ce qui leur occasionne une perte de 2 à 2 1/2 p. c, et veuillez remarquer, messieurs, que, pour eux, cette perte est sèche, qu'elle n'est balancée par aucune compensation.
Je demande, messieurs, si, en supposant même que dans un avenir plus ou moins éloigné une perte quelconque dût résulter, pour le pays, de la circulation légale de la monnaie française, si cette perte pourrait entrer en parallèle avec la masse des pertes considérables et journalières qui résultent des relations si importantes qui existent entre la Belgique et la France.
Je me borne, pour le moment, à recommander les réclamations des pétitionnaires et mes observations à la sérieuse attention de M. le ministre des finances et à le prier de vouloir bien rechercher s'il n'y a pas un moyen quelconque de concilier les intérêts si importants dont je viens de parler avec les intérêts généraux du pays.
M. Osy. - Messieurs, à l'occasion du budget des voies et moyens, nous avons eu une très longue discussion sur l'objet dont nous sommes aujourd'hui saisis par les pétitions ; j'ai dit alors mon opinion sur le bouleversement qui pourrait résulter du changement de système monétaire. Je suivrai l'exemple de l'honorable M. de Muelenaere, et je n'entrerai pas maintenant dans le fond de la question. Je me bornerai, comme l'a fait l'honorable M. Wautelet, à recommander l'examen de la question à M. le ministre des finances, et à émettre le vœu qu'il ne soit rien changé au système monétaire.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je ne pense pas, messieurs, qu'il entre dans les intentions de la Chambre de renouveler aujourd'hui une discussion qui a eu lieu récemment. Je suis le premier à regretter que, dans certaines localités, on éprouve particulièrement de la gêne de ce que la monnaie d'or étrangère n'a plus cours en Belgique. La loi qui a supprimé le cours de la monnaie d'or française n'est pas d'une date récente ; elle est du 31 décembre 1850 ; les habitudes ont donc pu se former d'après cet état de choses.
Je ne puis aujourd'hui que me référer à l'opinion que j'ai exprimée alors, à savoir que, dans le moment actuel, il ne doit pas être apporté de changement à ce qui existe.
M. Frère-Orban. - Messieurs, je ne veux pas entrer dans le fond de la discussion, et je ne m'oppose pas au renvoi des pétitions à M. le ministre des finances qui les examinera. Mais je dois faire une réserve, quant aux observations qui ont été présentées par l'honorable M. Wautelet.
L'honorable M. Wautelet dit que les pièces d'or sont données en payement pour le salaire des ouvriers, à leur taux nominal et que ces ouvriers doivent subir de ce chef une perte de 2 et demi p. c. Je m'étonnerais fort que des industriels donnassent en payement les pièces de 20 francs, en faisant subir à leurs ouvriers une perte de 2 et demi p.c. ; cela ne me parait pas possible. Si une monnaie n'a pas son taux nominal, on ne peut pas la donner, de même qu'on n'est pas obligé de la recevoir à un taux supérieur à sa valeur réelle.
Ce serait donc une considération tout à fait inadmissible dans l'examen de cette affaire très grave, comme je l'ai démontré dans une autre circonstance.
Il est impossible qu'on se détermine, en vue des inconvénients qu'on signale et que je ne crois pas aussi sérieux qu'on veut bien le dire, à faire circuler dans le pays une monnaie, précisément au moment où elle n'a plus la valeur qui lui est attribuée par l'estampille qu'elle porte. C'est absolument comme si l'on voulait imposer au pays une monnaie dépréciée, pour exclure une monnaie non dépréciée que nous avons ; mais c'est précisément parce qu'elle est défectueuse que nous ne devons pas la recevoir.
On nous avait menacés de la disparition de nos pièces de 5 francs. Nous avons été beaucoup plus confiants ; nous étions convaincus qu'elles ne s'en iraient pas et elles ne s'en sont pas allées, par la raison bien simple qu'il faut un instrument aux échanges. Quand il y a deux monnaies en présence, celle qui a la moindre valeur reste ; celle qui a le plus de valeur s'en va ; quand on n'a qu'une monnaie, elle reste, puisqu'on doit avoir un instrument pour les échanges, et c'est pourquoi nos pièces de 5 francs n'ont pas quitté le pays.
M. Vermeire. - Messieurs, je n'entrerai pas dans le fond de la discussion, en ce qui concerne la monnaie d'or et d'argent ; je m'en suis expliqué dernièrement dans le sens des observations que vient de présenter l'honorable préopinant, et je me réfère à ces explications.
Si j'ai demandé la parole, c'est pour rencontrer une espèce de dénonciation qui a été dirigée, par l'honorable M. Rodenbach, contre les fonctionnaires du chemin de fer, en ce sens que ceux-ci recevraient les pièces de 20 francs à raison de 19 fr. 80 c, et qu'ensuite ils s'en déferaient au taux de 20 fr., et s'approprieraient ainsi un bénéfice de 50 centimes sur chaque pièce.
C'est là, ce me semble, une dénonciation très grave et qui a été faite sans aucune preuve à l'appui ; je voudrais donc que l'honorable M. Rodenbach précisât l'accusation qu'il a portée contre ces fonctionnaires, afin qu'une suspicion pareille ne puisse pas continuer de planer sur tous les fonctionnaires indistinctement.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, il m'est impossible d'admettre comme sérieuse l'espèce de dénonciation portée à cette tribune par l'honorable M. Rodenbach. L'opération sur laquelle repose la spéculation est impossible, car il est clair que si la pièce française de 20 fr. ne vaut en Belgique que 19 fr. 50 c., elle ne sera reçue par personne au taux de 20 fr. ; j'ai donc lieu de m'étonner que l'honorable M. Rodenbach ait pu croire à une spéculation régulière de cette espèce.
Quelquefois, un étranger se présente au guichet, n'ayant que de l'or étranger ; par complaisance, et comme personne privée, l'employé du chemin de fer change, à ses risques et périls, de ses propres deniers la pièce au taux du jour ou à un taux à débattre avec le voyageur.
Ainsi, si ces faits se présentent, ils sont excessivement rares ; l'agent n'agit pas dans ce cas comme fonctionnaire ; s'il ne le faisait pas, il mettrait le voyageur dans le plus grand embarras.
On prétend qu'en suite ces pièces sont cédées avec bénéfice ; c'est impossible, puisque ces pièces sont dépréciées dans le pays et que personne ne consentirait à les accepter à leur taux nominal.
Je pense, au reste, que si ces faits, auxquels l'honorable M. Rodenbach a attaché une trop grande importance, se produisent, ce ne peut être que dans des cas très rares et dans le seul but de rendre service aux voyageurs.
M. Wautelet. - Je demande la parole pour répondre quelques mots aux observations de M. Frère sur le fait que j'avais signalé, relatif à la perte qu'éprouvent les ouvriers, par suite de la démonétisation de l'or. Cette perte est réelle, mais c'est à tort qu'on voudrait faire entendre que les exploitants ou les négociants réalisent de ce fait un bénéfice. Cela n'est nullement exact, car ils reçoivent eux-mêmes l'or français au pair, et je dirai même que dans certaine mesure cette monnaie circule encore au pair dans nos contrées.
Mais il n'est pas moins vrai que celui qui en est détenteur en définitive, s'il doit faire un payement dans les caisses de l'Etat, doit supporter une perte, et cette perte se trouve toujours ainsi à la charge du pays.
Puisque j'ai la parole, j'en profiterai pour répondre quelques mots à ce qu'a dit l'honorable rapporteur de la démonétisation de l'or anglais. Cette démonétisation, a-t-il dit, n'a causé aucune perturbation dans le pays, on ne s'en est même pas aperçu. Mais je lui ferai remarquer que les circonstances ne sont pas les mêmes ; il n'y avait, en effet, aucun rapport entre l'or anglais et la monnaie belge ; il n'en est pas de même de la monnaie française qui porte le même nom, qui a la même forme, qui est, en un mot, la même monnaie que la nôtre ; on comprend que dans ce cas la dépréciation que subit cette monnaie, alors que nos relations avec la France en rendent encore l'usage indispensable, constitue une perte réelle pour le pays, tandis que l'or anglais, qui n'a aucune similitude avec notre monnaie, pouvait sans inconvénient subir une réduction ; c'était simplement une question de tarif.
M. Sinave. - Je désire répondre un mot à ce qui vient d'être dit. Ce qu'il y a à faire, selon moi, c'est d'inviter la Banque Nationale, à retirer la mesure illégale qu'elle a prise et par laquelle elle annonce qu'elle recevra les pièces d'or de 20 francs moyennant une perte de 50 centimes et à laisser faire le public. Quand cette mesure sera retirée, personne ne se plaindra. C'est à M. le ministre des finances de faire cesser immédiatement cet acte arbitraire, intolérable.
M. Vandenpeereboom. - Je suis disposé à appuyer le renvoi des pétitions à M. le ministre des finances ; mais dans la situation, ce renvoi ne me paraît pas de nature à produire un résultat utile.
La commission des pétitions croit qu'il n'y a rien à faire ; M. le ministre des finances est du même avis, et nous a dit que, d'après lui, le statu quo devait être maintenu.
On ne peut donc pas espérer beaucoup du renvoi. Cependant cette question mérite d'être examinée très sérieusement ; au fond, il serait difficile, sinon impossible, de donner cours légal ou forcé à l'or français ; l'honorable M. Frère a signalé quelques-uns des inconvénients, qu'aurait une semblable mesure, et dans une discussion récente l'honorable M. Osy a indiqué aussi les dangers qu'il y avait à admettre chez nous les pièces de 20 francs, même à un taux réduit. Mais il y a une autre question à examiner: celle de savoir s'il n'y a pas lieu de modifier notre loi monétaire. On est d'accord, en général, sur l'avantage qu'il y a à n'avoir qu'un seul étalon monétaire ; mais il reste à savoir si l'étalon or ne pourrait pas être avantageusement substitué à l'étalon argent.
C'est là une question grave, et qui mérite, je pense, un examen très sérieux.
J'ai suivi avec attention toutes les discussions qui ont, eu lieu, à ce (page 771) sujet dans la presse et dans cette enceinte, et je suis convaincu que cette question n'a pas reçu jusqu'ici une solution satisfaisante pour tout le monde.
En Angleterre, l'étalon or est le seul qui fonctionne, et l'on s'en trouve bien. En France, l'on a conservé le double étalon, mais pourra-t-on conserver toujours ce système ? Quant à moi, messieurs, j'en doute.
Je crois qu'il y a pour les localités voisines des frontières un immense inconvénient à l'état de choses actuel. C'est pour cela que j'engage le gouvernement à examiner avec soin s'il n'y a pas quelques modifications à apporter à la loi monétaire même.
On a parlé de l'Angleterre ; on a dit que les guinées anglaises ont eu un cours légal en Belgique ; qu'on les a retirées de la circulation, et que cela n'a pas présenté d'inconvénient.
Mais la position de la Belgique vis-à-vis de la France est tout autre que vis-à-vis de l'Angleterre. Entre l'Angleterre et la Belgique, il y a un bras de mer. Les relations se font, si je puis parler ainsi, en gros, par bateaux à vapeur ; et avec la France, séparée de notre pays sur une longue étendue par une simple ligne de douanes, il en est tout autrement. Des relations quotidiennes et de détail sont établies, le mouvement est incessant et les échanges multipliés.
Je crois donc, je le répète, que le département des finances doit examiner s'il n'y a pas lieu, dans un temps plus ou moins éloigné, d'apporter des modifications à notre loi monétaire.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Dans les débats qui ont eu lieu il y a quelques mois, cette question a été traitée, débattue dans Chambre. C'est même la principale qui ait fait l'objet de la discussion. Du reste l'honorable membre peut se dispenser de recommander au gouvernement de l'examiner.
Depuis un certain temps la presse et le public s'en préoccupent et le gouvernement n'a pas été le dernier à l'envisager au point de vue des circonstances actuelles. C'est après un examen consciencieux que j'ai exprimé l'opinion que, quant à présent, il n'y a pas lieu d'apporter des modifications au système monétaire en vigueur.
M. Frère-Orban. - La substitution de l'or à l'argent comme étalon a été examinée ; la réponse est très simple, très précise. Le principal caractère que doit avoir une monnaie, c'est la fixité de la valeur de la marchandise à l'aide de laquelle elle est établie. La raison décisive en ce moment en faveur de l'étalon argent, c'est que l'argent a aujourd'hui plus de fixité que l'or. Puisque l'or manque de fixité de valeur en ce moment, c'est la matière la plus défavorable qu'on puisse choisir pour en faire une monnaie.
On se préoccupe beaucoup de l'état de choses qui se présente, parce qu'il est tout à fait nouveau. Il y a une certaine perturbation dans les habitudes. Mais avant peu les choses seront rétablies sur un pied convenable et équitable.
La Belgique n'est pas le seul pays où la monnaie d'or circule. Partout, dans les Etats italiens, en Allemagne, les pièces de 20 francs circulent, et elles n'ont pas cours légal. C'est tout à fait de convention, et les particuliers ainsi que les voyageurs, dans ces pays, règlent leurs affaires suivant le cours de la pièce de 20 francs. Les mêmes conventions se feront en Belgique. La monnaie d'or, en Belgique, aura le caractère d'un jeton comme autrefois le ducat de Hollande.
Ce sera une certaine quantité d'or dont la valeur est variable. Elle est reçue dans les payements pour la valeur qu'elle a au moment des payements.
M. Rodenbach. - L'honorable député de Termonde a dit que c'était une espèce de dénonciation que j'avais faite. Le rôle d'un représentant n'est pas d'être dénonciateur. Nous signalons des abus ; nous faisons des observations dans l'intérêt public et non des dénonciations.
On me demande où j'ai puisé ce renseignement. Je l'ai puisé dans les journaux où vous avez tous pu le lire, je l’ai avancé sans en garantir la réalité. Si l'abus que j'ai signalé est réel, c'est un esprit de spéculation, c'est un acte d'indélicatesse que je m'applaudis d'avoir fait connaître, malgré la distinction qu'a faite M. le ministre des travaux publics entre le receveur du chemin de fer comme employé de l'Etat et comme personne privée.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition sans date, plusieurs blessés et combattants de septembre, non pensionnés, demandent une récompense nationale. »
« Par pétition datée de Bruxelles, le 20 décembre 1856, plusieurs décorés de la croix de Fer prient la Chambre d'accorder indistinctement à tous les décorés de la croix de Fer la pension de 250 francs dont quelques-uns d'entre eux sont en jouissance. »
« Par pétition datée de Bruxelles, le 10 mars 1856, le sieur Parent, ancien colonel de volontaires, demande une pension ou une indemnité proportionnée aux services qu'il a rendus au pays. »
Les pétitionnaires allèguent à l'appui de leur demande tous les arguments qui ont déjà été répétés à satiété dans cette enceinte.
Je n'abuserai pas des moments de la Chambre en venant répéter tous les arguments que les pétitionnaires ont fait valoir. Voire commission a vu qu'il n'y a là rien de neuf. L'honorable ministre de la guerre, que je regrette de pas voir à la séance, a déjà dit qu'il ne pourrait pas accepter le renvoi de ces pétitions, parce qu'il y a un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, en date du 8 octobre 1849, qui a débouté le capitaine Coulon, qui avait attrait l'Etat devant les tribunaux pour obtenir une augmentation de pension.
Tant que cet arrêt reste debout, le ministre ne peut donner suite à la demande des pétitionnaires.
Votre commission, en présence de cet avis de l'honorable ministre de la guerre, a l'honneur de vous proposer le dépôt de ces pétitions au bureau des renseignements.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Paul, autre rapporteur. - « Par cinq requêtes de dates récentes, les détenus pour dettes en la prison des Petits Carmes et autres débiteurs, soumis à la contrainte par corps, supplient la Chambre de hâter la révision des lois iniques qui les frappent, révision promise depuis longtemps et si impatiemment attendue. »
Ils démontrent, ce qui du reste est reconnu de tous, que notre législation sur la contrainte par corps, vieux débris d'une époque de despotisme qui ne peut plus renaître chez nous, ne présente qu'incohérences révoltantes, qu'une violation flagrante de tous principes de justice et de liberté, qu'un outrage permanent au caractère belge et à tout sentiment d'humanité. Ils prouvent, par la statistique des faits, que la contrainte par corps, telle qu'elle est établie, n'est aujourd'hui d'aucune utilité pour le commerce honnête, qu'elle ne favorise que la cupidité ou les basses vengeances de quelques vils usuriers ou créanciers immoraux, qu'en général elle n'atteint que de pauvres pères de famille, créanciers malheureux et de bonne foi, ou de pauvres jeunes gens, ruinés à l'avance par les manœuvres d'infâmes tripotiers qui ont su abuser de l'inexpérience, des passions naissantes et des espérances de fortune de leurs jeunes victimes. Ils rappellent enfin que ce n'est trop souvent qu'avec une douloureuse répugnance que nos magistrats fout la pénible application d'une législation cruelle et barbare, qui, depuis longtemps, a été abolie ou grandement modifiée partout où jadis elle a été en vigueur !
De nombreuses pétitions adressées à la Chambre, plusieurs publications émanées de jurisconsultes distingués, ont signalé depuis longtemps les vices de cette législation et les scandaleux abus qu'elle entraîne. Inutile donc d'entrer aujourd'hui dans de plus grands développements. Au surplus, messieurs, le gouvernement, convaincu de la nécessité et de l'urgence d'une réforme complète, a chargé une commission spéciale d'en préparer les éléments. Et l'honorable M. du Brouckere, usant avec raison de son initiative, vient de déposer un projet de loi temporaire, réformant quelques-uns des défauts les plus criants de notre législation actuelle sur la contrainte par corps. Le bon accueil qu'a reçu ce projet nous fait espérer qu'il sera bientôt sanctionné par la législature. Cette révision partielle nous permettra d'attendre, sans toutefois la retarder, la révision générale que le gouvernement hâtera de tous ses efforts. Dans cet état des choses, votre commission, à l'unanimité, a cru devoir vous proposer le renvoi des cinq pétitions dont il s'agit à M. le ministre de la justice.
M. de Perceval. - Il me semble qu'il serait plus rationnel de renvoyer cette requête à la commission spéciale qui est chargée d'examiner la proposition de loi due à l'initiative de l'honorable M. de Brouckere. J'en fais la proposition.
M. de Paul, rapporteur. - Je ferai remarquer que la section centrale, chargée d'examiner le projet de loi présenté par l'honorable M. de Brouckere, n'a qu'à s'occuper d'un fait spécial, tandis que les pétitionnaires demandent la révision de toute notre législation sur la contrainte par corps, et comme le gouvernement a chargé une commission de rédiger un projet à cet égard, ce serait plutôt à cette commission que les pétitions devraient être renvoyées. Mais, comme la Chambre n'est pas en rapport avec cette commission, c'est à M. le ministre de la justice que cette pétition doit être remise.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je voulais précisément, messieurs, présenter à la Chambre l'observation que l'honorable M. de Paul vient de lui soumettre en répondant à l'honorable M. de Perceval.
La commission d'organisation judiciaire, à laquelle vous avez renvoyé la proposition de l'honorable M. de Brouckere, ne s'occupe que d'un point spécial delà législation de la contrainte par corps, et particulièrement de ce qui concerne les étrangers. Dans les pétitions dont l'honorable rapporteur vient de faire l'analyse, il s'agit au contraire de la révision générale de la législation sur la matière.
Je saisis volontiers l'occasion qui s'offre à moi pour dire à la Chambre quelle est la situation actuelle des travaux relatifs à cette révision.
Depuis de longues années, le gouvernement s'est préoccupé de cette question.
En 1844, une commission a été instituée dans ce but. Le gouvernement a soumis à cette commission beaucoup de documents, et entre autres les avis des tribunaux de commerce.
En 1845, cette commission, composée de magistrats très distingués, a fait un avant-projet fort remarquable, très complet, que le gouvernement a renvoyé à l'avis des cours et tribunaux. Les corps judiciaires n'ont fait parvenir leurs observations que lentement et cela se comprend sans peine, les magistrats étant absorbés par d'autres travaux.
(page 772) Mais enfin les rapports des autorités judiciaires sont rentrés vers la fin de 1847.
Le département de la justice a fait le dépouillement de ces volumineux documents. Cela a pris beaucoup de temps. Plus récemment le gouvernement a eu à s'occuper de !a question et il l'a fait de sa propre initiative, en proposant à la législature une modification essentielle à la loi de germinal an VI, en ce qui concerne le taux de la consignation.
J'ai proposé à la législature de porter à 30 francs cette somme qui n'était que de 20 fr. La législature a sanctionné cette proposition qui est devenue la loi du 22 mars 1856. C'est là, messieurs, un véritable bienfait, une amélioration réelle pour les débiteurs incarcérés. Entre-temps on a continué de s'occuper de cette importante question. La commission instituée, comme je viens de le dire, en 1844 était de fait dissoute ; je l'ai reconstituée. Cette reconstitution faite, j'ai envoyé à ces honorables magistrats le travail fait en 1845, avec le dépouillement des avis des autorités judiciaires. J'ai prié cette commission de presser son travail et j'en attends prochainement le résultat. J'ai même, dès son apparition, communiqué à cette commission la brochure dans laquelle l'honorable M. de Brouckere a puisé la proposition qu'il a soumise à la Chambre.
Je pense qu'il faut laisser la commission terminer son œuvre ; et dès que le gouvernement l'aura reçue et examinée, il prendra une décision.
Je ne crois pas, messieurs, devoir m'expliquer en ce moment sur la proposition spéciale de l'honorable M. de Brouckere. J'attends ou que la commission d'organisation judiciaire veuille me faire des communications ou qu'elle fasse un rapport à la Chambre. Je me bornerai aujourd'hui à dire qu'en principe je ne la repousse pas. Il y a là quelque chose à faire dans le même esprit où j'ai présenté la loi du mois de mars 1856 que je viens d'avoir l'honneur de rappeler.
Je ferai seulement observer que quelques-unes des questions qui se rattachent à la matière de la contrainte par corps ont déjà été touchées dans le Code pénal nouveau dont le premier titre est voté, mais non promulgué.
Ce Code contient des améliorations notables à la législation sur la contrainte du chef des amendes, frais et restitutions civiles, en fixant à soixante et dix ans la limite où cessera l'exercice ou le maintien de cette mesure rigoureuse.
M. de Perceval. - J'avoue que les observations présentées par M. le ministre de la justice sont fondées. Aussi je n'insiste pas sur ma proposition. Qu'il me soit permis seulement de formuler l'espoir que nous serons bientôt saisis d'un projet de loi portant révision complète de la législation sur les détenus pour dettes.
M. Wautelet. - Messieurs, je désire adresser à M. le ministre des finances une interpellation qui présente un caractère d'opportunité, puisqu'elle a trait à la question des douanes, dont nous aurons à nous occuper prochainement.
Depuis un an, la loi qui a déclaré les houilles étrangères libres à l’entrée est mise à exécution.
Des quantités plus ou moins considérables de houilles étrangères sont entrées dans le pays. Cependant, le tableau officiel des importations et des exportations, qui figure chaque mois au Moniteur, n'a, jusqu'à présent, fait mention d'aucune quantité de houille importée dans le pays, et il semblerait en résulter qu'il n'en est pas entré du tout. Or, il est de notoriété publique qu'il entre des houilles étrangères en Belgique.
Cependant, il serait très intéressant pour la Chambre et pour le pays de connaître quel a été le résultat de la loi nouvelle quant aux houilles ; il est intéressant aussi de savoir d'où proviennent les houilles importées, car elles n'arrivent pas toutes d'Angleterre, comme beaucoup de personnes le supposent ; nous en recevons considérablement de la France, par l'Escaut.
Il importe aussi, messieurs, que l'on sache quel est le sacrifice imposé au trésor par cette protection accordée aux houilles étrangères. Je crois, en effet, avoir le droit, messieurs, de dire que c'est une protection, puisqu'il en résulte une perte pour le trésor, puisque chaque tonneau de houille importé d'Angleterre par l'Escaut coûte à l'Etat, c'est-à-dire au trésor belge, 1 florin 50 cents pour le rachat de la libre navigation de l'Escaut, indépendamment de la perte qui résulte de la non perception des péages sur tes houilles si elles avaient été expédiées de l'intérieur du pays.
J’espère donc que l'honorable ministre des finances voudra bien faire publier à l'avenir le renseignement dont je viens de parler, en y ajoutant ce qui est relatif à l'année dernière.
Je ferai la même observation pour les fers et les fontes qui, par suite d’une disposition nouvelle, pourront aussi entrer dans le pays, ainsi que pour la sortie des minerais. Je désire donc que ces divers renseignements soient consignés chaque mois au Moniteur.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, je reconnais l'utilité des publications que réclame l’honorable membre, et je veillerai à ce que dorénavant l'importation des houilles, des fontes et des fers soit renseignée au Moniteur. Il en sera de même de l'exportation du minerai.
M. de Theux. - (Nous donnerons son rapport).
- La Chambre ordonne l'impression de ce rapport et renvoie à demain la discussion de l'article auquel il se rapporte.
« Art. 40. Soixante bourses de 400 francs peuvent être décernées annuellement par le gouvernement à de jeunes Belges peu favorisés de la fortune, et qui, se destinant aux études supérieures, font preuve d'une aptitude dûment constatée.
« Elles sont décernées ou maintenues sur l'avis du jury d'examen.
« Elles astreignent les titulaires à suivre les cours de l’une des universités établies aux frais du trésor.’
M. Devaux a proposé la rédaction suivante, qui est celle de la section centrale.
« Soixante bourses de 400 francs peuvent être décernées annuellement par le gouvernement à de jeunes Belges, élèves des universités de l'Etat, peu favorisés de la fortune, et qui, se destinant aux études supérieures, font preuve d'une aptitude dûment constatée.
« Elles sont décernées ou maintenues sur l'avis des autorités académiques. »
M. Julliot a présenté l'amendement suivant :
« Les bourses universitaires payées sur le trésor de l'Etat seront supprimées au fur et à mesure de là cessation des études des élèves qui en sont en possession. »
M. Julliot. - Messieurs, je ne me dissimule pas que ma proposition a le tort d'arriver trop tôt de quelques années dont je ne puis, du reste, déterminer le nombre ; néanmoins, je tiens à la développer, afin que l'idée qui l'a fait naître puisse être méditée à l'aise.
Messieurs, je ne puis développer cette proposition qu'en faisant bon marché d'une certaine popularité, assez recherchée par le temps qui court, et qui consiste à flatter le grand nombre ; je me priverai donc de cet agrément, car entre une vérité blessante et une fausse popularité, j'opte pour la première.
Il existe en Belgique cinq cents bourses universitaires à charge des fondations des provinces et des villes intéressées à l'existence des universités ; ces bourses sont destinées à attirer la jeunesse studieuse vers les études classiques et les carrières libérales.
Ceci constaté, on peut conclure qu'en présence de la grande facilité d'accès aux universités, que donnent ces nombreux subsides, les bourses payées par le trésor belge sont plutôt destinées à servir de terrain politique qu'à satisfaire à un besoin réel des études supérieures. Voici la question qui va surgir.
Les 60 bourses de l'Etat serviront-elles à louer exclusivement 60 élèves pour les universités de l'Etat, ou les quatre universités se partageront-elles le gâteau ? L'honorable comte de Theux défendra la seconde proposition et l'honorable M. Devaux soutiendra la première. Voilà où nous en sommes.
La disposition de ces subsides sera donc disputée par les partis, afin de s'en faire un petit instrument d’influence politique ; rien de plus, rien de moins.
Ce mal encore ne serait pas grand, si l'espoir de l'obtention de chacune de ces bourses ne déclassait plusieurs individus à la fois. Je m'enquiers parfois de la collation de ces bourses, et alors qu'il y a 5 ou 6 bourses disponibles ; on m'exhibe des listes de 30 à 40 prétendants ; je dis donc que l'appât de chaque bourse déclasse six individus.
En effet, chaque bourgade a son collège quand elle n'en a pas deux ; l'enseignement s'y donne à prix réduit. Les parents sans fortune lancent leurs enfants dans les études classiques, dans l'espoir d'une bourse gouvernementale ; beaucoup sont appelés et peu élus ; que devient le reste ? Cela forme déchet qui reste en route et à charge de la société qui ne peut les utiliser.
A aucune époque l'excitation aux études classiques n'a été poussée aussi loin que de nos jours. Des établissements d'enseignement moyen partout, puis quatre universités s'adressant à une population combinée de 400,000 citadins, qui par la vue du bien-être et du luxe de quelques-uns d'entre eux sont plus disposés que d'autres populations à gagner l'envie démesurée de partager ces positions aristocratiques avec leur séduisant mirage.
On court trop les carrières libérales, les honorables MM. Verhaegen et de Brouckere l'ont déjà dit.
Je me demande à quoi servent dans la vie usuelle de la plupart de nos jeunes gens les études classiques répandues à pleines mains, je vais vous le dire : ils oublient vite leur grec et leur latin, mais ils conservent longtemps leur admiration pour l'ancien monde ; ils admirent la Grèce, les Spartiates et Rome avec ses vertus, y compris l'esclavage, le partage du butin après la bataille, le mépris du travail manuel et la négation de la propriété comme de droit naturel.
Et nos jeunes Belges destinés à la paix, à la liberté, à l'ordre et au travail, ne jurent que par Aristote, Epicure, Platon et Lycurgue, et comme on leur a appris que l'humanité est une matière première pour les organisateurs de la société par le garantisme et l'interventionnisme de l'Etat, chacun d'eux veut être fabricant et organisateur, mais nul ne veut être matière première. Telle est la cause de ces groupes remuants, difficiles à gouverner et qui ont causé des embarras à tous les ministres qui se sont succédé.
(page 773) A dix-sept ans j'admirais les Spartiates, parce qu'ils étaient d'avis que l'Etat devait s'emparer de l'homme dès son berceau pour en faire un citoyen digne de ce nom ; c'était surtout leur logique qui me frappait.
Quand, dans les derniers siècles, les nations les plus impressionnables passaient de l'anarchie au gouvernement monarchique pur et vice-versa sans jamais pouvoir s'arrêter en route, c'était des Athéniens, des Spartiates et des soldats de César qu'elles s'inspirèrent tour à tour.
Quand un libéral ou un catholique bien pénétré des idées de l'antiquité, ayant passé son examen avec grande distinction sur toutes ces vieilles histoires, veut combattre Louis Blanc et Fourier, il doit être bien embarrassé, car ils ont tous puisé leur provision à la même source.
Messieurs, ne soyons donc pas surpris qu'en excitant le grand nombre à se livrer aux études classiques, on n'étudie plus pour la science ; la majorité des élèves est pressée d'aboutir et entraîne les autres dans leur course précipitée ; on veut gagner de l'argent, on n'a ni le temps ni les moyens de prolonger des études profondes, mais stériles au point de vue financier ; car ceux qui sont le plus avides de se créer des revenus, sont ceux qui n'en ont pas.
Faut-il donc, à côté de ces tentations déjà trop fortes que présente la multiplicité des universités et de ces petits collèges, encore exciter davantage par le maintien des bourses universitaires, quand le père de l'enfant qui se borne à l'instruction primaire est forcé de contribuer par l'impôt à fournir sa part dans les bourses de l'Etat pour les élèves universitaires ? Je ne le pense pas.
L'instruction acquise est un élément de travail propre à gagner la vie ; pourquoi l'Etat doit-il plutôt fournir une machine de travail sous forme d'instruction que sous toute autre forme ?
En d'autres termes, j'ai besoin, pour gagner ma vie, d'étudier ; je demande une bourse de 400 francs comme instrument indispensable pour me livrer au travail. Mon voisin est tisserand, et pour gagner sa vie, un métier à la Jacquart lui est tout aussi indispensable, il coûte aussi 400 fr. ; eh bien, le gouvernement me donnera la bourse et enverra promener le Jacquart. Et pourquoi ? Parce qu'il a le monopole de l'enseignement et non pas celui du tissage.
Il n'y a pas d'autre raison logique à donner. Qu'on m'éclaire, je ne demande pas mieux.
Messieurs, on ne doit pas perdre de vue que les produits intellectuels n'ont de valeur que pour autant qu'ils trouvent à s'échanger contre des produits matériels nécessaires à l'homme. Or, en forçant la production immatérielle, on rompt l'équilibre, et alors on voit imprimer de nombreuses brochures qui ne sont pas achetées ; on crée beaucoup de journaux qui meurent dans le mois de leur naissance, et des milliers d'avis d'avocats sont disponibles et restent sans demande. Eh bien, consultez tous ces hommes, qui sont laborieux et honorables, sur la direction que la société leur a imprimée, et vous aurez des réponses tristes et découragées.
Néanmoins, par le maintien des bourses, nous développerons plus encore cette pléthore.
Ces bourses sont destinées, dit-on, à des intelligences d'élite ; mais si nous laissons à ces intelligences le soin de se caser elles-mêmes, elles suivront leur cours naturel, et rendront probablement plus de services à la société qu'elles ne le feront quand nous les auront dirigées.
Si l'Etat avait dirigé Sixte-Quint à l'aide d'une bourse d'étude, que serait-il devenu ?
L'Etat en aurait probablement fait un procureur.
Si les Watt, les Stephenson, les Vauquelin et Cockerill même, avaient été enlacés dans les mailles d'une bourse classique, que seraient-ils devenus ?
D'affreux rhéteurs, peut-être.
Je pense donc que la société saura se pourvoir de ce qui lui est nécessaire sans que l’Etat imprime son action continue sur elle.
Après tout, le premier besoin des familles peu aisées dans leur mouvement ascensionnel n'est-il pas de se créer une petite fortune par le travail direct, par les ressources que fournissent les écoles professionnelles, par exemple. On me répondra qu'on a créé des bourses pour attirer le petit bourgeois vers les états professionnels ; mais alors de grâce ne défaisons pas de l'une main ce que nous avons fait de l'autre et ne neutralisons pas l'effet des fonds que nous dépensons.
Laissons donc à chacun sa liberté et sa responsabilité. D'ailleurs en déclassant artificiellement l'homme, on l'éloigné de sa famille, et comme il n'a pas le temps d'attendre, il peut même, quand il a un certain mérite, être méconnu ou incompris et endurer pour longtemps des souffrances physiques et morales, dont il accusera le gouvernement qui l'aura déclassé.
Nous créons de gaieté de cœur un peuple de solliciteurs, très gênant pour la société et qui plus tard peut le conduire à un abîme.
Cet engouement général pour les études moyennes et supérieures entraîne à sa suite une autre conséquence dont nous éprouvons déjà les effets.
Le gouvernement, par un projet de loi, cherche à nous prouver que des milliers d'employés de l'Etat ne trouvent plus à vivre, eux et leur famille, du modique traitement qu'ils reçoivent, et j'y crois ; mais cette porte une fois ouverte ne sera fermée que quand tous y auront passé. Ce n'est qu'une catégorie qui ouvre la marche, les autres suivront de près et c'est logique.
On part de l'idée que les milliers de fonctionnaires de l'Etat ne possèdent rien à eux ; le gouvernement est démocratique, donc il a dû nommer aux emplois toutes personnes dépourvues complètement de moyens d'existence, et cela se conçoit. Cette idée n'est que la suite de celle qu'on pratique dans l'enseignement. Il faut niveler la société ; on admet gratuitement le jeune homme à l'athénée, on lui donne une bourse universitaire, puis on lui doit une place, plus tard une pension, et quand le programme sera retouché par un conseil de perfectionnement quelconque, on y inscrira un « obiit » avec cierges officiels. Et il faut, dit-on, que le traitement seul réponde à tous les besoins d'une famille entière, sauf au contribuable, qui n'a pas l'honneur d'être fonctionnaire, à s'en tirer comme il le pourra ; c'est son affaire, l'Etat ne le connaît pas.
Mais cet ensemble est-il faux ou vrai ? Examinons en peu de mots.
Quand, à mérite égal, deux candidats se présentent pour un emploi, que l'un d'eux ne possède rien, tandis que l'autre possède assez pour subvenir à la moitié de ses moyens d'existence, à qui faut-il donner l'emploi ?
M. de Rasse. - A celui qui offre des garanties.
M. Julliot. - Je vous en fais mon compliment. Du reste, en général à celui qui n'a rien, dit-on.
Mais distinguons, je dis oui, si saint Vincent de Paul doit faire cette nomination, et je dis non, si c'est le gouvernement qui nomme. Le premier a pour mission de soulager l'individu, le second doit se préoccuper de l'intérêt public : voilà la différence.
Il est évident que le gouvernement a pour devoir capital, essentiel de procurer au public la plus grande somme de sécurité possible, c'est sa fonction principale, le reste n'est qu'accessoire ; or, le public n'est pas inventé pour l'employé, mais l'inverse est vrai ; et selon moi, pour donner la plus grande sécurité au public, le gouvernement doit, à mérite égal, préférer celui qui à sa caution morale joint encore une caution matérielle, à un autre qui n'offre qu'une de ces deux garanties, afin de prémunir le public contre tout dommage que celui qui est investi de fonctions publiques peut lui occasionner soit par erreur, soit par malversation, et ceux qui ignoraient cette vérité doivent l'avoir apprise depuis que l'histoire de plusieurs notaires nous en fournit l'exemple.
Le gouvernement, en droit, doit la sécurité à la société ; il ne doit, en droit, un emploi à personne. Voilà la différence, et l'employé ne doit être nommé qu'alors que sa nomination cadre avec les exigences de l'intérêt public ; donc il est impolitique de forcer la production de ceux qui offrent le moins de garantie.
Selon moi, l'idée de cette philanthropie obligatoire du gouvernement est une sensiblerie banale qui court les rues, mais que je ne partage pas, parce que c'est le mensonge.
Un dernier mot. On m'objectera que mes votes dans cette discussion rendront les études encore plus faciles ; je désire l'émancipation de l'enseignement, et alors je dois aider à démolir le monopole de l'Etat dans chaque question qui se présente.
Je pense donc, messieurs, que la suppression des bourses universitaires, sans toucher aux droits acquis, est chose utile et profitable à la société tout entière, et je maintiens mon amendement.
M. Vander Donckt. - Messieurs, je ne serai pas aussi radical que l'honorable préopinant. Je crois que le gouvernement a pour mission de venir en aide aux jeunes gens qui ne sont pas favorisés de la fortune et qui annoncent pour l'étude des dispositions extraordinairement heureuses.
Comme l'a dit tout à l'heure l'honorable préopinant, il y a 500 bourses d'études dans le pays. Or, je ne pense pas que nous ayons en Belgique 500 jeunes gens chez lesquels se révèle une aptitude remarquable et auxquels le gouvernement doive venir en aide.
Le plus grand mal que le gouvernement puisse faire, c'est d'encourager les médiocrités, c'est d'aller les chercher dans une classe qui ne devrait jamais aborder les études universitaires, et qui devrait s'adonner plutôt à l'industrie ou aux autres professions qui n'exigent pas des connaissances transcendantes.
Quant aux bourses, il y a des membres de la Chambre qui veulent qu'elles soient données aux universités ; d'autres, au contraire, veulent qu'elles soient conférées à des jeunes gens qui font preuve de capacité et qui ne sont pas favorisés de la fortune dans le but de continuer leurs études aux institutions de leur choix.
Il me semble qu'il n'y a pas un instant à hésiter entre ces deux opinions.
On veut favoriser les universités de l'Etat ; mais cela n'a pas de sens. Le gouvernement fait déjà des sacrifices considérables pour les universités de l'Etat. Qu'on ne perde pas de vue que les quatre universités actuelles existent en vertu de la Constitution ; le gouvernement et la Chambre ne doivent pas plus favoriser une université qu'une autre. Qu'on encourage les dispositions heureuses qui se révèlent chez les jeunes gens, rien de mieux ; mais il ne faut pas encourager les universités de l'Etat au préjudice des autres ni attirer les élèves, par l'appât des bourses, dans les universités de l'Etat.
Les institutions doivent se recommander aux pères de famille par le mérite, de leurs professeurs et par le bon enseignement. La concurrence, est déjà assez rude entre les universités que le gouvernement paye et celles que le gouvernement ne paye pas et qui doivent, par leurs propres ressources pourvoir à faire prospérer leur enseignement.
(page 774) Me plaçant même au point de vue libéral, je demande s'il y a rien de plus libéral que d'accorder un encouragement à un jeune homme qui montre des dispositions toutes particulières pour l'étude, en lui laissant en même temps la liberté pleine et entière d'étudier là où il le préfère.
Il me semble qu'on ne peut pas balancer un instant à adopter ce système ; je ne comprends pas qu'on ait pu, en 1849, voter une disposition aussi restrictive de la liberté générale.
Je crois donc que les bourses doivent être conférées, non pas aux institutions, mais à des jeunes gens peu favorisés de la fortune, et dont les dispositions extraordinaires pour l'étude ont été constatées.
J'ai dit, au début de mon discours, que 500 bourses me paraissaient beaucoup trop pour favoriser les intelligences d'élite ; je pense que nous ne devrions pas voter 60 bourses, que nous pourrions les réduire de moitié. Au moyen de 30 bourses, le gouvernement, s'il les distribue avec discernement et impartialité, est armé de moyens suffisants pour venir en aide aux jeunes gens peu favorisés de la fortune, qui annoncent une capacité spéciale et qui promettent de devenir des hommes distingués. Ces jeunes gens sont plus rares qu'on ne le suppose.
Je ne présenterai plus qu'une seule observation, c'est au sujet de la position de la question. En section centrale, on a posé cette première question : Y aura-t-il des bourses, oui ou non ? La question a été résolue affirmativement à l'unanimité. J'ai donc voté pour les bourses ; mais si elles doivent être affectées exclusivement aux universités de l'Etat, je préfère de beaucoup les supprimer.
Quand nous en serons au vote, je demanderai que la question soit posée de manière que chacun puisse voter en toute liberté.
M. Van Cromphaut. - Messieurs, avant de passer au vote de l'article 40, je me permettrai de présenter aussi quelques observations concernant la constitution des bourses.
Après le remarquable discours de mon honorable ami M. Julliot, qui a développé avec sa logique ordinaire le but utile de son amendement tendant à la suppression des bourses au fur et à mesure de la cessation des études des élèves qui en sont en possession, je pourrais me dispenser de prendre la parole, si je n'avais à cœur d'émettre une opinion qui pourrait peut-être prévaloir au cas que l'amendement de l'honorable M. Julliot fût rejeté. Comme je n'ai pas l'habitude d'abuser des moments précieux de la Chambre, j'espère qu'on voudra bien m'écouter un instant ; je serai encore très court cette fois.
A l'appui de la proposition dont il s'agit, je ferai remarquer que nulle part, dans aucune localité que je sache, il ne se manifeste le besoin de multiplier le nombre des docteurs, dans quelque faculté que ce soit.
On semble, au contraire, se plaindre de la grande concurrence, et bien peu d'entre eux trouvent dans leur profession des ressources suffisantes pour avoir une honnête existence.
J'ai entendu dire par bien des avocats instruits, de bonne famille, qu'après dix années de pratique dans la carrière, ils n'avaient pu parvenir encore à se faire une position de nature à leur procurer des moyens suffisants pour vivre avec la plus grande économie, à moins d'avoir des revenus, ou des secours de leurs parents. Cette position est des plus fâcheuses pour les docteurs qui ne sont pas favorisés de la fortune, et parfois ils tournent à mal à cause de l'insuffisance de leurs ressources. A cette occasion, je citerai le passage d'un discours prononcé dans la séance du 20 janvier dernier ; l'honorable M. Verhaegen s'est exprimé dans ces termes :
« La société est encombrée de docteurs, et, nous le disons franchement, au lieu de vouloir en augmenter le nombre, il faudrait chercher à le restreindre. Il n'y a, pour ainsi dire, pas de famille où il n'y ait un avocat ou un médecin, souvent deux et même plus ; et que font ces docteurs ? Ils restent une charge pour leurs parents qui n'ont été alléchés dans le choix d'une profession que par l'espoir d'un lucre immédiat. »
Messieurs, cette vérité si grande a fait impression dans mon esprit, et elle a dû émouvoir la Chambre tout entière, ainsi que le gouvernement.
Je vous le demande, messieurs, si déjà ces parents qui ont pu pourvoir par leurs propres ressources aux frais d'étude de leurs fils, subissent la conséquence de cette grande concurrence, dans quelle situation fâcheuse ne se trouvent pas plongés les parents sans ressources suffisantes qui ont dû avoir recours au gouvernement pour obtenir des bourses d'étude, lorsque leurs fils ne trouvent pas immédiatement un emploi salarié, après que ceux-ci out obtenu leur diplôme !
En maintes circonstances, dans des cas semblables, on a vu des gens se ruiner totalement par cette seule faute, que l'ambition et l'appât du lucre leur a fait donner une fausse direction au choix d'une profession dont le fruit à cueillir est trop tardif.
Par tous ces motifs, je ne verrais aucun inconvénient à la suppression des bourses dans les conditions proposées par l'honorable M. Julliot, et si cette proposition n'était pas adoptée, je trouverais convenable réduire le nombre à la moitié, ce qui donnerait une économie pour le trésor de 12,000 francs.
Dans ce dernier cas, je trouverais encore convenable que les trente bourses constituées fussent exclusivement appliquées à de jeunes Belges peu favorisés de la fortune, et qui, se destinant aux études supérieures de la médecine, se distinguent par une conduite exemplaire, et font preuve d'une aptitude dûment constatée.
Je crois pouvoir faire une exception pour les étudiants en médecine, en chirurgie et en accouchements, parce que leurs études sont très arides et qu'elles demandent deux années de plus pour obtenir un diplôme.
Je ne fais pour le moment aucune proposition formelle. Je livre mes réflexions à l'appréciation de mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur, et je l'engage à formuler lui-même un amendement dans le sens de mes observations qui me paraissent assez fondées pour mériter son attention et celle de la Chambre. Si le gouvernement ne consentait pas à présenter une modification dans ce sens, je voterais pour l'amendement de mon honorable ami, M. Julliot.
M. de Theux, rapporteur. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour développer un amendement que j'ai déposé sur le bureau. Cet amendement consiste à substituer aux mots : « Les bourses sont conférées à des jeunes gens qui font preuve d'aptitude à l'étude », ceux-ci : tirés de la loi de 1835 : « font preuve d'une aptitude extraordinaire à l'étude ».
Je crois que c'est par oubli que le ministre de l'intérieur n'a pas reproduit cette partie du texte de la loi de 1835. Je ne puis pas croire qu'en rétablissant les bourses comme il l'a fait au point de vue de la science au lieu du point de vue d'attirer quelques jeunes gens aux universités de l'Etat, il se contente d'une aptitude ordinaire à l'étude.
Pour la collation des bourses on doit exiger deux conditions : la première, que le boursier soit dépourvu de moyens pécuniaires suffisants pour faire ses études ; la deuxième, qu'il montre une aptitude extraordinaire à l'étude, car, comme on l'a fort bien dit, pour les jeunes gens qui vont à l'université avec une aptitude ordinaire, il n'y en a que beaucoup trop ; c'est une cause de ruine pour les familles et d'embarras pour la société.
C'est une cause de ruine pour les familles, parce qu'un jeune homme, devenu docteur avec une aptitude ordinaire et qui se trouve dépourvu de fortune, reste à la charge de sa famille ; il est impossible qu'il trouve dans l'exploitation de son diplôme des moyens d'existence, quand il a terminé ses études et que la bourse vient à cesser.
Ce système serait absurde dans un pays dont la population est si restreinte, qui a quatre universités et où tant de jeunes gens se livrent aux études universitaires.
Voyez, messieurs, les conséquences funestes de la disposition qui permettrait d'accorder des bourses à des jeunes gens d'une aptitude ordinaire ; ce serait d'encombrer les universités de nullités.
En effet les familles qui ne possèdent que peu de ressources et qui ont un jeune homme qui paraît avoir quelques moyens intellectuels l'envoient à l'université, dans l'espoir qu'il obtiendra une bourse, vivra pendant quatre ans aux frais de l'Etat, et obtiendra ensuite un emploi à force de sollicitations, en faisant valoir que c'est l'Etat qui l'a entraîné à étudier puisqu'il lui a donné une bourse, qu'il est dépourvu de fortune, et que le gouvernement lui doit un emploi.
Je ne pense pas que ce soit là la pensée de M. le ministre de l'intérieur ou de la Chambre.
Je n'en dirai pas davantage pour développer mon amendement.
Je viens à la question des bourses en elle-même.
Est-il utile de conserver les bourses pour les jeunes gens qui font preuve d'aptitude extraordinaire à l'étude ? Cette opinion peut être contestée ; l'honorable M. Julliot a fait valoir des arguments très sérieux, mais cela peut être admis, parce que les jeunes gens d'une aptitude extraordinaire sont certains de trouver dans la société une position, qui leur procure des moyens d'existence, et qu'ensuite ils peuvent rendre des services importants au pays.
C'est le seul motif, selon moi, qui peut justifier la collation des bourses. Les bourses de famille continueront à être données suivant les conditions établies par la fondation, mais quant à l'Etat il ne peut encourager que les jeunes gens ayant une aptitude extraordinaire, il doit les encourager quel que soit le lieu où ils font leurs études, c'est un principe de liberté et un principe de progrès dans les sciences.
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, vous venez d'entendre l'honorable M. Julliot demander la suppression des bourses.
Je ne sais, messieurs, s'il est nécessaire de rencontrer cette opinion et de défendre devant la Chambre la nécessité de maintenir ces moyens d'encouragement.
L'honorable membre se trompe s'il croit que ce soit un sentiment de vaine popularité qui ait engagé les législateurs nos prédécesseurs à établir des bourses pour les études universitaires ; que ce soit un sentiment de vaine popularité qui ait engagé le gouvernement actuel à les maintenir.
Je considère, pour ma part, comme un devoir pour le gouvernement d'aider, dans la mesure du possible, les jeunes gens dépourvus de fortune à atteindre la position à laquelle les dons que la Providence leur a départis leur donnent le droit d'arriver.
C'est un sentiment de justice qui doit porter le gouvernement à aider les jeunes gens distingués à s'élever des rangs les plus humbles aux premières positions sociales, quand ils y arrivent par des moyens honnêtes, l'intelligence unie à la moralité.
C'est, de plus, un acte de bonne administration ; et je considérerais comme souverainement imprudent tout gouvernement qui ne voudrait pas seconder convenablement le mouvement ascensionnel de quelques (page 775) jeunes intelligences vers une sphère pins élevée ; car c'est là une source de progrès incessant.
A toutes les époques, comme par une disposition providentielle, les jeunes gens appartenant à des familles de condition humble ont trouvé dans des encouragements bienveillants les moyens de s'élever.
Je sais qu'on peut contester à l'Etat le droit de prendre ce rôle de protecteur ; cependant l'Etat, de nos jours, a assumé des devoirs nouveaux.
Dans l'ancien état de la société, il y avait des corporations religieuses, des associations civiles, ou des familles puissantes qui constituaient des moyens d'encouragement au profit des jeunes gens distingués appartenant aux parties les plus modestes de la société. Aujourd'hui, la plupart de ces moyens font défaut. Le gouvernement, en supprimant la plupart de ces anciennes associations, a assumé l'obligation de remplacer leur action dans l'intérêt de la société.
Ce sont des devoirs qui sont nés du changement qui s'est opéré dans la constitution des sociétés modernes.
Je sais aussi bien que M. Julliot les dangers qui résultent, pour les familles et pour l'Etat, du déclassement de quelques jeunes gens ; mais il ne faut pas se laisser entraîner par le spectacle de quelques inconvénients isolés et incertains, qui ne sont rien en comparaison des résultats généraux et réels qu'on obtient en rendant les hautes études accessibles aux jeunes gens peu favorisés de la fortune. Pour quelques jeunes gens qui sont une ruine pour leur famille et un danger pour la société, vous avez des vingtaines de jeunes gens qui sont l'honneur de leur famille, la gloire de leur pays.
D'ailleurs, messieurs, si l'on voulait s'opposer à ce déclassement d'une partie de la jeunesse, il faudrait s'y prendre de meilleure heure. Ce n'est pas à l'entrée de l'université qu'il faudrait poser la barrière ; c'est à l'entrée de l'enseignement moyen. Les jeunes gens qui se destinent aux études universitaires ont déjà passé huit ou dix ans aux écoles moyennes et c'est à l'entrée de l'enseignement moyen qu'il faudrait, par des influences à exercer sur les familles, détourner les jeunes gens de se précipiter d'une manière aventureuse dans les carrières libérales. C'est là qu'en définitive il faudrait appliquer le remède que l'honorable M. Julliot veut appliquer à l'entrée des universités.
Chose singulière, messieurs, on se plaint et souvent avec beaucoup de raison des tendances trop matérielles que l'on remarque dans la société actuelle. Si ces tendances existent, si nous les déplorons, n'est-ce pas un motif de plus pour faire en sorte que la part des intelligences reste faite dans la société actuelle, pour faire en sorte qu'au milieu de cette sorte d'assaut de tous vers une fortune et une fortune rapide, il y ait aussi des jeunes gens qui s'appliquent au culte de la science et des lettres ?
Encore, si l'Etat se bornait à procurer des encouragements pour le développement des seules études classiques, on pourrait concevoir les objections de l'honorable membre. Mais l'Etat accomplit d'une manière plus complète ses devoirs.
A tous les degrés, ces mêmes encouragements de l'Etat se manifestent. L'Etat a des encouragements nombreux pour tous ceux qui se destinent à la carrière professionnelle, et si cet enseignement n'est pas encore réglé à tous les degrés comme il devrait l'être, pour ma part je me prêterai toujours volontiers à faire en sorte que ces études professionnelles puissent recevoir une organisation définitive. Nous encourageons l'enseignement des arts ; nous agissons de même pour l'enseignement agricole.
Sous tous les rapports, dans toutes les directions, nous avons voulu, au nom de l'Etat, encourager le développement de l'intelligence, et je tiens que nous avons bien fait.
Les honorables membres que nous avons entendus tout à l'heure ne semblent pas se rendre compte des conditions que le gouvernement met d'ordinaire à l'obtention de ces faveurs gouvernementales. Ainsi le gouvernement s'assure non seulement que ces jeunes gens sont peu favorisés de la fortune, mais il s'assure, auprès des autorités provinciales et communales, que leur conduite est bonne, qu'ils sont dignes de ces encouragements de l'Etat. Le gouvernement s'assure non seulement de leur conduite, il s'assure aussi de leur capacité particulière. Et ici je rencontre les observations que vient de faire l'honorable comte de Theux.
L'honorable comte de Theux, dans l'amendement qu'il vient de développer, voudrait substituer' aux mots dont s'est servi le gouvernement : « les jeunes gens qui font preuve d'une aptitude dûment constatée », les mots ; « d'une aptitude extraordinaire à l'étude ». C'est le rétablissement du mot « extraordinaire » qui se trouvait dans la loi de 1835.
Je n'hésite pas à avouer à l'honorable rapporteur que j'avais sous les yeux le texte de la loi de 1835.
Mais j'ai laissé ces mots avec intention, non pas que je ne sois d'accord au fond avec l'honorable membre ; je crois aussi qu'il faut une aptitude particulière, qu'il ne faut pas, comme on l'a dit, encourager les médiocrités. Mais je me suis demandé si au fond nous n'arrivions pas au même résultat. L'honorable comte de Theux croit-il qu'il y ait, par an, cinquante ou soixante aptitudes extraordinaires en Belgique ? Croit-il que précisément chaque année le nombre de ces aptitudes soit le même ? Evidemment non.
- Plusieurs membres. - Il faut diminuer le nombre des bourses.
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Vous proposeriez de diminuer les bourses de moitié que vous rencontreriez encore des inconvénients identiques. Il est impossible que vous disiez d'avance : Nous aurons annuellement, comme en coupe réglée, tel ou tel nombre d'aptitudes extraordinaires.
Il est donc impossible que vous mettiez une pareille condition à l'obtention des bourses ou vous risqueriez de ne plus les appliquer du tout. Or, je ne pense pas que jamais ministre ait négligé d'accorder les bourses qui étaient à sa disposition.
Elles ont toujours été distribuées jusqu'à la dernière.
Je ne tiens même pas compte des bourses que l'on donne aussi, au nom des villes et des provinces, et des autres bourses de fondation, dont le nombre est beaucoup plus considérable, pour la collation desquelles on prend toujours pour point de départ la constatation d'une aptitude extraordinaire.
C'est pour ces motifs, messieurs, que je n'ai pas reproduit le mot « extraordinaire », non pas que je ne sois pas au fond de l'opinion de l'honorable rapporteur qu'il ne faut pas encourager les médiocrités ; mais ces mots « aptitude extraordinaire » m'ont paru si étranges, que j'ai cru qu'il était impossible de se renfermer dans ce mot et de borner la collation des bourses à des jeunes gens dont l'organisation intellectuelle serait réellement extraordinaire.
M. Rogier. - M. le ministre de l'intérieur ne défend-il pas sa proposition ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Je maintiens ma proposition.
M. Rogier. - Vous ne la défendez pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Elle est défendue dans l'exposé des motifs. Je la soutiendrai si elle est attaquée.
M. Rogier. - Il y a une proposition contraire de la section centrale. Jusqu'ici vous n'avez rien dit contre la proposition de la section centrale.
M. de Theux. - Il y a l'exposé des motifs.
M. Frère-Orban. - Il y a les motifs de la section centrale qui a fait une proposition contraire.
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Je maintiens ma proposition. Si on le désire, je puis, aussi bien maintenant que plus tard, dire quelques mots encore pour la défense du projet du gouvernement. Du reste cette défense est toute faite et je crois que tout le monde connaît les arguments que de part et d'autre on peut faire valoir pour les deux systèmes en présence.
Il y a en présence le système de la loi de 1835 et celui de la loi de 1849. Vous connaissez la différence radicale entre les deux systèmes.
La loi de 1835 accorde les bourses aux jeunes Belges qui sont peu favorisés de la fortune, qui font preuve d'une aptitude particulière dûment constatée, n'importe l'établissement oh ils font leurs études ou auquel ils se destinent. La loi de 1849 exige en outre que ces jeunes gens soient élèves des universités de l'Etat.
Messieurs, voici en peu de mots les considérations sur lesquelles le gouvernement s'est appuyé pour représenter devant la Chambre le système de 1835.
J'ai rencontré dans la loi un titre « Moyens d'encouragement ». Ces moyens d'encouragement étaient de trois espèces : les médailles pour les concours, les bourses d'études et les bourses de voyage. Dans la pensée primitive du législateur, ces trois moyens étaient mis à la disposition de tous les jeunes gens, n'importe la source où ils allaient puiser leur enseignement.
En 1849 on avait maintenu cette disposition vraiment libérale pour deux de ces moyens d'encouragement. On réserva l'application du troisième moyen (les bourses d'études) aux seules universités de l'État. Pourquoi cette différence ?
Ce système constitue d'abord une inconséquence. Il consacre aussi une injustice puisqu'il établit un privilège pour quelques jeunes gens, au détriment d'autres, peut-être plus dignes d'intérêt. Ce moyen d'encouragement doit être compris dans un sens vraiment national, vraiment libéral. Dans la pensée du législateur qui l'a établi primitivement, cet encouragement doit être accordé au jeune homme, n'importe, où il fait ou veut faire ses études. Depuis lors, on a changé le caractère de cet encouragement ; on a voulu l'accorder, non pas à des élèves, mais à des établissements.
Il me semble que le gouvernement ne pouvait pas hésiter dans son choix entre le système large et généreux de 1835, et le système étroit et mesquin de 1849.
J'attendrai les observations que présentera l'honorable membre, pour les rencontrer plus tard.
M. Rogier. - Les raisons données par M. le ministre de l'intérieur à l'appui au système qu'il propose sont extrêmement concises. Il s'agit de supprimer une disposition qui fonctionne déjà depuis sept ans, qui a été introduite dans la législation à la suite d’une longue discussion, et défendue par des motifs très puissants.
Lorsque le gouvernement lui-même revient sur une pareille disposition, il me semble qu'il devrait apporter, à l'appui de sa résolution, des, raisons un peu plus développées et plus fortes.
(page 776) Il y a deux parties distinctes dans la loi. Il y a les conditions générales auxquelles sont assujettis les jeunes gens qui veulent obtenir des diplômes qui leur ouvrent certaines carrières ; il y a ensuite les moyens d'encouragement.
En 1849, voici le raisonnement qu'on a fait pour n'attribuer des bourses fondées par la loi qu'aux établissements de l'Etat. On a dit que le gouvernement n'avait à s'occuper des moyens d'encouragement que dans ses propres établissements, que, quant aux élèves qui étudiaient dans les établissements libres, s'il s'en présentait parmi eux qui eussent une aptitude extraordinaire pour l'étude, et que le gouvernement crût leur devoir des encouragements, ce n'était pas par la loi sur l'enseignement supérieur, mais par le budget que ces encouragements devaient leur être attribués. Et c'est ce qui a eu lieu.
La loi sur l'enseignement supérieur a attribué aux universités de l'Etat, un certain nombre de bourses. Et, au budget de l'intérieur, il est porté une somme spéciale destinée à encourager les élèves qui, dans l'enseignement privé, font preuve d'une aptitude extraordinaire.
Depuis que le principe de l'attribution des bourses de l'Etat aux établissements de l'Etat, a été consacré par la loi de 1849, son application n'a donné lieu à aucune espèce d'objection.
Postérieurement à la loi de 1849, nous avons voté la loi sur l'enseignement moyen. Là des bourses ont été distribuées aux élèves de l'enseignement moyen fréquentant les établissements fondés par le gouvernement. Personne n'a songé à demander alors pour les établissements libres le partage des bourses.
On a trouvé parfaitement légitime que l'Etat réglant les conditions d'un enseignement donné sous sa direction, demandât des moyens d'encouragement pour ces établissements sans se préoccuper des établissements libres.
S'il est juste, comme le dit M. le ministre de l'intérieur, s'il est généreux d'accorder la même faveur à tous les élèves universitaires sans distinguer entre les établissements, il faut que M. le ministre de l'intérieur étende ce système aux bourses de l'enseignement moyen ; car il n'y a pas de motif pour être plus généreux vis-à-vis des élèves des universités que vis-à-vis des élèves de l'enseignement moyen.
Je m'attends donc, si M. le ministre de l'intérieur persiste dans l'opinion qu'il vient d'exprimer d'une manière sommaire, à le voir revenir sur la loi d'enseignement moyen et à proposer d'admettre tous les établissements d'enseignement moyen, établissements de l'Etat et établissements libres, au partage des bourses d'études. En cela, il sera conséquent avec le principe qu'il vient de proclamer.
Le nombre des établissements d'enseignement moyen est considérable dans le pays. En dépit de la loi de 1849 qui, selon ses adversaires, avait pour but et devait avoir pour résultat d'anéantir tous les établissements d'enseignement moyen qui n'appartiennent pas à l'Etat, le nombre de ces établissements s'est accru d'année en année d'une manière considérable, de telle sorte que les établissements fondés par les évêques, par les congrégations religieuses et par les jésuites s'élèvent au chiffre de 70 environ.
Ainsi vous voyez qu'il y aura là un assez grand nombre de copartageants.
Un principe qui devrait aboutir à de telles conséquences n'est pas admissible.
Les élèves libres sont déjà bien partagés, ce semble, lorsque le gouvernement accorde à ceux d'entre eux qui se distinguent, des subsides.qui leur permettent de suivre les établissements qu'ils préfèrent.
Le gouvernement que doit-il à la liberté ? Il doit la protéger ; il doit lui garantir la puissance paisible des établissements qu'elle a fondés, il ne lui doit rien au-delà ; il ne lui doit ni subsides, ni privilèges. Il faut qu'il réserve ses subsides pour soutenir ses propres établissements.
Les établissements libres qui demandent le partage des faveurs du gouvernement admettaient-ils les universités de l'Etat à partager avec eux les avantages particuliers dont ils jouissent eux-mêmes ?
Il y a des établissements libres qui, en fait, jouissent d'un nombre considérable de bourses, et loin de vouloir les partager avec les universités de l'Etat, ils les gardent soigneusement pour eux-mêmes, et ils cherchent de plus à en accaparer le plus possible de l'Etat.
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. Rogier. - L'honorable membre qui demande la parole me comprend parfaitement.
M. Verhaegen. - Nous sommes d'accord.
M. Rogier. - Je ne fais pas allusion pour le moment à l'université de Bruxelles. Je fais allusion à une autre université, qui a la possession en fait d'un nombre très considérable de bourses, et je ne comprends pas comment, sous prétexte d'impartialité et de générosité, le gouvernement vienne demander que la loi l'oblige à partager avec des établissements qui déjà en regorgent des bourses appartenant aux universités de l'Etat qui sont loin d'en avoir trop.
Que de semblables propositions viennent de la part de l'université de Louvain, je le conçois jusqu'à un certain point ; je le concevrais même de la part de l'université de Bruxelles ; mais que de pareilles propositions viennent de la part du gouvernement, c'est ce que je ne puis pas admettre.
Il n'y aurait pas seulement générosité, il y aurait prodigalité outrée à venir enrichir nue université déjà si richement dotée en fait, à venir l'enrichir des dépouilles de quelques bourses des universités de l'Etat.
Il s'est passé, antérieurement, des faits qui méritent d'être rappelés à l'attention de la Chambre.
Sous le régime de la loi de 1835, à l'époque où le gouvernement avait à répartir soixante bourses entre les quatre universités du royaume, savez-vous ce qui arrivait ? C'est que l'une des quatre universités, indépendamment du nombre très considérable de bourses de fondation dont elle jouissait, obtenait toujours la part principale dans la répartition des bourses légales.
Ainsi, en 1838, nous voyons la répartition suivante des soixante bourses : Gand 11, Liège 18, Louvain 25, Bruxelles 6.
Voici maintenant la répartition de 1840 : Gand 12, Liège 19, Louvain 25, Bruxelles 4.
Voilà, messieurs, de la justice et voilà un singulier genre de générosité !
Ainsi, indépendamment du nombre très considérable de bourses de fondation dont jouissait l'université de Louvain, elle avait encore la part principale des bourses créées par la loi.
Cela ne suffisait pas. Le ministre de l'intérieur est en possession d'un certain nombre de bourses de fondation qui, n'ayant pas d'administrateurs spéciaux, ont été transférées au département de l'intérieur ; eh bien, messieurs, dans la répartition de ces bourses savez-vous quelle université avait la part principale ? C'est encore l'université de Louvain.
Ainsi, les bourses de fondation qui étaient à la disposition du ministre de l'intérieur ont été réparties de la manière suivante, en 1842 : Gand 5, Liège 15, Louvain 18, Bruxelles 1.
En 1841, messieurs, lorsqu'une autre administration est arrivée aux affaires, on a cherché à rétablir un peu l'équilibre entre les universités et il y a eu un cri d'indignation de la part des défenseurs de l'université privilégiée. On voulait dépouiller l'université de Louvain ! C'était la mort de cette université, c'était un acte inqualifiable de la part du ministère d'alors ! Et cependant l'équilibre n'était pas même rétabli ; loin de là.
Ce qui précède prouve, messieurs, qu'avec cette disposition qui attribue au ministre la répartition prétendument impartiale des 60 bourses entre les universités, il peut très bien arriver que certaines universités jouissent d'un privilège, jouissent de la meilleure partie des bourses, taudis que d'autres se voient spoliées.
C'est ainsi que l'université de Gand, l'université de Liège recevaient moins de bourses de l'Etat que l'université de Louvain ; quant à la pauvre université de Bruxelles, elle était reléguée au dernier rang ; on lui faisait grâce d'une, de deux ou de trois bourses, et l'université de Bruxelles voulait bien se contenter de cette position.
Messieurs, il m'est pénible, en ce moment surtout, d'avoir à soutenir les droits des universités de l'Etat contre l'université de Bruxelles ; je voudrais, dans cette circonstance, pouvoir donner un gage de sympathie à l'université de Bruxelles ; je voudrais que mes amis fussent en majorité dans cette Chambre pour venger, en quelque sorte, l'université de Bruxelles des attaques dont elle a été l'objet. Je voudrais que l'élément laïque vînt au secours de cette université libre, qui se trouve en ce moment sous le coup d'un interdit épiscopal. Mais nous avons ici un principe à défendre et nous devons sacrifier nos sympathies aux principes.
J'espère, dans tous les cas, que l'université de Bruxelles continuera de trouver dans la sympathie des pères de famille et dans l'appui des administrations publiques de la capitale et de la province, le concours qui lui est dû précisément à cause de la position spéciale où on a voulu la placer vis-à-vis du pays.
Je ne sais pas, messieurs, s'il est bien prudent, de la part d'un établissement qui se trouve en possession de dotations si considérables, de soulever la présente discussion. Je crois qu'on eût beaucoup mieux fait de chercher à rester en possession tranquille de l'énorme dotation dont on jouit en fait et de ne pas essayer d'arracher au trésor quelques bourses dont on n'a aucun besoin.
Je combats donc la proposition de M. le ministre de l'intérieur. Je la combats parce que nous ne sommes pas ici pour accorder des faveurs aux universités libres ; nous leur garantissons la liberté ; c'est tout ce que nous leur devons. Je la combats aussi parce que je ne veux pas d'un principe qui, s'il est adopté pour l'enseignement universitaire, devra nécessairement être étendu à l'enseignement moyen.
Ainsi, messieurs, la loi sur l'enseignement moyen accorde des bourses aux établissements de l'Etat ; il faudra que ces bourses soient distribuées entre tous les établissements de l’enseignement moyen et je (page 777) vous demande, messieurs, quelle charge ce serait pour le trésor ! Ou bien si le nombre actuel de ces bourses est maintenu, je demande ce que signifiera cet encouragement, réparti entre une centaine d'établissements !
Messieurs, un honorable préopinant, sans doute pour échapper aux difficultés de la position et pour se placer, comme toujours, entre les partis ; un honorable préopinant a proposé un moyen héroïque ; il a eu un courage, c'est lui-même qui l'a dit, que d'autres, à ce qu'il paraît, n'auront pas : il propose la suppression de toutes les bourses. Mais l'honorable membre n'est courageux qu'à demi ; il y a beaucoup d'autres bourses que les bourses universitaires dans le pays, et il faudrait, en homme courageux, en demander la suppression.
M. Julliot. - Ce sont des bourses de fondation.
M. Rogier. - Pardon ; je vais en citer qui ne sont pas du tout des bourses de fondation, et je suis curieux de savoir si l'honorable membre les comprendra dans sa proposition.
Ainsi, nous avons au budget de la justice 62,000 francs de bourses destinées à encourager les jeunes gens qui se vouent aux études ecclésiastiques. L'honorable préopinant trouve que nous avons beaucoup trop d'avocats et de médecins, trouve-t-il que nous n'avons pas assez de prêtres ?
Voilà donc 62,000 francs consacrés à encourager des jeunes gens qu'au dire de l'honorable M. Julliot on ferait mieux sans doute de laisser à la charrue que de leur faciliter l'accès à l'exercice du sacerdoce. En supprimant ces bourses, nous ferions une jolie économie.
Nous allouons au budget de l'intérieur 12,000 francs pour les jeunes gens dont je vous parlais tout à l'heure, qui, ne pouvant obtenir de bourses de 400 francs d'après la législation actuelle, reçoivent des subsides qui leur permettent d'aller étudier où ils veulent, lorsqu'ils font preuve d'une aptitude extraordinaire. Car nous ne sommes pas absolus. Nous trouvons bon que le gouvernement encourage les élèves libres, et, sous ce rapport, je suis entièrement de l'avis de M. le ministre de l'intérieur ; mais tel ne peut être l'avis de l'honorable et courageux auteur de l'amendement. Voilà donc encore 12,000 fr. qu'il pourra comprendre dans son amendement.
Ce n'est pas tout. Le clergé a fondé 7 écoles normales primaires ; au budget de l'intérieur figurent 3,600 fr. de bourses pour chacun de ces établissements : ensemble 21,000 fr.
Sans doute l'honorable M. Julliot ne veut pas non plus qu'on détourne les jeunes gens de leur vocation naturelle, qu'ils s'éloignent du champ paternel pour se lancer dans la carrière de l'enseignement primaire ; l'honorable membre doit donc demander également la suppression de ces 21,000 francs. Les bourses des écoles normales de l'Etat doivent subir le même sort, pour rester dans les termes d'une parfaite impartialité.
Ainsi voilà toutes propositions que l'honorable M. Julliot devrait ajouter à celle qu'il a déposée sur le bureau, s'il veut être conséquent avec lui-même et courageux jusqu'au bout.
Je ne pense pas que l'honorable M. Julliot me prenne au mot ; cependant je répète que pour demeurer conséquent, il doit indispensablement en venir là ; et tout cela peut parfaitement s'accommoder avec ses règles d'économie politique.
Je n'en dirai pas davantage pour le moment.
M. le ministre de l'intérieur a été très bref, j'ai été un peu plus long que lui...
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Ne mesurons pas les discours.
- Un membre. - Mais les raisons.
M. Rogier. - Sans doute ; je m'excuse seulement d'avoir été plus long que M. le ministre de l'intérieur ; je ne dis pas que j'aie apporté dans la discussion de meilleurs arguments que les siens ; il n'en a pas apporté du tout ; mais j'ai tâché d'en faire valoir quelques-uns à l'appui de la proposition de la section centrale.
M. Verhaegen. - Messieurs, je ne demande pas la parole pour venir disputer quelques bribes de bourses en faveur d’un établissement auquel je suis fier d'attacher mon nom.
Quand il s'agit de questions de principes, les intérêts individuels ne sont rien pour moi. D'ailleurs, l'université de Bruxelles peut parfaitement se contenter de la sympathie des pères de famille et de l'intérêt que lui portent à la fois l'administration provinciale et l'administration communale.
Je ne crains qu'une chose, c'est qu’à la suite de cette discussion, on ne finisse par supprimer les bourses et par en priver les universités de l'Etat ; car ceux qui s'intéressent à certaine université libre ne se soucient pas le moins du monde des allocations portées au budget. Cet établissement a assez de bourses, il en a même trop ; et je crains bien,, je le répète, à voir la manière dont cette discussion s'engage, qu'elle' n'aboutisse à la suppression des 60 bourses dont il s'agit.
Je désirerais que le gouvernement vînt les défendre dans l'intérêt des universités de l'Etat. Ces universités sont l'objet de toutes mes sympathies. S'il s'agissait un jour de leur existence, je serais le premier à les défendre dans cette enceinte. Les universités de l'Etat sont les alliées naturelles de l'université de Bruxelles.
Messieurs, les bourses dont nous nous occupons courent un bien grand danger ; on n'en a pas besoin ailleurs, car on en a trop ; et ce que je dis, je vais l'établir par des chiffres officiels.
J'ai eu recours à l'exposé administratif de la province de Brabant pour 1856 ; j'y ai trouvé des comptes qui nous fournissent d'utiles renseignements. Nous aurons à voir s'il n'y a pas quelques droits à faire valoir en faveur d'autres établissements, et s'il faudra que les choses se passent à l'avenir comme elles se sont passées jusqu'à présent.
Les comptes de 1854 des 71 fondations volantes ayant leur siège dans le Brabant et des 39 collèges de l'ancienne université de Louvain ont donné les résultats suivants :
Recettes
Fondations volantes : fr. 116,337 24
Fondations des 39 collèges : fr. 464,985 31
Total : fr. 581,362 55
Dépenses
Fondations volantes : fr. 84,146 78
Fondations des 39 collèges : fr. 380,305 24
Total : fr. 464,952 02
Les recettes renseignées ci-dessus n'indiquent pas les chiffres des revenus ordinaires, car on fait figurer dans les comptes les remboursements, les changements d'applications de fonds, enfin toutes les opérations financières de l'année.
Les revenus proprement dits des biens-fonds, des rentes et des obligations, se sont élevés pour 1854, savoir :
Fondations volantes, fr. 70,618 11
Fondations annexées au 39 collèges de l'ancienne université de Louvain, fr. 133,813 43
Total, fr. 204,431 54
Il n'a été conféré, en 1854, que 700 bourses, représentant une somme totale de 129,512 fr. 63 c.
En admettant, ce qui n'est pas, que toute cette somme ait été prise sur les fondations des 39 collèges dont l'université de Louvain jouit de fait, à l'exclusion de tous autres établissements, il en résulterait que ces fondations ont soldé leur compte de 1854 par un excédant de 4,300 fr,, en d'autres termes qu'elles ont plus de bourses que de boursiers et qu'elles ne peuvent pas utiliser leurs revenus, au point que dans une, circonstance récente les collateurs d'une bourse dont jouit actuellement le fils d'un grand seigneur et qui avait été fixés par le fondateur à 500 florins de change, soit 600 francs environ, ont proposé de la porter à 900 francs, on plutôt d'attribuer au boursier une bourse et demie annuellement.
Les fondations volantes sont celles qui n'ont pas d'affectation spéciale à tel ou tel établissement d'étude désigné et dont les titulaires ou boursiers peuvent fréquenter telle établissement qu’ils jugent convenir. Il en est cependant, et c’est le plus grand nombre, qui par la forces des choses, appartiennent exclusivement à l’université de Louvain, soit parce qu’elles sont affectées à un genre d’étude spécial (la théologie), soit parce que les ayants droit doivent suivre cette étude et qu’il n’existe de faculté de théologie qu’à Louvain.
Ainsi, de fait, c'est l'université de Louvain qui jouit de toutes les bourses annexées aux 39 collèges et de la plupart des bourses volantes, et nous venons de voir à quel chiffre monte le revenu de ces fondations ! Le receveur chargé d'en opérer le recouvrement a touché à titre de tantièmes, pendant l'année 1854, la somme exorbitante de 15,148 fr. 50 c.
Et tout cela indépendamment des locaux, des collections et des bibliothèques considérables que l'université de Louvain s'est appropriée on ne sait réellement pas comment et à quel titre.
Tout cela est établi par des pièces irrécusables (voir l'exposé de la situation administrative du Brabant pour 1856, page 159, in medio).
En énonçant ces faits, je n'entends certes pas le légitimer. Ils soulèvent une question, c'est celle de savoir si l'université catholique de Louvain représente l'ancienne université de Louvain. Non, me dit-on, c’est ainsi jugé, et on a raison, mais il faut tirer des conséquences de cette prémisse. Je ne décide rien, je ne légitime rien ; je fais à cet égard toutes mes réserves. Ce que j’ai voulu, c’est faire voir à la Chambre comment il pourrait se faire qu’on voulût garder le silence sur les 60 bourses de 400 francs dont il s’agit, afin de faire rejeter la disposition, au grand détriment des universités de l’État.
M. Julliot. - Messieurs, l’honorable M. Rogier vient de me prendre à parti pour la proposition que je me suis permis de faire ; j’en suis du reste très flatté, et je suis loin de m’en plaindre, car si l’honorable M. Rogier a cru me prendre en défaut, il fait erreur au premier chef ; quand je soutiens un principe, ce n’es pas pour en escamoter la moitié, mais je n’ai pas les moyens d’attaquer tout à la fois. J’ai pris ce qu’il y a de plus saillant, c’est l’ajoute de 60 bourses sur le trésor, pour renforcer 500 autres qui existent déjà.
D'ailleurs, je ne puis, à propos de la discussion de cette loi, y jeter des questions qui y sont étrangères ; nous discutons une loi sur le jury et non pas les budgets de la justice et de l'intérieur ; si je me permettais de confondre toutes ces matières, M. le président me ferait immédiatement rentrer dans la question.
L’honorable M. Rogier m’oppose les bourses accordées à des théologiens, aux écoles normales et ailleurs, mais l’honorable membre est l’un des créateurs les plus zélés de toutes ces bonnes choses ; je propose donc à l’honorable (page 778) membre de nous entendre Voici comment : l'honorable député de Bruxelles votera ma proposition et moi je m'engage à voter, sur sa proposition, la suppression de toutes les bourses gouvernementales quelconques qui sont payées par le contribuable, et nous aurons montré du courage tous les deux. Le principe est le même ; que l'honorable membre me donne son concours et il aura mon appui quand il me le demandera pour achever le reste.
M. Van Overloop. - Les observations de l'honorable M. Verhaegen m'engagent à prendre la parole. Je crois que les bourses fondées à l'ancienne université de Louvain n'appartiennent pas à l'université actuelle de cette ville.
Ces bourses sont des fondations particulières, des fondations de famille en grande partie. Elles ont, il est vrai, été créées à l'ancienne université de Louvain, mais comme cette ancienne université a disparu, je pense que les bourses n'appartiennent pas exclusivement à l'université actuelle.
Ma famille a des bourses de fondation qui donnaient droit d'entrée à l'ancienne université de Louvain. J'ai joui d'une de ces bourses de famille.
Membre de la famille du fondateur, j'ai réclamé mon droit à cette bourse ; et après l'avoir obtenue, j'ai commencé mes études à l'université de Gand, pour les achever à l'université de Bruxelles.
Je crois que tous les jeunes gens appartenant à des familles dans lesquelles il y a des fondations de bourse ont le même droit que j'ai eu et peuvent l'exercer comme je l'ai fait. Je crois donc que c'est à tort que l'honorable M. Verhaegen a attribué la propriété de ces bourses à l'université actuelle de Louvain.
M. Verhaegen. - Je ne lui ai rien attribué du tout.
M. Van Overloop. - Vous avez argumenté de ce que l'université de Louvain jouit d'un grand nombre de bourses de fondation.
M. Verhaegen. - En fait.
M. Van Overloop. - En fait, cela dépend des ayants droit. Je suppose que moi, qui avais droit à l'une des bourses, au lieu de me rendre d'abord à Gand, puis de compléter mes études à Bruxelles, je me fusse rendu à Louvain, qu'y aurait-il eu à dire ?
N'étais-je pas libre ? La liberté d'enseignement ne comprend pas seulement la liberté pour les professeurs de donner l'enseignement. Elle comprend aussi la liberté pour l'élève de recevoir l'instruction où ses parents le jugent convenable.
Toutes les observations de l'honorable M. Verhaegen me semblent donc être à côté de la question. Je passe à un autre ordre d'idées, Les bourses ont été instituées par la loi de 1835, dans le but de favoriser l'accès de l’enseignement supérieur aux jeunes gens peu fortunés, qui ont une aptitude extraordinaire à l'étude. Si l'on se place à ce point de, vue, il faut, pour être logique, ne pas empêcher les élèves qui méritent les bourses de recevoir l'instruction où ils le jugent convenable.
Si, au contraire, vous vous placez au point de vue de la concurrence des universités de l'Etat contre les universités libres, alors j'admets la conséquence que tirait tantôt de ses prémisses l'honorable M. Rogier. A ce point de vue, je comprends qu'on affecte exclusivement aux universités de l'Etat les bourses du gouvernement.
Mais voici la singulière conséquence de ce système. D'un côté, au moyen des fonds des contribuables, l'Etat paye les professeurs chargés de donner des cours (ce que j'approuve, car je suis partisan des universités de l'Etat comme des universités libres), et d'un autre côté, toujours au moyen des mêmes fonds, le même Etat paye des élèves pour fréquenter les cours. N'y a-t-il pas là une certaine contradiction ? Il me semble qu'au point de vue de l'esprit de l'institution des bourses qui est de venir en aide aux jeunes gens ayant de l'intelligence, mais qui sont peu favorisés de la fortune, il faut laisser ces jeunes gens aller recevoir l’nstruction où ils le préfèrent.
Une chose me paraît remarquable, c'est le grand nombre des bourses et leur faible quotité. Il me paraît qu'on ferait chose bien plus utile, toujours au point de vue des intelligences auxquelles, comme l'a si poétiquement dit l'honorable ministre de l'intérieur, il faut permettre d'arriver à la position que la nature leur assigne ; il me semble qu'on ferait chose bien plus utile, en diminuant la quantité des bourses et en en augmentant la quotité ; car des bourses de 400 fr. ne peuvent être accordées qu'à des jeunes gens à qui il ne manque que 400 fr. pour faire leurs études, tandis que si la quotité des bourses était portée à 1,000 ou 1,500 fr. vous pourriez prendre les intelligences partout où elles se manifesteraient, vous pourriez rester fidèle à l'esprit qui a présidé à la création des bourses aux frais de l'Etat.
M. Frère-Orban. - La discussion qui vient d'avoir lieu est de nature à édifier le public. Vous venez d'entendre l'état des ressources dont jouit en très grande partie, en réalité, en fait, l'université de Louvain. Ce n'est pas contesté. En présence de cette situation, le gouvernement, défenseur naturel des universités de l'Etat, vient proposer de ravir à ces établissements une très faible et insignifiante dotation qui leur est faite.
Ce n'est pas toutefois la question d'argent qui me préoccupe ici. Elle est, en effet, d'une assez médiocre importance. Ce qui est important, c'est le principe qui est en jeu.
L'honorable M. Rogier a démontré d'une manière irréfragable que si le principe qu'on défend est admis pour les universités de l'Etat, il doit l'être également pour les établissements d'enseignement moyen, et que le gouvernement, s'il entre dans cette voie, doit proposer d'accorder des bourses aux établissements d'enseignement moyen du clergé dès qu'il en accorde aux écoles de l'Etat. Mais remarquez-le bien, nous n'avons jamais prétendu que le gouvernement ne pouvait obtenir des fonds destinés aux jeunes gens ayant une aptitude extraordinaire pour l'étude, sans les astreindre à étudier dans un établissement déterminé. L La même administration qui a défendu et fait admettre le principe de la loi de 1849, a demandé également une allocation dans le sens des idées qui ont été exprimées tout à l'heure par l'honorable ministre de l'intérieur. Il ne s'agit pas de contester une pareille allocation ; mais on veut prendre, pour l'affecter aux établissements libres, une dotation spéciale pour |les universités de l'Etat.
Vous avez au budget une allocation qui vous permet d'accorder, sans distinction du lieu où ils font leurs études, des bourses aux jeunes gens qui ont une aptitude extraordinaire, cela suffit, faites emploi de ces fonds sous votre responsabilité.
Ce n'est pas que j'admette le principe que M. le ministre de l'intérieur déclare large et généreux, et qui pris, d'une manière absolue, serait faux et conduirait à l'absurde.
Vous dites, en thèse générale, qu'il est large et généreux d'accorder des subsides sur le trésor public pour faire des études n'importe où. Mais, vous avez le devoir de surveiller l'emploi des fonds, j'imagine ? Alloueriez-vous des bourses à ceux qui déclareraient faire des études privées, sans maîtres, des études à l'étranger ou dans des établissements que vous réprouveriez ? Non, sans doute. Vous allouez des bourses, en surveillant l'emploi de ces fonds, en vous assurant que les jeunes gens étudient. Lorsque les élèves suivent les cours d'établissements libres, vous supposez nécessairement que ces établissements présentent des garanties suffisantes.
Mais dire que c'est à titre d'un principe que vous alloueriez des bourses à ceux qui font leurs études dans ces établissements, quelles que soient les études qu'on y ferait, quelles que fussent les doctrines enseignées, je dis que cela est faux et inadmissible ; cela n'est pas soutenable.
Messieurs, l'université de Louvain est, comme je le disais tout à l'heure, en possession de très grands avantages. Elle n'a pas seulement des locaux qui appartiennent, ou à l'Etat, ou à la commune de Louvain ; elle n'a pas seulement les collections qui appartiennent à l'Etat, les bibliothèques qui appartiennent à l'Etat ; elle a encore ce qui reste des anciennes dotations de l'université de Louvain, aujourd'hui supprimée.
Et à quel titre, s'il vous plaît ? De quel droit les jeunes gens jouissant de bourses peuvent-ils légalement faire leurs études à l'université de Louvain ? Mais c'est une spoliation qui a été commise au préjudice des universités de l'État. C'est une spoliation et une violation permanente de la loi.
M. de La Coste. - Nous verrons cela.
M. Frère-Orban. - Je vais vous mettre le texte sous les yeux. Nous verrous cela ! Cela est parfaitement vu.
Les bourses de fondation ont subi les effets de la tourmente révolutionnaire. Elles ont été rétablies par un décret de l'an V ; et puis, par le décret impérial organique de l'université de France, elles ont été, par une disposition formelle, attribuées aux établissements de l'université. En 1814, ces établissements, dans nos pays, se trouvant supprimés, un arrêté-loi du prince souverain des Pays-Bas a réservé les bourses pour être affectées aux établissements qui seraient créés pour remplacer ceux de l'université. Le règlement, pris en exécution de la loi fondamentale, organique des universités de l'Etat, a déclaré que les bourses de fondation seraient attribuées aux jeunes gens faisant leurs études dans les, universités de l'Etat.
M. de La Coste. - J'expliquerai cela.
M. Frère-Orban. - « En conséquence, dit l'arrêté dont je parle, toutes les bourses seront partagées entre les trois universités de l'Etat. » C'est là la loi.
M. de La Coste. - Ce n'est pas une loi.
M. Frère-Orban. - C'est la loi au même titre que les arrêtés de 1818 et de 1823 qui ont rétabli l'administration des fondations. Les bourses jusque-là étaient administrées, conformément à des décrets antérieurs, soit par les hospices, soit par les bureaux de bienfaisance, soit par le domaine.
Les arrêtés de 1818 et de 1823 ont rétabli, autant que possible, les administrations anciennes, et l'arrêté de 1816 a exactement le même caractère et est pris en vertu des mêmes pouvoirs dont jouissait le roi Guillaume. Et si ce n'est pas la loi, si c'est un simple règlement, nous avons l'arrêté-loi de 1814 qui, celui-là, n'est pas moins formel. Vous ne pouvez pas le contester ; c'est une loi. Cette loi met les bourses à la disposition des établissements qui ont été érigés en exécution de la loi fondamentale.
Les arrêtés de 1818 et de 1823 ont rétabli les anciennes administrations. Mais comment peut-on valider dans les comptes des receveurs de ces fondations, les payements qu'ils ont faits pour les bourses ? Les arrêtés de 1818 et de 1823 le disent en termes exprès. Aucune dépense ne sera portée en compte que sur la production de la quittance de l'individu qui jouit de la bourse, appuyée des certificats délivrés par les professeurs des établissements d'enseignement reconnus par l'Etat.
(page 779) Ainsi, jusqu'à présent, pas une seule justification régulière n'est faite pour tous les individus qui étudient ailleurs que dans les établissements de l'Etat. Ici encore la loi est violée.
Depuis longtemps, messieurs, on a fait remarquer quelque chose d'irrégulier, quelque chose que la loi n'autorisait pas, et le gouvernement a institué, il y a bien des années, une commission pour préparer la révision du régime de ces institutions.
Cette commission a fait son travail. C'est cette même commission qui a été investie de l'attribution d'examiner les fondations charitables, lorsque les questions que vous connaissez ont été soulevées, et l'on a jugé à propos de détacher, du projet qui avait été préparé, les dispositions relatives aux fondations charitables, en se gardant bien de produire les propositions de la commission relativement aux fondations d'instruction. C'est que cette commission avait formulé un système à l'aide duquel les abus manifestes dont nous nous plaignons auraient été évités.
Une autre administration était substituée à l'administration très défectueuse qui existe, et celle-là, qui aurait procédé d'une manière régulière et conforme à la loi, nous aurait permis d'apprécier tous les actes relatifs à ces fondations.
Mais, comme on ne peut pas faire inopinément un projet de loi sur une pareille matière, que le moment n'est pas opportun ; d'autre part, j'entends invoquer des sentiments de justice et de générosité par l'honorable ministre de l'intérieur, quoique je ne comprenne pas bien la manière de les appliquer, je vais lui offrir un moyen de se montrer vraiment juste, et réellement généreux envers tout le monde.
Je ne préjuge aucune question, je prends les faits tels qu'ils sont ; mais je veux faire cesser un abus scandaleux.
Par le mode qui est adopté pour l'administration des bourses, et à l'aide des collateurs qui sont, en général, des membres appartenant au clergé, tous ceux à qui des bourses sont allouées sont induits à se rendre à l'université de Louvain ou n'obtiennent ces bourses que lorsqu'ils sont déjà à cette université. Eh bien, nous ne pouvons pas persévérer dans ce système, et en attendant une réforme inévitable, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre, comme amendement à l'article qui est en discussion, ce qui suit ;
« En attendant la révision du régime de fondation de bourses en faveur de l'instruction, le gouvernement conférera les bourses de cette nature, ayant pour objet l'enseignement universitaire, après avoir entendu les administrations de ces fondations. »
De cette façon, nous engageons la responsabilité du gouvernement ; nous aurons un contrôle réel sur ses actes. Il sera tenu d'agir avec équité.
M. Dumortier. - Je crois qu'en Piémont, cela s'appelle « incamération ».
M. Frère-Orban. - Quand vous confisquez ; au profit de l'université de Louvain et au préjudice des universités de l'Etat, en violation des lois, vous appelez cela : prendre votre bien !
Il s'agit, messieurs, de bourses de fondation, qui sont des établissements de mainmorte, qui sont des institutions publiques, ainsi qu'on les a toujours considérées dans notre pays, à toutes les époques.
L'administration en a été réglée purement et simplement par arrêté royal, par l'arrêté de 1818, qui a enlevé aux administrations des hospices et aux bureaux de bienfaisance la gestion de ces fondations. Il n'y a pas plus de difficulté de permettre ici au gouvernement de conférer les bourses, en attendant la révision du régime actuel et après avoir entendu les administrateurs.
Messieurs, il faut y prendre garde ; vous montrez une grande avidité, en parlant de désintéressement ; vous voulez tout prendre ; vous voulez ravir aux universités de l'Etat le peu qu'elles possèdent ! Nous sommes sur la défensive. Vous avez ouvert cette question ; elle recevra tôt ou tard une solution, et cette solution n'est pas celle que vous attendez.
Oui, l'intérêt de tous les établissements, autres que celui de Louvain, est maintenant engagé dans cette discussion: l'université de Gand, mal partagée aussi, a le droit ici de revendiquer sa part ; l'université de Bruxelles aura le même droit ; Liège aura aussi son droit, et nous verrons si vous, qui parlez de justice, de générosité, de libéralité, vous comprendrez la justice, la générosité, la libéralité, en voulant, tout garder pour les établissements que vous protégez.
- La séance est levée à 4 heures et demie.