(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)
(page 529) M. de Perceval procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Crombez donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Perceval présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Des habitants d'Ophoven appellent l'attention de la Chambre sur la situation que font à l'agriculture les droits sur les houilles et sur les houilles. »
« Mêmes observations d'habitants de Dilsen, Neeroeteren, Eelen, Opoeteren, Rothem, Kinroy, Kessenich, Molen-Beersel, Petit-Fays, Saint-Jean-Geest, Maffe, Lathuy, Tourinnes-Saint-Lambert, Houtave, Middelbourg. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.
« Des habitants de Rousbrugge demandent que' le projet de loi sur l'organisation judiciaire n'accorde pas au gouvernement la faculté d'autoriser les greffiers des justices de paix à faire le commerce par personnes interposées. »
M. Lelièvre. - J'appuie la pétition, qui traite une question importante, et j'en demande le renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.
- Adopté.
« Des habitants du hameau de Grosmont présentent des observations contre la demande projetée par l'administration communale de Brasmenil, d'être autorisée à faire construire un pont sur le canal qui traverse le territoire de cette commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur de Buck, ancien sous-officier, demande un emploi équivalent à la position de sous-officier ou son admission dans un service militaire sédentaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vandersypen, ancien préposé des douanes, demande un secours ou le remboursement des retenues qui ont été opérées sur son traitement. »
- Même renvoi.
« Le sieur Peterson, ancien employé des douanes, demande la révision de sa pension. »
- Même renvoi.
« Plusieurs juges de paix dans l'arrondissement de Hasselt prient la Chambre d'améliorer leur position. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.
« Le sieur Delva propose des mesures qui ont pour but la libération de la milice. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur le recrutement de l'armée.
M. Thibaut, obligé de s'absenter pour affaires, demande un congé.
- Accordé.
M. Lesoinne. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission permanente d'industrie sur une pétition d'un très grand nombre d'habitants de Verviers qui demandent la suppression des droits de douane sur les fontes et les fers, ainsi que la libre entrée permanente des houilles.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La Chambre le met à la suite de l'ordre du jour.
M. Delfosse. - Messieurs, rapporteur de la section centrale qui a été chargée, en 1849, d'examiner le projet de loi sur l'enseignement supérieur, j'ai eu à m'expliquer alors sur le jury central et sur les jurys combinés.
Selon moi, le jury central avait été trop loué par les uns, trop dénigré par les autres ; il ne méritait
Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité.
Le système des jurys combinés étant trop nouveau pour qu'on pût bien en apprécier les avantages et les inconvénients, je me bornai, sans trop en vanter le mérite, à en conseiller l'essai. Je reconnus toutefois, dès cette époque, aux jurys combinés l'avantage important de rétablir entre le professeur et l'élève le contact qui avait été, sinon détruit, au moins considérablement affaibli par le jury central.
L'essai que je conseillais a eu lieu ; il dure depuis huit années. Cette expérience a-t-elle été favorable au système des jurys combinés ? Oui, si l'on en croit l'honorable M. Rogier et quelques autres orateurs ; non, si l'on s'en rapporte à une foule de professeurs qui occupent dans l'enseignement une position distinguée et qui ont fait une expérience personnelle de ce système. Permettez-moi, messieurs, de vous donner lecture de quelques passages d'un mémoire non imprimé, qui a été adressé au gouvernement par le conseil académique de l'université de Liège, après la présentation du projet de M. Piercot :
« Le système des jurys combinés offre-t-il à la société des garanties sérieuses ? Sauvegarde-t-il et les intérêts de la science et ceux de la liberté ?
« Les faits ont parlé et, pour tout esprit non prévenu, ont résolu irrévocablement ces questions.
« On met en présence deux institutions rivales, on les place en état de suspicion l'une à l'égard de l'autre, et cela sur un terrain où les susceptibilités sont souvent très vives, et où les intérêts, comme les doctrines, sont opposés. Qu'arrive-t-il ? C'est que par la force des choses, les professeurs cessent d'être les juges pour devenir les avocats de leurs élèves.
« Dans le principe, il en est résulté des luttes souvent très ardentes et très pénibles. La position des questions, l'appréciation du mérite des réponses, le classement des élèves, tout était l'objet de conflits et la source de décisions passionnées où la justice était souvent sacrifiée.
« Plus tard, dans certains jurys, la lassitude est arrivée, et avec elle une indulgence d'appréciation souvent incroyable et à peine comparable à celle des plus mauvais jours de certaines institutions anciennes.
« Et puis, souvent, que de stratégie sous la préoccupation des résultats de la statistique des examens !
« La jurisprudence du jury s'établit au début de la session pour toute sa durée. Eh bien, l'on a vu quelquefois les professeurs de l'établissement appelé le premier à contrôler l'autre, se montrer plus indulgents que les professeurs mêmes du récipiendaire, On reconnaissait bientôt que cette bienveillance extraordinaire n'était pas très désintéressée : elle sollicitait, en faveur d'un contingent d'élèves faibles ou vétérans, une réciprocité dont le refus était mal accueilli, et souvent puni, à la session suivante, de sévères représailles.
« Hâtons-nous d'ajouter que, sous tous ces rapports, il y a eu dans les jurys combinés d'honorables exceptions. Mais l'antagonisme, qui est l'essence du système, ne peut manquer de les rendre chaque jour plus rares.
« Et que l'on ne croie pas à l'efficacité de l'intervention des présidents lorsque les établissements se partagent en deux camps égaux ! C'est une des graves erreurs du système, d'appeler à décider souverainement de questions scientifiques très délicates et très diverses des hommes qui, quel que soit leur mérite, sont souvent incompétents, et qui, physiquement, sont dans l'impossibilité de suivre avec une attention soutenue toutes les parties des examens.
« Les conséquences d'un pareil régime sont faciles à prévoir.
« On le sait assez, et c'est un résultat inévitable, l'examen domine l'enseignement. L'élève se préoccupe avant tout du cercle d'idées et de principes qui font l'objet habituel des questions posées devant le jury. Or, le professeur qui connaît le terrain délicat sur lequel il va se rencontrer avec un collègue étranger, plus ou moins éclairé, plus ou moins tolérant, ne peut aborder les points qui pourraient donner lieu à des divergences d'opinion ou qui sortiraient trop des sentiers battus.
« Par une convention tacite et forcée, l'examen et par suite l'enseignement se renferment dans les limites étroites des questions, des doctrines et des méthodes usuelles. Dès lors, rien pour la spontanéité, rien pour l'initiative, rien pour la liberté ni du professeur, ni de l'élève. On anéantit ainsi précisément ce qui donne à l'enseignement sa valeur et sa distinction.
« Sans doute le jury combiné a eu l'avantage de ramener l'assiduité des élèves aux cours et de rétablir le contact si utile du professeur et de l'élève, détruit par le jury central ; mais ces résultats sont stériles parce que le professeur n'ayant recouvré ni sa liberté ni son indépendance, est obligé de se restreindre dans le cercle uniforme tracé par le contrôle qu'on lui impose. »
Vous voyez, messieurs, par les passages que je viens de lire que M. le ministre de l'intérieur a eu raison de dire dans l'exposé des motifs:
« On peut soutenir sans crainte d'être démenti que le système des jurys combinés est condamné par les professeurs qui l'ont pratiqué depuis cinq années. Leur témoignage confirme l'existence des griefs signalés et qui sont inhérents au principe de l'institution. »
Quand des hommes aussi éclairés, aussi compétents que les honorables (page 530) professeurs qui composent le conseil académique de l'université de Liège se prononcent avec une telle énergie contre le système des jurys combinés, je vous avoue qu'il me serait impossible de contribuer par mon vote à en prolonger encore l'existence.
Les modifications que l’honorable M. de La Coste propose d'y apporter ne remédient en aucune manière aux inconvénients signalés ; ces modifications sont en outre entachées d'un vice radical, en ce que l'accord des deux universités libres suffirait pour l'octroi des diplômes.
La proposition de M. de La Coste est au fond la même que la proposition retirée de M. Orts. Ce que l'honorable M. Orts proposait pour l'université de Bruxelles et pour l'université de Louvain prises isolément, l'honorable M. de La Coste le demande pour les deux universités réunies.
Il y a au fond des deux propositions une abdication de la puissance publique en faveur d'établissements dont l'enseignement n'est soumis à aucun contrôle ; jamais je ne consentirai à une pareille abdication.
En 1849, la Chambre tout en autorisant le gouvernement à faire l'essai des jurys combinés n'a pas repoussé le jury central ; l'article 40 de la loi de 1849 est rédigé de manière à laisser au gouvernement une grande latitude pour la composition du jury ; deux conditions seulement lui sont imposées, l'égalité numérique entre les professeurs des établissements d'enseignement de l'Etat et ceux de l'enseignement privé et le choix du président en dehors du corps enseignant.
Dans ces limites le gouvernement peut se mouvoir librement, il peut faire un choix entre les divers systèmes.
Pour renoncer aux jurys combinés et revenir au jury central, le gouvernement n'avait donc pas besoin de modifications à l’article 40 de la loi de 1849, il trouvait dans cet article les pouvoirs suffisants pour atteindre son but.
Mais, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur dans l'exposé des motifs, il a voulu restreindre la prérogative du gouvernement, il a voulu, pour donner plus de garantie à la liberté de l’enseignement, faire régler par la loi même ce qui précédemment était réglé par voie administrative.
On peut se demander si M. le ministre n'a pas eu en vue, en proposant ce changement, d'assimiler par la loi les universités libres aux universités de l'Etat, de leur conférer des droits légaux et d'en faire ainsi des établissements privilégiés. C'est là un but que quelques partisans des universités libres poursuivent depuis longtemps et qu'ils sont peut-être sur le point d'atteindre ; mais j'y ai toujours été et j'y serai toujours opposé, parce que la vraie liberté ne peut croître à l'ombre du privilège.
Si le système du jury central était adopté par la Chambre, je consentirais à inscrire dans la loi la formule de 1849, c'est à-dire la formule de l'égalité numérique entre les professeurs de l'Etat et ceux de l’enseignement privé ; mais non à y inscrire les deux universités libres pour leur conférer des droits. Remarquez bien que je ne demande pas non plus que les deux universités de l'Etat y soient inscrites. Je ne veux de privilège pour aucun établissement.
En ce qui concerne la nomination du président en dehors du corps enseignant, j'adhère entièrement à l'opinion qui a été émise hier par l'honorable M. Devaux. Les raisons que l'honorable membre a fait valoir à l'appui de son opinion ont dû faire impression sur vos esprits ; je ne pourrais que les affaiblir en les reproduisant.
Si j'indique, messieurs, quelques-unes des conditions sans lesquelles le jury central serait pour moi une œuvre de parti, ou du moins pourrait être considéré comme une œuvre de parti, ce n'est pas que je sois pour le rétablissement de ce jury. Outre l’inconvénient d'isoler l'élève du professeur, il a le ton grave, qui lui est commun avec le jury combiné, de faire aux professeurs des universités une position extrêmement fausse, de leur donner une mission qui les constitue à la fois juges dans leur propre cause et dans celle de leurs concurrents. On leur rend ainsi l'impartialité bien difficile, pour ne pas dire impossible. Et cependant, l’impartialité est dans un jury la plus désirable, la plus nécessaire.
D'accord avec le conseil académique de l'université de Liège et avec l'honorable M. Frère, je suis devenu partisan du jury professionnel. Je vais même plus loin que le conseil académique de l'université de Liége, plus loin que l'honorable M. Frère. Le conseil académique de l'université de Liège voudrait que l'on ne pût se présenter devant le jury professionnel que muni d'un diplôme universitaire. L'honorable M. Fière ne va pas jusqu'à exiger un diplôme universitaire, il se contente de certificats. En l'absence de diplômes ou de certificats valables, on devrait se présenter devant un jury scientifique spécial.
Je n’exigerais, moi, ni diplôme, ni certificats, je donnerais pour mission au jury professionnel de rechercher non où l'on a étudié, non comment on a étudié, ce qui importe fort peu sous le régime de la liberté d’enseignement, mais si l'on en sait assez pour pouvoir exercer sans danger certaines professions pour lesquelles on croit devoir réclamer des garanties. De ceux qui se destinent à l'exercice de ces professions, la société a le droit d'exiger qu'ils soient suffisamment aptes et non qu'ils soient plus ou moins savants.
On me dira, ce qu'on a dit aussi à l'honorable M. Frère, que dans ce système le niveau des études sera considérablement abaissé. Cela ne m'est nullement démontré. Les parents qui ont quelque prévoyance, et il y en a en Belgique plus qu'on ne pense, comprendraient et feraient comprendre à leurs fils, qu'il ne suffit pas d'être admis à l'exercice d'une profession, que l'essentiel est d'avoir des clients. Or, il est évident que ceux qui se présenteraient au public, après avoir passé l'examen professionnel, avec un diplôme obtenu dans une université connue, dans un établissement connu inspirant la confiance, auraient en général (je ne parle pas des exceptions) beaucoup plus de chances de succès que ceux qui ne pourraient invoquer en leur faveur que l'examen professionnel.
La plupart de ceux qui se destineraient à l'exercice de ces professions voudraient donc obtenir des diplômes. Les professeurs des universités redevenues entièrement libres, ne se trouvant plus sous la contrainte des jurys d'examen, pourraient donner à leurs leçons un caractère plus élevé et plus attrayant qui raviverait le goût des études.
Il y aurait peut-être un certain nombre de médecins, un certain nombre d'avocats qui ne seraient que des praticiens. Nous en avons aujourd'hui qui ne sont rien du tout. Mais nous aurions en compensation un peu plus de savants médecins et de profonds jurisconsultes qui feraient honneur au pays. Où serait le mal ?
Je crois, messieurs, que le système que je viens d'indiquer est le plus conforme aux vrais intérêts de la société, de la science et de la liberté. Je reconnais néanmoins qu'il n'a pas de chances d'être accueilli en ce moment par la Chambre.
La Chambre, comme l'a dit hier l'honorable M. Dechamps, est fatalement condamnée à faire encore quelque chose d'éphémère et de provisoire, à opter entre le jury combiné et le jury central, c'est-à-dire entre deux maux. Lorsque la Chambre aura fait son choix, lorsqu'elle se sera prononcée pour l'un ou l'autre de ces deux systèmes, nous aurons à nous occuper des questions de détail. Je tâcherai pour ma part de les résoudre dans le sens indiqué hier par l'honorable M. Devaux ; je tâcherai d'être avant tout équitable et impartial.
M. de Naeyer. - La parole est à M. Frère.
M. Frère-Orban. - J'y renonce.
M. de Haerne. - Mon intention n'est pas de prolonger ces débats, quoique cependant, à mon avis, on puisse dire qu'ils ont eu plus d'un côté utile.
Et d'abord, messieurs, nous devons le dire, dans cette discussion, malgré la grande diversité d'opinions, et même j'ose le dire, à cause de cette diversité qui se manifeste sur tous les bancs à peu près de la même manière, il y a quelque chose de patriotique ; car on peut dire que toutes les opinions fout abstraction de toute idée politique, de tout ce qui pourrait avoir l'ombre de l'esprit de parti.
C'est, messieurs, qu'on comprend sur tous les bancs de cette Chambre, qu'il y a ici un grand intérêt national en jeu, l'intérêt de la science qui doit faire battre tous les cœurs patriotiques, parce que chez les nations en général et surtout chez une petite nation, la science doit être un des principaux moyens d'arriver à la distinction dans le monde. Les petites nations ne peuvent guère briller que par les conquêtes pacifiques de l'intelligence.
Messieurs, on a, dans cette longue discussion, exposé tous les systèmes possibles en matière de jurys d'examen. Les débats ont roulé presque exclusivement jusqu'ici sur la composition de ce jury. On a procédé par catégories, par divisions et subdivisions.
Je n'énumérerai pas tous les systèmes qui ont été débattus devant vous. Je tâcherai de m'attacher à quelques principes généraux afin d'exposer mon opinion à la Chambre et au pays, et d'indiquer le principe de tendance qui me servira de guide dans les diverses dispositions de la loi.
D'abord, messieurs, je me hâte de dire que, comme système de tendance, je ne suis pas éloigné d’adhérer à la manière de voir qui vient de vous être exposée par l'honorable M. Delfosse.
Je crois, messieurs, que le jury professionnel, tel qu'il a été développé par l'honorable M. Frère, et tel qu'il vient d'être défini par l'honorable M. Delfosse, a des chances de succès dans l'avenir, sauf le mode d'organisation, sur lequel je fais mes réserves.
D'un autre côté, je crois aussi que, sous plus d'un rapport, la question n'est pas mûre et que ce jury ne peut pas recevoir en ce moment d'application pratiqué.
Il est vrai qu'on a invoqué en faveur de ce système, l'exemple de l'Angleterre, exemple très séduisant, je l'avoue ; mais permettez-moi, messieurs, de faire une réflexion à ce sujet, réflexion qui me paraît fondamentale en ce qu'elle établit une différence notable entre le système anglais et celui que nous pourrions introduire en Belgique, eu égard à nos institutions, à nos mœurs et surtout à la jeunesse de la nation.
En Angleterre on ne connaît que le jury professionnel et encore, je dois le dire, ce jury professionnel n'est pas obligatoire dans les diverses parties du pays : mais quelle est la grande objection qui a toujours été faite dans cette Chambre et dans les sections lorsqu'il s'est agi du jury professionnel ? Je me rappelle que lorsqu'il en a été question pour la première fois, j'hésitais et je n'osais pas me prononcer quoique ce système me parût séduisant ; des objections furent faites et principalement au point de vue de la science, objections qui certes ne peuvent pas être négligées dans l'état actuel des choses et de la disposition des esprits en Belgique.
Ce danger, au point de vue de la science, se présente-t-il en Angleterre ? Non, messieurs, et voilà précisément la grande différence que l'on remarque entre le système anglais et le système tel qu'il fonctionnerait en Belgique.
(page 531) Pourquoi le système n'offre-t-il pas en Angleterre les dangers qu'il présenterait nécessairement et pendant bien longtemps encore en Belgique ? C'est parce que le système anglais a ses racines dans les traditions les plus antiques.
Le système anglais tient à des corporations ; ces corporations sont organisées depuis longtemps et ont su introduire au sein des universités, qu'on appelle collèges, une forte discipline ; c'est une garantie pour les fortes études, garantie qui repose, en général, sur l'idée religieuse et qui tend surtout à fortifier la moralité parmi les élèves. Les universités britanniques sont tenues comme nos meilleurs collèges. Il est vrai que nous n'avons à envisager ici que le côté scientifique de la question ; mais remarquez bien que la discipline n'est pas étrangère au progrès des études ; tous ceux qui ont des idées pratiques en cette matière doivent le reconnaître, car lorsque dans les établissements d'instruction l'on s'occupe de toutes choses, de omni re scibili ac quibusdam aliis, lorsqu'on s'y occupe de politique, d'art et de plaisirs, on néglige d'ordinaire les grandes études scientifiques, on n'a pas l'amour de la science, on ne se livre pas au culte de la science qui règne en Angleterre.
Qu'a-t-on vu en Belgique depuis notre émancipation politique ? Toutes sortes de systèmes se substituant les uns aux autres et jetant la jeunesse dans une incertitude complète, abandonnant en quelque sorte les élèves au hasard quant à l'avenir de leurs études et quant au succès qu'ils désirent remporter devant le jury.
Sous ce rapport, il n'y a donc pour le moment, et il n'y aura encore de bien longtemps rien de semblable entre le système, tel qu'il fonctionnerait en Belgique, et le système tel qu’il est pratiqué eu Angleterre. Je ne désespère pas cependant de voir un jour la Belgique entrer, sinon dans le système anglais, du moins dans un système qui donnerait des garanties pour ce que j'appellerai la discipline scientifique des universités.
Par l'association on peut arriver à établir un système d'encouragement et d'émulation pour les études, système qui pourrait produire, chez nous, les effets que produit le régime anglais. On étudierait la science pour la science et non pour les examens, comme on le fait aujourd'hui.
Jusque-là, je crois qu'il y aurait un grand danger, au point de vue du progrès scientifique, à adopter le système préconisé et développé par plusieurs préopinants.
Toutefois, on peut se le proposer comme but ou comme principe de tendance en y entrant en partie par la simplification des examens et des matières.
Dans cet état de choses, quel est, parmi les jurys proposés, celui auquel nous devons nous rallier ? Je n’avancerai rien d'extraordinaire en disant que j'hésite comme la plupart des orateurs qui ont pris part aux débats jusqu'ici ; je crois même, ainsi qu'on l'a déjà dit, que de guerre lasse nous finirons par maintenir encore pendant quelque temps le statu quo.
Permettez-moi d'ajouter quelques mots relativement aux inconvénients plus ou moins graves que présentent quelques-uns de ces systèmes de jurys.
On a critiqué le système du jury central qui a fonctionné à partir de 1835 ; on y a vu le grand inconvénient du principe politique. Il faut reconnaître sans doute dans le jury de 1835 la possibilité des inconvénients qu'on a signalés. Mais je crois qu'on a exagéré la chose, en ce sens qu'on n'a pas tenu assez compte de la pondération qui s'établissait par le consentement tacite qui existait entre les deux Chambres d'un côté et le gouvernement de l'autre. Il était admis tacitement que lorsque la Chambre et le Sénat penchaient trop d'un côté, le gouvernement devait rétablir l'équilibre.
Quoi qu'il en soit, des abus étaient possibles dans ce système ; mais dans le système du jury central, dans lequel le gouvernement aurait la prépondérance, quant aux nominations vous auriez la possibilité des mêmes abus ; en effet, le ministère est l'émanation de la majorité de la législature, et du moment que vous supposez de la partialité politique à la majorité des Chambres, vous devez en supposer au ministère ; vous n’évitez pas dès lors l'inconvénient qu'on a signalé en attribuant au ministère un pouvoir qui dans le principe était dévolu aux Chambres.
Le système du jury central a eu et a encore des partisans très prononcés, et je crois qu'au point de vue de la science il présente des avantages qu'on ne trouve pas dans les jurys combinés.
Quels sont les inconvénients qu'on a signalés par rapport aux jurys combinés ? C'est qu'il est très facile, dans ces jurys, d'arriver à des coalitions pour faciliter l'admission des élèves.
Enfin, ces jurys d'après les critiques qui en ont été faites ne présentent pas pour la science les garanties qu'on est en droit d'exiger. C'est' l'inconvénient principal qu'où reprochait aux jurys combinés ; or, je dois avouer que pour ce qui regarde la collation des grades académiques, cet inconvénient a été réel.
Mais entre le système du jury combiné et central, d'un côté, et le système du jury professionnel de l'autre, on doit chercher un système qui obvie aux abus, du moins autant que possible ; et ici j'abonde dans le sens de l'honorable M. Devaux ; je dis avec cet honorable membre que j'adopterai soit un jury centrai, soit un jury combiné, pourvu qu'il écarte les inconvénients qui ont été signalés précédemment.
Quels sont ces inconvénients ? Le premier inconvénient se présentait au point de vue de l'égalité qui doit exister entre les établissements de l'Etat et les établissements libres. Le second inconvénient résultait de ce que l'élève n'était pas interrogé par son professeur ; le troisième inconvénient tenait à ce qu'il n'y avait pas assez de garanties pour les études extra-universitaires.
Pour éviter ces inconvénients, on a parlé d'un système nouveau, de celui qui a été formulé par l'honorable M. de La Coste ; si toute possibilité d'abus ne disparaît pas dans ce système, on peut au moins soutenir que les abus y sont moins à craindre que dans les deux autres. Il s'agit surtout des inconvénients, au point de vue de la coalition qui pourrait exister pour faciliter l'admission des élèves.
Dans les jurys combinés, des coalitions étaient réellement à craindre, puisque vous n'aviez que deux intérêts en présence, avec le seul contrôle du président. L'abus est donc ici beaucoup plus à craindre que lorsque vous avez le contrôle de trois établissements et du président en sus, tandis que dans le système des jurys combinés, le contrôle ne se rapporte qu'à un seul élément contraire, plus le président.
Messieurs, permettez-moi de vous présenter à ce sujet une observation pratique. J'ai fait partie d'un jury combiné pour le grave d'élève universitaire. Ce jury n'était pas combiné comme ceux qui étaient établis pour les grades académiques.
Dans le jury d'élève universitaire, il y avait deux professeurs appartenant à l'enseignement de l'Etat, deux professeurs appartenant à l'enseignement libre, deux membres et un président nommés en dehors de tout enseignement. A la rigueur, la coalition était possible, car si les quatre professeurs appartenant soit à l'enseignement de l'Etat, soit à l'enseignement privé, avaient voulu s'entendre, ils auraient été 4 contre 3 ; l'abus était donc possible ; mais il y avait le contrôle des deux membres pris en dehors de l'enseignement, plus le contrôle du président ; vous comprenez très bien que, dans la pratique, la coalition devient beaucoup plus difficile que s'il n'y avait que deux établissements en présence, sans autre contrôle que celui du président.
On parle de coalition comme si elle pouvait se faire en tout état de cause et quel que soit le résultat de l'examen.
Cette coalition peut s'établir plus ou moins quand l'élève a satisfait à peu près à l'examen ; mais quand il a laissé beaucoup à désirer, la coalition est moralement impossible en présence d'un contrôle comme celui que je viens d'indiquer pour le grade d'élève universitaire.
Quant à l'adjonction des deux membres pris en dehors des établissements d'instruction pour le grade d'élève universitaire, je ne dis pas qu'elle était exempte d'inconvénient, car un inconvénient de ce mode de formation du jury est que sur sept membres il y en avait cinq nommés par le gouvernement et plus ou moins intéressés à la prospérité des établissements de l'Etat, contre deux membres appartenant aux établissements libres.
C'était là un inconvénient réel. Mais ici j'appelle seulement votre attention sur le contrôle pris en lui-même et qui pouvait être efficace par suite de l'adjonction des deux membres pris en dehors de l'instruction.
Il y avait des éléments divers qui pouvaient se contrôler, ce qui n'existait pas au même degré dans le jury combiné, établi pour la collation des grades académiques.
Il existe une différence semblable entre le système de M. de La Coste et celui du jury combiné qu'on a voulu faire prévaloir, contre l'avis de l'honorable membre.
Ce n'est pas que je veuille dire que la proposition de l'honorable M. de La Coste ne présente aucun inconvénient.
Je dirai avec l'honorable M. Devaux que j'y trouve un inconvénient en ce sens que cette proposition ne tient pas assez compte des éludes extra-universitaires ; il n'y a pas une égalité absolue entre les élevés universitaires et les élèves extra-universitaires ; ceux-ci sont dans un état d'infériorité vis-à-vis des élèves appartenant aux universités de l'Etat ou aux universités libres.
L'honorable auteur de la proposition me dit : « On en est content. » Je l'admets. Mais je trouve un autre inconvénient que voici. Du moment que vous admettez cette inégalité en principe, ne croyez-vous pas qu'il y a un danger quant à l'inégalité qu'on pourrait admettre entre les universités de l'Etat et les universités libres ? Car si en principe vous admettez qu'il peut y avoir inégalité entre les élevés extra-universitaires el les élèves universitaires, par voie de conséquence, on est autorisé à admettre une inégalité quelconque entre les diverses catégories d'universités, entre les universités libres et les universités de l'Etat ; la logique pourrait aller jusque-là.
Pour remédier à cet inconvénient, on établit à côté du jury où sont représentées les universités libres et officielles, un jury spécial pour les élèves extra universitaires.
Messieurs, en établissant un jury spécial...
M. de Haerne. - Le jury central ?
M. de Haerne. - Dans la deuxième partie, l'honorable M. de La Coste propose, je le sais, un jury spécial ou central, en le composant d'une manière convenable pour rétablir l'égalité. L'inégalité disparaît en grande partie ; mais il reste toujours un certain inconvénient en ce que les élèves extra-universitaires, en se trouvant en présence de professeurs également extra-universitaires, ne se trouvant pas pour cela devant leurs propres professeurs, tandis que les élèves universitaires sont sûrs d’être placés devant leurs professeurs à eux. Le mal existe, mais le mal est considérablement atténué.
(page 532) Voilà pourquoi je crois que, tout bien considéré, nous pourrions donner la préférence au système de M. de La Coste ; car, quoi qu'on doive reconnaître qu'il n'écarte pas tous les inconvénients, on peut dire aussi que c'est celui qui en présente le moins.
Puisqu'on ne peut atteindre la perfection, il faut s'attacher à ce qui est le moins imparfait.
Comme on l'a déjà dit, le système qui sortira de cette discussion sera encore du provisoire ; mais dans un avenir plus ou moins éloigné on pourra arriver à un système analogue à celui formulé par l'honorable M. Frère, qui a été défendu par d'autres membres, et, en dernier lieu, par M. Delfosse, sauf à s'entendre sur les divergences qui existent entre les divers partisans de ce système.
Messieurs, on a dit dans une séance précédente que la science est à peu près la même dans les divers temps, que la Providence fait surgir le même nombre de génies quand les besoins de la société les appellent ; c'est là une loi que je reconnais, mais une loi qui n'est pas fatale et à laquelle doit concourir la libre intelligence prise collectivement dans les nations ou isolément dans les individus.
Ce n'est pas une loi physique comme celle qui préside aux phénomènes météorologiques, mais une loi qui dépend du libre arbitre du génie national ou individuel.
C'est pourquoi nous ne pouvons pas nous abstenir ni être indifférents en pareille matière.
Nous devons au contraire stimuler le génie national pour lui faire produire tout ce qui est possible dans l'intérêt de la nation. En relevant le niveau des études, on répand la lumière chez un plus grand nombre d'individus et l'on a plus de chances de faire naître des génies qui font honneur au pays.
La liberté qui produit la concurrence et l'émulation est un grand stimulant pour atteindre ce but, et la nation belge peut aspirer à se distinguer sous ce rapport et à faire envier son sort par d'autres qui sont plus grandes et plus puissantes. C'est une de ses plus nobles prérogatives. Une bonne loi du jury qui fonctionne au gré de tout le monde, qui donne des garanties à la liberté et à la science est selon moi le meilleur moyen d'atteindre ce but.
J'ai exposé mes idées, j'attendrai la discussion pour voir jusqu'à quel point j'aurai à les modifier, car dans le labyrinthe où nous sommes engagés, il est difficile de saisir le fil qui doit nous conduire.
Toutefois une chose me paraît arrêtée, c'est qu'il faut faire un pas vers le système du jury professionnel, en réduisant les examens et les matières qui en font l'objet.
M. de Naeyer. - M. de Brouckere vient de faire parvenir au bureau l'amendement suivant :
« L'article 40 de la loi du 15 juillet 1849 est prorogé pour trois ans. »
Il a la parole pour développer cet amendement.
M. de Brouckere. - Je le développerai en très peu de mots.
De nombreux systèmes pour la composition des jurys d'examen ont surgi successivement. Mais je ne crois pas m'aventurer trop, en disant que les auteurs de ces différents systèmes doutent eux-mêmes de leur supériorité ou au moins de leur opportunité.
Pourquoi sur une pareille matière cette grande divergence d'opinions et ce singulier manque de confiance ? C'est que nous cherchons la solution d'un problème insoluble.
En effet, nous voulons un jury qui sauvegarde en même temps les intérêts de la liberté et les intérêts de la science, qui empêche les coalitions des professeurs, soit au profit, soit au préjudice des établissements ou des élèves, qui établisse l'égalité entre les universités de l'Etat et les établissements libres, enfin qui donne des garanties suffisantes à l'enseignement privé. Eh bien, nous ne trouverons pas une institution qui offre à la fois toutes ces garanties d'une manière complète.
Mais de tous les systèmes, celui qui, selon moi, est le meilleur, ou, pour m'expliquer plus modestement, celui qui est le moins mauvais, c'est celui qui a été pratiqué pendant ces huit dernières années.
Mais, dit-on, d'où vient, si ce système n'est pas aussi mauvais qu'on le prétend, d'où vient qu'il a été si violemment attaqué par des hommes de savoir et d'expérience ? Pourquoi ? Précisément parce que le système n'était pas parfait, je l'ai toujours reconnu moi-même, et puis encore parce qu'il n'avait été établi que provisoirement, et que cet état provisoire était une espèce d'appel à toutes les critiques, à toutes les censures, à toutes les innovations.
Mais décrétez aujourd'hui un système nouveau, et il ne faudra pas un an pour que vous ayez contre ce système des critiques plus sévères, des censures plus amères et une foule de propositions nouvelles.
Il est si facile de constater, de signaler les défauts d'une institution qui a fonctionné pendant un certain nombre d'années. Mais on ne reconnaît pas aussi facilement les inconvénients et les vices même que présentera un système qui n'est encore formulé que sur le papier.
Je ne suis pas partisan du provisoire : je l'ai déjà dit dans une séance précédente. Mais enfin, puisqu'il nous est impossible de faire du définitif, puisque la grande majorité des membres de la Chambre paraît disposée à faire du provisoire, je me rallie à cette opinion et je demande que l'article 40 de la loi du 15 juillet 1849 soit prorogé pour trois ans.
Que la Chambre me permette de lui en donner lecture.
Il est ainsi conçu :
« Art. 40. Le gouvernement procède à la formation des jurys chargés des examens, et prend les mesures réglementaires que leur organisation nécessite. Cette disposition n'aura d'effet que pour trois ans. Le gouvernement compose chaque jury d'examen, de telle sorte que les professeurs de l'enseignement dirigé ou subsidié par l'Etat et ceux de l'enseignement privé y soient appelés en nombre égal. Le président du jury est choisi en dehors du corps enseignant. Toute personne peut se présenter aux examens et obtenir des grades, sans distinction du lieu où elle a étudié et de la manière dont elle a fait ses études. »
Je vous ai donné lecture de cet article pour vous montrer que s'il est prorogé pour trois années, comme je le demande, le gouvernement ne sera pas astreint à maintenir l'état de choses actuel, sans y faire aucune modification.
L'article est rédigé de telle manière qu'une latitude très grande est laissée au gouvernement. Seulement on lui impose l'obligation de maintenir un équilibre complet. Mais cet équilibre étant maintenu, le gouvernement a toute latitude pour introduire dans la composition du jury les amendements que lui aura inspirés la longue discussion dont j'espère que nous sommes à la veille de sortir.
M. Tesch. - Je suis disposé à accepter l'amendement présenté par l’honorable M. de Brouckere. Si je savais qu'il dût être adopté, je renoncerais à la parole pour ne pas prolonger un débat déjà très fatigant. Mais comme il est possible que nous devions voter sur les différentes dispositions du projet de loi et sur les amendements qui s'y rattachent, je désire motiver en quelques mots les votes que j'émettrai.
Pas plus que l'honorable M. Delfosse je n'admets la formule qui est proposée par le gouvernement et par la section centrale, pour la composition du jury.
D'après cette formule deux professeurs de chaque université libre devraient de par la loi entrer dans le jury.
Les universités libres sont des associations, des corporations qui n'ont aucune existence légale, et pour moi je ne comprends pas pourquoi la loi leur donnerait aujourd'hui et indirectement cette existence légale qui leur manque. Ce sont des corporations, comme tant d'autres répandues sur toute la surface du royaume. Leur inscrire un droit dans la loi, ce serait faire un pas vers la personnification civile que je leur contesterai toujours.
On a, messieurs, dans cette enceinte et à plusieurs reprises, discuté la question de l'intervention du clergé à titre d'autorité dans l'enseignement.
La question qui se présente aujourd'hui est identiquement la même et j'espère que ceux qui ont, dans le temps, contesté au clergé son intervention à titre d'autorité, s'opposeront également à l'intervention de l'université de Bruxelles et de l'université de Louvain, à titre d'autorités, dans la formation du jury d'examen.
Ces motifs sont même peut-être plus forts dans l'espèce. La Constitution s'est occupée du clergé, elle lui a assuré une dotation, elle ne s'est pas occupée le moins du monde ni de l'université libre de Bruxelles, ni de l'université de Louvain.
Du reste, quel est l'argument, et l'argument capital que l'on a toujours opposé lorsqu'il s'est agi d'introduire dans la loi un cours religieux obligatoire, qui entraînait l'intervention du clergé à titre d'autorité ?
Ou a toujours dit qu'il pouvait devenir impossible de faire exécuter la loi, que si le clergé refusait de venir dans l'établissement, la disposition serait illusoire. On a toujours soutenu que le gouvernement n'avait aucun moyen d'assurer l'exécution de la loi.
Eh bien, je me demande si dans cette occasion le gouvernement a davantage les moyens de faire exécuter la loi ? S'il convient soit à l'université de Bruxelles, soit à l'université de Louvain de ne pas vouloir l'exécuter ; s'il convient à l'université de Bruxelles de ne pas déléguer les professeurs ; s'il convient à l'université de Louvain de ne pas intervenir dans la formation du jury, je demande comment la loi sera exécutée ? Le gouvernement n'a aucune espèce d'action ni sur l'université de Bruxelles, ni sur l'université de Louvain. Toute la loi que vous allez voter aujourd’hui sera demain une lettre morte, si l'un ou l'autre de ces établissements sur lesquels le gouvernement n'a aucune espèce d'action, refuse de concourir à la formation du jury.
Lorsqu'il s'agissait de l'intervention du clergé dans l'enseignement, on pouvait dire qu'en cas d'abstention du clergé, un seul cours ne serait pas donné ; ici ce sera toute la loi, la loi au moins qui ne recevra aucune espèce d'exécution. Car si la loi passe telle quelle est présentée et que l'université de Bruxelles ou que l'université de Louvain ne veuille pas répondre à l'appel qui lui est fait, vous n'aurez plus de jury.
M. Van Overloop. - On en fera une nouvelle.
M. Tesch. - De sorte que la législature et la loi qu'elle vote vont dépendre de la volonté ou du caprice de l'un ou l'autre établissement libre.
M. Van Overloop. - Ou d'une université de l'Etat.
M. Tesch. - Cela n'est pas admissible. Si un professeur de l'université de l'Etat refuse, le gouvernement le destitue et en nomme un autre, et c'est ce qu'il ne peut faire ni vis-à-vis de l'université de Bruxelles ni vis-à-vis de l'université de Louvain.
M. de Mérode. - Il n'y a pas besoin de destitution. Les universités libres exécuteront la loi.
(page 533) M. Frère-Orban. - Cela n'est pas certain. Si l'on adoptait un système qui ne convînt pas à l'un de ces établissements il est évident que celui-ci refuserait de concourir à l'application de ce système.
M. Tesch. - Messieurs, ce que l'on propose n'est pas admissible en droit. On ne peut inscrire dans la loi des droits en faveur d'une corporation qui, vis-à-vis la loi, n'a aucune espèce d'existence et sur laquelle le gouvernement n'a aucune espèce d'action, qui, vis-à-vis de l'Etat, n'a aucune obligation !
Maintenant et en fait je ne veux pas imposer au gouvernement l'obligation de prendre per fas et nefas dans les universités libres des membres du jury. Il est très possible et j'admets très volontiers que le personnel actuel des universités libres soit très convenable, qu'aujourd'hui on puisse y trouver des professeurs qui seraient parfaitement placés dans le jury d'examen. Mais il ne m'est pas démontré qu'il en sera toujours ainsi ; il ne m'est pas démontré que le gouvernement trouvera toujours dans l'une et l'autre université libre dans un certain nombre d'années des professeurs convenables pour ta composition du jury.
Ainsi si, comme on le reprochait naguère à un établissement, une université libre déployait le drapeau de l'impiété, si de toutes les manières possibles elle s'opposait à l'influence du principe religieux, si elle n'était que l'émanation d'une société secrète qui se cache dans l'ombre et se couvre de mystère, il est évident que le gouvernement aurait tort et grand tort d'aller y chercher ses professeurs pour former les jurys d'examen. Je dirai même qu'il manquerait à sa mission s'il le faisait, et je ne veux pas imposer au gouvernement l'obligation de faire de semblables choix.
Messieurs, les principes que je défends ici ont été défendus dans le temps par un honorable membre du cabinet, par l'honorable comte Vilain XIIII. L'honorable comte Vilain XIIII, en 1844, par les motifs que je viens d'exposer, a combattu très vigoureusement une formule tout à fait semblable à celle qui est proposée aujourd’hui. Elle a été repoussée à cette époque et j'espère qu'elle le sera encore.
Ainsi, messieurs, quant à la formule elle-même, je n'en veux pas. Quant au fond, cet article ne sauvegarde en rien la liberté de ceux qui feront des études privées, ni de ceux qui font des études dans des universités étrangères.
Il est évident que dans le jury, tel qu'il est composé par le gouvernement et tel qu'il est composé par la section centrale, il n'y a aucune garantie pour ceux qui font des études chez eux ou qui les font dans les universités étrangères.
Or, il faut pour ceux-là des garanties comme pour ceux qui fréquentent une université belge, que cette université soit une université libre ou qu'elle soit une université de l'Etat.
Il y a, messieurs, entre le projet du gouvernement et le projet de la section centrale, quant à la composition du jury, cette différence que, dans le système du gouvernement, le neuvième membre serait choisi dans l'enseignement libre, tandis que, d'après le système de la section centrale, il serait un président nommé par le gouvernement. Sous ce rapport je n'hésiterais pas à donner la préférence au système de la section centrale.
Le neuvième membre pris dans l'enseignement libre donnant la majorité à l'enseignement libre contre les universités de l'Etat, les universités de l’Etat seraient dans un état d'infériorité vis-à-vis de l'enseignement libre, et je trouve qu'on favorise beaucoup trop la concurrence que les établissements libres font aux universités de l'État.
D'un autre côté, faire nommer le président par le jury lui-même, c'est immédiatement introduire des rivalités dans ce corps ; c'est s'exposer à détruire la bonne entente, la bonne harmonie qui doit exister dans le jury, et cela pour une question d'amour-propre.
Quant aux certificats, je les repousse par les raisons que j'ai données tantôt, que je n'admets pas que des gens sans autorité, sur lesquels le gouvernement n'a pas d'action, puissent délivrer des actes, des pièces que l'Etat ou ses délégués doivent respecter. Que l'on se borne à un examen sommaire sur ces matières, que l'on fasse un examen par écrit, je le concède ; que l'examen ne soit pas aussi approfondi que sur les matières principales, je le veux bien. Mais je n'accepte pas dans la loi une disposition qui déclare que le premier professeur venu d'une université puisse délivrer des certificats sans lesquels il est en quelque sorte impossible d'être admis à l'examen.
Je sais que l'on me dira que celui qui ne produira pus ces certificats pourra être soumis à un examen, et que le jury décidera de la validité des certificats. Mais le jury sera composé des personnes qui ont délivré les certificats ou des collègues de ceux qui les ont délivrés. Or d'un côté ces certificats ne m'offrent aucune garantie et, de l'autre, je crains que ceux qui n'en auront pas ne seront pas jugés avec impartialité.
Je dirai un mot du système de l'honorable M. de La Coste.
Pour moi ce système n'aboutira à autre chose qu'à une grande fabrication de diplômes ; ce sera une fabrique de docteurs de toute espèce ; je n'admets pas un système pareil. Je ne vois pas qu'il y ait utilité pour la société à avoir un trop grand nombre de docteurs en droit, de docteurs en médecine, de docteurs en science qui n'auront rien à faire. Je préfère qu'il y ait plutôt des difficultés à obtenir un diplôme que de trop grandes facilités.
Le système de l'honorable M. de La Coste donne toutes les facilités imaginables pour l'obtention des diplômes. On a parlé de coalition ; la proposition de M. de La Coste amènera inévitablement une coalition contre la science, et je n'en veux pas plus que de la coalition contre une université ou de la coalition contre les élèves.
Quant à ce qui concerne le système du jury professionnel, tant qu'il n'aura pas été formulé il sera très difficile de l'apprécier et de s'en expliquer.
L'honorable M. Julliot disait hier que le système présenté par mon honorable ami M. Frère, était une conséquence de la Constitution.
C'est, messieurs, ce que je ne puis pas admettre.
L'honorable M. Julliot a parlé de distractions, je crois que son discours est, sous ce rapport, une très grande distraction ; l'honorable membre méconnaît complètement non seulement les termes de la Constitution,, mais même l'origine de la disposition relative à la liberté de l'enseignement. Sous le roi Guillaume ; l'enseignement était monopolisé, c'est contre ce monopole que l'on s'était élevé, et c'est pour l'éviter dans l'avenir qu'on a inscrit la liberté d'enseignement dans la Constitution ; mais on n'a pas entendu, le moins du monde, dépouiller l'Etat du droit d'enseigner ; au contraire on a inscrit ce droit tout au long dans la Constitution. L'Etat doit avoir un enseignement pour maintenir la science au véritable niveau qu'exige la civilisation du pays.
L'honorable M. Julliot me semble confondre la liberté d'enseignement avec la liberté des professions... (Interruption.) La liberté d'enseignement consiste à aller chercher la science où l'on veut, mais la liberté des professions dont nous nous occupons consiste à attribuer à l'ignorance tous les privilèges de la science. De ce que je suis libre d'aller chercher la science où je veux, il ne s'ensuit nullement que je doive avoir le droit d'exercer toutes les professions, sans que l'Etat exige aucune garantie
Du reste, messieurs, je le répète, il est difficile de s'expliquer sur ce système qui n'a pas été formulé. Je suis d'avis, avec l'honorable M. Frère que s'il ne s'agissait que de délivrer des diplômes d'avocat à ceux qui auront à défendre des questions de murs mitoyens, il y aurait peut-être de grands avantages à accepter son système ; mais quand il s'agit de faire des magistrats et des législateurs, je crois qu'on ne peut pas se contenter d'un diplôme délivré par un jury professionnel. (Interruption.)
Mais il est bon cependant qu'il y ait dans un pays des jurisconsultes et des jurisconsultes éminents. Or, je doute que si vous n'avez qu'un enseignement pratique, un enseignement qui aboutisse exclusivement à un examen professionnel, je doute que vous ayez des hommes qui puissent un jour s'acquitter de la grande mission de faire des lois. Un examen pratique professionnel finira par faire dégénérer l'enseignement en un enseignement pratique professionnel.
Je doute que si on n'avait eu jadis en France qu'un enseignement pratique, nous ayons les admirables Codes que nous avons aujourd'hui. Et si la législature anglaise est un dédale, c'est précisément parce que là il n'y a qu'un enseignement professionnel.
Il y a bien des choses encore auxquelles il faut nécessairement songer avant de trancher une question pareille.
Messieurs je termine. Dans les circonstances actuelles, je ne voterai que pour un jury nommé par le gouvernement en toute liberté, avec cette seule réserve que les représentants des universités de l'Etat ne pourront pas s'y trouver en nombre supérieur à ceux de l'enseignement libre ; pour tout le reste, j'entends laisser au gouvernement toute espèce en liberté, parce que là où il n'y a pas de liberté il n'y a pas de responsabilité !
M. Julliot. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour faire remarquer que l'honorable M. Tesch a interprété quelques mots de mon discours comme cela lui convenait.
Je dirai à mon tour que le discours de l'honorable député du Luxembourg nous place devant un dilemme bien défini et qui fait disparaître tout vague dans cette question.
L'honorable membre dit, en effet, que dans la composition des jurys, on ne peut faire concourir à titre d'autorité les universités libres, que ce sont des corporations comme beaucoup d'autres que la loi ne doit et ne peut connaître, d'où, selon moi, on doit logiquement conclure que ces membres n'ont pas à figurer dans les jurys d'examen comme représentants d'un établissement d'enseignement. Soit ; mais alors on doit reconnaître que les professeurs de l'Etat qui, eux, figureront à titre d'autorité dans le jury, auront implicitement l’enseignement public tout entier entre les mains, c'est le monopole de l'Etat dans toute sa crudité.
Or, une conséquence beaucoup plus naturelle des principes posés par l'honorable M. Tesch, c'est que ceux qui ne veulent pas du monopole de l'Etat en fait d'enseignement et de grades universitaires, doivent admettre que la liberté d'enseignement, telle qu'elle est décrétée, doit nécessairement entraîner la liberté des professions, et c'est le système que j'ai indiqué hier.
M. Rogier. - L'honorable M. Delfosse a mis mon opinion, en ce qui concerne le système actuel des jurys, en présence de celle des professeurs des universités.
Sans prétendre que ce système soit exempt d'inconvénients, j'avais fait remarquer qu'il n'était pas exact de dire que le système actuel était repoussé par tout le monde, qu'il avait reçu, au contraire, l'adhésion, d'abord de la commission des présidents de jurys, en second lieu, celle de la commission spéciale nommée par le département de l'intérieur et où se trouvaient des présidents de jurys et des professeurs d'universités ; enfin, celle du conseil académique de l'université de Liège.
J'avais rappelé l'avis, émis par ce conseil, en 1852, c'est le seul qui (page 534) ait été imprimé ; il paraît que depuis lors une autre opinion a été formulée par MM. les professeurs de l'université de Liège.
Cette dernière opinion invoquée par l'honorable M. Delfosse n'a pas, à ma connaissance, reçu de publicité.
Je reconnais que, même en 1852, les universités de l'Etat n'admettaient qu'en deuxième ligne les jurys combinés. Ce que demandaient avant tout les universités de l'Etat, c'était la collation des grades par les universités elles-mêmes.
Elles ont défendu ce système qui ne s'est pas produit dans cette enceinte, qui n'a été proposé ici par personne, mais qui, je l'ai déjà dit, pourrait être appuyé par des raisons très fortes. A défaut de ce système, l'université de Liège, se prononçait en 1852 pour le maintien du système pratiqué alors et qui a continué à l'être depuis.
J'ajouterai quelques mots pour appuyer la proposition de l'honorable M. de Brouckere.
En dépit de cette longue discussion, il semble qu'aucune des dispositions mises en avant n'a chance d'être adoptée. L'honorable M. Frère n'a pas formulé son système ; si ce système était formulé, déposé, étudié pendant quelque temps, je ne dis pas qu'à la longue il ne puisse avoir des chances d'être adopté.
Mais pour le moment nous avons à faire une loi qui va devenir urgente, pour peu que les débats continuent ; dans la confusion au milieu de laquelle nous nous trouvons, ce qu'il y aurait de mieux à faire, ne serait-ce pas de maintenir et de voter de nouveau le principe déposé dans l'article 40 de la loi de 1849, principe qui laisse en dehors la composition des jurys ? L'article 40 n'impose pas au gouvernement l'obligation de combiner les jurys deux à deux ; il lui laisse une grande latitude ; il exige que l'enseignement de l'Etat ne soit pas privilégié dans la composition du jury ; il prescrit une parfaite égalité entre l'enseignement de l'Etat et l'enseignement privé.
M. le ministre de l'intérieur peut, en vertu de l'article 40, composer les jurys comme il l'entend, sous sa responsabilité. Trouve-t-il que les universités, accouplées deux à deux, ne présentent pas des garanties suffisantes d'impartialité, eh bien, qu'il essaye du jury central, qu'il réunisse les universités à quatre.
Mais il est bien entendu que s'il réunissait les quatre universités en un seul jury, il ne peut se dispenser, sous peine de manquer aux principes de la loi, de créer un jury spécial pour les études extra-universitaires ; il ne peut pas se dispenser non plus de maintenir l'institution des présidents. Je ne comprends pas que le gouvernement soit venu de lui-même renoncer à une garantie essentielle qu'il ne pouvait abandonner, sans manquer en quelque sorte à ses devoirs de gouvernement.
Le président, au sein du jury, c'est l'autorité elle-même, c'est lui qui doit délivrer, au nom de l'Etat, les diplômes réputés nécessaires pour exercer certaines fonctions dans la société. Enlevez le président au jury combiné, l'Etat s'efface et disparaît. Un pareil système n'est pas admissible ; il n'aurait dû, dans aucun cas, être présenté par le gouvernement.
Il faut, dans le jury combiné à 2 ou à 4, une autorité indépendante qui y maintienne l'ordre et l'impartialité, qui fasse respecter la loi, qui empêche les connivences, les coalitions, qui fasse obstacle à ces fâcheux incidents qui, dit-on, se sont présentés quelque fois dans les jurys.
Et, pour le dire en passant, ces conflits entre les professeurs des diverses universités, s'ils ont eu lieu autrefois, ont cessé aujourd'hui. On prétend même que les anciennes collisions ne seraient plus aujourd'hui que des collusions. Du reste, l'inconvénient qu'on dit avoir existé dans les jurys combinés, ne s'était-il plus révélé avec plus d'énergie dans l'ancien jury central ?
M. le ministre de l'intérieur a renoncé à la nomination du président dans son projet de loi ; je dois donc lui faire observer, en appuyant le rétablissement de l'article 40 de la loi de 1849, que cet article impose au gouvernement l'obligation de nommer le président en dehors de l'enseignement.
Je ne doute pas que M. le ministre de l'intérieur ne mette à faire de bons choix le même soin que ses prédécesseurs. Ce choix n'est pas sans difficultés.
On a traité d'une manière très légère ces hauts fonctionnaires. Si je suis bien informé, un des plus honorables de ces présidents, justement offensé des attaques dont il a été l'objet et auxquelles on n'a pas répondu, a fini par donner sa démission.
Il sera de tout temps liés difficile de rencontrer des hommes d'une autorité morale et scientifique assez grande pour remplir convenablement ces hautes et délicates fonctions. Loin de leur jeter du blâme, on devrait, au contraire, leur donner ici des marques de sympathie et de reconnaissance.
Ces présidents appartiennent à ce que la magistrature, les sciences et les lettres présentent de plus considérable dans le pays ; des hommes de cette catégorie sont très rares en Belgique comme partout ailleurs ; il faudrait donc, au lieu de leur marquer de la défiance, il faudrait leur adresser ici des témoignages de gratitude, et les encourager à continuer de remplir cette haute et pénible mission. A mon avis, c'est sur eux que repose l'institution du jury combiné. Retranchez les présidents et le jury n'est plus qu'une véritable anarchie.
Si on laisse les choses comme elles sont aujourd'hui, si on abandonne au gouvernement Je droit de former les jurys conformément aux principes fixés dans la loi, il restera encore à régler les matières des examens. Seront-elles l'objet de dispositions nouvelles ? Supprimera-t-on les examens écrits pour les remplacer par des certificats de fréquentation ? Voilà les questions que nous avons encore à examiner ; mais on aura fait un grand pas, si dès maintenant on tranche la question des jurys.
M. Tesch. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour répondre un' mot à l'honorable M. Julliot. Je ne demande pas qu'on exclue en fait les professeurs des établissements libres ; la seule chose que je demande, c'est qu'aucun droit ne leur soit conféré par la loi. Ils seront appelés en vertu d'un arrêté royal, ils tiendront leur autorité du gouvernement et non de la loi.
M. Delfosse. - L'honorable M. Rogier avait invoqué une opinion émise en 1852 par quelques professeurs de l'université de Liège ; l'opinion que j'ai citée émane du conseil académique, elle a été émise en 1855 après une expérience plus complète. J'ajouterai en réponse à l'honorable M. Rogier que, dans le mémoire adressé en 1855 au gouvernement, le conseil académique, en repoussant le système des jurys combinés, n'a pas revendiqué la collation des grades par les universités de l'Etat seules ; il s'est, comme je le disais tantôt, prononcé pour le jury professionnel, moyennant certaines conditions qui supposent l'égalité entre les deux universités de l'Etat et les deux universités libres.
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, à voir le caractère qu'a pris depuis quelques jours la discussion, je n'ai pas été étonné de voir présenter l'amendement de l'honorable M. de Brouckere. Cependant, si la présentation de cet amendement ne m'étonne pas, j'ai été étonné de la tendance de la discussion à laquelle je fais allusion.
En effet, jusques il y a deux ou trois jours, personne n'avait fait allusion au maintien du système de la loi de 1849. Je ne sache pas qu'il y ait eu dans la section un seul membre qui ait demandé le maintien de la loi de 1849, je n'en vois pas de trace dans le rapport de l'honorable M. de Theux.
Personne ni dans la section centrale, ni dans la Chambre, n'en avait parlé. Au dehors, au point de vue pratique, on ne peut pas contester ce fait, c'est que le système de la loi de 1849 avait été désapprouvé dans ses principaux résultats par toutes les personnes qui l'avaient vu de près. (Interruption.)
Je ne dis pas que le système fût absolument mauvais ; mais les inconvénients qu'il présentait étaient d'une nature telle, que les professeurs, membres des jurys, c'est-à-dire, ceux qui l'avaient vu fonctionner croyaient qu'il était nécessaire de chercher à y substituer un autre système.
Je suis plus étonné encore du revirement vers cette loi, quand je me rappelle les discussions auxquelles elle a donné lieu dans cette enceinte. On a cherché pendant trois semaines, à démontrer que le système proposé en 1849, était inconstitutionnel, qu'il devait amener infailliblement la ruine la plus complète de la liberté d'enseignement en Belgique.
Cela a été dit de bonne foi, j'en suis convaincu ; mais il m'est permis de ne pas comprendre comment, oubliant ces antécédents, on propose aujourd’hui de maintenir ce système si énergiquement condamné, il y a quelques années. Moi-même, je l'avoue, j'ai conservé des doutes quant à la légitimité du principe de la loi de 1849. C'est pour cela que j'ai dit dans l’exposé des motifs de la loi actuelle, que je n'ai pas voulu me rendre responsable de l'organisation du jury par voie administrative, telle que la consacre l'article 40 de la loi de 1849.
C'est quelque chose de si grave, de si sérieux que la conservation intégrale de la liberté d'enseignement, que bien que représentant du gouvernement, j'ai craint de la faire dépendre d'une simple disposition administrative.
J'ai cru que s'il convenait de laisser la nomination du jury au gouvernement, les restrictions nécessaires qu'il faut mettre à l'exercice de ce droit doivent figurer dans la loi même et non pas dans quelques règlements administratifs.
Personne ne peut contester que ces garanties légales valent mieux, dans l'intérêt de la liberté, que toutes les garanties administratives.
Vous venez d'entendre MM. Tesch et Delfosse reproduire l'objection faite en 1849, que stipuler dans la loi même des garanties en faveur des établissements libres, c'est indirectement reconnaître l'existence légale de ces établissements.
Je ne sais quelle date assigner à cette objection, mais ce que je sais, c'est que pendant vingt ans cette objection n'est venue à l'esprit de personne.
En 1835 la plupart des orateurs qui ont fait des propositions, regardaient comme toute naturelle l'intervention légale des établissements libres dans la formation des jurys. Un amendement proposé par l'honorable M. Devaux impliquait cette intervention légale.
MM. de Brouckere et Gendebien, dans une proposition qu'ils ont émise et défendue, reconnaissaient dans la loi l'existence des établissements libres. Bien loin de trouver aucun inconvénient, au point de vue constitutionnel, à ce que, dans la loi même, il en fût fait mention, ils trouvaient que cela était tout naturel, puisque c’était à cause de ces établissements libres qu'il fallait établir des jurys.
Oui, disaient-ils, nous reconnaissions si bien l'existence de ces établissements, que c'est pour eux qu'il faut un jury, car s'ils n'existaient pas il ne faudrait pas de jury et l'on maintiendrait la collation des grades académiques par les établissements de l'Etat.
(page 535) En 1844, l'honorable M. Nothomb défendait les mêmes idées. L'existence des établissements libres, disait-il, est non seulement légale, mais constitutionnelle, puisque ces établissements existent en vertu de la Constitution ; nous pouvons donc reconnaître qu'ils existent, et il n'y a pas de danger à leur donner, dans la formation du jury, une intervention légale qui ne leur confère aucun droit dans le présent ou dans l'avenir. (Interruption.)
C'est la thèse qu'a soutenue, en 1849, l'honorable M. Orts ; il s'est attaché à prouver que l'intervention officielle et légale des établissements libres dans la formation du jury avait été constamment acceptée par l'opinion libérale, et, en particulier, lors de la discussion de la loi de 1844.
M. Frère-Orban. - C'est une erreur ; l'opinion libérale n'a pas accepté cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - La discussion en 1844 a roulé surtout sur la question de savoir si on maintiendrait, pour la nomination du jury, l'intervention des Chambres, ou si l'on abandonnerait au gouvernement le droit de nommer les jurys.
C'est là la question qui a divisé la Chambre en 1844. Mais, en dehors de cette question, l'opinion libérale, par l'organe de ses représentants les plus importants, a reconnu indirectement, dans la discussion, l'intervention officielle des établissements libres dans la composition du jury.
M. de Brouckere. - Pas dans le vote.
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - L'honorable M. d'Elhoungne a reconnu l'intervention légale des établissements libres dans la formation du jury comme une transaction nécessaire à la liberté. M. Castiau l'a reconnue également. M. Verhaegen l'a admise aussi. M. Verhaegen a formellement reconnu la nécessité d'admettre, dans la loi même, la participation des établissements libres à l'organisation du jury.
En 1849, M. Verhaegen a reproduit sa manière de voir avec plus d'énergie encore. On veut attribuer, disait-il, au gouvernement la nomination des membres des jurys, sans entourer cette nomination d'aucune garantie légale ; mais une liberté sans garantie n'est qu'une tolérance, et réduire à une simple tolérance l'existence des universités libres, c'est tuer la liberté d'enseignement.
Y a-t-il danger dans cette reconnaissance, dans la loi, des établissements libres ? On grossit singulièrement l'importance de ce fait. C'est tout simplement la reconnaissance matérielle de l'existence des universités libres. On ne leur donne par là aucune espèce de droit. Si cette reconnaissance matérielle impliquait, en faveur de ces établissements, la reconnaissance d'un droit absolu, pour le présent ou pour l'avenir, de concourir à la formation des jurys, je ne l'admettrais pas ; cette intervention est et doit rester la conséquence d'une décision essentiellement révocable de la législature ; rien de plus.
D'ailleurs, cette intervention légale, dans la formation des jurys pour la collation des grades académiques, vous l'admettez par voie administrative. Je ne sais par quelle subtile distinction, on se refuse à la stipuler dans la loi même.
En effet, si vous prétendez que les établissements libres ne peuvent pas être désignés dans la loi même comme des délégués du gouvernement dans la formation des jurys pour la collation des grades, on ne peut pas plus les déléguer administrativement que législativement. L'article 40 de la loi du 15 juillet 1849 ne peut donc pas, à mon avis, être maintenu.
Aussi, ai-je eu soin de mettre, dans la loi même, les restrictions dont il importe, dans l'intérêt de la liberté, d'entourer les prérogatives du gouvernement.
Un autre point nous divise et m'empêchera de me rallier à l'amendement de l'honorable M. de Brouckere. C'est la question de la présidence.
Je suis heureux de me rallier à l'éloge que vient de faire l'honorable M. Rogier des présidents qui ont dirigé les jurys. Il était impossible de trouver dans la magistrature et dans les sciences des hommes plus distingués que ceux dont on a fait choix.
Aussi, quant à moi, ai-je été très heureux de leur continuer leurs pouvoirs.
Mais je me suis demandé si l'intervention de ces présidents ne créait point parfois dans les jurys des positions quelque peu fâcheuses.
L'honorable M. Delfosse vient de vous donner lecture d'un avis que le conseil académique de l'université de Liège a adressé au gouvernement, au commencement de 1855. Quel est, en réalité, le rôle joué par ces honorables présidents dans les délibérations du jury ? L'article 40 dit que le président sera nommé en dehors de l'enseignement. On remarque que, dans le système de la loi de 1849, par la juxtaposition de deux établissements, bien souvent il y a partage de voix des professeurs examinateurs.
Très souvent l'admission ou le rejet a dépendu du président. Or le président étant pris en dehors de l'enseignement, est donc presque toujours dans l'impossibilité de décider, d'une manière tout à fait compétente pour chaque spécialité de matière d'examen, entre les appréciations opposées des professeurs.
Voilà d'où dépendent les délibérations d'un jury et ses conclusions : de l'opinion d'un homme qui au point de vue des diverses spécialités de matières d'examen, est censé moins compétent que ceux avec qui il siège.
L'inconvénient signalé par le conseil académique de l'université de Liège est donc réel. Si le président n'était pas nécessairement pris en dehors de l'enseignement, l'inconvénient ne serait pas tel que l'ont signalé beaucoup de personnes qui ont vu fonctionner les jurys combinés.
M. de Brouckere. - L'inconvénient serait beaucoup plus grand.
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Je crois pour ma part que le jury, composé de professeurs, pourrait parfaitement fonctionner sans être pour ainsi dire conduit, j'allais presque dire régenté par une personne étrangère au corps professoral.
L'autre jour, l'honorable M. Verhaegen se plaignait de la position inférieure qu'on fait parfois aux professeurs.
Eli bien, c'est précisément dans la formation des jurys que les professeurs sentent ce qu'il y a vraiment d'inférieur dans la position qu'on leur fait.
J'ai souvent entendu des professeurs regretter qu'il y eût au milieu d'eux quelqu'un étranger au corps professoral, avec la supériorité de position que le gouvernement lui assigne.
Ils auraient préféré un président pris parmi les membres de chaque jury, comme dans le système de 1835, où les professeurs, agissant fraternellement entre eux, choisissaient, sans acception de personnes, le plus digne de les présider.
J'en conviens franchement, il ne pourrait y avoir qu'un inconvénient, celui dont a parlé l'honorable M. Tesch, c'est que le choix du président pourrait, dès le début de la session des jurys, opérer quelque division dans leur sein et imprimer un caractère très fâcheux à leurs opérations ultérieures.
Mais encore je suis convaincu que ce résultat ne se produirait pas plus qu'il ne s'est produit sous l'empire de la législation de 1835.
Quant à moi, j'ai trop bonne opinion des professeurs pour supposer qu'il puisse y avoir quelque inconvénient à ce qu'ils choisissent parmi eux leur président.
Je n'admets pas du tout, avec l'honorable M. Rogier, qu'un jury, sans président désigné d'office par le gouvernement, doive conduire fatalement à l'anarchie. Je proteste même contre une pareille accusation.
Les dissensions entre professeurs dont on a parlé, ces dissensions sont de tous points fâcheuses. Je crois qu'elles se reproduiront nécessairement, tant qu'on établira des relations exclusivement entre deux établissements souvent divisés d'opinions et d'intérêts.
Mais ces collisions seront, je ne dirai pas impossibles, mais improbables, quand on réunira dans un seul jury des représentants de toutes les universités. C'est pour cela que j'ai proposé une autre formation de jury que celle qui résulte de la loi de 1849.
Messieurs, la Chambre verra le choix qu'elle a à faire entre les divers systèmes. On prétend que si le régime de 1849 est prorogé, le gouvernement restera encore complètement libre, dans l'organisation du jury, dans les limites tracées par la loi de 1849.
Pour moi, je tiens à déclarer que si la Chambre adopte l'amendement de l'honorable M. de Brouckere, le gouvernement, après les discussions qui ont eu lieu, n'aura plus qu'à continuer l'application du système qui a été suivi depuis 1849.
Si l'on proroge pour 3 ans l'article 40 de la loi du 15 juillet 1849, je déclare que le gouvernement, après les hésitations et les doutes de la Chambre sur la valeur des divers systèmes proposés dans la présente discussion, n'aura plus qu'à continuer, sans modification, le système qui a été appliqué jusqu'ici pour la formation des jurys d'examen.
M. de Brouckere. - Je demande à répondre deux mots à M. le ministre de l'intérieur. Je ne réclame pas cinq minutes d'attention.
La proposition que j'ai soumise à la Chambre est, de ma part et de la part de mes honorables amis qui voteront pour cette proposition, un témoignage de notre esprit de conciliation et d'équité.
Elle tend, en effet, à conserver au ministère actuel la confiance dont cette loi a investi un ministère libéral, qui était aux affaires au moment où la loi a été faite.
La loi a jusqu'ici été exécutée avec justice, avec impartialité. Nos adversaires mêmes le déclarent. Nous espérons que les hommes qui sont aujourd'hui au pouvoir l'appliqueront dans le même esprit de justice et d'impartialité. Mais il est bien entendu que toute liberté est laissée au gouvernement. La loi devant être exécutée sous sa responsabilité, il faut que son action soit entièrement libre, et c'est comme cela que je l'entends.
Le grand grief que M. le ministre de l'intérieur fait valoir contre le système actuel, c'est qu'il abandonne au gouvernement la nomination du président du jury, tout en lui faisant une obligation de le prendre en dehors de l'enseignement.
Mais, M. le ministre de l'intérieur vient de vous dire lui-même que souvent le jury se partage en deux fractions égales et que la décision appartient au président. Supposez ce président pris dans l’enseignement, et voyez quelles seraient les fâcheuses conséquences de sa présence dans ce jury. Il sera pris ou dans l'enseignement libre ou dans l'enseignement de l'Etat ; c'est-à-dire que vous donnerez nécessairement la prééminence, la supériorité soit à l'enseignement libre, soit à (page 536) l'enseignement de l'Etat, suivant que le président sera pris dans l'un ou l'autre de ces deux enseignements.
M. le ministre de l'intérieur a rendu pleine justice aux présidents qui ont été choisis jusqu'ici. Ce sont des hommes aussi haut placés par leur savoir que par la considération dont ils sont entourés. Eh bien, je n'ai aucune crainte de voir les décisions émaner de ces présidents, quand ils ont été éclairés par la discussion des professeurs appartenant par moitié à l'enseignement libre et par moitié à l'enseignement de l'Etat. Au surplus je n'hésite pas à faire à M. le ministre de l'intérieur une interpellation que j'adresse de même à toute la Chambre, et je demande si à aucune époque, quelle qu'elle soit, il y a eu une plainte quelconque formulée contre des présidents de jury que l'on aurait accusés soit de partialité, soit de manquer de savoir. Je défie que quelqu'un réponde affirmativement.
M. Frère-Orban. - Messieurs, je ne voulais plus prendre la parole dans la discussion générale. Les paroles que vient de prononcer M. le ministre de l'intérieur m'obligent à renoncer à ce dessein.
Je ne veux pas exposer de nouveau le système que j'ai indiqué ni rencontrer certaines objections qui y ont été faites. Mais je veux dire combien il sera regrettable qu'après de longues expériences, après des enquêtes dans lesquelles tous les hommes compétents ont été entendus, la Chambre aboutisse purement et simplement à constater sa radicale impuissance à formuler un système rationnel de jurys d'examen.
Et d'où vient, messieurs, que la Chambre est amenée à cette triste situation ? C'est, il faut bien le dire, il faut l'avouer avec franchise, avec bonne foi, c'est qu'il y a d'autres préoccupations que celles de l'intérêt même de la science ou de l'intérêt des garanties sociales que nous avons à réclamer pour l'exercice de certaines professions. Nous entendons bien dans chaque discours les mots de liberté, de liberté de l'enseignement, de garanties qui sont dues à cette liberté ; nous entendons tour à tour les orateurs parler de l'intérêt scientifique qui serait menacé par tel ou tel système. Mais lorsqu'on arrive à examiner les propositions qui sont en discussion, quel est.l'objet sur lequel se porte exclusivement l'attention ?
Il s'agit de savoir combien il y a de chausse-trapes de plus dans un système que dans l'autre. Il s'agit de savoir si les établissements qui existent ne sont pas menacés, s'ils ne sont pas exposés, s'il n'y aura pas de coalition entre eux, pour admettre ou rejeter les élèves de tel ou tel établissement. Et c'est là au fond tout le débat ; il n'y en a pas d'autre.
Et que prouve une pareille discussion ? Elle prouve que vous êtes tous profondément convaincus que le jury que vous formez contient les éléments les plus contradictoires, les plus opposés, et partant les plus dangereux. (Interruption.) Et en effet ces coalitions que l'on craint contre certains établissements ne sont-elles pas dangereuses ? Ces coalitions que l'on craint contre les élèves ne le sont-elles pas ? Et ce que vous voulez obtenir, ce que vous voulez offrir au pays, à la jeunesse, aux études, aux sciences, aux familles, c'est la justice, c'est l'impartialité ! Mais tout cela n'est que mensonge ; Il n'y a pas de justice, il n'y a pas d'impartialité, il n'y a pas de garantie !
Et comment voulez-vous que la jeunesse que vous appelez à comparaître devant ce jury ainsi formé, ait en lui plus de confiance que vous n'en avez-vous-même ? Comment voulez-vous qu’elle ne redoute pas de se soumettre à l'examen d'hommes qui, de votre propre aveu, sont en état d'hostilité, en état de défiance mutuelle, en état de rivalité ? Et si la jeunesse, pleine d'amour de l'étude, désireuse de faire preuve de science, est paralysée par cette peur et par cette crainte, que pouvez-vous obtenir ? Quels sont les bons résultats que vous pouvez espérer pour les études et quels sont les bons résultats que vous pouvez espérer également pour l’enseignement ? Vos professeurs, en grand nombre si distingués, qui doivent ainsi se trouver face à face dans le jury sont-ils donc libres dans leur enseignement, sont-ils maîtres de leurs doctrines, sont-ils maîtres de leurs méthodes ? C'est impossible. Il faut bien qu'ils se soumettent plus ou moins aux doctrines, aux méthodes, aux caprices des rivaux qu'ils vont rencontrer.
Et la garantie sociale où est-elle ? Elle dépend en quelque sorte du hasard. On tirerait au sort un certain nombre d'étudiants à prendre dans les universités pour leur conférer les diplômes, que, probablement on arriverait à un résultat aussi favorable, au point de vue des garanties sociales, qu'avec le système que vous appliquez.
Et pourtant, aussi longtemps donc que l'on persistera à se traîner dans la même ornière, on aboutira nécessairement aux mêmes résultats.
Messieurs, ce n'est point, je l'ai dit, pour préconiser et essayer de faire admettre l'idée, la combinaison que j'ai moi-même produite, que je soulève ces critiques ; je ne la soumets pas à vos votes. Je ne me dissimule en aucune façon qu'elle n'aurait point de chance d'être admise, et pourquoi ?
Eh, messieurs, par les mêmes raisons que vous faites entendre dans la discussion des divers systèmes en présence ; c'est que même les honorables membres qui auraient la pensée que mon projet vaut mieux, ne l'adopteraient point dans les circonstances actuelles, et ne l'adopteront point aussi longtemps qu'il ne sera pas admis par les établissements pour lesquels ils ont une prédilection particulière, Je ne les en blâme point ; je comprends parfaitement qu'avec la conviction que ce que désirent les établissements est mauvais, on ne veuille pas, cependant,, leur imposer un régime qu'ils redoutent.
Mais il faudrait arriver à faire partager à ces établissements la conviction que les garanties qu'ils recherchent à l'aide d'actes législatifs, mauvais à tant de points de vue divers, ils peuvent les obtenir complètement sous le régime de la vraie liberté.
Aussi longtemps que les établissements soit de l'Etat, soit ceux qui se proclament libres par excellence, ne se placeront pas sur le terrain de la liberté pleine et entière, ils n'auront pas réellement ces garanties. Ils n'ont qu'une seule préoccupation, qu'une crainte, c'est qu'avec un régime, quel qu'il soit, qui ne les associera pas à l'examen, leurs cours seront déserts. Je tiens qu'ils sont dans l'erreur, qu'avec un système juste, vraiment libre, sans faveur ni privilège pour personne, les établissements resteraient, les uns et les autres, dans des conditions à peu près semblables à celles où ils se trouvent aujourd'hui.
Messieurs, la crainte de voir déserter les établissements ne devrait-elle pas être entièrement effacée en présence de la formule que j'ai proposée ? Si j'avais redouté, moi, une objection contre cette formule, c'est précisément qu'on eût dit qu'elle aurait pour résultat de contraindre toute la jeunesse à passer par les établissements d'instruction.
Il est incontestable, en effet, que du moment où vous demandez que l'on soumette à un jury professionnel des titres, des diplômes, des certificats, pour être admis à l'examen pratique, toute la jeunesse ira dans les établissements d'instruction, dans les établissements bien organisés qui inspireront confiance, ou plutôt que de s'adresser à des professeurs sans notoriété ou de se livrer à des études isolées, parce qu'elle serait exposée soit à voir rejeter les titres qu'elle produirait de ce chef devant le jury professionnel, soit à devoir se présenter devant un jury scientifique.
Cette objection pouvait m'être opposée avec beaucoup de raison, avec vérité, à certain point de vue ; je me l'étais faite à moi-même, mais j'ai répondu que ce résultat, qui n'offensait en aucune façon la liberté, qui en principe était inattaquable, avait un immense avantage au point de vue scientifique. Mais ce n'était là qu'un fait variable, mobile, qui laissait place à toute création nouvelle.
La combinaison n'exclut personne ; elle respecte les droits de tous.
Mais, messieurs, nous devons nous occuper uniquement des propositions qui sont actuellement en discussion. M. le ministre de l'intérieur disait tout à l'heure que la liberté doit trouver des garanties dans la loi, que la liberté né peut être abandonnée au caprice ministériel, et c'est pourquoi il veut renoncer à la formule de la loi de 1849, qui est seule constitutionnelle et libérale, pour y substituer, sous prétexte de liberté, une garantie en faveur de quatre établissements.
Ainsi ce que M. le ministre de l'intérieur appelle la liberté, c'est le monopole au profit de quatre établissements ! Que deviennent, légalement, les autres études que celles qui ont été faites dans les quatre établissements protégés, favorisés, inscrits dans la loi, auxquels vous donnez un titre par la loi ? Elles sont exclues.
Que devient le droit de tout Belge d'élever une autre école, et non seulement une école, mais une faculté, une chaire ? Tout cela, ce n'est plus la liberté ! Hors la loi ! Et c'est là ce que M. le ministre appelle un principe grand et libéral !
Messieurs, ce régime, on a essayé de l'introduire dans la loi plus d'une fois. Il en a été question dès 1835. L'honorable ministre de l'intérieur a rappelé une proposition, faite en ce sens par l'honorable M. de Brouckere, mais qui était présentée de telle sorte qu'elle n'excluait point absolument la liberté.
Le principe, tel qu'il était proposé par l'honorable M. de Brouckere, et que, pour ma part, je n'aurais point admis assurément, consistait à faire déclarer que tout établissement ayant cent élèves aurait une représentation dans le jury. C'est une portée bien différente de celle que présente le système de l'honorable ministre de l'intérieur. Mais, messieurs, même dans ces termes la proposition a été combattue notamment par vos honorables amis. M. Dubus disait dans la séance du 19 août 1835 :
« … Il existe tel établissement qui n'a organisé qu'une branche d'enseignement et qui est très suivi ; il y a des écoles de médecine dans ce cas. Il peut exister un autre établissement où l'enseignement de la médecine est négligé par les élèves et où il y aurait beaucoup d'élèves dans les autres branches de l'enseignement. Eh bien, ce dernier établissement enverrait ses professeurs pour les quatre branches d'enseignement, tandis que l'école de médecine suivie par un grand nombre d'élèves n'en pourrait pas en envoyer» Ce n'est pas là de la justice distributive ; ce n'est pas là de la liberté ! »
Et plus tard, des tentatives nouvelles ont été faites pour introduire dans la loi les établissements libres, sur lesquels le gouvernement n'a aucune espèce d'action. Cela est encore au fond de la pensée d'honorables membres et notamment de l'honorable M. Dechamps.
On invoque ce qui se passe en d'autres pays. En Angleterre, vous a dit l'honorable M. Dechamps, les universités libres obtiennent des chartes d'incorporation, et tout est dit ; elles ont la faculté de délivrer des diplômes.
(page 537) L'honorable M. Dechamps se trompe ; quand un établissement quelconque obtient une charte d'incorporation dans un pays quelconque, sur un point quelconque du globe, il n'est plus un établissement libre, il devient un établissement public.
L'établissement qui a obtenu une charte d'incorporation trouve dans cette charte ses droits et ses obligations. Ces chartes, comme celle de l'université de Londres, par exemple, règlent le mode de délibération, la constitution d'un conseil d'administration ; le gouvernement se réserve, dans ces actes, le droit d'approuver les règlements de l'institution pour les examens ; il s'y réserve encore le droit d'inspection sur l'établissement incorporé ; le chef de l'Etat en est le visiteur-né ; c'est dès lors un établissement public dont le sort est réglé par la loi.
Il n'est pas plus étonnant de voir de pareils établissements délivrer des diplômes qu'il ne le serait de voir cette faculté conférée aux universités de l'Etat en Belgique.
Mais lorsqu'il s'agit d'établissements qui veulent et avec raison conserver la liberté complète de leurs allures, qui n'entendent relever de personne, qui ont leurs propres lois, qui n'en veulent accepter d'aucun pouvoir, qui sont enfin des établissements véritablement libres, il est impossible de les faire figurer dans une loi.
Ce serait l'abdication de l'autorité publique, ce serait un pouvoir conféré à des corps particuliers, lorsque ces corps n'auraient aucune espèce d'obligation vis-à-vis de l'Etat, vis-à-vis de la société. Vous n'y surveilleriez ni les doctrines, ni l'enseignement, ni le choix des maîtres ; l'établissement péricliterait, il dégénérerait, il se corromprait, il n'en continuerait pas moins à être le maître dans l’Etat, vous n'auriez aucune espèce d'action sur lui ! En vérité c'est quelque chose qui révolte le bon sens.
Ou a essayé en 1844 de faire inscrire de nouveau dans la loi le droit de quatre établissements déterminés à une représentation ; eh bien, en 1844 cette proposition a rencontré des adversaires, comme en 1835 ; ces adversaires, je les citerai tous, car ma réfutation consiste à mettre en opposition les honorables membres qui préconisent aujourd'hui le système qu'ils ont alors combattu. Voici ce que disait l'honorable M. Dumortier dans la séance du 26 mars 1844.
«... Dans le système du gouvernement (le même que celui qui est proposé) que devient la liberté d'enseignement" ? que deviennent les études privées ? Ouvrez la statistique des élèves, des élèves qui se sont présentés devant le jury d'examen, vous verrez qu'environ un cinquième de ces élèves ont fait des études privées. Or, dans ce système du gouvernement, ces études ne sont plus représentées, et dès lors il y a monopole au profit des établissements d'instruction publique.
« La liberté d'enseignement ne signifie pas seulement qu'il est loisible à chacun d'ouvrir une université ; elle signifie, avant tout, qu'il y a liberté pour le père de famille, qu'il peut faire étudier son fils comme il l'entend, qu'il peut l'envoyer à telle université qui lui convient, qu'il peut l'envoyer à l'étranger, l'instruire par des maitres particuliers, lui faire donner, eu un mot, telle instruction qu'il désire.
« Voilà la véritable base de la liberté d'instruction, telle qu'elle est écrite dans notre pacte fondamental. »
L'honorable M. d'Huart combattait le projet par les mêmes motifs mais celui qui s'élevait contre le système avec le plus d'énergie, c'est celui-là même qui le formule aujourd'hui, l'honorable M. de La Coste.
M. de La Coste. - C'était bien différent.
M. Frère-Orban. - C'était bien différent, dites-vous ; non, la formule était la même : il s'agissait de faire représenter quatre établissements. Mais les temps sont différents, et je vous dirai en quoi ils sont changés. A cette époque, vous aviez une majorité qui avait réussi à faire investir les Chambres du droit de nommer les membres des jurys d'examen ; à cette époque les nominations portaient le cachet d'une révoltante partialité en faveur de l'université de Louvain ; alors vous redoutiez l'intervention et la responsabilité du gouvernement, et vous combattiez le projet par toutes les raisons que je donne aujourd'hui pour repousser l'immixtion des universités libres dans la loi.
Voilà ce qui est changé. Mais aujourd'hui qu'il est impossible de faire revivre ce système, vous voulez obtenir qu'on inscrire dans la loi un droit pour vous qui ne vous croyez tenus à aucune obligation, à aucun devoir envers l'Etat ; vous voulez être les maîtres, et M. le ministre de l'intérieur consent à abdiquer.
« Remarquons, disait l'honorable M. de La Coste, que par une conséquence logique de la liberté d'enseignement, chaque établissement libre choisit à son gré les principes, les vérités les plus hautes ou les sophismes les plus dangereux pour l'Etat et pour la société civile, pourvu que ceux-ci n'aillent pas jusqu'à se traduire en infractions aux lois. Nous ne partons pas de l'idée que des maximes funestes soient professées dans aucun établissement.
« Toutefois, on ne saurait nous contester la possibilité du fait, car elle découle du principe que nous défendons ; on ne peut nous contester qu'un établissement, aujourd'hui à l'abri de tout reproche, ne décline et ne se corrompe. Eh bien, peut-on écrire dans une loi qu'en toute hypothèse, par conséquent aussi dans celle que nous venons de poser, l'établissement aura droit de fournir au jury un représentant de ses principes, avec juridiction non seulement sur ceux qu'il y aura initiés et formés, mais sur toute la jeunesse studieuse du pays ! »
« Pourquoi cette limitation à quatre établissements déterminés ? Ne peut-il pas s'en former de nouveaux et peut-on leur refuser les mêmes droits ? »
M. de La Coste. - Je le pense encore.
M. Frère-Orban. - L'honorable membre pense toujours de même, et moi qui croyais le mettre en contradiction avec lui-même !
« Il y a plus, continuait-il, les universités se décomposent en facultés et chaque jury a pour objet l'examen dans une faculté. Or, il peut exister ou se former, dans un établissement qui n'a pas le caractère universitaire, une faculté aussi florissante, plus florissante peut-être que dans telle université. »
M. de La Coste pense-t-il toujours de même ?
M. de La Coste. - Certainement.
M. Frère-Orban. - Très bien.
« Pourquoi alors, répond M. de La Coste, celle-ci jouirait-elle du droit de représentation dans cette faculté, à l'exclusion de l'établissement rival ? Ce serait un véritable privilège.
« … A côté de la représentation des universités, il faudrait pouvoir placer celle des études privées. La liberté de ces études est la base de toute liberté d'enseignement ; elle est la dernière qui disparaisse et la première qui renaît, parce qu'elle a pour abri le foyer domestique. En Belgique, ces études ont pris un grand développement et fournissent aux examens, dans quelques facultés, plus de récipiendaires que diverses universités ; elles ont autant de droit que celles-ci à la protection de la loi. »
Eh bien, je n'ai pas vu dans la proposition de l'honorable M. de La Coste qu'il ait appelé les représentants de la faculté de philosophie du collège des jésuites de Namur ; ils avaient droit à être représentés dans le jury cependant. Je n'ai pas vu cela ; j'ai bien soupçonné dans le système du gouvernement ou de M. de La Coste que quand on destituait le président, un homme considérable qui représentait le gouvernement, qui avait aux yeux du pays une grande importance, j'ai bien soupçonné que ce pourrait être le moyen de faire entrer les jésuites par la petite porte.
M. de La Coste. - Vous n'avez pas lu mon amendement.
M. Frère-Orban. - Je parle du projet du gouvernement, dans lequel on destitue le président ; l'honorable M. de La Coste n'a pas fait de place à la faculté de philosophie de Namur.
M. de La Coste. - Présentez un amendement.
M. Frère-Orban. - L'honorable membre me convie à présenter un amendement, c'est trop de bonté ; ce n'est pas là précisément ma mission.
Je m'occupais de la proposition du gouvernement. Le président est destitué, il sera remplacé, par qui ? J'ai interpellé à cet égard M. le ministre de l'intérieur en section centrale, je lui ai demandé : Est-ce par le représentant du collège des jésuites ? Il m'a répondu : Je ne l'exclus pas, je ne l'appelle pas nécessairement.
Je comprends cela parfaitement. Vous voyez combien ce système est ingénieux et ce que valent les objections des honorables membres qui me disaient, à propos de mon projet: On délivrera des certificats partout, l'établissement des jésuites comme les autres.
Je répondais : Oui ; j'aime la liberté pour tout le monde, je l'aime tant pour moi-même que je ne saurais consentir à aucun prix à la ravir aux autres. Mais ceux qui veulent en conserver le monopole n'ont pas vu que les jésuites allaient y entrer par la petite porte ; c'est que quand vous faites du monopole, ils ont le droit de demander leur part. Eh ! bien, moi, je ne veux de privilège pour personne.
M. le ministre de l'intérieur y a-t-il bien pensé lorsqu'il a formulé cette proposition et sans se réserver le droit de représentation par le président ? Il veut investir de simples particuliers, et encore son choix est limité, du pouvoir de délivrer des diplômes qu'on regarde comme indispensables dans un intérêt social ! Y a-t-il bien pensé, a-t-il consulté son collègue des affaires étrangères ? Lui a-t-il demandé s'il pouvait subordonner l'exécution des lois au bon plaisir de quelques personnes ? Voici ce que celui-ci lui répondait le mars 1844 :
« Le projet de loi porte ce qui suit : « « Les jurys sont composés, les administrateurs et recteurs des universités de l’Etat, et les chefs des deux universités libres entendus, de manière que dans chaque section, cet quatre établissements soient représentés. »
« Vous l'entendez, messieurs, pour que le jury puisse exister, - c'est l'honorable M. Vilain XIIII qui parle, - pour que la loi puisse être mise à exécution, il faut nécessairement que les chefs des deux universités-libres consentent à ce que leurs établissements soient représentés. Le ministre s'est-il assuré le concours des chefs des deux universités ? II est possible qu'il possède la promesse du chef de l'université de Bruxelles, mais j'affirme qu'il n'a pas celle du recteur de Louvain, et, dans ce cas, je dis que M. le ministre de l'intérieur se joue du Roi et des Chambres en venant présenter à la législature un projet de loi que l'abstention, le silence, l'immobilité d'un seul homme peuvent rendre inexécutable.
« Que M. le recteur de l'université de Louvain refuse son concours, comme j'en ai l'espoir, et admirez, je vous prie, l'attitude de M. le ministre, se présentant dans quelques semaines devant la Chambre, la loi à la main, et vous disant : Cette loi que je vous ai proposée, cette loi que vous avez votée, cette loi que le Roi a sanctionnée, cette loi, je ce puis l'exécuter et pourquoi ? Parce qu'il existe en Belgique un monsieur, sur lequel je n'ai aucune action, aucun pouvoir, que je ne puis ni destituer, ni fourrer en prison, ni mettre à l'amende, et qui, lorsque (page 538) je me suis présenté chez lui, m'a prié de le laisser en repos, qui a repoussé mes offres comme une corruption, mes faveurs comme un piège ; et qui m'a dit pour toute réponse à mes avances : Timeo Danaos et dona ferentes. »
, Je ne crois vraiment pas, messieurs, qu'il soit possible, en présence de pareilles opinions, exprimées sur un principe aussi grave, aussi essentiel que celui-là, que la Chambre adopte le système proposé par M. le ministre de l'intérieur, pas plus que celui proposé par l’honorable M. de La Coste.
Maintenant quels sont ces systèmes ? Le système du gouvernement n'a guère été défendu que par lui.
Il consiste, selon ceux qui redoutent les effets des jurys d'examen, à exposer tour à tour un établissement à être malmené par les trois autres. Le système de M. de La Coste, c'est le contre-pied de celui-là, un système dans lequel un établissement quelconque s'assure le moyen de paralyser complètement ses adversaires.
Le jury est composé de sept membres, un membre de chaque établissement autre que celui dont on examine les élèves, un membre nommé par le gouvernement, qui préside, et trois membres émanant de l'établissement dont on examine les élèves. Cet établissement est assuré d'empêcher que les autres établissements exercent un contrôle efficace sur l'examen.
M. de La Coste. - Et le président !
M. Frère-Orban. - Nous allions y arriver, on ne peut pas tout dire à la fois.
Les établissements rivaux sont donc paralysés dans leur contrôle, il y a parité, l'établissement qui est représenté par trois membres est sûr de rendre le contrôle nul, il n'a pas besoin de faire de grands efforts pour y réussir.
Mais le président a un rôle beaucoup trop difficile à remplir. Il sera le plus souvent entraîné, s'il y a lutte, à voter l'admission. C'est presque inévitable. Puis il suffira d'une seule personne, d'un seul professeur qui se rallie à ceux de l'établissement dont on examine l'élève, pour assurer l'admission. Et c'est lorsqu'on se plaint des connivences qui se sont révélées dans les jurys combinés, qu'on propose de les rendre plus faciles par la proposition de l'honorable M. de La Coste ! Car évidemment ces connivences se reproduiront avec les mêmes inconvénients. Le système de l'honorable M. de La Coste, c'est le système du jury combiné avec, tous ses inconvénients, plus des inconvénients qui n'existent pas dans les jurys combinés.
Mais est-il praticable ? On m'a suggéré à cet égard une observation que je soumets à l'honorable M. de La Coste. Il ne me paraît guère possible de faire fonctionner son jury. Prenons pour exemple la faculté de droit ; dans cette faculté, quatre jurys fonctionnent simultanément. Ce sont : le jury pour la candidature en droit, le premier doctorat, le second doctorat, la candidature en droit notariat.
Eh bien, il faut, dans le régime proposé par l'honorable M. de La Coste, trois professeurs d'un seul établissement dans chaque jury. Il faut donc que la faculté de droit de chaque établissement puisse fournir douze professeurs ; or cela n'existe pas. Ou bien les examens ne se feront pas simultanément, et, dans ce cas, ils se perpétueront toute l'année. Ainsi le système de l'honorable M. de La Coste ne paraît pas pouvoir fonctionner.
IL ne reste que le jury combiné, celui qui vient d'être proposé par l'honorable M. de Brouckere, la conservation du principe de la loi de 1849, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, avec ses applications.
Ce jury a présenté, il faut le reconnaître, des inconvénients extrêmement graves qui ont été signalés par tous les hommes compétents, par tous ceux qui se sont occupés d'enseignement.
M. Rogier. - C'est celui qui en présente le moins.
M. Frère-Orban. - Je ne veux pas l'affirmer. Mais je persiste à croire qu'il y a mieux à faire que cela. Je suis donc obligé de rappeler les vices de ce jury qu'on voudrait réorganiser.
Je ne suis pas suspect de partialité contre ce système ; j'y ai une part de responsabilité. Il a été mis en vigueur et défendu sous une administration dont je faisais partie. Mais je ne puis fermer les yeux à la vérité. Je ne puis m'empêcher de reconnaître qu'il a donné lieu à des rivalités souvent très fâcheuses au point de vue des études, au point de vue de l'enseignement.
Il m'est impossible, quand je crois que l'on peut mieux faire, de me rallier à des propositions qui ne tendent qu'à consacrer et à perpétuer de graves abus au détriment de la science et de la liberté.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à cinq heures.