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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 20 janvier 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. de Naeyer, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 505) M. Tack procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Crombez, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Tack, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Lallen présente des observations sur la nécessité d'interdire les changements de résidence des notaires, d'établir l'unité du ressort, d'augmenter le nombre des notaires dans les communes où il est insuffisant, et d'établir l'incompatibilité entre les fonctions de notaire et celles de membres du conseil communal ou d'agent salarié par la commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La députation permanente du conseil provincial de Namur demande que la part attribuée à cette province dans l'allocation en faveur des employés soit portée à 45,000 fr. »

M. Lelièvre. - Je ne puis qu'appuyer la pétition qui est fondée sur des motifs irrécusables et je demande qu'elle soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.

M. Wasseige. - J'appuie ces observations.

- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.


« Le sieur Delhaye, facteur de la poste aux lettres à Bruxelles et combattant de septembre, demande qu'il lui soit accordé dix années de service comme aux décorés de la croix de Fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Wavreille appellent l'attention de la Chambre sur la situation que font à l'agriculture les droits sur les houilles et sur les fontes. »

« Mêmes observations d'habitants de Maissin, Jodoigne-Souveraine, Stevoort, Erezée, Bomal, Heure, Bois-Borsu, Sibret, Lowaige, Falmagne, Waillet, Cortessem, Erbaut, Honnay, Couture-Saint-Germain, Maransart et du comice agricole de Mechelen. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.


« Par 32 pétitions, les chefs de bureau et autres employés des commissariats d'arrondissement demandent que leur nomination émane du gouvernement ; que la partie de l'abonnement alloué aux commissaires pour le traitement des employés fasse l'objet d'un paragraphe spécial au budget de l'intérieur ; qu'un traitement fixe payé directement par le trésor leur soit garanti et qu'ils puissent trouver de l'avancement dans les bureaux des gouvernements provinciaux. »

M. Rodenbach. - J'ai été chargé, messieurs, de la part d'un grand nombre d'employés de commissariats d'arrondissement de déposer sur le bureau les 32 requêtes dont on vient de faire l'analyse ; 19 de ces pétitions sont appuyées par des commissaires d'arrondissement.

Ces requêtes sont importantes, messieurs. Je demande que la commission des pétitions fasse un prompt rapport avant la discussion du budget de l'intérieur.

M. de Moor. - J'appuie les observations de l'honorable M. Rodenbach.

M. Allard. - Et moi également.

- La proposition de M. Rodenbach est adoptée.


« Des propriétaires dans la province de Liège demandent une loi qui autorise le gouvernement à lever la prohibition de sortie des minerais de fer de cette province ou du moins des minerais exploités dans une zone à déterminer, limitrophe de la frontière de Prusse. »

M. de Renesse. - Messieurs, plusieurs propriétaires de la province de Liège demandent à la Chambre de vouloir porter une disposition législative qui autoriserait le gouvernement à accorder la libre sortie des minerais de fer de la province de Liège, ou du moins pour la partie de cette province limitrophe de la Prusse. Actuellement l'exploitation de ces mines de fer ne peut pas avoir lieu utilement, parce que ces mines, par leur éloignement des établissements métallurgiques de l'intérieur de notre pays, ne peuvent guère y fournir leurs produits, qui ne sont pas même demandés.

J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de vouloir renvoyer cette pétition à la commission de l'industrie. Je recommanderai tout particulièrement cette requête à l'attention de cette commission, dans l'intérêt surtout de la classe ouvrière qui, par la bonne et continue exploitation de ces mines de fer, pourrait y trouver un travail fructueux ; j'espère que la commission voudra s'occuper le plus tôt possible de la juste réclamation des pétitionnaires, que j'appuie de tous mes moyens.

- La proposition de M. de Renesse est adoptée.


« Le sieur Van Straete, capitaine pensionné, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le bénéfice de la loi du 27 mai 1856 qui accorde 10 années de service à des officiers de volontaires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, trois demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. Delehaye, retenu à Gand par une indisposition, et M. Van Overloop, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demandent un congé.

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Rapport de la section centrale

M. Moreau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi amendé par le Sénat concernant les denrées alimentaires.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

M. de Moor. - On pourrait mettre ce projet à l'ordre du jour avant le budget de l'intérieur.

M. Lelièvre. - Le projet de loi relatif aux denrées alimentaires a un caractère d'urgence incontestable. Il me paraît convenable de fixer la discussion à un jour déterminé.

M. Rodenbach. - Après le budget de l'intérieur.

M. Lelièvre. - La discussion du projet sur le jury d'examen peut encore occuper la Chambre pendant plusieurs jours Or, il est important de prendre le plus tôt possible une résolution définitive sur le projet concernant les denrées alimentaires, projet important qui éveille à juste titre la sollicitude des populations.

Je propose en conséquence d'en fixer la discussion à huitaine, c'est-à-dire à mardi 27 de ce mois. (Interruption.)

M. Allard. - Après la loi sur le jury d'examen.

M. Delfosse. - Je propose de fixer la discussion de ce projet de loi entre les deux votes du projet de loi sur les jurys d'examen.

- La proposition de M. Delfosse est adoptée.

Projet de loi sur les jurys d’examen universitaire

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, depuis quelques jours la discussion générale a porté surtout sur la question de la formation du jury d'examen. C'est évidemment la question la plus importante que nous ayons à examiner.

Tout le monde, je pense, et les discours que vous avez entendus le prouvent, tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut autre chose que ce qui est.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Mais quand il s'agit de chercher quel est le système qu'il faut substituer au système actuel, on remarque une grande divergence d'opinions. Jamais, peut-être, dans la discussion sur la collation des grades académiques, on n'a remarqué tant d'incertitude dans les opinions, tant d'hésitation dans les propositions.

Et en effet, messieurs, la plupart des membres de cette assemblée, a. leur insu pour ainsi dire, se préoccupent, à un point de vue un peu exclusif, soit de la liberté d'une part, soit de la science d'autre part. Ensuite, beaucoup de personnes croient qu'il est essentiel de prendre des précautions tantôt contre le gouvernement, tantôt contre la coalition des établissements entre eux.

Il y a un sentiment très louable en lui-même, mais dont nous devons nous défier : c'est de vouloir atteindre dans cette loi la perfection, c'est de vouloir arriver à découvrir un système qui n'offre aucun inconvénient, qui ne présente aucune espèce de danger, soit au point de vue de la liberté, soit au point de vue de la science. C'est là un idéal dont nous ne devons pas poursuivre la réalisation.

La première chose qu'il faut se demander, messieurs, c'est s'il y a lieu de réformer ce qu'on a fait jusqu'à présent ou s'il y a lieu d'entrer dans une voie tout à fait nouvelle, d'innover.

Le gouvernement a cru que dans une question de cette importance, une question à laquelle se rattachent tant d'intérêts divers et également sérieux, la prudence commande de se borner à réformer.

Beaucoup d'orateurs ont semblé regretter la voie dans laquelle on était entré en 1835 et ont cru qu'il était nécessaire d'entrer dans une voie nouvelle pour aboutir. La plupart des systèmes nouveaux se ressentent de cette tendance. L'idée qui avait surtout frappé les honorables membres qui veulent innover, c'est que par le jury, tel qu'il avait été établi en 1835, les rapports nécessaires entre le professeur et l'élève étaient pour ainsi dire brisés.

On a voulu rapprocher le professeur de l'élève, dans l'intérêt de la (page 506) science surtout. Aussi vous voyez que la plupart des systèmes qui ont surgi sont dans cet ordre d'idées Ainsi dans le jury combiné, on s'est attaché surtout à trouver un mode de formation de jury d'examen où l'élève fût mis plus directement en rapport avec ses professeurs.

C'est là aussi ce qui préoccupe les universités de l'Etat. Elles demandent que les universités de l'Etat puissent délivrer les diplômes à leurs élèves, sauf à organiser un jury pour les élèves qui ont fait leurs études soit dans une des universités libres, soit dans un autre établissement, et pour les élèves qui ont fait des études privées.

M. Frère-Orban. - L'université de Liège pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - En dernier lieu, non ; mais en 1849 c'était aussi l'opinion de l'université, de Liége.

Dars les idées mises en avant par l'honorable M. Frère, il y a encore, au fond, cette même tendance : c'est de faire naître des rapports plus personnels entre les professeurs et les élèves et de donner par cela même plus de liberté, plus de spontanéité au professeur dans son enseignement et à l'élève dans ses études.

Le système de l'honorable M. de La Coste a en partie le même but. Dans ce système l'élève se trouverait devant trois de ses professeurs, et ainsi la proportion des examinateurs appartenant à l'établissement où le récipiendaire a fait ses études, Cette proportion est plus forte qu'elle ne l'a été jusqu'ici.

La même préoccupation se manifeste dans l'amendement de l'honorable M. Orts. Cet amendement a pour but de donner aux professeurs de l'établissement auquel appartient le récipiendaire le droit de diriger exclusivement les examens, et de délivrer les diplômes.

Voilà, messieurs, quelle est la tendance des différents systèmes qu'on veut substituer à ce qui a été primitivement imaginé pour la composition du jury.

Eh bien, messieurs, le gouvernement a cru devoir, dans l'intérêt de la science et de la liberté, prendre une direction tout opposée.

Je suis parti de l'idée qu'il y a lieu de réformer l'institution primitive du jury, de conserver l’idée fondamentale du jury, mais de le réformer d'après l'expérience acquise.

L'idée d'un jury central était, messieurs, de l'aveu de tout le monde, une grande idée. C’était une idée qui, dans sa simplicité, avait un caractère de grandeur et de vrai libéralisme qui a frappé tout le monde.

Cette idée d'établir une espèce de magistrature nationale, sociale, devant laquelle toute la science, dans ses diverses manifestations, viendrait présenter ses résultats, devant laquelle se présenteraient tous les élèves, à quelque catégorie d'études qu'ils appartinssent, cette idée a un caractère de grandeur qui n'a échappé à personne, ni dans le pays ni à l'étranger.

L'idée était grande, au point de vue de la science. Les professeurs appartenant aux divers établissements se trouvaient constamment en relation intime et il y avait dans ce contact une chose évidemment utile à la science.

C'était une espèce de contrôle permanent que les divers enseignements de Belgique exerçaient les uns sur les autres et qui devait évidemment tourner, en définitive, au profit de la science. Il devait aussi, par cela même, être un obstacle à toute espèce de routine, pousser tous les établissements dans la voie du progrès.

Au point de vue de la liberté, c'était encore une idée qui offrait en réalité beaucoup de garanties.

Par cela même que les divers intérêts étaient représentés, il y avait une espèce d'équilibre entre ces intérêts, qui rendait difficile, pour ne pas dire impossible toute coalition ; car les coalitions sont bien plus difficiles entre les représentants de quatre établissements, qu'ils, ne le sont, par exemple, entre les représentants de deux établissements, comme le système des jurys combinés l'avait établi.

Comme il s'agit, messieurs, d'un jury scientifique, il faut partir de cette idée que le jury doit être composé de professeurs.

Il est impossible d'avoir, en dehors du corps professoral, les représentants véritables du mouvement scientifique. Du moment donc que vous voulez établir un jury scientifique, du moment que vous repoussez l'idée d'un jury professionnel, vous êtes obligés par cela même de prendre pour examinateurs et pour juges des personnes qui soient constamment, par la nature de leurs fonctions, au niveau des progrès de la science.

Maintenant les professeurs mêmes de l'élève doivent-ils être constitués en majorité parmi les juges ? Je crois que non. Dans ce système, c'est en définitive la science seule de ces professeurs qui est en jeu ; vous n'avez plus ce contrôle de l'enseignement dans les divers établissements ; c'est surtout l'enseignement de l'établissement auquel appartient l'élève, que vous mettez en relief. C'est, selon moi, rapetisser la question.

Le système de 1835, on peut le dire sans crainte de rencontrer de contradicteur, le système de 1835, à part deux défauts essentiels sur lesquels je m'expliquerai tout à l'heure, offrait, au point de vue de la science et de la liberté, un ensemble de garanties qu'on ne retrouve pas dans les systèmes qu'on y a substitués depuis.

Les deux défauts que présentait l'ancien système et qui ont été signalés dès l'origine de la mise à exécution, vous les connaissez.

C’était d'abord l’intervention d'un pouvoir politique, des Chambres, dans les nominations. On n'a pas tardé à comprendre que cette immixtion des deux Chambres dans la constitution des jurys faisait de la nomination des membres de ces jurys une question politique, donnait un caractère politique à une institution qui aurait dû conserver avant tout son caractère scientifique, social, national, étranger à tous les partis.

On l'a si bien compris qu'au bout d'une dizaine d'années on a renoncé à ce mode de nomination après des discussions très animées.

On a compris que c'était rentrer dans la voie des traditions administratives que de conférer au gouvernement le droit de nommer les membres des jurys d'examen, mais en entourant cette nomination de toutes les garanties réclamées par la liberté et par la science.

Et je conçois qu'on ait pris ces précautions contre le gouvernement, d'abord au point de vue de la science, parce que le gouvernement est à la fois juge et partie dans la question du jury d'examen, puisqu'il a lui-même des universités ; ensuite, au point de vue politique, parce que le gouvernement est lui-même le plus souvent l'émanation d'un parti politique.

Il y avait donc des précautions à prendre ; on a pris ces précautions ; seulement les garanties dont je parle ne se trouvent pas inscrites dans la dernière loi qui est encore en vigueur, dans celle du 13 juillet 1849 : elles n'étaient qu'administratives. Le gouvernement a cru que dans une matière aussi importante, il importe que les garanties se trouvent dans la loi même. Il ne faut pas que la liberté d'enseignement, qui nous est si chère à tous, puisse jamais dépendre de l'arbitraire ministériel. Il faut en un mot, comme le disait si bien en 1849 l'honorable M. Verhaegen, que la liberté d'enseignement existe autrement que par la tolérance ministérielle.

Le deuxième vice qu'on signalait dans la constitution primitive du jury d'examen, c'est que, par le mode même adopte pour la nomination, il y avait une espèce de permanence de fait dans la composition de ce jury.

Les deux Chambres pouvaient difficilement se prêter à des combinaisons nouvelles ; pour échapper à cette difficulté, elles nommaient chaque année les mêmes membres, de sorte qu'il y avait de fait un jury permanent.

On a compris le danger de cette permanence. C'était d'abord un privilège pour les établissements spécialement représentés dans le jury.

C'était aussi un grand inconvénient au point de vue de l'enseignement ; les élèves qui voyaient constamment figurer dans le jury des professeurs autres que les leurs, négligeaient les leçons de leurs professeurs, et se bornaient à prendre connaissance des cahiers des professeurs siégeant dans le jury. L'autorité de la plupart des professeurs était détruite, leurs cours étaient négligés sinon déserts, du moment qu'on ne les voyait pas figurer dans un jury.

Pour remédier à ce vice, le gouvernement propose un système qui établit forcément le roulement. Ce qui peut assurer l'impartialité du jury, c'est l'imprévu.

D'après le système du gouvernement, vous aurez cet imprévu. Quelque temps avant la mise en fonction des jurys, il y aura un tirage au sort, entouré de toutes les garanties nécessaires, par lequel il sera décidé quel sera celui des quatre établissements qui représentera, dans tel ou tel jury, telle ou telle matière. On formera des diverses matières quatre groupes, de manière à les diviser en quatre parties à peu près également importantes, si faire se peut. Cette division sera plus facile, si, comme le propose la section centrale, les matières doivent être réduites.

Comme on ne saura qu'au dernier moment quelle matière sera représentée par tel ou tel établissement, les élèves seront tenus en haleine jusqu'à la fin des cours et suivront avec attention les leçons de tous leurs professeurs.

Les avantages du système du gouvernement seront donc d'abord, les avantages que j'ai signalés en quelques mots, comme résultant de l'établissement du jury central, moins les inconvénients de l'organisation primitivement vicieuse de ce jury.

Au point de vue de la science, il a, comme je le disais, cet avantage que les quatre établissements seront en présence et que le contrôle qu'exercera un établissement sur l'autre tournera au profit des progrès de la science.

Au point de vue de la liberté, l'avantage du jury primitif sera aussi conservé ; les quatre établissements examineront les élèves qui se présenteront devant eux ; les collusions, dont le danger a été signalé dans l'ancien jury combiné, seront moins à craindre quand quatre établissements se trouveront en présence.

D'autres avantages encore méritent d'être signalés comme devant résulter d'une restauration du jury central.

Je signalerai la complète égalité dans l'appréciation du mérite relatif des élèves. Du moment que vous avez des jurys combinés, des jurys locaux, vous avez des différences essentielles d’appréciation. C'est un immense inconvénient qui s'est présenté dans le système des jurys combinés, et qui se reproduirait dans le système de l'honorable M. de La Coste ; car dans le système de l'honorable M. de La Coste il y a plus que deux jurys combinés ; il y a quatre jurys combinés et quatre jurys réellement distincts.

Il y a bien, il est vrai, une partie permanente pour tous les jurys. Mais la partie changeante est tellement importante, qu'en réalité elle doit influer sur le mode d'appréciation de chaque jury. Du moment (page 507) donc que le jury n'est pas central, unique, il n'y a plus de base uniforme d'appréciation, et la collation des grades, et surtout des distinctions peut être toute différente par la diversité de composition des jurys qui vraiment n'ont plus d’éléments de comparaison.

Un autre avantage du jury central que je propose de rétablir moyennant certaines modifications, c'est d'avoir pêle-mêle sur les bancs de l'examen les élèves de toutes les universités. C'est un point des plus importants pour l'impartialité qui doit présider aux examens.

On a remarqué que lorsqu'un jury va successivement dans chaque établissement, les professeurs membres de ce jury sont entraînés à s'écarter parfois, à leur insu, des règles d'une stricte impartialité. On n'est pas fâché de voir qu'il n'y ait pas pour un établissement rival plus de distinctions que pour celui auquel on s'intéresse. Quand les examens sont terminés pour les élèves de l'un des établissements, une préoccupation assez naturelle fait désirer instinctivement que le deuxième établissement n'ait pas plus de succès que le premier.

Dans le jury central on a cet immense avantage que presque toujours on voit sur les bancs de l'examen des élèves appartenant à des établissements divers. Il y a là une grande garantie d'impartialité. Il est impossible que le professeur fasse ces calculs dont je viens de parler et qu'il fait à son insu lorsque les élèves des divers établissements sont examinés successivement. Cela est impossible ; car les élèves des divers établissements étant examinés en même temps, les professeurs ne peuvent savoir combien il y aura, en définitive, de distinctions pour tel et tel établissement. Il y a donc là, je le répète, une sérieuse garantie d'impartialité.

J'appelle l'attention de la Chambre sur ce fait que je considère comme capital dans la question.

Maintenant, quel sera le nombre des examinateurs pour chaque jury ?

Le gouvernement avait proposé de composer le jury de neuf personnes. Le gouvernement avait fixé le nombre des examinateurs de chaque jury à neuf, d'abord pour avoir plus de facilités à représenter dans le jury le plus possible de branches d'examen.

Cette considération disparaîtrait pour le cas où la Chambre adopterait le système de la section centrale, auquel le gouvernement se rallie. En adoptant le système des certificats, on diminuerait considérablement les matières d'examen.

On pourrait donc avoir un nombre moindre d'examinateurs, pour représenter les diverses branches d'examen.

En outre, en plaçant dans chaque jury deux professeurs de chaque université, on avait pour but de mieux prévenir tout danger de coalition, parce qu'avec huit professeurs des diverses universités, vous avez plus de raisons de croire qu'il n'y aura pas autant de chances de coalition qu'avec quatre.

Voilà donc la pensée qui avait engagé à faire représenter chaque université dans le jury par deux membres. La section centrale a pensé que, pour certains jurys qui ont à examiner sur moins de matières, le nombre de leurs membres pourrait être réduit à cinq.

Je n'y vois aucune difficulté. Si même la Chambre voulait réduire à cinq au lieu de neuf le nombre des membres de tous les jurys, je n'y verrais pas le moindre inconvénient, Les matières d'examen étant considérablement diminuées, les mêmes motifs subsistent pour que le nombre de tous les membres des jurys soit réduit à cinq.

Il y a un autre motif pour diminuer le nombre des examinateurs, c'est qu'il faut autant que possible laisser aux professeurs quelques vacances.

Ensuite les examens par leur durée retardent souvent l'ouverture des cours. Par conséquent moins on distraira de professeurs de leur cours, mieux cela vaudra.

Le neuvième ou le cinquième membre est appelé à représenter les études extra-universitaires. Dans la pensée du gouvernement, cela ne veut pas dire que le gouvernement devra le prendre nécessairement parmi les professeurs appartenant aux études extra-universitaires. Mais c'est une garantie qu'on veut offrir à ces études, en forçant le gouvernement à prendre le neuvième membre en dehors de l'enseignement universitaire.

Il ne s'ensuit pas que le gouvernement soit forcé de le prendre dans l'enseignement extra-universitaire.

Non ; le gouvernement conserve toute liberté à cet égard.

Je le sais, ce cinquième ou neuvième membre est appelé à jouer un certain rôle dans la composition de ces jurys. Le gouvernement doit se retrancher, comme l'ont fait mes honorables prédécesseurs dans la même question, derrière sa responsabilité. Il est évident que si l'on veut supposer le gouvernement partial, on ne peut trouver aucun système absolument convenable. La responsabilité du gouvernement doit, dans la plupart des systèmes, servir de seule garantie d’impartialité dans les choix à faire.

Ainsi, dans le système des jurys combinés, toute l'organisation de ces jurys était pour ainsi dire abandonnée au gouvernement sous sa responsabilité. Dans le système de l'honorable M. de La Coste, la nomination très importante d'un président dépend du gouvernement. Dans le système de la section centrale, c'est encore la même chose. Toujours ce membre à nommer librement par le gouvernement est appelé à exercer une influence très considérable. Mais il faut bien dans certains cas départager les membres de l’enseignement qui font partie du jury, et il est bon qu'il y ait là, à côté du représentant de chaque établissement, un membre qui représente l'ensemble de la science.

La section centrale, messieurs, admettrait ce système, avec cette différence cependant que, selon elle, ce cinquième membre serait nécessairement président. D'après les propositions du gouvernement, ce cinquième membre se trouverait sur la même ligne que les autres ; il n'aurait aucune espèce de prérogative, aucune espèce de position officielle et privilégiée. Comme dans les jurys nommés par le gouvernement, en vertu du système de 1835, il ferait partie du jury, et l'ensemble de ce jury nommerait dans son sein un président et un secrétaire, comme il le faisait sous l'empire de la législation de 1835, législation qui, à ce point de vue, n'a pas donné lieu à la moindre critique, tandis que l'institution des présidents dans les jurys combinés a été l'objet de certaines observations.

Bien que le choix de ces présidents ait été généralement approuvé, les professeurs des universités les ont subis non sans quelques regrets, en ce sens que les représentants de la science universitaire se considéraient comme placés dans un état d'infériorité, je dirai presque de suspicion, à l'égard de ces commissaires du gouvernement.

Où sera le siège de ce jury central ? Ici la section centrale se sépare encore du projet du gouvernement. Le gouvernement avait proposé de revenir à la loi de 1835 et de fixer le siège du jury central à Bruxelles. La section centrale propose de faire voyager ce jury central successivement dans chaque ville où existe une université.

Messieurs, le gouvernement ne voit pas, au besoin, d'inconvénients à rendre le jury ambulant, mais dans un autre sens ; au lieu de le faire voyager chaque année dans quatre villes, il vaudrait mieux, pour établir l'égalité entre les quatre universités, d'envoyer le jury, pour une année tout entière, dans l'une des quatre villes à université, à condition de le faire siéger chaque année, à tour de rôle, dans chacune des trois autres villes.

Au lieu de changer de résidence dans la même année et d'aller dans quatre villes diverses chaque année, il vaudrait mieux que le jury allât pour une année dans chacune des villes où se trouve une université. De cette manière on conserve les avantages du jury central ; et l'un de ces avantages auquel je tiens surtout, je l'ai dit, c'est de mêler ensemble les élèves des diverses universités, tandis que si le jury va successivement dans chaque ville, on aura cet inconvénient de faire examiner successivement les élèves de chaque université et l'on s'expose beaucoup plus à sortir des voies de l'impartialité.

Avec le système que j'ai l’honneur de proposer, vous auriez tous les avantages que s'est proposés la section centrale. Ainsi, vous auriez d'abord l'égalité pour les divers établissements devant le jury. On pouvait dire qu'en établissant d'une manière définitive et permanente le jury à Bruxelles, on consacrerait un avantage indirect pour les élèves de l'université de Bruxelles. Cola pouvait se soutenir à certain point de vue, et, sous ce rapport surtout, cela était évident.

J'avais déjà reçu des autorités des universités de l'Etat et de l'université de Louvain une réclamation quant à un point spécial. Les facultés de médecine de toutes les universités aunes que celle de Bruxelles avaient réclamé contre l'idée de fixer désormais le siège de jury à Bruxelles, du chef des travaux à faire par les élèves dans l'amphithéâtre.

On disait que sous ce rapport il y avait un avantage marqué pour les élevés à opérer dans un amphithéâtre connu avec des instruments qu'ils ont maniés toute l'année.

Eh bien, si ma proposition est admise, chaque ville universitaire aura successivement le jury dans son sein ; par conséquent, il n'y aura aucun avantage pour l'université de Bruxelles ni pour ses élevés.

Toul calculé, les frais seront les mêmes. On avait signalé cet inconvénient qu'en fixant le siège du jury à Bruxelles, on forçait les jeunes gens n'appartenant pas à l'université de Bruxelles, à des déplacements très coûteux. L'équilibre se rétablira encore, nous pas précisément chaque année, mais au bout de quatre ans.

D'ailleurs, cette question des frais doit peu nous préoccuper, parce que les jeunes gens, au moment des examens, ne sont plus d'ordinaire dans la ville universitaire, ils sont dans leur famille, et avec les chemins de fer les frais sont à peu près les mêmes, excepté pour Liége qui se trouve un peu à l'extrémité du pays.

Il y a un autre motif qui milite en faveur du maintien du jury pour une année dans la même ville : c'est que, de cette manière, on va plus vite en besogne. Lorsque le jury se transporte d'une ville à l'autre, il perd dans ces pérégrinations un certain nombre de jours. Or, il est nécessaire d'éviter autant que possible les retards, puisque, quoi qu'on fasse, les examens se prolongent souvent encore fort avant dans le mois d'octobre et jusque dans le mois de novembre, alors que les cours devraient être repris.

Messieurs, pour tous ces motifs, le gouvernement croit devoir persister dans le système qu'il a eu l'honneur de soumettre à la Chambre moyennant les modifications dont je viens de vous entretenir. Ces mêmes motifs militent, dans la pensée du gouvernement, contre les amendements dont la Chambre est saisie en ce moment, c'est-à-dire l’amendement de l’honorable M. de La Coste d'une part, et l'amendement de l'honorable M. de Mérode de l'autre.

L'amendement de M. de La Coste a la plupart des défauts des jurys combinés.

(page 508) Les interrogatoires se feront principalement par les professeurs de l'élève.

Eh bien, je considère cela comme un inconvénient. Il faut que l'élève trouve parmi ses examinateurs un de ses professeurs, ce que j'approuve ; mais je ne crois pas qu'il soit utile, au point de vue de la science, que l'élève soit surtout examiné, soit presque exclusivement examiné par ses professeurs, parce qu'alors comme je le disais tout à l'heure, vous rapetissez la science.

L'élève ne connaît plus que la science de ses professeurs. Ce sont les cahiers de ses professeurs qui constituent tant son bagage intellectuel et scientifique.

Ensuite, lorsque vous augmentez la part proportionnelle de chaque établissement dans le jury chargé d'examiner les élèves de cet établissement, vous avez ce grand danger des collusions entre les professeurs et les élèves, surtout si, comme le propose la section centrale, on retranche l'examen écrit dont les questions sont choisies par tous les examinateurs. Les professeurs de l'élève jouant le principal rôle dans l'examen exclusivement oral, alors vous n'avez plus aucune espèce de garantie contre les collusions entre les professeurs et leurs élèves.

L'amendement de l'honorable M. de la Coste semble avoir pour but d'empêcher les coalitions. Ce but sera-t-il atteint ? J'en doute fort. Si vous supposez la coalition entre les universités libres, vous risquez de compromettre le sort des élèves appartenant aux universités de l'Etat.

Si vous voulez même supposer un instant la coalition de trois contre un, alors encore, que le président nommé par le gouvernement incline lui-même dans le sens de la coalition, vous n'avez pas de garantie contre les dangers qu'offre une pareille éventualité. Disons donc que, si l'on veut se livrer à des suppositions, si l'on veut prévenir tous les inconvénients imaginables, on n'aboutira jamais. On aura beau compliquer le jury, on n'arrivera jamais à établir de véritables garanties.

L'amendement de l'honorable M. de La Coste offre encore ces inconvénients que je signalais tout à l'heure, c'est-à-dire une grande inégalité dans l'appréciation du mérite des élèves.

En effet, pour chaque université vous aurez un jury différent, tant sera importante l'adjonction de deux membres que vous demandez pour chaque université.

Enfin, cet amendement présente encore ce grand inconvénient de faire examiner les élèves de chaque université, à tour de rôle.

On perd ainsi un des grands bienfaits du jury central qui consiste à examiner pêle-mêle les élèves de toutes les universités.

Le système mis en avant hier, à la fin de la séance, par l'honorable M. de Mérode me paraît bien difficilement pouvoir être admis, tant sous le rapport de la science, que sous le rapport de la liberté.

Je le sais bien, messieurs, c'est un inconvénient contre lequel on se heurte lorsqu'on fait, à la fois, des professeurs, des examinateurs et des juges.

Les professeurs qui sont souvent les meilleurs examinateurs ne sont pas toujours placés dans les conditions nécessaires pour être les meilleurs juges. Cependant, au point de vue de la science il est nécessaire que le jugement même soit porté par des hommes scientifiques.

Une fois qu'on entend constituer un jury scientifique, il faut que ceux qui jugent, aussi bien que ceux qui interrogent, soient des professeurs, c'est-à-dire des hommes qui connaissent les méthodes et les systèmes d'enseignement, qui en aient retenu les mille détails, tels que les définitions, les divisions des matières, etc., qui soient au courant de ce que c'est qu'un cours universitaire. Des hommes étrangers à l'enseignement sont incapables de bien juger les élèves sortant des universités ; ils ne sont plus au courant du mouvement incessant qui se manifeste dans l'enseignement.

Cet inconvénient devient saillant, si le jury, tel que le propose l'honorable comte de Mérode, prend un caractère de permanence. En effet, par cela même, ce jury sera composé d'éléments stationnaires ; il ne progressera pas avec la science. (Interruption.)

Ce mode de jury fonctionne bien, appliqué à l’examen des élèves de nos écoles spéciales ; mais là il s'agit de sciences exactes et positives, tandis que devant nos jurys universitaires se présentent des matières sur lesquelles il existe une grande diversité de systèmes qui se modifient sans cesse. Ma conviction est donc que vous ne trouveriez pas chez des personnes complètement étrangères à l'enseignement les conditions indispensables d'un bon juge pour les élèves de cet enseignement.

Enfin, dans la pensée de l'honorable comte de Mérode, le jury ne serait composé que de trois membres par faculté, et, par conséquent, il faudrait trouver des hommes véritablement encyclopédiques. Comment voulez-vous, en effet, que trois personnes puissent apprécier complètement les élèves au point de vue de toutes les matières spéciales ?

M. F. de Mérode. - Ils ont étudié.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Ils ont étudié dans le temps ; mais, depuis 20 ou 30 ans, il faut supposer que la science a fait des progrès.

Au point de vue de la liberté, le système de l'honorable M. de Mérode peut offrir de plus graves inconvénients encore. Ainsi, la nomination des membres de ce jury serait abandonnée, sans restriction ni garantie, au choix du gouvernement.

Or, déjà d'honorables membres redoutent l’influence du gouvernement, lorsqu'il s'agit de nommer un président ou un cinquième membre d'un jury ; comment consentiront-ils à donner au gouvernement le droit de nommer les trois juges dont il s'agit, sans aucune espèce de condition, sans aucune espèce de garantie ?

Je disais tout à l'heure que ce système est appliqué dans les écoles spéciales. Là il ne s'agit, en effet, que de constater la science ; mais du moment qu'il faut à la fois combiner les intérêts de la science et ceux de la liberté, il faut évidemment autre chose qu'une pareille combinaison.

Messieurs, j'attendrai la suite de la discussion, pour présenter quelques autres observations. Je voulais seulement, dans l'état actuel du débat, exposer le système du gouvernement, avec quelques modifications que j'ai jugé convenable d'admettre.

M. Julliot. - Messieurs, c'est avec le plus vif intérêt que j'ai suivi dans cette discussion, le mouvement des esprits qui se produit dans une question sociale de premier ordre.

Je me suis toujours dit, qu'en partant de l'esprit de la Constitution, la liberté dans les intérêts sociaux tant immatériels que matériels, non proscrite par cette Constitution, était seule la vérité et que toute entrave gouvernementale directe ou indirecte, alors qu'elle n'est pas indispensable, est le mensonge.

L'honorable M. Frère-Orban a parfaitement caractérisé la situation. L'honorable membre a dit : « En principe, nous avons la liberté de l'enseignement, mais dans l'application nous avons le monopole de l'Etat ;» et c'est vrai.

La maîtrise universitaire se compose de deux éléments, de la nomination des professeurs d'une part, et de la rédaction du programme des études, des examens et de la nomination du jury, d'autre part. Or, pour tout l'enseignement public l'Etat s'est réservé la moitié de ces éléments et en fait, il a le monopole de l'enseignement dans ses attributions.

L'honorable M. Orts a voulu nous tirer de ce pas, mais il est venu trois ans trop tôt, et je pense que dans dix ans on ira plus loin, on se demandera : Qu'est-ce qu'un diplôme ?

Car en présence du principe de la liberté de l'enseignement, je me suis demandé bien des fois pourquoi alors que le premier venu est libre d'enseigner le droit et la médecine comme bon lui semble, l’élève de cette école ne peut-il exercer dans la liberté, sans passer par les mains de l'Etat, ce qu'il a appris dans la liberté ?

Je me suis encore demandé pourquoi la société doit être garantie par des examens et des diplômes contre la maladresse d'un avocat sans diplôme, parce qu'il pourrait perdre une cause civile ou autre, comme si les avocats diplômés ne perdaient pas les leurs à tour de rôle ; quand la société ne demande pas cette même garantie contre les législateurs qui ont le pouvoir de bouleverser l'ordre social tout entier ? El cette supposition depuis 1848 n'est plus une utopie.

Qu'on me réponde par une conclusion logique et je me tiendrai pour battu ; mais en attendant je dis que la confiance du client dans un défenseur équivaut à la confiance de l'électeur dans son représentant.

Selon moi, celui de nos deux partis politiques qui acceptera franchement et sans réticence toutes les conséquences des principes constitutionnels sans exception, tiendra le pouvoir pour longtemps, car il ne sera pas à débusquer, et en n'écoutant que mes sympathies, je puis me permettre de soumettre cette pensée à l'examen de l'honorable M. Dedecker.

Le Congrès a déclaré l'enseignement, le culte et la presse libres ; il ne restait donc plus rien à faire de ce chef, néanmoins il n'a pas prévu un culte de l'Etat, une presse de l’Etat ; mais il a prévu un enseignement par l'Etat. Cela a-t-il été l'effet de l'existence de deux universités de l'Etat à l'époque de la discussion du Congrès, ou cela est-il dû à un de ces moments de distraction dont toutes les assemblées délibérantes sont susceptibles ? Je ne le déciderai pas.

Toujours est-il que ces deux idées impliquent une contradiction flagrante et qui fait toute la difficulté de la situation dont nous sortirons comme nous le pourrons en alliant quelques vérités à beaucoup d'erreurs.

Je tiens pour vrai qu'alors que la société déclare une fonction sociale d'apostolat, elle ne peut vouloir détruire son œuvre en déléguant l'Etat pour combattre cet apostolat.

Selon moi, MM. les professeurs pèsent trop dans la balance, surtout dans celle de M. le ministre de l'intérieur.

L'honorable ministre, dans le discours qu'il vient de prononcer, a mis diverses fois la science en opposition à la liberté ; je n'ai pas compris le fond de cette pensée, car en séparant avec tant de soin la liberté de la science, cela veut-il dire qu'il n'y a de science que dans l'enseignement officiel ? Je ne le pense pas, mais la phrase est obscure.

En analysent quelques discours, on dirait que les élèves ont été inventés pour servir au triomphe de MM. les professeurs. Quand je dis ceci, je ne suis pas suspect, car pour les trois quarts j'ai servi de professeur à moi-même et je ne m'en plains pas ; je suis donc personnellement fixé sur la dignité du professeur.

Mais il est un dicton fort respectable que de tout temps MM. les professeurs ont mis en application à une très forte dose. Le voici :

Si vous voulez être respecté, commencez par vous respecter vous-même. Et sous ce rapport ces messieurs ont réussi, car ce sont les seuls fonctionnaires de l'Etat qui peuvent conserver leur traitement entier à titre de pension, à tel point qu'un président de la cour de cassation, (page 509) après avoir usé son intelligence pendant quarante ans pour rendre la.justice ne peut recevoir au-delà de cinq mille francs à titre de pension, tandis que le professeur d'hygiène de l'Etat par exemple, qui pendant trente ans aura réglé ses repas et son travail d'après les prescriptions de sa science, peut recevoir la totalité de son traitement à titre de pension, fût-il de 8,000 fr.

En présence de toutes ces contradictions plus ou moins incroyables pour ceux qui ne sont pas initiés à nos us et coutumes, je voterai toujours en faveur des propositions les plus libérales en fait d'enseignement, pour voter contre la loi si l'ensemble ne me convient pas.

J'ai dit.

M. Verhaegen. - Messieurs, en demandant une réforme radicale dans la composition des jurys d'examen, plusieurs orateurs ont prétendu que les études universitaires sont en décadence en Belgique.

Cette décadence n'existe que dans l'esprit de ceux qui la déplorent. Les études sont au moins aussi fortes en Belgique qu'en France et en Angleterre. Ce qui est vrai, c'est, comme l'a dit l'honorable M. de Brouckere dans une séance précédente, c'est que le positivisme du siècle a déteint sur l'enseignement et que les connaissances purement scientifiques s'effacent de plus en plus devant les connaissances pratiques. L'institution des examens, de quelque manière qu'on l'organise, contribue fatalement à ce résultat, en matérialisant les études, en invitant, pour ainsi dire, la jeunesse à mépriser toute science qui ne figure point dans un programme du jury. La substitution d'un seul examen dit professionnel aux divers examens scientifiques, tels qu'ils existent aujourd'hui est surtout de nature à aggraver ce résultat. C'est donner une enseigne à l'abus.

L'élève en se présentant à cet examen n'aura qu'un but, celui d'obtenir un diplôme d'avocat, de médecin, de pharmacien ou de notaire et, au moyen de ce diplôme, de se créer immédiatement une position lucrative ; il s'inquiétera peu de la science.

Ce que l'on voudrait dans le siècle où nous vivons, c'est d'étudier peu, de s'amuser beaucoup, d'obtenir facilement un diplôme et de gagner immédiatement beaucoup d'argent, c'est encore une fois l'amour immodéré des richesses qui conduit à ce résultat.

On s'apitoie trop facilement sur la position des élèves obligés d'étudier quelques heures par jour et de sacrifier au travail une partie de leurs amusements ; on trouve que les matières d'examen sont trop nombreuses et que les études doivent être considérablement simplifiées, comme s'il y avait disette de docteurs et comme si l'obtention d'un diplôme pouvait assurer l'existence d'une famille tout entière.

Qu'on se détrompe à cet égard, l'obtention d'un diplôme n'est absolument rien ou tout au moins peu de chose au point de vue pratique. La société est encombrée de docteurs, et, nous le disons franchement, au lieu de vouloir en augmenter le nombre il faudrait chercher à le restreindre ; il n'y a pour ainsi dire pas de famille où il n'y ait un avocat et un médecin, souvent deux et même plus ; et que font ces docteurs ? Au lieu de vivre, ils végètent ; ils restent une charge pour leurs parents qui n'ont été alléchés dans le choix d'une profession que par l'espoir d'un lucre immédiat.

Pour rendre l'obtention d'un diplôme plus facile on veut réformer radicalement la loi de 1849, et cependant, quoiqu'on dise, la loi de 1849 a produit quelques bons résultats.

Il serait absurde de prétendre que les études universitaires sont en décadence en Belgique.

Nous avons eu l'occasion de comparer les études de la faculté de philosophie et lettres et de la faculté de droit en Belgique et en France et nous ne craignons pas de dire que l'avantage est pour les universités belges.

Voici quelques faits à l'appui de cette assertion :

Des jeunes gens après avoir subi devant le jury d'examen belge l'examen de candidat en philosophie, de candidat et de docteur eu droit ont été obligés, par suite de nécessités de famille, après chaque examen passé en Belgique, d'aller subir un examen analogue à Paris, sans aucune préparation, sans connaître les professeurs devant lesquels ils se présentaient, sans connaître ni leurs cahiers, ni leurs écrits, ni leur méthode, et chaque fois ils ont réussi dans ces examens.

Au contraire, des jeunes gens revêtus de diplômes français n'ont pas pu, avec la même facilité, se présenter devant le jury belge, et le plus souvent ils avaient besoin d'indulgence ; des documents irrécusables prouvent cette assertion.

Aussi, l'un des professeurs les plus éminents de l'école de droit de Paris, M. Valette, ayant à plusieurs reprises assisté aux examens passés devant le jury combiné de Liège et de Bruxelles, a manifesté publiquement une opinion très favorable sur la force des études en Belgique.

A. son tour, feu M. Blondeau, l'ancien doyen de l'école de droit de Paris, qui a suivi avec intérêt les études du droit en France, en Hollande, en Belgique, a parlé souvent avec grand éloge de ce qui se passait dans notre pays. Dans les nombreuses relations que j'ai eues avec M. Blondeau, il m'a dit bien des fois que la force des hautes études était en Belgique, relativement, beaucoup plus grande qu'en France.

Il paraît même que sur plusieurs points l'on a suivi en France l'exemple de la Belgique. Aussi, pour le grade de bachelier ès lettres et pour l'examen de licencié en droit, il y a, depuis quelques années, un examen écrit, mesure que, sans aucun motif plausible, on voudrait aujourd'hui supprimer dans notre pays.

Veut-on juger les études en elles-mêmes, on arrive à un très beau résultat.

Voyez : au barreau il y a beaucoup de jeunes avocats très capables et très instruits, le corps médical compte parmi ses hommes nouveaux des sujets très distingués, et les illustrations dans la diplomatie, dans l'armée et dans le génie sortent de nos écoles.

Sans doute les médiocrités sont nombreuses, parce que telle est la condition de l'humanité ; partout les médiocrités forment le plus grand nombre, mais enfin, il n'y a plus de médiocrités aussi complètes qu'autrefois.

Voyez encore : plusieurs jeunes gens à peine sortis des bancs de la candidature ont présenté au concours universitaire des mémoires d'une certaine valeur et justifiant de la bonté des études. Ainsi, sans sortir des études juridiques, nous avons vu depuis peu d'années couronner deux mémoires, je pourrais dire deux ouvrages très importants : l'un de M. Charles Petit, de l'université de Bruxelles, l'autre, tout récent, de M. Biervliet, de l'université de Louvain, sur les stipulations admises dans les contrats de mariage.

Je pourrais multiplier les exemples et les citations, les universités de l'Etat y trouveraient une bonne part, mais ce soin incombe à M. le ministre de l'intérieur.

Ce que nous avons dit des facultés de philosophie et de droit s'applique également aux facultés de médecine et des sciences.

Il n'est peut-être pas de pays où le progrès scientifique se soit manifesté avec plus d'activité que dans le nôtre. Que l'on examine les résultats obtenus, et on verra s'il n'y a pas de quoi s'enorgueillir. En médecine il n'y a pas un récipiendaire qui ne soit à même de se présenter avec succès n'importe devant quelle faculté de l'Europe ; plusieurs candidats étrangers sont venus demander des diplômes à Bruxelles, et pas un seul n'a présenté une somme de connaissances égale à celle de nos élèves.

Ce résultat est dû à l'émulation qui s'établit par le fait des jurys d'examen, tels qu'ils existent chez nous ; avant l’établissement des jurys, il n'y avait pas d'école de médecine belge, nous étions tributaires de l'étranger ; aujourd'hui la médecine belge vit par elle-même et a son caractère spécial ; c'est un résultat immense.

Non, messieurs, et je suis fier de le dire, les études ne sont pas en décadence en Belgique ; ce qui l'est, c'est l'amour de la science, surtout, après la sortie de l'université, parce que l'on n'encourage pas ceux qui se livrent aux sciences, aux études spéculatives.

Ainsi, un savant veut-il écrire et publier un ouvrage important, il doit le faire à ses frais et risques, et avec la chance de ne pas retirer ses déboursés.

Veut-il se livrer au professorat ; il reçoit à peine une rémunération suffisante pour exister et il est traité partout sans déférence et pour ainsi dire avec dédain.

Jusque dans cette Chambre, on stigmatise les professeurs, on les traite très cavalièrement et le gouvernement ne les estime guère plus. Dans un arrêté de l'honorable M. Piercot fixant les frais de route des fonctionnaires et employés du ministère de l'intérieur, les huissiers et messagers sont mis dans la même classe que les membres du jury d'examen et, comme eux, touchent cinquante centimes par lieue. C'est-à-dire que les membres du jury d'examen sont placés dans la septième ou dernière classe.

La législature même s'est associée à ces tendances en décidant en 1849 que les examinateurs ne recevraient pour toute rémunération que le produit des inscriptions prises par les récipiendaires, c'est-à-dire, l'équivalent de ce que l'on paye à un cocher de fiacre.

Pour n'en citer qu'un exemple, il y a deux ans, un jury composé de six professeurs de l'enseignement supérieur et d'un magistrat pour président, a siégé à Liège pendant trois jours pour examiner un professeur agrégé ; le droit d'inscription payé par le récipiendaire et constituant tout le salaire du jury, s'élevait à 20 francs.

Pour que les sciences, les lettres, les hautes études fleurissent, il ne suffit pas de créer des universités, d'avoir des professeurs et de simplifier les examens, il faut surtout et avant tout relever dans l'opinion publique la dignité du corps enseignant. Voyez l'Allemagne ! de quels égards, de quels honneurs elle entoure les professeurs de ses universités, qui, presque tous, occupent un rang élevé dans l'échelle des positions sociales ; voyez en France, dès qu'un professeur se fait remarquer par son mérite, on lui ouvre les portes du conseil d'État, de la chambre des députés, on le revêt des insignes de la pairie: MM. Cousin, Villemain, Royer-Collard, Arago, Guizot, Thénard, Cuvier, Saint-Marc, Girardin, etc., tous ces hommes doivent à la chaire du professorat les fonctions élevées, les dignités qui leur ont été accordées ; M. Arago a été nommé député dans deux collèges électoraux, il était membre du conseil général de la Seine, etc. En Belgique, que faisons-nous pour nos savants, pour nos professeurs': Rien.

Cette indifférence du pays pour les hommes qui font des sciences leur occupation spéciale arrête tout élan, détruit dans son germe toute noble vocation ; elle est désastreuse pour la prospérité des études et explique comment s'éteint insensiblement le feu sacré de la science.

Loin de là, on veut encore enlever au professeur le peu d'influence qui leur reste, celle qu'ils peuvent avoir sur leurs élèves. En effet, de quel discrédit ne seront pas frappés ceux de MM. les professeurs dont (page 510) la mission se bornerait à constater par certificats la présence physique ou matérielle des élèves à leurs cours !

Chercher dans les examens un moyen de revivifier l'esprit scientifique, c'est verser dans une double erreur. D'abord, tout examen est en soi un moyen de matérialiser les études et non de les idéaliser ; ensuite, si les examens avaient la vertu qu'on leur prête, notre Constitution défendrait de les imposer à la liberté d'enseignement. L'Etat n'a pas le droit d'agir sur l'instruction privée ; il ne peut que réclamer, au nom de la société, certaines garanties d'aptitude de la part de ceux qui veulent exercer dans la société une profession importante.

S'il en est ainsi, pourquoi s'occuper de réorganiser les examens ?

Parce que, dit-on, leur but a été vicié, parce que leur organisation actuelle ne donne pas les garanties que la société en attend.

On a signalé deux moyens principaux de porter remède à la situation présente : 1° nouveau système quant à la composition des jurys ; 2° simplification des matières ; les deux solutions adoptées par la section centrale font l'objet des articles. 28 et 8 bis du projet de loi.

Quant à moi, messieurs, après avoir étudié avec soin les différents systèmes qui sont aujourd'hui en présence, je suis porté à donner la préférence, sauf quelques observations de détails que je réserve pour la discussion des articles, au système qui fait la base du projet de loi, tel qu'il a été présenté par le gouvernement.

Pour la composition des jurys d'examen, il y a deux principes fondamentaux dont nous ne devons pas nous départir.

L'un veut que les examens aient lieu sous l'inspection et l'autorité de l'Etat : c'est l'Etat, c'est le pouvoir civil qui seul peut donner l'investiture.

L'autre veut que l'examen se fasse sur un terrain commun où toutes les universités soient tenues de comparaître et par leurs élèves et par leurs professeurs et par leurs doctrines.

Le système du jury central présenté par le gouvernement est le seul qui réponde à ces deux principes.

Si les jurys d'examen sont, dans l'opinion de quelques orateurs, appelés à exercer quelque influence utile à la science et aux grandes études, il faut bien que les jurys trouvent cette force dans la centralisation et dans l'unité qui en est la conséquence.

Certes, la concurrence et la rivalité sont avantageuses, nécessaires même dans l'enseignement ; mais dans les examens elles ne peuvent produire que de l'injustice et du désordre. Comment concevoir que plusieurs jurys, composés de personnes différentes, soient chargées en même temps d'examiner des élèves sur les mêmes matières, sans trouver dans l'un plus d'indulgence ou de sévérité que dans l'autre, et dans chacun des règles, des procédés, des vues différents ?

Cette variété inévitable dans la marche et dans le jugement des jurys doit enlever tout prestige à leur juridiction et affaiblir nécessairement leur influence scientifique, Le rétablissement et un jury unique et central pour chaque examen aura, d'ailleurs, un autre effet très heureux pour les études ; il fera disparaître l'attachement trop servile des élèves aux cahiers de leurs professeurs et forcera les récipiendaires à une préparation plus générale et plus profitable à leur avenir.

D'autre part la centralisation permet de mettre en contact dans le jury les principaux éléments scientifiques qui se rencontrent dans toutes les universités du pays et de donner à la discussion un terrain neutre où les rivalités locales et personnelles auront moins d'occasions de se faire jour et où l'autorité morale des décisions revêtira un caractère plus respectable, plus imposant.

Voilà, messieurs, en peu de mots, le résumé de l'opinion de l'université de Bruxelles sur le principe de la centralisation des jurys que la loi de 1819 avait abandonné et que le projet actuel du gouvernement rétablit.

La section centrale est d'accord avec le gouvernement sur le principe de l'unité des jurys et comme le gouvernement, elle compose ce jury de neuf membres dont deux pris dans chacune des quatre universités et le neuvième nommé par le gouvernement en dehors des corps enseignants. Seulement aux yeux du gouvernement, ce neuvième membre est le représentant spécial des études privées, tandis que pour la section centrale il est un représentant de l’Etat, appelé à diriger les travaux du jury.

C'est là plutôt une question de mots qu'une question de fait, et j'attendrai la fin de la discussion pour me prononcer à cet égard.

Quant aux matières d'examen, le projet primitif du gouvernement les maintient à peu près telles qu'elles existent depuis 1849. La section centrale croyant porter remède à la prétendue faiblesse des études, veut simplifier les examens ; elle se contente, pour certains cours qu'elle considère comme accessoires, de certificats de fréquentation, et M. le ministre, abandonnant son système sur ce point, se rallie à la proposition de la section centrale ; chose étonnante, l'honorable M. Dedecker, comme s'il voulait se mettre en contradiction avec lui-même, complique ce qu'il veut simplifier ; il rétablit aujourd'hui l'examen d'élève universitaire, dont naguère il avait chaleureusement demandé la suppression.

Je regrette profondément ce revirement d'opinion de M. le ministre de l’intérieur et je suis décidé à appuyer son projet primitif, non seulement quant au rétablissement du jury central, mais encore en ce qui concerne les matières d'examen.

Que signifient des certificats ? Absolument rien. De deux choses l'une : ou les cours pour lesquels on veut se contenter de certificats sont nécessaires ou ils ne le sont pas. Dans ce dernier cas, qu'on les supprime, car à quoi bon forcer les élèves à les fréquenter si on ne peut pas leur défendre de s'y occuper d'objets étrangers au cours ?

Dans le premier cas, c'est-à-dire si ces cours sont considérés comme nécessaires, et je suis de cet avis, qu'on les maintienne avec toutes leurs conséquences, et spécialement avec la nécessité d'un examen.

Quoi qu'on dise, les matières d'examen ne sont pas trop nombreuses.

On s'est spécialement occupé, dans la discussion, de la faculté de droit ; eh bien, prenons la faculté de droit pour exemple.

Les deux examens du doctorat en droit sont devenus faciles et à la portée des étudiants d'une intelligence ordinaire et d'un travail passable.

Le premier examen porte :

A. Sur quelques titres des pandectes.

B. Sur le droit criminel.

C. Sur le droit public.

D. Sur un tiers du Code civil.

Sur ces quatre matières deux sont attrayantes pour les élèves (le droit public et le droit criminel). Les deux autres ne les fatiguent pas trop.

Le deuxième examen est encore plus facile. Il se compose :

A. Du droit civil, le reste du Code.

B. Du Code de commerce (étude indispensable en Belgique).

C. De la procédure civile (quelques centaines d'articles).

D. De l'économie politique (étude très attrayante dans le siècle où nous vivons).

Qu'y a-t-il à supprimer ? Rien.

L'examen de la candidature est plus fatigant, j'en conviens ; on pourrait y sacrifier deux ans pour le rendre plus facile ; mais encore il n'y a rien d'effrayant.

Les mêmes observations s'appliquent aux autres facultés La médecine exige trois ans d'études, et on ne se plaint pas de la difficulté des examens. Pourquoi n'aurait-on pas les mêmes exigences quant au droit ?

Dans l'état actuel de la société, l'on devrait tâcher de faire durer les études universitaires plus longtemps et les rendre plus difficiles.

Les abréger, les rendre plus faciles, c'est, à mon avis, avec l'encombrement des professions libérales un non-sens, un danger pour la science, une aggravation de l'état social et un danger pour l'avenir !

Messieurs, je bornerai là mes réflexions dans la discussion générale, en me réservant de prendre la parole si le besoin s'en fait sentir lors de la discussion des articles.

Un mot cependant sur le système nouveau qui a surgi à la fin de la séance d’hier et qui a été formulé eu proposition par l'honorable M. F. de Mérode.

Ce système, sous une apparence d'impartialité, cache une source d'abus et de difficultés, et je le dis sans crainte d'être démenti, sa mise à exécution est impossible.

D'abord les trois membres du jury où seraient-ils pris ? On ne pourrait les prendre que dans le sein des universités dont ils seraient à jamais distraits et l'on priverait ainsi ces universités de leurs meilleurs professeurs.

D'ailleurs dans quelles universités prendrait-on ces magistrats de l’enseignement ? Que diraient les établissements qui n'auraient fourni aucun membre du jury ? L'honorable auteur de la proposition aurait-il confiance dans le choix du gouvernement si l'opinion libérale était au pouvoir ?

Ensuite quelle personne voudrait accepter le rôle du ministère public ou de défenseur et se charger d'interroger sur toutes les matières ?

D'un autre côté, comment la science pourrait-elle progresser en présence d'un corps inamovible choisi parmi les vétérans de l’enseignement ?

Enfin ne voit-on pas qu'après deux ou trois sessions l'opinion scientifique du jury serait connue ? Que les récipiendaires déserteraient les universités pour apprendre par cœur les manuels rédigés ou adoptés par les examinateurs ?

(page BS. Vautîer Dotickt. (Nous donnerons son discours.)

(page 510) M. Rogier. - La Chambre me paraît assez fatiguée déjà de cette longue discussion, où se produisent tant d'opinions diverses. Je lui annonce une chose en commençant, c'est que je n'apporte pas un nouveau système ; nous en avons déjà assez comme cela ; pour ma part, quand je considère le grand nombre de systèmes que nous avons devant nous, je serais effrayé à la seule idée d'en proposer un nouveau ; il n'y en a pas, je crois, moins de dix ; nous avons le système actuellement en vigueur ; nous avions le système primitif du ministre, qu'il a abandonné en grande partie avant même la discussion, pour se rallier au système de la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Je me suis rallié pour les matières seulement, je n'ai pas abandonné pour cela mon système.

M. Rogierù. - Vous avez abandonné votre système n partie ; il vous reste un demi-.-système.

Nous avons donc le système mutilé du gouvernement, accouplé avec celui de la section centrale, nous avons celui de la section centrale ; nous avons celui indiqué par M. Frère ; nous avons celui de M. Orts momentanément retiré ; nous avons celui de M. de La Coste ; nous avons (page 511) celui de M. de Mérode ; d'autres encore ; M. Julliot ne vient-il pas de produire le sien ? Il en est un qui ne s'est pas produit en cette enceinte et qui pourtant à sa grande valeur.

Les universités de l'Etat, en présence des difficultés que les combinaisons antérieures avaient présentées, en ont proposé une très simple et très logique. Elles ont dit ceci: Revenons à l'ancien système d'avant 1830. Laissez aux universités de l'Etat la faculté de délivrer les grades à leurs élèves et donnez à l'enseignement libre, à l'enseignement privé un jury spécial qui lui délivre des diplômes.

Voilà un système qui n'a pas été mis en avant dans cette Chambre, mais qui a sa valeur, et qui mériterait d'être discuté aussi bien que d'autres.

Quant à moi, je veux simplifier autant que possible cette discussion, et je dis que la Chambre fera bien de conserver le statu quo en le dégageant de quelques inconvénients qui ont été signalés.

Après cela, il ne faut pas croire que nous aurons un système parfait. En cette matière, pas plus qu'en aucune autre, il, ne faut prétendre à la perfection. Quel que soit le système que nous adoptions, nous n'échapperons pas à certains inconvénients. L'important, c'est d'en avoir le moins possible et je trouve que le régime actuel, convenablement modifié, est préférable à tous ceux dont on a parlé.

Ce système, dit M. le ministre de l'intérieur, a été généralement abandonné et blâmé par tout le monde. Je ne sais où il a trouvé la base d'une pareille appréciation.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Personne ne l'a défendu.

M. Rogier. - Si je consulte les documents publiés par l'administration, je trouve que ce système n'a pas été blâmé par tout le monde. Ainsi, les présidents des jurys ont été réunis en un comité spécial, et là ils ont déclaré que ce système avait ses inconvénients, qu'il n'avait pas produit tous les fruits qu'on avait cru pouvoir en attendre, mais qu'il était bon de le conserver jusqu'à ce qu'il eût produit tous ses effets.

M. Coomans. - Le système était excellent pour les présidents.

M. Rogier. - Vous faites là une injure à MM. les présidents des jurys d'examen, qui, par leur position et leur caractère, sont au-dessus de pareilles attaques. Le gouvernement, on peut le dire, a eu le bonheur de rencontrer pour cette mission parmi les sommités scientifiques, juridiques et littéraires du pays, les hommes les plus capables et les plus honorables. De pareilles insinuations ne sont pas dignes de membres de la Chambre. Les présidents ont été réunis en commission spéciale, et j'engage l'honorable membre qui m'interrompt à vouloir bien lire le rapport extrêmement remarquable qui a été fait en leur nom.

Le gouvernement ne s'en est pas tenu là. Il a nommé une commission spéciale, composée de membres des jurys, du conseil de perfectionnement et de professeurs des universités. Quelles ont été les conclusions de ce comité ? Le maintien, avec quelques modifications, du régime que M. le ministre de l'intérieur nous annonce comme ayant été abandonné et blâmé par tout le monde.

En 1852, le conseil académique de l'université de Liège avait également voté pour le maintien du système. Je ne sais s'il a changé d'avis depuis ; on me le dit ; mais en 1852 il s'était prononcé en faveur de ce système. M. le ministre de l'intérieur, qui prétend que ce système est abandonné par tout le monde, peut constater le contraire dans les publications officielles de son département.

Le reproche adressé au système n'a pas trait, dit-on, à la composition du jury, mais à ce qui fait la base de l'examen. On trouve l'examen trop chargé. Ou voudrait décharger les élèves de certaines matières d'examen. C'est là que réside la grande difficulté. Quant à la formation des jurys, les difficultés, les objections sont beaucoup moindres. Or, le programme d'examen oral et d'examen écrit proposé par M. le ministre de l'intérieur ne modifie pas le programme de son prédécesseur, l'honorable M. Piercot, qu'on avait trouvé beaucoup trop chargé.

En ce qui concerne la composition du jury, je dois combattre les innovations que M. le ministre de l'intérieur propose. Et d'abord, je dois faire une déclaration. Si je défends le système actuellement en vigueur, il n'y a pas, de ma part, amour-propre d'auteur ; ce système m'avait été suggéré par un de mes honorables amis. J'en ai fait l'application. Mais je n'en revendique aucunement l'honneur.

En quoi consiste le système actuel ? En vertu du principe déposé dans l'article 40 de la loi, principe le plus libéral, le plus large, le plus impartial, l'enseignement libre est représenté dans le jury de la même manière que l'enseignement de l’Etat ; le jury est composé en nombre égal de professeurs de l'enseignement de l’Etat et de l'enseignement libre ou privé. Ce jury est présidé par un délégué du gouvernement qui tient la balance entre les deux partis. Je ne pense pas que l'impartialité de ce jury ainsi constitué ait été mise en doute.

Il y a là toutes garanties pour la liberté, qui se trouve sur la même ligne que l'enseignement officiel.

Mais en dehors de l'enseignement de l'Etat, de l'enseignement universitaire libre, il y a encore un autre enseignement.

Je conçois que lorsqu'on représente spécialement soit les universités de l'Etat, soit l'université de Bruxelles, soit l'université de Louvain, la vue ne se porte pas au-delà, et qu'on soit tenté de considérer tout l’enseignement supérieur comme se résumant dans ces quatre établissements. Mais en dehors de ces quatre établissements, il y a un enseignement supérieur possible. En fait, il en existe un, et dans l'avenir cet enseignement peut prendre un grand développement.

Eh bien, d'après le projet de loi en discussion, dans un jury de neuf membres cet enseignement compterait un seul représentant. Voilà la part qu'on fait à la liberté proprement dite, à la liberté qui ne va pas à l'université.

Si c'est là l'innovation, le progrès qu'on nous apporte, je dis que mieux vaut le statu quo. Dans le jury combiné, tel qu'il existe aujourd'hui, l'élève se trouve devant son professeur et devant un professeur appartenant à une autre université. Il a donc des chances d'être interrogé par son professeur.

Et en effet, c'est ce qui arrive : le professeur interroge presque pendant tout le temps son propre élève.

On trouve cependant que l'élève est encore trop surchargé, qu'il n'arrive pas à l'examen avec une liberté d'esprit suffisante, et on veut encore (je ne suis pas éloigné de m'associer à cette réforme) alléger l'examen.

Il en va tout autrement dans le système proposé par M. le ministre de l'intérieur ; l'élève se trouvera en présence de son professeur, puis en présence de trois autres professeurs des trois autres universités ; de manière qu'aujourd'hui s'il arrive avec la préoccupation d'être interrogé éventuellement par un professeur étranger à son université, dans le système nouveau il aura quatre préoccupations. Il ne sait pas lequel des quatre examinateurs viendra l'examiner. Il devra donc se préoccuper de quatre doctrines différentes.

Sera-ce le moyen de soulager l'examen d'élève que de le préoccuper de diverses doctrines de professeurs appartenant à des établissements rivaux ? Je dis que c'est agir contrairement au point de départ qui était d'alléger l'examen.

L'enseignement extra-universitaire comptera un représentant dans le jury.

Que fera ce numéro un prétendument représentant l'enseignement privé ? Ou bien il sera réduit au pur état de zéro, lorsqu'il interrogera un élève soit de l'enseignement privé, soit de l'enseignement universitaire ; il pourra se former contre lui une coalition de quatre professeurs des universités qui trouveront détestable l'enseignement de l'élève privé. Ou bien ce zéro pourra exercer une puissance des plus prépondérantes au sein du jury, que celui-ci se compose de quatre ou de huit membres.

Si ce jury, par sa nature, même se divise en deux et que ce numéro un se porte d'un côté ou de l'autre, il y exerce une puissance énorme. Impuissant vis-à-vis de l'élève qu'il est censé devoir représenter et protéger, il pourra devenir tout-puissant vis-à-vis de l'élève universitaire suivant le côté où il se rangera.

On craint, dit-on, dans les jurys combinés à deux, la collusion entre les professeurs. Mais si dans les jurys combinés à quatre, les collusions sont plus difficiles, il y a aussi quelque chose de beaucoup plus facile ce sont les coalitions, et ces coalitions paraissent inévitables.

Il peut parfaitement arriver qu'une des quatre universités se trouve constamment à l'état de minorité vis-à-vis des trois autres. Supposons que trois des universités représentées dans le jury central soient, par exemple dans un moment donné, l'objet d'attaques passionnées de la part d'un parti, soient plus ou moins frappées d'anathème. Prenons les deux universités de l'Etat et l'université de Bruxelles, en présence de l'université de Louvain. Voilà une coalition toute naturelle, une coalition presque inévitable. Est-ce là ce qu'on veut ? Est-ce-là de l'impartialité ? Quant à moi, mes sympathies, on le comprend, sont pour les trois universités. Mais j'ai aussi une sympathie très forte pour l'impartialité et je ne voudrais à aucun prix d'un système qui pourrait avoir pour résultat l'oppression d'une université quelconque.

Ainsi, messieurs, je crois avoir pu dire avec raison que mieux valait conserver le système actuel que d'introduire l'innovation qu'on nous propose. Je suis donc pour le maintien du statu quo en ce qui concerne le jury.

Quant aux matières de l'examen en lui-même, y a-t-il lieu d'introduire des modifications ? Est-ce que l'examen est trop chargé ; est-il certaines matières qui peuvent ne plus faire partie de l'examen ? Cela est possible, il paraît que l'état de choses actuel a été représenté comme fâcheux et l'on croit qu'il serait urgent d'y porter remède. Sous ce rapport je me réserve entièrement mon opinion.

Mais il y a deux manières de procéder à cet égard, il y a deux questions différentes ; il y a les matières qui feront l'objet d'un examen oral, il y a les matières qui peuvent faire l'objet d'un examen écrit.

Dans le projet de loi du gouvernement, l'examen porte sur toutes les matières ; on interroge l'élève oralement et par écrit. M. le ministre de l'intérieur a renoncé à ce système, à l'examen écrit, il substitue aujourd'hui les certificats ; le système des certificats a rencontré de l'opposition. Voilà donc le point à débattre.

Certaines matières, d'une importance moindre que d'autres, feront-elles l'objet d'un examen écrit ou l'objet d’un certificat ? Beaucoup d'opinions inclinent pour que ces matières d'un ordre accessoire continuent à faire l'objet de l'examen écrit.

La section centrale propose de substituer à l'examen écrit les certificats des professeurs. La commission spéciale dont j'ai déjà parlé et qui était composée de professeurs, de membres des jurys et de membres du conseil de perfectionnement, cette commission dont le rapporteur, M. de Cuyper, a fait un travail si digne d'attention, s'est prononcée pour le maintien de l'examen écrit, applicable, dans une certaine mesure, à un certain nombre de matières.

(page 512) L'avantage de cet examen que M. le ministre de l'intérieur avait d'abord proposé et qu'il a même très fortement défendu, tout en se ralliant au système contraire, l'avantage de cet examen, c'est de maintenir entre les professeurs une égalité qui disparaît, si à l'avenir, les professeurs se divisent en professeurs examinateurs et en professeurs simples certificateurs.

M. le ministre de l'intérieur n'a pas négligé d'indiquer ce grave inconvénient. Il y aurait, a-t-il dit, des inconvénients pratiques à diviser les professeurs en ces deux catégories. Les professeurs pouvant examiner les élèves et délivrer les diplômes, les professeurs n'étant admis qu'à distribuer les certificats, il s'établirait peut-être entre les professeurs de fâcheux conflits. Les professeurs à certificats n'aimeraient pas à être considérés comme des dii minores en présence des dii majores qui auraient seuls le droit de délivrer des diplômes.

Les certificats pourraient aussi avoir d'autres inconvénients. Je ne les repousse pas d'une manière absolue. J'attendrai la suite de la discussion, mais il me semble presque certain que les cours à certificats doivent être, d'avance, considérés comme des cours abandonnés. On a cité les anciennes universités où se donnaient aussi des certificats pour certains jours, mais on peut se rappeler que ces cours à certificats étaient peu fréquentés, que plusieurs de ces cours n'étaient fréquentés par aucun élève.

La même chose arrivera et arriverait surtout dans un temps où l'on se préoccupe avant tout, dit-on, de positivisme, où l'on court à l'utile, où l'on ne perd pas son temps à rechercher la science pour la science. On attribue même à cette disposition des esprits l'abaissement des études dans nos universités. Nous n'avons pas ici, messieurs, à plonger profondément dans ces questions philosophiques ; je crois que de tout temps, on a un peu cédé à l'entraînement du positivisme, qu'à toutes les époques des pères de famille ont recommandé à leurs fils, comme le fait, je crois, un certain épicier de Rome, dans l'Art poétique d'Horace, de s'occuper de ce qui peut être utile, de ce qui peut faire gagner de l'argent, de bien apprendre l'arithmétique. Ainsi ce qui se passe aujourd'hui est déjà très ancien, et il ne faut pas exclusivement attribuer à cette tendance l'abaissement des études universitaires. Si l'on comparait les aptitudes d'aujourd'hui à celles d'il y a 20 ou 30 ans, je ne décide pas de quel côté pencherait la balance, mais je ne crois pas que les études universitaires soient tombées aussi bas qu'on le dit.

Dans tous les cas, à quelle cause devrait-on attribuer l'abaissement des études universitaires ? Principalement à une chose qui a été signalée ou reconnue par tout le monde dans la discussion de 1849. Pourquoi, disait-on, les élèves des universités arrivent-ils si mal préparés aux examens ?

Tout le monde répondait : Parce qu'ils arrivent mal préparés à l'université, parce que l'enseignement moyen est trop faible.

Il faut donc fortifier l'enseignement moyen. Si l'élève sort de l'athénée bien préparé, il deviendra bon élève de l'université ; mais si vous voulez appuyer tout un système d'enseignement supérieur sur une base trop faible, trop étroite, alois il n'est pas étonnant que les étages supérieurs s'affaissent.

Tout le monde était d'accord pour fortifier l'enseignement moyen. C'était là que se trouvait le mal, c'était là que tout le monde le voyait.

Il y avait, disait-on, des élèves d'une ignorance crasse qui ne savaient pas l'orthographe, qui ne savaient pas un mot de latin, qui faisaient une recette en ces termes : recipe pilulae tria. Qu'a-t-on fait en 1849 ? On a créé le grade d'élève universitaire. Tout le monde, à cette époque, était d'accord sur la grande utilité de la création de ce nouveau grade et en effet, il était là placé, comme limite, comme barrière, à ces jeunes gens ignorants qui se permettaient de se présenter aux cours universitaires, quelquefois en sortant de la deuxième, quelquefois en sortant de la troisième, comme on l'a vu encore, dit-on, depuis la suppression de l'examen d'élève universitaire. Cet examen avait pour but d'avertir les parents de ne pas lancer leurs enfants dans une carrière pour laquelle ils n'avaient point d'aptitude.

En présence de cet examen, quoi qu'on en ait dit, l'enseignement moyen s'était relevé et il se serait relevé de plus en plus. Les élèves arrivaient donc à l'université mieux préparés. Qu'a-t-on fait ? Un beau jour la Chambre, avec une précipitation (je veux adoucir le mot), avec une précipitation incroyable, a supprimé le grade d'élève universitaire ; elle l'a condamné à mort et exécuté sans aucune espèce d'enquête.

Mais après l'exécution on s'est avisé de demander : L'exécuté était-il coupable ? Qu'avait-on à lui reprocher ? Nous allons un peu faire une instruction sur les antécédents de ce malheureux condamné.

Une instruction a été faite, la voici : Que nous apprend cette instruction ? Tous les établissements laïques déclarent que la suppression au grade d'élève universitaire a été une mesure désastreuse.

Tous réclament à grands cris le rétablissement du grade d'élève universitaire.

Vient maintenant la partie non laïque, l'enseignement dirigé par le clergé séculier et régulier.

Là, je dois le dire, la plupart des établissements trouvent que la suppression du grade d'élève universitaire a été une excellente chose. Il est même certains professeurs qui poussent l'enthousiasme de la reconnaissance jusqu'au civisme. Suivant eux l'examen du grade d'élève universitaire avait tellement étouffé les dispositions naturelles des jeunes gens, qu'ils étaient devenus incapables de rien faire, et qu'à peine cette barrière disparue, il y a eu de petits Démosthènes, de petit Cicérons qui ont fait des amplifications de la plus grande force, de la plus grande beauté.

Quoi qu'il en soit, messieurs, je soumets les résultats de cette enquête un peu tardive, à l'attention de mon honorable ami qui a proposé la suppression du grade d'élève universitaire.

L'institution de ce grade offrait, messieurs, plus d'un avantage. Il n'avait pas seulement pour effet de relever, de maintenir à un certain niveau les études moyennes, il avait aussi pour effet de soulager l'examen de candidature.

On se plaint de la trop grande surcharge qui pèse sur les examens ; eh bien, le grade d’élève universitaire divisait les matières ; une partie des matières revenait à l'enseignement moyen, une autre partie appartenait à la candidature universitaire, de manière que pour obtenir le grade de candidat l'élève n'avait plus à faire que la moitié de la besogne qui lui incombait auparavant. Encore une fois, sous ce rapport, la création d'élève universitaire était une excellente chose et je vois avec plaisir qu'on le rétablit dans le projet de loi. Seulement on supprime le titre, qui avait certains avantages. Le jeune homme qui, au sortir de l'enseignement moyen, voulait être porteur d'un diplôme attestant ses études, recherchait le grade d'élève universitaire et pouvait s'arrêter là, sans même suivre les cours de l'université.

Il y avait là un avantage pratique pour les jeunes gens qui aimaient à attester aux yeux de leur famille qu'ils avaient fait leurs études d'une manière distinguée. Je pense qu'on ferait bien, si l'on rétablît la chose, de rétablir aussi le titre.

Suivant moi, messieurs, la question principale, la question la plus importante que nous avons à discuter, c'est celle de l'examen dans ses rapports avec les études universitaires.

Je crois qu'on se mettra facilement d'accord quant à la composition des jurys, bien qu'il ne me semble pas que le mode de formation, proposé par M. le ministre de l'intérieur, soit acceptable par aucun côté de la Chambre.

Restent donc les matières d'examen. Comment seront-elles divisées ? L'examen sera-t-il purement oral ? Continuera-t-il à être à la fois écrit et oral ? J’incline jusqu'à présent pour le maintien de l'examen écrit appliqué à certain nombre de matières.

La section centrale demande que pour certaines matières le récipiendaire soit simplement tenu de produire des certificats de fréquentation ; je suis peu favorable à l'adoption de cette mesure.

La section centrale a repoussé l'examen écrit par des raisons extrêmement faibles, elle dit que l'examen écrit n'existait pas autrefois ; si cela était exact, ce ne serait pas une raison pour ne pas l'établir aujourd'hui ; mais, messieurs, il existait jusqu'à un certain point dans nos anciennes universités : une partie des examens se faisait par écrit ; un texte des pandectes, par exemple, faisait l'objet d'un tentamen ; on commentait et on développait une aphorisme d'Hippocrate ; cela se faisait par écrit ; il y avait donc une partie écrite dans les examens qui avaient lieu dans les universités.

La section centrale dit que l'examen écrit ouvre la porte à la fraude. D'abord il faudrait prouver que la fraude dans l'examen écrit est la règle et non pas l'exception. Mais échappez-vous à la fraude dans, le système des certificats ? La fraude n'y sera- t-elle pas en quelque sorte à l'état permanent ? Vous avez dans la pratique, à chaque instant, des raisons de croire qu'il y a fraude. Il n'y a d'empêchement pour personne ; d'après la section centrale, le père de famille, le premier venu pourra donner un certificat ; direz-vous que dans ce système la fraude est impossible. Je crois, pour ma part, que la fraude est beaucoup plus possible dans le système des certificats que dans celui des examens écrits.

Il me semble qu'en améliorant, dans quelques détails, le système actuellement en vigueur, on arriverait à un bon résultat ; mais si nous allons nous lancer dans des innovations et examiner tous les systèmes nés et à naître et qui s'écartent beaucoup du régime actuel, nous en aurons pour bien des séances encore. S'il m'était permis de préjuger en quelque sorte le résultat de ce débat et de le formuler, je dirais : Maintenons d'abord dans la loi le grand principe de l'égalité dans la formation des jurys.

Je ne vois pas qu'il y ait quelque chose à retrancher à la loi du 15 juin 1849 ; je la maintiens dans sa généralité : « Le gouvernement (porte cet article) procède à la formation des jurys chargés des examens et prend les mesures réglementaires que leur organisation nécessite.

« Le gouvernement compose chaque jury de telle sorte que les professeurs de l'enseignement dirigé ou subsidié par l'Etat et ceux de l'enseignement privé y soient appelés en nombre égal.

« Le président du jury est choisi en dehors du corps enseignant. »

Voilà tout le système de la loi de 1849, qui laisse au gouvernement une assez grande latitude, sous sa responsabilité et dans les limites de la loi qui ne lui permet pas de s'écarter des voies.de l'impartialité et de la liberté.

Je laisserais également au gouvernement le soin d'organiser les jurys en vertu de l'article 40, mais je n'irai pas jusqu'à introduire dans la loi même le mode de composition des jurys. Que M. le ministre de l'intérieur continue le système actuel ou qu'il essaye un autre système, sous sa responsabilité, je crois que cela sera beaucoup plus pratique que tous les systèmes que nous tâcherions d'inscrire nous-mêmes dans la loi.

Maintenant, quant aux matières d'examen, M. le ministre de l'intérieur, (page 513) après avoir consulté les universités de l'Etat et les universités libres, aurait à décider, encore sous sa responsabilité, quelles matières feront l'objet de l'examen par écrit et quelles matières seront attribuées à l'examen oral ; c'est encore là de l'administration universitaire ; ces détails ne doivent pas entrer dans une loi de principe.

Après cela, en corrigeant certains inconvénients que la pratique a révélés, je crois que nous arriverons à un état de choses satisfaisant qui pourra durer encore quelques années et mettre la Chambre et le pays à l'abri de toutes ces discussions qui finissent par produire un grand mal.

On se plaint d'une sorte d'engourdissement qui semble peser sur l'enseignement universitaire.

Comment voulez-vous que les professeurs s'appliquent avec ardeur, avec assiduité, à leur enseignement, au développement de leurs méthodes, à des études nouvelles, lorsque, chaque année pour ainsi dire, le système de l'enseignement lui-même est remis en question ? Il est impossible que ces fluctuations continuelles dans la loi des jurys et des examens universitaires n'exercent pas les plus fâcheuses influences sur les études des élèves et sur l'esprit des professeurs, à quelque catégorie d'établissements qu'ils appartiennent.

Il serait bien à désirer que nous établissions un système qui pût durer quelque temps, même avec ses inconvénients ; car il y aura toujours des inconvénients. Il ne faut pas incessamment chercher le mieux ; c'est quelquefois le moyen de rencontrer le pire. Quant à moi, je fais des vœux pour que nous arrivions, dans cette question, à une solution qui satisfasse la liberté en général, solution qui n'est pas impossible, selon moi, si l'on veut écarter toutes ces grandes innovations et s'en tenir avec quelques modifications au statu quo d'aujourd'hui.

M. Tack. - Messieurs, le mode de composition des jurys d'examen forme, selon moi, le nœud gordien de la question délicate que nous avons à trancher. Ayez un jury impartial et compétent, et vous aurez trouvé la solution pratique de la plupart des difficultés que soulève le débat ; avec un jury impartial et compétent, la plupart des défectuosités que pourrait encore présenter la loi, par exemple sous le rapport de la rédaction des programmes, la plupart de ces difficultés seront facilement corrigées, atténuées dans l'application.

Ayez un jury impartial et compétent, et vous aurez satisfait aussi à toutes les nécessités constitutionnelles. Ces nécessités, quelles sont-elles ? Pour moi, si l'Etat a le droit incontestable d'exiger des garanties sérieuses de la part de ceux qui se destinent aux carrières libérales, aux professions d'avocat, de notaire, voire même de professeur enseignant au nom de l'Etat, il faut avant tout que les dispositions légales qui règlent ce droit, respectent la liberté d'enseignement écrite dans notre pacte fondamental, et qu'elles ne compromettent pas inutilement les droits sacres de la science auxquels le législateur constituant a également entendu pourvoir. C'est dire, messieurs, que dans la composition du jury, nous devons avoir en vue de concilier trois grandes choses : les prérogatives de la liberté d'enseignement, les exigences de l'ordre social et le progrès scientifique qui, comme l'a dit l'honorable M. Devaux, s'identifie avec les progrès de la civilisation.

Si le jury est impartial, il saura sauvegarder les droits de la liberté ; s'il est compétent, il saura comprendre les besoins de la science comme ceux de la société.

Au fond et constitutionnellement parlant, cette conciliation est-elle possible ? On a essayé de le nier, même dans cette enceinte. Des esprits sages et éclairés, d'ailleurs, ont soutenu que le dernier terme de la solution, le seul système compatible avec la Constitution c'était la liberté absolue des professions ; on a dit qu'instituer des jurys d'examen, prescrire des programmes, c'était gêner indirectement la liberté d'enseignement, c'était s'immiscer dans l'emploi des méthodes, c'était prendre des mesures préventives à l'égard de l'enseignement, c'était faire de la police à l'égard de l'enseignement. La prétention de ceux qui veulent aboutir à la liberté absolue des professions tend vers la liberté de ne plus rien enseigner du tout, plutôt que vers la liberté de' tout enseigner.

En théorie pure, la thèse de la liberté absolue des professions serait peut-être soutenable, si radicales que soient les idées qui en formerai le fondement ; elle a pour elle une logique inexorable, et de plus le prestige des doctrines qui prétendent, à l’exclusion de toutes autres, avoir leur point d'appui dans la Constitution, dans la liberté ; mais il me paraît évident que dans son application elle serait dangereuse pour l'ordre social et nuisible au progrès des études.

La théorie qui préconise la liberté absolue des professions n'a pas rencontré beaucoup de partisans dans cette Chambre ; sans doute la plupart de nos collègues ont pensé que notre civilisation n'était pas assez avancée pour essayer d'une entreprise de ce genre. Peut-on d'ailleurs contester à l'Etat le droit d'exiger des garanties de la part de ceux à qui on a forcément confié la vie, l'honneur, la fortune des citoyens ? Evidemment non.

On a invoqué l'autorité du Congrès pour prétendre le contraire.

Mais au moment où le législateur constituant a voté la Constitution, l'Etat décernait des grades académiques ; mais immédiatement après le vote de la Constitution, l'Etat conférait encore des brevets de capacité. Les auteurs de la Constitution ne s'en seraient-ils pas exprimés s'ils avaient voulu dénier à l'Etat la faculté d'exiger des preuves de capacité pour l'exercice des carrières libérales ? Evidemment oui. Or, les auteurs de la Constitution ont gardé le silence. De plus, aucune protestation ne s'est élevée contre l'exercice du droit de l'Etat à l'époque qui suivit la promulgation de la Constitution.

J'en tire la conclusion que la possibilité de concilier les trois grands intérêts dont j'ai parlé tout à l'heure était dans l'esprit du législateur constituant. Si l'Etat a le droit de conférer des grades académiques, d'exiger des garanties de capacité, d'aptitude de la part de ceux qui se destinent aux professions libérales, prenons garde cependant de confondre l'Etat enseignant avec l'Etat décernant des brevets de capacité.

Nous nous trouvons en présence, ici, de deux ordres d'idées entièrement distincts. Autre chose est l'Etat décernant des brevets de capacité, autre chose est l'Etat enseignant ; autre chose sont les jurys d'examen conférant des grades académiques au nom de l'Etat, autre chose sont les universités déléguées pour enseigner, par l'Etat. On a confondu trop longtemps ces deux choses, et cette confusion a passé dans la législation.

La distinction que je viens de faire est essentielle et se justifie aisément ; quelle est en effet la mission des jurys d'examen ? C'est de constater la capacité de ceux qui réclament un diplôme. C'est d'empêcher que les familles et les particuliers ne soient victimes des entreprises du charlatanisme et de l'intrigue ou des témérités de l'ignorance. Les universités de l'Etat au contraire, ont une mission scientifique civilisatrice ; elles sont chargées de maintenir le niveau des études à une hauteur convenable, de propager les bonnes méthodes, de stimuler les travaux des universités libres écloses sur le sol de la patrie sous l'action fécondante des larges principes déposés dans la Constitution.

Dans l'un cas le gouvernement, représenté par les jurys d'examen, remplit une fonction sociale ; dans l'autre cas, il exerce par ses universités une fonction purement gouvernementale.

Me plaçant à un autre point de vue, je ferai observer encore que l'objet de la loi sur le jury d'examen, c'est l'enseignement en général, ou, si l'on veut, l'enseignement national, qui se compose de toutes les forces enseignantes du pays, et qui comprend aussi bien les études extra-universitaires que l'enseignement donné dans les universités libres ou dans les universités de l'Etat ; d'où la conséquence que les devoirs comme les droits du gouvernement sont distincts, tout entièrement différents selon qu'il s'agit des jurys ou de l'enseignement de l'Etat. S'agit-il de l'enseignement de l’Etat, le gouvernement a le droit et le devoir de prendre toutes les mesures propres à faire fleurir et prospérer ses universités ; s'il négligeait de le faire, il manquerait gravement à ses devoirs les plus impérieux. Est-il question, au contraire, des jurys d'examen, le gouvernement se trouve dans une position tout à fait différente.

Ici il doit imposer silence à ses prédilections. Ici plus de privilèges ; ici l'égalité devant la loi pour tous, comme conséquence rigoureuse de la liberté d'enseignement.

L'honorable ministre de l'intérieur, dans son exposé des motifs, a fait ressortir cette distinction et il a traduit sa pensée en fait, en nous proposant un projet de loi ayant pour but uniquement la collation des grades académiques, un projet de loi dont il a détaché la législation qui a rapport à l'enseignement universitaire.

Il a rendu par là un service réel à la cause de la liberté ; la confusion qui s'était produit dans la législation aurait pu naître dans les esprits et dans les principes, provoquer, d'une part des tendances au monopole des prétentions à la suprématie, et d'autre part, des défiances et des jalousies ; c'est ce qu'il importait d'empêcher.

J'ai dit qu'un jury impartial et compétent lèverait bien des difficultés. Que faut-il pour qu'un jury soit impartial ? De deux choses, l'une : ou il faut en exclure complètement l'élément professoral, c'est-à-dire le composer d'hommes entièrement étrangers à l'enseignement ; où il faut assurer une représentation équitable à toutes les manifestions de l'enseignement dans le pays, aux universités libres comme aux universités de l'Etat ; aux facultés isolés, à l'enseignement extra-universitaire comme à l'enseignement universitaire libre ou officiel.

Le premier mode a été appliqué par l'honorable M. Frère au jury professionnel. Dans le système qu'il a choisi rien de plus naturel ; car le jury professionnel n'a d'autre but que de faire subir aux récipiendaires des examens pratiques sur des matières exclusivement pratiques, on conçoit dès lors qu'on le compose d'hommes pratiques.

Mais si les Chambres admettent un jury central ou un jury combiné, l'élément professoral est en quelque sorte imposé ; il devient indispensable dans le jury central comme dans les jurys combinés, tels qu'on les comprend. L'examinateur ne se borne pas à constater comme dans le jury professionnel s'il y a danger ou non à ce que le récipiendaire qui se présente soit déclaré apte à exercer telle ou telle profession ; il est chargé de vérifier les connaissances théoriques de l'élève, de lui conférer ce qu'on appelle les grades académiques. Il faut bien le reconnaître, les hommes voués par profession à l'enseignement, sont les seuls appréciateurs réellement compétents du mérité de l'élève, seuls ils sont au courant des progrès de la science et des méthodes, seuls par conséquent ils sont capables d'interroger en connaissance de cause.

Il y a d'ailleurs, comme on l'a dit avec raison, un avantage pour l'élève à être interrogé par son professeur. C'est pour lui une facilité qu'il ne faut pas lui enlever. Non pas que le système qui tend à faire interroger l'élève par son professeur doive être pratiqué d'une manière absolue ; il en résulterait des abus, il faut laisser quelque chose à la spontanéité de l'élève, sans cela il ne cultive plus son intelligence, il ne réfléchit plus, il se fie à ses cahiers, et son examen n'est plus qu'un exercice de mnémotechnie.

(page 514) Je ne vois pas quel inconvénient il y aurait à ce que l'élément professoral domine dans le jury, dès lors bien entendu qu'il y a pondération entre les diverses manifestations de l'enseignement en Belgique, de manière que l'une n'absorbe pas l'autre, ou ne connive pas avec l'autre.

Ces principes posés, je me demande quel est le meilleur des systèmes qui sont en présence ?

Nous pouvons les diviser en trois catégories :

1° Le système du jury professionnel ;

2° Celui des jurys combinés ;

3° Celui du jury central.

Toutes ces combinaisons ont leurs subdivisions.

Occupons-nous d'abord du jury professionnel.

Le moment est-il bien venu de songer au jury professionnel ?

Peut-on en calculer les conséquences ? Pour moi, c'est l'inconnu. N'y a-t-il pas danger, si on l'adopte, de voir dégénérer les études ? N'y a-t-il pas danger, si nous le décrétons en présence des tendances positives et utilitaires de l'époque qu'on a signalées à diverses reprises, de voir déserter les bancs de nos universités ?

De deux choses l'une : ou cet examen sera sérieux, ou il ne le sera pas. S'il n'est pas sérieux, il aboutira à la liberté des professions. S'il est sérieux, il sera au fond un jury central, avec cette seule différence qu'au lieu de faire passer plusieurs examens successifs, on limitera l'examen à une seule épreuve qu'il faudra subir à la fin des études.

Le deuxième système, c'est celui des jurys combinés. Pour ma part, je n'en suis pas partisan, pour le motif que l'expérience a prouvé que ce système aboutit tantôt à l'antagonisme, tantôt à la connivence des professeurs, tantôt à l'oppression des élèves, tantôt à l'indulgence à leur égard.

Reste le jury central. A-t-il donc si mal fonctionné ? Je soutiens que non. Il avait entre autres ce grand avantage de tenir, par des examens successifs, les élèves constamment en haleine jusqu'à la fin de leurs études et de les forcer à travailler sans interruption.

On a élevé contre ce système de jury diverses objections qui déjà ont été rencontrées. Ces objections ont porté non pas tant sur l'institution en elle-même que sur le programme des études, et sur la permanence, la fixité du personnel des examinateurs.

Pour ce qui concerne le programme, le gouvernement et la section centrale proposent de remédier aux inconvénients qui ont été signalés en réduisant le nombre des branches d'études.

En ce qui touche la permanence des membres du jury, le gouvernement comme la section centrale y remédient au moyen d'un roulement déterminé par le sort.

Le jury central a-t-il excité des plaintes, à l'époque où il était en vigueur ? A-t-on jamais soupçonné son impartialité, mis en doute sa compétence ?

Non. Pour le prouver, permettez-moi de vous donner lecture de ce que disait, à propos de la loi de 1849, sur le jury central, un honorable membre de cette Chambre.

« Je professe aujourd'hui, disait l'honorable membre, les mêmes opinions que j'ai défendues à toutes les époques. Je veux un jury central. Ce jury existe, fonctionne depuis treize ans. Quelqu'un se plaint-il de cette institution ? A-t-on articulé des griefs contre elle ? Le jury a-t-il été trop facile ou trop sévère ? Nullement ; tout le monde rend pleine justice à la manière dont il fonctionne. Les hommes de science et les hommes politiques, les magistrats et le barreau, les professeurs et les élèves, tous les rangs de la société y applaudissent. Quelles institutions maintiendrez-vous donc si vous bouleversez à plaisir celles qui contentent tout le monde ? Et qu'allez-vous substituer à ce jury ?

« Trois jurys ou plutôt trois commissions qui n'auront ni la même autorité, ni la même impartialité. Elles se jalouseront l'une l'autre, elles seront en rivalité perpétuelle et surtout elles rivaliseront d'indulgence. Il y a deux vérités que l'on peut proclamer comme incontestables : la première, c'est que les professeurs désirent avoir le plus grand nombre d'élèves possible ; la seconde c'est que les élèves chercheront, pour lui donner la préférence, l'université où l'on obtient le plus facilement les grades. De ces deux vérités que l'on pourra constater partout et toujours, tirez vous-mêmes les conséquences et vous jugerez d'avance ce que seront vos commissions d'examen. »

Les prévisions de l'honorable M. de Brouckere ne se sont que trop réalisées. Les jurys combinés n'ont pas répondu à l'attente qu'on en avait conçue. C'est donc au jury central qu'il faut en revenir. Mais pour le composer, il faut partir du principe que les universités, comme telles, n'ont aucune préférence à faire valoir et qu'on ne saurait admettre, en matière de jury d'examen, de privilège pas plus à leur égard qu'à l'égard de l'enseignement extra-universitaire.

Trois propositions principales, en ce qui concerne le jury central et les jurys combinés, ont surgi.

La première, c'est la proposition du gouvernement. Le gouvernement, dans son projet de loi, vous demande de composer le jury d'examen de neuf membres dont huit appartenant aux quatre universités existantes dans le pays, plus un président nommé dans le sein du jury et qui serait censé représenter l'enseignement extra-universitaire.

La section centrale vous propose de composer le jury de neuf membres, savoir huit professeurs pris en nombre égal dans nos quatre universités et un président nommé par le gouvernement.

L'honorable M. de La Coste propose l'institution de deux jurys, dont l'un, qui est une espèce de jury combiné aurait plus spécialement pour mission d'examiner les élèves appartenant aux universités ; l'autre, qui est un jury central, serait chargé d'examiner les élèves appartenant à l'enseignement privé extra-universitaire. L'honorable M. de La Coste compose son jury combiné de sept membres, trois professeurs de l'université à laquelle appartient le récipiendaire qui se présente, trois professeurs pris dans le sein des trois autres universités, et enfin un président nommé par le gouvernement. Le jury central que l'honorable M. de La Coste a en vue compterait neuf membres, à savoir : quatre professeurs dont un choisi dans chacune de nos universités, et quatre membres représentant l'enseignement privé extra-universitaire, le neuvième membre serait le président désigné par le gouvernement en dehors de l'enseignement.

La différence entre la proposition du gouvernement et celle de la section centrale consiste principalement en ce que le gouvernement propose de laisser la nomination du président au jury lui-même, tandis que la section centrale confie ce choix au gouvernement.

Messieurs, s'il fallait choisir entre les deux systèmes, entre la proposition du gouvernement et celle de la section centrale, je me rallierais plutôt à celle du gouvernement, parce qu'au moins dans cette proposition l'enseignement extra-universitaire a la chance d'avoir un représentant.

En effet, si vous admettez que le gouvernement doive nommer le président, pourra-t-il convenablement choisir ce membre, qui est censé représenter l'enseignement extra-universitaire, parmi les facultés isolées ? Evidemment non. Ce serait en quelque sorte reconnaître une espèce de suprématie, une espèce de préférence à cet enseignement extra-universitaire.

Le gouvernement vous propose dans son projet de loi de composer le jury de neuf membres. L'honorable ministre de l'intérieur a déclaré tout à l'heure qu'il accepterait aussi un jury central de cinq membres ; j'opine pour ce dernier chiffre. En effet, si vous composez le jury de neuf membres, la loi dans certains cas sera en quelque sorte inexécutable.

Supposez que le sort décide qu'une université, n'importe laquelle, soit désignée pour représenter le droit romain dans le jury pour la candidature en droit comme dans le jury pour le doctorat en droit. Quelle en sera la conséquence ? C'est que cette université devra fournir pour le jury d'examen huit professeurs enseignant le droit romain, quatre membres titulaires et quatre membres suppléants.

Or, quelle est l'université qui compte dans son sein autant de membres enseignant le droit romain ? Un second motif que l'honorable ministre a invoqué lui-même en faveur d'un jury composé seulement de cinq membres, c'est que si vous admettez le chiffre de neuf membres, vous privez les professeurs de leurs vacances dont ils ont si grand besoin. Vous occasionnez souvent le prolongement des sessions au-delà du temps voulu pour les examens et vous empiétez sur l'année scolaire.

Un autre motif encore qui doit faire réduire le nombre des membres, c'est qu'on pourra de cette manière rétribuer plus convenablement le personnel siégeant dans le sein du jury.

La réduction des branches formant le programme de l'examen, si elle est adoptée, est encore une raison qui doit nous faire préférer un jury composé de cinq membres. Finalement il est à remarquer que dans un jury de cinq membres, l'enseignement extra-universitaire est mieux représenté que lorsque le jury est composé de neuf membres ; dans le premier cas il a une voix, sur cinq au lieu que dans le second cas il en a une sur neuf.

Messieurs, un mot sur l'amendement proposé par l'honorable M. de La Coste et je finis. Cet amendement me paraît acceptable, mais tel qu'il est formulé à la page 42 du premier rapport de la section centrale. Je remarque que là l'honorable membre se place dans deux hypothèses différentes, c'est la première hypothèse que je suis incliné à adopter. Voici, en effet, ce que je lis à la page 42 du rapport :

« Chaque jury d'examen se compose, pendant toute la durée de la session, d'un président pris en dehors de l'enseignement d'un professeur de chacun des établissements complets d'enseignement supérieur et d'un membre étranger à ces établissements. Ce membre est appelé à représenter l'enseignement supérieur donné dans d'autres institutions ou individuellement.

« Le jury est complété successivement par un second professeur de l'établissement universitaire, ou un second représentant de l'enseignement, auquel chaque partie de la session est plus particulièrement affectée. »

La nouvelle proposition de l'honorable membre est tout différemment rédigée et a une tout autre portée. La voici :

« Sauf l'exception ci-après, chaque jury se compose de sept membres, savoir : un président nommé par le gouvernement en dehors de l'enseignement, un professeur pris dans chacune des universités existantes dans le royaume, et deux autres professeurs de l'université la ville où siège le jury.

« Il est institué, en outre, un jury central. Il se compose de neuf membres, savoir : un président nommé par le gouvernement en dehors de l'enseignement, un professeur pris dans chaque université et quatre membres pris en dehors de ces établissements. »

(page 515) D'après ce dernier libellé, le jury combiné serait composé de trois professeurs de l'université à laquelle appartient le récipiendaire, de trois professeurs, dont un choisi dans chaque université, et d'un président pris en dehors de l'enseignement 'universitaire.

Qu'a-t-on objecté à cette proposition ? On y a vu l'absorption possible des droits de l'Etat par les universités libres, disposant de quatre voix contre trois. Il est vrai qu'on a répondu à l'objection que par cela même que les membres du jury étaient nommés par le gouvernement, ils avaient un caractère public. On a ajouté qu'il n'est pas raisonnable de diviser les universités par catégories, attendu qu'elles ont des intérêts distincts.

Cette objection ne se serait pas produite si l'honorable membre s'en était tenu à la première de ses propositions.

En effet, comment le jury était-il composé d'après cette proposition ? Il était composé d'un président, pouvoir modérateur, de quatre professeurs appartenant aux quatre universités, et enfin d'un membre pris en dehors de l'enseignement universitaire, représentant les études privées ; en tout six membres formant l'élément fixe du jury.

A ces six membres, l'honorable M. de La Coste en ajoute un septième pris successivement soit dans l'une des quatre universités, soit dans l'enseignement extra-universitaire, selon que les élèves à examiner appartiennent à l'une de ces universités ou à l'enseignement extra-universitaire. Quelle était la conséquence de ce système ? C'est que dans aucune hypothèse les universités ne pouvaient disposer de la majorité.

En effet, messieurs, trois hypothèses sont possibles : ou bien l'élève appartient à l'une des universités de l'Etat et dans ce cas l'université de l'Etat dispose de trois voix contre deux voix attribuées aux universités libres, une voix concédée à l'enseignement extra-universitaire et une voix revenant au président ; ou bien le récipiendaire appartient à une université libre, et dans ce cas il y a dans le jury trois voix appartenant aux universités libres contre deux voix attribuées aux universités de l'Etat, dont une voix appartenant à l'enseignement extra-universitaire et une voix au président ; enfin, si le récipiendaire appartient à l'enseignement extra-universitaire, il y a deux voix pour l'enseignement de l'Etat, deux voix pour les universités libres, deux voix pour l'enseignement extra-universitaire et une voix pour le président.

On pourrait objecter que si dans cette combinaison les universités libres ne peuvent plus, dans aucun cas, absorber les droits de l'Etat, elles peuvent cependant se coaliser avec l'enseignement extra-universitaire pour emporter la majorité.

Mais, messieurs, serait-ce bien sérieusement qu'on pourrait supposer une coalition ou une connivence entre l'université de Louvain et l'université de Bruxelles, dans le but de favoriser un élève appartenant à des facultés isolées, et cela au détriment de l’enseignement de l'Etat ?

Si une coalition, dans une pareille hypothèse, était possible, elle se produirait plutôt dans un sens inverse, dans un sens hostile à l'enseignement extra-universitaire.

Du reste, l'option du gouvernement quant au choix des membres représentant l'enseignement extra-universitaire, est très étendue ; il est évident que le gouvernement aura toute latitude pour ne choisir que des hommes méritant toute confiance et de la part de qui il ne devra redouter aucune coalition avec les représentants des universités libres.

N'oublions pas, enfin, que le président, qui est l'homme du gouvernement, sera naturellement tout prêt, pour le cas où il y aurait une combinaison ayant pour but de léser les droits des universités de l'Etat, sera tout prêt, dis-je, à faire pencher la balance en faveur de la justice méconnue.

Messieurs, le sous-amendement de l'honorable M. de La Coste tel qu'il est formulé à la page 42 (première hypothèse), me paraît assez acceptable ; il me semble répondre à toutes les conditions d'impartialité et de compétence que l'on peut désirer de la part d'un jury d'examen. J'y trouve la pondération de tous les intérêts de l'enseignement en Belgique, des intérêts de l'enseignement libre, comme des intérêts de l'enseignement de l'Etat. J'y trouve le jury central, unique, et par «conséquent l’uniformité de jurisprudence tempérée par la mobilité du personnel. J'y trouve enfin toutes les garanties désirables au point de vue des droits de l'Etat.

Toutefois, messieurs, j'attendrai la suite de la discussion pour m'éclairer et voir s'il faut que je me prononce pour le système préconisé par le gouvernement, ou pour le système exposé par l'honorable M. de La Coste, bien entendu celui dont j'ai parlé en dernière analyse.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.