(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 317) M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Tack donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Un grand nombre d'habitants de St-Nicolas demandent le maintien de la loi en vigueur sur les denrées alimentaires et des droits élevés à la sortie des œufs et du beurre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
« Plusieurs habitants de Waereghem prient la Chambre de maintenir la loi en vigueur sur les denrées alimentaires et d'établir un droit de sortie sur le beurre, les œufs et le bétail. »
« Même demande d'un grand nombre d'habitants de Péruwelz. »
- Même décision.
« Un grand nombre de pétitionnaires demandent le maintien de la législation sur les denrées alimentaires, ou du moins sa prorogation jusqu'au $ juillet prochain. »
- Même décision.
« Plusieurs habitants de Nivelles demandent le maintien de la législation actuelle sur les denrées alimentaires. »
« Même demande du conseil communal de la Clinge et d'un grand sombre d'habitants de Gulleghem et de Bruxelles. »
- Même décision.
« Le sieur Libert demande la révision des lois sur la contrainte par corps. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Lelièvre. - Je recommande cette pétition à la commission et au gouvernement ; il est temps de prendre une décision sur l'objet important dont il s'agit.
M. le président. Le gouvernement se rallie-l il au projet de la section centrale ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Non, M. le président.
M. le président. - Dans ce cas, la discussion sera ouverte sur le projet du gouvernement.
Un grand nombre d'orateurs sont inscrits ; conformément aux précédents de la Chambre, j'accorderai successivement la parole à un orateur pour, à un orateur contre et à un orateur sur.
- MM. de Steenhault, Martens, Tack et Vermeire déclarent s'inscrire pour parler contre le projet du gouvernement.
M. le président. - Et M. Osy ?
M. Osy. - Pour le projet de la section centrale.
M. le président. - Alors, vous êtes contre le projet du gouvernement. (Interruption.)
M. de Brouckere. - Permettez-moi de faire une observation. Ceux qui se déclarent contre le projet du gouvernement, c'est qu'ils ne veulent pas de la liberté du commerce des céréales.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. de Brouckere. - Alors il y a deux espèces d'opposants au projet du gouvernement : les uns qui veulent plus et les autres qui veulent moins.
Je crois qu'il vaudrait mieux que la discussion s'établit de telle manière qu'on entendît alternativement un membre qui se prononce contre la liberté du commerce des céréales et un membre qui se prononce pour, que cette liberté soit définitive ou qu'elle ne le soit pas.
M. le président. - Je ferai remarquer que les propositions de la section centrale constituent des amendements. Ceux qui défendent ces propositions pourraient s'inscrire sur.
M. de Brouckere. - Non, M. le président. Je crois que le seul moyen d'établir une discussion régulière, c'est d'entendre successivement un orateur pour et un orateur contre la liberté du commerce des céréales.
M. de Theux. - Je crois qu'il faut suivre les usages de la Chambre. Or la Chambre ne discute pas des théories. Elle discute des projets de loi. Les uns parlent pour le projet en discussion, les autres parlent contre. C'est l'usage reçu. Si l'on s'en écarte et si l'on discute sur des théories, il n'y aura plus de limite à nos discussions.
M. Dumortier. - Il me semble assez peu important de savoir comment on réglera cela. Je ne vois personne qui soit pour le projet du gouvernement. Dès lors mieux vaut entendre alternativement ceux qui sont pour le projet de la section centrale et ceux qui veulent que le pain du peuple soit à bon marché. (Interruption.)
M. de Naeyer, rapporteur. - Tout le monde le veut.
M. Dumortier. - Je pense donc, M. le président, qu'on pourrait admettre la proposition de l'honorable M. de Brouckere.
M. Osy. - Pour moi, je soutiens le projet du gouvernement, mais je vais plus loin : je demande une loi définitive.
M. Grosfils. - Je suis contre tout droit d'entrée sur les denrées alimentaires.
M. Rodenbach. - Messieurs, je voterai contre les propositions de la section centrale ainsi que contre le projet du gouvernement, parce que je crois que la loi est inopportune, qu'elle n'est pas politique et qu'on aurait pu rester dans le statu quo pendant une année, comme en France.
Messieurs, je suis d'avis que si on laisse sortir le grain du pays, nos céréales partiront dès qu'il y aura une hausse en Angleterre et. dans le nord de la France ; j'en suis convaincu.
Eh bien, messieurs, si notre bon froment et seigle sort de la Belgique, comment allez-vous le remplacer ? Je conviens qu'il vous en viendra une partie de l'Allemagne ; mais en Amérique la récolte n'a pas été bonne, et si actuellement on expédie des grains de l'Amérique, ces grains, en y comprenant le fret, vous coûteront aussi cher que les grains belges.
Si l’on en exportait du Nord, où la récolte n'a pas été très favorable, ces grains coûteraient également cher ; mais si l'on en expédie des ports de la mer Noire ou de la mer d'Azof, on les enverra là où les prix sont le plus élevés, c'est-à-dire dans le Midi de l'Europe. Il y aura des grains dans les entrepôts de Marseille, mais ces grains ne seront pas envoyés en Belgique ; ils seront expédiés dans le Midi de la France et de l'Europe, et surtout en Espagne, où la récolte est mauvaise. Dans ce dernier pays les municipalités sont déjà forcées d'acheter des grains pour contenter les consommateurs.
On soutient que lorsqu'on ouvre les barrières douanières, il entre des denrées en quantité suffisante pour remplacer celles qui sortent.
Eh bien, ce principe n'est pas toujours logique. Je citerai un seul exemple. Depuis neuf mois, il est sorti du pays 2,600,000 kilog. de beurre, et il ne nous est arrivé que 400,000 kilog. de cette denrée ; donc en neuf mois, la riche et opulente Angleterre, qui peut dépenser beaucoup plus d'argent que nous, à tiré, à mon grand regret de la Belgique une quantité de beurre plus de six fois supérieure à celle que nous avons reçue de l'étranger.
Que prouve ce fait ? Que si vous ouvriez les portes douanières, vous ne recevriez pas toujours de l'étranger ce que vous croyez en obtenir avec tant de facilité.
On me dira sans doute que, l'année dernière l'on a importé quelques grains étrangers en Belgique ; mais le grain indigène vaut infiniment mieux que la plupart des grains qu'on nous envoie.
Ces importations nous sont venues du dehors, entre autre plusieurs cargaisons de l'Egypte ; eh bien, ce grain d'une qualité inférieure se vendait chez nous au moins 5 ou 6 francs par hectolitre meilleur marché que le nôtre.
La section centrale dit que les céréales se vendaient moins cher en Hollande, en Angleterre el à Cologne qu'en Belgique. Cela ne m'étonne nullement.
Le grain qu'on vendait dans ces pays-là était en inférieurs en qualité aux nôtres. D'après la section centrale, le grain s'est vendu chez nous, pendant les dix mois de prohibition, à 1 fr. 50 c. plus cher en moyenne qu'en Angleterre, en Hollande et à Cologne.
Mais les chiffres de la section centrale ne me feront pas changer d'opinion. Notre grain, dit-on, s'est vendu à 1 fr. 50 c. plus cher que le grain dans les pays cités par la section centrale ; cela ne prouve rien, car notre grain vaut fr. 150 c. par hectolitre de plus que le grain étranger, notre froment pèse cette année en moyenne 80 kilogr. par hectolitre et celui de l'Egypte seulement 70 kilogr. Il y a eu pour nous compensation quant à la qualité. Pourquoi le grain qui est allé approvisionner les marchés étrangers s'y est vendu à meilleur compte que le grain chez nous ? C'est qu'il ne valait pas en poids et en qualité le nôtre ; pourquoi, dis-je, le prix du pain, dans ces mêmes pays, n'a-t-il pas été moins élevé qu'en Belgique ? Eh bien, j'ai pris la peine de tenir note du prix du pain dans les pays dont il s'agit et où la liberté des grains existe ; et j'ai constaté que ce prix a été au moins aussi élevé que celui du pain en Belgique.
Quel résultat pourriez-vous donc vous promettre, en ouvrant les portes douanières ?
Je sais très bien que les deux opinions en présence veulent toutes deux le pain à bon marché ; c'est notre vœu à tous, parce qu'en Belgique la main-d'œuvre n'est pas encore en proportion avec le prix des céréales ; en Angleterre, le prix de la main-d'œuvre est supérieur de 40 à 50 p. c. à celui de la main-d'œuvre en Belgique. Le salaire journalier de l'ouvrier indigène n'est pas suffisant, eu égard à la cherté des vivres.
Je crois que nous devons attendre au moins une année avant de bouleverser totalement notre législation sur les céréales et autres vivres.
Nous avons eu une récolte médiocre pendant trois années ; la classe ouvrière et bourgeoise a eu beaucoup à souffrir par suite du prix excessif des subsistances aujourd'hui que nous avons eu une bonne année et que presque partout le prix du grain baisse, je considère ce fait comme un véritable bonheur pour la classe ouvrière et bourgeoise, et je ne puis assez répéter qu'il ne faut pas changer brusquement la législation actuelle.
(page 318) Il me semble, messieurs, qu'il faut laisser le consommateur jouir de ce bon marché.
Si quelques amendements sont présentés, je m'empresserai de les signer pour la conservation de la loi actuelle.
Je dois ajouter que les partisans de la liberté entière ne sont pas d'accord avec eux-mêmes, car ils font des transactions ; en effet, ils admettent un droit d'un demi-franc à l'entrée ; c'est une somme de 500,000 à 600,000 francs qu’ils vont prélever sur le pain du peuple !
Vous qui défendez les principes de liberté, comment pouvez-vous admettre des droits à l'entrée et les repousser à la sortie ? Pour être conséquent, vous devriez établir à la sortie le même droit qu'à l'entrée.
Vous admettez la prohibition de la pomme de terre ; pour être conséquent, vous devriez laisser sortir ce tubercule. Mais, dites-vous, c'est une exception ; vous consentez à transiger avec les préjugés populaires, c’est une mesure politique, une mesure, de prudence.
Mais pour les menus motifs, vous devriez consentir à la même transaction en ce qui concerne les céréales.
On a consulté des corps constitués et les chambres de commerce, la majorité dit-on a été favorable à la sortie des grains ; cela ne m'étonne point parce que le commerce ne veut pas d'entraves dans ses relations ; mais pourquoi n'a-t-on pas aussi consulté les conseils de régence qui sont très compétents ; je suis persuadé que plus des deux tiers eussent été favorables à la prohibition.
En définitive, je me résume en répétant que l'an passé, malgré la prohibition de sortie, nous n'avons pas payé le pain plus cher que dans les pays qui nous environnent. C’est que ces principes d'économie politique qu'on invoque sont sans influence sur le prix des denrées alimentaires.
La prudence et la politique nous commandent de faire comme en France, d’attendre au moins une année avant de changer, je pourrais dire de bouleverser notre législation sur les céréales.
(page 323) M. de Steenhault. - Quoi qu'il advienne, nous pouvons, je pense, nous féliciter, messieurs, que la question des denrées alimentaires ait fait un pas immense depuis notre dernière session.
Elle en est arrivé à ce point que, quelles que soient les circonstances qui la rappellent à l'ordre du jour, elle ne devrait plus pouvoir raisonnablement se présenter que singulièrement simplifiée et dégagée d'une des causes de dissentiment qui tendaient le plus à prolonger nos débats et, il faut bien le dire, à imprimer à l'opinion publique par les doutes qu'ils faisaient naître une direction fâcheuse et bien évidemment contraire à l'intérêt général.
Je ne sais pas s'il en sera ainsi ; cependant, toute entrave, toute mesure prohibitive à la sortie devrait être aujourd'hui bien et définitivement jugée ; l'expérience est complète et le gouvernement avec une franchise dont je lui sais gré, vient nous déclarer dans l'exposé des motifs, que loin de nous avoir été un bienfait, la prohibition n'a eu pour résultat que de nous faire payer des prix plus élevés et de nous faire combler notre déficit à des conditions plus onéreuses que dans les pays où la sortie était libre et où les transactions se faisaient sous le régime de la liberté la plus entière.
Je le répète néanmoins avec conviction, messieurs, nous sommes en progrès. Car cette déclaration nous promet de nouvelles adhésions ; Félicitons-nous-en aussi car, si une compensation était possible au mal que nous ont fait les idées prohibitives, ce serait dans la certitude de ne plus jamais en entendre parler, que nous devrions pouvoir la trouver.
Toutes les idées protectionnistes à l'endroit de l'agriculture ayant également fait leur temps, l'agriculture, convaincue du reste, comme elle l'est aujourd'hui, que sa véritable protection gît dans notre déficit qui malheureusement s'agrandit chaque jour, persuadée que la seule protection qu'elle puisse encore réclamée, c'est d'être protégée contre les autres industries auxquelles elle se rattache plus spécialement et qui jusqu'ici l'ont scandaleusement exploitée.
Il ne pourrait donc plus y avoir sérieusement à débattre qu'un seul point, une seule question.
Les denrées alimentaires seront-elles frappées d'un droit à l'entrée et, comme question préalable, y a-t-il aujourd'hui opportunité d'en revenir à ce régime ?
C'est à ce dernier point de vue que j'examinerai la question.
Qu'il me soit avant tout permis de vous dire deux mots de la prohibition. Je ne serai pas long. Vous savez d'ailleurs que je ne le suis jamais.
L'honorable rapporteur de la section centrale a parfaitement fait ressortir deux faits :
1° Que nous avons en moyenne payé le grain plus cher en Belgique qu'à Londres, qu'en Hollande, qu'à Cologne ;
2° Que nous n'avons vécu qu'au jour le jour, et que, sans approvisionnements, nous avons dû acheter le blé quand il était le plus cher.
Ces faits, si bien exposés par M. Moreau, deviennent bien plus saillants encore quand on compare les importations de 1853 et de 1854, sous le régime de la libre sortie avec celles de 1855 sous celui de la prohibition, c'est-à-dire quand on compare les résultats de deux régimes dont l'un favorise les achats de première main quand l'autre ne permet au commerce que des achats au jour le jour sur des marchés de seconde main.
En 1855, sur une importation de 113 millions de kilos de froment, 88 millions sont arrivés par terre, rivières ou canaux, 29 millions seulement par mer.
Tandis qu'en 1854, sur 101 millions il n'y en a que 47 arrivés par terre sur 54 par mer.
En 1855, sur 120 millions, 61 par terre, sur 58 par mer.
C'est-à-dire que sous le régime de la prohibition les trois quarts s'achètent en seconde main tandis qu'avec la libre sortie cela ne -va pas à la moitié.
Si l'on me disait que des grains arrivés d'Angleterre sont aussi des grains de seconde main, je répondrais que les importations d'Angleterre sont relativement minimes et qu'elles ne sont que de 3, de 11 et de 6 millions pour les trois ans de 1853 à 1855.
Ceci n'est encore rien ; mais une histoire bien plus éloquente est celle de l'écart des prix.
Plus ces écarts sont grands, plus ils sont à notre désavantage et persistants, sous un régime que sous un autre, plus il est clair qu'il y a là dans ce régime une cause permanente d'infériorité pour nous.
Or, voici ce qui est arrivé pendant les quatre mois de l'année pendant lesquels le grain a été le plus cher :
En mai 1854 nous payions 3 fr. 42 moins cher en Belgique qu'en Angleterre ; en mai 1856, 3 fr. 07 plus cher ; en mai 1854, 75 c. moins cher ; en juin 1856, 4 fr. 81 plus cher ; en juillet 1854, 57 c. plus cher ; en juillet 1856, 2 fr. 97 plus cher ; en janvier 1854, 1 fr. 37 moins cher ; en janvier 1856, 1 fr. 17 plus cher.
Et si je prends seulement ces quatre mois, ce n'est pas parce que les autres ne donnent pas le même résultat ; les honorables membres qui en douteraient peuvent, le vérifier, je n'ai pris ces mois-là que parce que c'étaient ceux où le grain était le plus cher.
Je ne prendrais pas texte de ces écarts de prix si c'était là une chose accidentelle, mais quand je vois le même fait se représenter avec persistance, régularité, et dans des proportions aussi fortes puisque cela va jusqu'à 4 fr. 81 l’hectolitre, je dis qu'il doit y avoir là une cause, et je dis que cette cause est la prohibition à la sortie.
Je ne puis consciencieusement et de bonne foi lui en trouver d'autre.
J'en reviens à la question du droit à l'entrée.
Notre but à tous, messieurs, ne peut être que d'arriver à une législation qui favorise le plus possible le bas prix des denrées alimentaires. Pour moi cette question est si importante, se rattache intimement à notre avenir industriel et politique, que l'intérêt du trésor me touche infiniment peu, et s'efface complètement devant cet autre intérêt, bien autrement sérieux et qui domine tous les autres.
Pour moi toute inquiétude, même passagère, tout malaise dans le commerce des denrées alimentaires, toute complication pouvant ère cause d'une hausse factice ou réelle quelque minime qu'elle puisse être sont un malheur que je déplore parce, que j'estime que les conséquences médiates en sont plus graves, plus sérieuses, qu'on ne le croit en général.
A ce point de vue j'ai toujours regretté et les changements continuels de notre législation, qui tout en ayant la prétention d'être définitive ne résistait pas au premier choc, et nos discussions qui n'ont pas laissé que d'avoir leur mauvais côté.
J'ai surtout regretté que dans un passé qui ne nous appartient plus le désir d'une protection pour l'agriculture ait fait porter des droits à l'entrée, qui, bien que ne constituant qu’une protection illusoire, étaient cependant trop élevés pour ne pas disparaître à la première crise, alors que modérés, purement fiscaux ;, ils auraient été sans influence par la pratique et eussent pu, sans inconvénient, compter au nombre des ressources permanentes du trésor.
Mais tout en regrettant ce passé, le moment est-il bien choisi pour en revenir à la législation que nous eussions désirée à cette époque ?
Nous trouvons-nous dans une situation suffisamment normale pour rentrer ex abrupto sans transition aucune dans un système dont le vote de l'année dernière est l'antithèse la plus absolue.
Je ne le pense pas ; j'ajouterai même que dans l'intérêt du trésor auquel le gouvernement porte naturellement un très vif intérêt, il eut bien fait de remettre à plus tard les propositions qu'il nous fait aujourd'hui et à une époque où, définitivement sortis et remis de la crise que nous venons de traverser, les choses pourraient être appréciées plus froidement et par conséquent plus sainement.
Tout nous prouve que nous n'en sommes pas encore arrivés à cette situation plus nette et plus calme, plus dégagée des préoccupations du passé, tout nous le prouve, et ici dans cette enceinte comme au dehors.
Pour ce qui nous concerne, la grande diversité d'opinions les plus opposées, les plus contradictoires qui se sont fait jour dans les sections n'est-elle pas la preuve la plus évidente de cette situation, si diversement interprétée précisément parce qu'elle est exceptionnelle ?
Le gouvernement lui-même subit cette influence quand il vient nous proposer un projet de loi provisoire, tout en déclarant qu'une loi temporaire est la pire des choses.
Et au-dehors croyez-vous, messieurs, que l'on comprendra ce brusque revirement qui de la prohibition à la sortie nous fait passer tout d'un trait aux droits à l'importation, et cela alors que nous sommes encore loin d'avoir oublié la crise qui a tant fait souffrir les classes moyennes et inférieures, alors qu'une crise monétaire est venue se joindre à la crise alimentaire, que tous les budgets économiques sont bouleversés, que tout équilibre entre les besoins et les salaires est rompu, alors que rien encore n'a repris son niveau et que des temps plus heureux n'ont encore pu dédommager un peu nos populations et cicatriser ces blessures qui sont encore là vives et douloureuses.
Je sais bien qu'on me dira que c'est un préjugé de croire que des droits minimes augmentent les prix, et qu'on n'a pas à se préoccuper des préjugés. Mais sans discuter cette proposition, comment expliquer que vous y sacrifiiez bien l'année dernière, alors que bien évidemment la majorité de cette Chambre faisait de la prohibition une concession politique, la considérait plutôt comme un mal que comme un bien, et qu'aujourd'hui vous vous refuseriez à un même sacrifice à l'opinion publique, quand il n'est plus question d'une mesure qu'on pourrait considérer comme devant entraîner après elle des inconvénients graves, mais qu'il ne s'agit que d'un intérêt financier, de quelques mille francs de plus ou de moins à accorder à M. le ministre des finances.
il y a là un rapprochement qu'on ne manquera pas de faire, et je vous prierai, messieurs, de ne pas le perdre de vue.
Cette situation anomale est si bien comprise que sur 37 corps consultés, 24 réclament la liberté complète et entière, provisoire ou définitive et 4 seulement se sont prononcés pour un droit à l'importation dont deux encore n'en veulent pas pour le bétail.
C'est là un point important remarquable, mais qui se trouve assez bien dissimulé dans l'exposé des motifs ; car on pourrait croire, en lisant le résumé des réponses, que neuf corps ont demandé un droit de balance. Or c'est une erreur, il n'y en a que quatre.
(page 324) Ces corps, répartis dans tout le pays, sont cependant bien mieux encore placés que nous pour apprécier le véritable état des choses. Quand le. droit à l'entrée n'est accepté que par une aussi infime minorité, il faut bien croire qu'il y a là une raison sérieuse qui les a frappés tous ; et quelle serait cette raison si ce n'était la situation encore tendue que je vous signalais il y a un instant et dont les nombreuses pétitions qui vous arrivent sont l'expression et la conséquence.
Veuillez bien remarquer, messieurs, que ce n'est, après tout, pas des grains seuls qu'il faut tenir compte, mais de l'ensemble des prix des denrées alimentaires. Or si les grains ont un peu baissé, presque toutes les autres denrées sont encore à des prix inaccessibles ; le beurre, les œufs, la viande ont des prix qui n'ont jamais dépassés.
Et pour les grains, croyez-vous qu'il soit prudent de compter sur les prix actuels, quand on sait que notre stock était nul, que dès le mois de septembre en entamait déjà fortement la récolte de 1856 et quand nous connaissons la concurrence que nous trouverons-pour nos importations dans l'Italie, le Portugal et l'Espagne où règne presque une véritable disette et où dès aujourd'hui le froment varie de 45 à 50 francs.
Le gouvernement motive son projet de loi sur la réduction des prix, mais comment se fait-il alors qu'il y comprenne le bétail et les viandes qui se payent plus cher qu'il y a deux ans, et aussi cher que l'année dernière quand on réclamait la libre entrée ?
Vous deviez convenir, messieurs, qu'il y a là quelque chose qui blesse la logique.
On nous dit toujours, et j'ai, je l'avoue, été très disposé à le croire, qu'un droit très minime n'influe pas sur les prix et par conséquent sur la consommation même quand il ne s'agit pas d'une denrée d'absolue nécessité. Il y a cependant un fait que je ne m'explique pas, c'est la progression instantanée, immédiate de l'importation des viandes aussitôt qu'elles ont été libres à l'entrée.
On me répondra que cette progression répond à l'introduction des viandes d'Amérique dont l'usage était inconnu jusqu'alors ; mais en supprimant même toutes les importations de cette partie du monde, en ne tenant compte que des importations des pays d'où nous tirions déjà antérieurement des produits similaires, on se trouve en face d'une mise en consommation qui, de 109,795 kilos en 1853, se trouve tout à coup rouée à 202,937 kilos en 1854.
Si l'on tient compte des viandes d'Amérique, l'importation a sextuplé. Le droit était, il est vrai, de 4 centimes ; mais aussi n'est-ce qu'à sa suppression que je puis attribuer ce développement subit.
Pour le bétail, remarquez, messieurs, que tout minime qu'est le droit qu'on propose, il doit cependant rapporter, dit-on,180,000 fr., et qu'en réalité il est double de ce qu'il paraît. Le droit se paye par kilo de la bête sur pied ; or, comme l'animal abattu ne donne de marchandise à livrer en boucherie qu'environ les deux tiers de son poids brut, il en résulte que le kilo de viande est frappé d'un droit beaucoup plus élevé que celui qui figure au tarif.
Mais je m'oppose surtout au droit sur le bétail pour les formalités tracassières que sa perception nécessite, et dont sont victimes les habitants des frontières et du territoire réservé.
Savez-vous, messieurs, en quoi consistent ces formalités ?
Chaque cultivateur doit avoir à la douane un inventaire, une espèce de compte courant où se trouve inscrit son bétail, chaque vache, chaque génisse, chaque veau, avec signalement, signes distinctifs et, qui plus est,, engagement de le représenter à chaque réquisition.
Toute mutation doit être soigneusement enregistrée, chaque naissance, chaque décès, chaque vente, doit être déclarée à cet état civil d'une nouvelle espèce et gare au malheureux dont la vache s'avise de changer de poil ou qui néglige de faire inscrire son nouveau-né !
Aussi les habitants de nos frontières n'ont-ils cessé de réclamer contre cette malencontreuse loi de 1835 et de maudire une protection qui leur coûtait si cher.
C'est à vous à savoir, messieurs, si vous voulez de nouveau imposer ce véritable servage aux milliers de cultivateurs habitant notre territoire réservé qui, vous le savez, est fort étendu, et cela pour un revenu qui, tout frais déduits, sera loin de compenser ses inconvénients.
On cite toujours l'Angleterre, mais imitons-la donc aussi dans ce qu'elle a de bon. En Angleterre le bétail et les viandes sont libres à l'entrée. Tout le monde, les agriculteurs, les industriels, les ouvriers surtout, s'en trouvent bien.
Je voterai donc cette année contre tout droit à l'importation des denrées alimentaires, non pas tant à cause de l'influence que ces droits pourront exercer sur les prix par la quotité du droit en lui-même, que pour les formalités gênantes qui doivent en résulter pour le commerce, pour les embarras qu'ils lui suscitent et qui sont les mêmes que s'il s'agissait de droits plus élevés, pour les complications enfin qui l'entravent et qu'il n'aplanit qu'en renchérissant ses services, comme le fait remarquer le gouvernement lui-même dans l'exposé des motifs. Je voterai surtout contre tout droit, parce que ces complications me paraissent intempestives,déplacées,malheureuses à une époque où la crise alimentaire n'est qu'à peine atténuée et où les souffrances rendent les préjugés mêmes respectables, quand ils ne peuvent pas être une cause de mal et faire aboutir à des résultats complètement opposés à ceux que l'on veut atteindre.
M. le ministre des affaires étrangères nous disait dernièrement en-parlant de la crise monétaire, et avec autant de sagesse que d'à-propos,. qu'il était toujours dangereux de prendre une décision dans un moment de crise, et tant qu'on était pas rentré dans un état normal.
C'est bien là notre situation.
Attendons donc pour innover que les esprits soient plus calmes, et que l'on ne puisse accuser nos décisions d'être le résultat d'un parti pris ou d'appréciations que la passion fera mal interpréter ou comprendre.
La suppression de la prohibition sera déjà un assez grand pas de fait pour notre situation actuelle, et quant au droit, il n'y a pas péril en la demeure. Le commerce des grains étant essentiellement annuel, il ne peut y avoir d'inconvénient à remettre notre décision à un an, dès le moment que jusque-là la liberté la plus entière est assurée.
La prohibition à la sortie des pommes de terre m'est, du reste, assez indifférente, parce que ce tubercule n'est pas un objet de commerce comme les grains, et que la prohibition à la sortie ne peut guère offrir d'inconvénients graves.
Pour les autres substances alimentaires, j'aurai l'honneur de déposer un amendement qui supprime tout droit à l'entrée jusqu'au 1er janvier 1858.
(page 318) M. Osy. - Je crois qu'il est bien acquis à la discussion que dans la loi de 1854 et celle de 1855 le gouvernement en consentant à admettre la prohibition de sortie n'a fait que céder à l'opinion publique qui se faisait jour presque partout dans le pays. Cela revient à dire que ces lois ont été votées contre l'opinion du ministère de 1854 et 1855. La preuve, c'est que le ministère revient sur la proposition qu'il avait faite lui-même l'année dernière ; le ministère, éclairé par ce qui s'est passé dans le courant de 1856, propose la liberté de sortie que nous avions demandé, lors de la discussion des lois de 1854 et 1855. C'est un très grand pas de fait, je sais gré au ministère d'avoir consenti à le faire.
Mais voilà la troisième année que nous discutons la question sur les denrées alimentaires, et chaque, fois qu'elle se présente devant la chambre elle provoque une certaine agitation dans le pays et donne lieu à l'envoi d'une foule de pétitions demandant la prohibition ou la liberté de la sortie des céréales.
La section centrale nous propose de faire un pas en avant et de voter une loi définitive, ou plutôt de revenir à la loi de 1850 en réduisant de moitié les droits d’entrée.
Le gouvernement vous propose la libre sortie, mais il demande encore une loi transitoire pour l'année 1857. Je crois au contraire que le prix auquel sont arrivées les céréales et la situation actuelle dans laquelle se trouve l'Europe nous permettent de faire une loi définitive. L'année dernière, nous ne pouvions prévoir jusqu'à quelle époque durerait la guerre d’Orient.
Peu de mois après nos discussions, nous avons eu la paix, et immédiatement nos voisins se sont empressés de recommencer les importations de céréales venant de l’Orient, ce qui a été un grand bienfait pour l'Europe et ce qui a contribué à une réduction successive du prix des céréales.
En effet, lorsque nous discutions l'année dernière, le froment était encore au-delà de 36 fr., un honorable collègue parlait même de 40 fr. pour Tournai. Depuis la paix, nous avons eu une récolte qui est bonne dans plusieurs pays et médiocre dans d'autres ; mais enfin le prix est descendu successivement jusqu'à 25 fr., et si la Providence nous accorde encore une bonne récolte l'année prochaine, il est à espérer que nous arriverons à un prix normal et que nous n'aurons plus rien à craindre pour l'alimentation publique.
Il est naturel que moi qui ai défendu, en 1854 et en 1855, la libre sortie, je me rallie à la proposition du gouvernement. Mais je crois qu'aujourd’hui plus que jamais il existe des motifs de faire une loi définitive ; je crois qu'il ne convient pas à un pays comme le nôtre d'agiter tous les ans des questions aussi brûlantes. Car chaque fois qu'il est question de faire une enquête sur cette question ou de présenter une loi à la Chambre, vous voyez nous arriver un nombre considérable de pétitions, émanant le plus souvent de personnes qui ne raisonnent pas et ne voient pas le pour et le contre de la question.
C'est pourquoi la majorité, et la grande majorité de la section centrale (car nous étions 5 contre 2), vous demande de faire une loi définitive.
Les cinq membres de la majorité n'émettaient pas simplement leur opinion personnelle en demandant une loi définitive, mais ils avaient mandat de leur section de faire cette proposition. On dira, peut-être, qu'il y a peu de membres dans les sections ; mais c'est à chacun de nous à se rendre en sections et à faire valoir son opinion dans ces débats préliminaires.
Messieurs puisqu'il paraît que cette année encore il y a des membres qui veulent combattre la libre sortie, force nous est bien de répéter de nouveau les arguments que nous avons fait valoir, et vous me permettrez de dire quelques mots sur ce qu'a produit en 1855 et 1856 la prohibition à la sortie.
Pendant cette année 1856, nous avons importé près de 100 millions de kil. de froment. Eh bien, voyez le tableau qui nous a été produit par le gouvernement, et vous verrez que de ces.100 millions de kil., les trois quarts ou 75 millions environ ont été importés des pays voisins, c'est-à-dire de la Hollande, de l'Angleterre et du Zollverein. Et quand faisait-on ces achats ? Lorsque vos marchés étaient élevés, et qu'on voyait qu'il y avait encore une certaine marge pour les importations. Vous comprenez que dans un pays où l'on n'a pas la liberté entière, c'est-à-dire la liberté à l'entrée et à la sortie, il est impossible, comme nous l'avons dit pendant deux ans, que le commerce ait la même confiance, que dans les pays où comme, en Angleterre et en Hollande, le commerce des céréales est entièrement libre.
Aussi l'Angleterre et la Hollande ont non seulement fait venir de» grains pour leur propre consommation, mais elles en ont fait venir des quantités considérables pour leurs voisins ; et c'est dans ces deux pays que nous allions acheter pour les besoins de la Belgique ; c'est-à-dire que nous achetions de seconde main et que nous payions ainsi des primes plus élevés que si nous avions été aux pays de production. Aussi vous voyez par les tableaux que l’honorable M. Moreau s'est donné la peine de recueillir et de faire insérer dans le rapport, que depuis que nous avons décidé la prohibition à la sortie, les céréales se sont payées en Belgique 1 fr. 50 c. plus cher que dans les pays voisins.
Sans doute avec la liberté à la sortie, on aurait peut-être exporté quelques chariots et quelques bateaux de grains de la Belgique pour le département du Nord. Mais les quantités exportées n'auraient pu être bien considérables, car vous voyez que les mercuriales du département du Nord n'ont guère varié avec les nôtres. D'autre part.il me paraît évident que les fermiers des Flandres et du Hainaut ont le même droit que tout autre producteur de vendre leurs produits où ils le jugent, convenable. La justice exige que vous permettiez à ces fermiers de disposer de leur marchandise comme il leur convient.
D'ailleurs, messieurs, vous pouvez être persuadés qu'avec l'activité que déploie le commerce, le peu qui pourra être exporté par la frontière de terre sera très largement compensé par les importations qui vous arriveront par les frontières de mer. Quant à la partie du pays voisine des provinces rhénanes, vous savez qu'elle reçoit beaucoup de céréales des provinces rhénanes et du Limbourg.
Je dis donc que nous n'avons rien à craindre de la libre sortie. La Hollande produit proportionnellement moins de grains, que nous pour la consommation ; son déficit est beaucoup plus considérable, et la Hollande n'a jamais craint de voir exporter les beaux froments de la Zélande parce qu'elle est persuadée qu'on trouvera toujours à Rotterdam à remplacer ces grains par ceux qui y arrivent de la Baltique, de la mer du Nord et de la mer Noire. Il en sera de même en Belgique. Si l'on exporte quelques céréales, elles seront remplacées par celles que nous achèterons dans les pays lointains et, au besoin, dans les pays voisins.
Je crois donc qu'il y a des motifs plausibles pour accepter la libre-sortie que propose le gouvernement, et pour voter une loi définitive, afin de ne pas revenir chaque année sur une question aussi importante. Je crois qu'il est temps d'en revenir à la législation de 1850. Lorsque nous avons voté cette législation, nous avons établi le droit d'un franc à l'entrée par une sorte de transaction avec ceux qui voulaient une protection beaucoup plus élevée. Aujourd'hui, pour mettre tout le monde d'accord, je crois qu'il convient de décréter le même droit qu'en Angleterre, c'est-à-dire le droit d'un schelling, ce qui représente environ 50 centimes par 100 kilogrammes.
Vous avez vu que pendant toute l'époque de la cherté l'Angleterre a maintenu sa législation des céréales, et a conservé le droit d'un schelling, ce qui lui a rapporté des. sommes assez considérables. Et cependant, depuis sept ou huit ans que la loi anglaise existe, vous n'avez vu se produire ni dans le parlement, ni dans les journaux, la moindre réclamation sur cette loi définitive. Les fermiers qui se croyaient perdus par la libre entrée et avaient vivement protesté, cultivent beaucoup mieux leurs terres, en retirent plus de céréales et ne se plaignent plus de la législation qui les régit.
C'est là un précédent qui doit également nous rassurer.
Je le répète, tout ce que nous pouvons craindre, c'est qu'on n'exporte un peu de nos grains et que notre déficit ne soit ainsi augmenté. Mais les exportations seront largement compensées par les importations des pays lointains et, s'il est nécessaire, des pays voisins ; Aussi voyez ce qui se passe. Aujourd'hui que la paix est faite, et que nous avons des relations par navires à vapeur avec la Baltique et Hambourg, il ne nous arrive pas un de ces navires qui ne nous importe des quantités considérables de céréales. Les navires mêmes qui viennent de New-York nous importent du froment. La paix n'ayant été conclue qu'au mois d'avril, ce n'est qu'à dater de cette époque qu'il a pu nous arriver du seigle d'Archangel. Mais la Hollande, ayant la libre sortie des céréales, en a reçu des quantités beaucoup plus considérables que nous et c'est dans ce pays que nous avons dû aller nous approvisionner. Mais (page 319) toujours les quantités que nous avons prises en Hollande ont été remplacées par les arrivages d'Archangel.
Soyez persuadés que le commerce ne vous fera pas non plus défaut, et qu'il vous importera considérablement des céréales, non seulement des pays limitrophes, mais surtout des pays lointains. Je crois donc que nous devons bannir toute crainte quant à l'alimentation du pays et que nous devons nous montrer justes envers nos cultivateurs en leur permettant de disposer de leurs denrées comme ils le jugent convenable. Car la législation que nous avons maintenue pendant deux ans les a soumis à une véritable expropriation contraire à la Constitution.
Je crois donc, messieurs, que nous pouvons faire une loi définitive, et je serais charmé devoir le gouvernement prendre ce parti, car sinon toutes les discussions auxquelles nous allons nous livrer se reproduiront l'année prochaine. C'est ce que je voudrais éviter.
Reste, messieurs, le bétail. Le bétail était affranchi de tout droit à l'importation ; eh bien, je crois que le bétail peut très bien, comme les céréales, payer un très léger droit au fisc. Le gouvernement avait proposé deux catégories de droits, 2 et 1 centime. Nous avons pensé que cette distinction donnerait lieu à de grandes difficultés à la frontière ; il est bien difficile en effet, à un douanier, de reconnaître, par exemple, ce qui est une vache et ce qui est une génisse.
L'honorable M. de Steenhault dit qu'il ne veut pas de droits du tout, parce qu'il faut beaucoup de précautions pour établir ce qu'on appelle l'état civil du bétail ; je pense, messieurs, que si on admet le droit uniforme d'un centime, proposé par la section centrale, le gouvernement pourrait fort bien abandonner les formalités auxquelles l'honorable membre fait allusion.
Messieurs, il est encore une raison pour laquelle nous demandons la libre entrée et la libre sortie, ce sont les difficultés que la prohibition entraîne en ce qui concerne les distilleries. Vous savez, messieurs, toutes les complications qui résultaient de l'obligation imposée à l'industrie de ne distiller pour l'exportation que des grains étrangers ; supprimez la prohibition à la sortie et chacun, encore une fois, pourra vendre à son gré à la distillerie tant pour l'exportation que pour la consommation intérieure.
On dit, messieurs, que nous voulons procéder avec précipitation. Il me semble qu'après avoir fait deux expériences malheureuses, en 1855 et en 1856, nous pouvons très bien adopter définitivement la libre sortie, sans être accusés d'agir brusquement. Ces expériences nous ont prouvé qu'avec la prohibition à la sortie, la Belgique a payé son pain plus cher que les pays où existait la libre sortie. (Interruption.) On peut se récrier, mais les chiffres sont là pour prouver qu'en moyenne, nos mercuriales ont été plus élevées que celles de nos voisins.
D'ailleurs c'est chez nos voisins, c'est en Hollande, en Angleterre et dans le Zollverein que nous sommes allés nous approvisionner. Cela prouve bien que nous avons mangé le pain plus cher que nos voisins.
Je dis donc, messieurs, que la prohibition a agi en sens contraire du but qu'on avait en vue quand on l'a établie. C'est d'ailleurs ce qui avait été prévu, car vous vous rappelez tous, messieurs, que l'honorable M. Liedts, alors ministre, des finances, était très contraire à la prohibition et qu'elle n'a été admise que par suite d'une pression exercée sur les esprits.
L'honorable M. Dedecker demandait, à la vérité, la prohibition, mais il faut convenir que son discours était bien plutôt favorable à la libre sortie qu'à la défense de l'exportation. Du reste, messieurs, le ministère reconnaît aujourd'hui que la prohibition n'a rien produit et il propose la libre sortie. Eh bien, je crois que c'est un pas dont nous devons lui savoir gré. Non seulement il s'est éclairé par les faits, mais il ne veut plus céder à la pression dont je parlais tout à l'heure. Cette pression elle-même cessera quand les populations verront qu'avec la liberté les prix seront plus bas qu'avec la prohibition.
Quant au droit d'entrée que nous demandons, ce droit existe en Angleterre et on ne s'en plaint en aucune manière. Il faut bien procurer des ressources au trésor et un droit de 50 centimes n'est pas élevé. Il y a deux ans on demandait 2 fr. et 2 fr. 50 c ; j'ai proposé un franc pour avoir une loi définitive, mais je reconnais que c'est trop et qu'il faut s'arrêter au chiffre de 50 centimes.
M. Tack. - Messieurs, tout en vantant, lors de l'ouverture de la session, les bienfaits qu'une récolte abondante a répandus sur le pays, vous avez déclaré, d'accord avec le gouvernement, que le problème de l'alimentation publique était loin d'être résolu pour la Belgique, et devait, au contraire, continuer à faire l'objet de vos plus vives, de vos plus constantes préoccupations. Le pays a su gré à ses mandataires de cette déclaration si pleine de sollicitude pour ses intérêts ses plus chers et il a attendu avec calme le moment où la grave question des subsistances serait soumise à vos délibérations.
Il accueillera avec la même confiance toutes les mesures que votre patriotisme vous aura conseillé d'adopter.
Toutefois on ne peut se le dissimuler, si l'on consulte l'état actuel de l'opinion publique, il semble évident que nos populations avaient entrevu l'espoir que la prohibition ne serait pas levée brusquement ni de sitôt.
Aussi, la présentation du projet de loi qui tend à faire décréter la libre sortie des denrées alimentaires et à établir des droits à l'importation, a-t-elle suscité des alarmes sur certains points du pays, provoqué une véritable agitation dans la presse et déterminé l'envoi à la Chambre de nombreuses pétitions.
Sans doute, messieurs, la situation du pays est améliorée ; le prix des grains est en baisse, les salaires ont augmenté, l'avenir se présente dans des conditions favorables.
Mais il faut bien le reconnaître, la transition qui s'opère en ce moment et qui nous fait passer d'une situation difficile à un état meilleur, coïncide chez nous avec le régime de la prohibition. Eh bien, cette coïncidence jointe au souvenir des maux que le pays a eu à souffrir et qui ne datent que d'hier, a fait accréditer au sein des familles l'idée que tout changement au régime actuel serait désastreux et aurait peut-être pour effet de nous plonger dans une nouvelle crise.
Que ces appréhensions soient fondées ou non, toujours est-il qu'elles ont leur source dans un sentiment bien légitime, bien puissant, le sentiment de la conservation. C'est dire assez que notre devoir nous prescrit d'en tenir compte et de les prendre en sérieuse considération.
Nous pouvons différer quant aux moyens qu'il s'agit dans l'occurrence de mettre en œuvre, nous pouvons différer quant au caractère, à la portée et à la nature des remèdes à employer, mais le but que nous poursuivons, on vous l'a déjà dit, est le même pour tous. Ce que nous voulons unanimement, c'est de donner satisfaction à tous les intérêts légitimes, c'est de faire respecter les droits de chacun, c'est de procurer, autant qu'il est en notre pouvoir, le pain à bon marché aux classes peu aisées, aux classes les plus nombreuses ; c'est, en un mot, d'assurer au pays la plus grande somme possible de prospérité el de bien-être.
La grande question que nous avons à débattre et qui seule nous divise, c'est celle de savoir si le maintien de la prohibition, eu égard à la position particulière du pays, eu égard aux faits acquis à l'expérience, doit être admise de nouveau et si la mesure est chose bonne, utile, et en tous cas point nuisible. Je n'hésite pas à dire que, mon opinion, l'affirmative peut être soutenue avec quelque avantage.
On peut se demander si, vu la situation agricole du pays, vu les moyens dont le commerce dispose, la prohibition à la sortie ou le régime de l'exportation libre dis denrées alimentaires, lorsqu'on les envisage dans leurs résultats généraux et quant à leur influence sur les prix, ne sont pas choses assez indifférentes.
Je suis incliné à répondre oui, mais en me plaçant sous des points de vue différents, je soutiens qu'il y a des raisons pour faire encore adopter au moins momentanément le régime en vigueur.
Les principales objections qu'on fait contre la prohibition sont tirées de faits empruntés à la statistique comparée des prix des grains en Belgique et à l'étranger, notamment en Angleterre, en Hollande et dans le Zollverein.
Toute l'argumentation à laquelle a eu recours l'honorable rapporteur de la section centrale, pour démontrer que la Belgique a le plus grand intérêt à introduire chez elle la liberté du commerce des grains, si elle veut payer ses grains au même taux ou même moins cher que les pays qui l'environnent, est basée sur des renseignements puisés à cette source.
Voici, en effet, ce que je lis en tête du rapport de la section centrale :
« L'expérience doit donc avoir suffisamment éclairé l'opinion publique en prouvant encore une fois de plus que les mesures prohibitives n'assurent pas aux populations l'alimentation à meilleur marché, qu'au contraire elles la leur font payer plus cher, parce que, troublant le commerce dans ses combinaisons, elles l'enchaînent, paralysent son action bienfaisante et lui ôtent l'activité et l'énergie dont il a besoin dans les crises alimentaires, pour combler plus aisément les vides qui lui sont signalés et faire, en prenant une grande extension, tout le bien qu'il peut produire. Des chiffres, puisés à des sources officielles, font ressortir ces faits. »
L'honorable membre, pour prouver cette assertion, a rédigé deux tableaux ; le premier est relatif au prix moyen du froment en 1856 ; le second concerne les quantités de froment importées dans le pays et les calculs y sont établis par mois, avec les prix en regard.
A l'aide du premier tableau, l'honorable membre prouve que pendant les six premiers mois de 1856, le prix moyen du froment a été, en Belgique de 31 fr. 82 c,en Angleterre de 30 fr. 22 c, à Rotterdam de 30 fr. 40 c, à Cologne de 29 fr. 33 c, c'est-à-dire que la moyenne des prix en Angleterre, en Hollande et à Cologne a été inférieure pour 1856 à la moyenne des mercuriales de Belgique.
Le second tableau a pour but de constater que quand le prix du froment a varié en 1856 de 26 fr. 12 c. à 31 fr. 16 c. pendant sept mois, on n'a acheté à l'étranger que 44,900,652 kil., tandis que lorsque le prix a été de 32 fr. 46 c. à 35 fr. 80 c, pendant quatre mois seulement, on a fait venir de l'étranger 48,755,623 kil. »
Mais, messieurs, ce que l'honorable rapporteur aurait dû prouver et ce qu'il n'a pas prouvé, ce que l'honorable M. de Steenhault a essayé de prouver tout à l'heure, en invoquant des chiffres qu'il est facile de réfuter ; c'est que ces différences dans les prix sont une conséquence nécessaire, incontestable de la prohibition.
Aux statistiques invoqués par l'honorable M. Moreau, je vais opposer d'autres documents qui ont été fournis également par le gouvernement et qui sont puisés à des sources officielles.
Pourquoi l'honorable rapporteur n'a-t-il pas jeté un coup d'œil rétrospectif sur les années 1853 et 1854, alors que nous nous trouvions sous le régime de la libre sortie ? Il aurait découvert dans les statistiques de ces années des chiffres qui lui auraient fourni des points de comparaison très concluants, très significatifs, mais fort peu propres à établir l'excellence de sa thèse.
(page 320) Je vais donc comparer entre elles les années 1853 et 18S6 et j'examinerai la question de savoir si, sous le régime de la liberté de commerce, les prix se sont comportés en Belgique autrement qu'en 1856, dans leurs rapports, bien entendu, avec les prix d'Angleterre, de Hollande et de France.
Je tiens en main le tableau comparatif du prix des grains en Belgique et à l'étranger pour 1853, 1854, 1855 et 1856 ; il s'applique à une période de 10 mois pour chaque année.
Je ne ferai pas l'énumération de tous les chiffres qui ont servi de base à mes calculs, je demanderai la permission d'en faire figurer le résumé dans les Annales parlementaires.
Prix moyen du froment à l'hectolitre en Belgique, en France, en Angleterre ci en Hollande, pour les dix premiers mois de l'année.
(tableau non repris dans la présente version numérisée)
Eh bien, en 1853 vous étiez placé sous le régime de la libre exportation, et cependant la Belgique a payé en moyenne le froment à raison de 24 fr. 57 c, tandis que l'Angleterre ne l'a payé pendant la même année qu'à raison de 21 fr. 82 c., différence 2 75 ; or, la différence pour l'année 1856, en faveur de l'Angleterre, n'est que de 1 fr. 60, d'après les calculs mêmes de l’honorable rapporteur de la section centrale.
Je sais qu'en 1855, le droit imposé à l'entrée a pu légèrement modifier les prix, mais si on retranche ce droit il reste encore, pour 1853, une différence en faveur des mercuriales belges supérieure à celle constatée pour 1856.
Ainsi donc, sous le régime de la libre exportation, comme sous le régime de la prohibition de sortie, les prix du froment en Belgique ont dépassé le prix du froment en Angleterre.
- Un membre. - Et pour 1854 ?
M. Tack. - Je n'ai pas argumenté de 1854, parce que pendant les 10 premiers mois de cette année nous avons été sous le régime de la liberté de commerce, tandis que pendant les deux derniers mois nous avons été régis par le régime de la prohibition.
M. de Naeyer, rapporteur. - Pendant un mois seulement.
M. Tack. - Eh bien, pour 1854, pendant les dix premiers mois les prix moyens ont été supérieurs en Belgique aux prix moyens de l’Angleterre, seulement la différence est petite.
M. de Naeyer, rapporteur. - C'est une erreur.
M. Tack. - Je maintiens mon allégation. Le prix moyen en Belgique a été de 31,47 pendant les dix premiers mois et en Angleterre de 31,09.
Messieurs, les observations que je viens de faire quant aux prix des déniées alimentaires s'appliquent également aux quantités importées dans leur rapport avec les prix.
En effet, on remarque qu'en 1855 les quantités importées ont été en raison directe des prix ; c'est-à-dire que quand les prix étaient le plus élevés, c'est alors aussi que nous avons reçu de l'étranger le plus de céréales ; or, encore une fois, en 1853, nous étions placés sous le régime de la libre exportation.
Voici, du reste, les chiffres que je prends dans les documents officiels : Pendant les quatre derniers mois, les importations en 1853 ont été de 54,374,663 kilogrammes et pour l'année entière elles se sont élevées à 108,550,927 kil.
Ainsi pendant les 4 derniers mois de l'année, on a importé plus du double de l'importation totale de l'année.
Il me semble que c'est là la conséquence d'une loi économique qui fait que lorsque des produits sont rares sur un marché, sont beaucoup demandés ou, ce qui revient au même, se vendent à des prix élevés ; c’est vers ce marché qu'il se dirigent.
Au fond, est-il bien constant que nous ayons payé nos grains plus cher que l'Angleterre, la Hollande on l'Allemagne ? Il est permis d'en douter. Il ne suffit pas de citer des chiffres, il faut dire quelle est leur signification et constater à quel objet ils s'appliquent.
Je soutiens que les termes de comparaison dont s'est servi l'honorable M. Moreau sont disparates, et par conséquent que la comparaison cloche.
Je le prouve : les statistiques empruntées aux pays étrangers s'appliquent à toutes sortes de froments, à des froments d'Egypte, d'Amérique, de la mer Noire, de la mer du Nord ; à des blés tendres comme à des blés durs ; à des blés destinés à l'alimentation comme à des blés destinés à des usages industriels. Pour établir des comparaisons exactes, il faudrait pouvoir non seulement distinguer les quantités de chaque variété de froment, mais encore être à même d'apprécier d'une manière précise le rendement de chaque espèce.
C'est chose difficile à faire observer aussi que l'écart entre le froment commun et le froment de première qualité peut être considérable, il est de 6, de 7 et même de 8 francs. D'autre part la différence entre la moyenne constatée par les mercuriales de notre pays et la moyenne que donnent les mercuriales de l'Angleterre pour l'année 1856 est très faible ; elle n'est que de 1,6 en faveur de l'Angleterre ; cette différence est largement compensée par la plus-value des quantités que nous avons consommées.
Il est hors de doute que notre froment est supérieur en qualité à celui de l'Angleterre.
Le froment belge vaut 3 fr. de plus à l'hectolitre, il est aussi estimé, que le meilleur froment de provenance étrangère qu'on vend sur nos marchés. Il suffit par contre de jeter un coup d'œil sur les statistiques, pour voir que le froment anglais est toujours coté à un prix inférieur au froment étranger de bonne qualité.
De plus, il faut remarquer qu'en Belgique, il n'a été mis en consommation en 1856 de froment étranger, qu'environ 1,200 mille hectolitre, tandis que la production en céréales chez nous a été pour 1855 de 3,997,895 hectolitres ; soit en chiffre rond 4,000,000 d'hectolitres ; donc nous avons consommé quatre fois plus de grains de qualité supérieure que nous n'en avons consommé de qualité inférieure. C'est une chose singulière, on dit que l'Angleterre a payé ses grains moins cher que la Belgique, cependant il est constaté qu'en 1855 l'Angleterre a fait sortir de nos entrepôts une plus grande quantité de céréales, qu'elle n'en a importé en Belgique.
Les importations de l'Angleterre se sont élevées en 1855 à 6,173,180 kil., tandis que les expéditions des sorties de l'entrepôt ont atteint 7,910,462 kil. différence 719,462.
N'est-on pas fondé à inférer de cette circonstance que, bien loin d'avoir été inférieurs aux nôtres, les prix en Angleterre ont été supérieurs. Puisqu'on veut argumenter de la liberté du commerce, je vous dirai un mot de l'orge, qui a été libre à l'entrée et à la sortie, et que nous n'avons pas payée moins cher que dans d'autres pays ; au contraire, les prix ont été plus élevés,comparativement surtout au froment.
Il y a deux ans et l'année dernière, on nous disait : Si vous prohibez, les grains à la sortie, vous n'aurez plus d'importations, le commerce sera paralysé dans ses opérations. Est-ce que cette prévision s'est réalisée ? Pas du tout.
En 1856, pendant les dix premiers mois, les importations ont été de 88,855,129 kil. ; pour l'année entière, elles ont été en 1855 de 94,152,999 kil., en 1854 de 69,739,612 kil., en 1853 de 97,152,990 kil.
Les exportations sont déduites.
Voulez-vous un autre exemple en sens inverse. Je citerai encore une fois l'orge. Sous le régime de liberté à la sortie, les quantités importées ont-elles été plus grandes que les autres années ? Nullement. De plus, je ne pense pas qu'il y ait à l'heure qu'il est, un grain d'orge à l'entrepôt d'Anvers.
Du reste, supposons que les importations se ralentissent un peu en 1857, est-ce que le mal serait bien grand ? Est-ce qu'il n'est pas acquis que la récolte suffira à peu près aux besoins de la consommation du. pays ? Il est évident que le déficit n'est guère considérable. Dans la supposition que la libre sortie fût décrétée, croit-on qu'en ce moment le commerce se livrerait à des spéculations hasardeuses, ferait de grandes commandes ? Il est évident que le commerce doit être hésitant dans les circonstances actuelles.
Que nous soyons placés sous le régime de la libre sortie, ou sous celui de la prohibition de sortie, le résultat sous ce rapport serait à peu près le même.
Messieurs, on est venu aussi plaider la cause de l'agriculture ; je puis concilier difficilement ici certains arguments présentes par les adversaires de la prohibition à la sortie des denrées alimentaires ; les uns nous disent que la prohibition est nuisible aux intérêts de l'agriculture, tandis que les autres prétendent que les entraves imposées à la libre sortie ont pour effet de faire hausser le prix des céréales ; je me demande comment l'agriculture pourrait se plaindre s'il était vrai, ce que je n'admets nullement, que la prohibition a pour conséquence de nous faire payer les grains plus cher qu'ailleurs ; il y a là ce me semble, une contradiction manifeste.
Comme je i ai déclaré en commençant, on peut soutenir avec plus de raison que dans la situation où se trouve le pays, la prohibition n'aura point une influence marquée sur les prix.
Savez-vous dans quelle circonstance la prohibition aurait pour effet, de nous faire payer les grains moins cher, à un taux plus bas que chez nos voisins ? Ce serait dans le cas où chez l'un d'eux il y aurait pénurie et chez nous abondance ; mais nous ne versons pas dans cette hypothèse, les récoltes ont bien réussi dans la plupart des contrées de l'Europe ; il est vrai que dans le midi de la France, elles peuvent laisser à désirer, mais le pays trouvera moyen de compléter ses approvisionnements en Algérie et sur les bords de la mer Noire.
On s'apitoie aussi sur le sort du commerce ; je ne m'aperçois pas que ses intérêts aient été jusqu'à présent grandement lésés, par suite de la prohibition ; car enfin les importations n'ont guère diminué et quant au transit ou au commerce d'entrepôt, il est demeuré sensiblement le même, il a plutôt progressé en 1856 ; voici en effet les chiffres que nous fournissent les statistiques officielles :
En 1853 nous avons exporté en froment 11,687,598 kilog. et en 1854 33,630,398 kil.
Nous étions pendant ces deux années placés sous le régime de la liberté d'exploitation des céréales sauf pour ce qui concerne les deux derniers mois de l'année 1854.
(page 321) Qu'est-il arrivé en 1855 et en 1856, alors que les grains étaient prohibés à l'exportation ?
Il est sorti, en 1855, de nos entrepôts une quantité de 14,854,968 kilogrammes de froment, et pour 1856, le commerce de transit appliqué à une période de dix mois accuse le chiffre de 22,448,372 kilogrammes. La moyenne des exportations pour une période de dix années, 1844 à 1853, quelle est-elle ? Elle est de 14,387,941.
Vous le voyez, le commerce d'Anvers ne s'accommode pas mal du régime de la prohibition, grâce aux entrepôts francs, grâce à l'emmagasinage dans les entrepôts fictifs, grâce encore aux facilités que lui accorde la douane.
Qu'il cesse donc de se plaindre. On comprend que le commerce d'Anvers préfère une liberté absolue et définitive qui lui procurerait le moyen de multiplier ses opérations en vendant nos grains indigènes pour les remplacer par des grains de provenance étrangère, ce qui doit augmenter singulièrement ses bénéfices. Mais je doute fort que ce régime lui donnerait le moyen de nous procurer les subsistances de première nécessité à meilleur marché. Pour cela, il faudrait qu'il disposât de capitaux et de ressources plus considérables que l'Angleterre, qui, comme je l'ai établi, a payé, en 1856, ses grains à des prix aussi élevés que la Belgique.
Mais, nous dit-on « sous le régime de la prohibition le commerçant, au lieu d'exposer ses capitaux dans des entreprises lointaines, achète les céréales de seconde main, et doit en conséquence tenir compte au négociant étranger des frais de transport plus élevés et du bénéfice que ce dernier doit réaliser. »
Est-ce bien de seconde main que nous avons acheté nos céréales à l'étranger ?
Non, messieurs, les grandes quantités importées en 1856 dans notre pays nous ont été envoyées par la Hollande et par le Zollverein.
Nous tenons bien ces céréales de première main, c'est l'honorable M. Osy qui nous l'a assuré l'année dernière en termes positifs ; si nous nous sommes adressés de préférence à ces contrées, c'est que nous y avons trouvé de l'avantage.
Si la prohibition est sans grande influence sur le prix des grains dans notre pays, pourquoi, dira-t-on, la préférez-vous à la libre exportation ? C'est d'abord parce que je suis convaincu que c'est le vœu du plus grand nombre, et que le plus grand nombre pourrait bien avoir raison. C'est ensuite parce que je crois que le moment n'est pas opportun pour changer de régime, que la libre sortie pourrait occasionner une hausse momentanée et en quelque sorte factice dans les prix qui serait tout au détriment des populations qui habitent les frontières françaises ; c'est en outre parce qu'il semble prudent de temporiser jusqu'à ce que nous ayons des assurances sur le rendement de la récolte prochaine et qu'alors la transition, s'il y a lieu de modifier le régime en vigueur, sera moins brusque ; c'est enfin parce qu'il est bon d'expérimenter sur une année favorable les effets du système prohibitif appliqué aux céréales. Jusqu'à présent nous n'avons pu en juger que par les résultats qu'il a produits durant des années mauvaises.
Pour les motifs que je viens de développer, je ne puis me rallier au projet du gouvernement, et je voterai avec plaisir un amendement dont le but serait de prolonger encore les mesures adoptées par la loi que nous avons portée l'année dernière.
M. Vermeire. - Messieurs, le gouvernement, en présentant le projet de loi, poursuit un double but : celui d'alléger les privations supportées si courageusement par nos populations ; et de rendre au trésor le revenu annuel de fr., 3,000,000 dont les lois sur les céréales ont privé le trésor.
Je ne sais si le but que poursuit le gouvernement sera atteint. Je ne le pense pas ; je doute que le sort malheureux des ouvriers puisse être allégé en présence des droits nouveaux qui doivent faire augmenter le prix des céréales étrangères Il y a là une contradiction que, malgré la meilleure volonté dont je suis animé, je ne puis m'expliquer.
Le projet de loi est encore fondé sur les considérations suivantes : « Que les motifs qui, naguère, paraissaient justifier la prohibition, ont disparu, que les récoltes sont abondantes, les prix notablement réduits, les difficultés de tous genres, accumulées à l'entrée de l'hiver, atténuées ou aplanies ; qu'il convient de mettre un terme à un régime exceptionnel et temporaire, lequel, s'il n'était imposé par des circonstances impérieuses, blesserait à la fois les règles de la justice et de l'économie.
Messieurs, avant d'examiner ces motifs que, pour ma part, je n'accepte pas, il ne sera pas inutile de jeter un coup d'œil rétrospectif sur les diverses phases par lesquelles cette question a passé depuis ces derniers temps.
Lorsque, en 1850, cette question a fait l'objet de solennels débats dans cette Chambre, je crois que M. le ministre des finances était d'un avis contraire à celui de M. le ministre de l'intérieur, que l'honorable ministre des finances était de ceux qui croyaient que « tout droit imposé à l'importation empêche l'avilissement des prix à l'intérieur, que c'est là une chose qui ne peut être sérieusement contestée. »
La question, à cette époque, fut posée, par M. le ministre de l'intérieur, dans les termes suivants :
« Convient-il, au point de vue de l'intérêt général de la Belgique, d'avoir un commerce de céréales ? »
Les uns disaient non, les autres répondaient oui : je crois que M. le ministre des finances comptait parmi les premiers et que M. le ministre de l'intérieur se rangeait du côté des derniers.
Il existait, à cette époque, sur la question des céréales, une divergence d'opinions très prononcée entre les deux honorables ministres.
Et si je me rends un compte exact de ce qui se passe, en cette circonstance, je crois que l'opinion de M. le ministre des finances a prévalu en dernier lieu. Je crois même que les besoins du trésor, invoqués pour la cause, ne sont pas le seul mobile qui a guidé M. le ministre des finances ; car, si on tient compte de son aveu de 1850, que tout droit, quelque minime qu'il soit, empêche l'avilissement des prix, le projet de loi dont nous nous occupons aujourd'hui ne serait que le premier pas vers un passé dont, pour ma part, je regretterais le retour, c'est-à-dire vers le rétablissement d'une soi-disante protection pour l'agriculture.
La loi actuelle sur les céréales a infirmé l'opinion de ceux qui croient que, pour assurer l'approvisionnement du pays en temps de disette, les céréales doivent entrer et sortir librement.
En effet, nonobstant la mesure de la prohibition, la Belgique a toujours trouvé à couvrir son déficit par les importations de l'étranger.
Ainsi, pour le froment, nos importations qui, de 1850 à 1851, n'étaient que de 44,400,000 kilog. en moyenne, se sont élevées, en 1855, malgré la prohibition, à 94,700,000 kilog. ; pour les onze mois écoulés de cette année 93,700,000 kilog. Nos importations se règlent donc exactement sur nos besoins et ne sont point le résultat du régime économique sous lequel nous vivons.
L'honorable rapporteur de la section centrale attribue les quantités importées aux prix plus ou moins élevés des céréales ; mais, comme le prix s'élève ou s'abaisse d'après la rareté ou l'abondance de la marchandise, notre argumentation arrive à cette conclusion : que les importations se règlent sur les besoins réels constatés. Si, dans ces derniers mois, l'importation n'a pas été aussi forte, cela provient uniquement de ce que la récolte étant plus abondante que l'année dernière, les importations ont dû s'en ressentir dans la même proportion.
Quant au prix, je ne pense pas qu'on puisse en arguer comme d'un fait positif, attendu que la comparaison de la section centrale est établie, abstraction faite des qualités. Ainsi, je remarque dans les avis que je tiens en mains, que le 8 décembre, le froment de Louvain (et ce doit être du froment suranné, car depuis deux ans, nous n'en avons plus envoyé) se cote à Londres à 70 schellings le quarter ou 30 francs 75 cent., que les froments de Königsberg cl de Dantzig, dont les qualités, certes, ne sont pas supérieures aux nôtres, s'y vendent jusqu'à 76 schellings, soit 35 fr. 40 c. l'hectolitre.
Ces documents, que je tiens à la disposition de la Chambre, prouvent comme je l'ai déjà dit, que le tableau inséré dans le rapport de la section centrale, duquel on tire cette conséquence que les prix, en Belgique, sont plus élevés que dans les pays où existe la liberté, n'est pas exacte, et que, quand on attribue cette surélévation de prix à notre régime économique, on tombe encore dans une erreur d'autant plus grande que l'argument manque davantage d'exactitude.
Que signifient maintenant les prix tels qu'ils sont produits par le Moniteur ? Tout le monde connaît la défectuosité du moyen par lequel ils sont établis. Mais, fussent-ils exacts, ils prouveraient une seule chose à savoir : qu'en Belgique l'écart entre les prix de certains marchés est de 25 p. c. pour des qualités dont le poids spécifique est le même. Ainsi d'après le tableau qui figure au Moniteur du 11 de ce mois, nous remarquons que 140 hectolitres de froment vendus au marché de Renaix ont été réalisés à 22 fr. 50 c. et que 475 hectolitres exposés au marché de Saint-Nicolas ont été vendus à 27 fr. 80 c.
En présence de ces faits incontestables, je me demande ce que valent les argumentations du gouvernement et de la section centrale lorsqu'ils affirment que la loi actuelle a donné un résultat diamétralement opposé au but que l'on a voulu atteindre !
Mais, si la liberté commerciale doit donner le bon marché pour les denrées qui y sont soumises, pourquoi n'avons-nous pas aujourd'hui, à bas prix, les œufs, le beurre, la volaille, les lapins et toutes ces denrées accessoires qui peuvent s'exporter librement ? Si je produis cet argument, ce n'est pas, messieurs, que je veuille soumettre ces denrées à un autre régime.
Cette pensée n'est pas la mienne, car, dans ma manière de voir, des mesures aussi graves ne peuvent se justifier que par la nécessité la plus urgente, dûment constatée.
Et je ne pense pas que, pour des denrées autres que celles qui forment la base de l'alimentation publique, une mesure exceptionnelle du genre de celles qui sont produites, puisse être appliquée à des denrées qui ne sont que des accessoires.
Quand nous examinons le résultat de l'enquête administrative faite par le gouvernement, nous y remarquons que les avis y ont été partages, ce qui prouve la difficulté de résoudre le problème. Ainsi, pour la province d'Anvers, la chambre de commerce demande un droit d'entrée de 50 c. pour le froment, tandis que la commission provinciale d'agriculture propose un droit de sortie de 8 à 10 p. c. ad valorem. La commission d'agriculture du Brabant demande une loi définitive qui décrète un droit d'entrée de 25 c. les 100 kilog.
La chambre de commerce de Bruxelles, au contraire, demande, comme mesure temporaire, la libre entrée et la libre sortie des grains. A Gand, les avis sont partagés ; presque partout la même divergence d'opinions se produit. Que conclure de ce fait, sinon que le régime actuel n'a pas été aussi désastreux qu'on veut bien le faire croire ; et qu'il a eu cela de bon, qu'il a assuré l'alimentation publique par de nombreuses importations, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, et que, (page 322) de l'aveu même du gouvernement, la paix et le bon ordre n'ont pas été troublés malgré les souffrances des populations ?
N'y eût-il eu que ce dernier résultat, la raison de ne trouver dans la prohibition qu'un préjugé qu'il faut détruire, pourrait bien constituer un autre préjugé bien plus dangereux, celui de trouver le bon marché dans la liberté pleine et entière du commerce des céréales.
Je sais bien que l'on me demandera comment je puis concilier la, thèse que je soutiens sur cette matière avec les idées libérales que je mets souvent en avant dans les questions industrielles. Ma réponse à cette objection est très facile : Je trouve une amélioration sensible pour le producteur, lorsqu'il peut opérer sur une vaste échelle ; et, d'après moi, il n'existe pas la moindre analogie entre l'industrie ordinaire et l'industrie agricole. Cette distinction a été faite, autrefois, par M. le ministre de l'intérieur dans un remarquable discours qu'il a prononcé, dans cette Chambre, au mois de février 1850.
A cette époque, plusieurs honorables membres de cette Chambre demandaient un droit d'entrée sur les céréales étrangères, à titre de protection. Voici ce que disait, à cet égard, mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur :
« Liberté pour tous ou protection pour tous ; l'industrie agricole a droit à une protection tout aussi bien que l'industrie manufacturière.
« Sophisme, disait l’honorable M. Dedecker, qui n'a que trop défrayé et qui ne défraye que trop toutes les discussions.
« Il y a, à côté de la production des céréales, d'autres productions qui sont encore soumises à des droits.
« A l'époque où il y avait le plus de protection pour l'industrie, sous Marie-Thérèse et son gouverneur général Charles de Lorraine, alors que tous les calculs de la prohibition avaient pour but de se réserver l'exploitation du marché intérieur, nous trouvons, à côté d'une législation protectrice de l'industrie manufacturière, un régime libéral pour les denrées alimentaires.
« Sous bien des rapports la production des céréales est différente des productions industrielles. M. le ministre de l'intérieur ajoutait encore que cette production n'est pas, nécessairement, en rapport avec la somme des capitaux et des travaux qui y ont été consacrés. La production des céréales a un caractère avant tout providentiel ; le travail humain n'entre pas comme un élément rigoureusement appréciable dans les calculs de cette production, car pour obtenir une quantité plus grande de produits, il ne faut pas nécessairement plus de travail que pour en obtenir une quantité moindre.
« Le contraire a lieu pour les productions ordinaires : là, on peut calculer ce qu'il faut et de main-d'œuvre et de matière première pour obtenir telle ou telle quantité de produits ; pour fabriquer deux pièces de toiles ou de drap, il faut le double de matière et de travail qu'il n'en faut pour fabriquer une pièce. Un hectare de terre, selon qu'il y a abondance ou non, vous donne tantôt 16, tantôt 20, tantôt même 25 hectolitres par hectare.
« Pour les céréales, il n'y a donc pas de proportion certaine entre le travail et le produit obtenu.
« Mais, dit l'exposé des motifs, nos prix sont notablement abaissés ; la récolte est abondante ; la guerre a cessé avec ses charges et ses complications. Oui, cela est vrai dans une certaine mesure : si les prix, comparativement à ceux des années de cherté excessive, ont diminué, ils dépassent encore ceux d'une année ordinaire de plus de 30 p. c. Si la Providence nous a accordé une récolte abondante, d'autres pays et surtout ceux d’où nous devons tirer nos approvisionnements ont eu des moissons médiocres ou mauvaises ; tels sont, d'après l'exposé des motifs même « le midi de l’Europe, et cette partie de la Russie qui approvisionne les ports de la mer Noire et de la mer d'Axof. Dans le nord de l'Angleterre, en Ecosse, dans quelques contrées de l'Allemagne, les moissons rentrées humides, paraissent devoir laisser à désirer ; l'Amérique elle-même ne pourra, probablement, pas fournir à l'Europe des ressources aussi considérables que l'année dernière. »
Ainsi, d'après les renseignements fournis par le gouvernement lui-même, il sera plus difficile d'importer des grains, puisque les principaux pays que l'on est convenu d'appeler les greniers d'abondance de l'Europe, trouveront, par les causes indiquées plus haut, de grandes difficultés à déverser leur trop-plein sur nos marchés.
Je conclus donc de ce qui précède, que la loi actuelle a atteint son but ; qu'elle n'a pas empêché l'approvisionnement du pays ; que les prix des céréales, ainsi que je l'ai prouvé contradictoirement aux assertions du rapport de la section centrale, n'ont pas été plus élevés ; qu'en d'autres pays les prix ne sont pas encore descendus à leur taux ordinaire ; et enfin, qu'il serait dangereux et impolitique, inopportun surtout, de changer de régime dans le moment actuel.
Je me réserve de proposer, par forme d'amendement, la prorogation du régime actuel jusqu'au 31 décembre 1857.
Le deuxième motif de la présente loi est qu'il faut restituer au trésor un revenu annuel de plus de 3,000,000 de francs dont, d'après le gouvernement, rien ne justifie le sacrifice complet et permanent.
Eh ! messieurs, ici, je le dis en toute sincérité, avec beaucoup de franchise et d'énergie : aussi longtemps que les prix des subsistances ne seront pas en rapport avec les salaires des ouvriers et des artisans ; aussi longtemps qu'il y aura moyen de trouver d'autres impôts que ceux dont on veut frapper les objets de première et d'indispensable nécessité ; aussi longtemps qu'il restera une seule ressource pour assouvir la faim du trésor affamé ; aussi longtemps que toutes ces voies ne feront pas défaut, je m'opposerai avec la plus grande énergie au rétablissement de cet impôt odieux.
Eh quoi, lorsque vos recettes excèdent vos évaluations de près de 7,200,000 fr. ; lorsque les recettes probables de 1856 seront de plus de 140,000,000 sans compter les ressources extraordinaires et les fonds spéciaux, qui, réunis au premier chiffre, le font monter à 150,000,000 ; lorsque, d'après la situation générale du trésor, les dépenses ne s'élèveront qu'à 142,500,000 fr. ; le gouvernement invoque, pour le rétablissement de ce droit, les besoins du trésor, qui sont très contestables ! Je dois l'avouer, de pareils motifs me touchent fort peu, et je ne puis y accéder. J'ai dit.
M. Anspach. - Messieurs, je vois avec plaisir que ce projet de loi consacre la libre sortie des denrées alimentaires ; la prohibition, votée l'année passée, a produit les résultats que nous avions prévus, c'est-à-dire que les prix des grains ont été plus élevés chez nous que dans les pays où la libre sortie était établie ; ces résultats étaient forcés. Il faut savoir résister à des mesures qu'on prend seulement pour satisfaire des préjugés, alors même qu'ils sont très populaires. C'est encore à un préjugé que la loi cède aujourd'hui en prohibant la sortie des pommes de terre. Heureusement cela n'a pas les mêmes inconvénients que pour les grains, parce que l'on ne peut pas spéculer sur cette denrée ; elle est lourde, encombrante, de peu de valeur et ne se conserve qu'une saison ; la prohibition n'aura aucun effet sur les prix, cela gênera peut-être les cultivateurs dans certaines localités, mais voilà tout ; seulement cela sera contraire aux principes et cela fera tache dans la loi, si toutefois la Chambre l'adopte.
Je ne pourrai pas me rallier à la section centrale touchant les droits à mettre sur les objets compris dans l'article premier ; je veux que grains, farines, moutures, viandes, bétail de toute espèce soient libres à l'entrée ; seulement, je veux un droit de balance qui serve à constater le nombre et la nature des objets qui entrent dans le pays, afin d'en établir la statistique.
Je me croîs obligé,messieurs, de me refuser à imposer d'une manière quelconque ce qui sert à l'alimentation de la généralité des habitants d'un pays, parce que le plus grand nombre de ces habitants, étant dans un état de fortune peu aisée, supportent, à cause de leur manière de se nourrir, la plus grande part de l'impôt, ce qui n'est, certes, pas notre intention.
On s'autorise, messieurs, pour établir ces droits, de ce qui se passe en Angleterre ; nous avons pris d'elle beaucoup de bonnes choses, j'en conviens volontiers, mais sachons aussi à notre tour lui servir d'exemple, lorsque l'occasion s'en présente, alors surtout que cela peut offrir des avantages au commerce étranger, attiré déjà par la position admirable de notre beau port d'Anvers.
La section centrale repousse l'article 3 et demande que la loi soit définitive ; je pense qu'elle a raison. Le commerce a besoin, comme on l'a dit, de sécurité et de stabilité, et comme nous serons toujours obligés de faire venir des grains étrangers, quelles que soient nos récoltes abondantes ou médiocres, il nous importe que le commerce qui doit suppléer à ce qui nous manque, soit complètement sans arrière-pensée sur le sort de ses opérations, quel que soit le temps nécessaire pour les terminer.
Je voterai donc contre les droits d'entrée sur les objets compris dans l’article premier, pour la libre sortie desdits objets, contre la prohibition à la sortie des pommes de terre et pour que la loi soit définitive.
M. le président. - Deux amendements ont été déposés sur le bureau.
Le premier est ainsi conçu :
« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de déclarer libres à l'entrée et à la sortie les denrées alimentaires comprises dans le projet de loi.
« (Signé) Frère-Orban. »
Le second est ainsi conçu :
« Les soussignés ont l'honneur de proposer l'amendement suivant au projet de loi relatif aux denrées alimentaires :
« La loi du 30 décembre 1855 sur les denrées alimentaires continuera à avoir force obligatoire jusqu'au 31 décembre 1857.
» (Signé) Dumortier, Landeloos, F. de Mérode, de Ruddere, Rodenbach, Van Renynghe, Vanden Branden de Reeth, de Man d’Attenrode, de Portemont, de Wouters, Desmet, Tack, Le Bailly de Tilleghem. »
- Ces amendements seront imprimés et distribués.
La séance est levée à quatre heures et demie.