(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Delehaye)
(page 305) M. Tack procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Crombez lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Tack présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Un grand nombre d'habitants de Louvain prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur les denrées alimentaires, de prohiber de nouveau l'exportation des grains, farines, pommes de terre, ainsi que la sortie des œufs, du beurre et du bétail, et de soumettre à un faible droit de balance à l'entrée toutes les denrées alimentaires. »
M. Landeloos. - Ces pétitions, qui sont revêtues de plus de mille signatures, émanant de personnes appartenant à toutes les classes de la société, contiennent plusieurs considérations de nature a faire repousser le projet de loi sur les denrées alimentaires et à faire maintenir le régime actuel. Afin que tous les membres puissent en prendre communication, j'ai l'honneur de proposer le dépôt de ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du projet.
- Cette proposition est adoptée.
« Un grand nombre de propriétaires, industriels, négociants, employés, artisans et ouvriers à Malices prient la Chambre de maintenir la prohibition des grains et farines à la sortie. »
- Même disposition.
« Par six pétitions, un grand nombre d'habitants de Louvain demandent le maintien de la législation actuelle sur les denrées alimentaires.»
- Même disposition.
« Des meuniers, dans l'arrondissement de Mons, présentent des observations sur les propositions de la section centrale relatives au droit à l'entrée des froments et des farines. »
- Même disposition.
« Par vingt-trois pétitions, un grand nombre d'habitants de Bruxelles demandent le maintien de la législation actuelle sur les denrées alimentaires. »
« Mêmes demandes de plusieurs habitants de Mal, Enghien, Alost, Heule et du conseil communal de Lokeren ».
« Par deux pétitions, plusieurs habitants d'Ixelles font la même demande. »
« Même demande de plusieurs habitants d'Ath, signataires de deux pétitions. »
- Même disposition.
« Le conseil communal de Nieuport présente des observations contre le projet de loi sur les denrées alimentaires et demandent un droit de sortie sur le beurre, les œufs et le lard. »
- Même disposition.
« Un grand nombre d'habitants de Louvain demandent le maintien de la législation actuelle sur les denrées alimentaires, au moins jusqu'à la rentrée de la récolte prochaine. »
- Même disposition.
« Le sieur Jean-Joseph Hurbain, brasseur à Boussu, né à Fresnes (France), demande la naturalisation ordinaire si la qualité de Belge ne lui est pas acquise. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Plusieurs meuniers dans les provinces de Brabant et de Hainaut demandent de pouvoir continuer à faire usage de balances romaines ou à bascule. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Gand demandent qu'on admette l'or français dans les caisses publiques de l'Etat. »
- Même renvoi.
« Le sieur Dubois, lieutenant pensionné, décoré de la croix de Fer, demande la révision de sa pension. »
- Même renvoi.
« Des négociants, industriels et particuliers à Deynze et dans les communes avoisinantes demandent la construction des bâtiments de la station de Deynze. »
M. T'Kint de Naeyer. - Je proposerai le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Druine demande qu'il soit pris des mesures pour que les fabriques de briquettes à brûler n'occasionnent aucun dommage aux produits agricoles. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Labiniau, ancien officier de volontaires et combattant de septembre, demande une récompense nationale. »
- Même renvoi.
« Des détenus pour dettes demandent la révision des lois sur la contrainte par corps en matière commerciale. »
- Même renvoi.
« La chambre de commerce et des fabriques à Courtrai demande que la monnaie d'or française soit admise, pour sa valeur nominale, dans les caisses du gouvernement. »
M. de Haerne. - Messieurs, les pétitionnaires signalent à un point de vue pratique les grands inconvénients qui résultent de la démonétisation de l'or, à raison surtout des nombreuses transactions qui ont lieu sur la place en huiles et graines oléagineuses, avec la France et dont les payements se font nécessairement en or, monnaie qu'on n'accepte pas dans nos campagnes, à cause de la dépréciation qu'elle a subie.
Les pétitionnaires font voir aussi la gêne que cet état de choses fait naître dans le commerce des toiles, des articles de Roubaix, des dentelles, etc. Ces affaires avec les divers pays étrangers se règlent généralement par traites sur Paris, qui se payent en or. Il y a une perte générale de 1 à 1 1/4 p. c.
La chambre de commerce de Courtrai demande que l'or soit reçu dans les caisses de l'Etat au taux nominal.
Je propose le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Les membres de l'administration communale de Cappellen soumettent à la Chambre un exposé des motifs se rattachant à la réclamation relative au remplacement du sous-instituteurs de cette commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des meuniers dans les cantons de Wervicq et de Messines demandent de pouvoir continuer à faire usage de balances romaines. »
- Même renvoi.
Par dépêche du 15 décembre, M. le ministre des finances transmet les listes de répartitions du subside de 800,000 francs alloué par la loi du 31 décembre 1855, en faveur des employés inférieurs de l'Etat et des ouvriers journaliers salariés par le gouvernement.
- Dépôt au bureau des renseignements.
MM. de la Coste, de Liedekerke, Thibaut et Loos demandent un congé.
- Accordé.
« Enregistrement (principal et 30 cent. additionnels) : fr. 12,800,000. »
- Adopté.
« Greffe (principal et 30 cent. additionnels) : fr. 275,000. »
- Adopté.
« Hypothèques (principal et 26 cent. additionnels) : fr. 2,200,000. »
- Adopté.
« Successions (principal et 30 cent. additionnels) : fr. 8,500,000. »
- Adopté.
« Droit de mutation en ligne directe (principal et 30 c. additionnels) : fr. 1,600,000. »
- Adopté.
« Droit dû par les époux survivants (principal et 30 c. additionnels) : fr. 125,000. »
- Adopté.
« Timbre : fr. 3,250,000. »
- Adopté.
« Naturalisations : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Amendes en matière d'impôts : fr. 150,000. »
- Adopté.
« Amendes de condamnation en matières diverses : fr. 130,000. »
- Adopté.
La Chambre passe aux Péages.
M. Brixhe. - Messieurs, dans la discussion générale l'honorable M. Moncheur a appelé l'attention de la Chambre sur la nécessité de régulariser le régime des péages sur les canaux et rivières navigables.
A diverses reprises j'ai traité devant vous ce sujet important, et si cette fois je n'ai pas demandé la parole dans la discussion générale, c'est qu'un débat sur les péages, à propos du budget des voies et moyens, me semblait prématurée et devoir incessamment trouver mieux sa place.
En effet, depuis les dernières observations que j'ai eu l'honneur de vous soumettre, messieurs, la Chambre a été saisie d'une proposition concernant les péages du canal de Charleroi à Bruxelles. Or, lorsque cette affaire sera à l'ordre du jour, nous aurons naturellement l'occasion (page 306) tout opportune de nous expliquer sur la réforme générale des péages et nous essayerons alors de démontrer que, sans atténuer les ressources du trésor, il est possible de faire une chose juste et partant nécessaire en donnant enfin une assiette équitable à la perception des péages.
Messieurs, percevoir les péages à raison des distances parcourues semble justice, et nous prêterions sans doute volontiers les mains à l'adoption de cette base, cependant à la condition expresse que l'on consentît simultanément à régler d'une manière raisonnable les conditions de la navigation sur toutes nos eaux intérieures à la fois, comme on l'a déjà fait en France pour plusieurs vastes régions territoriales.
Après tout, on a le droit de dire des services que rend le gouvernement, comme de tous les autres services que l’industrie particulière rend aussi au public : tant vaut la chose, tant en vaut le loyer.
Les voies de communication sont des instruments de bien-être qu'on ne peut livrer gratuitement aux uns, alors qu'on ne les prête aux autres qu'au prix d'une triple rançon dont notre industrie manufacturière fait d'ailleurs à peu près tous les frais.
Et puis, est-ce à dire que nous aurons tout fait pour l'intérêt général lorsque nous serons parvenus, à la suite d'une savante discussion, à abaisser les barrières devant les produits de l'étranger, si nous négligeons de supprimer enfin les obstacles que la routine élève encore, à l'intérieur entre les produits des provinces minérales et les consommateurs du Brabant, d'Anvers et des Flandres, dont les représentants doivent particulièrement, ce me semble, nous prêter appui dans cette question.
Les voies de communication sont aussi des instruments de gouvernement ne fût-ce qu'au point de vue des ressources du trésor. Nous le comprenons bien ; aussi ne suivrons-nous point ces économistes français qui vont jusqu'à réclamer la suppression des péages sur tous leurs canaux.
Nous maintenons, nous, le revenu porté an budget des voies et moyens. Ce que nous voulons c’est que nos voies navigables soient taxées non point arbitrairement, sans règle, sans égard aux intérêts de ceux qui produisent et de ceux qui consomment, mais bien suivant un système basé sur les services rendus, système sur lequel il serait oiseux d'ouvrir aujourd'hui une discussion qui bientôt aura son jour spécial.
Maintenant je fais donc toutes mes réserves et je me borne à prier M. le ministre des travaux publics de vouloir bien réunir soigneusement toutes les données propres à éclairer nos prochains débats et notamment les différents tarifs de péages et droits quelconques sur nos canaux et rivières navigables.
.Je ferai remarquer à M. le ministre que, de son côté, la quatrième section a déjà réclamé la même communication.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, comme l'a dit l'honorable préopinant, il serait inopportun d'ouvrir en ce moment un débat sur une répartition plus juste des péages des canaux.
L'honorable membre part de ce principe qu'il y a lieu à révision générale, comme on l'a fait en France, dit-il ; que cette révision doit maintenir le total du chiffre porté au budget des voies et moyens ; mais ce que désire l'honorable membre, c'est une répartition plus normale.
A cet égard, je le prierai de remarquer que ses renseignements sont inexacts, s'il pense qu'en France on a aboli la base des péages qui existaient sur les voies navigables et qu'on a créé un système applicable à tous les départements. Il n'en est rien. Dans certains départements, on est arrivé à une base uniforme de tarification ; mais on est loin d'être arrivé à une parité uniforme pour tous les départements.
M. Brixhe. - J'ai parlé de régions.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Je doute que dans cette limite même, ou soit déjà arrivé à une tarification commune.
Je prierai l'honorable membre de remarquer encore qu'en demandant l’abaissement du péage sur certaines voies navigables, et en laissant intact le produit total des canaux et rivières, il est amené à surtaxer d'une manière assez exagérée les parties du pays qui, par des circonstances que je n'apprécie pas en ce moment, ont jusqu'à présent jouit du transport à prix avantageux. Je doute que la réforme proposée à ce point de vue ait quelque chance d'être adoptée par la Chambre.
Du reste, je le répète, messieurs, il n'y a pas lieu d'entamer la question aujourd’hui ; une section centrale en est saisie ; les renseignements qu'elle a réclamés lui seront fournis, et la Chambre pourra, à bref délai, s'en occuper utilement,
Je saisis cette occasion pour répondre quelques mots aux honorables MM. Moncheur et Lelièvre, qui ont appelé l'attention du gouvernement sur une mauvaise répartition de l'impôt des barrières. Scion eux, la loi organique des barrières serait violée, et le gouvernement aurait fixe l'emplacement des poteaux à des distances telles, que la prescription légale de 5,000 mètres ne serait pas exécutée. Je prie les honorables membres de vouloir bien signaler au gouvernement les cas auxquels leur observations s'appliquent ; car, à ma connaissance, il n'existe pas un seul point où la loi sur les barrières ait été violée ; et s'il m'en était signalé, il est clair qu'immédiatement un remède y serait apporté.
Le placement des barrières sur les grandes routes a été fixé il y a longtemps ; depuis de longues années, on se borne à modifier le placement d'un très petit nombre de barrières, pour faire droit à des réclamations qui paraissent fondées.
Quant au reste, pour aller au-devant des objections faites par les honorables membres, j'ai prescrit aux ingénieurs en chef de toutes les provinces, d'envoyer à l'administration centrale un relevé exact de chaque emplacement de toutes les barrières, de la distance qui les sépare les unes des autres ainsi que de la distance qui les sépare du centre des villes, de manière que, pour la prochaine adjudication, l'administration soit en mesure d'examiner attentivement les faits signalés par les honorables membres et de remédier aux abus qui seraient reconnus exister.
Je ne pense pas que ces abus puissent être nombreux, car jusqu'à présent on a apporté le plus grand soin à fixer l'emplacement des barrières et si des barrières sont rapprochées de plus de 2,500 mètres du centre des villes le public n'en pâtit pas, car la quotité du droit est réduite de la distance qui sépare cette barrière du poteau suivant.
Quant au fait signalé par l'honorable M. Moncheur sur la route d'Andenne, je crois qu'il invoque un principe qui n'est pas incontestable.
En effet il pense que la prescription de l'ancienne loi qui défend de moitié le premier poteau à moins de 2,500 mètres du centre de la ville est encore en vigueur. Je ne le pense pas, car la nouvelle loi est une loi de principe, une loi générale, qui abroge les anciennes et ne reproduit pus la disposition à laquelle on a fait allusion.
Ce serait d'ailleurs nue disposition difficile à exécuter, car il faudrait que tous les centres des villes fussent situés au multiple exact de 5 mille mènes pour pouvoir distancer les barrières de 5 mille mètres et les placer à 2,500 mètres du centre de toutes les villes.
D'ailleurs, je le répète, un tableau soigneusement élaboré sera dressé pour la prochaine adjudication et il sera possible de remédier aux abus qu'on reconnaîtra exister.
M. Julliot. - Messieurs, vous aurez remarqué comme moi que tous les discours que vous entendez débiter à l'occasion des péages des canaux ont tous le même but en vue.
C'est d'obtenir la navigation à prix réduit et, au besoin, gratuite si possible. Ces aspirations seraient peut-être dignes d'un bon accueil si l'intérêt de ceux qui se servent des canaux étaient seuls en question, mais il n'en est pas ainsi et vous allez le voir.
Qu'est-ce qu'un péage sur un canal ? Est-ce un impôt ? Evidemment non, car dans ce cas on pourrait dire que cet impôt serait une valeur active au lieu d'une valeur passive, car avoir un canal à son usage donc on est libre de se servir oui ou non au prix de location que l’Etat demande est un avantage considérable. Ce n'est donc pas un impôt.
Le péage est-il simplement la rétribution d'un service rendu par l’Etat, et le gouvernement doit-il se faire restituer le prix que lui coûte à lui, gouvernement, ce service ? Ceci se rapproche un peu plus de la vérité ; mais, selon moi, ce n'est pas la vérité tout entière.
On ne niera pas, j'espère, qu'un canal, un hôtel, une forêt de l'Etat, constituent le domaine public, que ces immeubles sont la propriété de tous.
Or, le gouvernement peut-il louer cette propriété de tous à des prix de fantaisie ? Qu'on m'explique comment nous pouvons louer les immeubles de la communauté à moitié de leur valeur et demander à l'impôt la moitié qu'on néglige de percevoir.
Je ne le comprends pas, à moins d'admettre qu'on peut aussi vendre les arbres des forêts de l'Etat à la moitié de leur valeur, sauf à faire combler la faveur qu'on aura accordée aux marchands de bois par la généralité des contribuables, car en Belgique le trésor est toujours sec et tout vide doit être comblé par l'impôt. Or, je nie qu'on puisse laisser perdre une partie des revenus du domaine en s'adressant à l'impôt pour payer ces générosités déplacées au point de vue du sentiment du juste et de l'injuste.
On doit par l'abaissement des péages favoriser le commerce et l'industrie, dit-on ; mais qui donc ne voit pas qu'en négligeant de percevoir un million de plus pour la location de l'immeuble canal, pour soulager les capitaux engagés dans la navigation de ce canal, on endosse ce million à d'autres capitaux engagés dans le commerce, l'industrie et l’agriculture qui n'ont de rapport direct ni indirect avec ce canal. Toujours les parties prenantes soutiennent le même système, à savoir qu'il est bon et utile qu'on mette le travail et le capital d'autres à contribution pour parfaire le revenu du capital et du travail qui les touche de près ; ce n'est que cela.
Messieurs, je ne dis pas qu'il faut élever les péages ou qu'il faut les abaisser, mais je soutiens que pour chaque canal il faut rechercher le quantum du péage qui donne le plus de recette, afin que cette matière soit régie en bon père de famille, et si l'Etat se croit incapable d'atteindre à ce principe de justice et d'équité, il doit se défaire de ses canaux et les abandonner à des mains plus habiles.
J'engage le gouvernement à se bien pénétrer du principe qui doit régir la gestion du domaine public avant qu'il vienne nous faire de nouvelles propositions.
J’ai dit.
M. Moncheur. - Messieurs, la question des péages n'est pas précisément à l'ordre zu jour ; mais comme c'est là une des sources du revenu public et l'un des impôts dont le vote nous est demandé, il n'est pas non plus inopportun de la traiter ici.
(page 307) Cependant j'admets que la discussion de cette matière importante se présentera plus utilement encore, dans peu de temps, d'autant plus que nous sommes pressés d'en venir à une discussion d'une loi très importante aussi, qui est à l'ordre du jour, c'est-à-dire de la loi sur les denrées alimentaires. Aussi je serai bref dans la réponse que je ferai aux observations de M. le ministre des travaux publics et de l'honorable M. Julliot.
Je commencerai par les réflexions présentées par ce dernier, L'honorable M. Julliot dit : Les canaux sont une propriété de l'Eta1, et l'Etat, avant de s'adresser à toute autre matière pour prélever un impôt, doit faire produire par ses immeubles tout ce qu'ils peuvent produire.
D'abord je n'admets pas cette proposition de l'honorable membre, parce que je la crois contraire aux principes économiques bien entendus. Je crois que les voies navigables, comme les voies de transport par terre, ne doivent pas être grevées de droits ou de péages qui soient de nature à comprimer le développement de l'industrie nationale.
Il n'est donc pas vrai, selon moi, que l'Etat doive exiger des voies navigables tous les produits qu'elles peuvent matériellement donner. Mais je suppose même ce principe admis ; vient alors l'application nécessaire de mon principe, à moi, à savoir : qu'il faut établir l'égalité dans la fixation des droits à imposer sur tous ces canaux.
Tous, en effet, doivent être placés sur la même ligne comme moyen de production et comme source de revenus.
Vous avez des canaux, et vous voulez leur faire produire tout ce qu'ils peuvent produire. Eh bien, ne soyez donc pas généreux et prodigues même sur tels ou tels canaux et exigeants à l'excès sur tels et tels autres.
Or, en consultant le budget des voies et moyens, je vois que certains canaux sur lesquels il existe un mouvement énorme de l'industrie, je veux parler des canaux de Mons à Condé et de Pommerœul à Antoing, je vois, dis-je, que ces canaux produisent tout simplement, l'un 262,047 francs, et l'autre 231,106 francs. Et ce sont là, je l'ai dit, des canaux magnifiques, à grandes sections, où le batelage se fait dans les conditions les plus avantageuses ; tandis que la Sambre canalisée où le mouvement commercial n'est pas aussi considérable, est imposée à une somme de 742,179 francs, et qu'on demande au canal de Charleroi 1,317,995 francs.
Ainsi, messieurs, en admettant même le principe de l'honorable M. Julliot, il y aurait lieu d'équilibrer les péages, car on ne peut pas avoir deux poids et deux mesures et la justice réclame que l'on fixe les péages d'une manière uniforme, par tonne-kilomètre, et en raison de la grandeur de section des canaux.
M. le ministre des travaux publics a dit qu'en France on n'en était pas encore arrivé à cette péréquation absolue des péages. Je ne sais pas s'il y a ou non égalité absolue dans le système qui régit aujourd'hui la France en fait de péages sur les canaux ; mais ce que je sais, c'est qu'on a cherché à y arriver autant que possible. Je sais qu'on a divisé les canaux de ce pays en plusieurs catégories et qu'on a cherché à établir autant que possible un système juste et équitable. Or, on ne peut certes pas dire que nous en soyons là en Belgique. Nous sommes, au contraire, à cent lieues de là. Jamais on n'a cherché à faire chez nous ce qu'on a fait en France, c'est-à-dire à établir une juste égalité dans les taux des péages ; mais on a cherché autre chose ; on a eu en vue certaine pondération entre les différents centres de production. On a dit à tel bassin : Vous ne pouvez arriver aussi facilement que tel autre bassin sur certains marchés ; eh bien, nous allons dégrever vos canaux. C'est ainsi que, lorsque en 1851 on a fait une loi décrétant de grands travaux publics, on a obtenu encore un dégrèvement de 50 à 60 p. c. sur les canaux voisins de Mons sous prétexte que ce pays n'était pas suffisamment bien partagé.
En ordonnant ce dégrèvement, on s'est placé à un point de vue où l'on ne peut plus se placer aujourd'hui, car, au moyen des chemins de fer, l'équilibre existe suffisamment pour les divers bassins et d'ailleurs chacun doit jouir de la position naturelle où il se trouve.
M. le ministre des travaux publics en me répondant en ce qui concerne l'exécution de la loi sur les barrières, a dit qu'il désirait que je lui indiquasse les points du pays où la loi des barrières ne serait pas observée, quant à la distance de 5,000 mètres qui doit exister entre les lieux de perception. Je répondrai à l'appel de M. le ministre. Ce fait existe notamment sur la route de Bierwart à Ciney. J'ai dit que la distance de 5,000 mètres devait nécessairement être observée, sauf la tolérance, si l'on voulait être fidèle à la loi du 10 mars 1838, et en effet, cette loi porte en termes exprès qu'il ne peut être placé des barrières, si ce n'est à une distance de 5,000 mètres au moins. La défense est donc absolue et n'admet aucune exception ; ce pendant j'ai cité dans une précédente séance un jugement qui constate un cas de plus où cette distance n'existait pas.
Je sais que, dans l'espèce de ce jugement rendu par le tribunal de Termonde, il s'agissait de routes différentes, et que le tribunal de Termonde a fondé son jugement sur ce principe, que les différentes routes, soit de l'Etat, soit faites par concession, n'avaient pas de connexité entre elles et n'étaient pas censées être la prolongation les unes des autres ; mais ce principe est erroné et il est diamétralement opposé au système de la cour de cassation qui, dans un arrêt rendu le 28 juillet 1851, a décidé que « toutes les routes qui se raccordent entre elles sont la continuation les unes des autres. »
Je sais qu'en présence de ce principe, il peut y avoir quelque difficulté à placer les poteaux aux distances légales, mais je crois aussi qu'il serait facile de parer à ces difficultés ; un moyen, entre autres, serait de donner à celui qui aurait passé vis-à-vis d'un poteau et qui aurait payé la taxe un billet de franchise pour le poteau suivant, si ce dernier n'était pas à la distante voulue. C'est là un moyen qui est pratiqué dans plusieurs pays et que j'ai vu notamment en usage dans plusieurs contrées de l'Allemagne.
Quant au placement des poteaux à 2,500 mètres des villes, j'ai dit que je croyais la disposition relative à cet objet encore en vigueur. J'ai, en effet, parcouru toutes les lois depuis les premières qui ont été faites sur l'établissement des barrières jusqu'à la dernière qui nous régit aujourd'hui, celle du 10 mars 1838, et je n'ai pas vu un seul article qui abrogeât le principe susmentionné lequel est déposé dans les arrêtés-lois de 1814 et de 1815. Et quant aux lois que l'on dit organiques ou de principe faites depuis 1830 sur cette matière, je pense qu'on ne peut pas les considérer comme telles, ni comme ayant abrogé toutes les autres lois, parce que le premier article de ces lois soi-disant organiques ou de principe, se borne à dire le droit de barrière est maintenu, et se rapporte ainsi aux lois antérieures, quant à la base de l'impôt.
Il est si vrai que le premier décret du Congrès se rapportait aux lois antérieures quant aux bases de l'impôt, qu'il ne dit pas un mot de la distance qui doit exister entre chaque lieu de perception, se référant par conséquent aux principes antérieurement établis à savoir que des distances successives de 5,000 mètres devaient exister entre chaque poteau, et que le centre des villes devait se trouver au milieu de ces distances.
L'honorable ministre des travaux publics objecte qu'il serait impossible d'exécuter à la lettre cette loi, puisqu'il faudrait toujours que les villes fussent à une distance multiple de cinq. A cette objection j'aurai l'honneur de répondre que lorsqu'il arriverait qu'on ne pourrait établir le poteau de barrière à la distance de 2,500 mètres des villes, on ferait ce qu'on doit toujours faire quand on ne peut pas exécuter, à la lettre, une loi qui fixe un minimum, c'est-à-dire que l'on ferait le sacrifice de la fraction au préjudice du trésor.
Et en effet, la loi vous dit positivement, d'une part, que vous ne pouvez pas établir les poteaux de barrières, si ce n'est à des distances de 5,000 mètres, et, d'autre part, que vous devez rester à une distance de 2,500 mètres du centre des villes ; en outre, le préambule de la loi des barrières déclare que ce droit ne doit pas être établi d'une manière vexatoire, vous ne devez donc pas enfreindre les principes, à l'effet d'enfler autant que possible ces recettes.
En ce qui concerne les grandes villes, on reste fidèle à la règle primitivement établie, et certainement, il y aurait un tollé général, si on l'oubliait ; mais quand il s'agit de petites villes, on n'y fait pas la même attention.
C'est contre cet état de choses que je m'élève, et j'appelle l'attention sérieuse du gouvernement sur la nécessité de le faire cesser.
« Rivières et canaux : fr. 3,100,000.
« Routes appartenant à l'État : fr. 1,720,00.
« Total : fr. 4,820,000. »
- Adopté
M. le président. - La Chambre passe à l'article Postes.
M. Vandenpeereboom. - Messieurs, l'article 10 de la loi du 22 avril 1849, décrétant la réforme postale, s'exprima ainsi :
« Le gouvernement est autorisé à appliquer aux lettres transportées à une distance excédant 50 kilomètres la taxe de 10 centimes par lettre simple, dès que le produit net de la poste aura atteint la somme de deux millions de francs par année. »
Quatre sections ont demandé au gouvernement qu'elle était son intention en ce qui concerne l'exécution de cet article de la loi. Pour bien comprendre la portée de cette disposition législative, il ne sera pas inutile, je pense, de rappeler à la Chambre les circonstances dans lesquelles elle a été introduite dans la loi, les motifs qui l'ont dictée et les discussions qui l'ont précédée.
La Chambre se rappellera que le projet de réforme postale, présenté d'abord par l'honorable M. Frère, en avril 1848, fut, après la dissolution, représenté par l'honorable M. Rolin au mois de novembre de la même année. Ce projet fixait la taxe uniforme des lettres à deux décimes ; lorsqu'il fut produit devant la Chambre, ce projet y rencontra de nombreux adversaires, adversaires qui étaient guidés par des motifs tout à fait opposés ; les uns prétendaient que le gouvernement abaissait trop, les autres, en plus grand nombre, que le gouvernement abaissait trop peu la taxe existante ; ceux-ci réclamaient immédiatement le droit uniforme de 10 centimes. Des discussions fort longues et très savantes eurent lieu, dans cette enceinte et à la suite d'un amendement présenté, si ma mémoire est fidèle, par les honorables MM. Cans, Loos et T'Kint de Naeyer, la Chambre admit, à une assez forte majorité, la taxe uniforme de 10 centimes. Transmise au Sénat, la loi y rencontre une forte opposition. Le rapport de la commission conclut sinon au rejet formel, au moins à l'ajournement à des temps meilleurs.
(page 308) Cependant, les efforts que fit le gouvernement, après que l'article premier eut été rejeté par le Sénat, eurent pour résultat d'amener une transaction.
L'honorable M. Rolin proposa le système de la taxe différentielle qui est aujourd'hui en vigueur et, pour donner une garantie sérieuse à la majorité de la Chambre, on introduisit dans la loi l'article 10, dont je viens de donner lecture.
Il est donc constant, messieurs, que cet article ne donne pas seulement au gouvernement une faculté, mais qu'il lui impose une obligation morale.
Cet article était une transaction, car à toutes les époques, les ministères mêmes qu'on a représentés depuis comme les plus intraitables ont toujours cherché à concilier les différentes opinions et les grands corps de l'Etat.
D'après moi, toute la question se réduit donc à une question de chiffres.
Il s'agit de savoir, oui ou non, si le produit net de la poste s'élève aujourd'hui à deux millions de francs.
A cette question, posée par la section centrale, le gouvernement, répondu ; non, et à l'appui de sa négation, il a dit :
« Les recettes brutes du service des postes se sont élevées en 1855 en chiffres ronds, à 3,679,000 fr., et les dépenses à 1,905,000 fr. Reste : 1,774,000 fr. »
Messieurs, je ne puis, pour ma part, admettre ces chiffres sans examen et sans discussion.
Et, en effet, dans le rapport de la section centrale, quelques lignes plus bas, je trouve des chiffres qui ne sont nullement en rapport avec ceux que le gouvernement a communiqués. Dans un tableau rédigé d'après des documents officiels, les exposés de la situation du trésor, l'honorable rapporteur prouve que le produit brut de la poste a été, en 1855, de 4,313,000 francs au lieu de 3,679,000 francs renseignés par le gouvernement.
Il est à remarquer, messieurs, que les recettes des postes suivent une progression marquée et constante. C'est ainsi que pour 1856, d'après le même rapport, en tenant compte du produit probable des quatre derniers mois ; non fixés encore, on trouve une recette qui peut être évaluée à 4,556,000 francs, soit 243,000 de plus qu'en 1855, et le produit de la taxe des lettres est porté au budget des voies et moyens pour 1857, à 4,700,000 francs.
D'après le budget des travaux publics, exercice 1857, et qui nous a été distribué dernièrement, les frais de perception des postes sont évalués à 1,993,000 fr., soit 2 millions ; la recette ayant été de 4 556,904 francs en 1856, il y a un excédant de 2,556,904 fr., excédant qui ira en croissant en1857.
Je demande au gouvernement si, dans cette situation, il ne pense pas qu'il y ait lieu d'appliquer la disposition contenue dans l'article 10 de la loi du 22 avril 1849.
On contestera peut-être ces chiffres. Je vois, par exemple, que le gouvernement, dans les explications qu'il a fournies, ajoute aux frais réels une somme de 717,000 fr. pour les frais de transport des dépêches tant par les chemins de fer que par les malles entre Ostende et Douvres.
Je n'ai pas les éléments nécessaires pour pouvoir contrôler ce chiffre ; mais je ne puis dissimuler qu’il me paraît extrêmement élevé, surtout lorsqu’on se rappelle que toutes nos compagnies de chemins de fer sont tenues, en vertu de leurs contrats, de transporter gratuitement nos dépêches ; il me semble élevé encore quand je considère la perte que le trésor éprouve par suite de l'organisation des malles entre Douvres et Ostende, perte qui est très loin d'approcher même du chiffre indiqué. Du reste, les frais de construction des voitures-postes qui roulent sur nos chemins de fer sont portés en compte au budget des travaux publics, de manière que je m'explique très difficilement que le gouvernement dépense 717,000 fr. par an pour le transport des dépêches.
Mais s'il en était même ainsi, je ne pense pas que ces chiffres doivent entrer en ligne de compte. En effet :
Le sénat, en admettant la disposition de l'article 10 de la loi de 1849, a eu en vue de ne pas léser les intérêts du trésor ; or, à cette époque, le chiffre de la recette de la poste était connu seulement pour l’exercice 1847 ; la poste produisait alors une recette brute de 3,764,000 fr. et les frais d’exploitation montaient à 1,536,000 francs ; or, il est évident que dans cette dernière somme n’étaient pas compris les frais de transport par les chemins de fer et par les malles ; à cette époque pourtant nos chemins de fer étaient exploités, et le service de la malle entre Ostende et Douvres état organisé.
Eh bien, à cette époque on n’en a pas tenu compte, je ne vois pas pourquoi il faudrait ajouter aujourd’hui aux frais réels de la poste ces frais que je puis appeler en quelque sorte fictifs. Tout ce qu’on a eu en vue en 1849, c’était s’assurer au trésor une recette nette de 2 millions.
Aujourd’hui 4 sections demandent l’exécution de la disposition légale que j’ai citée. Que fait le gouvernement ? Il cherche à prouver qu’il y aura une perte considérable pour le trésor si la loi est exécutée ; dans une note jointe au rapport, cette perte est évaluée à 1,012,873 fr. 30 c.
S'il s'agissait, messieurs, d'un projet de loi ou d'un amendement sur lequel nous fussions appelés à voter, je croirais devoir démontrer que cette estimation est fort exagérée ; mais aujourd'hui que mon intention est seulement de présenter quelques observations au gouvernement, je me réserve de faire cette démonstration dans une autre circonstance.
Je ferai remarquer cependant que les craintes qu'on manifeste aujourd'hui sont exactement les mêmes que celles manifestées en 1849 ; or, l'expérience a démontré l'inanité des appréhensions des adversaires de la réforme, et prouvé que toutes nos prévisions et nos évaluations étaient fondées ; les résultats ont même été au-delà de toutes nos prévisions.
Ainsi, par exemple, l'honorable M. Cools qui, à cette époque, était rapporteur, estimait que même avec une taxe uniforme de 2 décimes, les recettes de la poste n'auraient atteint en 1856, qu'une somme de-3,372,000 fr. Or, nous venons de voir que cette recette, au lieu d'être de 3,372,000 fr., sera bien réellement pour cet exercice de 4,556,904 fr. voilà donc une différence de 1,184,904 fr. en notre faveur.
Ou évaluait aussi à la même époque la perte que l'Etat éprouverait ; les uns la portaient à 900,000 fr. pour la première année ; les autres, à 1,200,000 fr. ; d'autres enfin à 2 millions ; on semblait croire que la réforme aurait pour résultat de supprimer complètement la recette de la poste ; l'expérience a donné un démenti éclatant à toutes ces prévisions exagérées.
Vous connaissez tous la progression presque incroyable qu'a suivie le nombre des lettres transportées.
M. le ministre des travaux publics, dans un document qu'il nous a distribué l'année dernière, nous a fait connaître que depuis 1847 jusqu'en 1855 le nombre des lettres transportées avait triplé et que le nombre des journaux avait quintuplé. Ainsi en 1849, on a transporté par la poste, 6,452,000 lettres et en 1855, 18,143,000 en 1847, il a été distribué par les facteurs 4,200,000 journaux et imprimés, et en 1855 ce chiffre s'est élevé à 19,669,000.
En présence de cet accroissement rapide, je crois que nous ne devons pas craindre une grande diminution de recettes pour le trésor. D’abord, la progression actuelle continuera ; ensuite, nous aurons une progression infiniment plus forte, à raison de la diminution même de la taxe. Il est encore à remarquer que la réforme de 1849 a été seulement partielle, que certaines localités, grands centres de population, n'en ont profité que dans une assez minime proportion ; je citerai comme exemple la ville de Bruxelles qui a des relations si nombreuses avec Anvers et Gand.
Avant la réforme, la dépêche de Bruxelles à Anvers était taxée à 30 centimes ; aujourd'hui à 20 centimes. Si l'on abaissait la taxe de 20 centimes à 10, l'on aurait dans ces grands centres du pays une correspondance beaucoup plus active et il est permis de croira que dans un délai très court le nombre des lettres transportées serait triplé, et, par conséquent que la recette du trésor, loin de diminuer, croîtraient encore.
Messieurs, je ne demande quelquefois si la taxe des lettres est un impôt et je ne puis que répondre, non ce n'est à coup sûr pas un domaine ; qu'est-ce donc ! La rémunération d'un service.
Or l’Etat rendant un service public ne doit pas, surtout quand il l'érigé en monopole, se faire payer à un taux usuraire. Je ne conteste pas qu’il doit faire certains bénéfices sur ce service pour diminuer d'autres impôts..Mais le désir d'augmenter les ressources du trésor doit avoir des bornes. Quand la poste donne un produit net de 2 millions, le gouvernement doit se contenter de cette rémunération. Encore une observation : Quand la première réforme fut proposée on présenta en même temps un projet de loi ayant pour objet de réprimer les fraudes de timbre sur les effets de commerce ; on prit des mesures pour que tous les effets fussent soumis à cette formalité, et c'est comme compensation qu'on proposa la réforme postale.
Le commerce, l'industrie et l'agriculture ont aujourd'hui de nouveaux droits à voir étendre la réforme de 1849.
Nous sommes entrés depuis quelque temps dans une voie assez large de réformes douanières ; diverses industries ont eu à faire de ce chef des sacrifices ; la libre entrée des houilles, la réduction prochaine des droits sur les fers, la libre sortie des matières premières ont occasionné des pertes au moins momentanées à un certain nombre d'industries ; une nouvelle réforme postale serait une compensation légitime et bien justifiée. Je crois superflu d'en dire davantage.
Pour bien comprendre l'utilité de la mesure que je réclame, il suffirait de lire la mémorable discussion de 1849 ; vous trouveriez, messieurs, dans les discours des honorables dateurs dont plusieurs siègent encore parmi nous, de MM. Osy, Manilius, Cans, Loos, T Kint de Naeyer, Rodenbach el Delehaye, les raisons excellentes qu'on alléguait en faveur de la réduction de la taxe postale à 10 centimes ; j'espère dans ma proposition être soutenu par ces honorables membres qui proclamaient bien haut alors que la diminution de la taxe postale serait très avantageuse pour le pays et procurerait au trésor un accroissement de recettes.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - L’honorable M. Vandenpeereboom vient de soutenir devant vous qu'il y a obligation pour le gouvernement de réduire de moitié la taxe des ports de lettres quand le produit net de ce service atteindra deux millions, que cette (page 309) obligation doit recevoir dès maintenant son exécution, attendu que la condition à laquelle elle était subordonnée est remplie.
Je suis d'un avis complètement opposé. D'abord il n'y a pas obligation pour le gouvernement de réduire de moitié le port des lettres quand le produit net aura atteint deux millions, en second lieu cette condition des deux millions de produit net n'est pas encore remplie.
L'honorable membre vient de faire l'historique de la loi de la réforme postale ; il dit que la disposition de l'article 10 dont il vient de donner lecture, a été la conséquence d'une transaction entre la Chambre des représentants qui voulait la réforme et le Sénat qui n'en voulait pas parce qu'il craignait qu'il n'en résultât une grande réduction dans les recettes.
Si c'est une transaction, je pense que cette transaction doit être appliquée dans les termes où elle a été acceptée ; ces termes sont bien simples.
Cet article 10 ne nous impose pas l'obligation, mais nous donne la faculté de réduire la taxe des lettres de moitié quand le produit net aura atteint le chiffre de 2 millions, c'est sur ce pied qu'a été établie la loi de transaction, c'est sur ce pied qu'il faut la maintenir.
L'honorable M. Vandenpeereboom, pour établir que ce chiffre de deux millions est atteint, pense devoir écarter de ses calculs toutes les dépenses indirectes de la poste, il oublie de défalquer même plusieurs dépenses directes. Or, le mot produit net implique la défalcation de toutes les dépenses.
Pour établir que les calculs produits devant la Chambre sont inexacts, l'honorable membre croit voir une contradiction dans les documents fournis par le gouvernement, en ce que le ministre des travaux publics aurait porté le produit brut de la taxe des lettres pour 1855 à 3,600,000 francs, tandis que le rapporteur aurait trouvé pour ce produit, dans les documents à l'appui de la situation du trésor, le chiffre de 4,300,000 fr.
Il y a, en effet, une différence entre ces chiffres, mais elle est facile à expliquer.
Avant de fixer à 3,600,000 fr. le produit des postes, le département des travaux publics a défalqué la somme à payer aux offices étrangers pour le transport des lettres affranchies au-delà de la frontière.
Il est juste qu'on ne compte pas comme bénéfice la partie de l'affranchissement des lettres destinée à payer le transport au-delà des frontières, c'est une recette pour ordre qu'il a fallu défalquer du produit ; l'administration a défalqué encore la somme représentant les timbres vendus et non annulés ; on a payé le prix d'un service qui ne sera rendu que l'année suivante ; c'est donc à l'année subséquente qu'appartient cette recette.
Il serait difficile de discuter devant vous chiffre par chiffre les différents points soulevés par l'honorable membre, pour démontrer que le chiffre net de deux millions est atteint ; je vais démontrer, en opposant d'autres chiffres aux siens, que ce produit net n'est pas encore obtenu, et qu'il sérail impossible au gouvernement d'introduire la réforme qu'on réclame de lui.
Je vais faire le compte de ces dépenses pour 1855.
La recette brute a été en 1855 de 4,330,000 francs, chiffre rond.
La progression annuelle est d'un peu plus de 200,000 francs. Et l'on évalue dans le budget des votes et moyens pour 1857 la recette à 4,700,000 fr.
C'est là la recette brute prévue ; il faut en déduire :
1° Les dépenses du service des postes. Le montant, liquidé par la cour des comptes, de ces dépenses, pour l'exercice clos de 1855 s'élève à 1,723,000 fr.
2° La somme remboursée aux offices étrangers par suite des décomptes ; en 1855, il a été payé de ce chef 151,000 fr.
3° La valeur des timbres postes vendus et non encore annulés. Cette valeur était en total au 31 décembre 1855, de 530,000 fr. Toutefois, en ne portant en compte ici que la différence de valeur des timbres émis nu plus, du 31 décembre 1854 au 31 décembre 1855, on a une somme de 70,000 fr.
4° La différence en plus de la dépense sur la recette du service de paquebots-postes d'Ostende à Douvres. Le dernier compte rendu définitivement arrêté porte cette différence, pour 1854, à 156,000 fr.
5° Le port à prix réduit des paquets de la poste, transportés par le chemin de fer, lequel, en 1855, représente une somme de 216,000 fr.
6° La dépense de traction des bureaux de poste ambulants, 301,100 fr.
Soit ensemble, 2,597,000 fr.
Ces six articles de dépense, non susceptibles de contestation, donnent déjà echiffres arrondis 2,600,000 fr.
Il faut ajouter ce que coûte le maintien de divers convois de chemin de fer, qui ne sont réellement établis qu'en vue du service de la poste, et la dépense de ce chef, on le conçoit, est très considérable.
Il faut ajouter encore la dépense des bureaux mixtes, que supporte le budget du chemin de fer, par suite de la fusion des deux services, et qui, en réalité, doit être comptée comme une dépense de la poste.
Il est à considérer que les dépenses que nous venons de détailler se rapportent à l'année 1855.
Les dépenses seront plus fortes en 1857, par suite du développement continu du service de la poste et de la nécessité reconnue d'augmenter les traitements des agents inférieurs de ce service.
Si, comme il est probable, les Chambres adoptent les propositions qui lui seront faites pour l'amélioration du sort des employés inférieurs, il y aura, de ce seul chef, à porter en compte une augmentation de dépense de 135,000 francs.
Ainsi, si aux 2,600,000 fr., renseignés plus haut, on ajoute :
1° La dépense des convois organisés particulièrement pour la poste ;
2° Les frais des bureaux mixtes ;
3° Les 135,000 francs d'augmentation sur les petits traitements ;
4° L'accroissement normal des dépenses en rapport avec le développement du service en 1857 ;
5° Plus les dépenses des bateaux à vapeur, des convois établis pour la poste, et celles des bureaux mixtes ;
On reconnaîtra que la recette brute, évaluée à 4,700,000 francs, est loin de laisser le produit net de deux millions, déterminé par la loi de 1849.
Mais, d'une autre part, cette recette brute de 4,700,000 n'existerait plus, si on introduisait, dès à présent, la diminution de port à 10 centimes.
Le nombre des lettres simples transportées à plus de 30 kilomètres, en 1855, a été de 7,250,000, qui, à raison de 20 centimes l'une, ont donné une recette de 1,450,100 fr.
On peut compter que les lettres pesantes sont dans la proportion de 8 p. c. relative ruent au nombre des lettres simples, soit une augmentation de 8 p. c, 114,000 fr.
Ensemble, 1,564,000 fr.
La réduction à moitié du port serait donc de 722,000 fr.
Pour que cette perte fût couverte, il faudrait que le nombre des lettres présentées au transport fût porté au double de ce qu'il est aujourd'hui ; un pareil résultat, en une année, est inadmissible ; et i ! est évident qu'il faudra une série d'années, avant que l'augmentation du nombre des lettres compense la perte résultant de l'abaissement du port à moitié.
En supposant même que la réduction du port à 10 centimes ait pour effet, ce qui est contre toute probabilité, d'élever de 50 p.c. le nombre des lettres transportées au-delà du rayon de 30 kilomètres, la perte serait encore de 400,000 fr. environ par année. Or, le gouvernement ne pense pas que, dans ce moment, il faille réduire ainsi les recettes du trésor. Il le croit d'autant moins, qu'il est à la veille de devoir augmenter les dépenses de la poste, et qu’en définitive la condition écrite dans la loi de 1849 n'est pas remplie.
Le gouvernement a encore un autre motif pour différer l'abaissement de la taxe de 20 centimes.
Le poids de la lettre simple est aujourd'hui généralement de 15 grammes. Il est ainsi en Angleterre, dans toute l’Angleterre, en Hollande, dans d'autres pays encore, en Belgique le poids est fixe à 10 grammes.
Il semble naturel que la Belgique se range à la règle commune. Il en résultera une très grande facilité pour le service des bureaux et une économie notable pour le public. Mais, par contre, le produit de la taxe sera, par ce fait, sensiblement atteint ; et il est prudent d'attendre d'abord l'effet de ce dégrèvement indirect, avant de mettre en pratique la réduction de la taxe posée eu principe dans la loi de 1849.
Un autre argument qui détermine le gouvernement à ne pas proposer immédiatement cette réduction, c'est que nous sommes en présence de l'expiration prochaine de conventions postales, pour lesquelles nous aurons à négocier à nouveau ; il serait peut être prudent d'attendre que ces faits se soient réalisés avant de modifier notre législation.
M. Osy. - Je remercie M. le ministre des renseignements qu'il vient de donner à la Chambre, mais vous comprendrez qu'il est impossible que la discussion continue en ce moment sur ces renseignements. Je demanderai à M. le ministre s'il ne trouverait pas convenable de faire imprimer et distribuer ces renseignements comme documents parlementaires ; on ne pourrait utilement établir de discussion sur les chiffres que M. le ministre vient de nous communiquer ; je proposerai de renvoyer cette discussion au budget des travaux publics : car, pour ma part, je ne partage pas l'opinion de M. le ministre des travaux publics que la disposition de l'article 10 de la loi de 1849 constitue une simple faculté dont on puisse ne pas faire usage. Si le revenu net des postes est de 2 millions, le gouvernement est obligé de présenter un projet de loi.
Pour moi, je ne crois pas que nous soyons arrivés à un revenu net de 2 millions. Mais c'est ce que nous pourrons examiner d'après les renseignements qui nous seront donnés.
Je crois donc qu'il serait plus sage de renvoyer la discussion au budget des travaux publics.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Je ne fais aucune (page 310) difficulté de remettre à la Chambre un rapport sur les recettes et les dépenses afférentes au service de la poste aux lettres ; ce travail pourra trouver convenablement sa place dans le rapport que la section centrale devra présenter sous peu sur le budget des travaux publics. Je le lui communiquerai en temps utile.
Ce travail pourra être joint comme annexe au rapport de la section centrale.
M. Vandenpeereboom. - Je voulais présenter une observation dans le sens de celle qu'a faite l'honorable M. Osy. Il est impossible en effet de suivre, à une simple audition, les détails de chiffras dans lesquels est entré l'honorable ministre des travaux publics qui, je dois le reconnaître, était parfaitement préparé à cette discussion.
Je ne m'oppose donc pas à ce que la discussion soit ajournée. Nous pourrons alors décider en connaissance de cause si, en présence de l'abstention du gouvernement, nous ne devons pas user de notre initiative pour faire une proposition formelle.
Je dois cependant faire une observation. Les termes de l'article 10 de la loi de 1849 sont tels, que je ne crois pas qu'on puisse contester que cet article impose au gouvernement l'obligation morale de remplir la promesse qu'il a faite. Sans cela la loi n'aurait pas de sens. Je dirai plus, sans cela, la Chambre n'aurait pas adopté la loi. Là a été le motif déterminant du vote.
La Chambre, à une très grande majorité, avait voté une réforme radicale : elle avait admis la taxe uniforme à 10 c. Le Sénat modifie le projet en admettant la taxe à 10 et à 20 c. Ce qui a assurément déterminé la Chambre à se rallier à cette modification, c'est que l'article 10 de la loi lui a fait espérer que la réforme serait radicale, quand le produit net des postes s'élèverait à deux millions ; c'était là la condition de la transaction.
M. Prévinaire. - Je n'ai qu'un mot à ajouter à ce qui a été dit par mes honorables amis.
La question qui est soulevée en ce moment l'a été par moi l'année dernière. J'ai invoqué l'article 10 de la loi de 1849 pour demander au gouvernement s'il comptait user de la faculté qu'il lui donne en admettant la taxe uniforme à 10 c. Pour moi, le sens de la disposition n'est pas douteux. En effet, elle n'a pas de sens, si elle n'a pas celui-là ; car le gouvernement n'avait pas besoin de cette autorisation, si elle ne constituait qu'une simple faculté et que pour en user il dût prendre l'initiative d'une proposition aux Chambres.
Je crois donc qu'il y a obligation positive pour le gouvernement.
Au reste M. le ministre des finances, interpellé à ce sujet l’année dernière, a répondu dans des termes qui excluent l'opinion de son collègue des travaux publics et qui constatent la position faite au gouvernement par la disposition de la loi. Il a reconnu implicitement par sa réponse que, lorsque l'événement prévu par la loi serait réalisé, le gouvernement ne pourrait se soustraire à la réduction de la taxe au taux uniforme de 10 centimes.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Si je me suis exprimé comme vient de le dire l'honorable préopinant, j'ai mal rendu ma pensée, car je n'ai jamais pensé que la disposition de l'article 10 de la loi de 1849 contînt une obligation pour le gouvernement.
Je ne crois pas, du reste, que mes paroles prêtent à une pareille interprétation.
M. F. de Mérode. - Dernièrement nous avons été assez parcimonieux pour refuser à M. le ministre des travaux publics la somme nécessaire pour les travaux à faire au chemin de fer. Nous n'avons donc pas un excédant de recette ; au contraire.
On se plaint du chiffre élevé des bons du trésor. Mais il sera plus élevé encore si vous réduisez la taxe des lettres.
- Plusieurs membres. - C'est le contraire.
M. F. de Mérode. - Ah ! vous prétendez que le produit sera plus fort si la taxe est plus faible. Mais il n'en sera rien. Déjà la réforme mixte de 1849 a diminué le chiffre des produits, une réforme radicale le diminuerait plus encore. Le produit augmente d'année en année ; mais cette augmentation n'est pas due à ta réforme postale, elle est due au développement toujours croissant du commerce et de l'industrie, et le revenu serait plus considérable encore si l'on avait conservé l'ancien tarif postal.
La taxe des lettres est un bon impôt parce que c'est la rémunération d'un service. Quand vous imposez la bière, le vin, le sucre, que donnez-vous au contribuable ? Rien du tout ; vous prenez sur sa consommation. Mais ici vous rendez un service, vous transportez une lettre, et vous ne le faites pas à un prix exorbitant.
Je ne sache pas que la France et la Hollande aient réduit la taxe des lettres. Pourquoi ferions-nous autrement ?
Messieurs, nous ne sommes obligés absolument à rien à l'égard de la recette que fournit au trésor la taxe des lettres, taxe qui, de tous les impôts, quels qu'ils soient, est le moins vexatoire, le moins onéreux, celui qui atteint particulièrement et très modérément aujourd'hui les gens aisés portés à écrire fréquemment à leurs parents ou connaissances pour des relations d'amitié ou d'agrément et qui prélève aussi sur le commerce un tribut proportionné à l'importance des affaires, c'est-à-dire à l'importance présumable des bénéfices et des gains. Quel est, en effet, l'industriel ou le négociant qu'afflige la réception d'un grand nombre de lettres ?
En effet, au contraire, heureux peut-on dire celui qui, engagé dans les affaires, voit affluer chez lui chaque jour un faisceau de missives. Je l'ai dit précédemment ; j'en ai l'expérience personnelle acquise, tenant en activité pour mon compte un fourneau appliqué à la fusion du minerai de fer, que j'ai dû laisser éteindre dans un moment de baisse trop grande. Je travaillais avec avantage tant que la correspondance fut bien nourrie et ni mon associé qui dirigeait mon usine, ni moi qui en étais l'actionnaire principal, nous n'imaginâmes de nous plaindre des frais de poste plus élevés alors qu'aujourd'hui ; mais dès que les lettres diminuèrent beaucoup en nombre, les demandes aussi firent défaut et nous fûmes contraints de fermer la paie.
M. Rodenbach. - Je répondrai à l'honorable préopinant que les classes moyennes et inférieures aiment aussi à transmettre leurs lettres ; elles aiment également à écrire et à ne pas payer trop cher. On veut propager l'instruction ; nous consacrons des sommes considérables pour la propager à tous les degrés et notamment l'instruction primaire ; nous devons permettre que le peuple fasse usage des connaissances acquises.
Ce chiffre de 2 millions qui a été fixé par la loi est un chiffre transactionnel. L'exemple que nous ont donné l'Angleterre et notre propre pays nous prouve que d'année en année les produits de la poste augmentent.
Je ne doute pas que cette progression continue, et puisque nous devons nous occuper de nouveau de la question lors de l'examen du budget des travaux publics, nous pourrons peut-être, par amendement, fixer la taxe à 15 c. au lieu de 20 c, pour ne pas descendre brusquement à 10 c. Je me réserve d'user de mon initiative à cet égard, et je-crois que M. le ministre des travaux publics pourrait se rallier à un pareil amendement. Car je suis persuadé qu'avec le chiffre de 15 c. nous obtiendrons le produit de deux millions net, vœu de la loi. Ou a d'ailleurs frappé certaines industries, notamment l'industrie des houilles, en permettant la libre entrée des produits étrangers ; il est juste de lui donner une légère compensation par une réduction sur la taxe des lettres.
Du reste, je le répète, je suis persuadé qu'avec la taxe de 15 c. nous arriverons à la recette de deux millions, et que même en trois ou quatre années, nous pourrons fixer la taxe à 10 c. et obtenir les deux millions voulus.
M. Devaux. - Je prie M. le ministre des travaux publics de bien vouloir ajouter aux documents qu'il promet le mouvement des lettres divisées eu deux classes : la progression, depuis la réforme, du nombre des lettres à 20 centimes et celle du nombre des lettres à 10 centimes. C'est un document qui sera utile pour apprécier la réforme.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - L'administration-de la poste a tenu compte en colonnes séparées des lettres dans le rayon de 30 kilomètres et de celles au-delà de ce rayon, de sorte qu'il sera, très facile de satisfaire à la demande de l'honorable préopinant.
M. Vandenpeereboom. - Je demanderai à M. le ministre de joindre, si possible, les mêmes renseignements pour 1849 ; époque à laquelle la réforme a été introduite. De cette manière nous pourrons comparer quelle a été l'augmentation des dépenses spéciales de 1849 à 1856.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Je ne saurais dire si l'administration a pour 1849 un compte aussi détaillé que celui que demande l'honorable membre. Mais je sais que pour rédiger la proposition de loi, l'administration a fait un compte très détaillé pour 1847. J'ai sous les yeux le travail complet pour 1847, pour 1851,1852, 1853, 1854 el 1855. Je pense que ces renseignements qui comprennent une année soigneusement étudiée avant la réforme et cinq années après la réforme permettront de juger en connaissance de cause.
- La discussion est close.
Postes
« Taxe des lettres et affranchissements : fr. 4,250,000. »
- Adopté.
« Ports des journaux et imprimés : fr. 320,000. »
- Adopté.
« Droits sur les articles d'argent : fr. 45,000. »
- Adopté.
« Emoluments perçus en vertu de la loi du 19 juin 1842 : fr. 85,000. »
- Adopté.
« Produit du service des bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres : fr. 110,000. »
- Adopté.
« Chemin de fer : fr. 23,500,000. »
- Adopté.
« Télégraphes électriques : fr. 280,000. »
- Adopté.
(page 311) « Domaines (valeurs capitales) : fr. 900,000. »
- Adopté.
« Forêts : fr. 950,000. »
- Adopté.
« Dépendances des chemins de fer : fr. 60,000. »
- Adopté.
« Etablissements et services régis par l'Etat : fr. 200,000. »
- Adopté.
« Produits divers et accidentels : fr. 400,000. »
- Adopté.
« Revenus des domaines : fr. 250,000. »
- Adopté.
« Produits divers des prisons (pistoles, cantines, vente de vieux effets) : fr. 140,000. »
- Adopté.
« Produits de l'emploi de fonds de cautionnement et de consignations : fr. 735,000. »
- Adopté.
« Produits des actes des commissariats maritimes : fr. 50,000. »
- Adopté.
« Produits des droits de chancellerie : fr. 30,000. »
- Adopté.
« Produits des droits de pilotage : fr. 525,000. »
- Adopté.
« Produits des droits de fanal : fr. 80,000. »
- Adopté.
« Produits de la fabrication de monnaies de cuivre : fr. 120,000. »
- Adopté.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je consens à ce qu'on rétablisse l'article : « Produit de la retenue de 10 p. c. sur les traitements et remises : fr. 250,000. »
Je ferai de la suppression de cet article l'objet d'un projet de loi spécial.
- Cet article est adopté.
« Chemin de fer rhénan. Dividendes : fr. 232,500. »
- Adopté.
« Part réservée à l'Etat, par la loi du 5 mai 1850, dans les bénéfices annuels réalisés par la Banque Nationale : fr. 270,000.
M. Dumortier. - Messieurs, cet article nous ramène à la partie de la discussion générale où il a été question de la manière dont la Banque Nationale fait ses calculs pour couvrir ses billets de banque.
Vous savez que, d'après la loi, la Banque Nationale est autorisée à émettre des billets de banque et elle doit garantir cette émission en raison de ce qui est prescrit par ses statuts.
L'article 15 des statuts porte :
« La Banque est tenue d'avoir un encaisse métallique égal au tiers au moins du capital réuni en billets de circulation et des sommes déposées. L'encaisse pourra toutefois descendre au quart avec l'autorisation du gouvernement. »
Vous voyez qu'en vertu de cette disposition l'émission des billets de banque doit être garantie pour le tiers par l'encaisse métallique de la Banque Nationale. Or, il se trouve, d'après les révélations qui ont été faites dans la discussion générale, que cet encaisse se compose en grande partie de la caisse de l'Etat. En vertu de la loi, la Banque Nationale est chargée du service de caissier de l'Etat. L'article 10 porte : « La Banque aura le service de caissier de l'Etat, aux conditions déterminées par la loi. »
Elle fait le service de caissier de l'Etat et ce service, remarquez-le bien, est réglé par une loi différente. En résulte-t-il que l'encaisse doit servir de garantie à l’émission de ses billets ? Evidemment, messieurs, personne n'a jamais pu le comprendre ainsi, et je suis convaincu que le ministre des finances de cette époque ne l'a pas plus que nous compris de cette manière.
M. Frère-Orban. - Si ! si !
M. Dumortier. - Quant à nous, nous ne l'avons certainement pas compris ainsi. Il est évident que la somme fixée par l'arrêté royal pour servir de garantie aux billets de banque, doit être une chose sérieuse. Cette somme doit nécessairement offrir aux porteurs de billets de banque toute espèce de sécurité ; or, quand cette somme se compose en grande partie de fonds appartenant à l'Etat et non à la Banque, de fonds dont la Banque n'est que dépositaire, à titre de fonctions spéciales qu'elle exerce comme caissier de l’Etat, il arrive de deux choses l'une : ou bien elle garantit les porteurs de billets et alors c'est l'Etat qui devient garant des opérations de la Banque, ou bien elle ne garantit rien, et alors c'est une véritable mystification pour les porteurs de billets.
Il faut que les fonds qui servent de garantie aux billets, la Banque puisse toujours en disposer en cas de besoin ; or, il est évident qu'elle ne peut pas disposer des fonds de l'Etat.
L'honorable M. Vermeire a demandé, il y a quelques jours, que l'encaisse de l’Etat fît l'objet d'un article spécial à l'actif et au passif dans les comptes rendus de la Banque Nationale. On a répondu que cela pourrait présenter quelque danger. Je ne sais pas si ce danger existe, car enfin, en France et en Angleterre l'encaisse de l'Etal est toujours connu, mais ce qui est bien, certain c'est que rien n'autorise la Banque Nationale à faire sien l'encaisse de l'Etat et à le prendre comme garantie de l'émission de ses billets. C'est là un des plus grands abus qui aient été signalés depuis 1850. Je suis loin de vouloir entraver les opérations de cette société, mais je dois déclarer, pour mon compte, qu'il importe que la situation soit bien connue, qu'il importe de savoir si l'Etat esl, oui ou non, garant des opérations de la Banque Nationale, et si l'Etat n'est pas garant de ces opérations, comment les porteurs de billets sont garantis et comment les statuts de la société sont exécutés.
M. Osy. - L'honorable M. Dumortier a dit que dans la discussion de la semaine dernière, l'honorable M. Vermeire a signalé à la Chambre que l'encaisse de l'Etat était compris dans l'encaisse de la Banque Nationale. Mais, messieurs, ce fait est connu depuis la discussion de la loi qui a institué la Banque Nationale ; si vous lisez avec attention tout ce qui a été dit alors, vous verrez que le tiers exigé garanti non seulement les billets de banque, niais encore les sommes versées en compte courant. Tous les débats ont roulé sur ce point quand on a fait la loi.
Mais, messieurs, voilà ce qu'a demandé l'honorable M. Vermeire il y a quelques jours : il a demandé que dans les publications mensuelles les comptes courants fussent renseignés sous deux articles séparés, l'un pour le compte courant du gouvernement, l'autre pour ceux des particuliers. Cette demande a été faite plusieurs fois, notamment sous le ministère de l'honorable M. Frère-Orban, et l'honorable M. Frère-Orban a donné de très bonnes raisons pour la faire écarter.
Maintenant, messieurs, s'il pouvait être question de faire une proposition dans le sens des observations de l'honorable M. Dumortier, il faudrait changer la loi qui la institué la Banque Nationale, car il est dit dans cette loi que la garantie d'un tiers porte sur les billets de Banque et les comptes courants. Ensuite si une modification était admise à cet égard, tous les arrangements faits entre l'Etat et la Banque Nationale se trouveraient changés. La Banque Nationale faisant le service de caissier de l'Etat pour 100,000 fr., elle y perdrait évidemment si elle ne pouvait utiliser l'encaisse.
Enfin, messieurs, songez un peu aux intérêts du pays. Savez-vous bien que si la Banque devait conserver 30 millions improductifs, elle serait forcée de réduire considérablement l'émission de ses billets ? Or, cela ne pourrait avoir lieu qu'au grand détriment de l'industrie et du commerce, car il va de soi que la Banque devrait restreindre ses escomptes proportionnellement à la diminution de l'émission ses billets.
M. Dumortier. - Messieurs, je crois que mon honorable ami qui m'invite à voir la loi, ne l'a point vue depuis 1850, car elle ne renferme rien de ce qu'il annonce. Je tiens en main la loi, et voici ce qu'elle porte :
« Art. 12. La Banque émet des billets au porteur. Le moulant des billets en circulation sera représenté par des valeurs facilement réalisables. La proportion entre l'encaisse et les billets en circulation sera fixée par les statuts. »
Voilà, messieurs, tout ce que porte la loi. Voyons maintenant les statuts.
Les statuts d'abord ne constituent qu'un arrêté royal qui ne peut pas violer la loi. Mais voyons ce que portent les statuts.
« La Banque est tenue d'avoir un encaisse métallique égal au tiers au moins du capital réuni des billets en circulation et des sommes déposées. »
Quand on dit que la Banque est tenue d'avoir cet encaisse, c'est une obligation que la loi impose à la Banque, et non pas à l'Etat.
Le contrat oblige la Banque d'avoir un tiers en valeur métallique ; mais ce tiers doit être sa propriété et non pas celle d'autrui.
Ce tiers peut se composer aussi de sommes que, dans le cours de ses opérations, la Banque peut avoir entre les mains comme dépôts ; mais il n'est nullement question de l'Etat.
Et en effet si vous voulez relier la loi dont on vous parle, jetez, je vous prie, les yeux sur l'article 8 qui règle les opérations de la Banque Nationale, et vous venez que ces opérations consistent notamment à faire le commerce des matières d'or et d'argent ; c'est là le commencement de l’encaisse métallique ; à faire des avances de fonds sur des lingots ou des monnaies d'or et d'argent ; il s'agit toujours de choses qui constituent l'encaisse métallique dont parlent les statuts. Or, cet encaisse, en tant que la propriété de la Banque, n'existe pas.
Je demande qu'on veuille bien me dire si l'Etat est, oui ou non, garant des billets émis par la Banque Nationale, puisque l'encaisse de l'Etat figure tous les mois dans le Moniteur comme couvrant le tiers des billets de banque en circulation et des sommes déposées ?
Rappelez-vous, messieurs, les circonstances.désastreuses que nous avons traversées ; l'État s'est trouvé, à une certaine époque, dans une position très pénible, à cause que les fonds provenant des contributions et des impôts ont dû être détournés de leur destination pour servir aux opérations d'une société particulière.
Mais si vous forcez, dit l'honorable M. Osy, la Banque Nationale à avoir son encaisse, vous diminuerez d'autant le nombre des billets de banque en émission. La Banque, messieurs, s'arrangera comme elle voudra ; cela la concerne, ce n'est pas à tous à faire les affaires de la Banque, (page 312) ce n'est pas à nous à compromettre l'avenir du pays pour faire faire des bénéfices à tous ceux qui sont intéressés dans les opérations de la Banque ; c'est à nous d'empêcher que les fonds de l'Etat qui sont un véritable dépôt entre les mains de la Banque, ne puissent, dans des circonstances données, devenir un instrument à la Banque pour le remboursement de ses propres billets.
Il est évident que les avantages qui sont déjà accordés à la Banque, à titre de caissier de l’État, sont assez grands pour qu'il ne soit pas besoin d'y ajouter une chose aussi exorbitante.
Un denier de caisse lui est assuré : c'est déjà un bénéfice considérable ; en second lieu, au moyen des agents qu'elle a dans toutes les parties du royaume, elle opère très facilement le placement de ses billets. C'est pour elle un énorme avantage ; car si elle cessait d'être le caissier de l'État, au lieu de 97 à 98 millions de billets en émission, elle n'en aurait peut-être pas 10. La Banque.de Belgique, qui n'était pas le caissier de l'Étal, faisait une émission de cinq millions seulement.
N’est-il pas dangereux que les fonds de l'Etat soient ainsi détournés de leur destination ? Il arrivera de deux choses l'une : ou ces fonds serviront de garanties aux opérations d'une société particulière ; ou, je le répète, ils serviront à mystifier les porteurs de billets.
Messieurs, un pareil état de choses doit évidemment cesser ; et si le gouvernement était dans l'impossibilité d'y mettre un terme, je déposerais avec une pleine confiance un amendement sur le bureau, pour faire cesser une situation qui peut, dans des circonstances données, devenir extrêmement préjudiciable au pays.
Mon honorable collègue et ami M. Osy nous dit que cette situation est connue depuis longtemps ; je comprends que l'honorable membre qui remplit auprès de la Banque avec distinction et désintéressement les fonctions de commissaire, est à même de connaître l'état réel des choses ; mais nous qui n'y exerçons pas de semblables fonctions, nous ignorions complètement qu'un semblable abus existât.
Je déclare que toutes les fois que j'ai vu à la fin du mois, dans le Moniteur, la mention d'un encaisse de 30 millions dans le relevé des opérations de h Banque, je n'ai pas soupçonné que cet encaisse fût la propriété de l'État et que les fonds de l'État servissent de garantie aux opérations de la Banque ; la plupart des membres de la Chambre sont absolument dans le même cas.
Or, un pareil état de choses ne peut pas durer ; il faut que les garanties dont, aux termes de la loi, les opérations de la Banque doivent être entourées, se trouvent dans la Banque elle-même et non pas dans l'Etat.
Si nous n'y mettons bon ordre, on viendrait plus tard se prévaloir de notre faiblesse, pour rendre l'Etat garant des opérations d'une société particulière qui a déjà d'assez beaux bénéfices pour ne pas être dispensée de remplir toutes les conditions de ses statuts.
M. Vermeire. - En demandant, dans une séance précédente, s'il y aurait eu de l'inconvénient à séparer, dans les comptes mensuels publics par le Moniteur, l'encaisse du gouvernement de celui de la Banque, je n'ai pas voulu induire que l'encaisse métallique n'appartient pas à la Banque. Mon unique but était de faire comprendre à la Chambre que, puisque la publicité des comptes donnait des garanties de solvabilité à la Banque, celles-ci devaient être d'autant plus grandes que la publicité était plus complète.
Si nous jetons les yeux sur les bilans mensuels de la Banque, nous remarquons, tout d'abord, qu'avec un capital de 23 millions, la Banque opère un mouvement immense d'affaires, toutes parfaitement garanties par son encaisse, par son portefeuille et par les autres valeurs qui figurent à son avoir.
M. Frère-Orban. - Messieurs, il serait vraiment à désirer que lorsqu'on soulève des questions aussi graves, aussi délicates que celles dont vient de vous entretenir l'honorable M. Dumortier, on prît au moins le soin d'examiner les faits, de les étudier, de n'apporter ici que des choses exactes, sinon des vérités incontestées.
L'honorable M. Dumortier affirmait, il y a quelques jours, que. j'avais déclaré à cette Chambre que jamais la circulation de la Banque ne pourrait s'élever au-delà de 30 millions de francs, et il voulait ainsi m'associer à la peur que lui cause une émission de 100 millions, ce qui lui semble très effrayant, très dangereux. Or, jamais je n'ai dit à cette Chambre que la circulation de la Banque ne pourrait s'élever qu'au chiffre de 30 millions ; jamais je n'ai rien exprimé d'aussi manifestement contraire à la pensée qui nous a dirigés dans l'institution de la Banque.
J'ai supposé qu'à l'origine et même longtemps après son institution, d'après les faits alors connus, la circulation de la Banque ne s'élèverait probablement à plus de 45 millions. Ce n'était pas une limite que j'indiquais, car j'ai repoussé la proposition qui avait été faite de limiter par les statuts l'émission possible de la Banque ; j'ai soutenu au contraire qu'il fallait lui laisser toute liberté et que cette liberté ne devait être limitée que par les besoins du pays.
Voilà un premier fait complètement inexact sur lequel s'étayait M. Dumortier.
M. Dumortier. - Vous venez de reconnaître vous-même que vous aviez dit que la circulation ne dépasserait pas 45 millions.
M. Frère-Orban. - Ce n'était pas une limite ; mais vous avez affirmé que j'avais annoncé que la circulation m pourrait pas s'élever au-delà de 30 millions. Or, c'est complètement inexact. Jamais je n'ai rien énoncé de semblable.
Je ne me suis pas donné la peine de recourir aux discussions auxquelles j'ai pu prendre part, mais j'affirme à priori que jamais je n'ai pu énoncer un pareil fait devant la Chambre.
Voilà une première inexactitude. Autre inexactitude non moins grave : selon l'honorable M. Dumortier, on a fait tout à coup la découverte d'un fait ignoré, mystérieux : c'est que l'encaisse de l'Etat est compris dans l’encaisse métallique de la Banque, ce qui présente, selon lui, le plus grand danger pour le trésor public.
Si l'honorable membre s'était donné la peine de revoir les discussions de 1850, il aurait vu que cette découverte n'était pas du tout nouvelle ; que la question avait été soulevée, discutée alors, et que l'opinion de l'un de ses honorables amis, conforme à la sienne, avait été rejetée par la Chambre.
Je n'ai pas sous les yeux le texte de ces discussions, mais il est certain que M. Dumon a demandé que l'encaisse de l'Etat fût distinct, séparé, toujours à la disposition du gouvernement et ne fût pas confondu ayec celui de la Banque.
Je pense que les souvenirs de l'honorable M. de Man lui permettront de déclarer que ce que j'énonce est exact.
M. de Man d'Attenrode. - C'est très exact !
M. Dumortier. - C'est une autre question.
M. Frère-Orban. - C'était la question que vous soulevez ; on a répondu : Que voulez-vous qu'on fasse de l'encaisse de l'Etat ? voulez-vous qu'on le garde absolument improductif, sans intérêt pour le trésor, sans intérêt pour le pays ? La Banque reçoit cet encaisse comme tous les dépôts en compte courant des sommes que les particuliers lui confient ; ils sont parfaitement garantis ; la Banque s'engage à payer à vue les sommes déposées en compte courant. Que signifient les craintes manifestées par M. Dumortier ?
Tous les jours, à toute heure, le ministre des finances peut, sous sa seule signature, retirer tout son encaisse de la Banque. Il n'y a là aucun préjudice pour l'Etat ; le trésor ne peut utiliser son encaisse ; il le dépose ; le jour où il peut l'utiliser, il le retire. Le pays éprouverait une perte si on laissait sans emploi une somme de plusieurs millions de francs. Au reste, l'encaisse n'est pas d'ordinaire aussi élevé qu'il l'est en ce moment ; c'est là une exception ; c'est tout à fait exceptionnel que l'encaisse se présente avec un chiffre aussi élevé ; c'est à cause des versements considérables qui se font à la fin de l'année et de l'emprunt réalisé en 1852, dont tous les fonds ne sont pas employés, que l'encaisse de l’Etat est aujourd'hui aussi considérable.
L'honorable M. Dumortier prétend que l'encaisse de l'Etat sert de garantie aux billets émis par la Banque ; c'est une erreur. L'Etat est dans la même position que tous les autres créanciers déposant en compte courant ou porteurs de billets ; ils sont tous dans la même position. Quelle est la garantie des uns et des autres ? C'est le portefeuille de la Banque, son avoir, son capital.
Le portefeuille représente les billets émis et les valeurs qui ont été déposées en compte courant. Ajoutez-y l'encaisse métallique, le capital de la Banque et vous trouverez d'amples garanties.
L'honorable membre paraît supposer que la Banque émet des billets et les distribue pour rien sans recevoir de contre-valeurs ; la Banque échange une obligation à terme contre une obligation à vue ; pour les dépôts qui lui sont faits en compte courant elle remet des obligations ou des reconnaissances en vertu desquelles, quand on veut, on peut se présenter et obtenir le remboursement du dépôt, comme le détenteur de billet peut se présenter et obtenir le remboursement de son billet. Et de là il suit que la circulation se règle sur les besoins du commerce.
Avec quoi la Banque opère-t-elle ? Elle opère avec son crédit. Le capital de 25 millions est une garantie supplémentaire. Dans le cas où il faudrait liquider les opérations de la Banque et que cette liquidation constaterait une perte, elle serait prélevée par le capital 25 millions. Il ne pourrait y avoir préjudice pour les créanciers que si, chose impossible, le capital de la Banque était absorbé. Mais ce capital ne limite point les opérations ; la banque opère avec son crédit, non avec son capital ; son capital est secondaire, accessoire ; la Banque serait sans capital, que la garantie existerait pour ceux qui font des affaires avec elle, à cette seule condition qu'il n'y aurait pas de perte.
Or, une banque opère et doit opérer de façon que les pertes soient impossibles pour ainsi dire. C'est la condition des services qu'elle peut rendre au pays. Le jour où la Banque ferait des opérations chanceuses elle n'inspirerait plus de confiance et elle serait dans l'impossibilité de. rendre les services qu'elle a rendus jusqu'à présent.
L'honorable M. Dumortier imagine qu'à une époque quelconque ou pourrait recourir contre l'Etat pour obtenir la garantie des opérations que la Banque aurait faites...
M. Dumortier. - Je n'ai pas parlé de la garantie des opérations de la Banque.
M. Frère-Orban. - De quelle garantie parlez-vous ?
M. Dumortier. - De l'émission des billets que la Banque est tenue de rembourser.
M. Frère-Orban. - Mais la garantie des émissions de billets n'est que la garantie des opérations ; la Banque n'émet des billets que parce qu'elle fait des opérations, les billets sont le résultat de ses opérations ; si donc on pouvait recourir contre l'Etat à raison des billets que la Banque aurait émis, ce serait à raison de ses opérations que le recours s'exercerait.
(page 313) C'est évidemment impossible. L'État ne doit aucune garantie à la Banque. Il n'est engagé à rien vis-à-vis des porteurs de billets. Au surplus, cette garantie existât-elle, qu'il n'y aurait pas de risque, puisque la Banque ne subit pas de perte. Les porteurs de billets, les créanciers par compte courant, sont parfaitement garantis par le portefeuille, l'avoir, le capital de la Banque !
Personne ne se plaint assurément. La preuve c'est que la circulation des billets ne fait que se développer dans l'intérêt du pays. Elle est arrivée à un chiffre auquel personne ne s'attendait.
Mais, dit l'honorable M. Dumortier, c'est en raison des avantages, des privilèges qu'a la Banque Nationale comme caissier de l'Etat que la circulation s'est ainsi développée ; sinon elle tomberait bientôt à huit, dix millions. Eh bien, l'erreur de l'honorable M. Dumortier est encore ici manifeste. La Société Générale était caissier de l'Etat, et jamais la circulation de ses billets de banque n'a atteint le chiffre de 20 millions de francs.
A quoi faut-il attribuer cette extension de circulation ? A ce que la circulation.avec cours forcé qui a existé pendant quelque temps, a familiarisé le pays avec les billets de banque ; ensuite à l'extension des affaires, au plus grand développement du crédit, au développement industriel et commercial du pays (interruption). Si l'on veut, à l'absence de la monnaie d'or. Mais je limite beaucoup les effets de cette dernière cause par la raison toute simple que la monnaie d'or en circulation était peu considérable, et que la circulation argent a toujours été la principale en Belgique.
Il est donc impossible d'accorder la moindre attention aux observations de l'honorable M. Dumortier. Il importe de conserver à la Banque la confiance, le prestige qu'elle a, non pas seulement pour elle, dont je m'occupe très peu, de même que de ses bénéfices, mais dans l'intérêt du pays.
La Banque a rendu de grands services au pays. Grâce à la Banque, l'intérêt a toujours été beaucoup plus bas ici que dans d'autres pays. A une époque où l'intérêt variait de 7 à 11 p. c. sur les principales places de l'Europe, l'intérêt a été maintenu, à l'avantage du commerce et de l'industrie, à un taux qui n'a jamais excédé 5 p. c. maximum pour les effets non acceptés.
Ainsi, si la Banque a réalisé des bénéfices considérables avec ses opérations, ce n'a pas été en prélevant sur les affaires un intérêt exorbitant, c'est en le réduisant notablement, c'est en faisant régner un taux d'escompte assurément inconnu avant son institution.
C'est dans l'intérêt du pays que je parle. C'est dans l'intérêt de l'industrie et du commerce qui reconnaissent ses services, que j'en parle, et nullement dans l'intérêt de la Banque. Je suis complètement désintéressé dans cette affaire. J'en parle comme j'en ai parlé lorsque j'ai eu l'honneur de présenter le projet de loi relatif à l'institution de la Banque Nationale et de le discuter devant la Chambre.
M. Sinave. - Il m'est impossible d'interpréter la loi. et les statuts de la Banque comme le fait l'honorable baron Osy.
D'après la loi et les statuts l'encaisse métallique et les dépôts doivent égaler le tiers des billets émis. Mais par dépôts, la loi entend les dépôts actifs de métaux précieux sur lesquels la Banque a fait des avances d'argent et qui en réalité font partie de cet encaisse.
Au contraire, le dépôt de l'Etat est passif, par la raison que la Banque en est la débitrice.
Si vous l'entendiez autrement, si l'encaisse de l'Etat devait servir de garantie aux billets en circulation, il n'y aurait plus la moindre sécurité pour le trésor du pays.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le président. - La Chambre consent-elle à entendre l'honorable M. Dumortier une troisième fois ? (Oui ! oui !)
M. Dumortier. - Je remercie la Chambre. Elle comprend que je ne pouvais me dispenser de répondre à l'honorable M. Frère qui a dit qu'il est impossible d'accorder la moindre attention à mes observations.
Puisqu'il a parlé d'inexactitude, je vais lui en signaler une qui vaut bien les deux que, d'après lui, j'aurais commises, si tant est que j'en aie commis.
L'honorable M. Frère dit que l'encaisse métallique n'est pas une garantie, que la principale garantie c'est le portefeuille. Ainsi, c'est le portefeuille qui, d'après l'honorable membre, sert de garantie tant pour l'encaisse de l'Etat que pour l'émission de billets de Banque. Or, l'honorable membre est sous ce rapport dans une complète erreur, et il a perdu de vue l'article qu'il a rédigé el qui dit absolument le contraire. Je vais le relire encore une fois pour que l'honorable membre puisse le comprendre ; car il ne l'a pas compris : « La Banque (disent les statuts) est tenue d'avoir un encaisse métallique égal au tiers au moins du capital réuni des billets de banque en circulation et des sommes déposées. » Les statuts ne disent pas « ou » ; ils disent « et ». Ainsi, les sommes déposées doivent être garanties pour un tiers par l'encaisse métallique.
Ce n'est pas du portefeuille qu'il s'agit, mais de l'encaisse métallique. L'article 13 des statuts est positif.
Toutes les considérations qu'a développées l'honorable M. Frère sur les avantages de la Banque sont assurément pleines d'intérêt ; mais ce n'est qu'un hors-d'œuvre. Car il ne s'agit pas de cela ; il s'agit des garanties exigées par la loi.
Je reconnais volontiers les services que rend la Banque Nationale. Mais ces services fussent-ils plus grands encore, cela n'empêcherait pas que je n'eusse, comme député de la nation, le droit de vérifier si elle remplit les garanties que la loi impose à son existence. Or cette garantie n'existe pas, puisque très souvent la Banque n'a pas en caisse une somme égale au tiers des billets en circulation et de l'encaisse de l'Etat.
Aujourd'hui les billets en circulation s'élèvent à 98 millions ; l’encaisse de l'Etat est de 30 millions. Total, 128 millions. Quel est l'encaisse métallique de la Banque ?
M. Osy. - 48 millions.
M. Dumortier. - Dans ces 48 millions se trouvent les fonds de l'Etat même.
Maintenant les fonds de l'Etat doivent-ils servir de garantie oui ou non ? Il suffît d'examiner la loi pour voir que non. On a beau dire que l'honorable M. de Man avait demandé de distinguer, de faire deux caisses différentes.
C'est une question toute différente, et l'honorable M. Frère le sait très bien lui -même. La question de savoir si les deux caisses doivent être distinctes ou si elles doivent être confondues, est une question qui ne ressemble en rien à celle de l'encaisse exigé comme garantie de l'émission des billets. Cette question, je n'en parle pas. Vous pouvez me l'objecter. Mais vous combattez, vous me permettrez de vous le dire, des moulins à vent. La question qui est ici sur le tapis est celle de savoir si les fonds de l'Etat doivent servir de garantie pour les obligations de la Banque et je dis que cela n'est pas possible. Car il y aurait, de la part de l'Etat, une garantie sinon sérieuse, du moins morale ; si cette garantie n'existe pas. vous faites croire au public à une garantie qui n'existe pas. Et tout cela pourquoi ? Pour permettre à la Banque d'émettre du papier au lieu d'avoir une circulation de monnaie d'or.
Quant à moi, je suis très partisan de la Banque Nationale ; je reconnais |volontiers les services qu'elle a rendus, mais je ne puis admettre qu'une société, quelle qu'elle soit, qui en vertu de son contrat doit avoir un encaisse métallique comme garantie de ses opérations, encaisse qui doit nécessairement être le fruit de ces économies, de ses travaux, de son capital, puisse se servir des fonds de l'État pour fournie cette garantie.
Je répéterai ce que j'ai eu l'honneur de dire. J'ai rappelé ces circonstances si pénibles où nous nous sommes trouvés et dans lesquelles la caisse de l'Etat n'a pu servir à sa destination parce qu'elle servait à rembourser les billets de banque.
M. Osy. - Il n'y avait pas d'argent en caisse.
M. Dumortier. - Il y en avait puisqu'on remboursait les billets.
M. Malou. - Il n'y avait pas d'encaisse du gouvernement.
M. Dumortier. - Je parle de circonstances antérieures. Il est arrivé plusieurs fois qu'on a remboursé les billets de banque avec l'encaisse de l'Etat, et, en 1839, cela s'est passé de la sorte. Eh bien, je ne veux pas que le pays soit exposé dans des circonstances critiques à une pareille catastrophe.
Que chacun établisse son compte. La Banque rend des services à l'Etat. Mais l'Etat rend aussi de grands services à la Banque, en lui facilitant l'émission de ses billets, émission qui n'aurait pas lieu si l'on conservait la monnaie d'or et si la Banque n'avait pas le service de caissier de l'Etat. Mais dans aucun cas, le trésor public ne doit servir à violer les statuts de la Banque.
Car, encore une fois, l'article 13 est un article sérieux ; c'est une garantie qu'on a voulu donner et cette garantie n'existe pas vis-à-vis des particuliers, si la Banque fait servir l'encaisse de l'Etat comme garantie des billets émis.
M. Vermeire. - D'après ce qu'on vient de dire, l'encaisse de la Banque doit d'après la loi, s'élever au tiers du montant des émissions et de celui des dépôts.
Ces deux sommes réunies s'élevant à 150 millions, le tiers est de 43 millions et une fraction. Or, l'encaisse étant de 47 millions...
M. Dumortier. - Avec les fonds de l'Etat.
M. Vermeire. - Sans doute, mais dans le passif ou dans le montant des comptes courants de l'avoir sont compris les 30 millions pour lesquels le gouvernement est crédité chez la Banque.
Il en résulte donc, dis-je, que l'encaisse de la Banque dépasse aujourd'hui de près de 4 millions le montant stipulé par les statuts ; et que, au besoin, ce surcroît d'encaisse peut donner lieu à une nouvelle émission de trois fois cette somme ou de douze millions ; sans que, pour cela, le crédit de la Banque en fût le moins du monde ébranlé.
M. Frère-Orban. - Il résulte des chiffres qu'indique l'honorable M. Vermeire que l'encaisse de l'Etat étant supposé de 30 millions, la. Banque a 15 millions métalliques dans la caisse.
M. le président. - La parole est à M. Prévinaire.
- Plusieurs membres. - Non ! non ! la clôture !
M. Prévinaire. - Je voulais donner quelques explications, mais si la Chambre désire clore, je renoncerai à la parole.
- La discussion est close.
L'article est mis aux voix et adopté.
(page 314) « Prix d'instruments fournis par l'administration des contributions, etc. : fr. 3,000. »
- Adopté.
« Frais de perception des centimes provinciaux et communaux : fr. 125,000. »
- Adopté.
« Reliquats de comptes arrêtés par la cour des comptes. Déficit des comptables : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Recouvrements d'avances faites par les divers départements : fr. 400,000. »
- Adopté.
Trésor public
« Droits de tonnage, de pilotage et de fanal, perçus sous réserve de remboursement, sur les navires à vapeur faisant le service entre la Belgique et New-York, le Levant et le Brésil : fr. 49,300. »
- Adopté.
« Recouvrements d'avances faites par le ministère de la justice aux ateliers des prisons, pour achat de matières premières : fr. 765,000. »
- Adopté.
« Remboursement, par les provinces, des centime» additionnels sur les non-valeurs de la contribution personnelle : fr. 29,000. »
- Adopté.
« Recettes accidentelles : fr. 100,000. »
- Adopté.
« Abonnement des provinces pour le service des ponts et chaussées : fr. 65,000. »
- Adopté.
« Abonnement des provinces, pour réparations d’entretien des maisons d'arrêt et de justice, achat et entretien de leur mobilier : fr. 21,800. »
- Adopté.
« Prélèvement sur les fonds de la caisse générale de retraite, à titre de remboursement d'avances, : fr. 3,500. »
- Adopté.
Fonds spécial
« Produit des ventes de biens domaniaux, autorisées par la loi du 3 février 1843 : fr. 1,000,000. »
- Adopté.
La Chambre passe à la discussion du projet de loi.
« Art. 1er. Les impôts directs et indirects, existants au 31 décembre 1856, en principal et centimes additionnels ordinaires et extraordinaires, tant pour le fonds de non valeurs qu'au profit de l'Etat, ainsi que la taxe des barrières, seront recouvrés, pendant, l'année 1857, d'après les lois et les tarifs qui en règlent l'assiette et la perception, et sauf les. modifications établies par l'article 2 ci-après.
« Le principal de la contribution foncière est maintenu, pour l'année 1857, au chiffre de 15,944,257 francs, et sera réparti entre les provinces, conformément à la loi du 9 mars 1848. »
- Adopté.
« Art. 2. L'article 63 de la loi du 2 août 1822 (Journal officiel, n* 52) sur les bières et vinaigres est abrogé. »
- Adopté.
« Art. 3. D'après les dispositions qui précèdent, le budget des recettes de l'Etat, pour l'exercice 1857, est évalué à la somme de cent trente-huit millions six cent quatre mille neuf cent quatre-vingt-dix francs (138,604,990 francs), et les recettes spéciales, provenant des ventes de biens domaniaux, autorisées par la loi du 5 février 1843, à la somme d'un million de francs (1,000,000 de francs). »
- Adopté.
« Art. 4. Pour faciliter le service du trésor, pendant le même exercice le gouvernement pourra, à mesure des besoins de l'Etat, mettre en circulation des bons du trésor jusqu'à concurrence de la somme de vingt-deux millions de francs. »
- Adopté.
« Art. 5. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1857. »
- Adopté.
Il est procédé au voie par appel nominal sur l'ensemble du projet qui est adopté à l'unanimité des 67 membres présents.
Ce sont : MM. Allard, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Coomans, Crombez, Coppieters 't Wallant, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere Dedecker, de Haerne, de Kerchove, Delexhy, Delfosse, de Man d'Attenrode, F. de Mérode. de Moor, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Rasse, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes Devaux, Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Jacques, Jouret, Julliot, Lambin, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Licot de Nismes, Magherman, Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moreau, Orts, Osy, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Sinave, Tack, Thiéfry, T’Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Tieghem, Verhaegen, Vermeire, Vervoort, Vilain XIIII, Wautelet et Delehaye.
M. le président. - M. Lebeau informe la Chambre qu'une indisposition l'empêche d'assister à la séance.
M. Van Overloop dépose le rapport de la section centrale qui » examiné le budget de la guerre.
- La Chambre en ordonne l'impression et la distribution.
M. le ministre de la gierre (M. Greindl). - Je désire que la Chambre veuille bien mettre le budget de la guerre à l'ordre du jour, à la suite du projet de loi sur les denrées alimentaires.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.