(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 283) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Crombez communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Cornélis, sous-lieutenant pensionné, ancien volontaire de 1830, demande une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des meuniers dans le canton de Cruyshautem demandent de pouvoir continuer à faire usage des balances romaines. »
« Même demande de meuniers dans l'arrondissement d'Eecloo-Roulers et dans les communes environnantes. »
M. de Smedt demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Lablon, juge de paix du canton de Jodoigne, propose une modification au projet de loi d'organisation judiciaire, quant aux émoluments à toucher par les juges suppléants près des justices de paix. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur de Maerne présente des observations sur le projet de loi d'organisation judiciaire relativement aux huissiers audienciers des cours d'appel. »
- Même renvoi.
« Par neuf pétitions, des habitants de Bruxelles demandent le maintien de la législation actuelle sur les denrées alimentaires. »
« Même demande de plusieurs boulangers à Gand. »
M. Maertens. - Je demande que les pétitions dont l'analyse vient d'être présentée à la Chambre soient, comme on l'a ordonné pour d'autres pétitions ayant le même objet, déposées sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux denrées alimentaires.
- Cette proposition est adoptée.
M. de Portemont, rappelé à Grammont pour des affaires urgentes, demande un congé.
- Accordé.
M. David. - Messieurs, lorsque, sous le gouvernement hollandais, il fut question du canal de Meuse à Moselle, trois projets, basés sur des systèmes différents furent soumis au gouvernement ; l'un de ces projets consistait en une canalisation complète et latérale partout à l’Ourthe ; un deuxième système consistait en une canalisation mixte, c'est à-dire quelquefois en rivière, quelquefois latérale ou parallèle à la rivière ; le troisième système consistait en une canalisation complètement en rivière, sans s'écarter de la ligne navigable de l'Ourthe.
Le premier de ces systèmes, consistant en une canalisation complètement latérale à l'Ourthe, fut reconnu présenter de tels inconvénients et difficultés qu'on l'abandonna dès le principe ; le deuxième projet, celui de la canalisation mixte, fut soumis à l'examen et à la décision du corps des ponts et chaussées avec le projet de canalisation en rivière.
Le projet de canalisation mixte à cause des inconvénients et même des immenses dangers qu'on lui trouva, fut abandonné comme l'avait été le premier projet. Le conseil des ponts et chaussées donna la préférence au projet de la canalisation en rivière. Le projet de canalisation mixte avait pour auteur le major Braadt ; l'auteur du projet de canalisation en rivière était l'ingénieur de Puydt. En 1827, le 1er juillet, intervint un arrêté-loi qui accordait la concession à la société qui entreprenait le canal de Meuse à Moselle. L'utilité de ce système et de ces travaux était si bien reconnue, que leur exécution n'a pas rencontré la moindre opposition ; au contraire, tout le monde l'approuvait} la preuve en est que chacun s'empressa de céder à très bas prix les terrains nécessaires à cette canalisation.
Les travaux furent immédiatement commencés après l'approbation de l'arrêté de concession. Ces travaux furent poursuivis avec une grande activité jusqu'en 1830, et lors de notre révolution ils étaient sur le point d'être achevés. Mais la révolution vint tout arrêter ; les travaux furent abandonnés et la rivière laissée dans l'état pitoyable où elle se (page 284) trouvait à cette époque par suite même des travaux de canalisation non achevés. On abandonna les travaux jusqu'en 1846.
En 1846, la grande compagnie du Luxembourg obtint la concession d'une ligne de chemin de fer et en même temps la concession de la canalisation de l'Ourthe. Cette société s'engagea à exécuter les travaux d'après les plans de 1827 et les statuts de la société furent approuvés par arrêté royal du 1er octobre 1846. Malgré cela, messieurs, rien ne fut fait jusqu'en 1853.
En 1853, la grande compagnie du Luxembourg ressuscita les plans de canalisation mixte qui avaient été rejetés en 1827, et les soumit de nouveau au gouvernement.
Dès qu'ils furent connus par les riverains de l'Ourthe, ce système de canalisation mixte excita une opposition générale Cette opposition se traduisit en plusieurs pétitions et la question fut soumise à une commission d'enquête. Cette commission ne put achever ce travail, parce que la société ne lui soumit pas de plans approuvés par M. le ministre des travaux publics, ni les plans primitifs de 1827 ; de manière que la commission d'enquête se sépara en 1853 sans avoir rien arrêté et en ayant pour ainsi dire rejeté les nouvelles propositions de la grande compagnie du Luxembourg. La réprobation, messieurs, fut tellement générale que M. le ministre, prédécesseur de l'honorable M. Dumon, ne voulut jamais sanctionner ni viser les plans, aussi longtemps qu'il fut au ministère.
Ce n'est que cette année, que M. le ministre des travaux publics a rempli cette formalité pour exécution ; mais M. le ministre doit les avoir visés sans avoir examiné la question à fond.
En effet, messieurs, je ne comprends pas comment M. le ministre aurait pu viser des plans de canalisation qui, s'ils sont exécutés, compromettront la fortune, la sécurité et la vie même d'une partie des habitants de la vallée de l'Ourthe, d'une canalisation qui entravera le commerce, l'industrie et la navigation, au lieu de leur être utile, qui grèvera peut-être un jour le trésor public et qui, à une époque donnée, interrompra complètement toute espèce de possibilité de navigation dans le vallon de l'Ourthe.
Je vais, messieurs, vous donner quelques explications qui vous prouveront, je pense, que je n'exagère pas en vous signalant les appréhensions et les motifs ci-dessus d'opposition qui ont surgi.
D'abord, voici en deux mots en quoi consiste la canalisation mixte qu'on veut établir dans la vallée de l'Ourthe.
On canalise certaines parties de la rivière en rivière et en certains endroits pour continuer la ligne, on établit un canal latéral à l'Ourthe sur une demi-lieue ou trois quarts de lieue. Ce canal latéral est maintenu entre deux berges assez hautes pour que dans les grandes inondations, les eaux de la rivière ne puissent se déverser dans le canal. Par cette canalisation on établit dix iles de Chênée jusqu'à Comblain-au-Pont. Sur ces îles se trouveront sept ou huit hameaux, complètement exposés aux inondations.
On établit sept barrages fixes qui élèveront chacun les eaux de deux mètres. Il y aura en outre 18 à 19 écluses et cela sur un parcours de cinq lieues, car il n'y a que cinq lieues de Liège à Comblain-au-Pont.
Que croyez-vous qu'il pourra en résulter ? Vous connaissez probablement tous ou à peu près tous le vallon de l'Ourthe ; vous savez combien ce vallon est étroit.
Le canal sera établi dans certaines parties vers le milieu de la vallée et celle-ci sera par conséquent rétrécie de moitié. Dans d'autres parties elle ne sera rétrécie que d'un tiers ou d'un quart, mais dans les parties qui seront à l'avenir le plus exposées, la vallée sera rétrécie de moitié. Les eaux se trouvant renfermées dans un espace plus étroit, les inondations, qui jusqu'à présent n'ont été qu'ordinaires, doivent devenir des inondations extraordinaire :, à l'avenir. Les eaux seront soulevées par les barrages, par les écluses et par le rétrécissement de la vallée même et les inondations, ordinaires avant la construction, seront dévastatrices à l'avenir.
Mais qu'il survienne des inondations comme celle de 1850, époque à laquelle les eaux ont déjà renversé quelques maisons dans le vallon de l'Ourthe et ont atteint au plafond du rez-de-chaussée et presque aux premiers étages dans quelques localités comme à Meri, Hony et au pont d'Esneux sur la rive gauche ; viennent de nouvelles inondations aussi désastreuses que celle-là, et vous verrez une partie des habitations, le bétail, le fourrage, les récoltes, les provisions, les terrains et même peut-être un certain nombre d’habitants entraînés par les flots.
Voilà, messieurs, où nous arriverons un jour, si la canalisation de. l'Ourthe est exécutée telle que la grande compagnie du Luxembourg veut l'exécuter. La fortune, la sécurité et même la vie de beaucoup de riverains de l'Ourthe seront donc compromises.
Il y a un autre inconvénient qui est moins grave que celui-là, il est vrai, mais qui cependant doit aussi être pris en considération.
Partout où il y a une dérivation, le bras de rivière qui est remplacé par le canal latéral devient innavigable. Contre ces bras de rivière sont aujourd'hui bâtis plusieurs hameaux qui jouissent de la ligne navigable de la rivière et qui ne pourront jouir du canal qu'en faisant d'immenses parcours et détours. Les barrages fixes ne permettront plus aux bateaux de circuler partout. On devra nécessairement conduire les marchandises sur axe jusqu'au premier barrage en amont ou en aval pour les déposer ensuite dans les bateaux du canal.
Les bateaux du canal pourront porter 40 tonneaux. Les bateaux employés jusqu'à présent sur l'Ourthe ne jaugent que 10 tonneaux. Les bateaux destinés à naviguer sur le canal ne pourront donc naviguer sur les bras de l'Ourthe où l’eau manquera et qui seront remplacés par les canaux latéraux de dérivation. Ils seront d'un trop fort tonnage. Vous comprenez quelle immense perte en résultera pour tous les hameaux situés sur l'ancienne ligne navigable.
Quant au commerce, à l'industrie et à la navigation, je vais vous expliquer en quoi consisteront les entraves dont ils sont menacés.
Jusqu'à présent un batelier pouvait faire voyage, aller et retour, de Comblain-au-Pont à Liège en un seul jour.
Combien de temps faudra-t-il pour exécuter le même voyage après la canalisation complète ? Il faudra quatre jours. Il y a dix-huit à dix-neuf écluses à traverser, il y a une masse d'entraves à rencontrer. Ainsi à cause de quelques barrages qui élèvent les eaux à 2 mètres de hauteur avant de leur laisser continuer leur cours par un pertuis, le courant en dessous de ces barrages sera tellement fort qu'au lieu de n'avoir besoin que d'un cheval pour la remorque, il en faudra deux et trois. Les pilotes, les plus habiles de l'Ourthe désespèrent de pouvoir dorénavant diriger un bateau, à cause de ces courants ; ils désespèrent aussi de pouvoir naviguer sans de fréquents sinistres, à cause des sorties des écluses pour rentrer en rivière. C'est ainsi, messieurs, qu'au pont d'Esneux, il y a une sortie du canal ; pour rentrer en rivière, le bateau se trouvera tout au milieu d'un courant très fort. Le pont d'Esneux se trouve à 150 mètres plus bas que cette sortie de l'écluse.
Au moment de la sortie, le bateau sera lancé dans le courant, comment prendra-t-il la direction convenable pour passer sous le pont ? Les bateliers regardent la chose comme très -difficile. Mais ce n'est pas tout, à 100 ou 150 mètres en aval du pont, il faut que le bateau s'arrête pour rentrer dans le canal, car là il y a un barrage et une écluse les difficultés augmentent, ce sont même de ces tours de force que les bateliers de l'Ourthe craignent de ne pas pouvoir exécuter.
Au lieu donc, messieurs, que la navigation soit simplifiée, et que le fret puisse être diminué par suite de la canalisation, il sera augmenté ; le canal, au lieu d'être utile, sera réellement nuisible.
Ensuite, messieurs, comme vous le savez tous, un canal gèle beaucoup plus vite qu'une rivière et les glaces y restent beaucoup plus longtemps. C'est encore une entrave de plus.
J'ai dit, messieurs, qu'un jour viendrait où le trésor public lui-même serait grevé par cette canalisation. On me dira que la grande compagnie du Luxembourg demeure responsable des dommages que les travaux de canalisation causeraient aux propriétés dans le vallon de l'Ourthe ; mais messieurs, si ces dommages atteignent une somme très considérable, chose que je crois, la compagnie sera-t-elle bien à même d'indemniser tous les propriétaires, tous les usiniers, toutes les personnes, en un mot, qui auront fait des pertes ? Ces pertes peuvent s'élever à bien des millions.
Nous avons vu cette année, en France, quels énormes sacrifices tout le pays et le trésor public ont dû s'imposer pour réparer quelque peu les pertes essuyées par suite des inondations. Pour l'Ourthe nous sommes menacés des mêmes calamités et la Compagnie du Luxembourg ne pouvant indemniser toutes les pertes, le gouvernement devra demander des crédits à la législature et puiser dans la caisse du trésor public, pour réparer même d'une manière incomplète les désastres causés par la canalisation projetée.
Une chose encore, messieurs, qui est à craindre et qui, j'en suis certain, se réalisera, c'est qu'à un jour donné la navigation sera complètement interrompue dans le vallon de l'Ourthe, pourquoi ? A la suite des grandes inondations comme celles de 1850, je ne forme pas le moindre doute que quelques écluses, quelques berges seront affouillées et anéanties ; les travaux de canalisation seront renversés, dévastes, entraînés par les eaux ; les eaux de la rivière feront irruption dans le canal ; le canal sera envasé ; il restera peut-être, par-ci par là, des travaux exécutés en rivière même, comme barrages fixes, et ces travaux empêcheront qu'on ne puisse naviguer, comme par le passé, sur la rivière ; en somme, toute navigation deviendra impossible dans la vallée de l'Ourthe, jusqu'après exécution de canaux de réparation très importants et de longue haleine.
Tous ces inconvénients auraient dû, ce me semble, arrêter M. le ministre des travaux publics ; il n'aurait pas dû autoriser une canalisation qui doit avoir des suites aussi funestes pour tout le monde. Cette canalisation, loin d'être d'utilité publique, est réellement de calamité publique.
Je prie M. le ministre des travaux publics, s'il en est temps encore, de chercher à faire modifier de fond en comble les plans, de faire étudier de nouveau le projet de 1827, qui avait été adopté à la suite d'un examen sérieux de la part des ponts et chaussées, et de forcer la grande compagnie du Luxembourg d'exécuter définitivement le plan de 1827, que je considère encore comme le seul légal.
Je m'arrête ici ; l'honorable M. Lelièvre complétera les observations que je viens d'avoir l'honneur de présenter à la Chambre.
M. Lelièvre. - J'appuie les observations de l'honorable M. David. L'arrêté royal du 1er juillet 1827 n'a décrété que la canalisation de l’Ourthe et nullement le canal latéral mixte.
C'est en ce sens que la concession a été exécutée par l'application du tracé aux propriétés particulières dès 1828 et 1829, ainsi que par les expropriations qui ont été poursuivies et obtenues devant divers tribunaux.
(page 285) Il y a plus, les travaux ont été commencés sur toute la ligne dans le sens de la canalisation de l'Ourthe.
Du reste, le plan annexé à la concession de 1827 tranche d'une manière décisive la difficulté contre le nouveau tracé.
Si donc on prétend aujourd'hui introduire un nouveau système, le recours à la législature est indispensable, parce que d'après l'ordre légal en vigueur, une concession de la nature de celle dont il s'agit ne peut étre décrétée que par un acte du pouvoir législatif.
On se prévaut d'un article qui porte « qu'on pourra modifier les détails du tracé et des ouvrages à la condition de ne rien changera la direction générale de la ligne navigable, non plus qu'aux dimensions des ouvrages, sans substituer au tracé adopté un tracé complètement différent. »
On le voit, il ne s'agit là que de modifications de détail au point qu'on ne peut même rien changer aux dimensions des ouvrages ni substituer au tracé adopté un tracé entièrement différent.
Il est donc défendu de substituer un tracé à un autre ; or, c'est bien un tracé différent qu'on adopte lorsque au lieu de la canalisation de l'Ourthe, on crée un canal latéral sur les deux tiers au moins du parcours.
J'engage M. le ministre des travaux publics à examiner de nouveau cette affaire importante, et je suis persuadé qu'il fera droit aux nombreuses réclamations qui ont été adressées au gouvernement et à la Chambre.
La portée du décret de concession a été clairement déterminée par l'exécution qui l'a suivi.
Les parties ont prouvé dans quel sens elles avaient admis le tracé.
Or, il est bien évident que la substitution d'un canal latéral à l'Ourthe canalisée, constitue un tracé absolument différent, et non pas une simple modification de détail.
L'illégalité me paraît flagrante, et j'invite M. le ministre à la faire cesser.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, les observations présentées par les deux honorables préopinants portent sur deux points. Le gouvernement avait-il le droit de modifier les plans que ces honorables membres disent avoir été approuvés en 1827 pour la canalisation de l'Ourthe ? Et s'il avait ce droit, en a-t-il fait un usage convenable en approuvant les nouveaux plans proposés par la compagnie concessionnaire pour l'exécution de ces travaux ?
Le point de droit est réglé par l'article 2 de l'arrêté royal de 1827 dont l'honorable M. Lelièvre a donné lecture à la Chambre ; mais je le prie de remarquer qu'il est impossible de tirer de cet article les conclusions qu'il prétend en déduire ; il dit avec l'honorable M. David : « Le gouvernement a examiné le meilleur système à appliquer pour la canalisation de l'Ourthe ; il a choisi entre trois différents systèmes qui lui étaient présentés, et il ne peut rien modifier au projet qui a été approuvé. »
Il y a là une erreur. La concession de 1827 a été antérieure à l'examen en détail des faits qui nous occupent, et j'en trouve la preuve dans cette faculté de modifier que l'article 2 accorde à la compagnie dans le sens le plus large, à deux exceptions près.
Ainsi la compagnie pouvait, de son autorité privée, modifier, je ne dis pas les projets, car il n'en existait pas, mais les avant-projets là où l'expérience le ferait reconnaître utile, et elle ne devait recourir à l'intervention du gouvernement que lorsqu'il s'agissait de modifier les dimensions des ouvrages d'art, ou d'éloigner la ligne de navigation des centres d'habitation.
Ainsi, dans l'article 2 que l'honorable M. Lelièvre invoque contre le gouvernement, je puise, au contraire, pour le gouvernement la faculté d'autoriser une modification à la ligne de navigation même, lorsqu'elle s'éloigne des lieux habités.
Cet article ne m'a jamais paru pouvoir donner lieu à une autre interprétation, l'administration a reconnu que c'était dans le sens indiqué qu'il devait être interprété.
Je vais lire l'article 2 de l'arrêté de 1827 et je pense qu'après cette lecture vous aurez la même conviction que moi :
« Les travaux seront exécutés suivant les projets, plans, dessins et mémoires présentés par les pétitionnaires ; il restera cependant loisible aux concessionnaires de modifier les détails du tracé et des travaux suivant ce que l'expérience et de nouvelles observations leur feraient juger préférable, à la condition de ne rien changer sans l'autorisation préalable du gouvernement » (ce qui veut dire qu'on peut changer avec l'autorisation du gouvernement) « à la direction générale de la ligne navigable et de ses embranchements par les points habités qu'ils doivent traverser, non plus qu'aux dimensions des ouvrages.»
Ainsi, messieurs, je pense que le droit pour les concessionnaires d'apporter des modifications au tracé, là où il ne touche pas aux lieux habiles, et, pour le gouvernement, de le modifier même pour les lieux habités, est incontestable.
Maintenant le gouvernement a-t-il usé sagement du droit que lui donnait cet article 2 en approuvant les nouveaux plans présentés par la compagnie concessionnaire ?
L'honorable M. David fait erreur lorsqu'il croit que ces plans ont soulevé des réclamations telles, que mes prédécesseurs ont toujours refusé de les approuver. Il y a erreur manifeste. En effet, le 2 novembre 1853, le ministre des travaux publics a fait connaître à la compagnie qu'il était disposé à approuver les plans qu'elle a présentés sous certaines réserves, et par suite des négociations qui ont eu lieu ces réserves ont été acceptées par les concessionnaires.
Dès 1853, le chef du département des travaux publics, conformément à l'avis des ingénieurs et du comité permanent du corps des ponts et chaussées qui avait eu connaissance des réclamations nombreuses qui avaient surgi, déclara qu'il était disposé, sous certaines réserves, à approuver les modifications demandées par la compagnie.
Maintenant, voyons si mon honorable prédécesseur avait des motifs sérieux pour approuver les modifications proposées par la compagnie. Voyons si ces changements au projet primitif étaient ou non favorables à la navigation et à l'écoulement des eaux.
Le projet primitif consistait en une canalisation en rivière, on ne plaçait que des barrages dans le lit de la rivière ; toutes les écluses étaient placées en dérivation ; c'était une cause de dangers perpétuels à la sortie et à l'entrée de ces écluses à cause des manœuvres très difficiles qu'il fallait exécuter aussi bien à l'entrée qu'à la sortie.
Le système qu'on y a substitué a diminué les courants et les pentes, réduit le nombre des dérivations à ce point qu'il s'est trouvé plusieurs biefs dans une même dérivation et atténué par conséquent le danger signalé par l’honorable M. David et qu'il regarde à tort comme inhérent au système adopté par le gouvernement.
Il y a un autre avantage très grand dans le système des grandes dérivations qui offriront en tout temps un refuge sûr et facile pour les bâtiments, dans les moments de débâcle ou de grandes eaux ; les grandes dérivations ont encore permis de réduire le nombre des barrages qui dans le projet primitif était de 13 et qu'on a réduit à neuf.
Ainsi, de ce chef, on a la facilité de maintenir dans son état naturel une plus grande partie du cours de la rivière et de soustraire les habitations aux dangers toujours inhérents aux modifications qu'on apporte au cours des rivières.
Pour canaliser une rivière dont la pente est si rapide, et assurer une circulation régulière sur le canal, il aurait fallu élever des barrages considérables, construire des écluses et les munir de digues d'une certaine hauteur, qui eussent été un obstacle très grand à l'écoulement des eaux.
Ces digues pouvant être chargées de glaçons ou de corps d'arbres qui s'amoncellent dans les moments de débâcle, présentent des dangers pour les habitations voisines, car elles peuvent céder tout à coup. Sous tous ces rapports le système proposé par la compagnie offrait de grands avantages.
Présentait-il des inconvénients. Non, car il était combiné de manière à ne recourir à la dérivation que dans les parties où la vallée présentait une largeur suffisante, et on a toujours soin de reporter les dérivations au pied des côtes, de manière à ne pas étrangler la vallée et à laisser aux eaux le plus d'écoulement possible.
Un autre point dont ou n'a pas tenu compte, c'est que le système qu'on a adopté à maintenu, pour les populations riveraines, la facilité des communications.
D'après l'ancien système, tous les gués devaient être condamnés, car il fallait donner partout à la rivière un tirant d'eau suffisant pour permettre la navigation.
Au moyen des dérivations l'ancien lit sera maintenu dans son état actuel, et les populations riveraines pourront jouir des gués qui existent.
Dans la canalisation d'une rivière aussi difficile que l'Ourthe, l'on avait à craindre la formation de bancs de gravier de nature à entraver la navigation ; on a pu se soustraire à ce danger au moyen des dérivations qui sont munies d'écluses à l'entrée et à la sortie.
Les réclamations qu'on produit ici ne sont pas nouvelles, ce sont celles qu'on a fait valoir en 1853, quand le comité des ponts et chaussées a examiné la question de savoir s'il y avait lieu d'approuver le projet. Le comité connaissait ces réclamations, et les réserves qui ont été imposées à la compagnie avaient pour objet de faire droit à ces réclamations, car elles étaient dans l'intérêt des riverains, et avaient pour but de prévenir les inconvénients signalés pour la navigation et l'écoulement des eaux.
Ces faits posés, je puis repousser l'accusation de l'honorable M. David, qui vous a dit que c'est sans examen suffisant que j'aurais donné mon approbation au projet qui s'exécute. C'est après un examen approfondi et après avoir acquis la conviction que le projet nouveau offrait de grandes améliorations sur l'ancien, après avoir pris connaissance des travaux de mes prédécesseurs, que je lui ai donné mon assentiment.
Depuis, lorsqu'il y a eu lieu de procéder à l'expropriation des terrains dont on avait besoin, une commission a dû se réunir pour déclarer si les terrains dont on demandait l'expropriation étaient bien ceux compris dans le projet ; dans cette enquête toutes les réclamations ont été produites, les inconvénients ont été signalés, la commission a déclaré qu'il y avait heu d'exproprier les terrains et tous les propriétaires, sauf deux, paraît-il, ont reconnu qu'on leur avait donné toute satisfaction.
Maintenant, les réclamants n'ont pas accepté la décision de la commission d'enquête et l'on plaide devant l'autorité judiciaire la cause dont se sont occupés les honorables MM. David et Lelièvre. Ainsi le tribunal de Liège a à prononcer sur le procès dont je viens de parler. Il serait donc dangereux pour la Chambre d'intervenir dans cette affaire ; car elle l’exposerait à préjuger une cause pendante devant un tribunal.
(page 286) Ainsi, je crois que la Chambre fera chose sage en ne s'arrêtant pas davantage aux observations de ces honorables membres ; car ce serait intervenir dans une affaire civile.
M. David. - Je n'ajouterai plus que quelques mots pour justifier mes observations.
L'honorable ministre vient de dire que quand la commission d'enquête s'est réunie, en 1856, il n'y avait plus que deux opposants. Une preuve qu'il y avait plus de deux opposants, c'est qu'en ce moment-ci même 6.plaideurs figurant en nom et autres propriétaires de la vallée de l'Ourthe sont en instance devant les tribunaux et s'opposent à la canalisation.
De plus le 16 septembre dernier 190 propriétaires, usiniers, négociants, etc., ont adressé une pétition à Sa Majesté, afin de lui demander de profondes modifications au tracé, ou plutôt le retour aux plans de 1827.
L'honorable ministre prétend que le nouveau tracé donne des facilités aux riverains.
Quant à moi qui connais les localités, je puis assurer qu'il y a plusieurs hameaux assis anciennement sur l'Ourthe qui seront séparés de la ligne navigable, qui ne pourront arriver au canal qu'en faisant d'immenses détours et seulement au moyen de voitures puisqu'ils ne pourront plus se servir du bras de l'Ourthe qui les baigne, celui-ci ne sera, le plus souvent, plus navigable.
Dans tous les cas, fût-il navigable, ils ne pourront employer les bateaux du canal qui seront d'un trop fort tonnage pour naviguer sur l'Ourthe ; ils devront, quand il restera assez d'eau dans les bras de l'Ourthe. remplacés par les dérivations, employer de petits bateaux et aller transborder en amont et en aval à côté d'un barrage ou d'une écluse.
L'honorable ministre nous a dit encore que ce n'est pas l'opposition de 1853 qui a engagé son prédécesseur à refuser sa signature. Quant à moi, j'ai très bien su ce qui s'est passé. J'ai même accompagné des députations de propriétaires intéressés chez le prédécesseur de M. le ministre.
Plusieurs pétitions portant les signatures de presque tous les habitants du vallon de l'Ourthe oui été adressées dans ce temps-là à toutes les autorités compétentes, pour s'opposera la canalisation en question.
L'honorable M. Van Hoorebeke a toujours refusé de signer, parce qu'il demandait à la grande compagnie du Luxembourg de profondes modifications au tracé.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Erreur !
M. David. - Je sais parfaitement que l'honorable M. Van Hoorebeke n'approuvait pas les dérivations, les barrages fixes qu'il est question d'établir aujourd'hui. Il les trouvait dangereux et exigeait des modifications profondes au nouveau tracé.
Je ne prolongerai pas en ce moment le débat, et n'en dirai pas davantage aujourd'hui.
M. Tesch. - Je me suis fait une loi de ne pas venir défendre dans cette enceinte des intérêts particuliers ou les intérêts d'une compagnie. Je n'entends donc pas intervenir dans ce débat. Mais je ne voudrais pas que mon silence fût interprété comme une reconnaissance des faits articulés par l'honorable M. David, ou, comme une impossibilité de répondre aux arguments produits par l'honorable M. Lelièvre.
Je crois donc devoir déclarer que la plupart des faits avancés par l'honorable M. David, par exemple la production de trois plans en 1827, le rejet, par l'administration de cette époque, du plan exécuté en ce moment, sont complètement inexacts.
Quant aux arguments de l'honorable M. Lelièvre, il me serait facile de les réfuter tous, si je croyais pouvoir discuter.
M. Lelièvre. - La Chambre me permettra de dire deux mots en réponse à M. le ministre des travaux publics. Il ne m'est pas possible de partager son opinion sur la portée de l'article 2 de l'arrêté de 1827.
Cet article, à mon avis, est clair et précis ; il autorise de simples changements de détails, mais d'une nature telle, que rien ne peut être modifié quant aux dimensions des ouvrages,
Or, je le demande, est-ce une simple modification de détails que la substitution d'un canal latéral au canal même de l’Ourthe tel qu'il a été commencé dès 1828, canal latéral ayant un tracé différent sur la majeure partie du parcours ?
A mon avis, c'est le tracé même qui est changé, on a fait plus que toucher aux dimensions des ouvrages. On substitue une direction à une autre. Sous ce rapport je maintiens complètement ce que j'ai avancé.
M. le président. - L'incident est clos.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - La Chambre m'a renvoyé, il y a deux jours, une pétition du conseil communal de Cappellen. J'ai été aux informations. La Chambre m'a demandé des explications promptes et complètes. Je me tiens à la disposition de la Chambre, aujourd'hui où le jour qu'il lui conviendra de fixer.
M. Malou. - Ordinairement, lorsque la Chambre renvoie une pétition à un ministre avec demande d'explications, on donne ces explications par écrit. Alors la Chambre fixe la discussion comme elle le juge convenable. Si M. le ministre donne les explications verbalement,.nous devrons remettre la discussion à un autre jour. Je crois qu'il vaudrait mieux suivre ce précédent.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je donnerai les explications par écrit d'ici à quelques jours.
M. Vander Donckt, rapporteur. - « Plusieurs bateliers, domiciliés à Thuin et aux environs, viennent vous prier de prendre une mesure législative pour diminuer le droit de patente qui les frappe d'une manière abusive. »
Les pétitionnaires disent que les bateaux portent en général 200 à |230 tonneaux, soit 215 tonneaux en moyenne.
Le droit étant de 45 centimes par tonneau s'élève donc à 96 francs 75 centimes par bateau moyen.
Ainsi le propriétaire de deux bateaux se voit soumis à près de 200fr. de patente.
Quelques points de comparaison pris dans la ville de Thuin même suffiraient pour démontrer à la dernière évidence l'injustice de cet impôt.
Le directeur des usines et hauts fourneaux de Hourpes-sur-Sambre paye 39 fr. 60 c.
Un médecin paye 22 fr.
Un banquier paye 73 fr. 70 c.
Un notaire paye 31 fr. 20 c.
Le marchand le plus achalandé paye 13 fr. 20 c.
Et le plus pauvre batelier qui souvent ne possède cet instrument de travail qu'au moyen de sommes empruntées ; qui doit en outre lutter contre la concurrence du chemin de fer, paye un impôt exorbitant de 100 francs de patente et cela pour un seul bateau !
Les pétitionnaires appellent encore, messieurs, votre attention sur les considérations suivantes :
En France, le droit de patente ne s'élève qu'à 15 centimes par tonneau.
Les bateliers belges, indépendamment de la patente belge, payent en France une patente de trente-cinq francs par bateau et ils y séjournent les deux tiers de l'année, tandis qu'en Belgique oh ils ne passent que le tiers de l'année, ils payent trois fois plus, c'est-à-dire 45 centimes par tonneau.
Ils terminent en disant que votre équité, messieurs, leur inspire la confiance que vous ferez droit à leurs légitimes réclamations, etc.
La commission conclut au renvoi à M. le ministre des travaux publics.
M. de Paul. - Je crois inutile de joindre mes instances aux conclusions du rapport pour demander le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances. La nécessité de ce renvoi est incontestable. Je pense qu'il sera incontesté.
Je me borne donc à prier M. le ministre des finances de vouloir accorder une très sérieuse attention aux justes plaintes des bateliers. Ces industriels, en effet, sont soumis à un droit de patente tout à fait exorbitant et injuste, qui n'est nullement en rapport, ni avec l'objet imposé (le bateau), ni arec les bénéfices que le batelier peut espérer de son industrie, ni avec le taux général des patentes.
Veuillez-le remarquer, l'injustice est bien plus grande encore que ne le disent les pétitionnaires. Ils ne parlent, en effet, que d'un simple droit de 45 c. par tonneau, tandis que pour un grand nombre de transports, surtout à l'importation et à l'exportation, le droit est de 75 c. par tonneau, c'est-à-dire que le batelier qui possède un bateau ordinaire, valant de 8 à 10 mille francs, peut être frappé d'un droit de patente de 150 à 160 francs, qu'il paye dans ce cas plus que le propriétaire d'un haut fourneau qui a besoin d'un capital de 2 à 3 cent mille francs pour activer son usine, qu'il paye autant que le fabricant qui emploie cent ouvriers, alors que lui, batelier, exerce sa profession à l'aide d'un simple haleur, d'un seul charretier.
Il faudrait citer toute la loi pour montrer combien ce droit est injuste ; je crois cela inutile, je suis persuadé que le gouvernement voudra réparer cette injustice et placer les bateliers dans le droit commun, lorsque viendra la révision de la loi générale des patentes, révision qui nous est promise par le gouvernement.
Mais il me reste une crainte : c'est que cette révision ne se fasse trop longtemps attendre, et faudra-t-il que l'injustice que je signale perdure jusqu'à cette révision plus ou moins lointaine ? Je crois la chose impossible. Il est toujours urgent de réparer une injustice, surtout en matière d'impôt, et dans l'espèce l'urgence est d'autant plus grande que l'injustice saute aux yeux de tout le monde et qu'il est cependant très facile de la faire disparaître ; il ne s'agit en effet que de changer un seul chiffre dans la loi de 1842.
Il y a encore un autre motif d'urgence ; l'état de choses actuel blesse considérablement les intérêts de l'industrie en général et particulièrement de l'industrie charbonnière et de la métallurgie qui alimentent presque seules notre navigation intérieure. Je dois rappeler que ces deux industries sont aujourd'hui soumises à une concurrence assez rude de la part des charbons et de la fonte de l'Angleterre, non seulement sur le marché français, mais sur notre propre marché ; le (page 287) meilleur moyen de venir efficacement en aide à ces deux industries, le seul moyen peut-être, c'est de diminuer autant que possible les frais de transport.
Or une réduction très considérable, quoique juste, sur le droit de patente des bateliers, amènera nécessairement une diminution dans le prix du fret ; c'est incontestable,
Je sais que cette mesure est insuffisante ; mais elle est très promptement et très facilement réalisable ; par conséquent elle ne peut pas être négligée. Au surplus, elle nous permettra d'attendre plus patiemment d'autres mesures beaucoup plus importantes que le gouvernement nous a aussi promises, par l'organe de M. le ministre des travaux publics, le mois d'avril dernier, en réponse à une interpellation de mon honorable ami M. Brixhe ; mesures qui doivent avoir pour objet ou plutôt pour résultat d'améliorer toute notre navigation fluviale.
Je crois donc pouvoir prier M. le ministre des finances de bien vouloir, pour le cas où la révision de la loi générale tarderait trop longtemps à se produire, présenter à la Chambre un projet de loi spéciale, modifiant dans le sens d'une très large réduction la loi de 1842, qui fixe le taux de la patente des bateliers. Cette loi ne serait que provisoire et serait refondue dans la loi générale.
L'opération, comme je viens de le dire tout à l'heure, est excessivement facile. Si je ne me trompe, la loi de 1842 n'établit qu'un droit unique de patente pour les bateliers ; c'est le droit de 15 c. par tonneau et par voyage. Seulement pour certaines matières transportées le batelier peut être astreint à payer trois voyages par an, et pour d'autres matières il est astreint à payer cinq voyages, c'est-à-dire à payer 75 c. par tonneau.
Eh bien, toute la modification consisterait à réduire, soit des deux tiers, soit des trois quarts, ce droit fixe de 15 c. par tonneau. Le surplus de la loi resterait entier.
Je prie M. le ministre des finances de bien vouloir examiner s'il veut user de son initiative dans cette circonstance ; sinon, d'honorables collègues et moi nous serions obligés d'user de notre initiative pour proposer, dans le sens indiqué, un projet de loi.
M. Brixhe. - Messieurs, j'ai quelques observations à faire par suite du discours que vous venez d'entendre.
Dans la session dernière, j'ai eu l'honneur d'exposer à la Chambre l'urgente nécessité de donner à la Sambre canalisée son tirant d'eau légal, tirant d'eau sans lequel le bassin charbonnier de la Sambre ne pourrait soutenir la concurrence que lui fera le bassin de Mons lorsque celui-ci embarquera ses charbons à Haumont pour le marché commun vers Paris.
L'honorable ministre des travaux publics, répondant à mes interpellations, a bien voulu promettre d'étudier la question afin de faire droit aux réclamations dont je m'étais rendu l'organe.
J'ai donc l'honneur de prier M. le ministre de vouloir bien nous faire connaître quels sont les travaux qu'il se propose de faire exécuter pour améliorer la navigation de la Sambre qui n'a d'ailleurs jamais été régulièrement établie.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - En réponse à la demande de renseignements qui vient de m'être adressée, je dois déclarer qu'immédiatement après la réponse que j'ai faite dans cette enceinte, j'ai chargé l'ingénieur de l'arrondissement de Charleroi de se mettre en relation avec son collègue du département voisin en France, pour étudier les améliorations à apporter au régime de la Sambre. J'attends le travail de ces fonctionnaires.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Mon attention a déjà été appelée sur la position des bateliers. Je suis d'avis qu'il y a lieu de diminuer le droit qui les frappe, et j'en ferai la proposition à l'occasion de la révision qui se fait maintenant de la loi de patentes ; dans le courant de cette session, un projet de loi sur cette partie de notre législation sera présenté à la Chambre.
Le droit de patente du batelier est plus élevé que celui des autres assujettis à cet impôt ; précédemment, en vertu d'une loi de 1819, il existait un droit de navigation à l'intérieur, ce droit s'élevait à un florin cinq cents et à 88 cents par tonneau ; il était en harmonie avec le droit de tonnage établi sur les navires de mer.
En 1821, le droit de navigation a été transformé en droit de patente. Mais en réalité, sauf une diminution, il conservait la même nature.
La loi de 1842 a réduit encore ce droit à un taux beaucoup plus faible et c'est celui qui nous régit maintenant. Il n'est à peu près que du tiers de celui qui avait été établi par la loi de 1819.
Néanmoins, je le répète, je reconnais qu'il est encore trop élevé, et mon intention est de le réduire encore par la loi qui sera présentée à la Chambre.
M. de Paul. - Je remercie M. le ministre des finances de la promesse qu'il veut bien nous faire. Je suis.heureux de l'intérêt qu'il porte à l'industrie du batelage. Cependant si cet intérêt ne se traduit pas en fait, si ce n'est qu'une promesse dont la réalisation dépend de la présentation d'une loi que nous attendons avec impatience, mais que nous n'espérons guère obtenir dans cette session, je serais forcé d'user de mon initiative et de faire une proposition de révision de la loi de 1842.
Je ne me rappelle pas bien les termes de la loi de loi. Cependant si j'ai bonne souvenance, les bateliers ne sont soumis par cette loi à aucun droit de patente. Ce n'est que dans la loi de 1823 qu'une patente a été établie.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je viens de dire qu'il existait, un droit de navigation beaucoup plus élevé, qui avait été remplacé par le droit de patente.
M. de Paul. - C'est possible ; mais les droits de navigation sont encore tellement exagérés aujourd'hui, que tout le monde reconnaît la nécessité de les modifier. Je ne crois donc pas qu'on puisse, pour se refuser à diminuer immédiatement la patente des bateliers, invoquer cette circonstance que certains droits de navigation auraient été réduits ; au surplus, parmi les mesures d'amélioration que le gouvernement nous a promises se trouve celle d'une réduction de droits de navigation, il reconnaît donc que ces droits sont encore exagérés.
Je crois donc que les observations de M. le ministre ne changent rien à ce que j'ai dit quant à la nécessité de réviser immédiatement la loi de 1842.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. Wautelet. - Messieurs, à l'occasion du budget des voies et moyens soumis en ce moment à nos délibérations, une discussion déjà longue s'est élevée relativement à la démonétisation de l'or et au système monétaire actuellement en vigueur en Belgique.
Mon intention, messieurs, était d'abord de prendre la parole dans cette discussion pour appeler la sérieuse attention du gouvernement sur les inconvénients, les difficultés et les pertes que fout éprouver au commerce dans les circonstances actuelles la démonétisation de l'or et le refus de recevoir dans les caisses de l'Etat les pièces d'or françaises.
Mais j'aurais renoncé à le faire, car ce but était atteint, puisque déjà plusieurs orateurs se sont occupés de ce point de vue de la question et ont signalé à la Chambre la perturbation profonde et les entraves de toute nature que cet état des choses jette dans les affaires et notamment dans les relations si nombreuses et si importantes de la Belgique avec un pays voisin.
Mais la déclaration faite par M. le ministre des finances, qu'à son avis il n'y a rien à modifier quant à présent au système monétaire qui nous régit, m'oblige à prendre la parole.
Cette déclaration faite, m'a-t-il paru, d'une manière très positive, m'a fait penser qu'il n'entrait pas dans les vues du gouvernement de tenir compte des réclamations nombreuses qui lui ont été adressées de toute part pour signaler les inconvénients du système actuel et y demander des modifications.
S'il en est ainsi, je crois remplir un devoir en m'élevant contre le système que le gouvernement semble vouloir maintenir, parce qu'à mes yeux ce système, non seulement, crée des difficultés dans les opérations commerciales et entrave nos rapports avec la France ; mais il présente encore pour le pays des dangers de plus d'une espèce, que je crois utile de signaler à votre attention.
On doit se le rappeler, messieurs, la loi de 1850 qui règle notre système monétaire, a été proposée par le gouvernement et votée par la législature sous l'influence de la préoccupation générale qu'avaient causée la découverte et l'exploitation des mines aurifères de la Californie ; il paraissait alors que l’Europe allait être inondée des produits fabuleux de ce nouveau Pérou, et que, par suite, une dépréciation notable viendrait frapper l'or en circulation.
Ces prévisions, on doit en convenir, paraissaient fondées, elles étaient admises par les publicistes et les économistes les plus distingués, et je crois même qu'elles n'ont été combattues par personne.
Qu'est-il arrivé, cependant, depuis bientôt six ans que ces prédictions étaient accréditées, et alors qu'une valeur de plusieurs milliards d'or avait été déversée sur l'Europe ?
Il est arrivé qu'au grand étonnement des économistes et des publicistes, et bon nombre d'entre eux en ont fait l'aveu, il est arrivé, dis-je, que ces prédictions qui paraissaient si fondées, ne se sont pas réalisées, et que la valeur de l'or, la monnaie d'or n'a subi aucune réduction appréciable. (Interruption.)
Je le répète, messieurs, l'or n'a subi aucune dépréciation, au moins aucune dépréciation sensible. Ce phénomène, qui au premier coup d'œil paraît étrange et même inexplicable, peut cependant à mon avis recevoir une explication toute naturelle et toute logique, si l'on tient compte des faits économiques qui se sont produits depuis quelques années.
S'il est vrai de dire que la valeur d'une matière varie en plus ou en moins en raison de sa rareté ou de son abondance, le principe cependant ne peut jamais être admis d'une manière absolue, il faut tenir compte des circonstances.
Ainsi, dans l'espèce, on ne peut pas dire que la valeur de l'or doit nécessairement diminuer parce que les arrivages en augmentent considérablement la quantité ; il faut tenir compte d'autres circonstances et examiner si, en même temps que l'or augmentait en quantité, il n'avait pas à satisfaire à des besoins plus considérables, à intervenir dans des opérations plus étendues, si, en un mot, il n'y avait pas proportion réelle entre l'augmentation en quantité et la progression des opérations auxquelles il devait prêter son concours.
Or, messieurs, il est incontestable que depuis dix ans le mouvement (page 288) des affaires s'est accru d'une manière incalculable ; les entreprises de toute nature, commerciales, industrielles et autres, les chemins de fer surtout ont nécessité l'emploi et nécessitent encore tous les jours de telles masses de capitaux, qu'on peut dire avec quelque raison que si les mines d'Australie ont déversé sur l'Europe des quantités énormes d'or, les besoins nouveaux qui se sont produits par suite des entreprises gigantesques de l'époque ont absorbé tout cet or, de telle sorte que son abondance relative n'a pas varié.
S'il en est ainsi, messieurs, et je crois être dans le vrai, cela explique comment il se fait que la valeur d'or n'a pas varié d'une manière sensible, malgré l'importation immense qui s'est faite de ce métal.
Mais, a-t-on dit, la valeur de la monnaie d'or a baissé, et baisse encore tous les jours, puisque, aujourd'hui, elle n'est plus en rapport avec la valeur de la monnaie d'argent qui est notre type, notre étalon monétaire.
Cela est vrai aujourd'hui, je m'empresse de le reconnaître ; mais je suis loin d'admettre la conséquence qu'on veut en tirer ; la différence qui existe en ce moment entre la valeur d'or et la valeur d'argent peut être attribuée à l'augmentation dans la valeur de l'argent aussi bien qu'à la réduction de la valeur de l'or ; et dans l'espèce, je maintiens qu'il en est ainsi, et que c'est à la plus-value de l'argent qu'on doit attribuer l'écart qui existe aujourd'hui entre les deux monnaies.
Voici, messieurs, quels sont les motifs sur lesquels j'appuie mon opinion ; je viens de vous dire pourquoi, à mon avis, l'or, malgré son abondance, n'a pas diminué de valeur.
Maintenant il ne me sera pas difficile, je crois, de prouver que la valeur de la monnaie d'argent a augmenté et que cette augmentation non seulement persistera, mais encore qu'elle atteindra de telles proportions, que forcément nous serons obligés, mais malheureusement trop tard, d'abandonner le système monétaire basé sur l'étalon d'argent.
En effet, messieurs, la matière d'argent n'a été importée en Europe pendant les dix dernières années, que dans des proportions relativement minimes, et si, dans le mouvement des affaires qui s'est développé depuis lors, le rôle de l'argent avait dû être aussi actif, aussi indispensable que celui de l'or, nul doute que sa valeur eût augmenté considérablement ; mais la monnaie d'or ayant pu, pour la plupart des cas, suppléer à l'insuffisance de l'argent, cette dernière monnaie a conservé sa valeur normale, et pendant tout cet intervalle, sauf cette dernière année on a vu la monnaie d'or et celle d'argent marcher de pair et satisfaire concurremment aux besoins des transactions commerciales, industrielles et autres.
Depuis quand, messieurs, la différence qui existe aujourd'hui entre l'or et l'argent, a-t-elle été signalée à l'Europe et depuis quand a-t-elle causé celle perturbation dont nous nous plaignons et dont les orateurs qui m'ont précédé ont signalé les nombreux inconvénients ?
Ces faits, messieurs, se sont produits depuis que l'exportation de l'argent a pris des proportions considérables, par suite des besoins nouveaux, créés par les relations qui se sont établies avec les Indes occidentales.
Ainsi, messieurs, c'est depuis qu'une cause connue, une cause nouvelle a exercé son influence sur la monnaie d'argent ; c'est depuis lors que l'écart s'est établi entre la valeur d'or et la valeur d'argent ; or, la cause déterminante de cet écart frappant exclusivement sur cette dernière matière, c'est celle-ci dont la valeur en se modifiant a déterminé la différence qui existe entre les deux métaux ; c'est donc l'argent qui a augmenté de valeur, tandis que l'or est resté stationnaire.
Cela paraît surtout évident, messieurs, si l'on considère que pendant plusieurs années, malgré les énormes quantités d'or importé en Europe, la valeur de la monnaie d'or est restée sensiblement la même, et ce n'est que lorsqu'une cause nouvelle agissant sur la monnaie d'argent seule, la différence s'est déclarée. Dès lors il ne peut rester de doute que c'est l'argent qui a changé de valeur et non pas l'or.
Je tenais à bien constater ce fait, parce que c'est là où je vois le danger pour le pays qui devra, si on n'y apporte un prompt remède, subir une perturbation effrayante dans une époque plus ou moins rapprochée.
Si l'on se rend compte de la cause qui détermine l'exportation de l'argent, on doit se convaincre que cette cause n'est rien moins que temporaire, qu'elle est très sérieuse et que, non seulement elle continuera à exister pendant de nombreuses aimées, mais qu'à mesure que nous avancerons, son action deviendra plus énergique.
Aujourd'hui, l'écart existant entre la valeur de l'argent et la valeur de l'or est de 6 à 7 par 1,000 ; je m'étonne qu'il ne soit pas plus considérable ; et je pose en fait que si, en effet, les marchés nouveaux qui s'ouvrent aujourd'hui au commerce européen et qui complent 200 à 300 millions de consommateurs, persistent à recevoir, au moins pour la plus grande partie, la monnaie d'argent en échange de leurs produits,il arrivera que cette monnaie deviendra beaucoup plus rare, que l'écart pourra aussi bien s'élever à 20, 25 et même 50 p. mille.
Il arrivera alors un moment où quoi que l'on fasse, la monnaie d'argent, qui est la seule monnaie qui ait cours en Belgique, disparaîtra à peu près complètement.
Notre honorable collègue, M. Dumortier, vous a signalé hier les dangers qui menaceraient le pays si jamais cette éventualité venait à se réaliser, et si nous n'avions plus en Belgique que du papier-monnaie au cours nécessairement forcé pour faciliter nos transactions.
J'ai cherché vainement, messieurs, quels seraient les inconvénients qui pour le pays seraient la conséquence du retour au système ancien, en prenant l'or comme étalon monétaire, et en donnant cours légal à l'or français ; je n'en ai trouvé aucun.
Un honorable membre vous a dit, qu'admettre l'or français au cours légal, ce serait diminuer la fortune nationale ; j'avoue que je ne comprends rien à cette allégation ; quel que soit le type monétaire admis, je ne crois pas que les valeurs mobilières ou immobilières qui composent la fortune publique, viendraient à changer de valeur.
Evidemment si l'unité monétaire admise était en réalité en dessous de la valeur actuelle, il en résulterait que le chiffre représentatif de chaque objet serait augmenté ; ainsi, en admettant, que l'unité monétaire fût en dessous de 10 p. c. de la valeur actuelle, il s'ensuivrait par exemple, qu'un immeuble d'une valeur de 100 mille francs aujourd'hui, serait représentée alors par un chiffre de 110 mille francs, mais la valeur réelle, resterait toujours la même.
En résumé, messieurs, si nous devons changer de système, et c'est ce que je conseille de faire, il faut le changer immédiatement, il ne faut pas attendre que les obstacles et les inconvénients soient devenus plus grands, car plus vous attendrez, plus les changements que vous aurez à faire vous seront onéreux, plus il vous sera difficile de les opérer sans compromettre le trésor, ou sans froisser les intérêts des créanciers de l'Etat.
Ce n'est pas parce qu'une question est difficile qu'il faut en reculer l'examen ; c'est parce que la question est grave, parce que ses conséquences peuvent le devenir davantage qu'il importe de l'examiner aujourd'hui avec le plus grand soin, qu'il importe de la résoudre.
J'appelle donc l'attention sérieuse du gouvernement sur la nécessité de modifier notre système monétaire et sur la responsabilité immense qu'il assumerait, s'il ne s'occupait pas immédiatement de ces modifications.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, l'honorable membre qui vient de prendre la parole engage le gouvernement à s'occuper sérieusement de la question monétaire.
Dans ces derniers temps, la presse a beaucoup agité cette question ; de nombreuses brochures ont été publiées sur cette matière. J'ai lu attentivement tout ce qui a été écrit d'intéressant à ce sujet. C'est après avoir pris connaissance des divers documents qui ont paru que je reste dans l'opinion que, dans l'intérêt du pays, le plus sage est de ne rien changer à l'état actuel des choses, du moins quant à présent.
Je crois que toutes mesures quelconques qui seraient prises, loin d'être utiles, seraient nuisibles.
Les difficultés que le commerce des localités qui avoisinent les frontières du midi éprouve en ce moment, n'existent pas par le fait du gouvernement belge ; elles sont indépendantes de son action.
Qu'arrive-t-il ? qu'une monnaie dont ces localités avaient l'habitude de faire usage dans une partie de leurs transactions commerciales, a diminué de valeur relativement à notre étalon monétaire, en d'autres termes que l'or a diminué de valeur relativement à l'argent. Est-il en notre pouvoir de lui rendre cette partie de valeur qu'il a perdue ? Assurément nous essuierons une perte et en l'acceptant à sa valeur nominale nous ferions disparaître notre monnaie d'argent.
La question de savoir si c'est la valeur de l'or qui diminue, ou celle de l'argent qui augmente a peu d'intérêt dans le système du double étalon ; je suis du reste porté à croire que les deux métaux ont diminué de valeur, mais que la diminution a été plus forte pour l'or que pour l'argent.
Je dis que les deux métaux ont diminué de valeur, et j'en juge par le prix plus élevé de la plupart des objets qui sont dans le commerce et notamment des subsistances.
Si la France n'avait qu'un étalon monétaire, nous n'éprouverions pas les difficultés dont a parlé mon honorable ami M. Wautelet.
Dans la supposition qu'elle eût eu l'or pour unique étalon monétaire, il se serait établi une proportion entre notre franc argent et le franc or.
La valeur relative de l'un à l'autre serait connue, et les transactions se feraient en conséquence.
Mais le double étalon existant encore dans ce pays il en résulte une certaine confusion, des embarras dans nos relations commerciales avec lui, mais il est probable qu'ils ne seront que momentanés ; peu à peu les transactions se régleront avec la France comme elles se règlent avec tous les pays dont le système monétaire est différent du nôtre.
L'honorable membre a signalé lui-même une raison capitale pour maintenir, selon moi, l'étalon argent ; à moins que de nouveaux faits ne se produisent et détruisent les prévisions actuelles, l'argent, selon moi, a toute chance de conserver plus de stabilité dans sa valeur ; l'or semble destiné à une plus forte dépréciation ; dès lors si nous adoptions ce dernier métal comme étalon monétaire, nous porterions préjudice aux fortunes mobilières, et notamment à tous ceux qui possèdent des fonds publics.
Les obligations de l'Etat s'amoindriraient ainsi entre les mains des porteurs sans qu'il y eût faute de leur part, et uniquement par l'action du gouvernement ; cela serait injuste et très regrettable.
Un honorable membre m'interrompt pour me faire observer que dans le système contraire c'est le gouvernement qui perdra ; mais l'expérience a prouvé que la valeur de l'or et de l'argent perd constamment.
Depuis des siècles la valeur de ces métaux relativement à celle de la plupart des autres objets qui sont à notre usage a toujours (page 289) diminué ; la probabilité est donc qu'il en sera de même à l'avenir ; mais ce fait ne se produira pas par l'action du gouvernement du moment que nous maintenons comme étalon celui des deux métaux qui conserve la valeur la plus élevée. Nous n'aurons donc rien à nous reprocher.
Je voudrais qu'on donnât au gouvernement un conseil qu'il pût suivre ; jusqu'à ce jour je n'ai entendu émettre aucune idée qui me paraisse pouvoir être adoptée.
J'ai étudié la question, j'ai eu de nombreux entretiens avec les hommes du pays qui se sont plus spécialement occupés de cette matière, je n'ai rien trouvé jusqu'à présent qui permette de formuler un système qui dans l'état actuel des choses soit préférable à celui qui est en vigueur dans notre pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Messieurs, la discussion à laquelle la Chambre s'est livrée hier, sur la valeur relative de l'or, me semble intéressante et de nature à être utile au pays, mais à la condition cependant qu'aucune résolution ne soit prise.
D'abord sur des questions de ce genre, on ne doit pas prendre de résolution dans les moments de crise, car on peut être impressionné par les événements qui se passent autour de soi, en recevoir une influence fâcheuse et prendre une résolution qui entraîne de graves conséquences pour l'avenir.
Quand les crises se prolongent avec une trop grande intensité, on peut bien recourir à des expédients pour parer au plus pressé, mais on ne prend pas une résolution héroïque comme celle de changer d'étalon monétaire, résolution qui pourrait avoir de graves conséquences dans le pays.
Je me suis levé après avoir entendu l’honorable M. Wautelet pour donner quelques éléments de plus à la discussion.
Il n'y a guère que six ans que les arrivages d'or sont si considérables ; il est impossible qu'on ait encore l'expérience de l'action que ces arrivages pourront exercer sur les valeurs relatives de l'or et de l'argent.
Pendant trois ans, il y a eu trois exutoires considérables à l'or ; c'est d'abord l'immense développement de travaux publics qui a absorbé une grande masse de capitaux, mais il ne les a pas fait disparaître, car les travaux n'ont fait que faire passer l'or de la poche de l'un dans la poche de l'autre, ils ne l'ont pas détruit ; au contraire, cet or dépensé en travaux publics est destiné à donner des intérêts considérables et à augmenter la masse des valeurs en circulation.
Mais nous avons eu deux autres exutoires : pendant trois années, nous avons eu de mauvaises récoltes et l’or de l'Europe a servi à payer les immenses approvisionnements de grains que nous avons reçus de l'étranger.
Il est probable que cet or ainsi exporté n'est revenu qu'en partie.
En troisième lieu, nous avons eu la guerre d'Orient qui a absorbé 3 à 4 millions par jour.
Mettez que la moitié de ces 3 à 4 millions restaient en Europe, pour payer les approvisionnements qu'on envoyait à l'armée, il n'en est pas moins vrai qu'il s'exportait tous les jours deux millions de numéraire vers l'Orient.
On sait que les Orientaux ont l'habitude de cacher, d'enfouir leurs trésors ; de sorte que ces 1,500 à 1,800 millions employés pour l'entretien de l'armée sur les lieux, sont restés sur les rives de la mer Noire, sont dispersés en Orient. Reviendront-ils oui ou non, je n'en sais rien, cela importe peu, mais ce qui est certain c'est que ces pompes aspirantes n'existeront plus l'année prochaine. L'Europe a une récolte à peu près suffisante et les besoins que nous pourrons encore avoir de froment étranger, nous pourrons les payer au moyen d'échanges de produits fabriqués ; il n'y aura plus rien à envoyer pour les armées étrangères eu Orient.
Ce n'est qu'à dater de cette année que les arrivages d'or pourront commencer à produire leurs véritables conséquences. Il faut attendre l'expérience pour asseoir nos idées sur l'étalon que nous devons adopter. Nous avons pris l'étalon argent, nous devons le conserver jusqu'à ce qu'il soit prouvé à l'évidence que nous devons en changer.
La crise monétaire, d'après tous les renseignements commerciaux que nous recevons, commence à diminuer ; en Angleterre on commence à reconnaître que le courant qui emportait vers l’Inde et la Chine la monnaie d'argent commence à diminuer ; il est possible que bientôt nous ayons une autre crise aussi difficile à passer que celle-ci par suite d'un trop-plein d'or et d'argent.
La crise d'argent a été provoquée dans les Indes par les révolutions et les guerres continuelles qui désolent la Chine. La Chine n'a plus pris d'opium au commerce anglais et le commerce anglais a dû payer en pièces de 5 francs et en lingots d'argent le thé qu'il payait autrefois avec de l'opium.
De là est venue en partie la crise d'argent qui nous a gênés dans ces derniers mois. Les dernières nouvelles venues d'Angleterre donnent lieu de croire que cette crise va, non pas cesser, mais diminuer, et que le courant de l'or et de l'argent va changer de direction.
Le gouvernement doit veiller, observer, rester sur ses gardes, mais dans ce moment, il ne doit pas agir.
M. le président. - La parole est à M. de Renesse.
M. de Renesse. - M. le président, je n'ai pas demandé la parole pour traiter la question monétaire. Si donc d'autres de nos honorables collègues voulaient poursuivre cette intéressante question, je céderais volontiers mon tour de parole, sauf à le reprendre après ; car je tiens à répondre au discours de l'honorable ministre des finances qui semble avoir critiqué le vote que j'ai émis, ainsi que plusieurs de mes honorables collègues, sur le projet de loi allouant six millions pour des dépenses extraordinaires de l'administration du chemin de fer.
M. Prévinaire. - Messieurs, plusieurs des arguments principaux qui militent en faveur du maintien de l'argent pour étalon monétaire oui été présentés par M. le ministre des finances.
Il est évident qu'on ne peut discuter la question de l'or comme l’a fait l'honorable M. Wautelet, en examinant le point de savoir si l'or a conservé ou n'a pas conservé sa valeur vénale.
L'or a-t-il conservé la valeur qu'il avait, il y a quelques années, ou l'équivalence qui existait entre la monnaie d'or et la monnaie d'argent de France n'est-elle pas rompue ? Telle est la véritable question à examiner.
Y aurait-il aujourd'hui avantage pour la Belgique à donner cours légal aux monnaies d'or françaises ? Je n'hésite pas à déclarer que non.
Après avoir agi très sagement en supprimant d'abord sa propre monnaie et en faisant cesser le cours légal de la monnaie d'or étrangère ; et cela dans la prévision d'une baisse de la valeur comparative de l'or, il serait absurde, lorsque les prévisions se trouvent réalisées, de revenir à un système condamné par les faits.
Je ne conteste pas que la suppression du cours légal des monnaies d'or françaises ne produise une certaine gêne dans les relations de plusieurs de nos provinces avec la France.
Mais remarquez-le, messieurs, cette gêne ne se fût pas produite si l'ancienne équivalence entre les monnaies françaises d'or et d'argent ne se trouvait pas rompue.
Si l'or nous est présenté en payement aujourd'hui, c'est uniquement à cette cause qu'il faut l'attribuer. Jamais l'or français n'a constitué un élément sérieux de notre circulation monétaire. Au reste, ce qui se présente dans nos rapports avec la France, a existé depuis longtemps dans nos relations commerciales avec l'Angleterre.
Aujourd'hui, le change avec ce pays est augmenté de 2 p. c. relativement à ce qu'il était, il y a quelques années.
Le Belge qui a une créance commerciale à recouvrer à Londres, ne réalise en ce moment que 25 francs par livre sterling, tandis qu'il y a quelques années, il aurait reçu 25 francs 50 centimes par livre sterling.
Si donc plusieurs de nos provinces sont gênées dans leurs relations avec la France, c'est un état de choses équivalent à celui des provinces qui ont des relations suivies avec l'Angleterre. Parce que nous vendons pour plus de cent millions à la France, faut-il adopter ou maintenir un système en rapport avec ces relations et qui sont de nature à les favoriser ? Quand nous faisons des transactions avec la Hollande, pays avec lequel nous faisons pour trente-cinq millions d'affaires, nous nous soumettons à toutes les chances du change.
Ce qui se passe aujourd'hui tient aux relations commerciales internationales et en est la conséquence. Il est évident que quanti vous avez à payer ou à recevoir dans un pays, vous devez vous attendre aux variations que présente le change.
L'honorable M. Wautelet en reconnaissant que la valeur comparative de l'or peut subir une dépréciation plus considérable, en nous disant qu'il s'étonnait que cette dépréciation ne fût pas plus considérable, ne s'est pas aperçu qu'il fournissait un argument irréfutable contre sa proposition.
Comment soutenir en effet le rétablissement d'un étalon monétaire qui ne pourrait jamais s'équilibrer avec l'étalon d'argent, qui provoquerait l'exportation des monnaies d'argent et produirait dans le cas prévu une réduction rapide de la valeur des capitaux.
L'équivalence légale en France entre l'or et l'argent est de 15 1/2 kil. d'argent pour 1 kil. d'or ; pourquoi admettrions-nous cette proportion lorsqu'elle n'existe plus aujourd'hui, et que dans l'avenir l'or s'échangera peut-être contre un poids d'argent 8 ou 10 fois plus fort ?
En adoptant la proposition de l'honorable M. Wautelet, nous nous priverions de la faculté de nous enrichir. C'est évident.
Aujourd'hui, les rentiers de l'Etat reçoivent des francs d'argent. Vous voudriez qu'ils ne reçussent plus que des francs d'or qui ont une valeur moindre et dont la valeur peut baisser encore au point de leur offrir un dommage de 50 p. c.
Pourquoi priver les rentiers de l'Etat de l'avantage que leur offre, que leur assure l'étalon d’argent ?
M. Wautelet. - Et les contributions !
M. Prévinaire. - On payera davantage en contributions. Mais ce sont des intérêts tout différents. Je puis avoir 20,000 francs de rentes sur l'Etat et ne payer que 1,000 francs de contributions ; l'impôt que l'on acquitte se trouve dans une proportion minime avec le produit du travail et avec la fortune privée ; l'impôt bien assis conservera donc son caractère de proportionnalité, quel que soit l'étalon monétaire. Pourquoi a-t-on admis l'or et l'argent comme étalon monétaire ? A cause de la fixité qu'on attribuait à leur valeur ; du moment qu'il est démontré que l'un de ces deux métaux ne remplit plus cette condition au même degré que l'autre, il faut préférer celui-ci. Si la valeur de l'or n'était plus, dans des circonstances extraordinaires, que de dix fois la valeur du fer, il faudrait y renoncer comme type monétaire.
(page 290) Voilà précisément ce qui se produit dans une mesure très modérée il est vrai ; mais tout fait prévoir que la dépréciation comparative de l'or augmentera, à moins d'événements qui changent subitement les conditions d'exploitation des gisements argentifères du Mexique. La production de l'or se trouve dans des conditions toutes différentes de celle de l'argent ; la première s'est élevée en 1855 à une valeur de près de 1,700,000 de francs, tandis que celle de l'argent n'a été dans la même année que d'environ 250 millions.
Le défaut d'équivalence dans la production respective de l'or et de l'argent devait nécessairement faire cesser le rapport légal établi en France entre les deux étalons monétaires.
L'honorable ministre des finances a répondu la seule chose qu'il y eût à dire dans les circonstances actuelles : Il faut voir ; il faut attendre. Il est évident qu'il se préoccupe surtout de faits nouveaux qui sont de nature à changer du jour au lendemain la situation du change en France et en Belgique.
Du moment que le change se, relèvera, qu'il n'y aura plus un écart d'un p. c. vous serez dans d'excellentes conditions ; vous n'aurez plus à souffrir des payements en monnaie d'or. On acceptera l'or comme métal à des conditions telles, que le commerce belge pourra l'accepter en payement, parce qu'il pourra s'en défaire sans perte.
Une des grandes causes qui ont, dans les derniers temps, déterminé des exportations d'argent, c'est la mesure qu'a prise la compagnie des Indes dans les colonies anglaises. Le type monétaire du pays est l'argent. Mais la compagnie avait par tolérance admis l'or. Or, voyant dans ces derniers temps que l'or affluait avec une abondance excessive dans ses caisses, la compagnie a tout à coup déclaré qu'elle n'acceptait plus de monnaie d'or.
De là une hausse considérable qui s'est produite sur la monnaie d'argent et par suite une exportation qui s'est établie de l'Angleterre vers les Indes.
Mais, comme l'a fait remarquer tout à l'heure l'honorable ministre des affaires étrangères, précisément à l'heure qu'il est, des faits nouveaux se sont produits qui sont de nature à ramener peut-être ce courant dans la direction de l'Europe.
M. Frère-Orban. - Messieurs, il me semble que la discussion à laquelle on se livre présente peu d'utilité, car, dans la séance d'hier, personne, je pense, n'a conseillé au gouvernement de changer notre système monétaire. On s'est borné à se plaindre d'un état de chose auquel le gouvernement ne peut rien, à signaler, en les exagérant, les inconvénients de la situation actuelle. Mais l'honorable M. Dumortier lui-même s'est défendu de l'idée de conseiller au gouvernement de frapper de la monnaie d'or.
M. Dumortier. - J'ai respecté vos scrupules.
M. Frère-Orban. - Je crois que vous avez peu d'égard pour mes scrupules.
M. Dumortier. - Vous voyez que j'en ai beaucoup.
M. Frère-Orban. - Je crois que mes scrupules exercent fort peu d'influence sur vous et je suis d'autant plus porté à le croire que sans le moindre égard pour les scrupules que vous me supposez, vous avez fait de l'introduction de l'étalon d'argent un petit roman où pas un seul fait ne se trouvait exact.
Ainsi vous disiez hier :
« Jusque dans ces dernières années l'or avait cours comme l'argent, pourvu qu'il fût au type monétaire admis dans ce pays. Mais tout à coup on découvre de riches mines dans la Californie, on en découvre dans l'Australie. Voilà qu'aussitôt les économistes se mettent en mouvement et en peine et qu'ils nous prédisent que l'or va devenir tellement commun qu'on en fera des batteries de cuisine. Un honorable ministre de cette époque entre dans cette Chambre, il prétend que l'or est une chimère et qu'il faut le démolir, et l'on vote la suppression de l'or comme monnaie en Belgique.
« Voilà la situation. »
M. Dumortier. - C'est très vrai.
M. Frère-Orban. - C'est très vrai ! Pas trop. Et, par exemple, quoique la chose vienne encore d'être répétée par l'honorable M. Wautelet, les mines de l'Australie n'étaient pas même découvertes à cette époque. Il est donc assez difficile d'admettre que ce soit à raison de la découverte des gisements aurifères de l'Australie que la mesure proposée en 1850 par le gouvernement ait été déterminée.
M. Rodenbach. - La Californie était découverte.
M. Frère-Orban. - Nous commencerons donc par supprimer l'Australie.
Nous passons à la Californie. Eh bien, les gisements aurifères de la Californie ont été découverts, si je ne me trompe, en 1848, et en 1850 on n'avait que les données les plus vagues et les plus incertaines sur les conséquences de la production de l'or dans ce pays. Aussi dans la discussion de la loi de 1850, c'est à peine s'il a été question de la Californie, c'est à peine si l'influence que ces découvertes pouvaient exercer a été comptée pour quelque chose dans la détermination que la Chambre a prise alors. On attribuait à d'autres causes la dépréciation de l'or et on niait qu'elle dût persévérer.
Quelles sont donc, messieurs, les raisons qui ont engagé le gouvernement en 1850 à proposer de maintenir uniquement l'étalon d'argent, comme étalon monétaire en Belgique ?
Nous étions à cette époque sous l'empire de la loi du 5 juin 1832 et de la loi du 25 mars 1847.
La loi du 5 juin 1832, comme la législation française (car cette loi n'était guère que la copie de la loi de l'an XI), avait admis les deux étalons, ou plutôt elle avait donné cours légal à l'or et à l'argent. La loi du 25 mars 1847 avait autorisé le gouvernement à battre une monnaie spéciale, une monnaie exceptionnelle, à quantité déterminée, jusqu'au chiffre de 20 millions de francs. Il n'y avait pas d'or dans la circulation, sauf les pièces de 10 florins qui avaient été maintenues jusque-là par tolérance, car depuis 1832, le gouvernement était autorisé à les démonétiser. Mais jamais ni les pièces de 20 francs, ni les pièces de 40 francs ne purent pénétrer dans la circulation, par la raison toute simple que ces pièces gagnaient un agio. On les vendait avec bénéfice et par conséquent elles ne circulaient pas. La circulation réelle, la circulation vraie était la circulation d'argent.
Survinrent les événements de 1848. A cette époque, la pénurie de monnaie se faisait vivement sentir. On donna le cours forcé aux souverains anglais tarifés à un taux assez élevé, afin de les attirer dans la circulation. Mais par malheur le taux était un peu trop élevé et après peu de temps toute la circulation fut profondément modifiée ; l'on n'avait plus guère que des souverains anglais. L'or était très abondant en Belgique. Mais en présence de cette abondance de l'or que se passe-t-il ? Plaintes universelles, réclamations de tous genres, sommations au gouvernement de faire disparaître l'embarras dont on se plaignait. L'or abondait. Pourquoi l'or abondait-il ? Parce qu'on lui avait donné une valeur relativement supérieure à l'argent et qu'il y avait un grand bénéfice à exporter l'argent et à importer des guinées anglaises.
Lorsque les circonstances furent opportunes, le gouvernement, usant des pouvoirs dont il était investi, fit cesser le cours des souverains anglais.
La Hollande réalisa ensuite une mesure préparée depuis 1847 ; elle démonétisa les pièces de 10 florins.
Il devenait indispensable pour le gouvernement belge de démonétiser également les pièces de 10 florins. S'il ne l'eût pas fait, immédiatement la circulation en Belgique se serait exclusivement composée de pièces de 10 florins. On applaudit également à cette mesure.
Nous n'avions plus les souverains anglais ; nous n'avions plus les pièces de 10 florins et nous n'avions jamais eu les pièces de 20 et de 40 francs. Telle était la situation au moment où le gouvernement soumit à la Chambre la proposition de faire cesser le cours légal des pièces de 20 et de 40 francs.
Que disait alors le gouvernement ? Nous n'avons point d'or dans la circulation, il ne peut donc résulter aucun embarras, aucun inconvénient de la démonétisation de pièces dont on ne se sert pas. Tout fait présager une dépréciation de l'or. On le nie cependant ; mais raisonnons dans les deux hypothèses : ou la valeur de l'or baissera ou la valeur de l'or se maintiendra ; si le prix de l'or baisse, vous aurez des pièces de 20 francs qu'il y aura préjudice à recevoir et on nous enlèvera nos pièces de 5 francs, parce qu'on aura avantage à le faire ; si, au contraire, la valeur de l'or se maintient, vous n'aurez point de pièces de 20 francs. Il est donc inutile de conserver une disposition légale qui ne sera invoquée que quand elle deviendra nuisible au pays. Ce dilemme parut concluant.
Aussi, messieurs, la démonétisation des pièces de 20 et de 40 francs fut adoptée à une immense majorité. Les opposants à la loi, si j'ai bon souvenir, ne contestèrent même point cette disposition ; la seule disposition qui fut sérieusement critiquée est celle qui concernait la démonétisation immédiate de la pièce de 25 francs. Les événements ont suffisamment prouvé qu'on a agi fort sagement, en donnant au gouvernement le pouvoir de démonétiser les pièces de 25 francs, et que le gouvernement a très bien fait de retirer ces pièces de la circulation.
Comme vous le voyez donc, messieurs, ce n'est point par amour d'une théorie, ce n'est point pour faire prévaloir l'étalon d'argent sur l'étalon d'or, ce qui eût été assez puéril, c'est par nécessité et par prudence que les mesures, sous l'empire desquelles nous vivons actuellement, ont été décrétées. Le temps a donné raison au gouvernement contre ses détracteurs, Il suffisait, pour se déterminer, de raisonner purement et simplement dans l'hypothèse probable d'une dépréciation de l'or qui était alors indiquée par quelques signes assez inquiétants. Aujourd’hui cette probabilité est devenue une réalité. Si l'or n'avait pas été démonétisé, toute notre circulation aurait été transformée, les pièces de 5 francs auraient disparu complètement.
Il semble à quelques honorables membres et notamment à l'honorable M. Wautelet, qu'une telle situation ne présenterait rien de fâcheux. Suivant ces honorables membres, il serait indifférent pour le pays que la circulation s'établît en or. Mais il y a à cela beaucoup d'inconvénients et de très graves. Chacun des métaux précieux a, sans doute, ses avantages et ses inconvénients ; l'or a cet avantage de présenter une grande valeur sous un petit volume, mais il a ce grave inconvénient de ne point se prêter aux petites transactions, de ne pas pouvoir présenter des coupures suffisantes pour les affaires journalières. La pièce de cinq francs au contraire, qui a l'avantage de se prêter à tous ces usages journaliers, offre une somme relativement faible sous un grand volume.
Eh bien, ayant à opter entre les deux métaux, abstraction faite des chances de dépréciation de leur valeur, on inclinerait peut-être assez facilement, dans notre pays, à se prononcer pour l'argent.
Dans notre pays, où la masse des petites transactions, des petits payements est très considérable, il faut avoir une monnaie qui se prête (page 291) facilement aux petites affaires. Aussi, messieurs, c'est pourquoi il y eût de si vives réclamations lorsque devinrent surabondantes les guinées dans le pays. Les petites transactions étaient devenues en quelque sorte impossibles. Aujourd'hui en France, où la pièce d'or s'est substituée à l'argent, on éprouve beaucoup de difficultés pour les payements journaliers. On les atténue par une monnaie auxiliaire, comme cela existe en Angleterre.
Au surplus, lorsque l'on a un double étalon inscrit dans une loi, on n'a en réalité qu'un seul étalon.
En fait, un seul étalon sert de mesure aux valeurs ; et quel est celui qui est employé ? C'est celui qui a le moins de prix. Nous avons eu vainement dans notre législation le double étalon, comme on l'a eu vainement en France. En vain, disait-on que l'on pouvait se libérer soit en or, soit en argent ; en quelle monnaie payait-on ? Jusque dans ces dernières années on payait en argent parce qu'il y avait plus d'avantage à payer en argent qu'à payer en or.
Aujourd'hui, la situation est changée dans les pays qui ont le double étalon comme en France : on a plus d'intérêt à payer en or qu'à payer en argent. En conséquence tous les payements se font en or, toute la circulation se trouve être en or. Aux yeux de l'honorable M. Wautelet cela est assez indifférent : que l'or soit diminué ou que l'argent soit augmenté, cela ne peut selon lui exercer aucune espèce d'influence sur les affaires en général. Il soutient d'ailleurs que ce n'est pas l'or qui a baissé, mais que c'est l'argent qui a augmenté de valeur. Je ne sais si je me fais illusion, mais je ne connais dans le monde que des valeurs relatives ; je ne connais pas de valeur absolue. Dire que c'est l'or qui a diminué par rapport à l'argent ou que c'est l'argent qui a augmenté par rapport à l'or, c'est exactement la même chose. Vous dites toujours par là qu'avec une quantité donnée d'argent vous obtenez plus qu'avec une quantité donnée d'or, ce qui n'existait pas autrefois. Voilà ce que vous exprimez.
Eh bien, la conséquence de cette différence entre la valeur de l'or et la valeur de l'argent, qui rompt leurs rapports légaux, quelle est-elle ? C'est d'exposer tous les créanciers à des pertes considérables.
La monnaie est d'autant plus parfaite que la valeur de la pièce est plus en rapport avec la valeur du métal. Le jour où il s'établit une différence entre la valeur du métal et la valeur de la pièce, vous autorisez en réalité tout débiteur à se libérer vis-à-vis de son créancier avec une somme moindre que celle pour laquelle il s'est engagé. (Interruption.)
Veuillez donc comprendre que c'est là précisément la situation. Vous avez supposé que l'écart irait en s'agrandissant, qu'il irait jusqu'à 50 p. c. ; eh bien, je prends votre hypothèse. L'écart est donc de 50 p. c. ; en d'autres termes le kilogramme d'or qui vaut aujourd'hui 3,343 fr. ne vaudra plus, relativement à l'argent, que de 1,500 à 1,600 francs. Or, la pièce de 20 fr. est calculée sur le prix du kilog. d'or, au taux de 3,343 fr. ; d'où il suit que dans l'hypothèse de l'honorable M. Wautelet, un débiteur irait prendre un lingot d'or moyennant 50,000 fr. en argent, le ferait estampiller à la monnaie pour 100,000 fr. et en payant son créancier, il ferait un bénéfice 50,000 fr. Vous ne sauriez éviter ce résultat qu'en établissant la valeur de votre pièce d'or en rapport avec la valeur de l'or comme marchandise. Si vous voulez donc décréter l'introduction des pièces françaises de 20 fr. et si vous admettez que l'écart puisse aller jusqu'à 50 p. c, vous arriverez au résultat que je viens d'indiquer.
C'est là un inconvénient qui, je le pense, est assez grave. Et puis, lorsque la valeur de la monnaie vient à changer, vous pouvez bien encore, en vertu de la puissance législative, marquer sur ces pièces qu'elles valent 20 francs ; mais le public, détenteur des marchandises, se rit de toutes les législatures ; le public se rit de ceux qui prétendent que cette pièce vaut 20 francs, ou quatre pièces de cinq francs, quand en réalité elle vaut moins.
Eh bien, le détenteur de la marchandise vous la vend d'autant plus cher. Cette situation atteint gravement la classe ouvrière ; car ou la paye avec la pièce au taux légal ; son salaire se calcule longtemps au taux que portent les pièces de la monnaie dans laquelle on s'acquitte envers elle, et elle ne peut plus se procurer les marchandises dont elle a besoin qu'à un prix surélevé.
Il est évident que pour tous ceux qui ont à recevoir des sommes d'argent, les fonctionnaires, employés, rentiers, subissent tous également des pertes considérables.
Vous ne pouvez rétablir l'équilibre qu'en modifiant le poids de la pièce ; il faut que vous la mettiez en rapport avec le prix du métal.
Comment cette opération serait-elle possible aujourd'hui, alors que la plus grande incertitude règne sur le prix de l'or ? Nous ne sommes pas au dernier terme de la dépréciation. Rien n'est encore fixé à cet égard. Bien des causes ont empêché que la dépréciation ne fût plus considérable que celle qui est constatée. M. le ministre des affaires étrangères en a signalé tout à l'heure deux avec beaucoup de raison. Il y a eu nécessité d'employer, pendant ces dernières années, une plus grande quantité d'or qu'en temps normal. Aujourd'hui que la production de l'or, loin de s'arrêter, ne fait que prendre plus d'extension, et que le même emploi d'or n'est plus nécessaire, l'or va affluer sur les marchés d'Europe, et la dépréciation sera plus notable que celle qui a été constatée quant à présent.
Dans cet état de choses, il est impossible de déterminer dans quelle proportion il faudrait fixer la pièce de 20 francs pour la mettre en harmonie avec le prix de l'or comme marchandise. On ferait un travail qui serait à recommencer avant peu ; tandis qu'en ce qui touche l'argent, on est dans une situation qui se rapproche autant que possible d'un état régulier, c'est-à-dire que la valeur de l'argent n'a pas notablement changé ; elle se maintient toujours, comme marchandise, dans un rapport assez équitable avec le taux qui a été déterminé comme monnaie.
Je ne sais trop ce que veulent les honorables membres qui convient le gouvernement à prendre des mesures ou à en étudier. L'honorable M. Dumortier dit : « Je me garderai bien d'engager le gouvernement à fabriquer de la monnaie d'or ; mais je voudrais qu'il autorisât la circulation des pièces françaises au taux légal. » Quelle différence y a-t-il entre les deux choses ? Au lieu de demander que le gouvernement laisse frapper des pièces de 20 francs à la monnaie de Bruxelles, il veut qu'il les fasse frapper à la monnaie de Lille. N'est-ce pas absolument la même chose ?
En résumé, les inconvénients dont on parle ne sont pas fort notable pour la Belgique. Le principal rôle de la monnaie, c'est de servir aux transactions dans l'intérieur d'un pays. Or, nous n'avons pas à nous plaindre sous ce rapport : les transactions sont faciles ; la monnaie d'argent n'est pas rare ; on ne se plaint pas de la rareté du numéraire ; on manifeste des craintes pour l'avenir ; mais dans les circonstances actuelles, la rareté n'existe pas ; il y a des inconvénients minimes pour les relations des particuliers qui habitent à la frontière ou qui ont des rapports plus fréquents avec la France. Je reconnais qu'il y a là quelque chose de fâcheux ; mais pour faire cesser ces petits inconvénients, faut-il compromettre toute le marché monétaire de la Belgique el nous placer à la suite de la France, dans une situation d'où l’on peut à peine imaginer comment il sera possible de sortir. Conservons une situation qui a peu d'inconvénients, cl qui, par compensation, a beaucoup d'avantages que l'on ne saurait contester.
M. Vander Donckt. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion ; mais lorsque j'ai entendu exprimer des plaintes qu'on dit être si générales, si vives et si pressantes dans le pays, quand j'ai entendu signaler notamment les Flandres, je n'ai pas cru devoir garder plus longtemps le silence.
Je dois à la vérité de dire que ces plaintes sont au moins fort exagérées ; les réclamations ne viennent, ni des particuliers, ni de l'agriculture ; s'il y a des plaintes, elles proviennent de quelques marchands forains de France qui se rendent avec de l'or sur nos marchés pour y acheter des denrées et qui rencontrent de l'opposition de la part des cultivateurs et de ceux qui leur vendent les produits de leur industrie.
On a conseillé au gouvernement de battre de nouveau de la monnaie d'or. On lui a donné le conseil de donner cours légal à la monnaie d'or française dans le pays, ce qui est pire encore.
Je crois que le gouvernement a parfaitement bien fait de maintenir le système monétaire actuel, il fera encore un très bon acte d'administration en le maintenant sans modifications.
Il est évident qu'il y aurait du danger à modifier à la légère notre système monétaire. C'est ce que d'honorables préopinants ont déjà établi à toute évidence, ils ont prouvé combien ces dangers sont graves. Je ne puis donc qu'engager le gouvernement à persister dans la voie où il est aujourd’hui.
Je ne m'étonne que d'une chose, c'est qu'on ait reproché comme une faute ou au moins comme une erreur, qu'on ait blâmé hier la Banque Nationale d'avoir prévenu le public, de lui avoir fait comprendre qu'elle ne recevait plus les pièces de 20 fr. qu'à raison de 19 fr. 50 c. Je pense, au contraire, que l'on ne peut que louer cette conduite pleine de franchise.
L'avertissement donné par la Banque a porté ses fruits : il est fort difficile aujourd'hui de faire passer une pièce de 20 francs à son taux normal.
Qu'en résulte-t-il ? Aucun préjudice pour les Belges ; du moment que le Français offre une pièce de 20 francs, le marchand lui fait pour sa marchandise un prix proportionnellement plus élevé ; de sorte que quand on se plaint d'avoir de l'or, on a déjà la plus-value en poche, car on a vendu à un prix plus élevé que si on avait été payé en pièces de 5 francs.
Les cultivateurs qui vendent leurs produits à la France comprennent fort bien leur intérêt, ils ont soin de déterminer la monnaie en laquelle ils veulent être payés. Je ne vois aucun inconvénient à cela.
J'applaudis à la mesure que la Banque a prise, il y avait déjà beaucoup de particuliers qui ne recevaient plus les pièces de 20 francs, au taux normal, mais les personnes peu éclairées, peu habituées aux affaires en recevaient encore ; aujourd'hui on ne les reçoit plus au prix normal à moins qu'on n'ait pris l'agio sur la marchandise. J'engage le gouvernement à maintenir sa résolution ; si on donnait cours légal à l'or on appauvrirait la fortune publique. Je proteste contre, cette mesure ; c'est la seule observation que je voulais faire.
M. Dumortier. - Je dois d'abord deux mots de réponse à l'honorable orateur qui vient de se rasseoir. Il prétend que les Flandres ne réclament pas contre la suppression (page 292) de la monnaie d'or, et pour combattre l'opinion que nous avions émise, il s'est surtout appuyé sur les intérêts de l'agriculture. Mais s'il consultait toutes les personnes qui l'ont le commerce avec la France, il verrait qu'il n'y a qu'un cri en Flandre contre la situation qui lui est faite en ce moment.
Ce matin, j'ai vu un des principaux négociants du district que j'ai l'honneur de représenter ; il m'a remercié de ce que j'ai dit à la séance d'hier en m'invitant fortement à persévérer dans la voie dans laquelle je suis entré.
L'honorable M. Frère qui avait pris la parole auparavant, a donné à la loi qui a retiré la monnaie d'or, une couleur autre que celle qu'elle a en réalité. Il n'agissait pas, a-t-il dit, sous l'empire d'une panique, bien qu'il ait reconnu ensuite que la panique existait. C'est qu'en effet, quand nous avons supprimé le cours de l'or, on était sous l'empire de la plus grande panique qu'on puisse supposer ; on s'est imaginé que l'or allait devenir tellement commun qu'on en ferait toute espèce d'ustensile ; mais bientôt les faits sont venus démentir ces prévisions.
C'est même à tort qu'on prétend que l’or a diminué de valeur ; mon honorable ami M. Wautelet a démontré que c'était une allégation erronée, que c'était l'argent qui avait augmenté de valeur.
L'honorable ministre des affaires étrangères a énuméré quelques-unes des causes de cette augmentation de la valeur de l'argent, mais il a oublié une des principales, si ce n'est la principale, je veux parler des exportations d'argent qui se font en Chine pour payer la soie que nous en tirons : on peut les évaluer à un demi-milliard à peu près par an. Voilà la source la plus forte du torrent qui entraîne notre argent vers la Chine.
Si on examine la balance commerciale, de l'Europe avec ce grand empire, on verra qu'elle se fait au grand détriment de l’Europe ; l'Europe tirait de la Chine beaucoup plus de produits qu'elle ne lui en fournit, la Chine nous prend en payement notre monnaie d'argent.
Voilà la plus importante cause de l'élévation du prix de l'argent dans ces pays. Cela est bien constant puisqu'on doit payer un agio pour en avoir. Il est incontestable que quand on donne un agio pour avoir une monnaie, c'est celle-là qui est en hausse. Or, cet agio s'élève aujourd'hui à six pour mille.
L'honorable M. Frère-Orban, poussant les conséquences de notre opinion à l'extrême, a dit que cela présentait un grand danger, parce que si l'or continuant à baisser arrivait à la moitié de sa valeur actuelle, le débiteur pourrait se libérer avec la moitié de la somme qu'il doit.
C’est possible, mais c'est là une illusion de l'honorable membre ; mais ce qui est très exact c'est que celui qui paye aujourd'hui en argent paye 6 pour mille de plus qu'il ne doit, parce qu'il y a 6 pour mille d'agio. Vous interdisez l'usage de l'or au détriment des particuliers, mais cela fait l'affaire des banquiers ; un négociant en toiles, en houilles, en fers, qui vend ses marchandises à l'étranger et à qui il est interdit de recevoir de l'or en payement de sa marchandise, doit passer par les mains des banquiers qui lui prennent 1 1/4 pourcent pour recevoir son argent à l'étranger et l’échanger contre une monnaie ayant cours dans le pays, de sorte que le négociant subit une perte de 1 1/4 pour cent sur chaque affaire. Voilà la véritable situation. Ainsi double perte, celui qui paye en argent paye 6 pour mille de plus qu'il ne doit et celui qui vend en Fiance perd 1 1/4 pour cent pour perte de change par suite du système monétaire que vous avez admis. Faut-il faire cesser ces abus ? Pour moi ce n'est pas douteux ; les objections qu'on fait ne sont que des hypothèses pour jeter de la poudre aux yeux, et les abus que je signale sont des vérités.
Le négociant dont je parlais tout à l'heure me disait : Autrefois nous vendions à vingt jours ; depuis que je ne puis pas recevoir d'or, je suis loin de vendre a deux mois et si je m'adresse à un banquier pour opérer un recouvrement, je dois payer 1 1/4 p. c. sur chaque affaire. Voilà la situation ; elle est fâcheuse ; il faut à tout prix en sortir. Mais comment faire pour en sortir ? Vous craignez, si vous admettez l'or, la dépréciation qu'il peut éprouver. Les économistes perdent trop de vue l'immense développement que prend la richesse publique en Europe, richesse qui se répand dans la classe moyenne par les grands établissement qu'on a fondés, les chemins de fer qu'on a construits, et nécessite une plus grande quantité de numéraire pour faire face à tous ces nouveaux besoins.
On trouve dans l'extension des besoins le placement de l'extension des capitaux.
Dans des contrées éloignées, comme les ports de la mer Noire et certaines provinces de la Russie qui connaissaient à peine de nom la monnaie d'or, on a reçu, en payement de céréales, de l'or qui, quoi qu'en dise M. le ministre des finances, ne rentrera certainement pas chez nous. C’est ce qui est cause que l'or qui nous est arrivé en si grande quantité de la Californie et de l'Australie, n'a pas amené de perturbation. Cela est si vrai que si ces capitaux n'étaient pas arrivés, l'or aurait aujourd'hui une valeur infiniment plus grande qu'autrefois.
Fallait-il, en 1850, retirer l'or ? Je crois que c'est une très grande faute. On vous dit qu’on voyait alors des guillaumes et des souverains, mais qu'on ne voyait pas des pièces de 20 ou de 40 francs. Mais c'est là une très grande erreur. Quand nous avons retiré la monnaie d'or de la circulation, l’or commençait à arriver de la Californie par sommes considérables. C'est alors qu'on a dit que l'or était une chimère et qu'il allait diminuer de valeur. C'était une erreur. L'or a conservé sa valeur.
Nous n'avons pas vu que, ni en France, ni en Angleterre, il y ait eu dépréciation de l'or. Mais l'argent a augmenté de valeur par une raison extrêmement simple, c'est que l'or étant déprécié, des pays qui achètent en Europe des marchandises pour des sommes considérables, comme la Chine et les pays des bords de la Baltique, ont voulu être payés en argent.
Notre argent sort ; nous n'avons plus de monnaie d'or. Que nous reste-t-il pour nos transactions ? Du papier ! Eh bien, pour mon compte, j'aime mieux avoir de l'or français que du papier dans ma poche.
Vous êtes vraiment d'étranges libre-échangistes. Vous êtes, dites-vous, pour le libre-échange ; et vous n'admettez pas le libre-échange de l'or et de l'argent. Laissez-nous donc changer nos billets de banque contre de la monnaie d'or française.
M. Frère-Orban. - Vous pouvez le faire.
M. Dumortier. - Oui, mais en perdant 50 centimes par pièce d'or.
C'est ainsi que vous entendez le libre-échange.
C'est comme le libre échange de M. Thiers qui s'adressait à l'agriculture pour obtenir la libre entrée des houilles en Belgique. Or, vous savez que l'entrée des houilles est libre. Voilà comment on trompe le public.
Je ne puis donc admettre que l'on ait fait sagement de supprimer le cours légal de l'or français en Belgique. Je ne dis pas qu'il faille frapper de la monnaie d'or ; car comme la valeur de l'or peut diminuer, l'Etat devrait, dans ce cas, supporter la perte. Mais quel inconvénient y avait-il à maintenir le cours légal de la monnaie d'or française, en donnant au gouvernement la faculté de le faire cesser, le jour où la France aurait admis une dépréciation de sa monnaie d'or ? Ce jour-là, vous auriez renvoyé votre or en France, et vous n'auriez rien perdu.
Vous dites que vous avez voulu éviter une perte au pays. Mais n'est-ce pas une perte, lorsque pour recevoir un capital on doit perdre un ¼ p. c., lorsque celui qui paye son créancier doit lui payer 6 par mille de plus que sa créance ?
Je ne vous parle pas des théories de l'avenir. Je vous parle des exigences du présent.
Je crois qu'il est nécessaire d'écouter un peu les plaintes de tout le pays. Nous ne sommes pas ici pour faire des théories, mais pour faire les affaires du pays. Il n'y a qu'un cri contre la suppression de la monnaie d'or. J'espère que le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour faire droit à ces réclamations. S'il ne le faisait pas, je ne croirais pas pouvoir me dispenser d'user de mon initiative.
M. F. de Mérode. - Messieurs, si l'on avait évité de prendre des mesures subites, lorsque certains changements se sont produits dans la valeur des monnaies par les découvertes considérables d'or en Californie et en Australie, nous n'aurions pas démonétisé l'or, tandis que la France et l'Angleterre ne modifiaient pas leur système. En suivant leur exemple, nous ne risquions pas grand-chose, tandis qu'en renonçant à l'or et ne conservant que l'argent, si ce dernier métal devient comparativement rare, nous augmentons nos obligations publiques vis-à-vis de nos créanciers, comme celles de tous les particuliers vis-à-vis des leurs ; car nous nous privons d'un des deux modes de payement. Il y a des chances à courir pour tous quand on laisse agir selon les circonstances l'influence inconnue des découvertes métalliques ; mais si on intervient législativement, on charge arbitrairement les uns au profit des autres.
Je suppose, en effet, qu'on trouve quelque part une grande abondance d'argent ; faudra-t-il pour favoriser les valeurs mobilières démonétiser ce métal et se reporter exclusivement vers l'or, redevenu en ce cas monnaie plus avantageuse pour les porteurs de titres ? Telle devrait être cependant la conclusion des prémisses posées par le gouvernement belge, lorsqu'il a enlevé à l'or le droit qu'il possédait d'être employé en solde conformément à sa valeur depuis longtemps reconnue.
Avant ces mesures un débiteur était libre d'acquitter une dette de 20,000 fr. par exemple, avec mille pièces de 20 fr., ou bien avec quatre mille pièces de 5 fr.
Si la France eût fait comme vous, elle ôtait au débiteur cette faculté, et la découverte de l'or, au lieu de lui être profitable, lui devenait onéreuse, car le moyen de payement restreint nuit évidemment au débiteur.
Selon moi, messieurs, en bonne justice, au contraire, il fallait laisser chacun perdre ou gagner selon les chances adverses ou heureuses que l'événement des découvertes amène pour les uns ou pour les autres.
Supposez, ce qui était possible, que les mines d'or et d'argent fussent devenues très peu productives, à la longue la rareté en eût augmenté le prix relatif, et alors vous croiriez-vous le droit légal de diminuer les obligations du payeur vis-à-vis du payé ?
Ce que je viens de dire, messieurs, me semble démontrer qu'en France on a agi équitablement en faisant ce que le bon sens commande, à savoir de profiter des facilités que donne aujourd'hui l'or comme monnaie, puisqu'il est abondant. Quand l'or l'était moins, il obtenait un agio, parce que chacun préférait payer en argent.
Laissez donc faire les particuliers, ils payeront actuellement de préférence avec de l'or ; et l'on accordera à l'argent l'agio qu'on accordait précédemment à l'or, mais cela se fera librement, et le gouvernement n'aura ni servi ni lésé personne, et cette conduite impartiale entre le payeur et le payé, entre le débiteur et le créancier, est son seul et strict devoir.
(page 293) M. Wautelet. - Je serai bref dans ma réponse. Je rencontrerai seulement les principales observations, ou plutôt les modifications qu’on a fait subir à ma pensée.
Quoi qu'en ait dit l'honorable M. Frère-Orban, je crois et je maintiens que la loi de 1850 a été votée sous la préoccupation des craintes qu'on éprouvait par suite des découvertes et des exploitations de la Californie, je n'ai pas dit de l'Australie.
Nos souvenirs sont assez frais pour que nous puissions nous rappeler encore ce qui s'est passé à cette époque.
Quant à moi, je me le rappelle parfaitement, en Belgique comme en Hollande, c'est parce qu'on a craint que la dépréciation de l'or ne fût la conséquence de ces exploitations qu'on l'a démonétisé.
M. Frère-Orban. - C'est une erreur. La démonétisation de l'or avait été décidée en Hollande, dès 1847.
M. Wautelet. - L'honorable M. Frère vous a dit que mon argumentation était basée sur ce qu'il m'était indifférent à moi qu'il y eût une différence de valeur en plus ou en moins entre l'or et l'argent ou entre l'argent et l'or. Je n'ai rien dit de semblable.
Dans mon argumentation j’ai seulement cherché à prouver que la valeur de l'or n'avait pas diminué d'une manière sensible.
J'ai cherché à prouver que la différence qui existait aujourd'hui entre la valeur de l'or et la valeur de l'argent tenait exclusivement à l'augmentation de la valeur de l'argent ; et j'ai dit pourquoi.
M. Frère-Orban. - C'est la même chose.
M. Wautelet. - Ce n'est pas la même chose.
J'ai dit que la valeur de l'argent avait augmenté considérablement par suite de circonstances extraordinaires. Car je reconnais avec l'honorable ministre des finances qu'il y a eu une réduction constante dans la valeur de l'or et de l'argent comparativement aux objets de consommation.
Ainsi il est évident qu'une somme d'or ou d'argent représentait, il y a quarante ans, plus de choses que la même somme aujourd'hui.
Une fortune de 10,000 francs de rente, il y a quarante ans, était une fortune au moins aussi élevée qu'une fortune de 20,000 francs aujourd'hui.
Cette diminution lente et continue des monnaies soit d'or, soit d'argent, je l'accepte. Mais je disais qu'il existait aujourd'hui une cause spéciale qui pouvait amener une augmentation considérable dans la valeur de l'argent et que dès lors les inconvénients que l’on signalait tout à l'heure pour le remboursement des créances ou pour toute autre chose, existeraient dans un autre sens, si cette augmentation venait à prendre des proportions considérables ; j'ai fait, en outre, remarquer qu'à mon sens il y avait peut-être là un danger et un danger sérieux dans cette situation.
Le premier danger était la disparition de la monnaie d'argent, appelée à satisfaire à d'autres besoins, appelée là où sa présence était indispensable pour continuer les échanges. Eh bien, je crois encore que ce danger existe malgré ce qui a été dit. Je crois que si cette différence venait à être beaucoup plus sensible, si la monnaie métallique venait à disparaître, nous serions forcément entraînés à changer de système, et alors que nous ne pourrons plus le faire qu'à des conditions excessivement onéreuses ou en nous exposant à être injustes envers les créanciers de l'Etat, vous devriez ou rembourser vos créances avec les matières qui étaient en usage lorsque ces créances ont été constituées, ou vous devriez les payer avec une valeur relativement moindre, et alors vous seriez injustes.
Eh bien, messieurs, c'est pour éviter que cette situation ne se produise à un degré plus considérable que je crois qu'il ne faut pas attendre plus longtemps, non pas pour prendre une mesure, mais pour s'occuper sérieusement de la question, et c'est surtout parce que cette question est grave, qu'il faut savoir la regarder en face, l'examiner à fond et savoir enfin la résoudre.
Voilà ce que j'ai dit, ce que j'ai dit je le répète, et je crois que ce qui m'a été répondu ne change rien à ce que j'ai avancé.
M. le ministre des finances nous a dit tout à l'heure : « Je comprends aussi les inconvénients qui se présentent. S'il y a quelque chose à faire, qu'on nous l'indique, qu'on nous donne des conseils qu'on nous dise ce qu'il y a à faire et pourquoi. »
Messieurs, j'admets aussi que la question est très grave, qu'on ne peut la résoudre sans une étude très approfondie. Mais j'ai cherché vainement quels seraient les inconvénients graves, surtout en présence de ma conviction qui me dit que la valeur de l'or n'a réellement pas changé d'une manière appréciable, quels seraient les inconvénients à adopter l'or comme type monétaire, comme étalon, à adopter ce type comme la base de notre système monétaire et à suivre l'exemple de l'Angleterre, quant à la monnaie d'argent, c'est-à-dire d'adopter une monnaie qui n'ait pas tout à fait la valeur réelle de son indication, non pour faire un profit, mais pour qu'on ne nous l'enlève pas, une monnaie d'appoint en un mot, qu'on ne serait obligé de recevoir que dans une certaine proportion et qui viendrait répondre à un inconvénient qu'on nous signale, celui de ne pouvoir, avec de la monnaie d'or, satisfaire aux payements de détail et former les appoints.
Je finis en priant M. le ministre des finances de s'occuper sérieusement de cette affaire et de nous faire, si c'est possible, une proposition dans le courant de cette session.
M. de Renesse. - Messieurs, je ne comptais pas prendre part à la discussion générale du budget des voies et moyens ; mais à la séance d'hier, l'honorable ministre des finances a semblé critiquer le vote de plusieurs membres de la Chambre qui se seraient abstenus sur le crédit de six millions demandés pour le matériel du chemin de fer, parce que les dépenses qui en résulteraient devaient être payées au moyen de bons du trésor.
Ayant presque toujours été opposé depuis plusieurs années à une trop forte émission de ces bons, j'ai cru, tout en reconnaissant parfois l'utilité des dépenses, devoir, ou voter contre les crédits extraordinaires demandes, ou m'abstenir.
J'ai l'intime conviction que si ce moyen de bons du trésor, si faciles pour se créer des ressources supplémentaires, n'était pas si régulièrement mis en pratique, les dépenses extraordinaires non prévues dans les budgets seraient moins facilement accordées par les Chambres législatives, surtout s'il fallait réellement créer des voies et moyens nouveaux pour y faire face.
D'après l'article 115 de la Constitution, toutes les recettes et les dépenses de l'Etat doivent être portées au budget et dans les comptes ; il me semble que cette prescription si positive de notre pacte fondamental n'est pas sérieusement observée quant aux budgets ; car chaque année, après le vote de nos budgets des dépenses, il faut presque toujours accorder des crédits supplémentaires ou complémentaires, en général soldés par les ressources de bons du trésor. Si l'Etat a parfois un assez grand nombre de millions dans son encaisse, comme actuellement plus de 30 millions de francs, pourquoi ne pourrait-il pas se faire autoriser à employer successivement une partie de cet encaisse, pour payer ces dépenses extraordinaires en dehors des budgets, sauf à réintégrer les sommes de l'encaisse ainsi dépensées, au moyen de ses ressources ordinaires et de l'accroissement successif de notre budget des voies et moyens.
Je ferai remarquer que pour pouvoir satisfaire à toutes les dépenses ordinaires et extraordinaires, le gouvernement a été autorisé plusieurs fois à employer les crédits restés disponibles, lorsque l’amortissement régulier de notre dette publique ne pouvait pas avoir lieu ; il en pourrait être de même de certaines sommes de l'encaisse, ayant une affectation spéciale, et restant pendant plusieurs années, dans la caisse de la Banque Nationale, sans aucun profit pour l'Etat ; c'est ainsi que la situation du trésor au 1er septembre de cette année nous indique que de l'emprunt autorisé par la loi du 31 décembre 1851, il restait encore une somme de 9,428,886 fr. 7 c. disponible. Qui a profilé de l'intérêt de ce capital pendant plusieurs années ? Probablement la Banque Nationale, car il est à supposer qu'elle ne laisse pas cet argent inactif dans sa caisse ; et si elle souscrit soit dans un emprunt contracté par l'Etat, ou qu'elle prenne des bons du trésor, elle pourrait fort bien employer une partie de l'encaisse du gouvernement à cet effet.
En m'opposant à une trop grande émission de bons du trésor, en voulant, autant qu'il est en mon pouvoir, empêcher l'extension des dépenses de l’Etat, par conséquent, une augmentation des charges déjà très nombreuses des contribuables, je crois de mon devoir de persister à m'opposer à ce qu'au moyen de la création de bons du trésor, le gouvernement se laisse entraîner trop facilement à de nouvelles dépenses extraordinaires qui amèneraient infailliblement la nécessité de créer des ressources nouvelles, de nouvelles contributions, dont je crois le moment peu opportun, après les différentes crises que le pays a eu à traverser ; que l'on améliore les impôts existants par une meilleure répartition, que l'on fasse contribuer les capitaux considérables qui ont su s'affranchir jusqu'ici des charges de l'Etat, rien de mieux ; alors l'accroissement de nos voies et moyens marchera régulièrement et successivement.
M. Lelièvre. - Le budget en discussion me donne l'occasion de proposer quelques observations que je livre à l'appréciation de la Chambre et du gouvernement.
Je désire voir discuter le plus tôt possible le projet de loi sur la contribution personnelle qui doit amener une répartition plus équitable de l'impôt. Il est juste que celui-ci frappe particulièrement l'aisance et la richesse et que le système actuel évidemment vicieux soit remplacé par des dispositions meilleures, en harmonie avec les principes de nos institutions libérales.
Je dois appeler aussi l'attention du gouvernement sur la nécessité de prévenir des poursuites vexatoires en matière de mutations immobilières. Il est certain que trop souvent on provoque des expertises sans motif sérieux à raison de mutations de peu de valeur.
Semblable système est propre à déconsidérer le gouvernement et à occasionner des dépenses notables aux particuliers qui ont à se défendre contre semblables mesures. J'engage M. le ministre des finances à recommander à ses subordonnés une sage circonspection à cet égard.
Le ministère proposant d'élever l'impôt à percevoir sur les permis. déport d'arme s, la section centrale pense que cette question ne peut être résolue incidemment au budget en discussion et qu'une loi spéciale est indispensable à cet égard.
Je partage cette opinion, d'autant mieux fondée que, si la mesure se réalise, il faut élever en même temps l'amende prononcée par le décret de 1812 contre ceux qui sont trouvés chassant sans être porteurs d'un permis de port d'armes. En effet, la peine pécuniaire prononcée par décret, ayant force de loi, a été mesurée à la quotité de l'impôt tel qu’il se perçoit actuellement. Si donc l'impôt est augmenté, il est logique qu'il en soit de même de la formalité établie contre ceux qui violent les dispositions légales en cette matière.
(page 294) Enfin, messieurs, l'honorable M. Moncheur vous a signalé hier un abus réel relativement à l'endroit où se trouvent placées certaines barrières. Non seulement elles sont établies contrairement aux lois et règlements qui déterminent les distances à observer, mais leur position au milieu des populations agglomérées est contraire à tous principes de justice. Il en est ainsi de la barrière d'Andenne contre laquelle se sont élevées les plaintes les plus légitimes. Je prie le gouvernement de faire cesser un ordre de choses qui excite à juste titre des réclamations auxquelles il est indispensable de faire droit. Le conseil provincial de Namur a été dernièrement saisi de cette question qui appelle toute l'attention de l'autorité supérieure.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je prierai d'abord l'honorable comte de Renesse d'être bien persuadé que mon intention n'a jamais été de critiquer les motifs de son abstention. Dans notre dernière séance j'ai cherché à faire comprendre que je ne croyais pas que dans l'occurrence j'eusse pu agir autrement que je ne l'ai fait. Pour obéir à la loi il fallait indiquer le moyen de faire face à la dépense de 6 millions qui était unanimement reconnue nécessaire.
Je n'avais pas d'autre moyen à indiquer que les bons du trésor. Je suis toutefois entré complètement dans les vues mêmes de l'honorable membre, puisque j'ai déclaré que malgré cette indication, il ne serait pas fait usage des bons du trésor, et que j'aurais recours à l'encaisse qui est considérable.
L'honorable M. Lelièvre se plaint des poursuites faites par l'administration de l'enregistrement.
Il y a au moins beaucoup d'exagération dans cette imputation. Naturellement celui qui est recherché pour une déclaration insuffisante est porté à se plaindre, et disposé à croire qu'on use de trop de rigueur envers lui. Mais les agents de l'administration ont souvent des devoirs pénibles à remplir. Ce qui prouve la modération avec laquelle ils procèdent, en général, c'est que le plus grand nombre des affaires portées en justice sont décidées en faveur de l'administration. J'ai un tableau des affaires soumises aux tribunaux par cette administration, le nombre en est fort restreint, car presque toujours on arrive à une transaction, preuve encore de la modération avec laquelle on procède.
Sur six affaires portées en cassation, en 1855, trois ont été gagnées par l'administration, les trois autres sont encore pendantes. Devant le tribunal de première instance sur 25 affaires l'administration en a gagné 13 ; elle en a perdu 7 ; c'est là un témoignage que le gouvernement met autant de modération que possible dans la poursuite des affaires.
Quant aux ports d'armes dont a parlé l'honorable M. Lelièvre, il n'en est pas question au budget des voies et moyens, et c'est encore une chose tout éventuelle que la proposition qui pourra être faite à cet égard.
- La discussion générale est close.
« Principal : fr. 15,944,527.
« 3 centimes additionnels ordinaires : fr. 478,335.
« 2 centimes additionnels pour non-valeurs : fr. 318,890.
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,594,452.
« 3 centimes additionnels supplémentaires sur le tout : fr. 550,086.
« Total : fr. 18,886,290. »
M. de Lexhy. - Messieurs, le rapport de l'honorable M. Moreau contient le passage suivant :
« La section centrale a émis le vœu que le projet de loi concernant la révision cadastrale soit présenté à la Chambre dans le cours de cette session. »
Je ne pourrais m'associer à ce vœu et je proposerais même formellement l'ajournement de tout projet de loi sur cette matière, si je n'avais dès maintenant l'assurance que cette révision, si elle s'accomplit, se fera à des conditions complètes d'équité, de justice et de saine appréciation, et ne sera pas l'avant-coureur d'une augmentation de l'impôt foncier.
Je reconnais que le régime actuel consacre des irrégularités et que l'équilibre entre le revenu réel et le revenu cadastral est rompu : beaucoup de régions sont surtaxées proportionnellement au revenu de leur sol, comparé à celui de certaines parties du royaume.
L'arrêté royal du 28 juillet 1852 prouve que le gouvernement a compris que le rapport du revenu cadastral à la valeur vénale a subi d'importantes modifications et il a, en conséquence, adopté pour base de l'évaluation des immeubles frappés du droit de succession en ligue directe, le revenu cadastral avec des multiplicateurs différents.
Jamais, messieurs, on ne parviendra à établir une base complètement vraie, d'une justesse mathématique, parce que la valeur des terres varie à chaque instant, selon les différentes productions, selon les applications de la science à l'agriculture, selon l'abondance des capitaux et autres circonstances économiques, qui déterminent le taux de la valeur des fonds ruraux.
Malgré l'impossibilité d'arriver à la vérité complète dans l'espèce, il est cependant équitable de revoir la loi de péréquation du 9 mars 1848 et la loi générale du cadastre.
Mais il ne faut pas se dissimuler les frais énormes que ce travail gigantesque, herculéen, va nécessiter.
Une armée entière d'employés devra être levée pour procéder à cette opération, qui ne pourra être quelque peu juste, que pour autant qu'elle soit faite simultanément dans toutes les provinces.
Vous ne vous dissimulez pas davantage, messieurs, les nombreuses difficultés que l'on rencontrera pour débrouiller ce chaos ; difficultés d'appréciation et surtout difficultés de comparaison.
En effet, avec les progrès incessants de l'agriculture, sa tendance à se développer, à s'industrialiser, des différences considérables de revenu peuvent exister même entre deux fonds voisins d'égale qualité.
Ce n'est là, messieurs, qu'un spécimen des difficultés presque insurmontables de cette colossale entreprise de la révision cadastrale.
Mon intention n'est pas, je le répète, d'opposer une fin de non-recevoir, ni d'apporter la moindre entrave à la révision du cadastre. Mais il faudra bien prendre garde, qu'en voulant effacer des inégalités, corriger des abus, on ne vienne consacrer de nouvelles injustices.
C'est ainsi que, si, afin de rechercher, déterminer les charges que doit supporter la propriété rurale, c'est-à-dire fixer le contingent de la contribution foncière, on prenait pour base les baux passés sous l'empire des prix excessifs des denrées alimentaires des dernières années, on arriverait à une fausse estimation du revenu réel.
La valeur vénale des terres et par conséquent le revenu territorial, ont atteint des chiffres exorbitants, qui s'amoindriront probablement, sous l'influence de la baisse constante des denrées alimentaires. Ce phénomène économique se remarque surtout dans les régions agricoles, exclusivement adonnées à la production des céréales et notamment dans l'arrondissement de Waremme. Pour procéder rationnellement, pour atteindre le plus approximativement possible la vérité, il faudra donc, surtout pour les contrées que je viens de signaler, il faudra ou bien attendre que le taux normal du revenu soit rétabli, ou bien défalquer, pour les évaluations, les baux créés dans les années de cherté excessive. Sans cela on aboutira à de nouvelles et odieuses inégalités dont nous ne voulons pas être les victimes.
Je recommande ces observations à la sérieuse attention du gouvernement.
M. T’Kint de Naeyer. - Messieurs, j'ai demandé la parole quand j'ai entendu l’honorable préopinant demander l'ajournement de la révision cadastrale.
M. de Lexhy. - J'ai dit que je demanderais l'ajournement si on ne nous donnait pas des garanties suffisantes d'une bonne répartition.
M. T’Kint de Naeyer. - Quant à moi, j'insiste pour que la révision du cadastre ait lieu, mais je serais d'accord avec l'honorable membre sur un point, c'est qu'il ne peut dans aucun cas être question d'augmenter le contingent de l'impôt.
Il s'agit uniquement d'arriver à une répartition plus équitable du chiffre actuel entre les provinces, les communes et les particuliers.
Voilà ce que nous avons demandé depuis plusieurs années, et s'il restait quelque doute relativement à l'urgence de la réforme, il suffirait de jeter un coup d'œil sur le tableau annexé à l'arrêté royal du 28 juillet 1852, porté pour l'exécution de la loi du 17 décembre 1851, sur les droits de succession et de mutation par décès.
D'après ce tableau, le revenu cadastral des propriétés rurales non bâties, aunes que bois, terres vaines et vagues, landes et bruyères, représente ;
Dans la Flandre orientale la 46e partie de la valeur vénale de ces propriétés.
Dans la Flandre occidentale la 42e partie.
Dans le Limbourg, la 48e partie.
Dans la province d'Anvers, la 53e partie ;
Dans le Brabant, la 54e partie ;
Dans le Luxembourg, la 56e partie ;
Dans le Hainaut, la 60° partie ;
Dans la province de Liège la 67e partie et dans la province de Namur la 83e partie.
Et, messieurs, en ce qui concerne l'inégalité de canton à canton et l'inégalité même de commune à commune, je crois qu'on arriverait à des différences tout aussi considérables. Il serait inutile, pour le moment, d'entrer dans de plus longs développements à ce sujet ; d'ailleurs nous sommes d'accord avec la section centrale et avec le gouvernement qui a renouvelé la promesse qu'il avait déjà faite par le discours du trône, de soumettre à la législature, dans le courant de la session, un projet de loi destiné à rétablir l'égalité proportionnelle dans la répartition de l'impôt foncier.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, le discours du trône a très nettement caractérisé l'intention du gouvernement relativement au projet de loi concernant la révision des évaluations cadastrales ; le but qu'il se propose est uniquement de parvenir à une meilleure répartition de l'impôt ; aucun autre motif ne l'a guidé. On ne pourra se fonder sur les résultats qui seront obtenus par la révision pour augmenter le contingent de la contribution foncière qui est un impôt de répartition ; le gouvernement ne donne pas une autre portée au projet.
- L'article est mis aux voix et adopté.
(page 295) « Principal : fr. 8,818,000.
« 10 centimes additionnels extraordinaires :fr. 882,000.
« Total : fr. 9,700,000 »
- Adopté.
« Principal : fr. 3,363,000.
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 336,400.
« Total : fr. 3,700,000. »
- Adopté.
3,700,000
« Principal : fr. 520,000.
« 10 centimes additionnels ordinaires pour non-valeurs : fr. 52,000
« 5 centimes sur les deux sommes précédentes, pour frais de perception : fr. 28,600
« Total : fr. 600,600 »
M. de Renesse. - Messieurs, à l'occasion de l'article redevances sur les mines, je crois devoir demander à la Chambre, que la section centrale chargée de l'examen du projet de loi présenté le 26 février 1853, par l'honorable M. baron de Man, sur la fixation de la redevance des mines, soit invitée à présenter, le plus tôt possible, son rapport.
Il y a environ un an que les sections ont examiné ce projet qui tend à établir une meilleure base pour la fixation de cette redevance. Actuellement cette fixation donne lieu à beaucoup de contestations et elle m'est pas uniforme.
L'honorable baron de Man ne propose pas une augmentation de cette redevance, il maintient le taux établi par le décret du 28 décembre 1830, c'est-à-dire à 3 1/2 p. c, mais il veut que cette redevance proportionnelle soit réellement perçue au profit de l'Etat, tandis qu'il n'en est pas ainsi actuellement.
J'ai donc l'honneur de proposer à la Chambre que la section centrale soit invitée à présenter, le plus tôt possible, son rapport sur le projet de loi de la fixation de la redevance des mines.
Un autre projet, très important, est aussi en instruction depuis longtemps, sans qu'aucun rapport ait encore été présenté ; c'est celui sur les caisses de prévoyance en faveur des ouvriers mineurs.
Ce projet a été présenté par le gouvernement le 26 janvier 1854. Voilà donc plus de deux années que la Chambre est saisie de ce projet qui intéresse particulièrement une classe nombreuse de nos ouvriers qui mérite toute la sympathie des Chambres.
J'ai l'honneur de proposer pareillement à la Chambre que la section centrale soit invitée à présenter un prompt rapport.
M. le président. - La section centrale sera convoquée pour s'occuper de cet objet.
- L'article, est mis aux voix et adopté.
« Droit de débit des boissons alcooliques : fr. 875,000. »
- Adopté.
« Droit de débit des tabacs : fr. 165,000. »
- Adopté.
« Droits d'entrée (16 centimes additionnels) : fr. 11,100,000. »
« Droits de sortie (id.) : fr. 50,000.
« Droits de transit (id ) : fr. 10,000.
« Droits de tonnage (id.) : fr. 650,000.
« Timbre : fr. 35,000.
« Total : fr. 11,845,000. »
- Adopté.
« Sel : fr. 4,950,000.
« Vins étrangers : fr. 2,100,000.
« Eaux-de-vie étrangères : fr. 225,000.
« Eaux-de-vie indigènes : fr. 4,900,000.
« Bières et vinaigres : fr. 6,400,000.
« Sucres de canne et de betterave : fr. 4,500,000.
« Glucoses et autres sucres non cristallisables : fr. 3,000.
« Timbre sur les quittances : fr. 15,000.
« Timbre sur les permis de circulation : fr. 1,000.
« Total : fr. 23,094,000. »
- Adopté.
« Droits de marque des matières d'or et d'argent : fr. 200,000. »
- Adopté.
« Droits de magasin des entrepôts, perçus au profit de l'État : fr. 280,000.
« Recettes extraordinaires et accidentelles : fr. 40,000.
« Total : fr. 320,000. »
- Adopté.
- La séance est levée à 4 heures et demie.